Catalina LONDOÑO Les nouvelles formes de violence urbaine en
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Catalina LONDOÑO Les nouvelles formes de violence urbaine en
UNIVERSITÉ PARIS 12 – VAL DE MARNE INSTITUT D’URBANISME DE PARIS École doctorale : économie, gestion et espace (EGEE) LOUEST Laboratoire des organisations urbaines : espaces, sociétés, temporalités UMR CNRS 7145 Doctorat en Urbanisme Catalina LONDOÑO Les nouvelles formes de violence urbaine en Colombie : les déplacements forcés à Medellín et Barrancabermeja Thèse dirigée par Licia VALLADARES Université de Sciences et Technologies de Lille 1 Correspondant à l’Université Paris 12 – Val de Marne : Jean Pierre FREY Soutenue le 11 octobre 2007 Jury : Françoise DUREAU Jean Pierre FREY Christian GROS Angelina PERALVA Licia VALLADARES À Luis, Carmen Alicia, Felipe, Alicia María, Santiago et Camilo. Remerciements Je souhaite exprimer ma plus grande gratitude à Luis et Carmen Alicia pour leur appui inconditionnel et permanent. Ils ont été le moteur qui a permis la réalisation de cette étude. Mes remerciements vont également à l' Institut d' Urbanisme de Paris de l' Université Paris 12 pour son accueil. Ma reconnaissance va à Anita Becquerel pour son soutien dans les démarches administratives. J’ai aussi une immense gratitude pour Licia Valladares : son dévouement et ses apports intellectuels, en tant que directrice de thèse, m' ont aidé à étendre le regard, et aller au delà du cas proprement colombien. J’admire, en outre, ses qualités comme sociologue urbaine. Je remercie Jean Pierre Frey pour ses conseils et commentaires à la version préliminaire du texte. J’étends mes remerciements à la Defensoría del Pueblo et au Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Refugiés pour l' appui dans la réalisation de la recherche et notamment par l' organisation des tables rondes, qui ont été une source d' information précieuse. Une reconnaissance très spéciale pour Sergio Arboleda, sans qui ce travail n’aurait pas atteint la même ampleur. À l' équipe de la Direction de Populations et Projets Intersectoriels du Ministère de l' Éducation, tous mes remerciements pour leur accompagnement durant deux années de travail intense. Je tiens à remercier Isabel Segovia et Bertha Quintero, pour leur travail au service de la population vulnérable et leur appui permanent. À Janeth Guevara et Liliana Vargas, ma gratitude pour le partage de leurs connaissances et leurs expériences dans le travail avec la population déplacée. Mes remerciements vont aussi à l' Université des Andes : en particulier, Carl Langebaek, dont l' appui a permis que cette longue traversée commence, et Germán Ferro, parce qu’il m’a stimulé pour étudier les nuances et les logiques de 5 ce phénomène dévastateur qu’est la violence, et parce qu’il a toujours encouragé mon travail de chercheur. Je remercie les organismes et institutions qui publient généreusement leur information sur Internet. Cela a facilité énormément la réalisation de cette recherche. Je souhaite exprimer ma gratitude à Giovanni Lepri et Fernando Molano pour la réponse opportune à mes inquiétudes. À David Picard, je le remercie pour le temps qu' il a consacré à lire les versions préliminaires de cette thèse, ainsi que pour ses commentaires. Je remercie Laura Niño pour m’écouter. Une des dettes les plus grandes que j’ai, c’est avec Vinciane Servantie. Sans ses soigneuses révisions et ses annotations cette thèse serait encore matière brute. Enfin, je remercie Camilo pour ses lectures interminables et ses conseils. Merci de faire de Paris le meilleur endroit du monde. 6 DÉPLACÉ, ÉE. Participe. Il s'emploie aussi comme adjectif, et signifie alors, mal placé, placé dans un poste qui ne convient pas, ou auquel on n'est pas propre. Il signifie aussi, qui n'est pas où il doit être. Il signifie encore, inconvenant, qui ne convient pas. (Dictionnaire de L'Académie Française, sixième édition, 1832-5) 7 8 TABLE DE MATIÈRES INTRODUCTION GÉNÉRALE 1. Problématique : conflit armé interne et déplacement intra-urbain, quelle liaison ? 13 2. État de recherches sur le déplacement forcé (desplazamiento forzado) en Colombie 16 3. Le choix des études de cas et la trajectoire de l’auteur 26 4. Difficultés propres à la recherche 30 5. L’organisation de l’étude 32 I - LE CONCEPT JURIDIQUE DE DÉPLACÉ (DESPLAZADO) Introduction 35 1. Le statut des réfugiés : vrais ou faux demandeurs d’asile ? 39 2. Le concept de déplacé et le HCR : liens et similarités entre réfugiés et déplacés 45 3. La liberté de circulation sur le territoire national, le droit à la permanence et au choix de lieu de résidence 48 4. Les Principes Directeurs des Nations Unies : contenir les migrations dans le pays d’origine 52 5. Le déplacement dans les Amériques : six initiatives qui rendent visible le phénomène 56 6. La construction de la catégorie de déplacés internes (desplazados internos) en Colombie : de la négation à la reconnaissance du phénomène 59 6.1 Les premières recherches sur le phénomène : la nécessité d’agir 59 6.2 La non reconnaissance du statut juridique particulier des déplacés 63 6.3 La reconnaissance du phénomène en raison de sa visibilité croissante (les chiffres) 65 6.4 La catégorisation du phénomène dans la politique publique : la Loi 387 de 1997 et l’appareil juridique qui l’a suivie 78 7. Le type de déplacés du point de vue juridique : vulnérables entre les vulnérables 88 8. La catégorie de déplacés d’après la Cour Constitutionnelle : la polémique au sein des pouvoirs publics 90 8.1 La jurisprudence constitutionnelle 8.1.1 L’arrêt T-227 de 1997. Les déplacés : indésirables ou victimes ? 92 93 9 8.1.2 L’arrêt SU-1150 de 2000 : les déplacés comme principales victimes de la violence que subit la Colombie 96 8.1.3 L’arrêt T-327 de 2001 : discussion autour du registre de population déplacée 99 8.1.4 L’arrêt T-1346 de 2001 : l’importance du point de vue juridique dans la caractérisation de déplacés 101 8.1.5 L’arrêt T-215 de 2002 : différentes interprétations des cadres normatifs 103 8.1.6 L’arrêt T-025 de 2004 : « état de faits inconstitutionnelle » 104 8.1.7 L’arrêt T-268 de 2003 : la reconnaissance du déplacement intraurbain 107 Conclusion 114 II - VIOLENCE POLITIQUE ET CONFLITS URBAINS Introduction 119 1. La violence politique contemporaine 125 2. Les guérillas colombiennes et la fragmentation de la violence 135 2.1 Les FARC-EP : la combinaison de toutes les formes de lutte 137 2.2 L’ELN : une armée révolutionnaire 150 2.3 L’EPL : un processus de paix inachevé 158 2.4 Le financement des guérillas : l’autonomie pour l’action 164 2.5 Le M-19 : la ville comme scénario de la révolution 166 2.6 Les milices : guérilleros dans la ville ? 172 3. Le trafic de drogue et son influence dans la violence urbaine 175 3.1 La guerre de la coca 175 3.2 Les bandes de tueurs à gages, criminels de la drogue 181 4. Les paramilitaires illégaux ou autodéfenses 186 4.1 Entre l' avidité et le désespoir : naissance et consolidation des paramilitaires 187 4.2 Les paramilitaires en ville : les « restaurateurs » de l' ordre social 198 5. Brève note sur le rôle des médias face au conflit armé Conclusion 10 200 202 - LE CAS DES VILLES DE MEDELLÍN ET BARRANCABERMEJA Introduction 1. Les villes colombiennes : migration et urbanisation 2. La ville de Medellín 3. La violence à Medellín : inégalité et fragmentation par zones 3.1 Les bandes et autres groupes armés illégaux à Medellín : le pouvoir des armes dans les quartiers défavorisés 3.2 Les milices à Medellín : une ville sur surveillée 3.3 Les paramilitaires : lutte antisubversive fragmentée 3.3.1 Démobilisation ou légitimation du Bloque Cacique Nutibara ? 3.4 La Comuna 13 : épicentre du conflit national dans la ville 3.5 L’emplacement des acteurs armés illégaux à Medellín 3.6. Les chiffres de la violence à Medellín 4. Le déplacement intra-urbain à Medellín 4.1 Le déplacement intra-urbain massif dans le quartier El Salado : le cas qui a sonné l’alarme 4.2 Le déplacement intra-urbain individuel à Medellín : une réalité silencieuse et anonyme 4.3 Considérations sur les chiffres sur le déplacement intra-urbain à Medellín 5. La ville de Barrancabermeja : port pétrolier du Magdalena Medio 6. La violence à Barrancabermeja : une population soumise au silence 6.1 Le port pétrolier comme bastion des guérillas 6.2 L’offensive paramilitaire : guerre frontale contre la subversion 6.2.1 La démobilisation des paramilitaires : processus de paix inachevé 7. Les organismes de défense de droit de l’homme : résistance face au conflit armé 8. Le déplacement intra-urbain à Barrancabermeja : nomades à l’intérieur de la ville Conclusion CONCLUSION GÉNÉRALE BIBLIOGRAPHIE 207 211 216 222 229 236 245 252 255 264 267 270 270 274 286 291 296 298 302 311 313 321 330 335 347 11 LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS LISTE DES GRAPHIQUES, TABLEAUX, CARTES ET PHOTOS ANNEXES 387 391 393 Annexe A Normes sur le déplacement forcé en Colombie Annexe B États signataires de la Convention de l' ONU pour les Réfugiés de 1951, et du Protocole de 1967 (situation au 31 décembre 1999) Annexe C Résolutions et documents des Nations Unies relatifs aux déplacés forcés Annexe D Charte des droits basiques de la population déplacée Annexe E Carte de la Colombie Annexe F Accord pour la discrétion sur la diffusion de faits violents en Colombie Annexe G Recommandations de politique publique face au déplacement intra-urbain Annexe H La zone urbaine de Medellín. Les comunas, leurs quartiers et le nombre d’habitantes selon le recensement général de 2005 Annexe Profil de la ville de Medellín selon le recensement général de 2005 Annexe J Considérations sur les statistiques officielles colombiennes 414 Annexe K Profil de la ville de Barrancabermeja selon le recensement général de 2005 417 Annexe L La zone urbaine de Barrancabermeja. Les comunas et leurs quartiers selon la Mairie de la Ville 421 Annexe M Manuel de Conduite des AUC (Autodefensas Unidas de Colombia) 422 12 395 397 400 403 404 405 406 408 410 INTRODUCTION GÉNÉRALE 1. Problématique : conflit armé interne et déplacement intra-urbain, quelle liaison ? Le déplacement de population par la violence en Colombie est un phénomène de longue date qui n’a attiré l’attention de l’État qu’à partir des années 1990. Depuis la promulgation de la Loi 387 de 1997, l’assistance aux victimes de ce phénomène commence à être pensée de manière spécifique et le sujet devient central dans la politique publique du pays. À partir de ce moment, chercheurs en sciences sociales, économistes, juristes, fonctionnaires publiques, membres d’ONG nationales et internationales commencent à réfléchir et à analyser le sujet selon différentes perspectives. De ce fait, la Colombie possède actuellement une bibliographie importante sur le déplacement forcé. En général, les études existantes sur le déplacement décrivent les mouvements migratoires depuis les zones rurales vers la ville, étant donné que c’est le parcours le plus commun de ces personnes. Elles sortent de la campagne vers les chefs-lieux municipaux, ensuite vers les villes intermédiaires, pour arriver finalement dans les villes principales.1 Toutefois, la dynamique actuelle du conflit interne du pays nous appelle à l’étude du déplacement à partir d’un autre regard. La ville, elle aussi, devient la scène des combats et du contrôle territorial de la part des acteurs armés illégaux d’envergure nationale. La présence de ces groupes dans des secteurs urbains, et leurs relations de coopération et antagonisme avec différents groupes de la délinquance urbaine, ont produit des déplacements forcés de population entre les différents quartiers d' une même ville. 1 Nonobstant, il y a des personnes qui sont obligées de rester dans des territoires contrôlés par les groupes armés, selon des modèles de soumission imposés par ceux-ci. Les acteurs armés empêchent la mobilité des habitants et limitent l' action humanitaire. En outre, certaines communautés ont résisté pour ne pas être déplacées. Quelques communautés de paysans déplacés, cherchent une « communauté de paix » qui suppose la négociation avec les groupes armés en conflit, le développement de mesures sociales et économiques et surtout leur affirmation de n’aider ni se soumettre à aucun camp. Ils déclarent leur propre neutralité vis-à-vis des groupes armés et la non utilisation d’armes (Agier 2002, p. 142). 13 Ainsi, bien qu' avec une ampleur inférieure à celle vécue dans les zones rurales, nous assistons à la consolidation des affrontements entre les protagonistes du conflit armé interne au sein même des métropoles. La manière dont le conflit national se manifeste dans les villes possède ses propres caractéristiques. Les acteurs armés adaptent leurs répertoires à chaque ville, où le processus de peuplement des différents quartiers, la cohésion sociale interne et l' articulation avec l' État jouent un rôle crucial (Bolívar et González, s.d., p. 1). Dans les villes, on observe une forme particulière d' insertion des acteurs armés qui incarnent les différentes tensions structurelles des agglomérations. Ceci a mené à une particularité du conflit dans la ville où on observe des frontières floues et poreuses entre les différents acteurs armés. Nous nous trouvons en présence d’acteurs nationaux (État, guérilla et paramilitaires) qui sont, en soi, profondément fragmentés et polarisés, et d’une multiplicité de groupes armés urbains tels que combos, bandes, galladas et délinquants communs, lesquels renforcent la violence politique et organisée. Dans ce climat de violence, nous trouvons tout type de conflits locaux et privés (causés par des haines et des vengeances personnelles) liés au conflit national et aux rivalités politiques. Les limites entre les différentes violences sont vagues et, de ce fait, conflit politique et conflit urbain finissent par se confondre et se conforter l’un l’autre. Cette étude entend aborder le sujet du déplacement forcé par la violence en Colombie depuis et à l’intérieur des villes. Il existe des registres des personnes qui ont été obligées à s' enfuir de chez-elles à cause de la pression des acteurs armés dans leurs quartiers de résidence. Dans la majorité des cas, il est très difficile de connaître et d’établir le type de mobilité et l’emplacement définitif de ces personnes, notamment quand il s’agit de sécurité. Toutefois, il y a des indices qui soulignent que beaucoup de personnes refusent de quitter la ville et cherchent refuge dans divers quartiers à l’intérieur de celle-ci. Cette pratique constitue ce que nous avons appelé le déplacement intra-urbain (mobilité entre quartiers et secteurs d’une même ville), phénomène que nous analyserons comme une manifestation directe du conflit interne armé dans les espaces urbains. 14 Il est évident que les migrants forcés s’ajoutent aux masses de migrants ruraux à la recherche d’emploi, d’éducation, de meilleures conditions de vie, et tous ceux qui ont laissé leur lieu de résidence pour des raisons diverses. Il en va de même pour les habitants urbains. Ils se déplacent entre quartiers pour différents motifs tels que les pressions économiques, la recherche de familiers et de leur soutien, la recherche d’opportunités et d’emploi. Néanmoins, dans cette étude, nous allons nous restreindre aux cas des déplacements à l’intérieur de la ville dans le cadre du conflit armé interne et de la violence généralisée. Ainsi, même si nous admettons que le conflit armé n’est pas encore transféré à la ville et que les acteurs armés illégaux ont leurs principales bases à la campagne, les répercussions du conflit national gagnent de plus en plus les villes, et surtout les quartiers défavorisés. À l’instar des zones rurales, les acteurs armés font appel à la violence pour obtenir l’appui de la population civile. Ils encerclent les quartiers et s’approprient des territoires semant la terreur parmi les habitants. La population est obligée de manifester son allégeance à un acteur ou un autre et finalement, dans certaines ocassions, elle doit quitter son quartier pour survivre. En effet, quand le déplacement forcé se déroule dans les métropoles, il a des implications sérieuses sur la sécurité des citoyens et, en général, sur la stabilité économique, sociale et politique des villes. Les questions auxquelles cette étude veut répondre sont nombreuses. D’abord nous nous questionnons sur la construction de la catégorie de déplacés et sur la provenance du concept de déplacement intra-urbain. Nous voulons savoir dans quel contexte une telle situation se manifeste, qui sont les responsables de ce phénomène et quelles sont leurs logiques d’action. Par rapport aux personnes touchées, nous voulons savoir quelles sont les raisons de leur fuite et quel type de mobilité elles entreprennent. Finalement, nous nous demandons quel est le rôle de l’État et des organisations sociales face à cette situation. 15 2. État de recherches sur le déplacement forcé (desplazaminto forzado) en Colombie En ce qui concerne l’état des recherches sur le déplacement en Colombie, les études couvrent une grande variété de thèmes. Selon Ofelia Restrepo,2 la grande majorité des études effectuées sur le déplacement dans le pays, traitent les causes du phénomène, les acteurs sociaux responsables et les effets des déplacements sur les lieux d’expulsion et de réception. Elle mentionne notamment les études sur les politiques et les normes concernant le déplacement et les études sur les actions d' aide humanitaire et d' assistance qu' offrent les institutions qu’elles soient gouvernementales ou non. L' auteur affirme que, pour bien comprendre le phénomène et ses implications, il faudra réaliser des études sur les conséquences positives que le déplacement peut éventuellement entraîner et sur les stratégies pour s’en sortir utilisées par les communautés. En outre, des analyses plus profondes sur l' identité et la quotidienneté de personnes déplacées seront nécessaires, aussi bien avant qu’après le déplacement (Restrepo 2002, p. 1-3). De même, Adriana González,3 dans le cadre de sa recherche doctorale, fait un bilan sur les études sur le déplacement dans le pays. L' auteur indique qu' il existe une avancée significative au niveau des réflexions sur le déplacement. En passant d’une interprétation générale du problème à la construction de noyaux thématiques spécifiques, ces discours ont contribué à spécifier la logique interne du déplacement. Elle mentionne l' importance que mérite l’approfondissement des études régionales et locales ainsi que la nécessité de réaliser des études comparées avec d’autres pays ou par rapport à des expériences historiques 2 Ofelia Restrepo est docteur en anthropologie sociale et enseignante et chercheur de l' Université Pontificale Javeriana dans la Faculté de Médecine (Colombie). Elle est membre du réseau de gestion sociale de l' Université, et dirige les stages sociaux dans des zones de déplacement et de conflit armé. Elle est aussi conseillère de Progresar (Fundación para el Desarrollo Social, la Democracia y la Paz) dans le programme d’assistance à la population déplacée de Bogotá. 3 Adriana González est enseignante et chercheur de l' Institut d' Études Politiques de l' Université d' Antioquia dont l’axe de recherche concerne le déplacement forcé, les dynamiques de guerre et les actions des citoyens. 16 précédentes dans le pays.4 Elle considère que les études effectuées combinent des analyses et des instruments de récolte de données très variées, cependant il faudra affiner les méthodologies quantitatives.5 Quant à la perspective qualitative, pour González, il est nécessaire d' avancer du témoignage à l’interprétation pour découvrir dans les histoires de vie les représentations collectives qu' elles entraînent. Finalement, l' auteur propose une importante ligne de recherche à développer, à savoir l' analyse des dynamiques qui conduisent les déplacés, en tant qu’acteurs collectifs, à s’impliquer dans des processus organisationnels pour exiger des réponses à leurs problèmes (González 2006, p. 9-13).6 En effet, nous trouvons plusieurs études qui traitent le déplacement du point de vue des droits de l’homme, des politiques d’assistance publique, des situations psychologiques et sociales auxquelles les déplacés sont confrontés. Il est difficile d' établir des limites entre les différents sujets puisque dans une même 4 Eu égard aux études comparées, la revue « Migraciones Forzadas » (Migrations Forcées) s’avère être un outil important pour la réalisation des études sur le déplacement forcé dans le monde. Depuis 1998, cette revue fournit un forum pour l' échange des expériences pratiques et des opinions à propos des migrations forcées par la violence entre des chercheurs, réfugiés, déplacés internes, et ceux qui travaillent avec ces populations. Plusieurs articles ont traité le cas colombien. La revue est publiée trois fois par an en anglais, arabe et espagnol par le Refugee Studies Center de l' Université d' Oxford en association avec l'IDP Global Project du Conseil Norvégien pour Réfugiés. Disponible sur Internet : http://www.migracionesforzadas.org/intro.htm. Un autre outil à ce propos comparatif est le IDMC (The Internal Displacement Monitoring Centre) fournit par le Conseil Norvégien pour les Réfugiés depuis 1998. Le centre a une base de données sur le déplacement interne dans cinquante pays. Basé sur ses activités de collecte de données, le centre contribue à chercher des solutions durables au déplacement interne en conformité avec les normes internationales. L' IDMC effectue également des activités de formation pour augmenter la capacité d' acteurs locaux de répondre aux besoins des déplacés internes. Site Internet : http://www.internal-displacement.org/ 5 En effet, plusieurs études signalent la difficulté des systèmes chargés de donner des chiffres, pour faire une césure entre déplacements pour des raisons économiques ou familiaux et déplacements forcés par la violence (Osorio 1993, Bello et Mosquera 1999). 6 Des personnes déplacées ont formé six organisations nationales : Convergencia Nacional de Organizaciones de Población Desplazada, ANDESCOL, Coordinadora Nacional de Desplazados, Coordinación de Independientes, Mesa Indígenas, Mesa Afrocolombianos, ceux qui intègrent à leur tour la Mesa Nacional de Fortalecimiento. Elles prennent part des instances comme le Comité Técnico Nacional, le Consejo Nacional de Atención, le Consejo Nacional de Paz, la Mesa Nacional de Atención Humanitaria de Emergencia, la Mesa Nacional de Prevención y Protección et la Mesa Nacional de Estabilización (González 2006, p. 11). 17 étude on peut aborder une infinité de problématiques.7 La plupart des études sur le déplacement par la violence en Colombie proviennent d’agences ou d’organismes de défense de droits de l’homme, tant au niveau international (UNHCR ; Conseil Norvégien ; Human Rights Watch ; Amnistie Internationale ; Médecins sans Frontières ; OIM ; Comité International de la Croix Rouge ; Peace Brigades International ; OCHA ) qu’au niveau national (Defensoría del Pueblo ; CODHES - Consultoría para los Derechos Humanos y el Desplazamiento ; CINEP ; Corte Constitucional Colombiana ; Comisión Colombiana de Juristas ; Pastoral Social ; El Grupo de Apoyo a Desplazados; Redepaz ; MINGA ; ILSA, pour n’en mentionner que quelques unes). Ces études signalent le déplacement en Colombie comme une pratique qui viole les normes des Droits de l’Homme, du Droit International Humanitaire et de la Constitution Colombienne. De même, elles signalent que la situation des déplacés est devenue une catastrophe humanitaire de premier ordre et que l’État est tenu d’apporter assistance à ces populations. De ce fait, ces agences ont souvent fait des analyses et des recommandations sur la politique publique en matière de déplacement (CODHES et UNICEF 1992 ; UNHCR 2002 ; Defensoría del Pueblo 2003b ; RSS et UNHCR 2004). À cet égard, la révision la plus complète a été réalisée par la Cour Constitutionnelle dans l’arrêt T-025 de 2004, dont nous reviendrons plus loin. Les études des chercheurs indépendants proviennent notamment de personnes de nationalité colombienne. Néanmoins, nous trouvons quelques analyses des auteurs internationaux à propos des déplacés en Colombie comme celles des français Daniel Pécaut (1998, 2001), Michel Agier (2002)8 et quelques références dispersées sur les études urbaines de Dureau, Barbary, Gouëset et 7 Il existe un outil électronique mis en marche depuis 1998 par l’Organisation Panaméricaine de la Santé qui s’avère très importante pour la recherche bibliographique sur le déplacement. Il s’agit du site Internet Santé et Déplacement. Ce site a pour but la publication d' informations en rapport avec le phénomène du déplacement en Colombie. Il compte plusieurs publications classées dans les sujets suivants : santé, nutrition, santé environnementale, assistance psychosociale, santé sexuelle et reproductrice, genre, enfance, indigènes et population noire, documents techniques et législation. Disponible sur Internet : http://www.disaster-info.net/desplazados/ 8 Le livre de Michel Agier « Aux bords du monde, les réfugiés » traite des réfugiés et déplacés dans le monde, notamment dans quelques pays d’Afrique et en Colombie. Dans le cas colombien, nous avons trouvé maintes références inexactes et sans présenter les sources quand elles traitent des chiffres et des mécanismes d’assistance à la population déplacée. Malgré cette critique, le livre présente des analyses très profondes sur la perte de l’identité et la ségrégation de ces populations. 18 Pissoat (2004). Les études de l’américaine Roberta Cohen et du soudanais Francis Deng sont remarquables, même s’ils représentent en même temps des organismes internationaux tels que Brookings Institution et les Nations Unies. Leurs études sont faites depuis une perspective de défense de droits de l’homme et réalisent des comparaisons entre les caractéristiques des déplacés colombiens et celles des déplacés sur le continent Américain (Cohen et Deng 1998 ; Cohen et Sánchez 2001 ; Deng 2001). Il faut aussi souligner le travail de l' anthropologue néerlandais Donny Meertens, qui est actuellement enseignante et chercheur du Programme d' Études de Genre, Femme et Développement de l' Université Nationale de Colombie. Ses analyses se centrent sur la nécessité de distinguer les effets de la violence et du déplacement différenciés par genre, âge et origine ethnique et l' expérience subjective du déracinement vécue par les déplacés (Meertens 1998, 2000 et 2001). Pour continuer notre parcours sur les études sur le déplacement en Colombie, nous devons souligner les travaux sur les responsables du déplacement. Il est patent que la principale cause de déplacement en Colombie est la violence politique dans le cadre du conflit armé interne. Nombreux sont les groupes responsables de ce phénomène parmi lesquels se trouvent principalement les acteurs armés illégaux (guérillas et paramilitaires) et la Force Publique (Forces Militaires et Police National). Il y a également d' autres acteurs qui provoquent du déplacement comme les milices, les narcotrafiquants, la délinquance commune et autres de plus petit impact comme les sicarios, les propriétaires fonciers, et les groupes armés non identifiés. De même, quelques personnes déplacées tiennent plus d’un acteur armé pour responsable de leur situation. Ceci se situe dans le cadre de combats entre plusieurs groupes ou par leur présence simultanée dans les zones d' expulsion. Les études sur les responsables du déplacement présentent des chiffres plutôt que des analyses profondes (Conferencia Episcopal Colombiana 1995 ; CODHES Informa 19962006 ; SUR 1995-2006 ; Pastoral Social RUT 1997-2006 ; OCHA - Sala de Situación Humanitaria 2002-2006). En outre, les chiffres apportés sont très hétérogènes entre les différentes sources. Au niveau national, tandis que le RUT (Système d' Information sur la Population Déplacée par la Violence de l’Église Catholique) et la CODHES (Consultoría para los Derechos Humanos y el 19 Desplazamiento)9 signalent qu’à partir de 1995 les paramilitaires ont été les principaux responsables du déplacement,10 la RSS (Red de Solidaridad Social)11 signale que dans la plupart des cas, il n’existe pas d’information précise à cet égard. Mais, quand elle existe, selon la RSS, les groupes des guérillas ont été signalés comme responsables plus fréquemment que les paramilitaires (RSS 1995 – 2006b). De ce fait, une étude qui aille au delà des chiffres est nécessaire. D’autre part, la géographie du déplacement forcé est très variée, et affecte chaque année de nouvelles régions et départements. Selon le rapport du PNUD de 2003, bien qu' il paraisse évident que le conflit s’est répandu au fil du temps, « […] il n' est pas facile de spécifier “où” il est placé ou “quand” il est arrivé dans une certaine zone : les mesures d’incidence ou d’intensité de la guerre sont discutables, les limites entre les “régions” sont confondues et la mobilité géographique est commune aux acteurs armés » (PNUD 2003, p. 49).12 Le rapport du SUR (Système Unique d’Enregistrement de la Population Déplacée)13 9 La CODHES est une organisation non gouvernemental colombienne crée en 1992 pour réaliser des recherches sur les déplacements forcés dans le pays, suivre leur évolution, sensibiliser et rendre efficiente l’assistance aux personnes touchées par ce phénomène. Site Internet : www.codhes.org 10 Voir notamment le Bulletin Rut N° 14/15 de la Pastoral Social - Movilidad Humana 2002 et le Bulletin N° 38 de la CODHES 2001. 11 La Red de Solidaridad Social (RSS) est l’organisme de l’État chargé de la coordination des actions auprès des déplacés dès l’année 1999, depuis la promulgation du Décret Présidentiel 489 du 11 mars 1999. Néanmoins, depuis juillet 2005, au travers du Décret Présidentiel 2467, la Red de Solidaridad Social a été transformée en l' organisme appelé Action Sociale. Cet organisme a pour but de coordonner, administrer et exécuter les programmes de développement et d' action sociale visant les populations vulnérables touchées par la pauvreté, le trafic de drogues et la violence. Il est également chargé de canaliser les ressources nationales et internationales pour exécuter les programmes sociaux qui dépendent de la Présidence de la République. En ce qui concerne l' assistance au déplacement forcé, Action Sociale assume la fonction de la RSS qui coordonne le Système National d' Assistance Intégrale à la Population Déplacée par la Violence (SNAIPDV). Cependant pour des effets de clarté du texte, nous maintiendrons la référence à la Red de Solidaridad Social, puisque c’est l' organisme qui apparaît dans les textes juridiques et académiques antérieurs à juillet 2005, qui sont d’ailleurs les plus utilisés dans cette étude. Site Internet Action Sociale : http://www.red.gov.co/portal/default.aspx 12 Traduit par nous de : « [...] no es fácil precisar “dónde” se ubica “cuándo” llegó a determinada zona : las mediciones de incidencia o intensidad de la guerra son discutibles, los límites entre “regiones” son borrosos y la movilidad geográfica es connatural a los actores armados ». 13 Ce registre concerne les personnes qui ont enregistré leur situation auprès des organismes étatiques. Il est géré par la Red de Solidaridad Social. 20 d’octobre 2006 montre que, de nos jours, les zones qui échappent à l' influence des acteurs armés sont peu nombreuses. Entre 1995 et le 31 octobre 2006, tous les départements du pays ont expulsé des populations et les indices dépassent les 1.000 habitants par département, à l' exception des départements de San Andrés et de l’Amazonas. Entre les principaux départements expulseurs depuis 1995, selon les statistiques officielles nous trouvons : Antioquia, Bolívar, Magdalena, Cesar et Chocó (RSS 1995 – 2006c). Selon le SUR, 900 municipios sont touchés par le déplacement (parmi 1.098), ce qui met en évidence une couverture généralisée du conflit (RSS et UNHCR 2004, p. 35). Toutefois, dans les territoires contrôlés par un seul acteur armé, on ne remarque pas de débordement de violence aussi grave que quand plusieurs acteurs entrent en jeu. Dans la géographie du conflit, on reconnaît que le déplacement est plus grand là où la confrontation est la plus aiguë. Il répond aux actions simultanées de groupes armés contre la même population et à la peur que ces acteurs produisent dans les zones de conflit (CODHES et UNICEF 1999, p. 16). Ainsi, les déplacés sortent de leur environnement habituel brutalement, et ne connaissent pas les nouveaux espaces dans lesquels ils doivent inévitablement se reloger. Le SUR indique qu' entre l’année 1995 et le 31 octobre 2006, les départements d’Antioquia, Bolívar, Sucre et Valle et la ville de Bogotá ont été les plus grands centres d' arrivée de populations déplacées (RSS 1995 2006c). Il faut aussi noter que, selon la RSS, 50% de la population déplacée finit par s’établir dans les grandes villes qui fonctionnent comme pôles d' attraction (RSS et UNHCR 2004, p. 35). Ainsi, plusieurs études régionales ont été faites sur le déplacement, surtout en ce qui concerne les lieux d’accueil et de rétablissement de la population déplacée. Il y a des agences qui s’occupent de présenter des rapports permanents sur les différentes régions du pays comme c’est le cas d’OCHA (Sala de Situación Humanitaria 2002-2006) ;14 RSS 1995- 14 OCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affaires) est une organisation des Nations Unies qui travaille en Colombie pour la protection des personnes affectées par la crise humanitaire. Elle a créé la « Sala de Situación Humanitaria » comme outil de collecte et diffusion des informations sur la situation humanitaire en Colombie, notamment le déplacement forcé. Cet outil prétend non seulement intégrer des ressources du Système des Nations Unies, mais il inclut aussi des alliances et des échanges d' information avec les principaux organismes humanitaires qui travaillent dans le pays. OCHA est aussi chargé de la Coordination du Plan d’Action Humanitaire (PAH) dont l’objectif est de donner de l’assistance à la population affectée par la violence dans le pays, en coordination avec les organismes du SNAIPDV. 21 2006 et l'Observatorio del Programa Presidencial de Derechos Humanos y Derecho Internacional Humanitario de la Vice-présidence de la République.15 De même, les Universités ont réalisé des études régionales sur le phénomène (Université des Andes ; Université Javeriana ; Université d’Antioquia16 ; Université National) et plusieurs ONG font des études locales (Cedavida ; Opción Legal ; Convergencia ; FUNIEP). En partant, la personne déplacée souffre de plusieurs pertes : elle perd ses biens matériels (la terre, la maison, son emploi) ; ses habitudes culturelles (son style de vie, ses traditions) ; l' accès aux services publics (la santé, l' éducation), ses réseaux de relations sociales et économiques. En outre, le déplacement est souvent accompagné d' une rupture familiale et de la perte d’identité et d’appartenance à une communauté. En arrivant à un nouveau lieu de résidence, le déplacé fait l’objet de discriminations constantes. L' attitude de rejet de la communauté d' accueil est fréquente, puisqu' en provenant de zones de violence, la population déplacée entre dans une dynamique caractérisée par le soupçon et la marginalisation sociale. Les études sur la marginalisation de déplacés sont fréquentes (CODHES et UNICEF 1999 ; Bello et Mosquera 1999 ; Bello 2001 ; UNHCR 2002 ; Bello et Peña 2004). Dans ce contexte, on trouve aussi des études sur le manque d' accès à une citoyenneté pleine des déplacés puisque généralement les victimes du déplacement proviennent des zones de Site Internet : http://www.colombiassh.org/paginas/home.php 15 L' Observatorio del Programa Presidencial de Derechos Humanos y Derecho Internacional Humanitario (Observatoire du Programme Présidentiel de Droits de l’Homme et Droit International Humanitaire) fait partie du Programme Présidentiel de Droits de l’Homme et de DIH de la Vice-présidence de la République. L' Observatoire analyse la situation humanitaire du pays et fait un suivi de la gestion des organismes de l' État chargés de promouvoir les droits de l’homme. Sa tâche vise à la définition et la promotion de politiques publiques à propos de droits de l’homme. Ainsi, il analyse les différentes sources étatiques et non gouvernementales, et produit des études sur la situation de droits de l’homme dans le pays. Site Internet : http://www.derechoshumanos.gov.co 16 L’Institut d' Études Politiques de l' Université d' Antioquia a une ligne de recherche sur le déplacement forcé, les dynamiques de guerre et l' action des citoyens. L' objectif est d' étudier le déplacement et ses multiples relations avec la violence et le conflit, les facteurs de pauvreté et de chômage, les dynamiques de développement des zones rurales, les dynamiques de la croissance urbaine, les possibilités de la démocratie et la formation de la citoyenneté, la culture politique, et les relations internationales. L’Institut offre un cours à la faculté de Sciences Sociales et Humaines de l’Université qui traite en exclusivité du déplacement forcé par la violence. Il est dirigé par Gloria Naranjo et Martha Valderrama. Site Internet : http://quimbaya.udea.edu.co/~iep/ 22 graves troubles d' ordre public où ils ont toujours été sous la contrainte des groupes armés. Dans ce cadre là, l' obéissance par la force comme l’absence de la conception du droit et de la démocratie prédominent (Uribe 1999 ; Pécaut 2000 ; Naranjo 2001).17 D’autre part, la CODHES remarque que, parmi la population déplacée, il existe une grand hétérogénéité : paysans, colons, groupes indigènes, communautés noires, propriétaires fonciers, leaders sociaux et religieux, fonctionnaires publics, commerçants, enseignants et journalistes (CODHES et UNICEF 2003). Les rapports de la RSS signalent que ce sont les femmes et les mineurs les plus affectés par le déplacement (RSS et UNHCR 2004, p. 35). En conséquence, il existe des études particulières qui traitent de la violence et du déplacement des femmes et mineurs (Universidad Nacional de Colombia 1996 ; Meertens 1998 et 2001 ; CODHES et UNICEF 1999 ; Osorio 1993 et 1999 ; Segura 1986 et 1996 a et b ; Ojeda et Murado 2001 ; Bello et Ruíz 2002 ; OIM 2004) mais aussi le déplacement des paysans, des communautés noires et des groupes indigènes (Arocha 1998 ; Suárez s.d. ; Rosero 2002 ; Belllo et Peña 2004). Ces études cherchent à souligner les différentes identités des déplacés dans le pays pour mieux comprendre leurs besoins et les mesures appropriées que devraient prendre les autorités face à leur situation. Enfin, comme nous l’avons souligné dès le début, toutes ces études décrivent les mouvements migratoires à partir des zones rurales, analysent les situations de conflit armé dans la campagne et se concentrent sur les conditions d’accueil et sur les politiques d’assistance à l’arrivée. Néanmoins, en ce qui concerne le déplacement intra-urbain dû au conflit armé dans les villes, il existe des informations dispersées et très peu d’études académiques qui analysent le phénomène. Un des instruments pour l’étude de cette problématique est l’arrêt T- 17 En ce sens, les études qui font une comparaison entre les déplacés colombiens et les « apatrides » selon les définitions de Hannah Arendt (à propos des réfugiés européens dans la période du fascisme et de la Seconde Guerre Mondiale), sont fréquentes. Le texte du Daniel Pécaut à ce sujet est remarquable. L’auteur explique que « [...] bien qu' ils ne soient pas des apatrides, les déplacés colombiens vivent l' expérience de la triple perte décrite par Arendt : perte de l' insertion sociale, de la signification de l' expérience et des droits » (Pécaut 1998, p. 15). Traduit par nous de : « [...] aunque no son apátridas, los desplazados colombianos viven la experiencia de la triple pérdida descrita por Arendt : pérdida de la inserción social, del significado de la experiencia y de los derechos ». 23 268 de 2003 de la Cour Constitutionnelle qui aborde le sujet depuis une conception juridique. D’autre part, nous découvrons que c’est dans la ville de Medellín qu’on connaît le mieux ces phénomènes. La Secretaría de Gobierno18 et notamment la Personería de Medellín19 ont commencé à élaborer des statistiques et donnent des recommandations de politique publique face au phénomène. La Personería de Medellín est la seule entité à avoir donné une définition propre du déplacement intra-urbain : « C’est le déplacement des personnes, familles ou communautés qui, par des actions ou menaces, directes ou indirectes, comme l’intimidation, les meurtres, les disparitions forcées, les tortures, les recrutements forcés, les violences sexuelles, les encaissement des « impôts », les extorsions, les kidnappings, entre autres, sont obligées d' abandonner leur résidence ou activités habituelles pour se situer dans un autre lieu qu' elles n' ont pas librement choisi et si ce n’était pour des raisons de violence, elles n’auraient pas abandonné leur lieu d’origine. Il s’agit de personnes qui se déplacent d' un quartier à un autre, dans la même ville, ayant le seul objectif de sauver leur vie, leur intégrité physique, leur sécurité ou liberté personnelle qui ont été atteintes ou sont menacées par l’action de groupes armés légaux ou illégaux » (Personería de Medellín 2006b, p. 4). 20 En outre, l’IPC (Instituto Popular de Capacitación)21 et l’Université d’Antioquia, 18 La Secretaría de Gobierno est l’entité de la Mairie de Medellín chargée de promouvoir et d’appliquer les politiques et les normes en matière de sécurité, d' administration de justice et de protection au citoyen. En outre, elle contribue à la conservation de l' environnement et à l' utilisation rationnelle de l' espace public. 19 Selon la Loi 136 de 1994, les Personerías sont les organismes chargés de la garde et de la promotion des droits de l’homme, la protection de l' intérêt public et la surveillance de la conduite officielle des fonctionnaires publics. Elles font partie du Ministère Public et, de ce fait, selon l’article 32 de la Loi 387 de 1997, elles doivent recevoir les déclarations de la population déplacée par la violence. Site Internet Personería de Medellín : http://www.personeriaMedellín.gov.co/ 20 Traduit par nous de : « Se entiende como el desplazamiento de personas, familias y/o comunidades que por acciones y/o amenazas, directas o indirectas, tales como : intimidación, asesinatos, desapariciones forzadas, torturas, reclutamientos forzados, violaciones sexuales, cobro de vacunas, extorsiones, secuestros, entre otras, se ven obligadas a abandonar su residencia o actividades habituales para ubicarse en otro sitio que no eligieron libremente y que de no haber sido por la violencia, no habrían abandonado. Personas que se trasladan de un barrio a otro, dentro de la misma ciudad, con el único objetivo de poner a salvo su vida, su integridad física, su seguridad o libertad personales que han sido vulneradas o se encuentran amenazadas por el accionar de grupos armados legales o ilegales ». 21 L‘IPC (Instituto Popular de Capacitación) de la Corporación de Promoción Popular est une organisation de la société civile fondée à Medellín en 1982. L’Institut réalise des activités de recherche sur les droits de l’homme, qualification, assessorat et 24 dans leurs analyses sur la violence dans le département d’Antioquia, ont aussi commencé à élaborer des approches plus concrètes sur les déplacement intraurbain (IPC 2006a et b).22 De même, des étudiants de l' Université Nationale de la Colombie à Medellín ont commencé à s' intéresser à ce problème et ont présenté des travaux sur le sujet (Montoya 2004 ; Villa 2004). Au niveau international, le seul organisme dont nous avons connaissance qui fasse une référence explicite au déplacement intra-urbain en Colombie est le Conseil Norvégien pour les Réfugiés dans le document « Colombia : Government “peace process” cements injustice for IDPs » publié en 2006. Néanmoins, les références au sujet sont très imprécises. De ce fait, au lieu d' apporter des connaissances sur le sujet elles laissent le lecteur perplexe. La seule publication nationale, dont nous avons connaissance, qui traite le phénomène de façon singulière est : « Desplazamiento intraurbano como consecuencia del conflicto armado en las ciudades » (Le déplacement intraurbain comme conséquence du conflit armé dans les villes) publiée en 2004 par la Defensoría del Pueblo23 et le Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR).24 Nous reviendrons sur cette publication dans la section suivante. accompagnement à des communautés de Medellín, de l’Aire Métropolitaine de la Vallée d’Aburrá et autres municipios du département d' Antioquia. La trajectoire du groupe de recherche de l' IPC a été reconnue par COLCIENCIAS (Instituto Colombiano para el Desarrollo de la Ciencia y la Tecnología). Site Internet : http://www.ipc.org.co/ 22 Nous pouvons citer quelques études du département de travail Social de l' Université d' Antioquia de l' année 2003 : « Desplazamiento forzado intraurbano, contextualizado desde el conflicto socio-político armado en Medellín » de Marta Inés Valderrama et James Gilberto Granada. « Implicaciones socioeconómicas del desplazamiento forzado intraurbano en la población desplazada de Medellín » de Yulieth Bedoya ; Yudy Marcela Sánchez et Iván Darío Ramírez ; et « El reconocimiento y restablecimiento de los derechos : una mirada al desplazamiento forzado intraurbano en Medellín » de María Cristina Ramírez, Albeny Edit Sepúlveda, Iván Darío Ramírez, Sandra Viviana Correa et Isabel Cristina Londoño. 23 La Defensoría del Pueblo est un organisme étatique appartenant au Ministère Public. Sa principale activité, eu égard à la population déplacée, est de promouvoir les droits de ces personnes, les informer de leurs devoirs et droits garantis par la constitution, et sensibiliser les autorités sur ce phénomène. Site Internet : http://www.defensoria.org.co/ 24 Defensoría del Pueblo et UNHCR. 2004. Desplazamiento intraurbano como consecuencia del conflicto armado en las ciudades. Bogotá. 76p. 25 3. Le choix des études de cas et la trajectoire de l’auteur Pour la réalisation de cette recherche, nous avons effectué une analyse sur le déplacement intra-urbain en prenant en considération deux études de cas : les villes de Medellín et de Barrancabermeja.25 Le déplacement intra-urbain à Medellín avait déjà commencé à être examiné dans des espaces institutionnels après l’arrivée des faits qui ont provoqué le déplacement massif des habitants du quartier El Salado de la Comuna 13 de Medellín. Personnellement, mon intérêt pour l’étude des phénomènes de violence qui touchent cette ville remonte à 1999 quand j’ai réalisé mon mémoire d’anthropologie à l’Université des Andes de Bogotá. Le mémoire désignait les liens entre religion et violence à Medellín. Pour leur analyse, j’ai accordé une place importante à la recherche empirique comme principale forme d’accès à la réalité et de ce fait, j’ai réalisé un travail de terrain pendant trois mois dans un quartier de la zone nord de la ville. Ce travail de terrain m’a permis de mieux comprendre les raisons de la profusion d’acteurs armés dans les villes et l’influence du narcotrafic dans le déclenchement de la violence dans le pays. En revanche, le cas de Barrancabermeja n’a attiré mon attention qu’en 2002, quand j’ai travaillé pour la Defensoría del Pueblo et le Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR). En effet, une fois inscrite au doctorat d’Urbanisme de l’Institut d’Urbanisme de Paris (Université Paris 12) et ayant comme but de mener à terme une recherche sur le déplacement intra-urbain en Colombie, j’ai eu le privilège de participer à l’élaboration d’une recherche sur le sujet entre les mois de mars et juin 2003. Les personnes responsables de l’élaboration de cette recherche étaient le sociologue Sergio Arboleda et moi-même. Elle a été publiée en 2004 sous le titre « Desplazamiento intraurbano como consecuencia del conflicto armado en las ciudades ». En effet, La Defensoría del Pueblo a été la première organisation à insister sur la reconnaissance de ce phénomène et à s’inquiéter de l’assistance 25 Pour l' année 2002, date de début de cette recherche, le Bulletin 43 de la CODHES avait indiqué que les villes les plus touchées par le déplacement intra-urbain étaient Medellín, Cali, Barrancabermeja, Bogotá, Cartagena, Cucuta et Bucaramanga. 26 aux personnes victimes de ce type de déplacement. De ce fait, ses actions auprès de la Cour Constitutionnelle pour la révision de l’arrêt de l’action de tutelle relatif aux droits de cette population. C’est la Defensoría del Pueblo d’Antioquia l’organisme qui, en octobre 2002, a effectué la première audition publique sur le sujet du déplacement intra-urbain, dans l' auditoire de la Bibliothèque Publique Pilote de la ville de Medellín. Ensuite, elle a suivi les déroulements des actions en faveur des déplacés intra-urbains de la Comuna 13 de Medellín. Finalement, à travers le support financier du HCR, elle a commandité la recherche mentionnée. Dans ce contexte, nous avons choisi comme étude de cas les villes de Medellín, Barrancabermeja et Bogotá, villes qui, au regard de la Defensoría, étaient les plus touchées par le déplacement intra-urbain à l’époque. Pour effectuer l’analyse et la collecte d’information deux tables rondes ont été réalisées. La première a eu lieu dans la ville de Medellín le 27 juin 2003, avec la participation de représentants de l' Université d' Antioquia ;26 l' Unité Territoriale de la Red de Solidaridad Social d’Antioquia ; la Corporación para la Vida : mujeres que crean ;27 la Comunidad Misionera de María Inmaculada ;28 le Gouvernement d' Antioquia ; l' Université Pontificale Bolivarienne ;29 Le Mouvement Social de Déplacés d’Antioquia (MOSDA)30 ; représentants de la Defensoría del Pueblo au niveau national et régional, l’organisation Con-Vivamos,31 et le Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme (OACNUDH)32. 26 Université étatique du département d’Antioquia fondée en 1878. Site Internet : http://www.udea.edu.co 27 La Corporación para la Vida Mujeres que Crean se définit comme une institution féministe. Son but est d' apporter des progrès à la transformation de la culture patriarcale, à la construction d' une société démocratique qui garantirait la défense, l' exercice et la protection des droits des femmes. Site Internet : http://www.mujeresquecrean.org 28 Congrégation catholique fondée en 1963. 29 L' Université Pontificale Bolivarienne est une institution d' éducation supérieure à caractère privé qui appartient à la Compagnie de Jésus. Site Internet : http://www.upb.edu.co 30 MOSDA est une organisation de déplacés par la violence du département d’Antioquia ayant pour siège la ville de Medellín. 31 La Corporación Con-Vivamos est une organisation communautaire de la zone nord-est de Medellín. Son but est la promotion et l' accompagnement des organisations communautaires dans trois aspects : la participation et l' incidence de l' organisation 27 La deuxième table ronde a été effectuée dans la ville de Barrancabermeja, le 15 juillet 2003, avec la participation de représentants du Diocèse (Église Catholique) ; le PDPMM (Programa de Desarrollo y Paz del Magdalena Medio) ;33 l' OFP (Organización Femenina Popular) ;34 la Red de Solidaridad Social ; le Service Jésuite des Réfugiés ;35 l’organisation ASODESAMUBA (Asociación de desplazados asentados en el municipio de Barrancabermeja) ;36 l’Asesoría de Paz y Convivencia de la Mairie de Barrancabermeja (Bureau de la Paix et la Coexistence) ; le HCR de Barrancabermeja (Bureau du l’Haut Commissariat de Nations Unies pour les Réfugiés) ; la Personería Municipal ; représentants de la Defensoría del Pueblo au niveau national et régional ; l' ACVC (Asociación de Campesinos del Valle del Río Cimitarra)37 et la CREDHOS (Corporación Regional para la Defensa de los Derechos Humanos).38 Pour le déroulement des tables rondes, nous avons convoqué les organismes participants deux mois à l’avance, à travers la médiation de la Defensoría del Pueblo d’Antioquia et la Defensoría del Pueblo del Magdalena communautaire, l' économie solidaire et les droits de l’homme. Site Internet : http://www.convivamos.org 32 OACNUDH c' est l' organe de l' ONU chargé de promouvoir le respect universel des droits humains. Il a été créé le 20 décembre 1993 et a son siège dans la ville de Genève (Suisse). Il travaille en Colombie depuis 1996. Site Internet : http://www.hchr.org.co/ 33 La description détaillée de ce programme sera faite dans la section 7 de la troisième partie. 34 La description de cette organisation sera faite dans la section 7 de la troisième partie. 35 Le Service Jésuite des Réfugiés, fondé en 1980, est une organisation catholique internationale qui œuvre dans une cinquantaine de pays. Sa mission consiste à accompagner, servir et défendre les droits des réfugiés et des personnes déplacées de force. En Colombie, il travaille dans la région du Magdalena Medio et dans les départements de Valle del Cauca et Córdoba. Site Internet : http://www.jrs.net 36 ASODESAMUBA, fondée en 1999, est l’association des déplacés établis dans la ville de Barrancabermeja. Elle est associée à ANDESCOL (Asociación Nacional de Desplazados de Colombia). Elle travaille en défense des droits de l’homme des personnes déplacées par la violence. Elle fait partie du comité municipal et départemental pour l' assistance aux déplacés. 37 La description de cette organisation sera faite dans la section 7 de la troisième partie. 38 La description de cette organisation sera faite dans la section 7 de la troisième partie. 28 Medio, lesquelles ont choisi les participants pour leurs connaissances sur le sujet, et pour leur rôle face aux personnes déplacées. Chaque organisme a préparé une communication, lesquelles ont été exposées pendant la séance du matin y compris l’exposition de la Defensoría del Pueblo en expliquant l’objectivité de la table ronde. La séance de l’après midi a été destinée à la discussion générale sur le déplacement intra-urbain, laquelle a fini par un travail en groupes dont chacun devait présenter des conclusions générales sur le sujet. Toutes les séances ont été enregistrées, et plus tard transcrites, information qui repose dans le bureau de la Defensoría del Pueblo à Bogotá. L’information collectée dans le déroulement de ces tables rondes a constitué une des sources dans l’élaboration de la présente étude. Il est évident que l’insertion dans un organisme étatique pour réaliser les études de cas et les tables rondes nous a permis de bénéficier d' une information privilégiée, laquelle n’est pas accessible facilement.39 Nous avons accordé beaucoup d’importance à l’analyse des apports des participants des tables rondes, étant donné l’hétérogénéité de données quantitatives sur le phénomène. De ce fait l’étude qualitative devient indispensable. Donc, Medellín s’imposait à nouveau comme la ville de notre recherche et Barrancabermeja ouvrait alors un champ d’exploration. Par ailleurs, pour cette étude, nous avons laissé de côté le cas de Bogotá. D’abord parce que nous n’avons pas réalisé une table ronde dans cette ville, et, en deuxième lieu, parce que la grande taille de la ville ne permet pas de suivre clairement les manifestations du déplacement intra-urbain. Nous avons beaucoup approfondi la recherche depuis cette première publication. Nous avons analysé le contexte juridique propre au déplacement, les aspects les plus représentatifs de la violence contemporaine dans le pays et leur impact urbain, et nous avons approfondi notamment sur les connaissances apportées sur chacune des villes. En effet, la condition d’actualité du sujet choisi nous a permis d’apporter des informations plus récentes sur le phénomène, 39 Néanmoins, nous sommes conscients des limitations que pose une recherche élaborée depuis une vison étatique. En effet, le discours des participants des tables rondes peut être biaisé dû à la présence d’un tel organisme. 29 notamment à partir des informations écrites, constituant ainsi une importante bibliographie. Dans cette étude nous voulons poser le débat du point de vue de l’impact du conflit interne sur la ville, sur la définition du concept du déplacement intraurbain et ses principales caractéristiques. En revanche, la publication de la Defensoría del Pueblo et du l’HCR s’intéressait plutôt à favoriser l’assistance des personnes affectées. Cette publication a donné des recommandations aux différentes instances étatiques et privées qui conforment le SNAIPDV (Sistema Nacional de Atención Integral a la Población Desplazada por la Violencia) pour la reconnaissance, prévention et assistance des personnes touchées par ce phénomène. Finalement, il faut noter qu’à partir du mois d’août 2003 et pendant deux ans, j’ai travaillé au Ministère de l’Éducation Nationale en Colombie dans le programme d’assistance à la population déplacée par la violence. Grâce à mes activités au sein du Ministère, j’ai pu me familiariser de plus près avec la problématique du déplacement forcé. Entre autres, j’ai assisté aux réunions de travail du SNAIPDV et aux séminaires et réunions convoqués par différents organismes des Nations Unies, universités et organisations locales et nationales s' occupant des déplacés. De ce fait, j’ai pu profiter des informations de première main et j’ai été en contact direct avec les personnes déplacées. En outre, la Direction pour laquelle j’ai travaillé était chargée de l’élaboration de la politique publique éducative nationale pour la population déplacée et nous avons dû gérer la réponse du Ministère face aux arrêts de la Cour Constitutionnelle concernant l’assistance aux déplacés. Ainsi, le travail au Ministère a enrichi ma vision sur le phénomène du déplacement forcé et m’a permis d’avoir un regard critique sur le sujet, en particulier, sur les programmes d' assistance de l' État. 4. Difficultés propres à la recherche En raison de la nature du sujet traité, un certain nombre de difficultés s' est posé à nous. En premier lieu, l’actualité du phénomène. Quand nous avons commencé la recherche, le déplacement intra-urbain n’était pas reconnu officiellement comme faisant partie du déplacement par la violence dans le cadre 30 de la Loi 387 de 1997. Il commence à être reconnu seulement à partir de l’arrêt 268 de 2003 de la Cour Constitutionnelle. Dans cet arrêt, la Cour a défini que les lois et décrets à l’égard du déplacement forcé en Colombie, n' excluent pas la possibilité que le déplacement forcé puisse se présenter à l' intérieur d’une même ville. Le déplacement intra-urbain est donc compris dans la normativité relative au déplacement forcé par la violence, puisqu' il a lieu dans un contexte de violence généralisée qui oblige les habitants de secteurs urbains à abandonner leur résidence et chercher refuge dans un autre lieu situé dans la même ville. Ainsi, cet arrêt a marqué un point de repère différent dans la façon d’aborder et analyser le sujet étudié et a redéfini les hypothèses de départ. En même temps, le déplacement intra-urbain est un sujet auquel chaque jour s’ajoutent des nouvelles dénonciations (même si non officielles) et de nouvelles données et situations qui peuvent changer sa dynamique (par exemple l’actuel processus de démobilisation des paramilitaires). Cette caractéristique ne permet pas de présenter des données achevées, des conclusions définitives. De même, les politiques publiques conçues pour traiter le phénomène changent avec le temps : chaque jour, il y a de nouveaux décrets et directives pour gérer cette problématique. Toutes ces circonstances rendent extrêmement difficile la concrétisation du sujet étudié et obligent à changer les cadres d’analyse de manière constante. La deuxième difficulté tient aux espaces géographiques de réalisation de la recherche. Pendant la plupart du temps d’élaboration de cette recherche nous avons été en Colombie, ce qui nous a permis de réaliser les études de cas et d’être partie prenante des espaces académiques et institutionnels concernés par les déplacements forcés. La dernière année a été dédiée exclusivement à la rédaction de la thèse à Paris, où nous avons pu profiter du dialogue constant et enrichissant avec notre directrice de thèse et de la distance nécessaire par rapport au sujet étudié. Évidemment, l’écriture aide à mûrir les idées, mais en même temps plusieurs questionnements apparaissent. Néanmoins, il n’était plus possible d’accéder aux informations de première main. En outre, quelques statistiques que nous avons utilisées pour analyser le phénomène ont été faites pendant l’année 2006 ainsi que quelques actions concrètes pour la récupération des maisons abandonnées. Nous avons trouvé des informations précieuses sur Internet, mais nous aurions voulu établir un contact direct et permanent avec les 31 institutions chargées de l’élaboration de ces données pour pouvoir approfondir et discuter les textes consultés. Comme troisième et dernière difficulté à souligner, mentionnons le caractère délicat du traitement du déplacement intra-urbain, en termes d’implications sur la sécurité des personnes touchées. Ces personnes ont constamment une sensation de peur et d’angoisse du fait qu’elles se déplacent simplement d’un quartier à un autre et qu’elles habitent dans la même ville que les responsables de leur fuite. Ainsi, ce déplacement se caractérise par un phénomène silencieux et anonyme. Ceci rend difficile l’accès à des informations vérifiables et les données disponibles sont très dispersées et parfois confuses. Cette situation a aussi empêché de concrétiser une étude de terrain étant donnée la difficulté de localiser ces personnes et de gagner leur confiance. Il y aurait fallu une observation-participante de très longue durée et sur différents quartiers en même temps, étant donnée la constante mobilité de ces personnes. C’est pourquoi, nous soulignons l’importance des tables rondes avec le support du HCR et d’un organisme étatique pour la défense de droits de l’homme comme la Defensoría del Pueblo. D’autre part, nous voyons différents intérêts politiques dans la présentation des informations concernant les phénomènes de violence dans le pays, y compris le déplacement forcé. En effet, concernant de mêmes phénomènes, nous avons trouvé des versions contradictoires. De ce fait, toutes les informations méritent d' être maniées avec davantage de prudence en différenciant celles qui proviennent de la part des organismes étatiques, des organisations sociales, des groupes armés illégaux ou de personnes directement touchées par la situation. 5. L’organisation de l’étude Dans cette étude nous avons élaboré un plan en trois grandes parties. Tout d' abord, nous évoquons l’apparition du concept de déplacement forcé par la violence en Colombie. Dans cette première partie nous passons en revue le concept de « déplacé » du point de vue juridique, étant donné que la Colombie est le pays du monde où le développement juridique autour du déplacement est 32 le plus important et que les colombiens ont pris conscience de l’ampleur de ce phénomène par le droit. Nous établissons les similarités entre la catégorie de réfugiés et celle de déplacés, et l’évolution du concept de déplacement interne par la violence en Colombie jusqu’à la définition du déplacement intra-urbain. Dans la section finale de cette partie, nous soulignons que les arrêts de la Cour Constitutionnelle sont une clé d’analyse précieuse pour étudier et repérer l’évolution de la catégorisation sur le déplacement forcé. Un de ces arrêts (T-268 de 2003) présente et définit le déplacement intra-urbain en donnant une place particulière à ce type de déplacement du point de vue juridique. Ensuite, dans la deuxième partie, nous analysons le contexte de la violence contemporaine et le surgissement et la consolidation des acteurs armés illégaux en Colombie (notamment guérillas et paramilitaires) en donnant une place singulière au trafic de drogue dans le débordement de violence. Il convient de préciser que pour faire face à l’illégalité et à la violence, l’État lui aussi a lancé des actions violentes afin de combattre les groupes armés illégaux. D’une certaine façon, il se constitue donc comme un autre acteur du conflit, sans lequel on ne pourrait pas expliquer le conflit armé dans le pays. Cette analyse permet de comprendre le contexte et les raisons du développement d’une pratique comme le déplacement forcé. Par la suite nous analysons l’impact et l’influence des acteurs armés dans les métropoles. En effet, pour comprendre les dynamiques propres du déplacement, il faut d’abord comprendre les logiques et les intérêts qui poussent les acteurs armés à entretenir cette situation. Notre troisième et dernière partie est divisée en deux. D’un part nous analysons le déplacement intra-urbain dans la ville de Medellín et par la suite à Barrancabermeja, en expliquant d’abord le contexte de violence contemporaine qui touche ces villes. Nous remarquons que les études approfondies réalisées sur le sujet sont peu nombreuses, notamment pour le cas de Barrancabermeja. Néanmoins les dénonciations (même si non officielles) sur la situation du déplacement intra-urbain sont chaque fois plus abondantes. Pour visualiser globalement les informations apportées par les études de cas de Medellín et Barrancabermeja à l’égard du déplacement intra-urbain nous avons élaboré un tableau comparatif consultable dans la conclusion de la troisième partie. 33 Nous complétons notre étude par la présentation d’une conclusion générale. Ensuite nous trouvons la bibliographie, une liste des sigles et abréviations, une liste des graphiques, tableaux, cartes et photos, et les annexes. 34 PREMIÈRE PARTIE LE CONCEPT JURIDIQUE DE DÉPLACÉ (DESPLAZADO) Introduction Les migrations peuvent être divisées en diverses catégories : les migrations légales, illégales et forcées. Les premières, les migrations légales, font partie du projet de développement démographique, économique et stratégique des États de réception. En général, l' objectif des politiques actuelles de migration légale est de permettre l’entrée de migrants pour combler les nécessités du marché de travail. Ces besoins répondent en grande mesure à la baisse démographique et au vieillissement de la population de certains pays. La migration de travailleurs avec un haut niveau de qualification est reconnue comme un moyen important pour soutenir la croissance économique et éviter les blocages dans les économies développées. Cependant, il existe aussi une demande de travailleurs non qualifiés pour certains métiers. Finalement, la migration légale répond aussi aux projets d’investissement provenant de l’extérieur (Comisión de las Comunidades Europeas 2004, p. 2-5). Plusieurs auteurs ont traité ce type de migrations (JulienLaferrière 2000 ; Castillo 2002 ; Villa et Martínez 2002 ; Aleinikoff et Chetail 2003 ; Comisión de las Comunidades Europeas 2004). Par ailleurs, les migrations illégales concernent les personnes qui se déplacent entre divers pays en marge des systèmes de migration légale. La migration internationale a depuis longtemps été un moyen de réponse aux difficultés économiques rencontrées dans les pays d’origine. Or, la recherche d' opportunités n’est pas restreinte à la recherche d’emploi. Les migrants tendent à neutraliser les effets différentiels au niveau économique mais aussi au niveau social et culturel entre les différents pays et les inégalités des degrés de développement. Bien que la plupart des flux migratoires de la région latinoaméricaine se dirigent vers les États-Unis et dans une moindre mesure vers le Canada, de nos jours il existe des flux dirigés vers les pays européens et 35 l’Australie.40 Selon Castillo, les migrations dans la région ont été stimulées non seulement par les pressions dérivées de la perte ou de l' absence d' occasions de développement personnel ou familial dans les lieux d' origine, mais aussi par la demande dans les lieux de destination (Castillo 2002, p. 13). Les économies développées ont toujours eu besoin des travailleurs de pays moins développés. Les immigrants moins qualifiés sont embauchés par des employeurs qui cherchent à réduire les coûts du travail. Néanmoins l’entrée dans le pays est généralement réglée par des programmes d' embauche temporaire. De ce fait, certains y restent dans une situation clandestine. Ensuite, ils sont victimes de l' exploitation du travail et de surcroît font l' objet d' une discrimination légale et sociale (Villa et Martínez 2002, p. 1-2). Il existe des analyses sur ce type de migrations avec des visions très diverses (Portes 1990 et 1995 ; Tarrius 1992 ; Fassin, Morice et Quiminal 1997 ; Peraldi 2001 ; Bredeloup 2001). L’objet d’étude de cette thèse concerne le troisième groupe de migrations, les migrations forcées. L’exode de grandes masses de population, déracinées de leur lieu d’origine et de résidence pour des motifs tels que la violence et forcées à migrer vers un nouveau lieu constitue un phénomène historique de longue durée qui touche plusieurs cas contemporains : les Balkans, l’Europe Oriental, l’Afrique Centrale, etc. Ces phénomènes ont beaucoup été étudiés avec des approches diverses et hétérogènes. Il y a plusieurs études sur les exilés, les réfugiés, les apatrides, les migrants et les déplacés internes (Arendt 1993 et 1995, Goodwin-Gill 1996 ; Julien-Laferrière 1997 ; Cohen et Deng 1998 ; Meertens 2001 ; Cohen 2005).41 Le cas colombien des déplacés internes, comme nous l’avons déjà indiqué, a été étudié par quelques auteurs français (Pécaut 1998 et 2001 ; Agier 2002 ; Dureau et al 2004) et colombiens (Osorio 1993 ; Botero 1998 ; Uribe 1999 ; Bello et Mosquera 1999 ; Cubides et 40 Depuis 1907, « [...] 20,9 millions d' immigrés venus du monde entier ont acquis la nationalité américaine. À l' heure actuelle, sur les 190 millions de migrants dans le monde, 20% résident aux États-Unis. De 2000 à 2005, 3,7 millions d' immigrés ont décidé d' acquérir la nationalité américaine, et les États-Unis ont accordé le statut de résident permanent à 5,8 millions de personnes. Les États-Unis sont aussi le pays qui accueille le plus de réfugiés ; depuis 1975, ils ont admis près de 2,7 millions de réfugiés (127.000 en moyenne par an) » (Programme d' Information Internationale 2006, p. 1). 41 À la fin du XXe siècle environ 150 millions de personnes vivent loin de leur pays de naissance, soit 2,5 % de la population mondiale ou 1 personne sur 403. De ce nombre, environ 15 millions (soit 10 %) sont des réfugiés (UNHCR 2000, p. 280). 36 Domínguez 1999 ; González 2002 ; Vidal 2005). La Colombie est un des pays où il y a le plus de réglementation autour des déplacements forcés pour cause de violence. C’est ce que nous pouvons constater dans la promulgation de plusieurs lois, décrets, présidentielles, résolutions, accords et circulaires ministérielles. 42 directives Du côté de la jurisprudence, depuis 1997, le plus haut tribunal constitutionnel de la Colombie, la Cour Constitutionnelle, a réalisé 17 révisions des « actions de tutelle » sur ce sujet. D’autre part, il existe une grande quantité de conventions signées entre les différentes institutions de l’État chargées de la politique publique autour du déplacement, et des conventions avec les organismes internationaux qui agissent sur le territoire colombien. Cette prolifération de normes et d’instruments juridiques nous permet de définir le déplacement de population comme une « catégorie normative », notamment à partir de la promulgation de la Loi 387 de 1997. C’est une catégorie à caractère normatif non seulement par l’existence des normes, mais aussi du fait de l’utilisation de la loi par les déplacés comme seul moyen de se manifester auprès de l’État. En conséquence, il est courant de voir les déplacés utiliser la lettre officielle qui les catégorise comme tels. Dans cette partie nous ferons donc une révision du concept de « déplacé » du point de vue juridique. Divisé en huit sections, cette partie établit la trajectoire entre la catégorie de réfugiés et celle de déplacés, et l’évolution du concept de déplacement interne par la violence en Colombie jusqu’à la définition du déplacement intra-urbain. Dans la première section, nous allons analyser comment le concept de « déplacé » est inspiré de celui de réfugié en droit international. Nous regarderons la naissance et l’évolution du statut de réfugié et nous constaterons l’importance des instruments légaux pour déterminer qui se trouve concerné par cette condition. Dans une deuxième section nous regarderons comment les actions du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés se sont élargies pour agir auprès des déplacés internes. Puis, dans la troisième section, 42 Voir la liste des principaux instruments normatifs dans l’annexe A. 37 nous parlerons du droit à ne pas être déplacé, terminologie propre aux pays en situation de conflit armé. La quatrième section aborde l’élaboration du premier instrument normatif, propre aux déplacés, reconnu au niveau mondial : les principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays (dorénavant Principes Directeurs des Nations Unies). La section cinq traite des mécanismes de reconnaissance du déplacement forcé dans les Amériques. La section six présente toutes les étapes qui ont été franchies en Colombie pour la reconnaissance du déplacé comme un sujet de droit spécial, et la catégorisation du déplacement à travers les lois et les décrets. Dans la septième section nous verrons comment l’ordonnancement juridique a créé différents types de vulnérabilité entre les déplacés, et demande une discrimination positive à leur égard. Dans la section finale nous analyserons comme les arrêts de la Cour Constitutionnelle sont une clé d’analyse précieuse pour étudier et repérer l’évolution de la catégorisation sur le déplacement forcé. Un de ces arrêts présente et définit le déplacement intra-urbain en donnant une place particulière à ce type de déplacement du point de vue juridique. Pour la construction de cette partie nous avons utilisé plusieurs sources d’information dont les principales sont : la compilation de normes du Guide d’Assistance Intégrale à la Population Déplacée par la Violence écrit par la Red de Solidaridad Social (dorénavant RSS), les compilations et livrets instructives de la Defensoría del Pueblo, les compilations normatives et livres publiés par l’Agence de Nations Unies pour les Réfugiés – UNHCR, les bulletins de la CODHES et les arrêts d’action de tutelle de la Cour Constitutionnelle. Nous utiliserons aussi d’autres études, de nature plus académique, qui nous permettront de mieux approcher l’étude critique des instruments normatifs relatifs au déplacement forcé. Nous nous appuierons surtout sur l’étude de Jorge González sur la catégorie du déplacé comme sujet de droit spécial (González 2002), sur celle de Roberto Vidal sur le droit global et le déplacement interne (Vidal 2005) et les analyses des « sans papiers » montrés dans le livre de Fassin, Morice et Quiminal : Les lois de l’inhospitalité : les politiques de l’immigration à l’épreuve de sans papiers (Fassin, Morice et Quiminal 1997). 38 1. Le statut des réfugiés : vrais ou faux demandeurs d’asile ? Le mot « déplacé » n’est pas un mot courant pour tous. Il y a des personnes qui ignorent tout de fait sa signification et, pour ceux qui la connaissent, elle renvoi souvent au mot « réfugié ». Les deux termes sont mélangés constamment. Nous observons que la notion de « déplacé » est inspirée par les principes normatifs relatifs aux réfugiés, et de ce fait l' identification de tous par le même mot. Dans cette section nous ferons donc exclusivement référence au statut des réfugiés, pour essayer de comprendre l’origine de la catégorie des déplacés. Le statut des réfugiés est défini dans divers instruments internationaux et il existe plusieurs régimes qui définissent les réfugiés à partir de leurs propres catégories normatives. Néanmoins, la définition principale qui rassemble un grand nombre de pays est celle de la Convention sur le Statut des Réfugiés de 1951 et du Protocole sur le Statut des Réfugiés de 1967 dont la force découle du nombre important de ratifications qu’ils recueillent au niveau mondial.43 La Colombie est un État signataire de la Convention depuis 1961 et du Protocole depuis 1980. Des droits similaires à ceux de la Convention étaient déjà énoncés dans la Convention de 1933 relative au statut international des réfugiés (ratifiée seulement par huit États) et dans la Convention de 1938 relative au statut des réfugiés d’Allemagne, avec trois ratifications (UNHCR 2000, p. 14). La Convention sur le Statut de Réfugiés pour la protection de ceux qui avaient abandonné leur lieu d’origine, promulguée le 28 juillet 1951 et entrée en vigueur le 22 avril 1954, promeut la reconnaissance, l’assistance et la protection des réfugiés antérieurs au 1º janvier 1951. Plus tard, le Protocole sur le Statut des Réfugiés, approuvé et entré en vigueur en 1967, élargit le caractère de protection pour ces personnes, indépendamment de la date de développement des événements. Néanmoins, malgré cet élargissement temporel, la Convention reste limitée géographiquement étant donné que les États signataires peuvent 43 Voir la liste des États signataires de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 dans l’annexe B. 39 restreindre leurs obligations à l’Europe (Convention relative au Statut de Réfugiés 1951, article B1). D’après la Convention sur le Statut des Réfugiés de 1951, le réfugié est toute personne qui : « [...] par suite d' événements survenus avant le premier janvier 1951 et craignant avec raison d' être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n' a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner » (Convention relative au Statut de Réfugiés 1951, article A1). Une des dispositions clés dans cette convention est le principe de non refoulement. Il s’agit de l’obligation pour les États signataires de ne pas expulser des réfugiés vers un État où ils seraient menacés de persécution, et où leur vie ou leur liberté seraient menacées en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques (Convention relative au Statut de Réfugiés 1951, article 33.1). La définition de réfugiés de la Convention est très semblable à celle adopté un an avant (1950) par le Statut du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés: « Tout personne qui, par suite d' événements survenus avant le 1er janvier 1951 et craignant avec raison d' être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne peut ou, du fait de cette crainte ou pour des raisons autres que de convenance personnelle, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n' a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte ou pour des raisons autres que de convenance personnelle, ne veut y retourner » (Statut du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés 1950, article 6.2). Selon le Haut Commissariat de Nations Unies pour les Réfugiés (dorénavant HCR), la Convention devrait s’appliquer à toute personne qui craint avec raison d’être persécutée, peu important l’origine des responsables. Néanmoins et malgré son caractère humanitaire, la définition conventionnelle de réfugiés exclut de conférer le statut à ceux qui ont décidé de quitter leur pays en 40 raison de la violence généralisée par la persécution d’agents non étatiques, ainsi qu’aux groupes massifs de réfugiés, en tant qu’elle prévoit la reconnaissance de réfugiés uniquement de façon individuelle. Dans certains pays : « On ne reconnaît pas le statut de réfugié à des victimes de persécutions commises par des « agents non étatiques », et ces victimes ne jouissent souvent ni du même niveau de protection ni des mêmes droits que les réfugiés. Ces mesures et d’autres encore ont pour effet de diminuer la proportion des demandeurs d’asile reconnus dans le cadre de la Convention » (UNHCR 2000, p. 161-162). Ces exclusions signalent l’impossibilité d’accéder au statut de réfugié pour la majorité des personnes dans le besoin, étant donné qu’elles ne rentrent pas dans les définitions officielles (Vidal 2005, p. 41-47).44 De plus, la fermeture des frontières et l’instauration de contrôles dans le cadre de la lutte contre le terrorisme risquent de compromettre l’exercice du droit des réfugies. Selon Ceyhan les attentats du 11 septembre 2001 « [...] ont eu pour conséquence d' établir une association entre terrorisme et immigration, de mettre en avant la sécurité de la patrie et de soulever la question de l' allégeance des citoyens d' origine étrangère envers les États-Unis » (Ceyhan 2001). En outre, « [...] les contrôles d’identité à grande échelle, ne peuvent manquer de désigner l’ensemble des étrangers comme objet de suspicion à l’opinion publique » (Lochak 1997, p. 33). Face à ces limitations et pour répondre aux différentes situations présentées en Amérique Latine pendant les années soixante-dix et au début des années quatre-vingt,45 les représentants des Nations Unies et les gouvernements 44 Smaïn Laacher consultant du HCR à Paris et membre de la Commission des Recours pour les Réfugiés montre la difficulté d’apprécier les récits de demandeurs d’asile, dans un cadre de défiance initiale. Il montre comment c’est un défi pour les requérants de fournir des explications convaincantes sur les faits de la persécution. Le requérant doit montrer les faits par des traces matériels et par l’organisation du récit. Un récit crédible comporte une cohérence interne (continuité du récit géographique et chronologique) et, une cohérence externe (par rapport à la situation du pays expulseur). En outre, la crédibilité du récit repose sur les témoins (la personne doit ramener des témoins dont on ne se méfie pas – comme par exemple membres des ONG reconnues) et le requérant doit faire état de sa réputation (origine sociale et condition de propriétaire) par moyen d’articles de presse, documents officielles etc. Pour Laacher, ce qui est en jeu c’est la capacité du requérant de faire admettre l’inadmissible et de faire croire l’incroyable (Laacher 2006). 45 Situations telles que l’instauration de la dictature en Argentine (1976-1983), les coup 41 latino-américains se sont réunis en 1984 à Carthagène (Colombie) afin de rédiger une déclaration internationale. Le document adopté souligne quelques conclusions et recommandations sur la question des réfugiés et constate l’intérêt d’élargir le concept des réfugiés à d’autres personnes, expressément à celles : « [...] qui ont quitté leur pays parce que leur vie, sécurité ou liberté ont été menacées par la violence généralisée, l' agression étrangère, les conflits internes et la violation massive des droits de l' homme ou autres cas tels que ceux précités, qui peuvent altérer ou altèrent drastiquement l’ordre public » (Déclaration de Carthagène 1984, p. 5).46 Bien que non engageante, la Déclaration de Carthagène est devenue le point de repère des politiques pour les réfugiés en Amérique Latine et elle a été incorporée dans la législation nationale de plusieurs pays (HREA 2003, p. 7). Le besoin de considérer le statut des réfugiés dans un contexte plus ample, était déjà exposé dans la Convention Africaine de l' OUA (l' Organisation de l' Unité Africaine) du 10 septembre 1969 : « Aux fins de la présente Convention, le terme « réfugié » s' applique à toute personne qui, craignant avec raison, d' être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social et de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou qui, si elle n' a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut, ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. » « Le terme « réfugié » s' applique également à toute personne qui, du fait d' une agression, d' une occupation extérieure, d' une domination étrangère ou d' événements troublant gravement l' ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d' origine ou du pays dont elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l' extérieur de son pays d' origine ou du pays dont elle a la nationalité » (Convention de l' OUA 1969, articles 1 et 2). d’État et le conflit interne du Guatemala (1978-1985), le conflit interne du Salvador (19751992), la révolution sandiniste du Nicaragua (1979), et les combats entre les guérillas et l’armée au Pérou dans les années quatre-vingt. 46 Traduit par nous de : « [...] que han huido de sus países porque su vida, seguridad o libertad han sido amenazadas por la violencia generalizada, la agresión extranjera, los conflictos internos, la violación masiva de los derechos humanos u otras circunstancias que hayan perturbado gravemente el orden público ». 42 En dépit de ces différentes déclarations régionales, la conception conventionnelle et de portée universelle des réfugiés reste restrictive. En conséquence, la protection de ceux qui demandent le statut de réfugié est limitée et difficile à acquérir.47 Même dans les pays latino-américains il y a eu des interprétations restrictives de la Convention sur les Réfugiés et les accords de Carthagène ont été négligés. Par exemple, en l’an 2003, l’État Panaméen a nié la condition de réfugiés à 109 colombiens qui, en raison du conflit armé en Colombie, ont cherché refuge dans les localités de Punusa et de Machugansi. Dans ce cas là, l’État Panaméen n’a reconnu comme réfugiés que les personnes qui se sont déplacées à cause de la persécution directe de son propre État. Pour cette raison, les autorités panaméennes ont obligé les colombiens à être transférés dans la localité de Sapzurro, en territoire colombien (Defensoría del Pueblo 2003c). Dans cette section nous avons vu comment la catégorie de réfugié est définie par des instruments internationaux. C’est à travers l’existence de ces documents que l’on commence à reconnaître un statut spécial aux personnes qui ont franchi les frontières de leur pays pour chercher refuge dans un pays étranger. Même si ces documents ont été conçus pour la protection et l’assistance de personnes en danger, parfois les États appliquent ces instruments de façon restrictive en limitant les droits des réfugiés et en stigmatisant la population sous cette catégorie de « mauvais immigrés ». Cette attitude est due à l’utilisation de la catégorie de réfugié par certains migrants économiques ou sociaux comme seul moyen d’entrer dans des pays qui offrent de meilleures conditions de vie que leurs pays d' origine.48 La réduction 47 Pour plus d’information sur les mesures restrictives voir Vidal 2005, p. 48-54. 48 D’après le journal El Tiempo, il existe en Colombie des organisations qui offrent des services d' immigration illégaux. Ils élaborent pour les demandeurs, de faux documents voire des menaces des groupes armés. Le prix des démarches oscille entre 7 et 10 millions de pesos (entre 2.400 et 3.400 euros). Depuis 1981, 60.415 colombiens ont été reconnus comme réfugiés dans le monde. Mais, tandis qu' au début des années 1990, chaque année entre 1.000 et 2.500 demandes d’asile par colombiens étaient présentées, en 2002, le chiffre a augmenté jusqu’à 12.700 (El Tiempo 2006 cité par Consulado General de Colombia en Francia 2006, p. 1). 43 progressive de tous les canaux ordinaires de migration (migration économique, regroupement familial, étudiants, réfugiés politiques), s’est traduite par l’exclusion et la marginalisation des communautés étrangères, qui se trouvent de plus en plus en situation irrégulière (Moulier Boutang 1997, p. 127).49 La conclusion de Fassin, Morice et Quiminal dans le livre Les lois de l’inhospitalité : les politiques de l’immigration à l’épreuve de sans papiers est á cet égard édifiant. Pour le cas de la France, il existe une : « [...] suspicion systématique à l’encontre des étrangers, (s’ils demandent l’asile politique, s’ils veulent faire des études, s’ils ont un enfant en France, s’ils décident de se marier avec un Français) tend ainsi à définir leur image en négatif, ce qui permet au bout du compte de susciter une large adhésion aux politiques répressives » (Fassin, Morice, Quiminal 1997, p. 267). Enfin, nous observons toujours une ambivalence dans le regard porté sur les réfugiés, lequel oscille entre les considérer, d’une part, comme des personnes touchées par la persécution et la violence auxquelles nous devons offrir de la protection et de l’aide et, d' autre part, comme celles que l’on soupçonne d’être de faux demandeurs du statut de réfugié. Sans être réellement des réfugiés, ils veulent accéder aux bénéfices qu' offre cette condition, représentant ainsi une charge additionnelle pour le pays récepteur. 49 Moulier Boutang se réfère au cas de la France depuis la fermeture officielle des frontières aux travailleurs migrants en 1972-1974. Nous retrouvons la même situation de marginalisation des étrangers en France avec la promulgation des plusieurs lois. Par exemple la loi anti-immigrés d’avril 1997, traçait selon Daumn « [...] le contrôle aux frontières et à l’intérieur du pays, avec toute une série de mesures portant atteinte aux libertés individuelles de l’ensemble de la société française, s’accompagnait de mesures d’exclusion et de marginalisation des communautés étrangères en France. Ainsi, la chasse aux immigrés sans papiers s’imposait d’autant plus que les lois et les pratiques administratives servaient également à fabriquer des sans-papiers » (Daumn 1997, p. 197). Le sujet continue à être d’actualité en France. La Loi 1119 de 2003 relative à la maîtrise de l' immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, a été qualifiée à plusieurs reprises d’institutionnaliser la précarisation du statut des étrangers. De même, en 2006, à l' initiative du Ministre de l' Intérieur, Nicolas Sarkozy, le Parlement adopte en juin un projet de loi relatif à l' immigration et à l' intégration qui veut favoriser une « immigration choisie ». Ce projet a été critiqué pour reposer sur une conception policière de la gestion du phénomène migratoire. 44 2. Le concept de déplacé et le HCR : liens et similarités entre réfugiés et déplacés Dans la section précédente nous avons vu le développement de la catégorie de réfugié. La catégorie de « déplacé » se détache de celle de réfugié. Pour tracer la trajectoire entre ces deux catégories nous considérons comme importantes les actions développées par le Haut Commissariat de Nations Unies à leur égard. L’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR ou UNHCR) fut créée en 1950 dans un but humanitaire et social ayant comme objectif la protection internationale des réfugiés et de faciliter leur rapatriement volontaire ou leur incorporation dans de nouvelles communautés nationales (Statut du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés 1950, article 1).50 Au préambule de la Convention sur le statut des réfugiés, il y a une mention explicite sur la tâche du HCR face aux réfugiés : veiller à l' application des conventions internationales qui assurent la protection des réfugiés et coordonner des actions avec les États pour résoudre la situation. Dans l’article 35, la Convention définit que les États membres s' engagent à coopérer avec le HCR et à lui fournir toutes les informations pour accomplir ses tâches face à la Convention. Les actions du HCR face à la protection des réfugiés occupent une place prééminente dans la mesure où l’agence applique actuellement une définition de réfugiés au sens large du terme, sans limitations temporelles ni géographiques. Les activités entreprises par le HCR ont beaucoup changé depuis l’origine en 1950. L’agence s’est occupée non seulement des réfugiés européens à la suite d’événements antérieurs au 1er janvier 1951, mais aussi des réfugiés hongrois de 1956, des réfugiés chinois à Hong-Kong en 1957, des réfugiés algériens en Tunisie et Maroc en 1958, pour n’en citer que quelques-uns. Le rôle et les responsabilités du HCR s’accroissent encore dans les années 1980, et il développe des activités en Indochine, Afrique, Amérique Centrale et en Afghanistan. Ces situations ont élargi la compétence du HCR en faveur de réfugiés hors de l’Europe et dans des pays en voie de développement. Ces 50 Site Internet du HCR: http://www.unhcr.fr 45 actions d’urgence, sollicitées au cas par cas par l’Assemblée Générale de Nations Unies, l’agence les a développées sous la dénomination des « bons offices » et elles ont commencé à devenir une pratique réitérée (UNHCR 2000, p. 31-52). Sans créer de nouvelles responsabilités de droit international pour les États, et afin de s’occuper de ceux qui n’étaient pas couverts par la Convention et le Protocole sur les réfugiés, le HCR a commencé à agir auprès des déplacés internes. À partir de 1970 et due à des situations trouvées sur le terrain, le HCR, qui ne disposait d’un mandat de protection que pour les réfugiés, a commencé à s’occuper des autres migrants, sous l’approbation de l’Assemblée Générale de Nations Unies et avec l’accord des pays hôtes. Elle agit auprès des déplacés du sud de Soudan (1972), Guinée-Bissau, Angola et Mozambique (1974) et, du Vietnam et Laos (1975). En 1999, l’agence porte secours aux déplacés internes en Afrique, dans les Balkans, dans l’ex-Union Soviétique, en Colombie et au Sri Lanka (UNHCR 2000, p. 282). Depuis le 12 septembre 2005, le Comité Permanent Inter-Organisations des Nations Unies (formé par les coordinateurs et dirigeants des secours d’urgence et de développement, les groupes de coordination d’ONG et le mouvement de la Croix Rouge et du Croissant Rouge) a confié au HCR la principale responsabilité de protéger les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (Cohen 2005, p. 9). Ainsi, le HCR considère comme déplacée toute personne qui, du fait des persécutions, d’un conflit armé, des violations massives de droits de l’homme ou actes de violence généralisée a été contrainte d’abandonner son foyer de résidence habituelle, et qui reste à l’intérieur des frontières de son propre pays. En revanche, l’agence ne s’occupe pas de déplacés dus aux catastrophes naturelles (UNHCR 2005, p. 3). En effet, le principal moteur de l’action du HCR face aux déplacés est leur rapport direct avec les réfugiés : Les déplacés internes peuvent être mélangés dans la même région avec des réfugiés, apatrides, rapatriés et autres groupes vulnérables. Les déplacés risquent de traverser les frontières et peuvent se transformer en 46 réfugiés. Les problèmes des réfugiés et des déplacés internes se ressemblent, les besoins humanitaires sont les mêmes. Les problèmes liés à la protection des déplacés internes nécessitent l’expertise particulière du HCR. Néanmoins il y a eu des critiques face à l’intervention du HCR face aux déplacés internes. « Les activités du HCR en faveur des déplacés internes peuvent être interprétées comme réduisant la nécessité d’une protection internationale et de la mise en pratique du droit d’asile. Des critiques ont, en outre, fait remarquer que, moins la distinction est claire entre les réfugiés (qui bénéficient de droits supplémentaires en vertu du droit international sur les réfugiés) et les personnes déplacées internes, plus la protection des réfugiés eux-mêmes en est amoindrie » (UNHCR 2000, p. 215). De ce fait, l' extrême prudence avec laquelle le HCR doit agir face aux déplacés, en veillant à la protection et à l' assistance de ceux qui sont touchés par ce fléau dans leur propre pays, mais sans leur nier la possibilité de chercher le statut de réfugié. Les bases juridiques pour l’intervention du HCR en situations de déplacés internes se trouvent dans l’article 9 de son statut, lequel dispose que « Le Haut Commissaire s' acquitte de toute fonction supplémentaire que pourra prescrire l' Assemblée Générale, notamment en matière de rapatriement et de réinstallation, dans la limite des moyens dont il dispose » (Statut du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés 1950, article 9). Pendant plusieurs années, treize documents officiels et onze résolutions de l’Assemblée Générale de l’ONU ont manifesté l’importance de l’implication du HCR dans des situations de déplacement interne. Il est possible de consulter la liste de ces documents et leurs analyses sur le livre du UNHCR Consistent and predictable responses to IDPs. A review of UNHCR’s decision-making processes. Nous avons reproduit la liste des documents et résolutions sur l’annexe C de ce travail. 47 Néanmoins, dans le dernier rapport sur les réponses du HCR aux déplacés, il y a une forte critique à l’égard des procédures ad hoc aux déplacés, et il est signalé un manque de direction politique et de compréhension des obligations légales. Même s’il existe quelques documents et résolutions qui soutiennent son action, les critères existants ne sont pas systématiquement employés pour prendre des décisions dans le terrain (UNHCR 2005, p. 1). Nous avons remarqué dans cette section comment le HCR a développé une conception très ample de la catégorie de réfugiés, ce qui lui a permis d’élargir son mandat à des situations qui surpassent le cadre propre des réfugiés. Par les liens et similarités trouvés entre réfugiés et déplacés, le HCR commence à agir à l’égard des déplacés et se constitue comme l’une des agences les plus représentatives pour la protection des déplacés, notamment en Colombie. Malgré les critiques sur son intervention ad hoc dans les cas des déplacés, sa vision du phénomène et son expérience face aux réfugiés lui ont permis de donner une définition ample au concept de déplacés, laquelle est actuellement partagée par les textes normatifs sur le sujet en Colombie, comme il sera vu plus loin. 3. La liberté de circulation sur le territoire national, le droit à la permanence et au choix de lieu de résidence Deux traités internationaux des droits de l’homme signalent et régulent de manière spécifique le droit à la circulation et le choix du lieu de résidence : le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, et le Pacte de San José de Costa Rica aussi connu comme la Convention Américaine relative aux Droits de l’Homme.51 L’article 12 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques,52 51 L’élaboration de cette section suit les textes produits par le bureau juridique du CICR, présentés dans la bibliographie. Voir aussi l’analyse faite par la Commission des Droits de l' Homme du Conseil Économique et Social de Nations Unies : Action visant à encourager et développer d’avantage le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales et notamment question du programme et des méthodes de travail de la Commission : Droits de l'Homme, exodes massifs et personnes déplacées (Conseil Économique et Social, 1998). 52 Ce pacte a été adopté le 16 décembre 1966 et il est entré en vigueur le 23 mars 1976. 48 signale: « Quiconque se trouve légalement sur le territoire d' un État a le droit d' y circuler librement et d' y choisir librement sa résidence ». « Les droits mentionnés ci-dessus ne peuvent être l' objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l' ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d' autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte » (Pacte de San José de Costa Rica 1966, article 12). La Convention Américaine relative aux Droits de l’Homme,53 dans l’article 22 stipule : « Quiconque se trouve légalement sur le territoire d' un État a le droit d' y circuler librement et d' y résider en conformité des lois régissant la matière ». « L' exercice des droits susvisés ne peut faire l' objet d' autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures indispensables dans une société démocratique à la prévention des infractions pénales, à la protection de la sécurité nationale, de la sûreté ou de l' ordre public, de la moralité ou de la santé publiques, ou des droits ou libertés d' autrui ». « L' exercice des droits reconnus au paragraphe 1 peut également, dans certaines zones déterminées, faire l' objet de restrictions légales pour causes d' intérêt public » (La Convention Américaine relative aux Droits de l’Homme 1969, article 22). Les articles mentionnés font allusion au droit de circuler librement et de rester dans le territoire national d’un pays où l’on se trouve légalement et au choix du lieu de résidence. Tous ces droits sont directement niés dès le moment où il existe une pratique qui oblige les individus à se déplacer contre leur volonté. Pour cette raison, ces mêmes droits instaurent en négatif le droit de ne pas être déplacé. En cas de conflit armé interne il existe aussi des dispositions interdisant le déplacement forcé de population. Les déplacements forcés peuvent être opérés Il a été approuvé en Colombie sous la Loi 74 de 1968 et ratifié le 29 octobre de 1969. 53 Cette convention a été adoptée le 22 novembre de 1969 et elle est entrée en vigueur le 18 juillet 1978. Elle a été ratifiée par la Colombie le 31 juillet 1973. 49 seulement à titre exceptionnel et doivent être prévues par la loi. Le Protocole II additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949,54 dispose dans son article 17 : « Le déplacement de la population civile ne pourra pas être ordonné pour des raisons ayant trait au conflit sauf dans les cas où la sécurité des personnes civiles ou des raisons militaires impératives l' exigent. Si un tel déplacement doit être effectué, toutes les mesures possibles seront prises pour que la population civile soit accueillie dans des conditions satisfaisantes de logement, de salubrité, d' hygiène, de sécurité et d' alimentation ». « Les personnes civiles ne pourront pas être forcées de quitter leur propre territoire pour des raisons ayant trait au conflit » (Protocole II additionnel aux Conventions de Genève 1949, article 17). Par ailleurs, une mission d’experts des droits de l’homme a adopté en 1990 une déclaration sur les règles humanitaires minimales, appelée Déclaration de Turku (Finlande). La déclaration interdit les déplacements dans les situations de violence interne, tensions et urgences publiques. Elle dispose que « [...] le déplacement de population ou d' une partie d’elle ne doit pas être imposée, à moins qu' il soit requis pour la sécurité de celle-ci ou pour des raisons impératives de sécurité » (Consejo Económico y Social. Comisión de Derechos Humanos 1995, article 7). La Colombie est un des États signataires des trois instruments internationaux mentionnés, et le droit de circulation est inscrit dans la Constitution Colombienne à l’article 24 : « Tout colombien, avec les limitations qu' établit la loi, a le droit de circuler librement dans le territoire national, d' y entrer et d’y sortir, et de rester et résider en Colombie ».55 Le droit de circulation et de permanence est limité seulement dans les états d’exception prévus dans les articles 212 à 215 de la Constitution Colombienne. Selon la Cour Constitutionnelle : 54 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), 8 juin 1977. Adhéré par la Colombie le 14 août 1995. 55 Traduit par nous de : « Todo colombiano, con las limitaciones que establezca la ley, tiene derecho a circular libremente por el territorio nacional, a entrar y salir de él, y a permanecer y residenciarse en Colombia ». 50 « Le droit de circulation, en accord avec la charte, peut être limité par la loi, mais de telles restrictions ne peuvent pas être de telle amplitude qu’elles le rendent nul. Pendant les états d' exception, spécialement en cas de guerre extérieure ou troubles intérieurs, le législateur est autorisé à établir des restrictions à la libre circulation et la résidence des personnes ; par conséquent, le Président de la République, dans ces périodes, peut indiquer valablement les limitations que les circonstances rendent recommandables, pour des raisons de sécurité nationale ou d' ordre public, comme pour protéger la vie des personnes, leur santé et leurs droits fondamentaux » (Corte Constitucional 1994, p. 108).56 Pour cette raison dans le Code Pénal colombien le déplacement forcé de population est qualifié de délit, et il y est prévu une peine de dix à vingt ans de prison, des amendes oscillant entre mille et deux mille salaires minimums mensuels et une déclaration d' inaptitude à l' exercice des droits et fonctions publiques de dix à vingt ans pour les auteurs des infractions (Congreso de Colombia. Código Penal Colombiano, article 159). De même, dans les Principes Directeurs des Nations Unies, auxquels nous allons faire référence dans la section suivante, le droit de ne pas être déplacé est mentionné expressément dans l’article 6. Les dispositions nécessaires en cas de déplacement sont signalées dans l’article 7 et la liberté de circulation et de choix de résidence des déplacés est établie dans l’article 14. Dans cette section nous avons fait référence à la liberté de circulation sur le territoire national, au droit à la permanence et au choix du lieu de résidence, qui constituent par opposition le droit de ne pas être déplacé. Ces droits ont été signalés dans des documents conçus pour des situations de normalité, mais ces droits restent valables en situations de conflit armé, troubles et violence généralisée. L’expression « droit de ne pas être déplacé » est couramment 56 Traduit par nous de : « El derecho de circulación, de acuerdo con la Carta, puede ser limitado por la ley, pero tales restricciones no pueden ser de tal índole que lo hagan nugatorio. Durante los estados de excepción, especialmente en el caso de guerra exterior o conmoción interior, el legislador está autorizado para establecer restricciones a la libre circulación y residencia de las personas ; en consecuencia, el Presidente de la República, en dichos periodos, puede válidamente señalar las limitaciones que las circunstancias hagan aconsejable, por razones de seguridad nacional o de orden público, como para proteger la vida de las personas, su salud, u otros de sus derechos fundamentales ». 51 utilisée dans les pays où les déplacements de population civile sont devenus une conséquence des conflits armés. Cette expression est propre au droit international humanitaire et peut s' avérer étrange pour un interlocuteur non initié. C’est dans les pays affectés par les conflits armés que les droits à la circulation et aux choix de résidence deviennent plus visibles. 4. Les Principes Directeurs des Nations Unies : contenir les migrations dans le pays d’origine Après la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, les migrations deviennent une affaire plus connue dans l’espace mondial. La détérioration des conditions de vie dans les anciens pays communistes et le resurgissement des rivalités religieuses et ethniques ont provoqué l’exode de population des Balkans, (Yougoslavie, Bosnie, Croatie), et du Caucase (Georgia, Armenia, Azerbaïdjan, Chéchenie), vers l’Europe. De même, plusieurs conflits dans des pays d’Afrique, Asie et Amérique Latine sont apparus avec la prolifération de groupes armés actifs en Algérie, au Sénégal, en Angola, au Burundi, au Congo, au Liberia, en Guinée-Bissau, au Rwanda, en République démocratique du Congo (ex-Zaïre), en Sierra Leone, en Somalie, au Soudan, au Liban, en Turquie, en Colombie, au Mexique, au Pérou, en Afghanistan, en Inde, au Sri Lanka, en Birmanie, au Cambodge, aux Philippines, en Indonésie, au Timor Est, en ex-Yougoslavie, au Caucase, et dans bien d’autres pays (Nations Unies 2003 cité par Rivero 1999, p. 1). La violence et les conflits internes ont généré la migration de personnes qui abandonnent leur lieu d’origine mais qui restent à l’intérieur des frontières de leur propre pays. Ils sont considérés comme des déplacés internes. Pour la catégorisation de ces victimes et pour décrire les éléments relatifs à la protection de leurs droits, il y a eu plusieurs initiatives de régulation du sujet au niveau international : la déclaration de Turku Abo (Finlande) de 1990, la déclaration de Londres de 2000 fait par l’ILA (Association Internationale de Droit), et les recherches de l’équipe du Représentant Général des Nations Unies pour les Déplacés Internes développées pendant les années quatre vingt, qui ont donné naissance aux principes directeurs relatifs aux déplacements de population à 52 l’intérieur de leur propre pays (Principes Directeurs des Nations Unies).57 Ce travail est considéré comme le plus important au niveau international. Promulgués en 1998, ces trente principes ont été élaborés à la demande de l’Assemblée Générale des Nations Unies et de la Commission des Droits de l’Homme, dans le but d’établir un cadre juridique qui s’accorde avec la situation des victimes de déplacements internes. Ils définissent les droits et garanties des déplacés internes et donnent des indications aux États, aux institutions, aux organismes humanitaires et aux victimes sur la façon d’appréhender et de gérer la situation. Les Principes Directeurs définissent les personnes déplacées à l' intérieur de leur propre pays ainsi : « Sont des personnes ou des groupes de personnes qui ont été forcés ou contraints à fuir ou à quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, notamment en raison d' un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l' homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l' homme ou pour en éviter les effets, et qui n' ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d' un État » (Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes á l’intérieur de leur propre pays, 1998, article 2). Ces principes traitent des différentes phases de déplacements et sont classés en cinq sections. L’introduction et la première section décrivent les principes généraux, leur caractère face au droit international, au droit international humanitaire et au droit interne et précisent la définition de déplacé interne. La deuxième section fait allusion aux principes relatifs à la protection contre les déplacements, et la troisième à la protection au cours du déplacement. La quatrième section se réfère particulièrement aux principes relatifs à l' aide humanitaire, et la cinquième au retour, la réinstallation et la réintégration. Bien qu' ils n' aient pas été approuvés par un traité international, ils se transforment en outils spécifiques à caractère international au bénéfice des personnes déplacées. D’après la thèse de doctorat de Roberto Vidal sur les déplacements internes, les Principes des Nations Unies sont plus motivés par le fait de contenir 57 Pour plus d’information sur ces trois documents voir Vidal 2005, p. 70-74. 53 les migrations que par l’idée d’offrir une assistance humanitaire aux personnes dans le besoin.58 Le droit des déplacés est construit à partir de modifications stratégiques des droits des réfugiés, ayant comme objectif que les déplacés ne franchissent pas les frontières de leur pays. Les questions humanitaires et la protection des victimes sont reléguées au second plan. Par conséquent, le problème des déplacés internes devient une préoccupation internationale car ces personnes sont des réfugiés potentiels et leur assistance et leur protection représentent un coût énorme pour les pays d’accueil (Vidal 2005). Selon l' auteur: « Depuis la fin des années quatre-vingt, le système international de protection aux réfugiés subit un remarquable changement de stratégie : d’une stratégie curative, opérant à travers l' offre de refuge temporaire aux personnes en danger qui se sont déplacées hors de leurs pays d' origine, elle devient une stratégie préventive des flux externes de migrants forcés avec laquelle on cherche à contrôler les migrations dans les États d' origine » (Vidal 2005, p. 53).59 Le durcissement des lois dans les pays récepteurs de réfugiés, les aides offertes pour les projets de retour de population dans leur pays d’origine, et la stratégie de contrôle de migration dans les États d’origine obéissent à la peur de la sédentarisation des étrangers dans les pays d’accueil.60 En effet, « [...] la sédentarisation de tous les étrangers apparaît comme peu souhaitable : d’un point de vue économique, le coût serait trop élevé ; d’un point de vue sociologique, la distance culturelle de certains menacerait l’unité national » (Quiminal 1997, p. 68).61 58 Roberto Vidal est avocat et historien de l' Université Pontificale Javeriana de la Colombie. Docteur en Droit des Universités Colegio Mayor Nuestra Señora del Rosario, Externado de Colombia et de l' Université Pontificale Javeriana. Actuellement il est professeur d' Histoire Universelle du Droit à l' Université Pontificale Javeriana. 59 Traduit par nous de : « Desde finales de la década de los ochenta, el sistema internacional de protección a los refugiados sufre un notable cambio de estrategia : pasa de ser curativa, operando a través del ofrecimiento de refugio temporal a las personas en riesgo que se han desplazado fuera de sus países de origen, para definirse desde entonces como una estrategia preventiva de los flujos externos de migrantes forzados con los cual se busca controlar la migración dentro de los Estados de origen ». 60 Par exemple, à travers la circulaire de juin 1977 la France installe une « aide au retour » pas seulement pour stopper l’immigration mais aussi pour obtenir une diminution de la population étrangère (Lochak 1997, p. 34). 61 Parlant de la législation française concernant le regroupement familial en 1974, Quiminal explique qu’« une politique, qui devrait être une politique sociale et s’afficher comme telle, produit des situations inhumaines, insupportables dès lors qu’elle vise en 54 Toutefois, ces principes sont devenus les principaux instruments invoqués par les organismes internationaux et les différents États pour la protection des droits de la population déplacée. Même si ces principes ne sont pas contraignants et ne constituent pas une convention ou un traité, plusieurs instances internationales ont recommandé leur application : la Commission Interaméricaine de Droits de l’Homme, la Commission des Droits de l’Homme du Conseil Économique et Social des Nations Unies, le Secrétaire Général de Nations Unies, l’Organisation de l’Union Africaine, l’Organisation de Coopération Européenne et le Commonwealth (Corte Constitucional 2004, p. 230). Dans le cas colombien, ces principes ont été considérés comme des documents d’importance majeure pour interpréter et préciser la portée des droits des déplacés et des obligations corrélatives des autorités quant à leur protection. L’importance de ce document a été remarquée dans la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle dans les arrêts SU-1150 de 2000, T-327 de 2001, T-098 de 2002, T-268 de 2003, T-419 de 2003 et T-602 de 2003 (Corte Constitucional 2004, p. 231). Dans cette section nous avons vu comment la migration à l’intérieur des pays causée par les conflits internes et la violence généralisée est devenue une affaire qui interpelle les organismes humanitaires internationaux. La catégorie de déplacé est donc établie par ces organismes et notamment par les Nations Unies. En vertu des Principes Directeurs des Nations Unies, ceux qui n’ont pas franchi une frontière internationale restent sous la souveraineté de leur propre État. D’après Vidal, l’intérêt ultime de ces principes est le contrôle de la migration vers les pays développés et la retenue de personnes dans leur pays d’origine. Pour cela, nous pouvons souligner que le regard porté sur les déplacés est ambivalent. En effet, ils sont considérés comme des victimes auxquelles il faut porter secours en urgence non seulement pour des raisons humanitaires mais aussi de par le risque que représente leur passage vers les pays frontaliers. réalité à limiter les flux » (Quiminal 1997, p. 67). 55 Les dispositifs de contrôle de migration à la source sont mis en place inspirés par des préoccupations économiques (l’étranger comme responsable du chômage), et par la menace que les immigrés représentent pour l’identité nationale des pays récepteurs (Lochak 1997).62 5. Le déplacement dans les Amériques : six initiatives qui rendent visible le phénomène Entre 1984 et 1996, il y a eu maintes initiatives à l’égard des déplacés dans diverses régions des Amériques. La déclaration de Carthagène de 1984 sur les réfugiés stipule : « [...] sa préoccupation pour la situation que subissent les personnes déplacées dans leur propre pays. À cet égard, le Colloque appel l’attention des autorités nationales et des organismes internationaux compétentes pour offrir la protection et l’assistance à ces personnes et contribuer à alléger leur situation » (Declaración de Cartagena sobre Refugiados 1984, p. 6).63 En 1987 dans la Conférence d’Esquípulas II sur le processus de paix en Amérique Central, les gouverneurs de Guatemala, El Salvador, Honduras, Nicaragua et Costa Rica s' accordent pour : « [...] s' occuper d' urgence des flux de réfugiés et déplacés que la crise régionale a provoqué, à travers la protection et l’assistance, spécialement dans les aspects de santé, éducation, travail et sécurité, ainsi qu' à faciliter son rapatriement, la réinstallation ou le rétablissement, pourvu qu' elle soit de caractère volontaire et indiquée de façon individuelle ». « Ils s’engagent aussi à gérer devant la Communauté Internationale l’aide pour les réfugiés et déplacés d' Amérique Centrale, tant en manière directe, au moyen de conventions bilatérales ou multilatérales, comme au moyen du Haut Commissariat des Nations 62 En octobre 1998, par exemple, un journal local du Royaume-Uni, le Dover Express, va jusqu’à qualifier les demandeurs du statut de réfugié de « détritus humains » (UNHCR 2000, p. 160). 63 Traduit par nous de : « [...] su preocupación por la situación que padecen las personas desplazadas dentro de su propio país. Al respecto, el Coloquio llama la atención de las autoridades nacionales y de los organismos internacionales competentes para que ofrezcan protección y asistencia a estas personas y contribuyan a aliviar la angustiosa situación en que muchas de ellas se encuentran ». 56 Unies pour les Réfugiés (HCR) et d' autres organismes et agences » (Acuerdo de Esquípulas II 1987, huitième conclusion).64 Également, lors de la CIREFCA (Conferencia Internacional sobre Refugiados Centro-americanos) convoquée par le HCR en 1989, il a été adopté une définition pour les déplacés internes. Les déplacés ont été signalés comme des personnes qui requièrent une assistance particulière de la communauté internationale, même si la responsabilité première de s' en occuper revient à l' État : « Depuis beaucoup de temps le problème des personnes déplacées préoccupe les pays de la région et la nécessité de leur donner protection et assistance est indiquée à plusieurs reprises. Bien qu' il n' existe pas une définition généralement admise, sont considérés comme déplacés toutes personnes ayant été obligées d' abandonner leur foyer ou activités économiques habituelles du fait que leur vie, leur sécurité ou leur liberté ont été menacées par la violence généralisée ou les conflits intérieurs, mais qui sont restées dans leurs pays. La nécessité de protection et d’assistance de ces personnes est quelquefois plus grande que celle des réfugiés qui ont abandonné leur pays » (CIREFCA 1989, article 67).65 La Conférence a souligné le besoin d’une aide humanitaire d’urgence auprès des déplacés, l’élaboration de programmes pour leur réintégration et la canalisation de ressources internationales pour secourir les victimes. 64 Traduit par nous de : « [...] a atender con sentido de urgencia los flujos de refugiados y desplazados que la crisis regional ha provocado, mediante protección y asistencia, especialmente en los aspectos de salud, educación, trabajo y seguridad, así como a facilitar su repatriación, reasentamiento o reubicación, siempre y cuando sea de carácter voluntario y se manifieste individualmente. También se comprometen a gestionar ante la Comunidad Internacional ayuda para los refugiados y desplazados centroamericanos, tanto en forma directa, mediante convenios bilaterales o multilaterales, como por medio del Alto Comisionado de las Naciones Unidas para los Refugiados (ACNUR) y otros organismos y agencias ». 65 Traduit par nous de : « Desde hace mucho tiempo el problema de las personas desplazadas preocupa a los países de la región y se ha señalado reiteradamente la necesidad de extenderles protección y asistencia. Aunque no existe una definición generalmente aceptada, se ha considerado desplazados a las personas que han sido obligadas a abandonar sus hogares o actividades económicas habituales debido a que su vida, seguridad o libertad han sido amenazadas por la violencia generalizada o el conflicto prevaleciente, pero que han permanecido dentro de sus países. Las necesidades de protección y asistencia de estas personas son algunas veces tan grandes o más que las de los refugiados que han abandonado el país ». 57 Par ailleurs, entre 1989 et 1995 le PRODERE (Programa de Desarrollo para Desplazados, Refugiados y Retornados en Centroamérica) a rassemblé diverses agences d' assistance dans le but de faciliter la réintégration des personnes déplacées dans la région. Il a ainsi réalisé des projets de développement, et il a soutenu la population déplacée dans leurs démarches pour l’obtention des documents et de l’assistance légale (Cohen et Sánchez 2001, p. 65). D' autre part, afin de coordonner des actions en faveur des déplacés internes, il a été créé en 1992 le CPDIA (Consulta Permanente para los Desplazados Internos en las Américas) par l' Institut Interaméricain des Droits de l’Homme. Elle est intégrée par des organismes de droits de l’homme et d’assistance humanitaire, agences intergouvernementales et ONG.66 Sa fonction consiste à servir de centre d' échange d' information sur le phénomène du déplacement, analyser les cas concrets dans les différents pays, faire des recommandations pour trouver des solutions, offrir de l' assistance technique aux gouvernements et aux organisations qui travaillent avec les déplacés, établir un cadre juridique et promouvoir le respect des droits de l’homme de la population déplacée. Le CPDIA a mené des études de terrain à ce sujet en Colombie et au Guatemala (OEA 1997, p. 5). D' autre part, en 1996 la Commission Interaméricaine de Droits de l’Homme de l' Organisation d' États Américains (OEA) a nommé un porte-parole des déplacés internes puisque elle s’est rendu compte de l' ampleur des déplacements dans la région latino-américaine, et de la nécessité d' élaborer des études pour comprendre le phénomène et offrir des solutions durables tant aux réfugiés comme aux groupes déplacés par la violence. L' objectif de ce porteparole est d' identifier les conditions particulières dans lesquelles se trouvent les populations déplacées, rendre propice le dialogue avec les gouvernements pour 66 Font partie du CPDIA le HCR, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le Fonds des Nations Unies pour l' Enfance (UNICEF), le Programme Mondial d' Aliments (PMA), l' Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), la Commission Interaméricaine de Droits de l’Homme et l' Institut Interaméricain de Droits de l’Homme. De même, organisations non gouvernementales comme le Conseil Mondial d' Églises (CMI) et le Groupe de Politiques sur les Réfugiés, experts indépendants et un observateur du Comité International de la Croix Rouge (CICR). 58 améliorer la situation et produire une plus grande collaboration avec les organisations internationales (OEA 1997, p. 4). À travers ces incitatives, Carthagène 1984, Esquípulas II 1987, CIREFCA 1989, PRODERE 1989-1995, CPDIA 1992 et OEA 1996, le phénomène du déplacement commence à devenir plus visible dans les pays de la région latinoaméricaine. Les deux premières font référence aux déplacés dans le cadre des réunions menées en faveur des réfugiés et dévoilent la similarité entre les uns et les autres, ainsi qu’une préoccupation pour le chiffre croissant des déplacements forcés dans la région. Dans le cas d’Esquípulas II et le PRODERE les déplacés et réfugiés sont traités comme une des graves conséquences du conflit dans la région, et leur assistance est vue comme un point fondamental dans le processus de paix de différents pays. Finalement, les efforts de la CPDIA et l’OEA traitent directement le déplacement comme un phénomène spécifique, ce qui donne une nouvelle approche pour traiter le problème, indépendamment des actions menées en faveur des réfugiés. 6. La construction de la catégorie de déplacés internes (desplazados internos) en Colombie : de la négation à la reconnaissance du phénomène Le développement du concept de déplacement forcé par la violence en Colombie est passé par plusieurs instances : d’abord, les premières recherches sur le sujet et la nécessité d’agir ; puis, la non-reconnaissance du déplacé comme sujet spécial de droit ; ensuite, la reconnaissance du phénomène en raison de sa visibilité croissante et finalement, sa caractérisation dans la politique publique (la Loi 387 de 1997 et l’appareil juridique qui l’a suivi). Nous allons parcourir chacune des ces étapes dans les sections suivantes. 6.1 Les premières recherches sur le phénomène : la nécessité d’agir Pendant la première moitié des années 1990, quatre documents considèrent le déplacement de population comme un phénomène strictement lié au conflit armé : a) le rapport du conseiller présidentiel pour la promotion, protection et défense de droits de l’homme de 1991, b) la recherche du CPDIA 59 (Consulta Permanente para los Desplazados Internos en las Américas) de 1992, c) le rapport du Secrétaire Général des Nations Unies de 1994, et d) l’étude de la Conférence Épiscopale Colombienne de 1995. Ces recherches dénoncent l’ampleur des migrations forcées dans le pays et la permanente vulnérabilité des droits de l’homme causée par celles-ci. Elles apparaissaient dans le contexte favorable de la promulgation de la Constitution de 1991, laquelle consacre les mécanismes processuels autonomes pour obtenir la protection de droits fondamentaux, et il existe une tendance à reconnaître des groupes différenciés dans la société (González 2002, p.15). Dans ce contexte, la communauté internationale et les organisations de défense des droits de l’homme commencent à parler du déplacement forcé par la violence, et à exercer des pressions pour la reconnaissance du phénomène au niveau étatique. L’intérêt partagé de ces organisations : « [...] va rendre propice l' utilisation de la catégorie internationale de déplacement interne comme mécanisme de pression sur l' État, dans le cadre interne, par la construction d' un fort lien entre le déplacement et le Droit International des Droits de l’Homme et le Droit International Humanitaire et ce des réfugiés. Les acteurs humanitaires voulaient introduire la catégorie internationale du déplacement interne pour nommer les migrations rurales - urbaines qui ont été étudiés depuis le milieu du XXe siècle en lui ajoutant des éléments conceptuels liés au conflit armé interne et l’évidence de violations graves des droits de l’homme » (Vidal 2005, p. 208).67 La première recherche est présentée en 1991 dans le rapport de Jorge Orlando Melo, conseiller présidentiel pour la promotion, la protection et la défense de droits de l’homme. Au travers de cas particuliers, cette recherche fait un premier diagnostic de la question et détermine trois types de déplacements : la mobilité temporelle en cas de combats entre guérillas et Forces Militaires ; le 67 Traduit par nous de : « [...] va a propiciar la utilización de la categoría internacional de desplazamiento interno como mecanismo de presión sobre el Estado, en el ámbito interno, mediante la construcción de un fuerte vínculo entre el desplazamiento y el Derecho Internacional de los Derechos Humanos y el Derecho Internacional Humanitario y de los refugiados. Los actores humanitarios apuntaban a introducir la categoría internacional de desplazamiento interno para nombrar las migraciones campo-ciudad que se habían estudiado desde mediados del siglo XX agregándole elementos conceptuales de vinculación con el conflicto armado interno y la evidencia de graves violaciones de los derechos humanos ». 60 déplacement d’ordre politique qui cherche à mobiliser les gens pour obtenir des concessions face à l’État ; et le déplacement permanent dû à la violence généralisée dans certaines zones (causé par les paramilitaires, les guérillas mais aussi par les Forces Militaires). La recherche demande une focalisation précise de ce dernier phénomène, la création d’entités pour aider les déplacés, et l’application de modèles d’assistance efficaces pour porter secours aux victimes.68 Plus tard, en 1992, le conseiller présidentiel de droits de l’homme sollicite l' Institut Américain de Droits de l’Homme pour réaliser une consultation sur le phénomène du déplacement en Colombie. Cette recherche est faite dans le cadre du CPDIA (Consulta Permanente para los Desplazados Internos en las Américas). Il ne nous a pas été possible d' accéder au rapport du fait de son caractère confidentiel et réservé. Néanmoins, nous constatons l’importance du rapport car il donne une définition spécifique aux déplacés qui est reprise par l’État colombien pour l’élaboration de la loi sur le déplacement (dont nous parlerons plus loin), et parce qu’il a été mentionné dans divers textes qui soulignent l’importance des recommandations que donne cette recherche en matière de protection et d’assistance aux personnes déplacés. Nous trouvons des références sur cette recherche dans les arrêts de la Cour Constitutionnelle, les rapports des Nations Unies relatifs aux déplacés en Colombie et sur divers textes des organismes appartenant au Système National d’Assistance Intégrale á la Population Déplacée par la Violence (SNAIPDV). En 1994, encore, sur demande du gouvernement colombien, le Secrétaire Général des Nations Unies visite la Colombie et présente un rapport sur les déplacés internes. Le rapport établit que la violence est la cause la plus profonde des déplacements dans le pays et fait une caractérisation des types de déplacements causés par celle-ci. Il signale les paysans, les indiens et les communautés noires comme les groupes de population les plus démunis parmi 68 Due à la difficulté de trouver la recherche originale, les informations sur l’étude ont été prises du texte de la conférence « Diagnóstico de la situación de desplazamiento en Colombia. Las causas y las características » présenté par le Conseilleur dans le Séminaire de 1991 « El desplazamiento interno en Colombia » (Comisión Intercongregacional de Justicia y Paz ; Instituto Latinoamericano de Servicios Legales Alternativos ; Instituto Interamericano de Derechos Humanos, 1991). 61 les déplacés. Après avoir présenté un diagnostic détaillé sur les causes et conséquences du déplacement en Colombie, la recherche suggère d’adopter une définition institutionnelle sur les personnes déplacées. Cette définition pourrait être utilisée de manière flexible et pourrait aider à distribuer de manière plus cohérente les responsabilités et le travail de différentes entités et aiderait en même temps à canaliser et à utiliser de manière plus efficace les ressources. Finalement, le rapport donne des recommandations à l’État colombien pour trouver des solutions et prêter une assistance urgente aux déplacés par la violence. En outre, il considère que la participation internationale est indispensable pour surveiller l' évolution et offrir des contributions au problème (ONU 1994). D’autre part, la Conférence Épiscopale Colombienne présente en 1995 son étude : Derechos Humanos : desplazados por la Violencia en Colombia. Cette étude remarque le besoin d’une connaissance scientifique du déplacement interne et décrit, à travers une recherche qualitative et quantitative, l’ampleur du phénomène en Colombie entre 1985 et 1994. Comme principale cause du déplacement, l’étude signale la violence politique due au conflit armé entre les guérillas et l’État. D’autre part la recherche mentionne quelques conséquences du déplacement, notamment au niveau socio-économique et psycho-social, et donne des recommandations pour la prévention, protection et assistance des déplacés internes par la violence dans le pays. Les quatre recherches mentionnées présentent un diagnostic de la situation de déplacement en Colombie et chacun à sa manière caractérise les différents types de déplacement présentés dans le pays, en accord avec les sources collectées. Malgré leurs divergences, tous indiquent comme point de départ pour l' action, la nécessité de donner une définition institutionnelle des déplacés afin de reconnaître et recenser les victimes de ce fléau. Les études insistent sur la nécessité de quantifier le phénomène, d’obtenir et d’attribuer les ressources humaines, institutionnelles et financières nécessaires pour faire face à la situation. 62 6.2 La non reconnaissance du statut juridique particulier des déplacés Malgré la pression exercée par la communauté internationale et l’Église Catholique colombienne depuis le début de la décennie des années 1990 pour la reconnaissance du phénomène du déplacement forcé et la forte dénonciation sur la violation des droits de l’homme et le droit international humanitaire causés par celui-ci, nous avons vécu une période de non reconnaissance du déplacé comme sujet de droits spéciaux. Pendant le gouvernement de César Gaviria (1990-1994) il y a eu une résistance à traiter les déplacés internes comme sujets spéciaux de politique publique. À cette époque le DNP (Departamento Nacional de Planeación)69 signalait : « Si on suivait une politique propre aux déplacés par la violence on focaliserait l' action gouvernementale sur l’objectif de réduire l' impact de ce phénomène sur cette population qui, produit des combats entre les forces sociales en conflit ou des menaces à caractère personnel, décide de migrer. Cependant, cette population est seulement une partie de celle qui subit l' impact de la violence. Il existe ceux qui décident de rester où ils habitent malgré les menaces contre leur vie dans ce qu' on pourrait appeler une « résistance civile ». La population objectif doit donc se définir, sur des critères de violence et non de migration » (Departamento Nacional de Planeación 1994, p. 2).70 Cette opposition est due aussi au refus de reconnaître le déplacement comme une pratique spécifique qui se développe dans les pays sans que le gouvernement agisse effectivement pour l’éviter et qui, en outre, comporte des 69 Depuis 1968, le DNP est l’organisme technique assesseur du Président de la République en matière de vison stratégique du pays dans les aspects sociaux, économiques et de l’environnement. Il est censé de faire le design, l’orientation et l’évaluation de la politique publique colombienne. En outre il est responsable de la gérance et de l’assignation de l’inversion publique et de la définition des cadres d’action du secteur privé. Site Internet : http://www.dnp.gov.co/ 70 Traduit par nous de : « Si se asume una política dirigida a los desplazados por la violencia se focalizaría la acción gubernamental a reducir el impacto de este fenómeno sobre aquella población que, producto del enfrentamiento entre las fuerzas sociales en conflicto o de las amenazas de carácter personal decide migrar. No obstante, ésa es sólo una parte de la población que sufre el impacto de la violencia. Están aquellos que deciden quedarse donde están asentados a pesar de las amenazas contra su vida en lo que podría denominarse una “resistencia civil”. La población objetivo debe definirse entonces, con base en criterios de violencia y no de migración ». 63 graves violations des droits de l’homme. Dans ce sens Emmanuel Dialma expliquait : « Sur le plan politique, les gouvernements refusent souvent de reconnaître la présence de populations déplacées sur leur territoire : en effet, celles-ci attestent de l’incapacité de l’État de protéger ses citoyens (voire de sa propension à les persécuter). Les États sont toujours réticents à renoncer à une quelconque partie de leur souveraineté, même s’ils sont aux prises avec des conflits internes susceptibles d’engendrer des crimes et d’affaiblir des assisses de l’État » (Dialma 2002, p. 132). Pour cette raison, les déplacés ont été traités pendant longtemps dans le vaste cadre de la population touchée par la violence. Avant la promulgation de la Loi 387 de 1997 et des documents CONPES71 de politique publique sur les déplacés (auxquels nous ferons référence plus loin) il y a eu quelques actions générales pour s' occuper des déplacés dans le cadre de la Convention DapreCroix Rouge, la Loi 104 de 1993 et à travers le Système National de Prévention et Assistance de Catastrophes.72 Ces instances définissent les déplacés comme des victimes de la violence et leur accordent certains bénéfices en matière d’aide humanitaire d’urgence, de santé, de logement, d’éducation et de crédit. Cependant, on n’accorde pas un caractère spécial à la population déplacée face aux autres populations affectées par la violence. 71 Les CONPES sont des documents qui donnent des directives pour l' élaboration de politiques publiques en rapport avec le développement économique et social du pays. Ils sont élaborés par le Conseil National de la Politique Économique et Sociale (CONPES) lequel a été créé en 1958. Le CONPES économique agit sous la direction du Président de la République et il est composé par les ministres de Relations Extérieures, Finances, Agriculture, Développement, Travail, Transport, Commerce Extérieur, Environnement et Culture, le Directeur du DNP (Departamento Nacional de Planeación), les directeurs de la Banque de la République et de la Fédération Nationale de Café, ainsi que le Directeur d' Affaires pour les Communautés Noires du Ministère de l' Intérieur et le Directeur pour l' Équité de la Femme. Le CONPES Social est dirigé par le Président de la République et composé par les ministres des Finances, Santé, Éducation, Travail, Agriculture, Transport, Développement, le Secrétaire Général de la Présidence et le Directeur du DNP. 72 Pour plus d’information voir document CONPES 2804 de 1995. 64 6.3 La reconnaissance du phénomène en raison de sa visibilité croissante (les chiffres) À l' époque connue comme « La Violencia » (1948-1964) de multiples migrations forcées se sont présentées en Colombie. Après l’assassinat de Jorge Eliécer Gaitán, candidat présidentiel du parti libéral en 1948, une « guerre civile » s’est déclanchée entre les partis Libéral et Conservateur, principaux partis politiques du pays. Cette violence a causé la mort de 180.000 personnes dans un pays qui comptait à l’époque treize millions d’habitants (PNUD 2003, p. 25). Plusieurs auteurs de disciplines diverses ont traité le phénomène (Oquist 1978 ; Fajardo 1979 ; Guzmán, Fals Borda et Umaña 1980 ; Meertens et Sánchez 1983 ; Sánchez et Peñaranda 1984 ; Comisión de Estudios sobre la Violencia 1987 ; Pécaut 1987 ; Molano 1999). Cependant, en raison de cette violence, peu nombreuses sont les estimations sur le nombre de personnes déplacées. L’historien Paul Oquist estime la migration forcée de 2.003.600 personnes (Oquist 1978, p. 324). Il s' avère très difficile de se documenter sur l' incidence de ces migrations et, à l’époque, il n' existait pas un développement juridique autour du déplacement. Il n' existait pas non plus un traitement spécial pour les déplacés ni une politique publique destinée à alléger les nécessités spécifiques de cette population. Or, même si nous observons qu' il y a eu des migrations forcées dues aux affrontements entre les libéraux et les conservateurs pendant l’époque de La Violencia l' importance du déplacement forcé en Colombie n’a été reconnue qu’à partir du développement des recherches des années 1990 mentionnées à la section 6.1 de cette partie, dans lesquelles le phénomène est rendu visible. Les raisons de ce manque de reconnaissance ont été signalées par différents auteurs. Pour Jorge Orlando Melo, Conseiller Présidentiel pour la promotion, la protection et la défense des droits de l’homme : « Le problème des déplacés est un problème que le gouvernement n' a pas vu pendant de nombreuses années [...]. L’attitude face au problème a été de fermer les yeux et de permettre simplement que, vu que la Colombie était un pays avec une longue tradition migratoire, tradition qui était aussi en bonne partie stimulée par 65 la violence il y a plus de quarante années, mais aussi stimulée par une autre série de phénomènes parallèles, comme la modernisation économique, l' urbanisation etc., on est arrivé à maintenir une confusion permanente entre les deux processus : le processus de migration par la violence et le processus de migration de type économique vers les villes » (Melo 1992, p. 121).73 Selon Francis Deng, Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies: « Il y a quelques années le gouvernement ne reconnaissait pas qu' il y avait un problème de déplacements internes dans le pays, soit parce qu' il était considéré comme une partie indissociable d' un processus de colonisation et migration interne, soit parce qu’il était vu comme une conséquence de la violence dont le gouvernement avait nié, à plusieurs reprises, être le responsable » (ONU 1994, p. 12).74 D’après la Conférence Épiscopale Colombienne : « Pour les deux derniers gouvernements, de leur point de vue, il ne leur convenait pas qu' on connaisse la quantité de déplacés provoqués par la guerre. Il était plus approprié pour eux, qu’on reste avec le paradigme légendaire de la Violencia des partis. De ce fait, on attribuerait la nouvelle violence uniquement au trafic de drogues ou aux guérillas communistes, qui ne se mélangerait pas aux forces armées officielles et aux paramilitaires reconnus comme tels. Ainsi on ne ferait pas scandale international sur un problème qui occupait suffisamment l’Amérique Centrale et qui aggraverait les dénonciations sur la violation des Droits de l’Homme que la Colombie avait dans tous les hauts tribunaux internationaux » (Conferencia Episcopal Colombiana 1995, p. 79).75 73 Traduit par nous de : « Este problema de los desplazados es un problema que el Gobierno durante muchos años no vio [...]. Es un problema en el cual hubo una actitud en cierta manera de cerrar los ojos y de permitir simplemente que, en vista de que Colombia era un país con una larga tradición migratoria, tradición que también estaba en buena parte estimulada por la violencia y que tiene más de cuarenta años, pero también estimulada por otra serie de fenómenos paralelos, como eran los de modernización económica, de urbanización etc., se llegó a mantener una confusión permanente entre los dos procesos : el proceso de migración por violencia y el proceso de migración de tipo económico a las ciudades ». 74 Traduit par nous de : « Hasta hace algunos años el Gobierno no reconocía que había un problema de desplazamientos internos en el país, sea porque se consideraba como una parte indisociable de un proceso de colonización y migración interna, sea porque lo veía como una consecuencia de la violencia de la que el Gobierno había negado reiteradamente ser responsable ». 75 Traduit par nous de : « A los dos últimos gobiernos, con toda razón desde su punto de vista, no les convenía que se supiera la cantidad de desplazados que estaba creando la guerra que vivía – y sigue viviendo- el país. Era más apropiado para ellos, que se 66 Le texte de Daniel Pécaut « La pérdida de los derechos, del significado de la experiencia y de la inserción social : a propósito de los desplazados en Colombia » dénonce la façon dont les gouvernants ne voulaient pas prendre conscience du problème des déplacés et voulaient nier l' ampleur du conflit. Pour lui, les déplacés émergent comme une nouvelle catégorie pour penser les phénomènes de violence en Colombie, « [...] la recrudescence des combats et les déplacements massifs de populations ne sont pas plus que deux faces d' une même situation » (Pécaut 1998, p. 2).76 Dû à ce manque de reconnaissance, les chiffres sur les déplacements forcés étaient approximatifs. La gestion de l’État pour la protection des victimes a été faite sur la dénomination générale d’appui aux personnes affectées par la violence, sans différencier les types de victimes de cette violence. Le rapport de Nations Unies de 1994 signale l’absence de chiffres d’État pour établir la magnitude du phénomène et présente pour l’époque une estimation de 300.000 personnes déplacées d’après les sources collectées parmi des organisations locales et internationales non gouvernementales (ONU 1994). Malgré la résistance du gouvernement à accorder une place spécifique aux déplacés dans la politique publique, c’est à partir de l’élaboration des documents mentionnés à la section 6.1 de cette partie, que le déplacement forcé, est devenu une affaire plus « visible » tant au niveau interne comme international et les chiffres de déplacés ont commencé à sonner l’alarme sur le phénomène. Pour analyser l’ampleur du déplacement forcé nous comptons actuellement sur plusieurs systèmes d’information. D’abord, les chiffres officiels sont gérés par la Red de Solidaridad Social à travers deux systèmes : continuara con el paradigma legendario de La Violencia de los partidos, se le atribuyera la nueva únicamente al narcotráfico o a las guerrillas comunistas, no se mezclara a las fuerzas armadas oficiales y a los aceptados paramilitares y no se hiciera escándalo internacional sobre un problema que ocupaba suficientemente Centroamérica y que agravaría las denuncias que sobre violación de los Derechos Humanos enfrentaba Colombia en todos los altos tribunales internacionales ». 76 Traduit par nous de : « [...] el recrudecimiento de los enfrentamientos y los desplazamientos masivos de poblaciones no son más que dos caras de una misma situación ». 67 a) Le Système Unique d’Enregistrement de la Population Déplacée (dorénavant SUR) 77 qui concerne les personnes qui ont registré leur situation auprès des organismes étatiques. Les données du registre sont prises à partir de 1995, dès la formulation du document CONPES 2804. b) Le Système d’Estimation du Déplacement Forcé par Contraste de Sources (dorénavant SEFC) mis en place dès l’année 2000 par les Unités Régionaux de la Red de Solidaridad Social, pour faire une estimation des personnes déplacées par le conflit, qui ont été ou non enregistrées. De même, il existe le Système d' Information sur la Population Déplacée par la Violence de l’Église Catholique (dorénavant RUT) géré au travers de son Unité de Mobilité Humaine de la Pastoral Social. L’Église a développé une stratégie de divulgation du déplacement interne en Colombie avec la publication de bulletins périodiques sur ce phénomène. C’est précisément l’Église, dans l’étude déjà mentionnée Derechos Humanos : desplazados por la violencia en Colombia, l’entité qui a donné les premiers chiffres sur le déplacement en Colombie. Elle a calculé un chiffre approximatif oscillant entre 544.801 et 627.720 personnes déplacées entre 1985 et 1994, ce qui représentait environ le 2% du total de la population à l’époque (Conferencia Episcopal Colombiana 1995, p. 107). Finalement, nous avons en Colombie le Système d’Information sur les Déplacements Forcés et les Droits de l’Homme (SISDHES), système mis en place par la CODHES (Consultoría para los Derechos Humanos y el Desplazamiento), ONG colombienne créée en 1992 pour réaliser des recherches sur les déplacements forcés dans le pays, suivre leur évolution, sensibiliser et rendre efficiente l’action face au phénomène. La CODHES fait ses calculs par la confrontation de différentes sources d' information. Elle se base sur l’information provenant de leur travail de terrain, mais aussi sur celle fournie par les médias, les organisations sociales, la Red de Solidaridad Social, le Ministère Public, les 77 Depuis la fin 2006 le SUR s' appelle SIPOD. Cependant pour plus de clarté, nous maintiendrons la référence au SUR, sigle utilisé par la plupart des documents consultés dans cette étude. 68 gouvernements locaux, les agences de Nations Unies, le Comité International de la Croix Rouge, la Pastoral Social et différents églises (PNUD 2005a, p. 2-3). Le SUR et le SISDHES s’avèrent être les deux systèmes les plus significatifs et les plus utilisés lorsqu’il s’agit de chiffres de déplacement forcé en Colombie. Les données du SUR sont le résultat d´une démarche institutionnelle et elles considèrent uniquement les personnes enregistrées, remplissant donc les caractéristiques définies par les normes. D’autre part, les chiffres apportés par le SISDHES cherchent à dénoncer l’ampleur du phénomène et à récolter toutes les situations de déplacements présentées, même s’ils ne sont pas dénoncés par les victimes. On dénote donc un intérêt politique dans la présentation des calculs de ces deux organismes : l’un représente l’État tandis que l’autre la société civile. Les débats sur ces chiffres sont bien connus en Colombie et la divergence des critères pour faire les calculs a été mise en évidence par plusieurs auteurs (Corte Constitucional 2000 ; Agier 2002 ; CODHES et UNICEF 2003 ; PNUD 2005a). Nous allons donc exposer une comparaison entre les estimations faites par ces deux systèmes. D’après le Système d’Information sur la Population Déplacée SISDHES de la CODHES, le numéro total de déplacés depuis l’année 1985 jusqu’au troisième trimestre de 2005, est de 3.663.287. Le SISDHES a présenté le chiffre des déplacés par année dans le graphique suivant : 69 CODHES- SISDHES Tendances du déplacement national de 1985 au troisième trimestre de 2005 Graphique N° 1 : Tendances du déplacement national de 1985 au troisième trimestre de 2005. Source : CODHES – SISDHES. Consultoría para los Derechos Humanos y el Desplazamiento. Publié le 25 octobre 2005. [réf. du 2005-12-01] Disponible sur Internet : http://www.CODHES.org/cifra/GraficoTendencias1985_2005.jpg Le SISDHES réalise des estimations sur une période de 20 ans, de 1985 à 2005. Elle souligne que l' année qui a présenté le moins de déplacement est 1985 avec une estimation de 27.000 personnes déplacées. Si nous comparons ce chiffre avec celui présenté pour l' année 2002 où le nombre de déplacés s' élève à 412.533 nous avons une variation énorme dans l' ampleur du phénomène entre la période la plus basse et la plus haute : le déplacement est multipliée par 15. Le chiffre cumulé des déplacés entre les années 1985 et 2004 est de 3.410.486, avec une moyenne de 170.524 personnes par an, cela signifie 467,1 personnes par jour, 19,4 par heure. Toutefois comme il a déjà été montré, peu de sources comptabilisaient les chiffres sur le déplacement pour la décennie 1980 et c’est à partir de l’année 1992 qui la CODHES commence ses activités spécifiques de recherche pour estimer cette population. Pour cela, entre 1985 et 1991 nous avons un total cumulé de 533.000 déplacés, avec une moyenne de 76.142 déplacés par an. Entre 1992 et 2004, période pendant laquelle les outils de récolte étaient plus 70 développés, nous avons un total cumulé de 2.877.486, avec une moyenne de 221.345 personnes déplacées par an. Cela signifie qu’au cours des treize dernières années, la Colombie a eu 606,4 déplacés par jour, 25, 2 par heure. C’est à partir de 1993 que le déplacement atteste d’une tendance croissante pour arriver à son maximum en 2002. En 2003, le chiffre retombe significativement de 412.533 à 207.607 déplacés, mais pendant l' année 2004, l' ampleur du déplacement croît à nouveau.78 En 2005 nous avons un chiffre partiel de 252.801 au premier trimestre de l' année. Ces données ont été comparées par l’OCHA avec les chiffres officiels donnés par le SUR dans le tableau suivant : Comparaison des données du déplacement entre le SUR et le SISDHES Totaux accumulés de déplacés internes par année Nouveaux déplacements Année SUR SISDHES Année SUR SISDHES 1985 27000 1985 27000 1986 36000 1986 63000 1987 59000 1987 122000 1988 105000 1988 227000 1989 119000 1989 346000 1990 77000 1990 423000 1991 110000 1991 533000 1992 64000 1992 597000 1993 45000 1993 642000 1994 43 78000 1994 43 720000 1995 251 89000 1995 294 809000 1996 2570 181000 1996 2864 990000 1997 11114 257000 1997 13978 1247000 1998 35309 308000 1998 49287 1555000 1999 29219 288127 1999 78506 1843127 78 En 2003, tandis qu' on a réduit le nombre de personnes déplacées intérieurement, l' exode de population colombienne à la recherche de protection et de sécurité à l’étranger a augmenté significativement. Si l’on regarde seulement les pays voisins, Équateur, Panama et Venezuela, approximativement 40.017 personnes ont franchi la frontière à cause de la guerre (CODHES 2004, p.1). 71 2000 331057 317375 2000 409563 2160502 2001 374726 342243 2001 784289 2502745 2002 423720 412553 2002 1208009 2915298 2003 219971 207607 2003 1427980 3122905 2004 159956 287581 2004 1587936 3410486 2005 97229 252801 2005 1685165 3663287 Total 1685165 3663287 Tableau N° 1 : Comparaison des données du déplacement entre le SUR (RSS) et le SISDHES (CODHES). Source : OCHA - Sala de Situación Humanitaria basé sur le SUR et le SISDHES (1985 à 30.09.05). [réf. du 2005-12-01] Disponible sur Internet : http://www.colombiassh.org/archivos/datos_des.php Nous avons réalisé les graphiques suivants afin de visualiser les données antérieures d’une façon plus claire : 450000 400000 Déplacés 350000 300000 250000 SUR 200000 SISDES 150000 100000 50000 20 05 20 03 20 01 19 99 19 97 19 95 19 93 19 91 19 89 19 87 19 85 0 Année Graphique N° 2 : Comparaison de données du déplacement entre le SISDHES (CODHES) et le SUR (RSS). 72 4000000 3500000 Déplacés 3000000 2500000 SUR 2000000 SISDES 1500000 1000000 500000 20 05 20 03 20 01 19 99 19 97 19 95 19 93 19 91 19 89 19 87 19 85 0 Année Graphique N° 3 : Comparaison de données accumulées du déplacement entre le SISDHES (CODHES) et le SUR. Entre les années 1985 et 1993 le tableau et le graphique soulignent le manque de données du SUR. Pour la période 1985-1994, le SISDHES signale un total cumulé des déplacés s’élevant à 720.000. Nous pouvons comparer ce chiffre avec celui donné par l’Église pour la même période dans l’étude déjà mentionnée Derechos Humanos : desplazados por la violencia en Colombia, qui a estimé qu’il y avait entre 544.801 et 627.720 personnes déplacées (Conferencia Episcopal Colombiana 1995). Pour le SISDHES, comme nous l’avons déjà montré, c’est à partir de 1993 que le déplacement présente une tendance croissante jusqu' à arriver à son maximum en 2002. Selon le SUR, le chiffre ne commence à monter qu’à partir de l’année 2000. Il faut souligner que c’est à partir de cette année que le SUR a commencé à affiner ses instruments de collecte. À partir de l’an 2000, la RSS a commencé à collecter de manière détaillée l' information des déplacements massifs. En outre, en avril 2001 elle a mis en oeuvre les procédures pour la mise à jour de la base de données et, au cours du mois de juin, elle a confié un processus de qualification nationale à des fonctionnaires du Ministère Public79 dans le but d' accélérer et d’unifier les critères 79 Le Ministère Public est un organisme de contrôle de l’État chargé de : la garde et la promotion des droits de l’homme, la protection de l' intérêt public et la surveillance de la conduite officielle des fonctionnaires publics. Il est composé par la Procuraduría, la 73 pour les procédures de prise de déclarations (RSS 2006, p. 2). Cette amélioration du système de collecte, explique alors l' accroissement remarquable dans le nombre de victimes de déplacement forcé à partir de l' année 2000. Entre les années 2000 et 2003 nous pouvons souligner des chiffres assez proches dans les deux systèmes d’information avec des variations entre 2,6 et 8,6 %, le chiffre du SUR restant toujours plus haut (malgré les désinformations qui signalent que ce chiffre est toujours moins élevée que celui de la CODHES). Cependant, pour l’année 2004 le chiffre du SUR présente 159.956 personnes déplacées tandis que le SISDHES en présente 287.581, ce qui marque une différence de 55,6%. Pour l’année 2005 nous trouvons un écart de 38,4% entre le chiffre du SUR de 97.229 et le chiffre du SISDHES de 252.801. Nous pouvons questionner les données quantitatives de ces institutions, et le problème de leur divergence, comme nous l’avons déjà mentionné, a été remarqué à plusieurs reprises. Cette divergence est due principalement à la différence des critères pour calculer les chiffres : dates de début et de fin du calcul, conceptualisation sur celui qui est ou non déplacé, cessation de la condition de déplacé, estimation ou non de déplacés qui ne déclarent pas leur situation, inclusion ou non dans les calculs des personnes qui se sont déplacées à cause de fumigations de cultures illicites, etc.80 Selon le HCR : « L’accès aux déplacés est aussi compliqué par le fait que les personnes déplacées internes ne se rassemblent pas toujours dans des camps ou des installations d’accès facile et peuvent même se disperser, pour ne pas être identifiées. Beaucoup se fondent dans les bidonvilles où, pour les atteindre, les programmes doivent s’adresser à l’ensemble de la communauté ; ils peuvent aussi se mêler aux autres populations touchées par la guerre. Ainsi, les résultats des recensements en ce qui les concerne peuvent être encore plus sujet à controverse que dans le cas des réfugiés » (UNHCR 2000, p. 214). Selon la Cour Constitutionnelle : Defensoría del Pueblo et les Personerías des districts et des municipios (Constitución Política Colombiana, article 118). 80 Pour des informations détaillées à cet égard, voir l' étude du PNUD 2005 « Las polémicas por las cifras de desplazamiento » In Hechos del Callejón. 74 « Il n' existe pas d' unanimité sur le nombre de déplacés dans le pays. Leur condition complique, dans une grande mesure, l' élaboration de statistiques confirmables, étant donnée leur crainte d’être remarqués de nouveau par les personnes qui leur ont induit avec violence à abandonner leurs domiciles. Toutefois, bien qu' il n' existe pas de certitude définitive sur ces données, ce qui est certain c’est que tous les chiffres rendent compte que le déplacement forcé constitue actuellement une tragédie nationale, qui affecte les destins d' innombrables colombiens et qui marquera le futur du pays pendant les prochaines décennies » (Corte Constitucional 2000, p. 33).81 En suivant la proposition de la Cour, ce qu’il faut remarquer, c’est l’ampleur de la catastrophe humanitaire que le problème acquiert à partir des années 1990. La communauté internationale et les organismes de défense de droits de l’homme ont exprimé la nécessité d’aborder de manière spéciale les déplacements comme une pratique qui affecte les droits fondamentaux à la vie, à l' intégrité, à la liberté individuelle et à la sécurité personnelle des personnes déplacées. Ils dénoncent le déplacement comme une pratique continue de transgressions à des normes du Droit International des Droits de l’Homme, au Droit International Humanitaire et à la Constitution Politique Colombienne. Par ailleurs, l’ampleur du phénomène au niveau international est mise en évidence par les chiffres de déplacement interne donnés par Francis Deng et Roberta Cohen pendant les années 1995 et 1996, selon lesquels le nombre de déplacés en Colombie remonte à 600.000, en remarquant que les chiffres montrés peuvent être plus hauts (Cohen et Deng 1998, p. 33). Le tableau suivant montre la liste des pays ayant le plus de déplacés dans le monde : Estimation du nombre des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays 1995 et 1996 Pays 1995 Pays 1996 Soudan 4.000.000 Soudan 4.000.000 Turquie 2.000.000 Turquie 500.000 - 2.000.000 81 Traduit par nous de : « No existe unanimidad acerca del número de desplazados en el país. La misma condición de los desplazados dificulta en gran medida la elaboración de estadísticas confiables, dado el temor de muchos de ellos de ser ubicados nuevamente por las personas que los indujeron con violencia a abandonar sus domicilios. Sin embargo, si bien no existe certeza definitiva acerca de estos datos, lo cierto es que todas las cifras dan cuenta de que el desplazamiento forzado constituye actualmente una tragedia nacional, que afecta los destinos de innumerables colombianos y que marcará el futuro del país durante las próximas décadas ». 75 Angola 1.500 .000 Afghanistan 1.200.000 Bosnie /Herzégovine Irak 1.300.000 Angola 1.200.000 1.000.000 Bosnie y Herzégovine 1.000.000 Liberia 1.000.000 Myanmar (Birmanie) 500.000 - 1.000.000 Sierra Leone 1.000.000 Liberia 1.000.000 Myanmar (Birmanie) 500.000 - 1.000.000 Irak 900.000 Sri Lanka 850.000 Sri Lanka 900.000 Azerbaïdjan 670.000 Sierra Leone 800.000 b 600.000 Colombie 600.000 Colombie Afghanistan 500.000 Azerbaïdjan 550.000 Mozambique 500.000 Afrique du Sud ª 500.000 Rwanda 500.000 Liban 450.000 Afrique du Sud ª 500.000 Pérou 420.000 Pérou 480.000 Burundi 400.000 Liban 400.000 Fédération Rusa 400.000 Burundi 300.000 Zaïre (Congo) 400.000 Somalie 300.000 Georgie 285.000 Syrie 300.000 Chypre 265.000 Georgie 280.000 Inde 250.000 Chypre 265.000 Somalie 250.000 Inde 250.000 Guatemala 200.000 Fédération Russe 250.000 Croatie 185.000 Croatie 240.000 Syrie 125.000 Zaïre (Congo) 225.000 Kenya 100.000 Kenya 210.000 Philippines 93.000 Guatemala 200.000 La Papouasie-Nouvelle Guinée 70.000 Ghana 150.000 Uganda b 70.000 Armenie 70.000 Armenie 5O.000 Philippines 60.000 Tadjikistan 50.000 Cambodge 55.000 Cambodge 32.000 Tadjikistan 17.000 Nigeria 30.000 Mali 10.000 Djibouti 25.000 Algérie n.d. Ghana 20.000 Nigeria n.d Algérie b 10.000 Ouganda n.d. Mozambique n.d. Ruanda n.d a. La majorité des africains du sud ont été déplacés en raison de la violence à Kwa-Zulu Natal. Le chiffre des déplacés pour ce pays n' inclut pas les millions de personnes noires qui n’ont pas des terres ni des logements adéquats en raison des politiques de l' apartheid. Beaucoup d’entre eux ont été intégrées dans d' autres secteurs et ils ne sont pas considérés comme déplacés. b. Les chiffres peuvent être beaucoup plus hautes. n.d. Non disponible Tableau N° 2 : Estimation du nombre des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays 1995 et 1996. Source: U.S. Committee for Refugees. World Refugee Survey, 1996 et 1997. Extrait du rapport du Cohen, Roberta ; Deng, Francis. 1998. Masses in flight : the global crisis of internal displacement. Washington : Brookings Institution Press. Disponible sur Internet : http://brookings.nap.edu/books/0815715110/html/1.html#pagetop 76 Dans le tableau, la Colombie est précédée par 10 pays dont 4 asiatiques (Irak, Myanmar, Sri Lanka et Azerbaïdjan), 4 africaines (Soudan, Angola, Liberia et Sierra Leone) et 2 pays européens (Turquie et Bosnie Herzégovine). Donc c’est le premier pays latino-américaine dans la liste, accompagné seulement par le Pérou et le Guatemala qui occupent les postes quinze et vingt-sept respectivement. « On constate qu’en Amérique, le cas colombien est le plus grave. Même si actuellement il existe des déplacements au Guatemala, Pérou et Mexique, la Colombie est le seul pays dans la région où les déplacés sont identifiés et aidés par des programmes spécifiques de la communauté internationale, notamment par les Nations Unies » (Norwegian Refugee Council 2006a, p. 56). Comme nous l’avons déjà montré, la situation en Colombie ne s’améliore pas dans les années qui suivent l’élaboration du tableau, et le chiffre des déplacés internes tend à monter. Pour l’année 1996 le chiffre cumulé de SISDHES présente 990.000 déplacés internes dans le pays, ce qui représente une augmentation significative par rapport au chiffre du Cohen et Deng. Si nous utilisons le chiffre de SISDHES la Colombie serait placée dans la huitième position au lieu de la onzième. Quatre années plus tard la situation est décrite par le HCR de la façon suivante : « Plus de la moitié des déplacés internes à travers le monde se trouvent en Afrique. Au seul Soudan, la guerre civile prolongée a déraciné 4 millions de personnes. En Angola, au Burundi, en République Démocratique du Congo, au Rwanda et en Sierra Leone, des conflits brutaux, voire des génocides, ont déplacé des foules. En Asie, on dénombre quelque 5 millions de déplacés internes, en particulier en Afghanistan, en Azerbaïdjan, en Indonésie, en Irak, au Myanmar et au Sri Lanka. En Europe, les conflits armés, comme ceux de l’ex-Yougoslavie, de Chypre, de Géorgie, de la Fédération de Russie et de Turquie, ont également déplacé 5 millions de personnes. Sur le continent américain, 2 millions de personnes environ sont déplacées internes, dont la majorité en Colombie » (UNHCR 2000, p. 214). Nous avons vu dans cette section comment les chiffres sont un enjeu crucial pour la reconnaissance du phénomène du déplacement en Colombie. Plusieurs systèmes d' information sont mis en marche pour pouvoir comptabiliser le phénomène dans le pays. L' État, l' Église, les ONG et les organismes internationaux font des estimations, lesquelles, malgré leurs divergences, dévoilent l' ampleur du problème. Les conséquences sociales, démographiques, 77 économiques, humanitaires et de toute sorte qui entraîne une si ample mobilité de la population pour des raisons de violence et la nécessité de mettre en marche une politique publique en faveur des déplacés sont évidentes. 6.4 La catégorisation du phénomène dans la politique publique : la Loi 387 de 1997 et l’appareil juridique qui l’a suivie Pendant le gouvernement d’Ernesto Samper (1994-1998), le déplacement interne par la violence fut vraiment reconnu au travers de l’élaboration de politiques explicites pour son contrôle. Selon Vidal « [...] la politique d' analyse sociale et la nécessité de gagner une plus grande légitimité au niveau international, ont constitué une conjoncture favorable pour la plus grande visibilité et la promotion de politiques du publiques sur les Droits de l’Homme » (Vidal 2005, p. 214).82 Le Président de la République, Ernesto Samper, a été accusé de recevoir financement du trafic de drogues pour mener à terme sa campagne présidentielle. Pour cette raison il y a eu une enquête contre lui connue comme la procédure 8000. Ainsi sa préoccupation maxime a été de gagner une plus grande légitimité internationale. Dans ce contexte, le Plan de Développement et des Investissements de 1995-1998 du président Samper a créé un programme national d' assistance intégrale à la population déplacée par la violence, lequel a été développé plus précisément par le document CONPES 2804 de 1995. Celui-ci est le premier document officiel qui indique et reconnaît le phénomène de déplacement forcé en Colombie, et qui structure une première politique d' assistance des besoins de cette population. Ce document a adopté une définition pour déplacé, qui est enfin consolidée par l' article 1 de la Loi 387 de 1997 (comme il sera vu plus loin). Plus tard, la structure et les compétences institutionnelles, les systèmes d' information et les sources de financement de la politique consignée dans ce document, sont mis à jour dans le CONPES 2924 de 1997. Ce document emporte la création d’un Système National d' Assistance Intégrale à la Population Déplacée par la Violence, qui sera constitué par les organismes publics et privés de l' ordre 82 Traduit par nous de : « [...] la política de enfoque social y la necesidad de ganar mayor legitimidad a nivel internacional, constituyeron una coyuntura favorable para la mayor visibilidad y la promoción de las políticas públicas sobre Derechos Humanos ». 78 national et territorial qu' effectuent des plans, programmes, projets et actions spécifiques d' assistance à la population déplacée. Plus tard, en juillet 1997, la Loi 387 a été promulguée. Elle consigne la responsabilité de l' État dans la formulation des politiques et l' adoption des mesures pour la prévention du déplacement, l' assistance, la protection, la consolidation et la stabilisation socio-économique des déplacés internes par la violence. Cette loi reprend la définition des déplacés donnée par le CPDIA (Consulta Permanente para los Desplazados Internos en las Américas) dans la recherche de 1992, que nous avons mentionnée dans la section 6.1 de cette partie. La loi définit le déplacé comme : « Toute personne qui a été forcée à migrer dans le territoire national abandonnant sa localité de résidence et ses activités économiques habituelles parce que sa vie, son intégrité ou liberté personnelle ont été atteints ou sont directement menacés dans le cas des situations de conflits armés internes, désordres ou tensions intérieures, violence généralisée, violations massives des droits de l’homme, infractions au droit international humanitaire ou autres cas tels que ceux précités, qui peuvent altérer ou altèrent drastiquement l’ordre public » (Congreso de la República, Ley 387 de 1997, article 1).83 À la différence des Principes Directeurs des Nations Unies, la loi colombienne exclut de la définition de déplacé les personnes qui se sont déplacés à cause de catastrophes naturelles. La Croix Rouge Internationale dans ses commentaires généraux et préalables au projet de loi sur le déplacement forcé en Colombie, a remarqué qu’il était nécessaire d’inclure, dans la définition de déplacés, les personnes déplacées à cause de catastrophes naturelles (CICR s.d. (c), p. 10). Néanmoins, le congrès a décidé de faire une séparation entre les uns et les autres, mais a suivi dans l’élaboration de la loi les Principes Directeurs des Nations Unies eu égard à l’aide humanitaire, le retour, 83 Traduit par nous de : « Es desplazado toda persona que se ha visto forzada a migrar dentro del territorio nacional abandonando su localidad de residencia o actividades económicas habituales, porque su vida, su integridad física, su seguridad o libertad personales han sido vulneradas o se encuentran directamente amenazadas, con ocasión de cualquiera de las siguientes situaciones : conflicto armado interno, disturbios y tensiones interiores, violencia generalizada, violaciones masivas de los Derechos Humanos, infracciones al Derecho Internacional Humanitario u otras circunstancias emanadas de las situaciones anteriores que puedan alterar o alteren drásticamente el orden público ». 79 la réintégration et la réinstallation. Le texte de la loi établit que le Système National d' Assistance Intégrale à la Population Déplacée par la Violence (SNAIPDV) est constitué par les organismes publics, privés et communautaires qui effectuent des actions spécifiques pour s' occuper de la population déplacée. Les objectifs principaux du SNAIPDV sont : aider la population déplacée par la violence à se réincorporer à la société colombienne, promouvoir et protéger les droits de l’homme et le droit international humanitaire dans des zones d‘expulsion et de réception de population déplacée, et garantir les ressources pour la prévention et l' assistance des situations du déplacement forcé. Pour appuyer les fonctions du SNAIPDV, des commissions municipales, de districts et de départements ont été créées, ainsi que le réseau national d' information pour l' assistance à la population déplacée par la violence. Pour fortifier ce réseau, la loi établit la création de l' Observatoire du Déplacement Interne par la Violence et la désignation de plusieurs points d' information locaux dans les municipios 84 touchés par le déplacement. Dans le second chapitre, le texte de loi établit le Plan National pour l' Assistance Intégrale à la Population Déplacée par la Violence. Les principaux objectifs de ce plan sont : l' élaboration de diagnostics sur les causes et les acteurs qui produisent les déplacements forcés, l' élaboration de diagnostics sur les victimes de ces situations et sur la condition des zones de réception et les conséquences sociales, économiques, juridiques et politiques que cela produit. Le Plan doit adopter les mesures et actions suivantes : mesures de prévention et de dépassement du déplacement ; mesures d' aide humanitaire d' urgence ; mesures d' adaptation aux nouvelles situations auxquelles est soumise la population déplacée ; offrir de l' assistance légale et juridique à la population déplacée ; restituer les droits refusés et la défense des biens touchés ; adopter 84 Selon la Constitution de 1991, le territoire colombien est subdivisé en trois échelons : la Nation, les départements (32 plus celui de Bogotá) et les municipios (1098). Chaque « ville » (dans cette étude tout chef lieu dont la population est supérieure à 15.000 habitants) est subdivisée en comunas ou localités, lesquelles sont subdivisées en quartiers. Pour des effets de clarté du texte, nous maintiendrons les mots municipio et comuna en espagnol, pour éviter la traduction au français qui peut engendrer des confusions avec le sens de ces mots en France. 80 des mesures pour l' accès à des programmes de développement urbain et rural et de celles qui permettront le retour volontaire des déplacés à leurs zones d' origine ou leur réinstallation dans de nouveaux lieux d’établissement ; offrir une assistance spéciale aux femmes et aux enfants, ainsi qu' aux communautés noires et indigènes. Les phases d' intervention pour l' assistance à la population déplacée établies par la loi sont : la prévention, l' aide humanitaire d' urgence, le retour, la consolidation, la stabilisation socio-économique et la protection. Pour le financement ou le cofinancement de ces phases et pour l' installation et l' opération du réseau national d' information, le Fond National pour l' Assistance Intégrale à la Population Déplacée par la Violence a été créé. Après la formulation de la loi, d’autres instruments normatifs ont été élaborés comme le Décret 173 de 1998, qui adopte le Plan National pour l' Assistance de la Population Déplacée par la Violence afin d' articuler l' action gouvernementale en matière de prévention du déplacement, d' aide humanitaire d' urgence, de consolidation et de stabilisation socio-économique en vue du retour volontaire ou de la réinstallation des déplacés. De même, il détermine les organismes responsables dans les différentes stratégies d' intervention dans le cadre de la Loi 387 de 1997. Un autre document de politique publique faisant partie de la stratégie de développement social de la Colombie était le CONPES 3057 de 1999, lequel propose un plan d' action pour améliorer les mécanismes et les instruments pour la prévention, la protection, l' aide humanitaire, le retour, la réinstallation et la stabilisation socio-économique de la population déplacée par la violence. En l’an 2000 l’arrêt SU-1150 de la Cour Constitutionnelle a rendu visibles les faiblesses du système d' assistance à la population déplacée et a exigé la réglementation de la Loi 387 de 1997. De ce fait, au mois de décembre le Décret 2569 de 2000 est adopté pour réglementer partiellement cette loi. Le décret a réglementé ce qui est relatif au Système Unique d’Enregistrement de la Population Déplacée (SUR) et on attribue sa gérance à la Red de Solidaridad Social.85 Il règlemente les étapes pour l’obtention de la condition de déplacé, et 85 La Red de Solidaridad Social (RSS), créée originellement pour l’assistance des 81 les modalités d' inscription dans le registre. Il établit, de même, les effets et les délais des procédures d’inscription, déclaration, évaluation et exclusion du registre. De plus, le décret définit les caractéristiques d' un déplacement massif, et détermine quand cessera la condition de déplacé. Le décret limite l' accomplissement des obligations des institutions chargées de donner des réponses au déplacement forcé en établissant que ces obligations dépendent de la disponibilité des ressources. En effet, l' inscription dans le registre était déjà incluse dans l' article 32 de la Loi 387 de 1997, toutefois, le Décret 2569 se consacre à traiter ce sujet et conditionne les aides prêtées au fait de s' être inscrit dans le Système Unique de Enregistrement de la Population Déplacée (SUR). L’article 32 de la Loi 387 précise : « ( ...) auront le droit de recevoir les bénéfices consacrés dans la présente loi, les personnes colombiennes qui se trouvent dans les circonstances prévues dans l' article 1° de cette loi et qui remplissent les conditions suivantes : Qu' ils aient déclaré ces faits devant la Procuraduría General de la Nación, la Defensoría del Pueblo, les Personerías Municipales et Distritales, ou toute instance judiciaire selon la procédure de réception de chaque organisme, et Qu' en outre, ils remettent pour leur inscription, la copie de la déclaration des faits traités dans le numéral précédent à la Direction Générale Administrative Spéciale pour les Droits de l’Homme du Ministère de l' Intérieur, ou au bureau que cet organisme désigne au niveau départemental, du district ou municipal » (Congreso de la República, Ley 387 de 1997, article 32).86 populations les plus démunies dans un sens large, est devenue l’institution principale d’assistance aux déplacés. Actuellement, plusieurs instruments établissent sa responsabilité en matière de déplacement. Les plus remarquables sont le Décret 489 de 1999 lequel la nomme comme l’organisme coordinateur du SNAIPDV, le Décret 1547 de 1999 qui a transféré le Fond National d' Assistance à la Population Déplacée du Ministère de l' Intérieur au RSS et la résolution 02045 de 2000 dans laquelle le Ministère de l' Intérieur délègue au RSS l' inscription de la population déplacée dans le SUR. 86 Traduit par nous de : « [...] tendrán derecho a recibir los beneficios consagrados en la presente ley, las personas colombianas que se encuentren en las circunstancias previstas en el artículo 1º de esta ley y que cumplan los siguientes requisitos: 1. Que hayan declarado esos hechos ante la Procuraduría General de la Nación, la Defensoría del Pueblo, las Personerías Municipales o Distritales, o cualquier despacho judicial de acuerdo con el procedimiento de recepción de cada entidad. Que además, remitan para su inscripción copia de la declaración de los hechos de que trata el numeral anterior a la Dirección General Unidad Administrativa Especial para los Derechos Humanos del 82 De cette manière, afin d' accéder aux bénéfices consacrés dans la Loi 387 de 1997, les personnes en situation de déplacement doivent effectuer une déclaration sur les faits qui ont provoqué leur fuite et les conditions de vie qu' ils avaient avant du déplacement. La déclaration est orientée vers l' inclusion de la personne dans le Système Unique d’Enregistrement de la Population Déplacée (SUR) pour qu’elle puisse accéder aux bénéfices et aux programmes d’assistance et de rétablissement à charge de l’État. La déclaration doit être faite dans les bureaux du Ministère Public ou dans toute instance judiciaire. Ces organismes ont l' obligation de remettre une copie de ces déclarations aux unités locales de la Red de Solidaridad Social pour l' évaluation de la déclaration et l' inscription dans le SUR. Ces unités disposent de 15 jours pour effectuer l' évaluation de la déclaration et par conséquent pour décider si la personne ou le foyer en question peut s’inscrire dans le SUR. L' inscription dans le registre, ne sera pas effectuée dans les cas suivants : Quand la déclaration est contraire à la vérité. Quand il existe des raisons objectives et fondées pour conclure qu’à partir de cette déclaration on ne déduit pas l' existence des circonstances de fait prévues dans l' article 1º de la Loi 387 de 1997. Quand la personne sollicite l' inscription sur le registre une année après que soient survenues les circonstances décrites dans l' article 1º de la Loi 387 de 1997 (Ministerio del Interior, Decreto 2569 de 2000, article 11). Ce refus peut être contesté en présentant un pourvoi dans les cinq jours suivants la notification de la non-inclusion. Ce recours donne à la personne intéressée la possibilité de présenter une information plus complète sur les faits qui ont provoqué le déplacement. Une personne sera exclue du registre quand : On établit que les faits déclarés ne sont pas certains. Ministerio del Interior, o a la oficina que esta entidad designe a nivel departamental, distrital o municipal ». 83 Quand selon l' organisme qui a reçu l' inscription, on observe le manque de coopération du déplacé pour faire parti des programmes et des actions étatiques pour améliorer sa situation dans les différentes étapes de rétablissement, consolidation et stabilisation. Cessation de la condition de déplacée (Ministerio del Interior, Decreto 2569 de 2000, article 14). À son tour la condition de déplacé cesse par : Le retour, le rétablissement ou la réinstallation de la personne déplacée qui lui permet d' accéder à une activité économique dans son lieu d' origine ou dans les zones de réinstallation. L’exclusion du registre par les causes prévues dans l' article 14 du Décret 2569 de 2000. La demande dans ce sens par celui concerné (Ministerio del Interior, Decreto 2569 de 2000, article 3). Nous avons vu dans cette section comment la catégorie de déplacé a évolué à partir de l’élaboration de mécanismes juridiques. L’appareil normatif construit autour de déplacés est énorme. Néanmoins, la seule normativité ne garantie pas le bon déroulement des actions du système d’assistance aux déplacés. Nous pouvons citer quelques exemples témoignant de l’inefficacité du système : l’organe en charge de la formulation de la politique pour les déplacés et de l’assignation budgétaire des différents programmes n’a pas organisé de réunions au cours des onze premiers mois du premier gouvernement d’Álvaro Uribe Vélez (2002-2006), le comité opérationnel national de prévention créé par le conseil du SNAIPDV n' a jamais été convoqué, et la faiblesse des comités locaux d’assistance à la population déplacée est remarquable. (Corte Constitucional 2004, p. 317-337 et PNUD 2003, p. 223). Une autre façon de souligner la faiblesse du système est à travers les pourcentages d' assistance aux déplacés présentés par la RSS. Entre janvier 1999 et juin 2002 la RSS a calculé une couverture de 43% sur la demande en aide humanitaire d' urgence, 19.5% en stabilisation socio-économique et de seulement 3.7% dans la demande de logement (UNHCR 2002, p. 17). En outre, comme il a été remarqué par le PNUD, les frontières de la responsabilité du système d’assistance sont diffuses. Cette responsabilité 84 s’efface, selon la loi, quand le déplacé acquiert la satisfaction de ses nécessités de base en logement, santé, alimentation, éducation ; c’est-à-dire, quand il acquiert la stabilisation socio-économique. Autrement dit, quand le déplacé sort de la pauvreté. Ceci implique que la lutte contre les effets du déplacement plongent dans un univers plus vaste : la lutte contre la pauvreté. De cette façon, les politiques publiques pour les déplacés perdent cohérence et l’assistance au déplacement devient inabordable (PNUD 2003, p. 223). D’autre part, bien que les autorités considèrent le déplacement comme une question de facto, les déplacés peuvent seulement accéder aux programmes d' assistance à partir de leur inscription dans le registre, et doivent fournir beaucoup de documents pour être considérés comme déplacés et pour faire valoir leurs droits. À plusieurs reprises la Defensoría del Pueblo a dû signaler que la déclaration et le registre ne sont pas un obstacle pour exercer le droit de solliciter et de recevoir l’assistance humanitaire. Elle a désigné le registre comme un outil technique non constitutif de la condition de déplacé (Defensoría del Pueblo 2003a, p. 15). Toutefois, l' expérience indique que le registre est une formalité qui doit être remplie pour accéder aux aides et dans cette mesure, toute personne est un déplacé s' il répond aux critères figurant dans la définition du déplacé énoncée dans les instruments juridiques. Ainsi, elle doit fournir une déclaration pour pouvoir avoir accès aux aides (c’est-à-dire aux droits). Pour cette raison la déclaration et l’effective inclusion dans le registre dans le cadre de l’article 32 de la Loi 387 et de son décret réglementaire, deviennent des nécessités intrinsèques, autant pour les déplacés que pour les institutions et organismes qui s’en occupent. Les autorités à charge de différents programmes demandent aux déplacés ces formalités pour pouvoir agir légalement, et en faisant cela, restreignent les droits des déplacés à l’existence de certains documents. Comme l’expliquaient Fassin, Morice et Quiminal (pour le cas des étrangers en France) dans leurs conclusions du livre Les lois de l’inhospitalité : les politiques de l’immigration à l’épreuve de sans papiers, la loi est un enjeu crucial pour assurer des conditions d’existence normales aux étrangers, mais elle a aussi le pouvoir de les rendre plus vulnérables (Fassin, Morice et Quiminal 1997). Dans le cas de déplacés colombiens, la loi est devenue l’instrument 85 principal pour assurer leur place comme les personnes les plus affectées par le conflit armé, et de ce fait garantir une assistance préférentielle par l’État. Toutefois, c’est la loi qui définit les critères de distinction entre ceux qui sont ou non déplacés, et pourtant elle désigne ceux qui ont accès aux bénéfices et les types de bénéfices auxquels ils ont droit. De ce fait, la loi peut contribuer à la fragilisation des déplacés qui ne remplissent pas les conditions d’enregistrement, étant donné qu’ils restent au dehors du système d’assistance mis en marche par l’État. D’un autre côté, pour ceux qui sont catégorisés comme déplacés par la loi, celle-ci démarque clairement leurs droits de telle sorte qu' ils aient accès aux bénéfices prévus par la loi mais pas à ceux qui sortent de ces limites et qui peuvent en revanche, être signalés dans la constitution colombienne. Nous avons vu dans cette section comment à travers l’élaboration des instruments juridiques on a défini en Colombie le déplacé comme toute personne qui a été forcée à migrer dans le territoire national parce que sa vie, son intégrité ou sa liberté personnelle ont été atteints ou menacés dans le cas des situations de conflits armés internes et de violence généralisée. La Colombie a crée un énorme appareil étatique pour répondre à cette problématique et le dispositif juridique définissant le statut des déplacés est adopté non seulement par les responsables de la mise en place des politiques publiques mais par les déplacés eux-mêmes. Selon les conclusions d’un groupe d' anthropologues du Musée National de la Colombie, la Loi 387 de 1997 se transforme en objet de culte et de respect pour les déplacés. Ils l’ont utilisé non seulement à des fins institutionnelles pour lesquelles elle a été conçue, mais aussi pour la résolution de conflits dans les communautés où les déplacés s’installent (ICANH – Museo Nacional de Colombia 2003, p. 5). De même, dans les actions de tutelle formées par les déplacés, il y apparaît souvent la prétention de reconnaissance de leur condition de déplacés, ainsi que l' octroi de bénéfices associés à cette condition. De ce fait, nous voyons comment les lois dépassent les effets purement administratifs et juridiques, et sont remplies de contenu social et symbolique. Mais la Loi 387 de 1997 n’est pas seulement connue et utilisée par les déplacés. Certains personnes qui connaissent les étapes que doivent franchir les déplacés pour accéder aux aides étatiques, se font passer comme telles, et remplissent, « en toute légalité », toutes les demandes bureaucratiques. De ce 86 fait, le système se fragilise puisqu’il interdit parfois d’accéder aux aides ceux qui le méritent, et en même temps il donne accès aux aides à ceux qui n’ont pas été déplacés. Comme dans le cas de réfugiés, cette situation engendre une double façon de percevoir le déplacé. D’une part, comme la personne affectée gravement par la guerre qui à droit à une certaine aide, mais aussi comme celui qui en profitant de la connaissance du système, veut accéder aux aides qui ne sont pas conçues pour lui. De nombreuses questions se posent sur la nécessité de délivrer des aides aux autres catégories de migrants et populations en danger et non seulement aux déplacés. On observe dans le pays l’existence d’autres personnes qui, étant affectées par des situations sociales et économiques et de violence, se trouvent dans une situation de misère similaire à celle des déplacés. Actuellement l’État colombien dispose de programmes spécialisés pour les familles des personnes portées disparues, les familles des personnes kidnappées, les personnes menacées et les victimes des attentats terroristes. Néanmoins, certains programmes sont très faibles dans leurs différentes étapes d’assistance et de prévention, et d’autres n’ont pas assez de financement, ce qui peut les rendre dérisoires. En outre, il y a des victimes de la violence qui ne reçoivent aucune aide étatique. Par exemple, les familles des personnes mortes hors combats, les torturés, les communautés bloquées par les acteurs armés, pour n’en citer que quelques uns (PNUD 2003, p. 225). L’étude du PNUD 2003 traite le sujet et donne des raisons pour expliquer les décisions de l’État par rapport à la façon de gérer les différents programmes et d’en créer ou non de nouveaux pour d’autres types de population. Nous ne traiterons pas ce sujet ici parce qu’il dépasse les limites de cette thèse, mais nous tenions à souligner cette réflexion.87 87 Voir le livre du PNUD El conflicto callejón con salida : informe nacional de desarrollo humano para Colombia de 2003, chapitre 9. 87 7. Le type de déplacés du point de vue juridique : vulnérables entre les vulnérables La Constitution Colombienne de 1991 prévoit des traitements différentiels pour certains groupes de population tels que les femmes chef de famille, les mineurs, les minorités ethniques et les personnes du troisième âge. Entre les déplacés, il existe aussi des traitements différentiels pour certains groupes. Selon la Loi 387 de 1997 et le Décret 2569 de 2000, le premier groupe de déplacés avec des prérogatives spéciales est celui qui peut bénéficier d’une aide humanitaire d’urgence pour une période supérieure de trois mois. L’aide humanitaire d' urgence est l' aide temporaire et immédiate donnée aux déplacés afin de répondre à leurs nécessités de base en matière d’alimentation, de santé, d' assistance psychologique, de logement et de transport d' urgence. D’après l’article 15 de la Loi 387, l’aide humanitaire d’urgence est donnée pendant les trois mois qui suivent l’inclusion dans le SUR et peut à la limite se prolonger maximum à six mois.88 Cette prolongation, selon l’article 20 du Décret 2569 de 2000 est accordée aux foyers qui sont enregistrés dans le SUR et dans lesquels : a) une personne du foyer a une invalidité physique ou mentale, b) une personne a une maladie terminale, c) le chef de famille est âgé de plus de 65 ans, et d) le foyer traverse une situation grave qui doit être déterminée par la Red de Solidaridad Social comme similaire aux autres caractéristiques annotées. De même, entre les objectifs du Plan National d’Assistance à la Population Déplacée par la Violence, la notion d’un traitement spécial de certains groupes de population a toujours existé. Dans le Plan approuvé par le Décret 173 de 1998 il était prévu dans les articles 1-6 et 1-8 : « (d’) Offrir une assistance spéciale aux femmes et aux enfants, préférentiellement aux veufs, femmes chefs de famille et orphelins ». 88 Le CICR a remarqué que les trois mois pour l’assistance humanitaire ne sont pas suffisants pour l’assistance scolaire et psychologique, l’assainissement environnemental des zones réceptrices, le développement des programmes de santé occupationnel et des programmes spéciaux pour enfants, personnes âgées, mère chef de famille, femmes enceintes et personnes handicapées (CICR s.d. (c), p. 12). 88 « Garantir une assistance spéciale aux communautés noires et indigènes soumises au déplacement qui corresponde avec leurs moeurs et coutumes, et qui rende propice le retour sur leur territoire » (Ministerio del Interior, Decreto 173 de 1998, articles 1.6 et 1.8).89 Ainsi, les préceptes qui guident le nouveau Plan National approuvé par le Décret 250 de 2005, ont toujours pour principe la caractérisation de la population face à leur sexe, âge, ethnie et invalidité et toutes les actions doivent être faites en accord avec cette analyse démographique. « Analyse différentielle : pour la formulation et le développement des activités qui opèrent le présent Plan, on tiendra compte des caractéristiques de la population et groupes insérés dans l' assistance, en termes de sexe, âge et ethnie, ainsi que leurs patrons socioculturels. Ce qui permettra de reconnaître et de promouvoir des offres institutionnelles conformes aux intérêts de développement des groupes et individus touchés » (Ministerio del Interior y de Justicia 2005, p. 2).90 Aussi pour le SUR, la caractérisation des personnes déplacées est plus détaillée à partir du 1er avril 2004, et permet de déterminer les conditions spéciales de vulnérabilité (incapacité, chef de famille, troisième âge, condition ethnique, condition socio-économique, etc.) (Corte Constitucional 2004, p. 370). Pour sa part la Cour Constitutionnelle s’est prononcée à propos des catégories de déplacés dans quelques arrêts, notamment dans les arrêts T-098 de 2002, T-602 de 2003 et T-025 de 2004. Dans l’arrêt T-098 de 2002 la Cour mentionne les conditions pour établir une discrimination positive des déplacés, notamment quand il s’agit de minorités ethniques. L’arrêt s’intéresse aux Principes Directeurs des Nations Unies selon lesquels : 89 Traduit par nous de : « 1.6 Brindar atención especial a las mujeres y niños, preferencialmente a las viudas, mujeres cabeza de familia y huérfanos. 1.8 Garantizar atención especial a las comunidades negras e indígenas sometidas al desplazamiento en correspondencia con sus usos y costumbres, y propiciando el retorno a sus territorios ». 90 Traduit par nous de : « Enfoque diferencial : para la formulación y desarrollo de las actividades que operan el presente Plan, se tendrán en consideración las características de la población sujeto o grupos involucrados en la atención, en términos de género, edad y etnia, así como sus patrones socioculturales. Lo anterior permitirá reconocer y promover ofertas institucionales acordes a los intereses de desarrollo de los grupos e individuos afectados ». 89 « Les États ont l' obligation particulière de protéger contre le déplacement les populations indigènes, les minorités, les paysans, les éleveurs et autres groupes qui ont vis-à-vis de leurs terres un lien de dépendance et un attachement particuliers » (Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes a l' intérieur de leur propre pays 1988, principe 9). Dans le deuxième arrêt, le T-602 de 2003, la Cour estime que la réponse étatique doit tenir compte de l' assistance différentielle accordée aux minorités ethniques (groupes qui ont été traditionnellement marginalisés) puisque la Colombie est un pays pluriethnique et multiculturel et bonne partie de la population déplacée appartient aux différents groupes ethniques, avec un haut pourcentage de femmes chef de famille, enfants, personnes âgées et dans quelques cas personnes handicapées. Finalement, l’arrêt T-205 de 2004 précise qu’il existe deux types de personnes déplacées : (a) ceux qui sont en situation d' urgence extraordinaire, et (b) ceux qui ne sont pas dans la position d' assumer leur soutien à travers un projet de stabilisation ou de rétablissement socio-économique. C' est-à-dire les enfants seuls, les personnes du troisième âge sans capacité de produire des revenus, les femmes chef de famille qui doivent consacrer tout leur temps et efforts à veiller sur des enfants ou adultes sous leur responsabilité (Corte Constitucional 2004, p. 77). Malgré la mention spécifique sur le traitement spécial de certains groupes entre les déplacés exprimée dans la loi, dans les plans et dans les arrêts de la Cour Constitutionnelle, ces mesures n' ont pas été réglementées, et les programmes spéciaux dans la politique institutionnelle sont actuellement précaires ou même inexistants. Il y a eu beaucoup de résistance entre les institutions publiques à la création de programmes spécifiques pour les différents types de déplacés, étant donnée l’inexistence de ressources et le manque de préparation des institutions et fonctionnaires publics pour leur mis en marche. 8. La catégorie de déplacés d’après la Cour Constitutionnelle : la polémique au sein des pouvoirs publics Dans cette section nous nous occuperons de l’évolution de la catégorie 90 des déplacés d’après la Cour Constitutionnelle Colombienne.91 Cette Cour a développé une ample jurisprudence sur le sujet du déplacement forcé par la violence en Colombie, y compris le sujet du déplacement intra-urbain dans l’arrêt T-268 de 2003. Les fonctions de gardien de la Constitution étaient auparavant exercées par la Chambre Constitutionnelle de la Cour Suprême de Justice, jusqu' à la promulgation de la Constitution de 1991. La nouvelle constitution a créé la Cour Constitutionnelle comme tribunal spécialisé pour veiller à la suprématie et à l' intégrité de la Constitution. Inscrite dans la structure de la branche judiciaire du pouvoir public, elle a commencé à exercer ses fonctions le 17 février 1992. La Cour est actuellement composée de neuf magistrats choisis pour des périodes individuelles de huit années. Ils sont choisis par le Sénat de la République parmi des candidats présentés par le Président de la République, la Cour Suprême de Justice et le Conseil d’État. La Cour a défendu les droits des groupes les plus vulnérables du pays parmi lesquels se trouvent ceux des retraités, prisonniers et déplacés (pour n’en citer que quelques uns). Cependant, la façon d’agir de la Cour a suscité des débats très aigus sur ces facultés et les effets de ses arrêts. Ces adversaires pensent que la Cour a trop de pouvoirs et qu' elle intervient dans des domaines qui ne lui correspondent pas. Selon eux, la Cour a outrepassé ses fonctions : ses décisions produisent des frais publics et dénaturent les politiques publiques (Jaramillo s.d., p. 1). Ainsi, à plusieurs reprises, la Cour a envahi des domaines qui correspondent à d’autres branches du pouvoir publique, en établissant la façon de remplir des vides normatifs (fonction typiquement législative), ou en ordonnant l’adoption de mesures administratives (fonction de la branche exécutive). Or, pour notre étude, il est important de vérifier la jurisprudence faite par cette Cour. L’importance de ses arrêts dans le cas de déplacés a été remarquée par González : 91 Site Internet Cour Constitutionnelle Colombienne : http://www.constitucional.gov.co/corte/ 91 « [...] pour déterminer l' évolution de la position juridique de la personne déplacée par la violence, il est nécessaire de regarder non seulement la loi mais aussi la jurisprudence développée par la Cour Constitutionnelle. Ceci est nécessaire parce que dans le cas du déplacement causé par la violence il y a une violation systématique des droits fondamentaux, et ce tribunal a développé une jurisprudence au niveau de protection des droits fondamentaux d' importance singulière, qui doit être repérée quand on aborde des sujets juridiques de la réalité colombienne. On peut également apprécier une préoccupation croissante de cette Cour pour déterminer les responsabilités de l' État colombien en ce qui concerne la population déplacée, ce qui contribue à décrire l' évolution du concept de la personne déplacée par la violence » (González 2002, p. 8-9).92 Au travers des cas particuliers et d' une manière succincte, nous allons présenter comment la catégorisation juridique de la population déplacée a été faite par la Cour Constitutionnelle. Nous verrons aussi l' interprétation des cadres normatifs existants selon la Cour et ses différences avec la position des autres branches du pouvoir public. À travers l’étude des arrêts promulgués par ce Haut Tribunal sur la question des déplacés, nous pouvons souligner une lutte entre la branche judiciaire, la branche exécutive et la branche législative du pouvoir public en Colombie. 8.1 La jurisprudence constitutionnelle À partir de 1995, la Cour Constitutionnelle a présenté les premières ébauches pour penser le déplacement en termes juridiques et elle a différencié cette pratique migratoire due à la violence des autres migrations volontaires causées pour des raisons économiques, de travail ou toute autre raison différente au conflit interne et la violence. À partir des analyses de la Cour, nous commençons à reconnaître les victimes du déplacement comme les personnes qui subissent de manière la plus profonde les conséquences de la violence politique sur le 92 Traduit par nous de : « [...] para determinar cuál ha sido la evolución de la posición jurídica de la persona desplazada por la violencia, es necesario acudir no sólo a la ley sino a la jurisprudencia desarrollada por la Corte Constitucional. Esto es así en razón a que no puede perderse de vista que en el desplazamiento por causa de la violencia hay una sistemática violación de los derechos fundamentales, y es éste tribunal el que ha desarrollado una jurisprudencia a nivel de protección de derechos fundamentales de singular importancia, que no debe ser perdida de vista cuando quiera que se estén abordando temas jurídicos de nuestra realidad colombiana. Igualmente se puede apreciar una creciente preocupación por parte de la Corte en determinar las responsabilidades del Estado colombiano respecto al desplazamiento, lo cual contribuye a describir la evolución del concepto de persona desplazada por la violencia ». 92 territoire colombien.93 Les premiers arrêts de la Cour Constitutionnelle sur le déplacement interne ont souligné les normes de droit international qui interdisent les déplacements forcés, ont assimilé les principes relatifs aux déplacements forcés des Nations Unies et ont présenté l' État comme responsable de la protection de la population civile. À partir de 1997, la Cour Constitutionnelle s’est occupée du sujet du déplacement forcé dans 17 cas de révision d’actions de tutelle. Les arrêts ont été prononcés dans le but d’instaurer la protection de différents droits fondamentaux comme l’éducation, le droit au travail, l’égalité et la non discrimination, le droit au logement, le droit à la circulation, etc. En outre, il y a des arrêts qui se sont occupés exclusivement de préciser les éléments qui déterminent la condition de déplacé, tels que l’arrêt T-227 de 1997, SU-1150 de 2000, T-327 de 2001, T1346 de 2001, T-215 de 2002, T-025 de 2004 et la T-268 de 2003 concernant le cas des déplacés intra-urbains. Nous ferons donc référence à chacun de ces arrêts, dans lesquelles nous pouvons lire une tension entre les différents pouvoirs publics. 8.1.1 L’arrêt T-227 de 1997. Les déplacés : indésirables ou victimes ? L’arrêt T-227 du 5 mai de 1997, antérieur à la promulgation de la Loi 387 de 1997, est déterminant dans la définition des déplacés comme personnes dont la protection des droits doit se faire d’une manière spéciale, en tant que victimes de conflit armé. L’action de tutelle est formée par des paysans du sud du département de César qui au cours du mois de février de 1996 ont été obligés d' abandonner leur logement par les menaces des groupes armés sur leur territoire. En principe, ils ont été transférés à Bogotá et ils se sont installés dans les bureaux de 93 La présentation et l' analyse de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle présentée par González à travers la méthode « carte de réponses données par l' ordre juridique » ont servi de base pour l' élaboration de cette section sur les développements jurisprudentiels du déplacement en Colombie (González 2002). 93 l’INCORA94 et la Defensoría del Pueblo. Dû à la précarité de ces établissements, le Ministère de l' Intérieur a géré un transfert provisoire de 90 jours dans un hôtel dans le département de Cundinamarca tandis que l' INCORA cherchait un lieu définitif pour l’installation de cette population. Le Gouvernement Départemental de Cundinamarca, à travers les médias, a proféré des expressions discriminatoires contre cette population. Le Gouverneur a empêché le transfert définitif de ces personnes dans son département, et les a catégorisé comme des sujets indésirables et « des agents perturbateurs » puisqu' ils appartenaient à la guérilla et à la délinquance, et apporteraient des conflits d’ordre public au sein de la communauté. Les paysans ont dû rester à Bogotá dans de mauvaises conditions à cause de l’annulation du contrat avec l’hôtel comme conséquence de l’attitude du gouvernement départemental. Afin de protéger les droits fondamentaux à la liberté de transit, à la fixation de résidence dans le territoire national et à la dignité humaine, les paysans du César ont eu recours à l’action de tutelle. Pour définir cet arrêt, la Cour s’est centrée dans l' application du droit à la permanence et à la liberté de circulation sur le territoire national. La Cour a précisé que le déplacement est un problème humanitaire qui doit être affronté solidairement par toutes les personnes. Elle a exigé du gouverneur de Cundinamarca de garantir la vie, l’intégrité physique et la protection des déplacés. La Cour a précisé que dorénavant, le gouverneur devrait s’abstenir de restreindre la libre circulation des personnes déplacées par la violence et devrait donner un traitement convenable à ces personnes en accord avec la dignité humaine. Dans ce cas concret nous pouvons voir comment il existe des façons différentes de percevoir les déplacés. La branche judiciaire du pouvoir public, représentée par la Cour Constitutionnelle, les aborde comme des personnes qui ont besoin de la solidarité nationale et internationale parce qu’elles sont victimes de la violence et elles ont dû fuir de leur région sous la pression des groupes 94 L’INCORA (Instituto Colombiano de Reforma Agraria) est a charge de la politique de logement des personnes déplacées. Actuellement il s’appelle INCODER. Site Internet : http://www.incoder.gov.co 94 armés. Pour la Cour, nous sommes face à un problème humain. De l’autre côté, la branche exécutive, représentée par le gouvernement de Cundinamarca, les aborde comme des personnes dont on doit se méfier parce qu’ils peuvent appartenir à la guérilla et aux groupes armés, principaux acteurs du conflit armé dans le pays. De ce fait, ils peuvent engendrer des conflits d’ordre public. Pour le gouverneur, on est face à un problème d’ordre public. La Cour remarque dans l’arrêt qu’une autorité locale ne peut pas qualifier les déplacés comme des agents perturbateurs du seul fait d' essayer de sauver leurs vies. Elle affirme qu’il doit exister une harmonie et une cohérence entre les différentes instances de la branche exécutive, c' est-à-dire entre le gouvernement national et les autorités locales ; et qu' un gouverneur sous prétexte de maintenir l' ordre public, ne peut pas empêcher les plans du gouvernement national relatifs au transfert des déplacés. D’autre part, en ce qui concerne la catégorisation du déplacé, la Cour Constitutionnelle dans cet arrêt, et pour la première fois, donne une définition de la personne déplacée en Colombie. Cette conception sera ensuite incluse dans la Loi 387 de 1997 dans son article 1. La Cour prend la description des déplacés internes donnée par le CPDIA (Consulta Permanente para los Desplazados Internos en las Américas). Selon la Cour, est déplacé : « Toute personne qui a été forcée à migrer sur le territoire national abandonnant sa localité de résidence et ses activités économiques habituelles parce ce que sa vie, son intégrité ou sa liberté personnelle ont été atteints ou sont directement menacés dans le cas des situations de conflits armés internes, désordres ou tensions intérieures, violence généralisée, violations massives des droits de l’homme, infractions au droit international humanitaire ou autres cas tels que ceux précités, qui peuvent altérer ou altèrent considérablement l’ordre public » (Corte Constitucional 1997).95 95 Traduit par nous de : « Toda persona que se ha visto obligada a migrar dentro del territorio nacional abandonando su localidad de residencia o actividades económicas habituales, porque su vida, su integridad física, su seguridad o libertad personales han sido vulneradas o se encuentran directamente amenazadas con ocasión de cualquiera de las siguientes situaciones : conflicto armado interno, disturbios y tensiones interiores, violencia generalizada, violaciones masivas de los Derechos Humanos, infracciones al Derecho Internacional Humanitario u otras circunstancias emanadas de las situaciones anteriores que pueden alterar o alteren drásticamente el orden público ». 95 La Cour signale que pour être considéré comme déplacé il y a deux conditions nécessaires : la contrainte qui rend nécessaire le déplacement, et la permanence dans les frontières de la propre nation. Pour cette raison, selon la Cour, la condition de déplacé ne dépend pas du fait de l’enregistrement ou d’une attestation donnée par une autorité officielle, mais elle est une condition acquise de facto. De ce fait, la personne déplacée acquiert une identité que lui est propre. À partir de ce moment il est possible de différencier cette population d’autres civils touchés par le conflit armé. 8.1.2 L’arrêt SU-1150 de 2000 : les déplacés comme principales victimes de la violence que subit la Colombie Dans cet arrêt la Cour Constitutionnelle caractérise les déplacés comme sujets spéciaux de droits, et les signale comme les principales victimes de la violence que subit la Colombie. La Cour fait appel au principe de solidarité sociale face aux victimes du déplacement forcé, et affirme que pour l’interprétation et la création des normes sur le déplacement il est nécessaire de s’intéresser aux Principes Directeurs des Nations Unies. Comme nous l’avons déjà mentionné, ces principes établissent les obligations et les responsabilités des gouvernements face aux déplacés, et l' interdiction de toute discrimination des personnes basée sur la condition de déplacé ainsi que la reconnaissance du droit des personnes de ne pas être déplacées. Trois actions de tutelle sont l’objet de cet arrêt. La Cour Constitutionnelle choisit ces cas pour présenter une position sur la responsabilité des organismes étatiques face à la protection et l' assistance de la population déplacée par la violence. Le premier des cas traite d' une action de tutelle formée par la Defensoría Regional d’Antioquia contre l’inspection 8B municipale de Police d’Antioquia, le Ministère de l’Intérieur, le Gouvernement Départemental d’Antioquia et la Mairie de Medellín, pour éviter l’accomplissement d’un ordre de délogement contre des familles déplacées qui occupaient une propriété de la CORVIDE (Corporación de Vivienda y Desarrollo Social), organisme décentralisé de la ville de Medellín. Ce terrain était considéré par les autorités comme zone à haut risque de glissement, 96 et pour cela la Cour n’a pas suspendu l’ordre de délogement. Néanmoins, elle a enjoint l’État à donner un logement temporaire à ces personnes étant donnée leur situation de déplacés. Le deuxième cas concerne celui de Marco Tulio Ararat Sandoval et sa famille, qui en 1997 ont été déplacés par le « Frente 39 » de la guérilla FARC-EP (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia- Ejército del Pueblo) de Puerto Trujillo dans le département du Meta. Il a sollicité au Secrétariat de Logement Social et de Rénovation Urbaine de la ville de Cali, leur inclusion dans les plans de logement de la ville. Cet organisme a refusé la demande en faisant valoir qu' après une révision des normes qui règlent la situation des déplacés par la violence, ils n' ont trouvé aucune disposition qui les obligerait à s' occuper des demandes de logement des déplacés dans les mêmes termes financiers que les personnes qui habitent dans les zones à haut risque. Le monsieur Ararat Sandoval a instauré donc une action de tutelle contre le Secrétariat de Logement Social et Rénovation Urbaine de Cali, en considérant qu’il avait été objet de discrimination à cause de sa condition de déplacé et pour cela il a fait valoir ses droits à un logement digne, à l' égalité et aux droits de ses enfants. La Cour a révisé les preuves de ce cas, et a refusé l’action de tutelle due à la famille Ararat parce que celle-ci, à l’époque du jugement, avait été déjà incluse dans un programme de logement de déplacés. Le troisième cas traite d' une action de tutelle entamée par le Monsieur Jairo Reyes Cabrera contre le directeur de la Red de Solidaridad Social. Il affirme qu’il a été déplacé avec sa famille du municipio de Cumaral dans le département du Meta et que la Red de Solidaridad Social ne leur a pas offert l’aide prévue pour développer un projet productif. Cela a nuit à leur droit à la vie, à la santé et à la dignité. La Cour analyse le cas et ne reconnaît pas l’action de tutelle après la confirmation par la Red de Solidaridad Social qu’à l’époque du jugement, l’aide pour le projet productif avait été effectivement donnée à Monsieur Reyes. L’importance de cet arrêt est la définition de la responsabilité de l' État face au déplacement. La Cour effectue une révision sur l' évolution du phénomène de déplacement en Colombie et analyse l' efficacité de la réponse 97 institutionnelle basée sur l' information contenue dans des lois, décrets, documents CONPES et textes institutionnels et académiques sur le sujet. Dans l’analyse des cas, la Cour signale deux des principaux problèmes qui empêchent une riposte appropriée face au déplacement : a) le manque de coordination entre les différentes entités chargées de la politique publique et, b) le manque de développement de la politique étatique consolidée dans la Loi 387 de 1997. Ainsi, elle énumère les difficultés qui ont entraîné la mis en marche des mesures de prévention, protection et assistance de la population déplacée par la violence, et qualifie la réponse de l' État comme insuffisante, malgré les instruments légaux et administratifs créés. Pour la Cour, si l' État est incapable de garantir la permanence des personnes dans leur lieu de résidence, il doit, au moins, prêter une aide effective à cette population pour qu' elle puisse reconstruire sa vie. En ce sens, l’arrêt consacre comme prioritaire dans les activités étatiques l’assistance aux déplacés et en tête du Président de la République cette responsabilité. Selon la Cour, la branche exécutive du pouvoir public doit déterminer les mécanismes pratiques de l' assistance aux colombiens déplacés par la violence. Le Président de la République est l' organe constitutionnel indiqué pour sortir de la situation de stagnation où se trouve l' assistance à la population déplacée, vu la triple fonction qu’il accomplit dans l' ordre constitutionnel. En sa qualité de Chef d' État il doit veiller à ce que les colombiens les plus démunis reçoivent l' assistance qu' ils méritent ; comme Chef de Gouvernement il est appelé à conjurer la situation de perturbation de l' ordre public qui produit le déplacement forcé. Finalement, comme Autorité Administrative Suprême, il a la capacité de dicter les instructions nécessaires pour obtenir que l' administration publique remplisse ses obligations envers les personnes déplacées (Corte Constitucional 2000, p. 3). Tandis que la Loi 387 de 1997 établit dans son troisième article que la responsabilité de formuler les politiques et d' adopter les mesures relatives à la prévention et l’assistance aux déplacés appartient à l' État colombien, pour la Cour Constitutionnelle cette responsabilité est d’abord celle du Président de la République. Cela signale encore une fois la tension existant entre la branche 98 judiciaire et la branche législative du pouvoir publique. 8.1.3 L’arrêt T-327 de 2001 : discussion autour du registre de population déplacée Nous pouvons considérer cet arrêt comme une réaction de la Cour Constitutionnelle aux dispositions sur le registre contenues dans le Décret 2569 de 2000. L’arrêt traite spécifiquement le cas d' une personne déplacée en 1999 par un groupe de paramilitaires du municipio de Condoto dans le département du Chocó. Cette personne avait signalé les faits de son déplacement aux autorités, mais l’inclusion dans le registre de population déplacée par la violence avait été niée, à plusieurs reprises, par la Red de Solidaridad Social, à cause des informations contradictoires trouvées dans la déclaration. L’arrêt a été prononcé en faveur du déplacé. D’après la Cour, malgré les incohérences dans la déclaration présentée, celle-ci doit être interprétée en faveur des droits fondamentaux des déplacés. En vertu de l' application de l' article 83 de la Charte Politique, nous devons présumer de la bonne foi de l' activité des particuliers. De cette manière, les déclarations des victimes du déplacement doivent être entendues sous le principe de la bonne foi, et la conduite des fonctionnaires chargés de recevoir et d' évaluer la déclaration doit s' adapter aux Principes Directeurs des Nations Unies. Face au traitement d' une situation grave comme l' est celle du déplacement forcé, le plus raisonnable est de comprendre qu' on ne peut pas conditionner l' existence d' une réalité à l' affirmation de sa configuration par les autorités. Pour soutenir sa position la Cour s’appui sur les concepts de la Comisión Colombiana de Juristas.96 D’après cette Commission, il est nécessaire de clarifier que dans la procédure d' inscription consacrée par le Décret 2569 on établit 96 La Comisión Colombiana de Juristas (Commission Colombienne de Juristes) est une organisation non gouvernementale créée en 1998. Elle est orientée à contribuer au développement du droit international et du droit international humanitaire. Elle réalise des tâches de récolte et d’analyse d' information sur ces droits et les rend publiques. Site Internet : http://www.coljuristas.org/inicio.htm 99 seulement une condition pour accéder aux bénéfices. La condition de déplacé est acquise dès le moment où la personne est obligée de sortir de son lieu de résidence ; et cette condition se perpétue indéfiniment jusqu' au retour ou la réinstallation dans des circonstances de stabilisation économique (Corte Constitucional 2001a, p. 15). La Commission critique : « [...] le fait que selon le Décret 2569 de 2000, la condition de personne déplacée cesse par l' exclusion de la personne du registre, ou par la demande de l’intéressé. Elle réitère que par l' exclusion de la personne du registre la condition de déplacé ne peut cesser parce que le registre est une conséquence du déplacement, et non l’inverse. En particulier, elle considère que la cause d' exclusion du registre par raison de l’objection réitérée de la personne déplacée à prendre part des programmes développés par le gouvernement, n' autorise pas l’exclusion du registre aux personnes qui n' accomplissent pas ce devoir. Il n' est pas non plus valable l' exclusion du registre par demande de l’intéressé, parce que les droits qui sont dérivés de la condition de personne déplacée - tant que persistera cette condition - sont consacrés dans la Constitution et dans les traités internationaux de droits humanitaires et sont irrévocables » (Comisión Colombiana de Juristas cité par Corte Constitucional 2001a, p. 16).97 L’arrêt T-327 de 2001 établit avec clarté que la condition de déplacé par la violence est une condition de facto, et on n' acquière pas une telle qualité par le seul fait d’enregistrer quelques actes auprès des fonctionnaires publics. La Cour établit que l’inclusion dans le registre n’est pas une condition pour recevoir l’aide humanitaire prévue pour la population déplacée. De ce fait, la tension entre la branche exécutive chargée de l’élaboration du Décret 2569 de 2000 et la branche judiciaire du pouvoir publique est observable. Cette tension est exprimée par González : « Dans cet arrêt il est mis en évidence que pour la Cour, un 97 Traduit par nous de : « [...] el hecho de que según el Decreto 2569 de 2000, la condición de persona desplazada cese por la exclusión de la persona del registro, o por la solicitud del interesado. Reitera que por la exclusión de la persona del registro no cesa la condición de desplazado porque el registro es una consecuencia del desplazamiento y no viceversa. En particular, considera que la causal de exclusión del registro por reiterada renuencia de la persona desplazada a participar de los programas desarrollados por el gobierno, no faculta a este a que en ejercicio de la facultad reglamentaria se excluya del registro a las personas que no cumplan ese deber. Tampoco es válida la exclusión del registro por solicitud del interesado, pues los derechos que surgen de la condición de persona desplazada -mientras persista la condición de tal- están consagrados en la Constitución y en tratados internacionales de derechos humanos y son irrenunciables ». 100 plus grand poids est donné à sa propre définition de déplacé présentée dans l’arrêt T-227 de 1997, qui remarque qu' une personne acquiert une telle catégorie due à la présentation de certaines circonstances de fait (une fois que le déplacement a eu lieu, la personne est déplacée sans avoir besoin de déclaration officielle), que ce qui est indiqué par le Décret 2569 de 2000 qui réglementait la Loi 387 de 1997 où il est ordonné que la personne déplacée, pour avoir accès au Système National d' Assistance Intégrale de Personnes Déplacées, devait remplir quelques conditions pour obtenir son inscription. Le postulat de la hiérarchie dans le système de sources du formalisme n' est pas celui que la Cour adopte dans ces cas. L’arrêt de la Cour Constitutionnelle paraît être plus important en hiérarchie que la réglementation de la loi » (González 2002, p. 60).98 D’autre part, à partir de la promulgation de cet arrêt il y a un changement dans la façon de nommer les déplacés. Nous ne parlons plus de personnes déplacées, nous commençons à les dénommer comme « personnes en situation de déplacement ». Les personnes touchées par le déplacement affirment leur besoin d’être appelées comme personnes en situation de déplacement et non comme déplacés. Cette dénomination naît à partir de l’explication donnée par la CODHES : le déplacement forcé doit être traitée comme une « situation » et non comme une « condition ». La CODHES voit dans le mot « situation » une notion à caractère transitoire qui caractérise le déplacé forcé, tandis qu' en parlant de « condition », on est face à un terme de nature statique et presque définitif de la personne qui est cataloguée comme telle (Corte Constitucional 2001a, p. 12). 8.1.4 L’arrêt T-1346 de 2001 : l’importance du point de vue juridique dans la caractérisation de déplacés Dans cet arrêt la Cour s’occupe du cas des 3500 familles déplacées occupant la propriété La Reliquia dans la ville de Villavicencio (département du Meta), qui ont reçu l’ordre de quitter le terrain par la Marie de Villavicencio, en 98 Traduit par nous de : « En dicha sentencia se pone de manifiesto cómo pesa más para la Corte su definición de desplazado dada en la sentencia T-227 de 1997 al decir que una persona adquiere tal categoría por presentarse ciertas circunstancias de hecho (sucedido el desplazamiento, la persona ya es desplazada sin necesidad de declaración oficial), que lo señalado por el Decreto 2569 de 2000 que reglamentaba la Ley 387 de 1997 en donde se prescribe que la persona desplazada para tener acceso al Sistema de Atención Integral de Personas Desplazadas debía cumplir con algunos requisitos para lograr su inscripción. El postulado de la jerarquía en el sistema de fuentes del formalismo no es el que la Corte adopta en estos casos. La sentencia de la Corte Constitucional parece estar por encima en jerarquía que la reglamentación de la ley ». 101 raison de leur occupation de fait de la propriété. Un des impliqués a formé une action de tutelle en sollicitant la protection des droits fondamentaux de ses enfants, et en particulier, de leurs droits au logement, à la vie, à la dignité humaine, à l' intégrité physique et le droit de ne pas être déplacé. Le demandeur explique qu’ils ont dû occuper temporairement la propriété parce que le gouvernement ne leur avait pas encore donné une solution définitive de logement suite à leur déplacement par la violence. La Cour tranche en faveur des déplacés forcés étant donné que le gouvernement doit fournir des solutions définitives et réelles de logement pour cette population. Elle enjoint à la Mairie de Villavicencio de contraindre le Comité Municipal à l’aide intégrale de la population déplacée de la ville de Villavicencio, en accord avec les articles 29 et suivants du Décret 2569 de 2000. Ce Comité doit établir un programme de réinstallation et stabilisation économique pour les occupants déplacés de la propriété La Reliquia. Dans l’analyse de l’arrêt, la Cour accorde une place singulière au concept de déplacé fait par la Loi 387 de 1997. D’après la Cour : « Sans méconnaître les différents critères du concept de « déplacés internes » qui ont été exprimés par les différentes organisations nationales et internationales qui s' occupent du sujet, conformément à ce qui est stipulé par la loi et la jurisprudence constitutionnelle, la condition de déplacé peut être donnée à toute personne qui a été forcée à abandonner sa localité de résidence et ses activités économiques habituelles, et a dû migrer dans les frontières du territoire national, en raison de l’existence d’un conflit interne, violence généralisée, violations des droits de l’homme au droit international humanitaire ou autres cas tels que ceux précités, qui peuvent altérer o altèrent considérablement l’ordre public » (Corte Constitucional 2001b, p. 6).99 99 Traduit par nous de : « Sin entrar a desconocer los diferentes criterios que en relación con el concepto de “desplazados internos” han sido expresados por las distintas organizaciones nacionales e internacionales que se ocupan del tema, de conformidad con lo preceptuado en la ley y la jurisprudencia constitucional, puede afirmarse que se encuentra en condición de desplazado toda persona que se ve obligada a abandonar intempestivamente su lugar de residencia y sus actividades económicas habituales, debiendo migrar a otro lugar dentro de las fronteras del territorio nacional, por causas imputables a la existencia de un conflicto armado interno, a la violencia generalizada, a la violación de los derechos humanos o del derecho internacional humanitario y, en fin, a determinados factores que pueden llegar a generar alteraciones en el orden público ». 102 Cette priorité que la Cour donne à la définition des déplacés faite par la loi oriente la caractérisation des déplacés en ce sens. De ce fait l’importance, déjà mentionnée, qu’a pour les personnes déplacées la connaissance des normes et l’utilisation de la loi pour se différencier des autres migrants et personnes touchées par la violence. Ainsi, les déplacés installés dans La Reliquia affirment avoir droit aux aides étatiques parce qu’ils sont déjà inscrits dans le Système d’Enregistrement de la Population Déplacée (SUR), et parce qu’ils ont déjà suivi toutes les étapes, imposées par la loi, pour être considérés comme tels. 8.1.5 L’arrêt T-215 de 2002 : différentes interprétations des cadres normatifs Dans cet arrêt la Cour s’occupe du cas de plusieurs enfants déplacés par la violence auxquels l’accès à l’éducation dans le Lycée Sol de Oriente de Medellín leur a été nié en raison de leur âge, de l’absence de places et de l' impossibilité d' assumer les coûts. Par l’intermédiaire de Narciso Doria Segura et Pedro Tuberquia, ils ont formé une action de tutelle contre le Lycée Sol del Oriente, la Secretaría de Educación de Medellín, la ville de Medellín, la Red de Solidaridad Social, le Ministère de l’Éducation National et le Fond d’Investissement Social pour la protection de leurs droits à l’éducation, l’égalité et la dignité. Cette action de tutelle a été niée en première instance par le juge quatre vingt Municipal de Bogotá. Un des arguments de cette décision était que plusieurs des enfants concernés dans le cas, n’étaient pas inscrits dans le registre national de population déplacée (SUR). La Cour a révisé ce jugement et finalement a accordé l’action de tutelle aux demandeurs, en raison qu’ils sont considérés comme mineurs déplacés par la violence, non par le fait de s’inscrire dans le registre mais par le fait de s’être enfui de leur lieu de résidence par la violence. De ce fait, la Cour demande à la Secretaría de Educación de Medellín d’incorporer au système éducatif les enfants concernés par cet arrêt. Mis à part l’analyse de droit à l’éducation et la condition spécifique des enfants déplacés fait par la Cour dans cet arrêt, ce qui est intéressant pour nous est qu’une nouvelle fois la Cour traite de la condition de déplacé. Ainsi, la Cour se prononce contre les dispositions du Décret 2569 de 2000. En effet, il existe une tension entre la façon d’interpréter les cadres normatifs par les 103 fonctionnaires à charge de la déclaration et les interprétations données par les magistrats de la Cour Constitutionnelle. La Cour signale que les critères pour déterminer l’accès au registre de population déplacée doivent être raisonnables et orientés vers la protection de droits fondamentaux des demandeurs. La Cour met en évidence les défauts du registre, et demande aux instances chargées de l’assistance aux déplacés de ne pas faire une interprétation restrictive du régime légal pour leur assistance, ce qui peut résulter contraire à l’aide que les déplacés méritent. 8.1.6 L’arrêt T-025 de 2004 : « état de faits inconstitutionnelle » Cet arrêt est un de plus remarquables de la Cour Constitutionnelle parce qu’il concerne non seulement les droits des personnes qui ont formé des actions de tutelle mais aussi les droits généraux des personnes déplacées par la violence en Colombie. Il marque aussi le pouvoir acquis par la Cour Constitutionnelle en matière de défense des droits des plus démunies mais aussi son pouvoir face aux autres instances de l’État et son ingérence dans la manière de gérer la politique publique dans le pays. Sous le dossier T-653010 ont été accumulés 108 dossiers correspondant à des actions de tutelle formées par 1150 familles déplacées. Elles sont des victimes du déplacement forcé par la violence qui, même si elles ont été enregistrées dans le SUR, quelques unes n’ont pas reçu l’aide humanitaire d’urgence ou elle a été incomplète et inopportune. Dans certains cas elles ont passé entre six mois et deux ans sans recevoir aucune aide étatique. Ces personnes ont dû former une action de tutelle comme seul moyen de se faire remarquer par les entités à charge de la politique publique sur le déplacement, parce que par les moyens conçus à cet effet ils ont reçu régulièrement des réponses négatives à leurs demandes.100 Ces actions de tutelle concernent la violation de droits fondamentaux à la vie digne, l’intégrité personnelle, l’égalité, le travail, la santé, la sécurité sociale, l’éducation, le logement, le minimum vital et la protection due aux personnes du troisième âge, les femmes chef de famille et 100 Même les propres entités publiques ont considéré l’action de tutelle comme partie du processus ordinaire pour accorder les aides demandés (Table ronde Medellín, 27 juin 2003). 104 les enfants. Après l’exposition de motifs, la Cour conclut que l’État a violé les droits fondamentaux à la population déplacée et dénonce les défaillances de la politique publique pour l’assistance aux déplacés. Selon la Cour, on est devant un « état de faits inconstitutionnel ». Cet état est déclaré quand : « 1. Il existe une violation répétée des droits fondamentaux de beaucoup de personnes - qui peuvent alors recourir à l' action de tutelle pour obtenir la défense de leurs droits et combler ainsi les instances judiciaires, et 2. Quand la cause de cette violation ne sera pas imputable uniquement à l' autorité exigée, mais elle repose sur des facteurs structurels » (Corte Constitucional 2004, p. 91).101 Cette violation de droits s' est produite de manière massive et réitérée. Elle obéit à un problème structurel d' insuffisance de ressources destinées à financer la politique publique et à la faiblesse de la capacité institutionnelle pour donner impulsion à la politique de manière adéquate. La quantité de ressources destinées pour faire face à la population déplacée ne s’accorde pas avec celle stipulée par les lois et les décrets pour s' occuper de la situation. Ainsi, la Cour demande au Conseil National pour l' Assistance à la Population Déplacée par la Violence la cohérence entre les obligations figées par les normes et la quantité de ressources destinées réellement pour gérer la situation (Corte Constitucional 2004, p. 46-48). En suivant l’article 13 de la Constitution Politique, l’arrêt T-025 souligne que l’État doit faire une discrimination positive en faveur des déplacés et il doit faire connaître les droits dérivés de cette condition.102 L’État doit mettre en marche les corrections pour faire face à la situation des déplacés, et doit compter sur la participation de la population déplacée dans la conception et l' exécution des politiques. L’arrêt souligne aussi qu’en tant que colombiens, les déplacés 101 Traduit par nous de : « (1) se presenta una repetida violación de derechos fundamentales de muchas personas - que pueden entonces recurrir a la acción de tutela para obtener la defensa de sus derechos y colmar así los despachos judiciales – y (2) cuando la causa de esa vulneración no es imputable únicamente a la autoridad demandada, sino que reposa en factores estructurales ». 102 Voir la charte des droits basiques de la population déplacée dans l’annexe D. 105 sont titulaires de tous les droits constitutionnels, mais qu’étant donnée leur situation de vulnérabilité les droits constitutionnels acquièrent des manifestations spécifiques pour répondre à leurs particularités (Corte Constitucional 2004, p. 232). En conséquence la Cour a ordonné : (a) la conception et le développement de politiques, plans et programmes qui garantissent de manière adéquate les droits fondamentaux de la population déplacée, (b) l’appropriation des ressources nécessaires pour garantir l' efficacité de tels droits, (c) la modification des pratiques et procédures qui s' avèrent violatrices de la Constitution, (d) la réforme du cadre juridique en faveur des besoins de déplacés, (e) la mise en marche de toutes les démarches administratives, budgétaires et d’embauche indispensables pour dépasser la violation des droits (Corte Constitucional 2004, p. 94). Cet arrêt a suscité beaucoup de débats étant donné qu’il a engendré des dépenses publiques et a interféré directement avec la politique publique des déplacés. En s’anticipant aux critiques, la Cour signale dans le même arrêt, que ses ordres sont dirigés vers l’adoption de décisions qui permettront le dépassement de l’État de faits inconstitutionnel. Mais : « Cela n' implique pas que par le biais de l’action de tutelle, le juge [c' est-à-dire la même Cour] ordonne des frais non établis dans le budget ou modifie la programmation budgétaire définie par le Législateur. Il ne trace pas non plus une politique, en définissant de nouvelles priorités, ou en modifiant la politique conçue par le Législateur et développée par l' Exécutif. La Cour, tenant compte des instruments légaux qui développent la politique d' assistance à la population déplacée, la conception de cette politique et les compromis assumés par les différents organismes, fait appel au principe constitutionnel de collaboration harmonieuse entre les différentes branches du pouvoir pour assurer que le devoir de protection effective des droits de tous les résidents du territoire national, soit accomplie et les compromis définis pour une telle protection soient effectués avec sérieux, transparence et efficacité » (Corte Constitucional 2004, p. 115).103 103 Traduit par nous de : « Ello no implica que por vía de tutela, el juez esté ordenando un gasto no presupuestado o esté modificando la programación presupuestal definida por el Legislador. Tampoco está delineando una política, definiendo nuevas prioridades, o modificando la política diseñada por el Legislador y desarrollada por el Ejecutivo. La Corte, teniendo en cuenta los instrumentos legales que desarrollan la política de atención a la población desplazada, el diseño de esa política y los compromisos asumidos por las 106 Ainsi, dans le développement des ordres commandés par cet arrêt il y a eu une tension permanente entre les différentes instances étatiques étant donnée la difficulté d’adapter les conditions idéales d’assistance à la réalité budgétaire. En outre, les conditions de faiblesse des organismes à charge de la mise en marche de la politique publique, et le manque de préparation de leurs fonctionnaires empêchent le bon et effectif déroulement des actions en faveur des déplacés. En effet, plus de deux ans et demi après la promulgation de l’arrêt T-025, le 11 août 2006, en se basant sur une analyse soigneuse des rapports d' accomplissement remises par les organismes qui conforment le SNAIPDV, la Cour Constitutionnelle conclut que « [...] jusqu' à présent, bien que la Cour ait été informée sur quelques avancées importantes dans des secteurs critiques de la politique d' assistance à la population déplacée, il n’est pas démontré qu' on ait dépassé l' état de choses inconstitutionnel déclaré dans la sentence T-025 de 2004, ni des avances en manière accélérée et soutenue vers son dépassement » (Corte Constitucional 2006a, p. 3).104 8.1.7 L’arrêt T-268 de 2003 : la reconnaissance du déplacement intraurbain En général les déplacements dans le pays se développent depuis les zones rurales jusqu’aux petites villes, puis dans des villes intermédiaires pour arriver finalement dans les capitales de département. C’est à dire qu’il y a un mouvement principalement de la campagne à la ville. Dans certains cas, mais beaucoup moins documentés, nous avons signalé aussi des déplacements entre les différentes villes (inter-urbain) et le cas du déplacement entre quartiers de la distintas entidades, está apelando al principio constitucional de colaboración armónica entre las distintas ramas del poder para asegurar que el deber de protección efectiva de los derechos de todos los residentes del territorio nacional, sea cumplido y los compromisos definidos para tal protección sean realizados con seriedad, transparencia y eficacia ». 104 Traduit par nous de : « [...] que hasta la fecha, a pesar de que se ha informado a la Corte sobre ciertos avances importantes en áreas críticas de la política de atención a la población desplazada, no se ha demostrado que se haya superado el estado de cosas inconstitucional declarado en la sentencia T-025 de 2004, ni que se esté avanzando en forma acelerada y sostenida hacia su superación ». Pour plus d’information sur le suivi à l’arrêt T -025 de 2004 voir les Autos 176 de 2005, 218 de 2006, et 266 de 2006. 107 même ville (intra-urbain). Cet arrêt traite pour la première fois de cas du déplacement intra-urbain et signale ce type de mobilité comme une partie du déplacement forcé par la violence que subit le pays.105 Le 29 juin 2002, les habitants de la partie supérieur du quartier El Salado de la Comuna 13 de Medellín, face à la peur, l' intimidation et le risque de mourir dans un combat entre les Milices Bolivariens des FARC-EP et les CAP (Comandos Armados del Pueblo) avec le Bloque Metro et le Bloque Cacique Nutibara (BCN) des autodéfenses, ont été obligés à s' enfuir de chez eux et chercher refuge dans un autre lieu de la ville, notamment dans le Lycée l' Indépendance. Une fois connue la situation des occupants du Lycée l' Indépendance, la Defensoría del Pueblo d’Antioquia, a visité le lieu et, conformément aux articles 12 et 13 du Décret 2569 de 2000, a levé le recensement de la population touchée et a sollicité à l' Unité Territoriale d' Antioquia de la Red de Solidaridad Social l’assistance et l' inscription de 65 familles touchées (dont 161 mineurs et 55 femmes chefs de famille) dans le Système Unique d’Enregistrement de Population Déplacée (SUR). L' Unité Territoriale de la Red de Solidaridad Social d'Antioquia, en s’appuyant sur les concepts de l’UTC (Unidad Técnica Conjunta),106 a soutenu que la situation des familles du quartier El Salado ne correspondait pas à un déplacement forcé, dans les termes de la Loi 387 de 1997. La loi parle d' abandon de la localité de résidence, et pour l’UTC, « la localité » correspond au municipio ou à la parcelle, des emplacements géographiques qui ne sont pas comparables au quartier ou à la comuna. Par conséquent, l' inscription dans le registre n' était pas recevable. Pour cela, les 65 familles n' ont pas reçu l’aide comme population touchée par le déplacement, parce qu' à travers la Résolution 05012140 du 8 juillet 2002 de l' Unité Territoriale de la Red de Solidaridad Social 105 Dans cette section nous reprenons la description de l’arrêt faite dans la publication Desplazamiento intraurbano en Colombia (Defensoría del Pueblo et UNHCR 2004, p. 6670). 106 La coopération entre l’Agence de Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) et la Red de Solidaridad Social (RSS) a été formalisée à travers un « Memorando de Entendimiento » souscrit en 1999, au moyen duquel on a créé l' UTC (Unidad Técnica Conjunta). La fonction de l' UTC est de prêter assistance technique et appui à la RSS et aux autres organismes (ressortissants et locaux) qui font partie du SNAIPDV, dans la formulation, la mise en oeuvre et l’évaluation de la politique de prévention et assistance au déplacement interne forcé. 108 d’Antioquia, leur inscription dans le SUR leur a été refusée. L' Unité Territoriale de la RSS a considéré que ce qui s' était produit correspondait à une rétention de civils par les CAP (Comandos Armados del Pueblo), et que les familles étaient à charge du Programa de Asistencia a Municipios Víctimas de la Violencia géré aussi par la Red de Solidaridad Social. La Defensoría del Pueblo a considéré que cette position était discriminatoire, et qu' elle marquait un recul dans l' application de la législation relative aux droits de la population déplacée. Elle a entrepris une procédure pour revendiquer la réparation des garanties fondamentales de cette population, afin qu’on reconnaisse de manière légale les circonstances du déplacement à l’intérieur d’une ville. Ainsi, la Defensoría del Pueblo d’Antioquia a interposé une action de tutelle contre la Red de Solidaridad Social d’Antioquia au nom des 65 familles déplacées, laquelle a été prononcée en faveur de familles par le Tribunal Superior del Distrito Judicial de Medellín, par arrêt du 25 juillet 2002. Ce tribunal a ordonné à la Red de Solidaridad Social inscrire dans le SUR aux familles déplacées du quartier El Salado et leur offrir l' assistance nécessaire, en tant que déplacés. Le 24 septembre 2002, la Chambre Civile de la Cour Suprême de Justice a révoqué l’arrêt de première instance. Elle considère d' abord que ces personnes n' avaient pas abandonné leur lieu de résidence et que leurs déclarations individuelles n’étaient pas remises à la Red de Solidaridad Social. Le 3 octobre 2002, la Defensoría del Pueblo a effectué une Audition Publique sur le sujet du déplacement intra-urbain, dans l' auditoire de la Bibliothèque Publique Pilote de la ville de Medellín. La Defensoría a réitéré la nécessité urgente de reconnaître le phénomène du déplacement intra-urbain et de mettre en marche des programmes intégraux d' assistance pour les victimes de ce phénomène. Elle s' est engagée à insister devant la Cour Constitutionnelle pour la révision du jugement en question. Le 6 décembre 2002 la Defensoría del Pueblo a présenté une demande de révision du dossier de l’action de tutelle, avec l’objectif principal de définir la portée des normes sur le déplacement forcé par rapport au déplacement intra-urbain. Elle cherchait, d' abord, à définir si le déplacement à l’intérieur d’une même ville était compris dans le cadre de la Loi 109 387 de 1997, et en deuxième lieu, de spécifier la manière d' interpréter le Décret 2569 de 2000. Finalement, le 23 avril 2003, la Cour Constitutionnelle, par arrêt T-268 de 2003, a confirmé le jugement de première instance et a révoqué celui de la Cour Suprême de Justice.107 La Cour Constitutionnelle a analysé deux sujets centraux d’intérêt pour notre étude : le déplacement à l' intérieur d’une même ville, et l' importance des droits fondamentaux dans son contenu matériel. Par rapport au premier sujet, la Cour a réitéré ce qui a été dit dans les arrêts T-227 de 1997 et T-327 de 2001, dans lesquels on a affirmé que la qualité de déplacé est acquise de facto et non par une qualification faite par les autorités. Pour la Cour : « Le déplacement, loin d' être structuré avec des indicateurs et des paramètres rigides, doit correspondre aux circonstances très dissemblables dans lesquelles les différentes personnes sont déplacées dans le pays. Il existe des circonstances claires, fermes et même subjectives, comme la crainte qui émerge d' une angoisse généralisée, celles qui expliquent objectivement le déplacement interne. De ce fait, la formalité de l' acte ne peut pas être imposée devant les preuves impérieuses et la nécessité de la mobilité forcée » (Corte Constitucional 2003a, p. 10).108 L’arrêt a clarifié que le premier alinéa de l' article 2 du Décret 2569 de 2000 déclare que, pour être considéré comme déplacé, il est requis l' abandon de la localité ou des activités économiques habituelles, ce qui indique deux activités différentes qui ne doivent pas nécessairement être données en même temps. En outre, les lois et les décrets sur le déplacement doivent être interprétés à la lumière des Principes Directeurs des Nations Unies, lesquels ne considèrent pas, pour acquérir la condition de déplacé, la nécessité de se déplacer entre municipios ou départements. Au contraire ils mentionnent de façon permanente 107 On dénote ici une tension entre les différentes instances de la branche judiciaire. 108 Traduit par nous de : « El desplazamiento, lejos de estructurarse con unos indicadores y parámetros rígidos, debe moldearse a las muy disímiles circunstancias en que una u otra persona es desplazada dentro del país. Son circunstancias claras, contundentes e inclusive subjetivas, como el temor que emerge de una zozobra generalizada, las que explican objetivamente el desplazamiento interno. De allí, que la formalidad del acto no puede imponerse ante la imperiosa evidencia y necesidad de la movilización forzada ». 110 le mot « foyer », acception correcte du terme « localité de résidence », employé par les normes colombiennes. La Cour a souligné aussi que « [...] s' agissant de noyaux familiaux qui pour motifs de violence urbaine sont obligés de chercher refuge dans la même ville, la crise humanitaire peut être plus grande, ce qui implique que l' État est obligé de réaliser des actions pour protéger les droits fondamentaux des déplacés » (Corte Constitucional 2003a, p. 11).109 Encore une fois, la Cour exprime l’idée que le caractère de déplacés internes n' apparaît pas par l’intermédiaire d' aspects uniquement formels mais procède aussi d' une réalité objective, dans ce cas d’une situation de crainte généralisée provoquée par la violence existante dans le quartier. Par conséquent, la Cour Constitutionnelle a considéré « [...] que le déplacement à l’intérieur d’une même ville fait partie du déplacement interne forcé quand les conditions qui le caractérisent sont présentes » (Corte Constitucional 2003a, p. 15).110 Eu égard au second sujet traité par l’arrêt, la Cour a insisté sur la prévalence du droit substantiel sur le droit formel. De ce fait, l' accès aux mécanismes de protection et assistance à la population déplacée doivent être assouplis, et la procédure d’inscription ne doit pas empêcher la sauvegarde des droits fondamentaux. En ce sens, la Cour a estimé que la Red de Solidaridad Social a interprété de manière restrictive le cas des déplacés de El Salado, et par conséquent a violé le principe de favorabilité et la prééminence du droit substantiel sur le droit formel. D’après l’arrêt T-1635 de 2000, « [...] on ne peut pas oublier que selon l' article 86 de la Constitution Politique, la violation ou la menace de droits fondamentaux a lieu non seulement à partir d' actions positives des autorités publiques, mais aussi en raison de l' omission de leurs devoirs 109 Traduit par nous de : « [...] tratándose de núcleos familiares que por motivos de la violencia urbana se ven obligados a buscar refugio dentro de la misma ciudad, la crisis humanitaria puede ser mayor, lo cual implica que el Estado está obligado a tomar acciones para proteger los derechos fundamentales de los desplazados ». 110 Traduit par nous de : « [...] que el desplazamiento entre la misma ciudad hace parte del desplazamiento interno forzado cuando se reúnen los requisitos que caracterizan a este último ». 111 constitutionnels et légaux » (Corte Constitucional 2000, p. 12).111 Par ailleurs, face à ce qu’avait arrêté le juge de tutelle en appel (c' est-àdire la Cour Suprême de Justice) en exigeant les déclarations individuelles des personnes touchées, la Cour Constitutionnelle a considéré que la protection adéquate des droits de la population touchée est tributaire du principe de favorabilité : « S' il existe, comme il s' est produit dans le cas de la présente action de tutelle, de nombreuses déclarations devant la Defensoría del Pueblo en ce qui concerne le fait évident du déplacement de 65 familles de la Comuna 13 de Medellín, on ne peut pas refuser, à ces 65 familles, la dénomination de déplacés internes et les conséquences juridiques et pratiques que cela entraîne, avec l' excuse de la non remise de la copie de la déclaration à un bureau du Ministère de l' Intérieur, même quand cette démarche doit être faite par la Direction Général pour les Droits de l’Homme du Ministère de l’Intérieur ou l' organisme que celle-ci délègue. Le juge de tutelle ne peut pas invoquer de circonstances formelles (non provenant de l’omission de ceux touchés) pour nier la protection des droits fondamentaux des personnes déplacées » (Corte Constitucional 2003a, p. 14). 112 Selon la Cour, en accord avec l’article 13 du Décret 2569 de 2000 : « En cas des déplacements massifs, le Comité Municipal, de District, les autorités municipales et le Ministère Public, tant de la zone d’expulsion comme réceptrice de la population déplacée, agiront ensemble pour établir l' identification et la quantification des personnes qui ont conformé le déplacement massif et effectueront une déclaration sur les faits qui ont été à l' origine de ce déplacement ». 111 Traduit par nous de : « [...] no puede olvidarse que al tenor del artículo 86 de la Constitución Política, la violación o la amenaza de derechos fundamentales tiene lugar no sólo a partir de acciones positivas de las autoridades públicas sino también por causa de la omisión de los deberes constitucionales y legales que les incumbe ». 112 Traduit par nous de : « Si existen, como ocurrió en el caso que da origen a la presente tutela, numerosas declaraciones ante la Defensoría del Pueblo respecto a un hecho notorio como fue el desplazamiento de 65 familias de la denominada Comuna 13 de Medellín, no puede negárseles a esos 65 núcleos familiares el calificativo de desplazados internos y las consecuencias jurídicas y prácticas que ello conlleva, con la disculpa de que no se remitió copia de las declaraciones a una oficina del Ministerio del Interior, máxime cuando esa solicitud de copia, según el citado inciso, le corresponde hacerlo, como lo dice el encabezamiento del inciso a la Dirección General para los Derechos Humanos del Ministerio del Interior o la entidad que esta delegue. El juez de tutela no puede invocar circunstancias formales (no provenientes de omisión de los afectados) para negarla protección a derechos fundamentales de los desplazados ». 112 « La déclaration et l' information récoltée devront être envoyées de manière immédiate et par le moyen le plus efficace, pour leur inscription dans le Registre Unique de Population Déplacée, au siège de l' organisme dans lequel on a délégué l' inscription, du département respectif ». « L' inaccomplissement de ce mandat fera l' objet d' une recherche disciplinaire par l’organe de contrôle respectif ». « La procédure prévue par cet article exempte les personnes qui participent à un déplacement massif de rendre une déclaration individuelle pour solliciter leur inscription dans le Registre Unique de Population Déplacée ».113 Étant donné qu’à l’époque des événements le Comité de la ville de Medellín pour l’Assistance à la Population Déplacée n’était pas instauré, c’était la Defensoría del Pueblo qui a fait le recensement correspondant des personnes victimes du déplacement massif. Eu égard les considérations et les circonstances mentionnées, la Cour Constitutionnelle a confirmé le jugement de première instance émis par le Tribunal Supérieur de Medellín le 25 juillet 2002, et a ordonné à la Red de Solidaridad Social l’inscription sur le Système Unique d’Enregistrement des 65 familles déplacées du quartier El Salado et d’entreprendre les démarches pour assurer leur assistance comme déplacés. De cette manière, le jugement de la Cour Constitutionnelle a défini que l' article 1 de la Loi 387 de 1997 et le deuxième article du Décret 2569 de 2000, n' excluent pas la possibilité que le déplacement forcé puisse se présenter à l' intérieur d’une même ville. Le déplacement intra-urbain est donc compris dans 113 Traduit par nous de : « Cuando se produzcan desplazamientos masivos, el Comité Municipal, Distrital, las autoridades municipales y el Ministerio Público, tanto de la zona expulsora como de la receptora de la población desplazada, actuarán en forma unida para establecer la identificación y cuantificación de las personas que conformaron el desplazamiento masivo y efectuarán una declaración sobre los hechos que originaron el desplazamiento del grupo. La declaración y la información recolectada deberán ser enviadas de manera inmediata y por el medio más eficaz, para su inscripción en el Registro Único de Población Desplazada, a la sede de la entidad en la que se haya delegado la inscripción, del respectivo departamento. El incumplimiento de este mandato será objeto de investigación disciplinaria por el respectivo órgano de control. El trámite previsto en este artículo exime a las personas que conforman el desplazamiento masivo de rendir una declaración individual para solicitar su inscripción en el Registro Único de Población Desplazada ». 113 la normativité relative au déplacement forcé par la violence, puisqu' il a lieu dans un contexte de violence qui oblige les habitants de secteurs urbains à abandonner leur résidence et chercher refuge dans un autre lieu situé dans la même ville. Après ce jugement, la Red de Solidaridad Social de la ville de Medellín a commencé à reconnaître le phénomène et à offrir une assistance aux déplacés intra-urbains dans le cadre de la Loi 387 de 1997 et ses décrets réglementaires.114 Conclusion Dans cette partie nous avons parcouru le développement de la catégorie de déplacé dans les instruments juridiques et la place donnée au déplacement intra-urbain du point de vue juridique. D’abord nous avons souligné les ressemblances entre les réfugiés et les déplacés et comment les termes pour les nommer se sont constamment mélangés. En effet, la notion de « déplacé » est inspirée par les principes normatifs relatifs aux réfugiés et sa définition comporte des problèmes déjà connus dans le cas de réfugies. Tout a long de l’analyse nous avons pu observer des problématiques partagées par ces deux populations. Les plus remarquables sont : a) La difficulté de différencier les réfugiés et déplacés des autres migrants et de ce fait, le durcissement du système d’aide à ces populations, b) la stigmatisation de migrants forcés et le rôle des organismes de défense des droits de l’homme pour leur protection. Dans le premier aspect, il est évident que les migrants forcés s’ajoutent aux masses de migrants à la recherche d’emploi, éducation, meilleures conditions de vie, et tous ceux qui ont laissé leur patrie pour n’importe quelle motivation. « Si, sur le papier, ces catégories sont bien distinctes, dans la réalité, 114 Néanmoins, quelques organismes de défense des droits de l’homme ont souligné qu’en dépit de l’arrêt 268, l' Unité Territoriale d’Antioquia de la RSS, continue à rejeter l' inclusion dans le SUR de personnes qui, pour des raisons du conflit armé urbain, ont été obligées à se déplacer dans une autre secteur de la ville ou entre les municipios de l’Aire Métropolitaine de la Vallée d’Aburrá (IPC 2006, p. 55). 114 il en va tout autrement et elles se chevauchent de multiples façons » (UNHCR 2000 p. 280). Dans le cas colombien, d’après la CODHES il est très difficile de différencier les déplacés forcés à cause de la violence des migrants économiques, sinistrés ou ceux qui migrent pour de raisons familiales ou personnelles. « Depuis un regard externe, obtenir une différenciation nette entre les uns et les autres obéit plus à un exercice épistémo-méthodologique qu' à la présence d' aspects “visibles” qui permettent d' effectuer des distinctions à première vue » (CODHES cité en Corte Constitucional 1997, p. 12).115 Cette difficulté d’établir avec précision qui est réfugié ou déplacé a engendré plusieurs limitations dans les systèmes conçus pour aider ces populations. D’autre part, la normativité qui est conçue pour porter secours aux victimes est souvent utilisée de manière restrictive pour contrôler le nombre de migrants couverts sous ces catégories. Étant donné le nombre des migrants qui se font passer comme réfugiés ou déplacés pour avoir accès aux aides, la normativité mise en marche est chaque fois plus restrictive et de cette façon empêche les vraies victimes de la violence de faire valoir leurs droits en tant que migrants forcés. Le deuxième aspect concerne la protection des droits des migrants forcés par les organismes de défense des droits de l’homme. Ces organismes ont conçu les instruments internationaux et ont influencé l’élaboration des instruments locaux pour la protection des victimes. La dénonciation de violation de droits de l’homme par les migrations forcées a engendré de multiples tensions avec les États de réception dans le cas de réfugiés et les gouvernements locaux dans le cas de déplacés. En suivant l’analyse de Francis Deng, quand il était Secrétaire Général des Nations Unies pour les Personnes Déplacées à l’Intérieur son propre Pays, en 1992, « [...] les déplacés internes tombent facilement dans “un vide de responsabilité” au sein de l’État. Les pouvoirs publics concernés les considèrent comme des “ennemis”, plutôt que comme “les leurs” nécessitant 115 Traduit par nous de : « Desde una mirada externa, lograr una nítida diferenciación entre unos y otros obedece más a un ejercicio epistémico-metodológico que a la presencia de aspectos “visibles” que permitan realizar distinciones a primera vista ». 115 protection et assistance » (UNHCR 2000, p. 214). De ce fait, plus qu’une préoccupation humanitaire, les migrants représentent une charge additionnelle et une menace pour les régions d’accueil. En Colombie les positions des gouvernements de lieux de réceptions des déplacés sont multiples et ils les stigmatisent souvent. Pour eux, les déplacés : « [...] augmentent la marginalité, les taux de chômage, l' emploi informel, les couloirs de misère, la confrontation sociale ; ils rechargent les demandes de services publics ; ils ne contribuent pas avec des capitaux additionnels ; ils ne sont pas main d' oeuvre qualifiée ; ils représentent des liens suspects avec les zones de conflit et par conséquent avec les acteurs armés ; ils aggravent la situation des secteurs marginaux de réception ; déstructurent les clientèles politique ; ils produisent des chocs ethniques et culturels, augmentent l' insécurité ; et ils peuvent constituer des avant-gardes urbaines de la subversion rurale » (Vidal 2005, p. 209).116 Nous observons comment les migrants forcés sont l’objet d’un regard ambivalent. D’un côté, ils sont victimes de la violence et de la guerre et méritent la solidarité sociale et l’aide étatique. Mais d’un autre, ils sont objet de suspicion pour le fait de leur provenance des zones de conflit armé où « personne n’est innocent ». En ce qui concerne le cas des déplacés colombiens, nous pouvons remarquer aussi deux aspects importants : a) la catégorie des déplacés est construite à partir d’éléments juridiques, b) le déplacement intra-urbain en Colombie commence à être une affaire visible à partir de sa reconnaissance juridique par la Cour Constitutionnelle. Le premier aspect dénote comment en Colombie le mot déplacé devient directement lié aux notions normatives. C’est la norme qui définit qui est un déplacé et les droits qui lui sont attachés. C’est à travers la promulgation de lois et de décrets que le déplacement devient une affaire plus visible et nous 116 Traduit par nous de : « [...] aumentan la marginalidad, las tasas de desempleo, el empleo informal, los cinturones de miseria, la confrontación social ; recargan las demandas por servicios públicos ; no contribuyen con capitales adicionales ; no son mano de obra calificada ; representan vínculos sospechosos con las zonas de conflicto y por lo tanto con los actores armados ; agravan la situación de los sectores marginales de recepción ; desestructuran las clientelas políticas ; producen choques étnicos y culturales, aumentan la inseguridad ; y pueden constituir avanzadas urbanas de la subversión rural ». 116 commençons à reconnaître le déplacé comme une personne qui a subit d’une manière plus aiguë la violence dérivée du conflit armé qui traverse le pays. Nous accordons aux déplacés une place singulière du point de vue juridique et un énorme appareil étatique est mis en marche pour assurer leur assistance. Le développement du système d’assistance aux déplacés a généré beaucoup de tensions entre les organismes chargés de la mise en marche de la politique publique mais aussi a démarqué une dispute entre les différentes branches du pouvoir publique ; comme nous avons pu le remarquer dans les analyses des arrêts de la Cour Constitutionnelle. Par ailleurs, les déplacés ont aussi incorporé ce langage juridique et se sont appropriés cette catégorie pour se faire remarquer par l’État et pour accéder aux bénéfices que cette catégorie suppose. Néanmoins, l’arrêt T-025 de la Cour Constitutionnelle rend évident les défaillances du Système National d’Assistance à la Population Déplacée par la Violence et déclare un état inconstitutionnel des faits. Cette situation rend évidente une tension entre l’État et la Société, et la distance entre les normes juridiques et les pratiques institutionnelles et sociales. Le deuxième point signale la façon dont en Colombie les déplacés ne constituent pas une catégorie homogène. Nous avons parlé du type de déplacés du point de vue juridique et des traitements différentiels que méritent certains groupes (incapacité, chef de famille, troisième âge, condition ethnique, condition socio-économique, etc.). De même, il existe divers types de déplacements par rapport au caractère de la mobilité géographique : migrations de la campagne à la ville, entre parcelles, entre villes et aussi les déplacements à l’intérieur d’une même ville. En effet, il a fallu un arrêt spécifique de la Cour Constitutionnelle pour reconnaître l’existence du déplacement intra-urbain et pour donner à ces personnes les aides qui leurs sont propres. Nous constatons encore une fois comment l’ordonnancement juridique définit la place et le type d’assistance que mérite cette population. Une fois analysée la provenance de la catégorie de déplacé et plus particulièrement celle du déplacé intra-urbain, nous nous demandons quelles sont les caractéristiques propres à ce déplacement. Selon la Cour Constitutionnelle, le déplacement est une situation de facto où c’est la contrainte 117 qui rend nécessaire la fuite. De ce fait, on se demande dans quelles circonstances apparaît cette pratique ? Dans quel contexte se donne une telle situation ? Qui sont les responsables ? Quelles sont les logiques d’action de ces acteurs ? Pour répondre à ces questions nous allons voir dans la partie suivante le contexte de violence contemporaine et le surgissement des acteurs armés illégaux en Colombie. Par la suite, dans la troisième partie nous allons analyser les particularités du déplacement intra-urbain dans les cas de Medellín et Barrancabermeja. 118 DEUXIÈME PARTIE VIOLENCE POLITIQUE ET CONFLITS URBAINS Introduction Quelques études signalent que les protagonistes du conflit armé national ne sont responsables que d’une faible partie des meurtres et des enlèvements qui se produisent dans les métropoles, et que ceux-ci n’ont toujours pas la capacité de transférer le conflit dans les villes. Selon Echandía, les guérillas colombiennes ont un fort potentiel militaire dans les zones rurales, où elles disposent des sources de financement stables. Mais « l' expansion de la guérilla vers des zones urbaines avec un plus grand potentiel stratégique n' est pas accompagnée de la capacité d' effectuer, de manière soutenue, des actions offensives » (Echandía 1999, p. 2).117 Dans le même sens, l' étude de l’année 2003 sur le Développement Humain en Colombie présentée par le Programme de Nations Unies pour le Développement (PNUD) souligne que les activités des guérillas se situent essentiellement dans les zones rurales. Cependant, elle signale que bien que le conflit soit situé dans la « périphérie » géographique et politique, le « centre » est la source, l' objectif, et, chaque jour, il devient la scène de la lutte armée. Dans ce contexte, les villes commencent à être affectées par le conflit armé (national), particulièrement dans les quartiers périphériques (PNUD 2003, p. 21-64). Notre étude porte sur le déplacement intra-urbain forcé par la violence, dont les responsables sont les groupes armés du conflit national (guérillas, paramilitaires et Force Publique). C' est-à-dire qu’on reconnaît l' ampleur et les implications du conflit armé national dans les villes et son interrelation avec la violence. Pour cette raison, on cherchera les racines du déplacement intra-urbain dans le cadre du conflit interne que vit le pays. Nous verrons comment les combats livrés par les différents acteurs armés se répercutent dans les villes, notamment à Medellín et Barrancabermeja. 117 Traduit par nous de : « La expansión de la guerrilla hacia zonas urbanas con mayor potencial estratégico no se encuentra acompañada de la capacidad de realizar, en forma sostenida, acciones ofensivas ». 119 Or, nous reconnaissons la difficulté à définir la violence, étant donné que dans la réalité elle ne correspond pas à une manifestation précise.118 Olivier Pissoat et Vincent Gousset dans l' article « La representación cartográfica de la violencia en las ciencias sociales colombianas » démontrent la difficulté de donner une définition de la violence en Colombie. Selon les auteurs, pendant la seconde moitié du vingtième siècle, il y a eu plusieurs manifestations de violence dans le pays qui ont agi de concert. C’est cette caractéristique qui explique la difficulté d' établir une définition précise, pour un sujet qui ne l' est pas et qui, en outre, change régulièrement avec le temps (Pissoat et Gousset 2002, p. 8).119 « La violence est un terme employé pour décrire des situations très diverses. En l’absence d’une définition commune et limitée, la polysémie du terme engendre des interprétations multiples, voire contradictoires. F. Gaitán le souligne à propos des recherches menées sur le sujet en Colombie : les événements et les facteurs explicatifs pris en compte sont si différents qu’ils finissent par ne plus se référer à un même phénomène (Gaitán, 1997 : 86-87). Il faut le reconnaître, les classifications des formes de violence sont nombreuses, variables, se chevauchent souvent et ne répondent parfois qu’au besoin singulier de celui que les applique » (Pissoat et Barbary 2004, p. 229). Ainsi, il est manifeste que nous ne pouvons pas tracer de lignes claires entre les différents types de violence qui se rencontrent dans le pays. Néanmoins, il faut souligner les éléments propres de notre recherche pour tenter de définir la violence sur laquelle nous allons parler, sans oublier que l’exercice de différentiation précise entre des types distincts de violence reste toujours inabordable. En ce qui concerne l’objet de notre étude, nous allons employer les concepts de violence politique et de conflit urbain pour ce qui est relatif au conflit interne armé de la Colombie. Même si la notion de violence politique n' est pas épuisée dans la confrontation armée nationale nous allons nous restreindre à celle-ci. 118 L’anthropologue brésilienne Alba Zaluar explique que la violence est un terme polyphonique dans son étymologie et aussi dans ses manifestations. De ce fait, la façon dont le phénomène a été combattu n’a ni une définition univoque ni claire (Zaluar 1999b, p. 28). 119 Les auteurs proposent de traiter le sujet de la violence dans une perspective historique, où les circonstances, les interprétations et les représentations des processus sont superposées entre eux. 120 En Colombie nous pouvons parler de différents types de violences urbaines : politiques, intrafamiliales, minoritaires, sexuelles, psychologiques, etc. Le sociologue Daniel Pécaut utilise le terme de « violence généralisée » pour parler de la situation colombienne : « [...] lorsque les phénomènes divers de violence entrent en résonance et définissent le contexte de la plupart des interactions collectives » (Pécaut 1996a, p. 226). Pour l’auteur, « [...] ce sont l’ébranlement des régulations institutionnelles et la perte de crédibilité de l’ordre légal qui ouvrent le champ de la violence généralisée » (Pécaut 1996b, p. 27). De ce fait, nous remarquons la difficulté de différencier la violence politique de celle qui ne l’est pas, et nous repérons qu’elles se sont confondues à plusieurs reprises.120 Néanmoins, ce qui est certain est que la violence politique perpétrée dans les villes a une plus grande signification à l’égard de l' ensemble social. Le journal El Colombiano121 en parlant de l' accroissement de la violence urbaine dans le pays remarque que : « [...] quand les acteurs armés agissent en ville ils produisent un effet psychologique de grande décomposition émotionnelle publique et l’inconscient collectif est chargé de crainte et d’espoirs obscurs» (El Colombiano 2002b).122 De même, Alonso Salazar, dans un article publié dans le même journal, souligne le fort impact psychologique qu’a eu pour les colombiens l' avertissement du « Mono Jojoy »,123 après la fin du processus de paix en 2002, qui disait que la guérilla allait « dominer les villes » (Salazar 2002, p. 1). Quelques auteurs comme Echandía, indiquent la nécessité d' étudier la véritable portée d' une urbanisation éventuelle du conflit armé, puisque depuis 2002 les villes ont été de nouveau les cibles des attentats terroristes, événements qui frappent directement la psychologie collective (Echandía s.d., p. 6).124 120 Cette approche de Pécaut a été critiquée par Pissoat et Barbary. Pour eux, cette interprétation « [...] peut mener à un rapprochement univoque des phénomènes, alors que certains sont peut être plus indépendants des autres qu’on ne le suppose » (Pissoat et Barbary 2004, p. 232). 121 El Colombiano est le journal de la ville de Medellín. Il est le plus répandu dans le département d’Antioquia. Site Internet : http://www.elcolombiano.com/ 122 Traduit par nous de : « [...] el hecho de que los actores armados focalicen estrategias en la ciudad produce un efecto psicológico de descomposición emocional pública grande y el inconsciente colectivo se carga de temor y expectativas oscuras ». 123 Jorge Briceño Suárez connu comme le Mono Jojoy est l’un des membres dirigeants des FARC-EP. Il est l’un des principaux responsables de l’enlèvement d’Ingrid Betancourt. 124 Les plus représentatifs ont été l’attaque du Palais de Nariño en 2002, la bombe dans 121 Selon Pissoat et Barbary, il existe un rôle effectif du conflit armé dans la généralisation du sentiment d’insécurité pour l’ensemble de la société (Pissoat et Barbary 2004, p. 239). « Il faut cependant revenir à la dynamique du conflit armé et aux pratiques de grand banditisme qui lui sont associées, pour comprendre l’évolution de la perception des violences dans les métropoles. À la fois compatissants, indignés, et malgré tout spectateurs impuissants, les citadins se sont longtemps sentis étrangers aux combats livrés dans les zones rurales. Quant aux batailles sanglantes entre mafias et aux assassinats « politiques », ils étaient certes commis dans leur ville, mais visaient des cibles bien identifiées : dirigeants ou militants de tous bords. Cette perception paradoxale d’une violence à la fois proche et distanciée se modifie radicalement à la charnière des années 1980-1990, durant la vague d’attentats perpétrés par les narcotrafiquants. L’homme de la rue se sait alors un objectif militaire potentiel et la crainte s’installe dans toutes les couches de la population » (Pissoat et Barbary 2004, p. 238). Même si nous admettons que le conflit armé ne soit pas encore transféré à la ville et que les acteurs armés illégaux aient leur principales activités figées dans la campagne, la violence politique perpétrée dans la ville a une signification très forte sur toutes les couches de la population colombienne. De même, les répercussions du conflit national se perçoivent de plus en plus dans les villes, et surtout dans les quartiers défavorisés. Selon le PNUD, l’importance du « centre » et de la ville comme scénario du conflit est caractérisé par : a) le besoin de réseaux d' appui et l’accès aux services, b) les opérations ponctuelles à caractère tactique ou logistique (assauts, kidnappings, extorsion, vol d' armes) qui doivent être opérés dans les métropoles, c) la violence exercée sur des personnalités qui habitent dans la ville, d) la fragmentation de quelques villes dans des zones, comunas, quartiers où les acteurs armés illégaux établissent un certain « ordre », e) les combats occasionnels entre guérillas, paramilitaires et Force Publique, et f) les actions terroristes des groupes armés, dont l' objectif est de gagner de la visibilité ou de provoquer des changements d' attitude de la population ou des autorités (PNUD 2003, p. 60). les installations du Club El Nogal en 2003 et plus récemment, en octobre 2006, l’attentat à l’École Supérieur de Guerre (Cantón Norte Bogotá) qui a laissé 25 blessés, dont la plupart parmi la population civile (El Tiempo, 22 octobre 2006). 122 En effet, les villes présentent un grand intérêt autant stratégique que politique pour les acteurs armés. L’ensemble de l' activité partisane et paramilitaire se répercute dans la ville par les kidnappings, les actes terroristes, les extorsions, la propagande pour la lutte armée, l’influence sur certains quartiers stratégiques, et par d’autres biais. À long terme, conflit rural et conflit urbain finissent par s’alimenter réciproquement. Or, quand nous traiterons des acteurs armés du conflit national, nous ferons souvent référence aux bandes et groupes de délinquance de la ville, étant donnée la difficulté d’extraire la violence perpétrée par les grands protagonistes des autres violences manifestes dans les villes. Les troubles causés par des groupes de jeunes, les pratiques de banditisme et délinquance dans des quartiers sensibles alimentent la violence politique. D’après Camacho : « Le problème de la violence colombienne est aggravé par le processus par lequel les différentes modalités des violences tendent à être entrelacées et réalimentées. Ainsi, les organisations insurgées recourent systématiquement aux pratiques propres à la délinquance comme l' extorsion et le kidnapping ; la délinquance commune échange des kidnappés avec les organisations insurgées; les narcotrafiquants propriétaires fonciers financent des groupes paramilitaires experts dans les massacres et le terrorisme ; ils financent aussi des groupes de jeunes urbains dans leur qualité de sicarios ; les négociants d' armes s’enrichissent du marché créé par des insurgés et paramilitaires ; enfin, il y a des circuits dans lesquels les distinctions entre des modalités de la violence sont rendues complexes et confuses » (Camacho 2001, p. 27).125 Les relations entre acteurs organisés et acteurs violents plus désorganisés sont aussi remarquées par Gérard Martin : 125 Traduit par nous de : « El problema de la violencia colombiana se agrava con el proceso por el cual las diferentes modalidades de violencia tienden a entrelazarse y a realimentarse. Así, las organizaciones insurgentes recurren sistemáticamente a prácticas propias de la delincuencia común, como la extorsión y el secuestro ; la delincuencia común intercambia secuestrados con la insurgencia ; los narcotraficantes terratenientes financian a grupos paramilitares expertos en masacres y terrorismo ; financian también a grupos de jóvenes urbanos en su calidad de sicarios ; los mercaderes de armas se lucran del mercado creado por insurgentes y paramilitares ; en fin, se crean circuitos en los que las distinciones entre modalidades de violencia se hacen complejas y confusas ». 123 « Les frontières entre luttes armées, violences sociales, criminalité organisée et délinquance commune ont disparu. Des groupes armés bien structurés comme des organisations paramilitaires, d' autodéfense et de guérilla se livrent des guerres locales pour imposer ou consolider leur contrôle sur des ressources et des possessions diverses. S' y mêlent toute une série d' acteurs plus désorganisés, dont les motifs peuvent être des plus banals jusqu' aux plus politiques. Violences politiques et non politiques, organisées et inorganisées, entrent en résonance et finissent par redéfinir le contexte dans lequel la société se reproduit »(Martin 1997, p. 196). Nous parlerons donc de la violence politique contemporaine que subit la Colombie. Par la suite nous aborderons les acteurs armés du conflit national de façon générale pour se retourner sur leur impact et leur influence dans les métropoles. Cette partie est consacrée à la description de ces acteurs étant donné qu’ils sont les principaux responsables des déplacements forcés de population. Pour comprendre les dynamiques propres du déplacement il faut d’abord comprendre les logiques et les intérêts qui poussent les acteurs armés à entretenir cette situation. À la fin de cette partie nous ferons une brève note sur le rôle des médias face au conflit armé dans le pays. Pour la construction de cette partie, nous avons utilisé plusieurs sources d’information. Dans l’analyse globale de la violence en Colombie nous avons utilisé notamment les études d’Álvaro Camacho et Álvaro Guzmán (1990) ; Gérard Martin (1997) ; Camilo Echandía (1999) ; Gonzalo de Francisco (2003) ; Mauricio Rubio (2003) ; María Victoria Uribe (2004) et Françoise Dureau et al (2004). Nous avons aussi utilisé les articles publiés dans la revue Análisis Político de l' Institut d' Études Politiques et Relations Internationales de l' Université Nationale de la Colombie, laquelle s’est constituée dans un porte-parole représentatif des études sur le confit armé dans le pays. En outre, nous nous sommes appuyés notamment sur les études de Daniel Pécaut (1996a et b, 1998, 2000, 2001) qui s’avère être l’un des plus grands chercheurs étrangers sur la violence en Colombie.126 126 « Sans le moindre doute l' oeuvre qui a marqué un point de repère notoire dans les études sur la violence colombienne est celle de Daniel Pécaut, dont le travail documentaire admirable par la capacité d' inclure un important volume de documentation historique combiné avec des schémas d' interprétation qui font un lien entre la violence et l' histoire colombienne pour produire non seulement une interprétation globale de la violence comme partie intégrale de notre particularité comme société, mais il porte un regard sur la société colombienne qui s' est transformée, sans le moindre doute, en oeuvre de consultation obligatoire pour toute étude sur le pays » (Camacho et Hernández 124 Nous avons utilisé aussi quelques rapports institutionnels des Nations Unies (ONU 1994), l’Organisation des États Américains (OEA 1997) et la Defensoría del Pueblo (2002, 2005) et notamment l’étude sur le Développement Humain réalisée par le PNUD en 2003. Cette étude a rassemblé beaucoup d’information sur le conflit armé en Colombie collecté par des chercheurs colombiens spécialisés dans le domaine tels que : Hernando Gómez Buendía ; Carlos Vicente de Roux ; Alejandro Reyes ; Marco Palacios ; Alfredo Molano et Darío Fajardo pour n’en citer que quelques uns.127 Pour la construction spécifique des différents sujets abordés, nous avons travaillé sur les thèses de quelques auteurs en particulier : trafic de drogue : Álvaro Camacho (1998, 2001, 2004) et Alonso Salazar (2002) ; guérillas : Jaime Arenas (1972) ; Patricia Lara (1981) ; Carlos Arango (1985) ; Fabiola Calvo (1987) ; Carlos Franco (1987) ; Eduardo Pizarro (1989, 1991, 2004) ; Camilo Echandía (1999) ; et PNUD (2003) ; paramilitaires : Alejandro Reyes (1991) ; Mauricio Romero (2002a et b, 2003) et PNUD (2003) ; milices : Astrid Téllez (1995) et Franco et Roldán (s.d.) ; tueurs à gages : Carlos Miguel Ortiz (1991) ; Alonso Salazar (1992), et Álvaro Camacho (1998). 1. La violence politique contemporaine Notre étude porte sur la dernière grande période de violence en Colombie. Cette période est considérée à partir de la formation et réactivation de groupes de guérillas ruraux après l' instauration du Frente Nacional. On appelle Frente Nacional la période entre 1958 et 1974 pendant laquelle les deux partis 1990, p. 7) . Traduit par nous de : « Sin la menor duda la obra que ha marcado un hito más notorio en los estudios sobre la violencia colombiana es la de Daniel Pécaut, cuyo trabajo documental impresiona por la capacidad de incluir un volumen importantísimo de documentación histórica combinado con unos esquemas de interpretación que ligan a la violencia con la historia colombiana para producir no sólo una interpretación global de la misma como parte integral de nuestra peculiaridad como sociedad, sino una mirada al panorama de la sociedad colombiana que se ha convertido, sin la menor duda, en obra obligada de consulta para cualquier estudioso del país ». 127 Les études d’Alain Touraine sur l’Amérique Latine reposent sur les conclusions des études du Développement Humain du PNUD (Colloque International : Expériences Limites et Violences : dialogues avec l’Amérique Latine. 18 octobre 2006). 125 traditionnels accordent d’alterner le pouvoir pendant quatre périodes présidentielles et distribuer également les postes publics, comme manière de mettre fin à l’époque connue comme La Violencia. Ce partage du pouvoir, lequel fut approuvé par le plébiscite de réforme constitutionnelle du mois de décembre 1957, s’est prolongé au delà des seize années initialement prévues. Selon Pécaut, le clientélisme demeure la véritable base du régime, il s’agit d’un « clientélisme cynique qui n’en appelle plus à des fidélités mais à des calculs et des intérêts qui ne concernent qu’une minorité » (Pécaut 1996a, p. 247). L’ambiance politique et sociale créée par ce régime a produit des mécontentements dans plusieurs couches de la population et a marqué la naissance (ou la renaissance) des actuels groupes de guérillas dans le pays. Le Frente Nacional « [...] en frustrant les possibilités d' émergence d' une gauche démocratique, a créé largement le climat pour le développement majoritaire d' une gauche extraparlementaire et conspiratrice » (Pizarro 1991, p. 159).128 Les normes de ce régime limitaient l' action politique des autres partis et ont compliqué l' activité légale du Parti Communiste. Les communistes ont cherché des postes dans des listes libérales pour accéder aux corporations publiques, mais leur tentative a été dénoncée, par le chef unique du libéralisme de l’époque, comme une fraude de la loi constitutionnelle (Pizarro 1991, p. 162). « La criminalisation du mouvement populaire par l' État, ainsi que d' une bonne partie des manifestations de non-conformité ou d' opposition, constituerait un des résultats les plus discutables du Frente Nacional : celui-ci tandis qu' il a ouvert les portes démocratiques aux deux partis, les a fermées au reste des expressions sociales ou politiques. L’État de Siège permanent serait sa principale manifestation » (Pizarro 1991, p. 159).129 Néanmoins, la violence contemporaine ne s’explique pas seulement par des théories sur le caractère d’exclusion du bipartisme et la continuité historique 128 Traduit par nous de : « [...] al frustrar las posibilidades de emergencia de una izquierda democrática, se creó el clima para el desarrollo ampliamente mayoritario de una izquierda extraparlamentaria y conspirativa ». 129 Traduit par nous de : « La criminalización del movimiento popular por parte del Estado, así como de una buena parte de las manifestaciones de inconformidad o de oposición, constituiría uno de los resultados más discutibles del Frente Nacional : éste mientras abrió las compuertas democráticas para los dos partidos, las cerró para el resto de las expresiones sociales o políticas. El Estado de Sitio permanente sería su principal manifestación ». 126 de la violence comme le suggèrent plusieurs auteurs (Posada 1969 ; Oquist 1978 ; Kalmanovitz 1982 ; Henderson 1984 ; Sánchez 1991). Maints sont les facteurs auxquels on attribue la violence et la naissance et consolidation d' acteurs armés illégaux en Colombie. D’abord nous trouvons les « causes objectives de la violence ». Elles comprennent : « Les réalités politiques, sociales et économiques qui comportent une détérioration grave des conditions d' existence de vastes secteurs de la population [...] phénomène qui se produit quand la société se voit empêchée dans son développement étant données les limitations qui proviennent des structures sociales, produites par les relations nouées dans l' inégalité » (Echandía s.d., p.2).130 Quelques exemples des causes objectives sont : la croissance de la pauvreté et le chômage ; les conditions d' inégalité et d’exclusion sociale et économique, notamment le problème de distribution de la terre et la richesse ; le manque de participation des citoyens dans les affaires publiques ; la faiblesse de la démocratie et la perte de consensus face à la gestion étatique; la centralisation et les basses couvertures des services sociaux. Ces causes ont été traitées par beaucoup d’analyses même s’il n’existe pas un texte qui englobe cette interprétation, soulignant les aspects structurels responsables de la violence (Gaitán et Montenegro 2000, p. 17).131 D’autres études signalent qu’il 130 Traduit par nous de : « Las realidades políticas, sociales, y económicas que comportan un grave deterioro de las condiciones de existencia de amplios sectores de la población. [...] fenómeno que se produce cuando la sociedad ve obstaculizado su desarrollo debido a las limitaciones que provienen de las estructuras sociales mismas, producto de relaciones basadas en la desigualdad ». 131 Pour un bilan sur les études de la violence en Colombie voir l’étude de l’année 2000 de Fernando Gaitán et Santiago Montenegro, Un Análisis Crítico de Estudios sobre la Violencia en Colombia. Les auteurs analysent la littérature sur la violence contemporaine en Colombie. Ils expliquent le surgissement des différentes théories sur la violence dans le pays à partir de l’analyse de la profession des auteurs, le type d’approche choisi, l’époque de réalisation des études etc. Pour sa part, l’étude de l’année 2004 de Fernán González Bajo el Volcán analyse aussi les différentes approches des recherches sur la violence en Colombie. À ce propos, voir aussi l’article de l’année 2000 de Donny Meertens, « Violencia y desplazamiento forzado en Colombia : miradas sobre lo público, voces desde lo privado » indiqué dans la bibliographie. Pour le cas du Brésil, Alba Zaluar fait aussi un bilan sur la production académique sur la violence et le crime à partir des années 1970. En 1999 elle a publié « Violência et Crime » dans le livre O que ler na ciência social brasileira (1970-1995). Dans cet article, elle présente des textes qui prennent la perspective structurale dans l’explication de la violence tels que l’exclusion et la marginalité de quelques secteurs dans la structure sociale et urbaine, notamment l’exclusion et la ségrégation des favelas. D’autres études abordent le sujet à partir des représentations sociales et des imaginaires et focalisent l’analyse sur la peur et le rôle des médias dans la présentation de la violence. Finalement, Zaluar présente des autres 127 existe une culture de la violence installée dans le pays (Comisión de Estudios de la Violencia 1987 ; Sánchez 1991). Néanmoins les travaux de Fernando Gaitán réfutent l’idée de la culture de la violence et de sa continuité historique en démontrant que la Colombie a traversé des périodes de calme.132 Par ailleurs, le manque d’identité régionale a été aussi présenté comme une cause de la violence, ayant donné lieu à des études régionales sur le phénomène (Fajardo 1979 ; Fals Borda 1986 ; Jaramillo, Mora, Cubides 1989 ; Medina 1990 ; Molano 1990 ; Uribe 1992). Sont aussi fréquentes les études sur la fragilité de l' État de Droit et l’inefficacité des organismes étatiques pour l’administration de la justice, situation que selon quelques auteurs a permis la consolidation du narcotrafic dans le pays, et par la suite le déclenchement de la violence (Montenegro 1994 ; Montenegro et Posada 1994 ; Deas et Gaitán Daza 1995). De même, plusieurs études ont une approche holistique pour analyser les phénomènes de violence en Colombie. Selon Gaitán et Montenegro, cette approche s’explique par l' existence de différents types de violence, qui requiert chacun une explication et un traitement particulier. Ces études soulignent une multi-causalité de la violence sans donner de prélation ou de hiérarchie à aucune d’entre elles. Ils traitent de facteurs structurels de l' organisation de la société, ainsi que de variables moins mesurables comme la psychologie des acteurs armés et des personnes touchées par la violence (Gaitán et Montenegro 2000, p. 11).133 textes qui associent la violence aux difficultés d’appartenance et d’organisation de la société civile (Zaluar 1999b). 132 La théorie sur la culture de la violence n’est pas exclusive à la Colombie. Pour le cas brésilien, Alba Zaluar indique que la diffusion récente de pratiques violentes dans quelques secteurs de la société, a incité quelques intellectuels brésiliens à parler de « la perte de l' innocence » et de l' évidente manifestation du côté noir de l' humain entre les brésiliennes (Zaluar 1999b). 133 L’approche holistique est fortement critiquée par les auteurs notamment en termes de la définition de politiques publiques. Cette vision holistique de la violence empêche de hiérarchiser des politiques, étant donné que « tout » est significative et mériterait la même importance. 128 Les études du CINEP (Centro de Investigación y Educación Popular)134 pour leur part insistent sur : « [...] la nécessité de considérer, mis à part les conditions objectives comme la pauvreté et l' inégalité, l' exclusion sociale et la faiblesse de la régulation étatique, les aspects subjectifs comme la perception relative de la situation dans son contexte et les sentiments de frustration de jeunes paysans face à leurs possibilités économiques, sociales et politiques [...] de même que les plans stratégiques qui élaborent les directives des organisations insurgées » (González 2004, p. 59).135 Dans le même sens Daniel Pécaut commente : « J' ai toujours marqué une distance avec les travaux qui imputent des « causes » précises, structurelles ou non, au développement des phénomènes de violence. Non seulement parce que lesdites causes constituent un nombre illimité, mais parce que leur véritable portée est en rapport avec le fait qu' elles s' inscrivent dans les logiques d' action de certains protagonistes organisés. En d' autres termes, bien que les causes soient là, disponibles (soit qu’il s' agit de la misère, des inégalités ou de l’absence d’assistance de l' État), il est nécessaire que quelques acteurs s' approprient et se servent d' elles pour légitimer leurs actions de telle sorte que des situations considérées jusqu' à un certain moment comme « normales » se transforment, d’un coup, en insupportables. Les causes sont, donc, largement, le produit des discours et des actes de ceux qui les invoquent » (Pécaut 2001, p. 10).136 134 Le CINEP est une fondation créée par la Compagnie de Jésus en 1972. Le Centre travaille pour la promotion du développement humain intégral et soutenable. Il est à la fois un centre de recherche sur la réalité sociale et culturelle de la Colombie, une organisation de médiation dans le conflit social, et un centre de documentation qui aide à la compréhension du développement du pays. Cette recherche fera référence notamment aux études de Fernán González et Ingrid Bolívar, membres de cette fondation. Site Internet : www.cinep.org.co 135 Traduit par nous de : « [...] la necesidad de considerar, al lado de las condiciones objetivas como la probreza y la desigualdad, la exclusión social y la precariedad de la regulación estatal, aspectos subjetivos como la percepción relativa de la situación con respecto al entorno y los sentimientos de frustación de campesinos jóvenes frente a sus posibilidades económicas, sociales y políticas, [...] lo mismo que los planes estratégicos que van elaborando las directivas de las organizaciones insurgentes ». 136 Traduit par nous de : « Siempre he marcado una distancia con los trabajos que imputan “causas” precisas, estructurales o no, el desarrollo de los fenómenos de violencia. No solamente porque las llamadas causas constituyen un número ilimitado, sino porque su verdadero alcance está relacionado con el hecho de que se inscriban en las lógicas de acción de determinados protagonistas organizados. Dicho de otra manera, si bien las causas están allí, disponibles (se trate de miseria de las inequidades o de las carencias del Estado), es necesario que unos actores se apropien y se sirvan de ellas para legitimar sus acciones de tal manera que situaciones consideradas hasta un determinado momento como “normales” se conviertan de repente en insoportables. Las 129 Appuyée surtout par la notion de violence présentée dans les études du CINEP et du sociologue Pécaut, notre étude reprend quelques aspects représentatifs de plusieurs auteurs. Même si nous admettons qu’il existe des causes objectives et des causes subjectives, et que les premières soient instrumentalisées par les différents acteurs du conflit, nous donnons aussi une place singulière au trafic de drogue dans le débordement de violence dans le pays. À l’instar de Pécaut nous pensons que « [...] l' expansion du trafic de drogue est le point de départ de la chute de la Colombie dans une situation de violence généralisée » (Pécaut 2001, p.13).137 Le trafique de drogues, lié aux différents acteurs armés, a déclenché plusieurs manifestations violentes qui s’ajoutent et se chevauchent aux autres expressions de la violence.138 Au départ, le conflit était présenté comme une confrontation entre les guérillas et les régimes politiques en place. Par la suite, bien d’autres protagonistes font irruption sur la scène : narcotrafiquants, groupes de paramilitaires illégaux, bandes des tueurs à gages, milices urbaines etc. (Pécaut 1996a, p. 226). Nous constatons que face à l’instabilité et à l’absence de paix, il existe dans le pays un processus croissant de privatisation du pouvoir. « [...] dans une analyse de la confrontation, le sujet du pouvoir est central : quand la structure du pouvoir politique de l' État est cassée, soit pour des raisons économiques, sociales, juridiques ou politiques, entre autres, et quand celui-ci perd le monopole de la force, d' autres forces qui exercent le pouvoir apparaissent. Elles agissent, par la contrainte et la commission de faits violents. Plusieurs organisations armées illégales en Colombie ont opéré de cette façon, pendant des années » (Defensoría del Pueblo et UNHCR 2004, p. 11).139 causas son, pues, ampliamente, el producto de los discursos y de los actos de los que los invocan ». 137 Traduit par nous de : « [...] la expansión del narcotráfico es el punto de partida de la caída de Colombia en una situación de violencia generalizada ». 138 Pour le cas du Brésil, Marcelo de Souza souligne les effets du trafic de drogues sur la dynamique de la violence socio-spatial à Rio de Janeiro. Voir les études de 1994 et 1996 indiquées dans la bibliographie. 139 Traduit par nous de : « [...] en un análisis de la confrontación, es central el tema del poder : cuando se quiebra la estructura del poder político del Estado, bien sea por razones económicas, sociales, jurídicas o políticas, entre otras, y éste pierde el monopolio de la fuerza, surgen otras fuerzas que ejercen el poder donde actúan, 130 Selon le DNP (Departamento Nacional de Planeación),140 la Colombie compte actuellement 31.500 personnes appartenant aux armées irrégulières dont 16.500 sont membre des guérillas des FARC-EP, 4.500 des guérillas de l’ELN (Ejército de Liberación Nacional) et 10.500 des paramilitaires illégaux (DNP cité par PNUD 2003, p. 43). Il y a quelques zones du pays où l' influence de la guérilla est plus ample comme dans le sud-est du pays. Dans d' autres zones, ce sont les paramilitaires qui exercent le pouvoir le plus fort comme dans le département de Córdoba et le Magdalena Medio. Nous trouvons aussi des zones en situation de conflit permanent comme le Catatumbo, l’Urabá, la Sierra Nevada de Santa Marta, les Montes de María,141 le Bajo Cauca et l’Oriente Antiqueño (voir la carte de la Colombie dans l’annexe E). Néanmoins, les frontières devenant toujours incertaines et douteuses, nul ne peut savoir réellement quelle force armée illégale exerce son emprise sur le territoire. Pour leur part « [...] les paramilitaires ont multiplié les actions dans des zones “historiques” des guérillas et les guérillas ont organisé attentats et attaques dans les régions conquises par les paramilitaires » (Pécaut 2000, p. 134). Il convient de préciser que la géographie de la violence, d' après Fernán González (membre du CINEP), ne couvre pas de façon homogène le territoire de la Colombie. L’intensité de la confrontation armée est liée à la dynamique interne des régions (peuplement, formes de cohésion sociale, organisation économique, relation avec l' État et le régime politique, etc.). Parallèlement à cette dynamique mediante la coacción y la comisión de hechos violentos. Así han operado, a lo largo de los años en Colombia, varias de las organizaciones armadas ilegales ». 140 Comme nous l’avons mentionné dans la première partie, depuis 1968, le DNP est l’organisme technique assesseur du Président de la République en matière de vison stratégique du pays dans les aspects sociaux, économiques et de l’environnement. Il est censé de faire le design, l’orientation et l’évaluation de la politique publique colombienne. En outre il est responsable de la gérance et de l’assignation de l’inversion publique et de la définition des cadres d’action du secteur privé. Le DNP compte actuellement d’un bulletin sur les chiffres de la violence. Ce bulletin présent l’évolution des principaux variables de la violence interne, leur situation géographique et les principaux responsables (chiffres sur les homicides, le terrorisme, les kidnappings, les massacres, les attaques aux populations et le déplacement). Site Internet : http://www.dnp.gov.co/ 141 La région de Montes de María ou montagne de San Jacinto se situe entre les départements de Sucre et de Bolívar, et correspond à la prolongation de la montagne de San Jerónimo. 131 régionale, il faut souligner la présence inégale des institutions et de l’appareil d’État dans certaines régions (González 2004, p. 52).142 Or, dans les dynamiques des groupes armés par le contrôle de couloirs stratégiques dans la guerre, des territoires et des populations, il existe un grand intérêt pour le contrôle des ressources économiques locales. Actuellement, grâce à une autonomie économique relative des groupes armés acquis par les biais des extorsions, du kidnapping et notamment du trafic de drogue, les différents acteurs exercent des actions de type militaire pour accéder au pouvoir. Ils n’ont plus besoin de légitimation politique et sociale parce qu’ils ne dépendent plus de l’approbation de la population pour survivre et s’étendre. On assiste donc a ce qu’on appelle « la militarisation du conflit », laquelle, selon le PNUD, est marquée par le manque d' avancées politiques : ni réformes conquises par les guérillas, ni croissante légitimité de l' État, ni variation notable dans le degré d' appui des citoyens à chaque acteur, ni accords politiques entres les différents pouvoirs pour gérer le pays (PNUD 2003, p. 83). Dans ce contexte de militarisation du conflit, la violence prend une ampleur démesurée. La dispute entre la guérilla et les forces anti-guérilla tend à justifier l' emploi de la violence, et la population civile est la plus affectée par cette confrontation. D' après Echandía et Bechara, la population est devenue milieu et objectif du conflit armé. Les groupes armés se dissimulent entre la population, ils l' utilisent comme bouclier pendant les combats et recrutent les jeunes et les enfants pour augmenter le nombre de leurs combattants (Echandía et Bechara 2006, p. 44). D’autre part il suffit le moindre rapprochement avec les acteurs en conflit pour être considéré comme un ennemi pour l’adversaire et être qualifié de « collaborateur » (Uribe 2004, p. 124). Ainsi, selon le sociologue Daniel Pécaut la manipulation de la population civile par les acteurs armés et l’utilisation de la terreur comme méthode de guerre signalent qu’en Colombie une « guerre contre la société » est livrée. Il se trouve que c' est en frappant la population civile que 142 En ce sens l' auteur propose différentes dynamiques : la première est exprimée dans la lutte par des couloirs stratégiques dans la guerre. La deuxième est centrée sur la confrontation entre des secteurs plus riches et intégrés, avec une expansion économique rapide, et les zones de colonisation campagnarde en marge des bénéfices des zones d' expansion. Finalement, la troisième dynamique s’exprime par la lutte entre les localités et les voies pour appartenir à différents signes idéologiques, avec des origines de populations différenciés et intérêts économiques opposés (González 2004, p. 52-55). 132 les acteurs armés cherchent à contester les rapports de force entre eux (Pécaut 2000, p. 124).143 « Le passage à la terreur correspond au moment où ces protagonistes recourent à des moyens qui visent à briser les liens sociaux qui définissaient la particularité de secteurs donnés de la population, secteurs qui se trouvent désormais soumis à une emprise contre laquelle ils ne peuvent appeler à aucun tiers, à aucune institutionnalité reconnue » (Pécaut 2000, p. 123). Or, les guérillas et les paramilitaires sont des ennemis irréconciliables avec des discours politiques hétérogènes. Cependant les deux acteurs utilisent la violence comme forme de réalisation de leurs objectifs. Les meurtres, les massacres, les enlèvements, les actes terroristes et les déplacements forcés montrent l’ampleur et la gravité de la situation. D’après Pécaut : « La population « civile », tout comme le territoire, n’est jamais qu’une « ressource » pour les rivalités des protagonistes armés. Ceux – ci ne s’affrontent que rarement entre eux de manière directe. Ils le font en semant la terreur dans la population soumise au réseau ennemi. C’est ainsi que les paramilitaires n’ont guère cherché à frapper les guérillas. Ils ont en revanche tué systématiquement les membres des organisations politiques légales qui leur semblaient partager certains objectifs des guérillas » (Pécaut 1996a, p. 261). En outre, il faut souligner que pour faire face à l’illégalité et à la violence, l' État lui aussi a lancé des actions violentes comme stratégie d’affrontement aux groupes armés illégaux, en se constituant comme un autre acteur du conflit, sans lequel on ne pourrait pas expliquer la confrontation armée dans le pays. En suivant la proposition de Kalyvas, on observe que dans un scénario de confrontation, la violence devient un instrument chaque fois plus important. Une fois la violence est intensifiée, même les acteurs politiques qui évitaient la violence doivent recourir à elle afin de résister la violence de leurs adversaires (Kalivas 2001, p. 11). En effet, d’après Pécaut « [...] les populations 143 L' auteur parle de guerre contre la société et non de guerre civile puisqu' en Colombie, entre autres, il existe un appui local aux acteurs armés mais celui-ci n' est pas global ni liée dans sa totalité à la sphère politique. D’autre part, dans quelques régions du pays il est encore en vigueur l' État de Droit et les Forces Militaires sont en constant purification. Finalement, en général, la société civile colombienne aspire à la paix et non au triomphe de l' un ou l' autre acteur (Pécaut 2001). 133 campagnardes imputent aux militaires la plus grande partie de la production de la terreur. Ceux-ci agissent par incursions ponctuelles, sans occuper le terrain et sans se préoccuper pour la construction des réseaux de protection » (Pécaut 2001, p. 207).144 En outre, le haut degré de tolérance et parfois de complicité des Forces Armées à l’égard de la création de groupes d' autodéfense souligne les implications de cet acteur dans le débordement de la violence. Or, selon la proposition d’Ortiz, la constante confrontation de groupes armés et le recours à la violence « [...] croit et reproduit quotidiennement les conditions et le prétexte pour faire valoir, par la force, tout type des prétentions éparpillées et disperses, qui sont mélangées ainsi de manière confuse avec des revendications collectives, politiques, syndicales, etc. » (C. Ortiz 2001, p. 6869).145 Nous allons donc voir maintenant, comment les groupes armés illégaux (guérillas, paramilitaires, milices, bandes de sicarios, etc.) s’installent et opèrent en Colombie. Nous parlerons aussi des principaux processus de dialogue et de négociation que ces groupes armés ont entamé à partir de 1982 avec le Gouvernement National, ce qui permet de comprendre comment ils ont été, dans quelques contextes, considérés comme acteurs politiques. Selon le politologue Bejarano, les négociations dans le pays se caractérisent par la représentation de divers secteurs politico-idéologiques en dispute et par le besoin d’une réforme des organisations et des canaux d' accès au pouvoir de l' État (Bejarano 2001, p. 2). Par la suite, nous évoquerons les conséquences de l’apparition du trafic de drogue dans le pays et son interrelation avec les acteurs armés illégaux. Finalement ce travail tente d’identifier et de préciser les particularités des acteurs armés dans les métropoles colombiennes. 144 Traduit par nous de : « [...] las poblaciones campesinas imputan a los militares la mayor parte de la producción del terror. Estos actúan mediantes incursiones puntuales, sin ocupar el terreno y sin preocuparse casi de construir redes de protección». 145 Traduit par nous de : « [...] crea y reproduce cotidianamente las condiciones y el pretexto para hacer valer, por la fuerza, todo género de pretensiones atomizadas y dispersas, que resultan así mezcladas de modo confuso con reivindicaciones colectivas, políticas, sindicales, etc. » (C. Ortiz 2001, p. 68-69). 134 2. Les guérillas colombiennes et la fragmentation de la violence Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, divers éléments expliquent l’implantation et la consolidation des guérillas dans le pays. Elles naissent « [...] dans des régions périphériques, de colonisation campagnarde, non articulées encore par le bipartisme, bien qu' elles soient ensuite projetés vers des zones plus riches et intégrées, avec une logique militaire et d’extorsion » (Bolívar et González s.d., p. 8).146 Dans leurs zones d’influence, où il n’existe pas de pouvoirs locaux consolidés et où la présence de l’État est précaire, elles offrent vigilance, services de justice et de police, elles résolvent des conflits et maintiennent l' ordre local et en outre, dans quelques zones, elles fournissent des voies, des services de santé et d’éducation, entre autres (PNUD 2003, p. 85). D’après le sociologue Pécaut, la population voit « [...] dans les groupes armés le moyen d’instaurer un ordre qui pallie l’impuissance de l’État » (Pécaut 1996a, p. 259). En général, les guérillas colombiennes ont adopté un plan politique pour combattre l’État. D’après l’Étude Nationale de Développement Humain faite par le PNUD : « Les guérillas colombiennes, sans exception, ont adopté un programme politique, elles se sont alliées et se sont divisées par des croyances politiques, elles ont fait du prosélytisme et du « travail de base », elles ont créé ou ont compté sur un mouvement politique désarmé, elles ont pris parti dans des dialogues et des accords avec des autorités nationales ou locales et avec des organisations politiques diverses » (PNUD 2003, p. 39-41).147 146 Traduit par nous de : « [...] en regiones periféricas, de colonización campesina, no articuladas todavía por el bipartidismo, aunque se proyectan luego hacia zonas más ricas e integradas, con una lógica extorsiva y militar ». 147 Traduit par nous de : « Las guerrillas colombianas, sin excepción, han adoptado un programa político, se han aliado y dividido por creencias políticas, han hecho proselitismo y “trabajo de base”, han creado o contado con un movimiento político desarmado, han participado en diálogos y acuerdos con autoridades nacionales o locales y con organizaciones políticas diversas ». 135 Néanmoins, dans le développement de leur programme politique d’insertion dans certaines zones, plusieurs connaissent des activités violentes commises par ces guérillas incluant les attaques contre la population civile, les recrutements de mineurs par la force, les enlèvements contre rançon de civils et de politiciens, l’utilisation de mines, les meurtres hors combats, les déplacements de population et les massacres occasionnels, entre autres. Elles exercent ce que plusieurs auteurs ont appelé une « violence contra – étatique » : « La violence contra - étatique est celle gérée par des organisations en marge des institutions, afin de dépouiller de l' exercice du pouvoir l' État et produire des transformations structurelles dans la société en produisant de nouveaux modèles d' organisation sociale, politique, de production et de distribution de richesse. L' exercice de la force est exprimé de manière violente par l' action armée qui s’engage à mettre en échec politiquement et militairement les institutions chargées de défendre la légalité étatique, et par le même chemin à l' État dans son ensemble. Son caractère contra-étatique se situe essentiellement sur deux plans : la confrontation radicale à l' ordre existant et l' utilisation de la violence armée comme moyen de confrontation » (Medina 2001, p. 4).148 Trois groupes de guérillas constituent la base des organisations guérilleras actuelles : les FARC-EP (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia - Ejército del Pueblo), l’ELN (Ejército de Liberación Nacional), et l’EPL (Ejército Popular de Liberación). Il faut cependant bien reconnaître qu’il y a eu d’autres organisations guérilleras dans le pays, comme par exemple le M-19 (Movimiento 19 de Abril) dont nous allons parler plus loin étant données ses activités en ville. Nous pouvons mentionner aussi le mouvement de type indigéniste Quintín Lame (MAQL), et des groupes guérilleros comme le PRT (Partido Revolucionario de los Trabajadores) et le MIR-Patria Libre. Selon Granada et Rojas ces mouvements se caractérisaient par l’appropriation du processus politique révolutionnaire au travers de leur insertion dans des noyaux 148 Traduit par nous de : « La violencia contraestatal es aquella agenciada por organizaciones que se colocan al margen de lo institucional, con el fin de despojar del ejercicio del poder al Estado y producir transformaciones estructurales en la sociedad generando nuevos modelos de organización social, político y de producción y distribución de riqueza. El ejercicio de la fuerza se expresa en forma violenta mediante la acción armada encaminada a derrotar política y militarmente las instituciones encargadas de defender la legalidad estatal y por esa misma vía al Estado en su conjunto. Su carácter contraestatal radica en dos elementos esencialmente : la confrontación radical al orden existente y la utilización de la violencia armada como vía de confrontación ». 136 démographiques stables (syndicats, quartiers) ; le maintien de la stratégie de guerre prolongée et la constitution de fronts populaires de masses ; la création de réseaux diplomatiques et finalement la recherche de l' appui international comme des partis politiques, des églises et des syndicats (Granada et Rojas 1995, p. 124). D’après Ana María Bejarano, la diversité et la fragmentation des guérillas colombiennes ont mené à l' incapacité de constituer un front unique, ce qui a empêché non seulement leur triomphe, mais aussi la consolidation de la paix. À la fin des années quatre-vingt, il y avait dans le pays plus de huit groupes de guérillas : FARC-EP, ELN, EPL, M-19, PRT, MAQL, CRS (dissident de l’ELN), MIR-Patria Libre, entre les plus représentatifs. Ces organisations proviennent des différentes origines sociales et chacune a ses propres projets politicoidéologiques, structures organisationnelles, tactiques de guerre et relations avec la population. Bejarano explique que même à l' intérieur des FARC-EP et de l’ELN subsistent des fractions et des divisions intenses (Bejarano 2001, p. 1112). Dans les sections suivantes nous allons faire référence aux trois principaux groupes de guérillas (FARC-EP, ELN et EPL). Nous allons parler de leur origine et de leur consolidation, leur composition, leur situation sur le territoire national, leurs moyens de financement, les trêves et les négociations qu’elles ont pu établir avec les différents gouvernements. Nous évoquerons aussi les activités réalisées par le « Mouvement 19 avril ». Finalement nous allons parler des milices comme expression urbaine de guérillas actuelles. 2.1 Les FARC-EP : la combinaison de toutes les formes de lutte Les FARC-EP (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia - Ejército del Pueblo), d' obédience marxiste-léniniste sont nées en 1964 sous le nom de Bloque Sur (Bloc Sud).149 Selon le philosophe Estanislao Zuleta, les racines de cette organisation remontent aux luttes campagnardes des années 1930 et 1940, quand les premières ligues et syndicats agricoles ont été fondées (Zuleta cité par 149 Site Internet des FARC-EP : http://www.farcep.org/ 137 OEA 1993, p. 3). D’après l’historien Medófilo Medina les origines des FARC-EP sont issues particulièrement du sud du Tolima, notamment dans le municipio de Chaparral. Ce municipio a été un épicentre de conflits agricoles aigus pendant les années trente. Par la suite, il était le siège de groupes d' autodéfense contre la violence officielle conformés par des libéraux et des communistes. En ce sens, « il s' agissait de guérillas articulées à un parti politique, mais, généralement, avec des racines sociales profondes » (Pizarro 1991, p. 20).150 Vers le milieu des années 1950, tandis que la violence officielle augmentait, quelques groupes sont passés de l' autodéfense aux actions mobiles de commandes partisanes. La journaliste Patricia Lara explique l’apparition des guérillas à partir des années 1950 : « Après des combats entre les guérillas libérales et communistes qui au début des années cinquante avaient conjointement opéré dans le Davis (Tolima) pour faire face à la violence officielle conservatrice, et après l' acceptation de l' amnistie de Rojas par les guérillas libérales, les communistes ont choisi de transformer la lutte armée en lutte de masses et ils se sont propagés à d' autres régions : Marquetalia, dans le sud du Tolima ; El Pato, dans la zone limitrophe entre le Huila et le Caquetá ; Guayabero dans la limite de Caquetá et le Huila ; et Riochiquito, dans le Cauca, près de la limite avec le Huila. Les communistes ont adopté, avec les habitants de ces zones, des manières propres d' organisation politique et sociale, et ont développé un fort mouvement agricole et ont créé un système d' autodéfense, ce qui a affecté les intérêts des grands propriétaires fonciers » (Lara 1981, p. 28-29).151 Selon le sociologue Pizarro les mouvements partisans d' inspiration communiste ont eu fondamentalement un caractère de défense, jusqu’en mai 150 Traduit par nous de : « En este sentido, se trataba de guerrillas articuladas a un partido político pero, en general, con hondas raíces sociales ». 151 Traduit par nous de : « Luego de enfrentamientos entre los guerrilleros liberales y comunistas que a comienzos de los años cincuenta habían operado conjuntamente en el Davis (Tolima) para hacerle frente a la violencia oficial conservadora, y después de la aceptación de la amnistía de Rojas por parte de eso guerrilleros liberales, los comunistas optaron por transformar la lucha armada en lucha de masas y se trasladaron a otras regiones : Marquetalia, en el sur del Tolima ; El Pato, en la zona limítrofe entre el Huila y el Caquetá ; Guayabero en el límite de Caquetá y el Huila ; y Riochiquito, en el Cauca, cerca del límite con Huila. Los comunistas adoptaron, con los habitantes de esas zonas, formas propias de organización política y social, desarrollaron un movimiento agrario fuerte y crearon un sistema de autodefensa, lo cual afectó los intereses de los latifundistas ». 138 1964, date de l’opération militaire de Marquetalia (Pizarro 1991, p. 169).152 La zone de Marquetalia dans le département du Tolima, où ces mouvements ont établi leur emprise, était considérée par les partis traditionnels, comme une des seize « Républiques Indépendantes », lesquelles échappaient à la souveraineté nationale et au contrôle du gouvernement central. Là, les noyaux partisans avaient une vaste influence, célébraient des mariages, résolvaient les problèmes des foyers et du voisinage. Selon Pizarro, les secteurs contrôlés par des exguérilleros communistes, marginalisés de l' économie nationale où l' absence de l' État était totale, étaient le Sumapaz et le Pato dans la cordillère orientale, Marquetalia et Riochiquito dans la cordillère centrale et l' Ariari dans les plaines orientales. Le reste était plutôt des zones agricoles sous influence communiste : Natagaima, Purificación, Chaparral et Río Blanco dans le département du Tolima ; Yacopí et Viotá dans le département de Cundinamarca ; Montevideo, Puerto Wilches et la ligne du chemin de fer de Bucaramanga à Santander (Pizarro 1989, p. 28). Or, sous le gouvernement de Guillermo León Valencia (1962-1966), une campagne a été entamée pour abolir les « Républiques Indépendantes », selon un intérêt constant du pouvoir dans ces régions, remis en cause par « les guérilleros communistes ». En même temps, le gouvernement s’inquiétait de la direction socialiste prise par la Révolution Cubaine et de l' exemple que celle-ci pouvait constituer pour les habitants de ces zones (Lara 1981, p. 29). Ainsi, il y a eu une première tentative ratée de l’armée de prendre Marquetalia en 1962. La prise définitive a été faite avec l' aide du gouvernement américain. L' opération Marquetalia sous le code « Plan LASO »,153 a été entamée le 27 mai 1964 et 152 Néanmoins pour le même auteur seulement quelques groupes d' autodéfense ont été obligés à se transformer en guérillas mobiles ; mais dans quelques cas les noyaux partisans ont été créés sans la médiation préalable d' un mouvement auto-défensive (Pizarro 1991, p. 49-50). 153 Le terme utilisé pour appeler cette opération a fait l' objet d' un débat. Pour quelques uns il s’agissait du Plan LASO avec un « s » et pour autres du Plan LAZO avec un « z ». Pour la gauche, le projet a été appelé Plan LASO en raison du sigle, « Latin American Security Operation ». Cette opération faisait partie d' un projet contre-révolutionnaire global pour l' Amérique Latine coordonné par le gouvernement américain. Pour les Forces Armées Colombiennes, le projet a été élaboré de manière autonome sous le nom de Plan LAZO, puisqu' il s' agissait d' encercler (enlazar en espagnol) les régions d' influence communiste. Pour certaines personnes le débat a été résolu sous la formule dans laquelle le Plan LASO a été la conception stratégique élaborée par les experts du Département de Défense à Washington et le Plan LAZO a été son adaptation tactique 139 s’est prolongée jusqu' à mi-juin étant donnée la résistance rencontrée dans la zone. Cette résistance était appuyée sur la thèse de la combinaison de toutes les formes de lutte, laquelle était aussi approuvée depuis 1961 par le Parti Communiste Colombien : 154 « La révolution ne peut avancer qu’un moment par la voie pacifique. Mais si les classes dominantes obligent à cela, au moyen de la violence et de la persécution systématique contre le peuple, celle-ci peut être obligée de prendre la voie de la lutte armée, comme manière principale, bien que non unique, dans une autre période. La voie révolutionnaire en Colombie peut arriver à être une combinaison de toutes les formes de lutte » (Vieira 1965 cité par Pizarro 1991, p. 182).155 Le triomphe de l' armée en 1964 a été marqué par la fin de l’opération Marquetalia et l' invasion de la zone du Pato. Les 350 guérilleros qui ont réussi à s’échapper se sont réfugiés à Riochiquito dans le département du Cauca et constitueront le noyau initial des FARC-EP, la nouvelle organisation partisane. En 1965 a eu lieu la première conférence du Bloque Sur dans cette localité (Lara 1981, p. 29). dans le terrain effectuée par l' Armée Colombienne (Pizarro 2004, p. 1). 154 Le Parti Communiste Colombien (PCC) est un parti politique fondé en 1930. Le PCC est héritier des luttes sociales entamées, depuis 1926, par le Parti Socialiste Révolutionnaire. Le PCC est défini par ses membres comme le parti des paysans, des secteurs populaires, des travailleurs soumis à l' exploitation capitaliste. Selon leur site Internet, le parti suit les principes du marxisme-léninisme et la pensée Bolívarienne et latino-américaine. Pendant les années 1960 quelques dirigeants du PCC ont fait partie du Bloque Sur, qui serait postérieurement transformé en FARC-EP. En même temps, à plusieurs occasions, les communistes poursuivis par l’État, ont cherché refuge dans les guérillas communistes situées dans les zones rurales, afin de survivre. Par la suite, depuis les zones rurales, les communistes ont continué à réaliser des actions de prosélytisme avec des syndicats et organisations de base. De ce fait, le Parti Communiste a été considéré comme illégal par l’État, pour agir dans la clandestinité. Néanmoins cette situation a fait que plusieurs auteurs ont considéré les FARC-EP comme « la branche armé du Parti Communiste ». Selon Fernando Molano, le Parti Communiste n’a jamais eu un bras armé, mais leurs membres se sont réfugiés dans les guérillas pour des raisons de survivance. En outre, explique Molano, à plusieurs occasions, les FARC-EP ont considéré les idées du Parti Communiste comme contraires à leurs intérêts et idéologie (Entretien avec Fernando Molano, 29 novembre 2006). Actuellement, le Parti Communiste Colombien est considéré comme légal et forme partie du Pôle Démocratique Alternatif. Site Internet : http://www.pacocol.org/es/Inicio/index.htm 155 Traduit par nous de : « La revolución puede avanzar un trecho por la vía pacífica. Pero si las clases dominantes obligan a ello, por medio de la violencia y la persecución sistemática contra el pueblo, éste puede verse obligado a tomar la vía de la lucha armada, como forma principal, aunque no única, en otro periodo. La vía revolucionaria en Colombia puede llegar a ser una combinación de todas las formas de lucha ». 140 D’après les membres des FARC-EP le résultat a été, qu' à partir de l’opération Marquetalia, l' autodéfense s' est transformée en mouvement partisan. Et la lutte armée d' inspiration communiste a été étendue vers d' autres zones, avec la création des cellules partisanes de Guayabero, Pato, Chaparral, Natagaima et Riochiquito (Pizarro 1991, p. 189). En effet, cette opération est soulignée par les FARC-EP comme le point d' origine de l' organisation. De ce point de vue, elles sont le résultat d’une agression externe aux groupes agricoles sous l' influence communiste. D’après ses promoteurs, l' autodéfense était simplement une façon de défendre les intérêts et le travail paysan dans une atmosphère pacifique. Néanmoins, pour le gouvernement il s’agissait de groupes de rebelles qui, dans certaines régions marginalisées, voulaient le contrôle de la population et des ressources et en outre ils conspiraient contre l’État. Selon le général José Joaquin Matallana, un des militaires dirigeants de l' opération Marquetalia, cette zone était pour l’époque « l' épicentre de la révolution » (Arango 1985, p. 214). Nous trouvons donc deux versions antagonistes : en suivant Pizarro, d' une part il y a ceux qui affirment que si l' opération militaire de Marquetalia n’avait pas eu lieu, les FARC-EP n' existeraient pas. Les autodéfenses campagnardes d' influence communiste seraient restées comme telles et au fil du temps, elles auraient probablement disparues.156 D' autre part, il y a ceux qui soutiennent qu' indépendamment du Plan LASO les FARC-EP seraient apparues, en accord avec la thèse de la « combinaison de toutes les formes de lutte » (Pizarro 2004, p. 2). Or, selon González, un des points que souligne la situation de Marquetalia et des « Républiques Indépendantes » est que le problème agricole dans le pays est encore irrésolu. Ceci rend possible la connexion entre les groupes armés et les paysans et produit, en conséquence, le processus de colonisation armée de zones marginales. Ces zones où l' absence de régulation étatique est permanente et où il est possible d' accumuler de la richesse 156 L' historien Pierre Gilhodès s’inscrit dans cette position. 141 rapidement et de manière illégale, permettent l' insertion de guérillas (González 2004, p. 61). « Les limitations de la réforme agricole officielle et la criminalisation de la protestation campagnarde ont accentué le divorce entre les mouvements sociaux et les partis politiques traditionnels. Ce divorce a été aggravé par la présence du mouvement de gauche, intéressé dans la radicalisation du mouvement campagnard et par l' instrumentation de quelques secteurs de mouvements sociaux (groupes syndicaux, chefs estudiantins, mouvements des quartiers, civiques et populaires) par les partisans de l' option armée » (González 2004, p. 23).157 En 1966, les FARC annoncent publiquement d' entamer une guerre prolongée pour le pouvoir. En 1982, les sigles EP (Ejército del Pueblo - Armée du Peuple) ont été ajoutés par cette organisation au nom officiel du groupe, en indiquant leur politique de dédoublement des fronts et leur option pour une lutte armée. Il a été déterminé que chaque front serait étendu à deux jusqu' à obtenir la création d' un front par département et pour se faire, selon Echandía, ils ont attribué une place prépondérante à la diversification des ressources financières (Echandía 1999, p. 3). Les FARC-EP sont dirigées par un secrétariat, et ont été commandées jusqu’à présent par Manuel Marulanda Vélez (Pedro Antonio Marín), alias Tirofijo (tir précis). Marulanda faisait partie des groupes armés libéraux qui opéraient dans le sud du Tolima. Leur commandant militaire actuel est Jorge Briceño, alias Mono Jojoy et comptent, selon les estimations officielles d’une armée de 16.500 hommes distribués en 62 fronts et 7 blocs qui couvrent presque tout le territoire national (PNUD 2003, p. 43-83).158 Pendant les 157 Traduit par nous de : « Las limitaciones de la reforma agraria oficial y la criminalización de la protesta campesina acentuaron el divorcio entre los movimientos sociales y los partidos políticos tradicionales. Este divorcio se agravó por la presencia del movimiento de izquierda, interesado en la radicalización del movimiento campesino y por la instrumentalización de algunos sectores de movimientos sociales (grupos sindicales, líderes estudiantiles, movimientos barriales, cívicos y populares) por parte de los seguidores de la opción armada ». 158 La structure interne des FARC-EP est devenue chaque fois plus décentralisée. Ses blocs se divisent à la fois en fronts ainsi : bloc Oriental (22 fronts), bloc Sud (10 fronts), bloc Magdalena Medio (8 fronts), bloc Nord-ouest (8 fronts), bloc Central (5 fronts), bloc Nord (5 fronts) et bloc Ouest (4 fronts). Selon Harnecker un front partisan est « une instance politique et de masses » et un front de guerre est l' ensemble des structures urbaines et rurales qui développent la politique de l' organisation dans une grande région 142 premières années leur composition était principalement paysanne, mais vingt années après, des travailleurs, intellectuels, étudiants, médecins, avocats, professeurs et prêtres faisaient partie de l' organisation (Pizarro 1991, p. 202). D’après Camilo Echandía, les FARC-EP, à partir de la décennie des années 1980, se situent dans des zones stratégiques pour leur maintient économique : zones de bétail, zones d’agriculture commerciale, zones d' exploitation pétrolière et d' or et secteurs frontaliers liés à des activités de contrebande (Echandía 1999, p. 6).159 En outre, elles « [...] ont continué à approfondir leur influence dans leurs régions d’emprise traditionnelle et ont ouvert de nouveaux fronts dans la région centrale du pays, en accord avec la décision de la VII Conférence de Commandants (1982) de s' approcher des villes, notamment à Bogotá, Medellín et Cali » (PNUD 2003, p. 51).160 À partir de ce moment là, les FARC-EP commencent à agir dans les métropoles par l’intermédiaire de miliciens. du pays et qui par ses caractéristiques exige une spécifique (Harnecker 1988 cité par Echandía 1999, p.6). conception stratégique 159 « Les FARC-EP, dont les noyaux initiaux d' expansion sont nés dans des zones de colonisation, ont connu d' importantes modifications dans la décennie des années 1980. En effet, elles ont été inscrites aussi dans des zones qui ont éprouvé des transformations dans le bétail (Meta, Caquetá, Magdalena Medio, Córdoba), ou dans l' agriculture commerciale (zone bananière de l' Urabá, zone productrice de palmier africain à Santander et le sud de Cesar) et, même dans les zones d' exploitation pétrolière (Magdalena Medio, Sarare et Putumayo) et d' or (Bajo Cauca Antioqueño et sud de Bolívar). Également, elles se sont situées dans des secteurs frontaliers (Sarare, Norte de Santander, Putumayo et Urabá) et dans des zones côtières (Sierra Nevada, Urabá, occident du Valle), explicable par leur lien avec des activités de contrebande » (Echandía 1999, p. 6). Traduit par nous de : « Las FARC-EP, cuyos núcleos iniciales de expansión nacieron en zonas de colonización, conocieron modificaciones importantes en la década del ochenta. En efecto, quedaron inscritas también en zonas que experimentaron transformaciones en la ganadería (Meta, Caquetá, Magdalena Medio, Córdoba), o en la agricultura comercial (zona bananera del Urabá, zona productora de palma africana en Santander y sur de Cesar) e, incluso en zonas de explotación petrolera (Magdalena Medio, Sarare y Putumayo) y de oro (bajo Cauca Antioqueño y sur de Bolívar). Igualmente, se fueron situando en áreas fronterizas (Sarare, Norte de Santander, Putumayo y Urabá) y en zonas costeras (Sierra Nevada, Urabá, occidente del Valle), explicable esto por su vinculación con actividades de contrabando ». 160 Traduit par nous de : « [...] siguieron profundizando su influencia en las regiones de dominio tradicional y abrieron nuevos frentes en la región central del país, para cumplir con la decisión de la VII Conferencia de Comandantes (1982) de acercarse a las ciudades, especialmente a Bogotá, Medellín y Cali ». 143 Sous le gouvernement de César Gaviria (1990-1994), dans le but de réduire militairement le mouvement des guérillas, il a été effectué en 1990 une offensive de l' armée contre le principal campement des FARC-EP (Casa Verde) dans le municipio La Uribe dans le département du Meta (attaque aérienne suivie d' offensive militaire terrestre). En même temps, la stratégie de l' État des Brigades Mobiles a été consolidée, avec le plan de gouvernement connu comme « Guerra Integral ». Cependant, l' organisation insurgée a réussi à avancer dans le processus de spécialisation de ses fronts et la création de colonnes mobiles. Selon Echandía, en 1993 l' attaque à Dabeiba (Antioquia) et le blocage dans la région d' Urabá démontrent le pouvoir des FARC-EP. Plus tard, en 1996, suite à la prise de la « Base de las Delicias » elles ont démontré leur grande capacité offensive (Echandía s.d., p. 4).161 Entre 1997 et 2001, en accord avec les analyses d' Echandía, les FARC-EP, dans les municipios où ils cherchent à étendre leur influence, donnent priorité aux attaques des postes de police situés dans les chefs lieux (cabeceras) 162 afin d' affaiblir la présence étatique. À partir de la seconde moitié de l’année 2002, elles cherchent à affecter les gouvernements au niveau local, par des menaces adressées aux maires et aux conseils municipaux pour qu' ils renoncent (Echandía s.d., p. 9). 161 L' attaque à la base militaire de « Las Delicias » dans le département du Putumayo, effectuée le 31 août 1996, a laissé comme solde 29 soldats assassinés et 60 ont été retenus par les FARC-EP. 162 Chef lieu (cabecera) : c' est le secteur géographique d’un municipio défini par un périmètre urbain, dont les limites sont établies par des accords du Conseil Municipal. Il correspond au lieu où se trouve le siège administratif d’un municipio (DANE, 2006). 144 Carte N° 1 : Distribution spatiale d' actions violentes effectuées par les Farc, pendant la période 1995-2002. Source : Dane, Marco Geoestadístico Nacional. Observatorio de Violencia –Presidencia de la República. Consulté en PNUD - PROGRAMA DE NACIONES UNIDAS PARA EL DESARROLLO. 2003. El conflicto callejón con salida : informe nacional de desarrollo humano para Colombia. Bogotá. p. 55. [réf. du 2006-01-06]. Disponible sur Internet : http://indh.pnud.org.co/informe2003_.plx?pga=CO3tablaContenido&f=1152459998 Il y a eu deux négociations significatives entre les FARC-EP et le gouvernement colombien. La première en 1984 et la deuxième en 1998. En mars 1984 une trêve était signée pour la première fois (Accords de la Uribe) entre les FARC-EP et le gouvernement sous la présidence de Belisario Betancur (19821986). Deux années plus tard, l' Unión Patriotica (UP) a été créée, parti légal de 145 la gauche composé par des membres du Parti Communiste163, quelques mouvements régionaux de la gauche et notamment des membres des FARC-EP. Toutefois « [...] les porte-parole de l' UP ont assuré que, depuis les corporations publiques, ils allaient continuer la vieille lutte dans de nouvelles conditions, pour atteindre la transformation révolutionnaire de la Colombie. Mais ils ont souligné ensuite qu' il n' y aurait pas d’armes déposées et que la permanence de l' organisation partisane était la seule garantie pour le développement du processus » (Pizarro 1991, p. 207).164 Dans les années qui ont suivi la trêve, comme on le verra plus loin, plus de 1.500 cadres et militants de l’UP furent assassinés. De ce fait, la trêve fût rompue et la possibilité réelle d’accès au pouvoir -pour la guérilla- par les moyens légaux a été fermée.165 En 1998, pendant le gouvernement d’Andrés Pastrana (1998-2002) une zone démilitarisée a été établie, appelée « zona de distensión » dans le municipio de San Vicente del Caguán, du département de Caquetá, et dans les municipios de La Macarena, Mesetas, La Uribe et Vista Hermosa dans le département de Meta, dont l’objectif était de délimiter un siège pour les négociations avec les FARC-EP (territoire de la taille de la Suisse, composé de 42.000 km). Ces négociations ont eu comme accord préalable la suspension des ordres de capture en vigueur pour les guérilleros participants, la promesse d' abolition des paramilitaires par le gouvernement et la dépénalisation de la protestation sociale (Matta 1999, p. 208-209). Pendant le déroulement des négociations le Président de la République et le chef guérillero Manuel Marulanda Vélez ont dialogué sur l' échange de prisonniers, la lutte contre les 163 Plusieurs membres du Parti Communiste ont fait parti de l’Unión Patriotica. Bernardo Jaramillo et Jaime Pardo Leal étaient parmi les plus importants. Les deux ont été assassinés. 164 Traduit par nous de : « [...] los voceros de la UP aseguraron que desde las corporaciones públicas iban a continuar la vieja brega en nuevas condiciones, para alcanzar la transformación revolucionaria de Colombia. Pero a continuación subrayaron que no habría entrega de armas y que la permanencia de la organización guerrillera se configuraba como única garantía para el desarrollo del proceso ». 165 Le nombre de membres de l’Unión Patriotica assassinés reste inconnu et oscille entre les différents auteurs entre 1.500 et 4.500 personnes. Le chiffre le plus élevé correspond à celui donné par les FARC-EP dans leur site Internet. 146 paramilitaires et le Plan Colombie,166 entre autres. Cependant, les négociations ont été suspendues et reprises plusieurs fois. Par le gouvernement en raison de la continuité des actions violentes des FARC-EP, et par le groupe guérillero au sujet de l’accusation de l’absence d’actions des Forces Armées contre les paramilitaires. En effet, pendant cette période, une recrudescence des actes de violence perpétrés par des groupes armés a été repérée, incluant les FARC-EP. On peut aussi relever des accusations sur l' utilisation de la zone de distension par les FARC-EP pour se fortifier militairement et l’utilisation du territoire pour mener à bien des activités illégales. La coupure définitive des négociations et la fin de la zone de distension ont eu lieu le 20 février 2002. Pour le gouvernement la décision de rupture a été marquée par le détournement d’un avion de ligne ce jour-là. Les FARC-EP l’ont dévié avec 37 personnes à bord, l’opération ayant pour objectif l’enlèvement du sénateur Jorge Eduardo Gechem, président de la Commission de Paix du Sénat (CIDH 2004, art. 72-73). Or, plusieurs autres raisons ont été présentées pour expliquer la rupture, d' une part les abus des FARC-EP dans la zone démilitarisée, mais aussi le manque d' une stratégie clairement définie par le gouvernement pour gérer la négociation (González 2004, p. 48). Suite à la rupture des dialogues et dans une politique de fermeté contre les guérillas et notamment contre les FARC-EP, pendant le premier gouvernement d’Álvaro Uribe Vélez, celles-ci ont dû faire face à des Forces Militaires fortifiées et mieux préparées.167 Ainsi, selon les analyses d’Echandía et Bechara, « [...] les actions entreprises par le gouvernement ont placé la guérilla dans des conditions d' infériorité militaire et l' ont affaiblie du point de vue économique. La subversion a perdu l' initiative dans la confrontation armée, tandis que la Force Publique l' a récupérée » (Echandía et Bechara 2006, p. 31).168 Toutefois, expliquent les auteurs, la guérilla a su s' adapter à la nouvelle 166 Le Plan Colombie est un projet conçu avec le but général de diminuer le trafic de drogues et de résoudre l' actuel conflit armé, notamment par le biais de l' aide des ÉtatsUnis. 167 L’une des incitatives les plus importante des Forces Armées a été le développement du Plan Patriote, dont l' objectif principal était de récupérer un grand territoire contrôlé par les guérillas dans les départements de Caquetá, Meta et Guaviare. 168 Traduit par nous de : « [...] las acciones emprendidas por el gobierno han situado a la 147 scène et a modifié ses stratégies. De cette manière, elle fuit la confrontation directe avec les Forces Militaires et donne priorité aux actions propres de « la guerre de guérillas », gouvernement. 169 dont le but est d' affaiblir progressivement le Dans ce contexte, « [...] les groupes guérilleros ont décidé d’écarter leur objectif d' obtenir le contrôle territorial pour chercher, en revanche, le contrôle de positions stratégiques qui garantissent leur survie et la continuité de la guerre » (Echandía et Bechara 2006, p 31).170 De ce fait, la guérilla réalise des sabotages (destruction d’infrastructures), harcèlements et petites embuscades, actions qui impliquent des frais militaires minimaux mais un profit stratégique important (Echandía et Bechara 2006, p. 38). Nonobstant, pendant le deuxième gouvernement d' Álvaro Uribe (20062010), au cours des mois de septembre et octobre 2006 il y a eu des communications entre le gouvernement et les FARC-EP sur un possible troc humanitaire consistant en un échange de 500 guérilleros des FARC-EP qui sont en prison contre 58 kidnappés que cette guérilla a retenu comme « prisonniers de guerre ». Comme conditions pour l’échange, la démilitarisation (pendant une période de 45 jours) des municipios de Florida et Pradera dans le département du Valle del Cauca a été proposée (El Tiempo, 2 octobre 2006). La sortie totale de la Force Publique des deux municipios y compris les casques urbains et la présence de guérillas armées dans le secteur des dialogues ont été formulées par les FARC-EP pour concrétiser l' échange. Pour sa part, le gouvernement acceptait la démilitarisation temporaire des municipios à l’exception des centres peuplés. En outre il a indiqué qu' il ne devait y avoir aucune présence armée dans la zone (El Tiempo, 28 septembre 2006). De même, les FARC-EP, par une lettre envoyée aux branches du pouvoir public, expliquaient qu’une fois conclu l' échange, elles étaient disposées à entamer des dialogues de paix. Dans ce cas, guerrilla en condiciones de inferioridad militar y la han debilitado desde el punto de vista económico. La subversión ha perdido la iniciativa en la confrontación armada, mientras que la Fuerza Pública la ha recuperado ». 169 Selon Moss, la guerre de guérillas est la guerre du plus faible contre le plus fort dans une campagne de harcèlement entreprise par des forces intérieures et mal équipées, contre les armées conventionnelles (Moss, 1973, p. 21). 170 Traduit par nous de : « [...] los grupos guerrilleros decidieron posponer su objetivo de lograr el control territorial para buscar, en cambio, el control de posiciones estratégicas que garanticen su supervivencia y la continuidad de la guerra ». 148 leurs demandes initiales consisteraient principalement dans la suspension des ordres de capture des membres du État Central de cette guérilla, l’annulation de la dénomination de terroristes par la communauté internationale et la reconnaissance par le président de l' existence du conflit social et armé dans le pays (El Tiempo, 2 octobre 2006). Toutefois, le 19 octobre 2006, une voiture piégée dans l' École Supérieure de Guerre de Bogotá explose, faisant 25 blessés, dont la majorité de civils. La bombe pouvait être adressée au commandant de l' Armée, le Général Mario Montoya, qui se trouvait dans les installations de l' École. De même, le représentant en Colombie du Haut Commissariat des Droits de l’Homme de l' ONU était présent dans le lieu. Le président Álvaro Uribe a indiqué les FARCEP comme responsable de l’attentat. Également, le directeur du DAS (Departamento Administrativo de Seguridad),171 Andrés Peñate, a souligné que l' information rassemblée conduisait à la réactivation des cellules de la Red Urbana Antonio Nariño (RUAN), des FARC-EP (El Tiempo, 22 octobre 2006). Cependant, le Fiscal Général de la Nation, Mario Iguarán, a indiqué qu' il n' y a pas de preuves pour faire pour le moment des imputations. De même, les FARCEP nient être responsables de ces faits (Caracol 2006b).172 Suite à ces événements, le président a suspendu les communications avec les FARC-EP. Il a ordonné le sauvetage armé de kidnappés et a annoncé une lutte frontale contre cette guérilla (El Tiempo, 20 octobre 2006c).173 171 Le DAS est l’organisme chargé de la production d’intelligence stratégique, la recherche criminelle, le contrôle migrateur et la protection des hauts mandataires colombiens. Il doit garantir la sécurité intérieure et extérieure de l' État, préserver l' intégrité du régime constitutionnel et la défense des intérêts nationaux. Site Internet : http://www.das.gov.co/ 172 Le journaliste, Daniel Samper dans un article apparu dans le journal El Tiempo se questionne sur le responsable de cette bombe. Il dit qu' il peut s’agir d' intérêts internes défavorables au dialogue avec la guérilla, pour l' attribuer à celle-ci ; mais aussi d’un jeu des FARC-EP pour faire croire qu' il y a eu un complot militaire dans l' intention de l' accuser. D’autre part, cela peut être les autodéfenses, pour salir à leurs rivaux, ou les narcos, pour former une pagaille qui leur permette de travailler tranquilles (Samper 2006). 173 À partir de ce moment les FARC-EP ont effectué des embuscades et des attaques dans différents secteurs de la Colombie, comme dans le municipio de Tierradentro (Córdoba) et la ville de Villavicencio (Meta). Les attaques ont été effectuées dans les anciennes zones d’emprise paramilitaire où le groupe partisan a commencé à récupérer des espaces. De même en Antioquia, les FARC-EP font présence dans des villages qui ont été dominés par les paramilitaires (El Tiempo, 1 novembre 2006). 149 Dans cette section nous avons vu la naissance et consolidation d’une des guérillas les plus anciennes et puissantes de l’Amérique Latine. Par rapport à sa naissance il y a eu des versions opposées qui vont depuis son origine comme autodéfense campagnarde face à la violence étatique jusqu’au la vision du gouvernement qui voyait en elle un groupe de rebelles qui conspirait contre l’État. Malgré les efforts des différents gouvernements pour la combattre, elle est arrivée à accroître et se consolider dans de nombreuses régions du pays, ayant des fronts dans presque tous les départements du territoire national. Nous constatons donc l’impuissance de l’État pour contenir cette guérilla, qui continue à se confirmer tout au long des années, dans une ambiance de militarisation croissante du conflit et très peu des résultats dans le terrain politique (comme nous l’avons pu observer quand on a parlé des négociations entamées avec les différents gouvernements). En attendant, c’est la population civile la plus touchée par les combats entre les groupes armés de différent signe politique et par l’intimidation disséminée par cette organisation dans ses régions d’emprise. Évidemment, elle a compté de l’appui populaire dans certaines régions, mais son emprise a été construite notamment sur la base de l’intimidation et la terreur, ne laissant d’autre choix à la population que la coopération ou la fuite. 2.2 L’ELN : une armée révolutionnaire L’ELN (Ejército de Liberación Nacional), est une organisation inspirée par la révolution cubaine et la théologie de la libération. À l’instar des FARC-EP elle est née en 1964 dans le municipio de San Vicente du Chucurí dans le département de Santander.174 Les raisons pour lesquelles Santander fut choisi comme base initiale des opérations de cette organisation furent nombreuses : « La tradition de lutte du peuple santanderin, spécialement dans les régions où avaient opéré, au cours des dernières années, les guérillas libérales de Rafael Rangel [...] . Topographiquement, il s’agissait d’un terrain des plus favorables à la guerre de guérilla. Et surtout, un développement ultérieur permettrait de contrôler la région pétrolière la plus riche du pays, le chemin de fer du Magdalena, et le mouvement ouvrier colombien le plus important. À tout cela s’ajoutaient 174 Site Internet de l’ELN : http://www.eln-voces.com 150 les conditions révolutionnaires particulières aux étudiants de l’Université Industrielle de Santander » (Arenas 1972, p. 23). En 1964 l’organisation a établi ses premiers noyaux urbains, tant à Bucaramanga qu’à Barrancabermeja et San Vicente, commandés par Victor Medina, Fabio Vásquez et Heriberto Espina. Ces personnes avaient reçu de l' entraînement militaire à Cuba depuis 1962.175 À Bucaramanga, ils furent constitués principalement d’étudiants, qui firent preuve d’un grand attachement pour la cause révolutionnaire. À Barrancabermeja, siège du mouvement syndical le plus important du pays, Juan de Dios Aguilera (dirigeant syndical de la Federación de Trabajadores Petroleros et ancien élève de l’école d’ingénieurs de l’Université Industrielle de Santander) se chargea de la labeur de formation. À San Vicente, les contacts de Heliodoro Ochoa ont constitué la base de l’organisation (Arenas 1972, p. 23-33). Les racines de cette guérilla ne se trouvent pas exclusivement dans un mouvement campagnard et agricole comme dans les cas des FARC-EP. L' ELN se compose aussi d’universitaires, de jeunes mécontents issus de classe moyenne et d’anciens militants du MRL (Movimiento Revolucionario Liberal).176 En effet, le mouvement étudiant a donné un fort élan à l' ELN, non seulement parce qu’il représentait une des principales sources de cadres politiquement bien formés, mais encore parce « qu’il créa une atmosphère favorable pour la guerre de guérilla chez les étudiants de tous le pays » (Arenas 1972, p. 57). Une résolution des étudiants de l’époque souligne que « [...] la lutte pour la réforme et la démocratisation de l’université est une partie inséparable de la lutte du peuple colombien pour la prise du pouvoir » (Arenas 1972, p. 57). En outre, le prête Camilo Torres a été un de ses principaux représentants bien qu' il ait été abattu en combat par l’Armée en 1966. Torres avait proposé Le 175 Depuis 1962 un groupe de jeunes qui sont allés à Cuba (Víctor Medina, Fabio Vásquez, Heriberto Espitia, Ricardo Lara, Luis Rovira, Mario Hernández et José Merchán) avaient fondé la « Brigada Pro-Liberación Nacional José Antonio Galán », qui sera ensuite la base de l' ELN. 176 Le MRL apparaît comme proposition du libéral Alfonso López Michelsen. Le mouvement allègue que l' alternance du pouvoir, pendant le Frente Nacional est illégale. Plus tard il se divise en plusieurs tendances, et quelques cadres politiques prennent part de la fondation tant de l’ELN comme de l' EPL (Matta 1999, p. 109). 151 Frente Unido comme mouvement d’unité populaire, lequel a entamé l’agitation politique dans les villes. Ce mouvement était composé de personnes de gauche et quelques secteurs qui restaient hors de la structure du bipartisme. Par la suite, Camilo Torres s' est transformé en symbole de l' ELN en représentant la radicalisation du mouvement des étudiants et les nouvelles tendances de l' église catholique, encadrés dans la théologie de la libération.177 Selon le PNUD les principales différences entre les FARC-EP et l’ELN sont : « L' ELN, en particulier, est né en contrepoint à l' idée, par alors orthodoxe, de la guérilla comme simple autodéfense campagnarde : la révolution socialiste ne viendra pas si elle n' est pas jalonnée par une avant-garde politico-militaire, et c' est pourquoi le premier point de leur premier manifeste était « la prise du pouvoir pour les classes populaires». Les autres différences avec les FARC-EP, peuvent être résumées dans celles-ci. Les guérillas de l’ELN sont plus une « armée révolutionnaire » tandis que les FARC-EP sont plus un « parti en armes » ; les FARC-EP sont proches des colons et l' ELN des syndicats ; les premières sont agraristes et l' autre est pétrolière ; l' un, si on veut, est plus politique, les autres plus militaires. Mais dans toutes les deux il y a un projet révolutionnaire, des croyances qui les unifient et dans un certain degré elles contribuent à mouler la vie interne de l' organisation, leurs relations avec la communauté, leurs priorités et leurs méthodes » (PNUD 2003, p. 41).178 La conception initiale de l’ELN se concentrait sur quelques points principaux : il concevait la lutte armée comme la forme principale pour la prise du pouvoir, il s’agissait d’une lutte de masses ; la guérilla devait être offensive plutôt que défensive ; le travail politique et d’organisation au sein du peuple était de 177 Selon Peñate, paradoxalement, le décès de Camilo Torres a été utile à la vie de l’ELN pendant ses dix premières années d' existence. Torres a été transformé en un symbole puissant qui a fourni à l' ELN beaucoup de notoriété et publicité (Peñate 1998, p. 8). 178 Traduit par nous de : « El ELN, en particular, nació en contrapunto a la idea, por entonces ortodoxa, de la guerrilla como simple autodefensa campesina : la revolución socialista no vendrá si no es jalonada por una vanguardia político-militar y por eso el primer punto de su primer manifiesto era “la toma del poder para las clases populares”. De aquí se siguen diferencias con las FARC-EP, que pueden resumirse en que éstas son más un “ejército revolucionario” mientras aquel es más un “partido en armas” ; las FARC-EP están cerca de los colonos y el ELN de los sindicatos ; las unas son agraristas y el otro es petrolero ; el uno, si se quiere, es más político, las otras más militares. Pero en ambos hay un proyecto revolucionario, unas creencias que unifican y en algún grado contribuyen a moldear la vida interna de la organización, sus relaciones con la comunidad, sus prioridades y sus métodos ». 152 suprême importance ; les organisations révolutionnaires devaient se rapprocher et maintenir des contacts amicaux, opposés à l’impérialisme et favorables aux mouvements de libération nationale (Arenas 1972, p. 26-46). Pour annoncer au peuple colombien la constitution du groupe, leur première action publique fut la prise de la bourgade santandérine de Simacota (5000 habitants), le 7 janvier 1965. L' objectif était d' obtenir des avantages de type économique, l’acquisition d’armes, munitions, vivres et médicaments et, le plus important, élever la morale des paysans de la zone. Pendant près de deux heures, Simacota resta sous le control de la guérilla. C’est là où le « Manifiesto de Simacota » apparaît. Il définit la ligne générale de l’ELN et fut distribué et reproduit par la presse de l’époque. Par la suite, en mars 1965 il y a eu une Déclaration - Programme qui a établi les bases politiques de l’ELN. Cette déclaration parle de la prise du pouvoir par les classes populaires, la révolution agraire, le développement de l’économique et l’industrie, le plan de logement et reforme urbaine, la santé publique, le crédit populaire et le plan routier (Arenas 1972, p. 84-86). À partir de ce moment là, l' ELN a crû jusqu' à avoir deux fronts dans le Magdalena Medio (Santander) et un autre dans le nord-ouest d’Antioquia. Par la suite elle s’est répandue vers le sud de Bolívar et le sud du Cesar (Espejo et Garzón s.d., p. 2). D’après Vargas, pendant les années 1970, l' ELN franchit une période critique où les conflits politiques internes ont été résolus par l’exécution de leurs membres, spécialement des jeunes universitaires. En même temps, en 1973, l’organisation traverse sa plus grande crise dans la défaite politique d' Anorí, sous le gouvernement de Misael Pastrana Borrero (1970-1974). Environ 30.000 membres de la Force Publique combattent le groupe dans 20 municipios du nord-est d' Antioquia. Cette défaite le place au bord de son extinction (40 guérilleros morts et un nombre équivalent de détenus) (Vargas 2004, p. 1). En outre, la défaite d’Anorí a déchaîné beaucoup de désertions. En 1974, durant une seule année, l' ELN est passé de 270 guérilleros à 70 (Medina 1997 cité par Peñate 1998, p. 13). À partir de 1976 le prête Manuel Pérez et Nicolas Rodríguez Bautista assument la direction de l’organisation, après le départ de Fabio Vásquez (leader de l’ELN à l’époque) à Cuba et la décision des membres de l’organisation de lui 153 relever sa direction (Peñate 1998, p. 14).179 À partir de l’année 1983, l’ELN resurgit et commence à enregistrer une croissance significative de ses fronts. Ainsi, dans la réunion nationale des héros et martyrs d' Anorí l' organisation a décidé de dédoubler les fronts existants (Echandía 1999, p. 6). Elle commence à se développer dans les départements d’Antioquia, Chocó, Cesar, Norte de Santander, Arauca, Bolívar, Sucre, Córdoba, Magdalena, Guajira, Santander et nord de Boyacá.180 Selon Echandía cette croissance dérive du renforcement économique obtenu par l' extorsion aux compagnies étrangères chargées de la construction de l'Oléoduc Caño Limón - Coveñas. Postérieurement l’ELN s’est situé dans des secteurs d' extraction du pétrole en suivant le parcours de l' oléoduc (depuis Arauca jusqu’au Norte de Santander et le sud de Cesar, en passant par le nord du Boyacá). En outre, quand la production pétrolière d' Arauca a commencé, le front Domingo Laín a développé des schémas clientélistes pour le détournement des fonds publics de cette région (Peñate 1998, p. 23).181 D’après Peñate, l’expérience du front Domingo Laín a démontré l’importance, pour une guérilla, d' être située dans des régions où le développement de projets miniers ou énergétiques permet de réaliser des kidnappings et des extorsions et d' intervenir les ressources publiques ou privées de manière clientéliste. De ce fait, les membres de l’ELN ont cherché à s’installer dans les zones pétrolières et carbonifères du pays (départements d’Arauca, Casanare, Guajira et Cesar et les municipes de Sabana de Torres et Barrancabermeja) (Peñate 1998, p. 26). En 1987 il y a eu une fusion entre l' ELN et le MIR-Patria Libre (organisation marxiste- léniniste qui avait de l’influence sur les paysans de la côte atlantique et les travailleurs de la banane à Urabá), pour conformer l' UCELN (Unión Camilista-Ejército de Liberación Nacional). Cependant, à partir de 1994 le groupe commence à s’affaiblir. Au cours de cette année quelques 179 Pour comprendre le changement de stratégie de l’ELN depuis la défaite d’Anorí voir l’article de Peñate 1998 souligné dans la bibliographie. 180 Voir l’expansion de l’ELN à partir de 1983 dans l’article « La encrucijada del ELN » de Germán Espejo et Juan Carlos Garzón. p. 2-5. 181 Pour l’année 1999, selon Echandía, l’ELN compatit avec cinq blocs de guerre : NordEst, Nord, Nord-Ouest Sud-Ouest et Central. Ces fronts réunissaient 33 fronts ruraux et 8 régionaux qui correspondaient, en général aux noyaux urbains (Echandía 1999, p. 3). 154 militants de l' ELN forment la CRS (Corriente de Renovación Socialista) et signent une amnistie avec le gouvernement national. Cette démobilisation a désarticulée les structures urbaines de la Côte et du Valle et les fronts actifs Héroes de las Bananeras (Magdalena) et Astolfo González (Urabá) (Viceprecidencia de la República 2002a, p. 25). Par la suite en 1996 l' action des groupes paramilitaires et la plus grande décision de l' Armée pour combattre ce group arrivent à le déstabiliser. « Il perd de l' hégémonie dans une bande du territoire qui s' étend depuis le nord-est d' Antioquia jusqu' au Nort-Santander. À ceci on ajoute la perte d' influence à Barrancabermeja, ainsi qu' à Cúcuta et Medellín, tandis qu' en Arauca les FARC-EP avancent sur les positions traditionnelles plus évaluées de l' ELN » (Echandía s.d., p. 10-11).182 En effet, selon Echandía, il faut supposer que les FARC-EP aspirent à absorber l' ELN. Ce processus a été visible par le renforcement de fronts de l’ELN par les FARC-EP pour éviter de défaites militaires, en faisant présence dans des zones d' influence traditionnelle de l' ELN, et en défendant quelques territoires de manière conjointe (Echandía s.d., p. 1011). 183 La pression militaire et le besoin de ressources concentrent cette guérilla dans des zones de pétrole comme le Magdalena Medio, le Norte de Santander, l’Arauca et le Casanare ; zones bananiers comme l' Urabá ; et zones où il y a de l’or comme l' est d' Antioquia et le sud de Bolívar. Commandée actuellement par Nicolás Rodríguez Bautista, alias Gabino, et Antonio García (commandant militaire) cette guérilla constitue une menace militaire beaucoup moins grande que les FARC-EP. Leur capacité militaire est estimée par le DNP (Departamento 182 Traduit par nous de : « Pierde hegemonía en una franja del territorio que abarca desde el nordeste antioqueño hasta Norte de Santander. A esto se suma la pérdida de influencia en Barrancabermeja, así como en Cúcuta y en Medellín, mientras que en Arauca las FARC-EP avanzan sobre las posiciones tradicionales más preciadas del ELN ». 183 « [...] processus qui s’est présenté de plusieurs manières : en renforçant les fronts de l' ELN pour éviter davantage de défaites militaires, comme il peut être constaté dans le sud de Bolívar ; en faisant présence dans des zones d' influence traditionnelle de l' ELN comme il a été dans le cas d’Arauca, et en défendant des territoires de manière conjointe comme il se produit dans le Norte de Santander ». Traduit par nous de : « [...] proceso que se ha venido dando de varias formas : reforzando los frentes del ELN para evitar más derrotas militares, como se puede constatar en el sur de Bolívar ; haciendo presencia en zonas de influencia tradicional del ELN como se ha visto en Arauca, y defendiendo territorios de manera conjunta como viene ocurriendo en Norte de Santander ». 155 Nacional de Planeación) en 4.500 hommes distribués en 5 blocs et 41 fronts (PNUD 2003, p. 29-56 et 83). Carte N° 2 : Distribution spatiale d' actions violentes effectuées par l' ELN, pendant la période 1995-2002 Source : Dane, Marco Geoestadístico Nacional. Observatorio de Violencia –Presidencia de la República. Consulté en PNUD - PROGRAMA DE NACIONES UNIDAS PARA EL DESARROLLO. 2003. El conflicto callejón con salida : informe nacional de desarrollo humano para Colombia. Bogotá. p. 58. [réf. du 2006-01-06]. Disponible sur Internet : http://indh.pnud.org.co/informe2003_.plx?pga=CO3tablaContenido&f=1152459998 Depuis ses débuts l’ELN a développé des réseaux d' appui dans les villes de Barrancabermeja, Bogotá, Medellín et Bucaramanga. Elle les a utilisé notamment comme centres de recrutement des combattants et de réseaux 156 logistiques. En outre, au cours des années 1990 l’ELN a créé des réseaux urbains dans les villes de Cali, Popayán, Ibagué, Pereira, Manizales et Armenia et a fortifié ses liens à Bogotá. Néanmoins à partir de 1996 les cadres de Medellín, Cali et Bogotá sont fortement affaiblis par la Force Publique (Revista Semana 2006a).184 Au début des années quatre-vingt-dix et en faisant partie de la Coordinadora Guerrillera Simón Bolívar (dont nous parlerons plus loin), l' ELN accepte de prendre part des dialogues de paix entamés dans le gouvernement de César Gaviria (1990-1994) à Caracas et Tlaxcala. Il commence alors à assumer le dialogue et la négociation comme une partie de sa proposition politique en ayant deux sujets prioritaires : le Droit International Humanitaire et la politique minière, énergétique et pétrolière. Toutefois, suivant la thèse d' Alejandro Vargas, la participation de l' ELN a été plus liée à l' importance donnée par l' ELN à l' unité du mouvement partisan, que par une conviction dans la sortie politique négociée (Vargas 2004, p. 1). Par la suite, pendant les gouvernements d’Ernesto Samper (1994-1998) et Andrés Pastrana (1998-2002) il y a eu des rapprochements pour une négociation avec l’ELN. Néanmoins les négociations ont échoué à cause du manque d’accords politiques entre les différentes parties. Dans l’actuel gouvernement du président Álvaro Uribe Vélez, depuis 2002, il a aussi eu des dialogues exploratoires avec l’ELN pour définir la conception générale du processus de paix. Pour matérialiser ce dialogue, il a été établi une « Casa de Paz» (Maison de Paix ) à Medellín qui a pour but la coordination de dialogues entre l’ELN, la société et le gouvernement. Au mois d' octobre 2006, la quatrième ronde exploratoire entre l’ELN et le gouvernement a été effectuée à Cuba. Néanmoins les bases d' un processus de paix ne sont pas encore définies. Il y a eu des avancées dans des « contenus thématiques » et la phase exploratoire a mis en évidence la volonté des parties de faire la paix, ainsi que l’importance de l' accompagnement de la communauté internationale et de la 184 Pour une vision sur la situation de l’ELN qui met en cause la théorie de la faiblesse actuelle de l’organisation voir l’article du Nuevo Siglo « ¿En qué anda el ELN? Estadísticas, análisis y alternativas » de juillet 2005. 157 participation de la société civile. Le Bureau du Haut Commissariat de Paix185 du gouvernement a indiqué que la continuation du processus sera liée à la volonté de l' ELN d’accomplir une cessation de feu et des hostilités. Par la suite, ils pourront examiner des sujets comme le financement du groupe par le gouvernement tandis la durée du processus et l’échange humanitaire. Pour l' ELN, le processus de paix doit nécessairement toucher le sujet du déplacement forcé de population et l' amnistie pour les prisonniers (El Tiempo, 26 octobre 2006). Nous avons vu dans cette section les origines de l’ELN, conformé par des paysans, des étudiants et des personnes appartenant au mouvement syndical. Ils concevaient la lutte armée comme la forme principale pour la prise du pouvoir. Malgré ses nombreuses périodes de crise (défaite d’Anorí en 1973, mouvement dissident démobilisé en 1994, offensive de l’Armée et des paramilitaires en 1996) l’organisation a pu subsister. Afin de survivre, cette guérilla s’est concentrée dans des zones riches par la présence des ressources naturelles (le banane, l’or, le carbone, et surtout le pétrole), et c’est dans ces régions où elle continue à exercer son emprise. Nonobstant, actuellement le pouvoir de l’ELN semble affaibli. De ce fait, les espoirs qu’il existe de concrétiser les dialogues avec le gouvernement conduisant à la déposition des armes et à la cessation de la violence. 2.3 L’EPL : un processus de paix inachevé L’EPL (Ejército de Liberación Popular) est une organisation guérillera fondée en 1965 dans le département de Córdoba et la région Urabá où elle a développé du travail politique avec les paysans. Ce groupe d’inspiration maoïste trouve aussi ses racines idéologiques dans le PC-ML (Partido Comunista de Colombia - Marxista Leninista). Ce parti, conformé par un groupe qui s’était séparé du Parti Communiste pour des conflits idéologiques, a décidé de construire un autre parti pour la prise du pouvoir dans une insurrection armée 185 Le Bureau du Haut Commissariat de Paix est l’instance gouvernementale chargée des processus de paix depuis janvier 2001. Elle est responsable de la structuration et du développement de la politique de paix. Elle dirige les dialogues et signe les accords avec les porte-parole et les représentants de groupes armés illégaux qui cherchent leur réinsertion à la vie civile. Site Internet : http://www.altocomisionadoparalapaz.gov.co/ 158 révolutionnaire (Calvo 1987, p. 25). Néanmoins, d’après le témoignage d’Oscar William Calvo, un des dirigeants de l' EPL, même si beaucoup des combattants de l’organisation étaient des militants du PC-ML, l' EPL avait une structure indépendante, avec ses statuts et ses propres commandes (Calvo 1987, p. 113) . En 1967, l’EPL inaugure les « Juntas Patrióticas » (Assemblées Patriotiques) comme formes organisationnelles de type politique militaire, conformées par des dirigeants populaires de la région (Córdoba et Urabá). Les objectifs des assemblées étaient de combattre l' impérialisme, la bourgeoisie et les propriétaires fonciers. D’après le discours des membres de l’EPL cette lutte était possible seulement par la formation d' une armée, pour arriver ainsi au pouvoir et créer un gouvernement socialiste. Grâce à la politique qu' elles défendaient, les assemblées ont initialement disposé de l’appui de la population. Selon leurs militants, entre leurs activités elles fixaient les prix du marché, arrangeaient la célébration des mariages et la légalisation des divorces et des baptêmes. Les assemblées ont compté d’ailleurs d’un journal, Avancemos, par lequel elles communiquaient leur politique à la population (Zuluaga 1993, p. 111). Le groupe a commencé ses opérations militaires en 1968 quand ils firent des incursions sur le municipio d' Uré dans le nord-ouest colombien afin d' assassiner Orlando Marchena, propriétaire foncier de Córdoba, accusé de voler aux paysans la terre et le bétail (Zuluaga 1993, p. 111). L' implantation de l' EPL sur la région montagneuse du nord-ouest de la Colombie (appelé Noro par les guérilleros), l’a transformée en la guérilla la plus développée de la côte atlantique, avec un pouvoir d' expansion vers Antioquia et les régions du nord-est, du centre et du sud du pays. L’emprise sur les rivières du Sinú et San Jorge a permis la projection dans tout le département de Córdoba, et dans les régions d’Urabá et Bajo Cauca (Villarraga et Plazas 1994, p. 38). L' élection de la zone dans le nord-ouest colombien obéit à plusieurs facteurs : d' abord elle a été la scène d' une colonisation intense durant les années quarante et cinquante et a reçu beaucoup de victimes de la violence d’Antioquia, Córdoba et d’autres départements de la côte inscrits dans des conflits traditionnels pour la terre. On y a développé des guérillas libérales avec une 159 importante influence sur les colons et les paysans. En outre, depuis 1959, des syndicats agricoles qui ont promu la lutte par la terre ont été formés et ont été influencés par les dirigeants communistes du PCML et de l' EPL. Finalement, il y avait dans la région le MRL (Movimiento Revolucionario Liberal), d' où sont provenus certains des principaux représentants de l' EPL (Vicepresidencia de la República 2002a, p. 33-34). Jusqu' en 1975 le seul front militaire qui ait été consolidé par l’EPL était le front Francisco Garnica, situé dans les têtes des rivières Sinú et San Jorge. En 1976, le front urbain Pedro León Arboleda est né dans l' Urabá, et quelques membres des FARC-EP se sont unis à l’organisation. Néanmoins durant les cinq premières années de fonctionnement de l' EPL, l' armée a durement frappé l' organisation. L’armée cherchait à abolir les soulèvements campagnards contre des propriétaires fonciers de la région, et l' invasion de propriétés par la guérilla. Par la suite, entre 1975 et 1980 beaucoup des militants politiques du PCML ont été arrêtés notamment à Urabá et Córdoba, et, en conséquence, l' EPL a été affaibli (Vicepresidencia de la República 2002a, p. 35). En 1980, l’EPL commence à donner plus d' importance aux zones de développement agro-industriel. Dans la première moitié des années 1980 l' EPL a conservé son influence dans des zones de colonisation et d’expansion d' élevage de Córdoba et d' Urabá, mais a été aussi implanté dans la zone bananière (fronts Jesús María Alzate et Bernardo Franco). L’organisation a aussi avancé sur la région du Viejo Caldas (fronts Carlos Alberto Morales et William Calvo), où le PCML avait l’appui de la population. Par la suite, elle a étendu son influence au département d’Antioquia (front Pedro León Arboleda et Bernardo Franco) et dans quelques zones de colonisation et exploitations pétrolières comme le Putumayo (front Aldemar Londoño) et le département du Nort-Santander (front Libardo Mora). Elle a pris également l’emprise de la Sierra Nevada de Santa Marta (voir la carte de la Colombie dans l’annexe E). Finalement, depuis 1970, elle a eu des cellules dans les centres urbains, notamment à Medellín comme nous le verrons plus loin (Echandía 1999, p. 7 ; Vicepresidencia de la República 2002a, p. 3637). En 1984, sous le gouvernement de Belisario Betancur (1982-1986), l' EPL a signé un accord de cessé le feu. Toutefois, le meurtre de leur principal porte- 160 parole de paix, Oscar William Calvo, en 1985, a fait que cette organisation déclare la finalisation des accords.186 Par la suite en février 1987 le commandant Ernesto Rojas meurt aussi assassiné. La guérilla de l’EPL attribue ces meurtres à l’alliance des militaires et paramilitaires. Pour elle, il s’agit du déploiement de la violence exercée par les paramilitaires à partir de 1985 contre toutes les personnes syndiquées d' être la base sociale de la révolte (Calvo 1987, p. 127130). Le processus de paix a été donc utilisé par l’EPL pour accroître le nombre de combattants de l’organisation, et pour étendre leur emprise sur de nouvelles zones, en profitant de l' absence d' initiative de la Force Publique contre elle. Selon Franco, le processus de trêve a permis à l’EPL de se faire connaître au niveau national, ce qu’il n' avait pas acquis pendant dix-sept années de lutte. Par la suite, l' EPL est devenue une organisation avec 12 fronts et présence dans plus de 15 départements du pays (Franco 1987, p 151). Cette croissance s’est étendue jusqu' à 1990. L' EPL a démontré sa capacité pour frapper la Force Publique et pour la prise de villages, en même temps elle a encouragé des luttes syndicales et politiques, notamment dans la région d' Urabá (Vicepresidencia de la República 2002a, p.41). Cependant, au début de la décennie des années 1990, l' EPL a été durement frappé par les Forces Militaires et encerclé par les FARC-EP et les paramilitaires. De ce fait l’organisation s’est intéressée à la proposition de paix de l' administration de Virgilio Barco (1986-1990), laquelle a été suivie par son successeur. En 1991, sous le gouvernement de César Gaviria (19901994),187 cette guérilla a accepté une amnistie gouvernementale et presque la totalité de ses membres (environ 2.100) ont été réinsérés à la vie civile conformant le mouvement Esperanza, Paz y Libertad. Le nom de la nouvelle organisation légale a conservé le même sigle « EPL » que le groupe partisan (Ruíz s.d., p. 14). 186 Selon Carlos Franco, ex-intégrant de l’EPL l’assassinat de Calvo et la rupture postérieure de la trêve, ont accentué les différences internes entre le PC-ML et l' EPL. (Franco 1987, p. 151-152). 187 Pendant ce gouvernement, les guérillas du PRT, du Quintín Lame et du M-19 ont été aussi démobilisées. 161 Ce qui a emmené à cette organisation au nouveau processus de paix était sans doute la convocation à l' Assemblée Nationale Constitutive, idée qui avait déjà été proposée par ce groupe en 1984. La participation pleine des délégués de l’EPL dans l’élaboration de la nouvelle constitution, a été accordée pendant les négociations (Villarraga et Plazas 1994, p. 366-367). Certains auteurs indiquent que dans la légalité, les propositions de l' EPL manquaient de solidité. Le mouvement n' était pas clairement structuré, il n’avait pas de ressources, les expériences régionales différaient trop, et ils avaient perdu les éléments d' identité. Pour cela, au mois d’août 1991 la majorité de ses membres ont approuvé que le mouvement Esperanza, Paz y Libertad fasse partie de l’AD M-19 (Alianza Democrática M-19), mouvement politique créé par les ex-guérilleros du M-19. En effet, l' AD M-19, qui avait déjà gagné un espace politique considérable, cherchait à dissoudre les différents mouvements politiques de gauche pour conformer une seule alternative politique (Villarraga et Plazas 1994, p. 459-461). Suite à la participation dans l’AD M -19, l' EPL a accédé à un siège dans le Sénat de la République et un autre dans la Chambre de Représentants (Franco 1987, p. 160). Néanmoins quelques membres de l' EPL en processus de réinsertion ont été assassinés et leurs meurtres ont été attribués, par leurs dirigeants, à la faction dissidente qui n' a pas signé les accords de paix (commandés par Francisco Caraballo), aux FARC-EP, ainsi qu' à des groupes paramilitaires opposés aux négociations de paix (OEA 1993, p. 5). Face à cette agression et déçus du processus de réinsertion, quelques ex-guérilleros commencent à abandonner les activités légales et s’engagent dans de nouvelles confrontations armées. De même, un secteur de réinsérés forment dans la région d' Urabá les « Comandos Populares ». Cette organisation avait pour but la défense des dirigeants et militants du mouvement politique. Cependant, au fils du temps ils se sont transformés en acteurs offensifs et violents (Vicepresidencia de la República 2002a, p. 39). 162 En 1993 suite à la capture de Francisco Caraballo et de plusieurs chefs, le groupe dissident commence à s’affaiblir. La persécution de l' Armée et la désertion de beaucoup de ses membres ont sérieusement affecté l’organisation. De même, en 1996, quelques membres du front Pedro León Arboleda se sont insérés aux FARC-EP, dans l’Urabá et le front Bernardo Franco qui agissait en Antioquia a décidé de se rendre aux autorités (Echandía 1999, p. 7). Actuellement les activités de ceux qui continuent à conformer la branche armée de l' EPL sont restreintes à certaines zones dans les départements de Santander, Caldas, Norte de Santander et la Guajira. Ils se dédient principalement au kidnapping et à l' extorsion des habitants de la zone. Leur commandant actuel est appelé Juan Montes (Vicepresidencia de la República 2002a, p. 40). Finalement, Il convient de préciser que les trois organisations guérilleras présentées ont des orientations différentes et des programmes politiques divers. Elles se sont affrontées dans diverses situations mais elles ont connu aussi des périodes de coopération. En 1985, il y a eu la coordination trilatérale entre l’ELN, le PRT et le MIR-Patria Libre. Au cours de la même année, la Coordinadora Nacional Guerrillera intégrée par l’ELN, l’EPL, le M-19, le PRT et la guérilla Ricardo Franco a été créée. Ce dernier groupe a été expulsé de la Coordinadora parce qu’en 1986 ses deux dirigeants ont assassiné à Tacueyó presque la totalité de ses militants (environ 168), sous l’argument de leur appartenance à des organismes de sécurité de l' État. Ceci a ouvert les perspectives pour la création de la Coordinadora Guerrillera Simón Bolívar (CGSB) en 1987, avec la participation des FARC-EP. Les FARC-EP avaient refusé d' accepter tout type de coordination avec la guérilla Ricardo Franco qu' elles considéraient infiltrée par les organismes de l' État. Le but de la nouvelle coordination était de présenter un front uni pour de possibles négociations avec le gouvernement et en outre effectuer des actions militaires conjointes. Cette coordination disparaît en 1993, étant donnée la réinsertion du M-19, l’EPL et le PRT, et la difficulté d’avoir une unité politique et militaire entre ses organismes (Franco 1987, p. 153-154). 163 2.4 Le financement des guérillas : l’autonomie pour l’action Les guérillas des FARC-EP, de l’ELN et de l’EPL se financent à l' aide d' une multitude d' activités : vols des propriétés de l’ennemi, dons provenant de l’étranger, donations ou « impôts » payés par la population, rackets, kidnappings et à travers la gestion directe des affaires illicites notamment le trafic de drogue. Selon Pécaut « [...] les FARC-EP sont dominants dans les prélèvements sur la drogue, l’ELN sur ceux concernant le pétrole, l’EPL sur ceux de l’économie de la banane. En revanche toutes les organisations participent aux prélèvements sur l’élevage » (Pécaut 1996a, p. 256). En effet, l’expansion des FARC-EP au début des années 1980 s’explique par les revenus liés à leur control des territoires de culture et de transformation de la coca. « Le gramaje, prélèvement de 10% opéré sur les cultivateurs, les taxes sur les collecteurs et les transporteurs, assurent des rentrées considérables » (Pécaut 1996b, p. 36). Ces revenus rendent possible la consolidation de fronts dans les départements du Meta, Guaviare, Caquetá, Putumayo, Cauca, Santander et dans la Sierra Nevada de Santa Marta (Echandía 1999, p. 3-4).188 De ce fait le phénomène connu comme « narcoguérilla » qui fait référence aux mouvements de la lutte armée « [...] qui poursuivent ses fins politiques en étant financé largement avec l' argent de la drogue et qui disposent parfois de l' appui de paysans producteurs de coca (Gros 1992, p. 5).189 Sur le phénomène du trafic de drogue nous reviendrons dans la section 3 de cette partie, dont nous verrons que les liens entre le conflit armé et le narcotrafic sont tellement forts qu’il n’est pas possible de penser leurs activités de manière séparée. Cependant, nous voulons souligner ici quelques aspects sur les kidnappings et les rackets, étant donné que ce sont les autres sources 188 Cependant, cette organisation partisane nie ses liens avec les cultures et le trafic de drogues. Voir El Tiempo, 9 septembre 2006a. 189 Traduit par nous de : « [...] que persiguen sus fines politico financiandose ampliamente con el dinero de la droga y que cuentan a veces con el apoyo de campesinos productores de coca ». 164 principales de financement des guérillas et pour la peur et l’intimidation que ces activités exercent sous la population civile. Le kidnapping est définit par l' article 169 du Code Pénal Colombien comme toute retenue de personnes dans le but d' exiger, pour sa libération, un bénéfice ou utilité, ou pour qu' on fasse ou laisse faire quelque chose, ou avec des fins publicitaires ou politiques (Código Penal, art. 169). Les enlèvements en Colombie ont expérimenté plusieurs étapes qui vont des enlèvements à but politique ou financier exercé sur des politiciens et leurs familles, propriétaires fonciers, personnel de multinationales, diplomates etc., jusqu’aux enlèvements massifs et indiscriminés exercés depuis 1997 sur des paysans pauvres, touristes et ouvriers, connus dans le pays comme les « pescas milagrosas » (pêches miraculeuses). En avril 1999 nous pouvons évoquer l’enlèvement, par l’ELN, des 41 voyageurs d’un avion de ligne détourné qui faisait la route entre Bucaramanga et Bogotá. Les passagers ont été emmenés à des campements dans la forêt. L’un d’entre eux est mort tandis que tous les autres ont été libérés dans les 20 mois suivants, après le paiement de sauvetages millionnaires (El Tiempo, août 28 de 2006b). Au cours de la même année nous assistons à l’enlèvement des participants à une messe dans une église catholique. Environ 30 guérilleros de l’ELN ont fait irruption dans « La María », église d’un quartier exclusif de la ville de Cali, et ils ont pris les fidèles et le prêtre en otage. Il est difficile d' établir une distinction claire entre les kidnappings à but économique et ceux à but politique. Le kidnapping est une activité complexe motivée par différents aspects. Voire il est courant d' utiliser le kidnapping comme menace pour ceux qui ne payent pas les rackets (Rubio 2003, p. 6). En ce qui concerne les rackets, l' article 5 de la Loi 733 de 2002 définit l’extorsion comme toute action dans laquelle on oblige quelqu’un à faire, tolérer ou omettre une certaine chose, dans le but d' obtenir bénéfice ou utilité illicite, pour soi même ou pour un tiers. Les rackets exercés notamment sur des propriétaires fonciers, chefs d' entreprise et paysans riches ont différentes expressions : les « vacunas », le « boleteo » et le « peaje ». Les « vacunas » consistent dans un paiement périodique en échange de laisser les gens travailler ou habiter chez eux. Ce paiement est une sorte d’assurance, parfois, contre le 165 kidnapping, la confiscation de la propriété de la terre ou de biens matériels. Le « boleteo » est un paiement occasionnel par des personnes ou entreprises après avoir reçu une notification ou « boleta » (indiquant le montant à payer) de la part des groupes armés illégaux. Finalement, le « peaje » est l' encaissement forcé d' une somme fixe pour permettre le transit de véhicules ou le passage de marchandises d’une région à une autre (PNUD 2003, p. 87).190 Nous avons fait mention des moyens de financement des guérillas non seulement pour montrer comment ils sont liés a des activités violentes mais parce que, selon les chercheurs sur la violence en Colombie, « [...] la prolongation du conflit armé a comme fondement l' autonomie acquise par les guérillas, surtout dans le domaine financier, en faisant amoindrir l’importance de l’appui social et politique, qui est la nécessité inhérente à toute guérilla » (Echandía 1999, p. 12).191 2.5 Le M-19 : la ville comme scénario de la révolution Dans cette section nous allons faire quelques remarques sur la formation et les activités du M-19 (Movimiento 19 de abril) étant donné qu’elle était une guérilla éminemment urbaine. En tant que guérilla urbaine, elle a exercé une influence sur les autres groupes partisans colombiens. Nous nous occuperons des actions menées par cette guérilla dans les villes, même si depuis 1981, elle a eu aussi une présence considérable dans les zones rurales, notamment dans les départements de Caquetá, Putumayo, Nariño, Huila, Cauca et Chocó.192 190 À l’égard des extorsions voir la « Loi 002 de 2000 » des FARC-EP. Cette « loi » indique que l’organisation va demander un « impôt pour la paix » aux personnes naturelles ou morales, dont le patrimoine est supérieur à 1 million de dollars. La « loi » souligne que ceux qui ne payent pas seront retenus et leur libération dépendra d’un paiement à déterminer (FARC-EP 2000). 191 Traduit par nous de : « [...] la prolongación del conflicto armado tiene como fundamento la autonomía adquirida por las guerrillas, sobre todo en el campo financiero, haciendo que tenga menor importancia la búsqueda de un mayor apoyo social y político, que es la necesidad inherente a toda guerrilla ». 192 Carlos Pizarro, commandant général du M-19, explique que même si le mouvement a dû partir à la campagne il a toujours pensé à la ville comme espace principal de la confrontation. Ils se sont déplacés aux zones rurales comme seul possibilité de survie, parce que leur ennemi était plus fort dans les métropoles. Pour lui, les conditions des villes colombiennes, empêchent une vie prolongée de l’organisation partisane (Pizarro 1988 cité par Becassinno 1989, p. 36). 166 Le M-19 apparaît dans la décennie des années 1970. Ce mouvement tire son nom de la frustration ressentie lors des élections de 19 avril 1970, que ce mouvement considère avoir étés truquées. Ils dénoncent une fraude électorale qui a affecté la victoire du général Gustavo Rojas Pinilla. Selon ses promoteurs, l’organisation naquit comme mouvement urbain pour confronter les partis traditionnels et la « démocratie restreinte ». Pour eux, la seule façon de transformer la Colombie était au travers de l’action révolutionnaire violente. Néanmoins ils réclament une ouverture démocratique pour qu’ils puissent se transformer dans un parti légal (Pécaut 2001, p. 40). D’après Pécaut, « [...] elle innove en s’efforçant de s’installer dans les villes, jusque là épargnées, en usant d’un langage nationaliste et, surtout, en contribuant à diffuser le rejet du régime parmi les classe moyennes issues des universités » (Pécaut 1996b, p. 28). Le mouvement était composé de personnes expulsées du Parti Communiste et des ex–membres des FARC-EP193 (Jaime Báteman, Álvaro Fayad, Iván Marino Ospina, Carlos Pizarro), et d' un secteur provenant de l'ANAPO Socialista194 (Carlos Toledo Plata, Andrés Almarales, Israel Santamaría) (Ruíz s.d., p. 11). Le M-19 a fait des irruptions dans la vie nationale avec des actions spectaculaires perpétrées dans les métropoles, attirant toujours l' attention de la presse. Nous allons mentionner les plus significatives de ces actions : a) Depuis 1973 il est annoncé dans la presse l’arrivée du M-19 sans spécifier qu’il s’agissait d’une guérilla. En 1974 le groupe se fait connaître par le 193 Un des commandants des FARC-EP, Jacobo Arenas, affirme que le M-19 était au début une cellule urbaine des FARC-EP. Cependant, étant données les différentes interprétations sur la prise du pouvoir, quelques membres se séparent et forment le M-19 (Arango 1985, p. 37). 194 Au début des années soixante a commencé l' essor de l' ANAPO (Alianza Nacional Popular) créée par l' ex dictateur Rojas Pinilla. Rojas proposait l' union du peuple libéral et conservateur contre les oligarchies, c' est-à-dire contre le Front National. En 1976 se crée une division dans l' organisation puisque quelques membres cherchaient un rapprochement avec les conservateurs et d' autres, plus radicaux, le rejetaient. Ces derniers, ont construit des groupes de base dans tout le pays et ont conformé l'ANAPO Socialista (Lara 1981, p 31-37). 167 vol de l' épée de Simón Bolívar (jusqu’à ce jour disparue) à la Quinta de Bolívar (Bogotá). Selon le groupe, l’épée serait restituée quand les idées du Libertador deviendraient une réalité. Pour le mouvement l' épée est le symbole de la lutte par la liberté de la patrie (Lara 1981, p. 116). b) Depuis ses débuts le M-19 se déclare en faveur des revendications des classes populaires. Il agit comme intermédiaire des négociations entre le gouvernement et la classe ouvrière. Dans ce sens, en 1976 ils kidnappent, à Bogotá, le dirigeant syndical José Raquel Mercado, président de la CTC (Confederación de Trabajadores de Colombia). Ils accusent Mercado d’être agent de l' impérialisme américain et de trahir les intérêts du syndicalisme colombien et de la classe ouvrière (Lara 1981, p. 116). De ce fait, ils le soumettent à un « jugement populaire ». Les gens devaient écrire dans les billets et emplacements publics des principales villes s' ils étaient ou non d' accord avec les accusations qu’on lui faisait. Selon le M-19, le refus du gouvernement d' accepter les demandes des travailleurs de la sucrerie Río Paila et le jugement public, ont entraîné l’extermination de Mercado. Son corps a été lancé dans le parc « El Salitre » de Bogotá (Lara 1981, p. 166). c) En 1977 ils kidnappent, à Bogotá, à l’ex-ministre d’agriculture, Hugo Ferreira. Pour l’époque il était directeur d’Indupalma, entreprise consacrée à l' exploitation du palme. Le M-19 le libère une fois les travailleurs de cette entreprise ont obtenu l’acceptation de leurs demandes (Lara 1981, p. 36). d) En 1979 le M-19 a construit un tunnel de plus de 80 mètres depuis une résidence jusqu’à une garniture militaire (Cantón Norte - École d' Infanterie de Bogotá) où ils ont soustrait plus de sept mille armes.195 Plus tard, le gouvernement a emprisonné la majorité des coupables et a récupéré presque toutes les armes (Lara 1981, p. 39). e) En 1980 pendant 61 jours un groupe de douze guérilleros sous l’autorité du Rosemberg Pabón alias Comandante Uno, ont pris l' Ambassade de la République Dominicaine à Bogotá pendant le déroulement de la fête nationale 195 Le nombre d' armes volées varie, selon la source consultée, entre 4000 et 7000. 168 de ce pays. Quatorze ambassadeurs ont été pris en otage. Le M-19 demandait la libération d' environ 300 prisonniers et une importante somme d’argent pour libérer les otages.196 Après un processus de négociation prolongé, le gouvernement n’a pas libéré les prisonniers mais le mouvement a reçu un million de dollars,197 et les responsables de la prise d’otage sont partis à Cuba dans un avion en libérant à l’Havane la totalité des otages (Rubio 2003, p. 12-13). f) En 1984, pendant le gouvernement de Belisario Betancur (1982-1986), une trêve de cessé le feu a été signée avec le M-19. En mars 1985 afin de canaliser son action politique légale, cette organisation installe des « Campamentos Urbanos de Paz y Democracia » (Campements Urbains de Paix et de Démocratie) dans des quartiers populaires de Cali et Medellín, lesquels se sont rapidement étendus à d' autres villes du pays. Selon Camacho, quelque temps après, des résistances à l' existence de ces campements se sont produites puisque l' organisation reproduisait quelques pratiques militaires. Ils effectuaient des rondes de vigilance et offraient des services de justice et de police à la population. Dans cette logique ils ont assassiné des personnes qui à leur avis altéraient la sécurité locale (Camacho et Guzmán 1990, p. 120). De même, les membres du M-19 ont donné de l’instruction militaire à des jeunes. Selon un de ces jeunes : « On avait droit à des débats de formation politique, à des activités avec la communauté et à l’instruction politico-militaire pour ceux qui, comme nous, avaient voulu être miliciens. On a appris à manier des flingues, à fabriquer des explosifs, à préparer des opérations militaires simples » (Salazar 1992, p. 91-92). Pour cette raison et en dépit de la trêve, l' Armée a assiégé les campements du M-19. Par la suite, le Décret 1560 de 1985 a autorisé aux maires à fermer les campements politiques selon les indications des rapports militaires ou policiers. Après l' expédition de ce décret les dirigeants du M-19 ont dénoncé le meurtre et la disparition de certains de leurs militants, et les harcèlements aux principaux Campements de Paix de Cali (Amariles 2005, p. 3). En juin 1985 196 Le M-19 déclarait que les détenus étaient torturés par les autorités de la prison. 197 Le chiffre varie, selon la source consultée, entre 1 million et 3 millions de dollars. 169 Carlos Pizarro, chef du M-19, annonce par télévision la rupture de la trêve et le retour du mouvement à la lutte armée. g) En 1985, prétendant obtenir que la Cour Suprême de Justice mette en accusation le président Betancur pour l' inaccomplissement de la trêve de 1984, un groupe composé de 35 guérilleros sous la commande d’Andrés Almarales, a occupé militairement le Palais de Justice à Bogotá. Les militaires ont repris le Palais par la force, ce qui a laissé un bilan de plus de quatre vingt dix morts, dont onze magistrats de la Cour Suprême de Justice, onze intégrants de la Force Publique et presque la totalité de guérilleros responsables de la prise (El Tiempo, 28 août 2006b).198 h) En 1988, le M-19 a kidnappé un politicien conservateur, Álvaro Gómez Hurtado, afin d' entamer un second processus de négociation. Après sa libération, en 1989, le gouvernement de Virgilio Barco Vargas (1986-1990) a réglementé la Loi 77 sur la concession d’amnistie pour les délits politiques, laquelle a encadré l' accord de paix signé par le Gouvernement National et le M-19, dans le mois de mars de 1990. Après sa démobilisation, cette guérilla s' est transformée dans un mouvement politique de gauche appelé Alianza Democrática M-19. Actuellement quelques membres continuent dans la vie politique à travers le mouvement Polo Democrático Independiente. Nous voulions montrer les actions urbaines les plus significatives du M19, parce qu’il a marqué la ville comme scénario de la révolution. Le mouvement a influencé les autres guérillas colombiennes en montrant que les actions violentes perpétrées dans la ville ont un potentiel énorme pour déstabiliser l’État. Après la prise de l’Ambassade Dominicaine, le M-19 a exercé une influence claire sur les autres guérillas colombiennes. Quelques groupes subversifs ont manifesté leur intention d' adopter deux changements cruciaux : orienter leur lutte vers les villes et abandonner les schémas idéologiques rigides qui avaient guidé leurs actions jusqu' a présent. L’EPL se questionne sur son 198 Il a été remarqué à plusieurs reprises que la prise du Palais de Justice a obéi à la nécessité que les narcotrafiquants avaient de faire disparaître des preuves à leur encontre, et d’effrayer les juges qui ces jours-ci devaient se prononcer sur la légalité de l' extradition (Camacho 1998, p. 124). 170 orientation exclusivement rurale et les FARC-EP, après la VII Conférence de 1982, identifient les villes comme l' objectif primordial de leurs actions (Rubio 2003, p. 14-15). Comme l’explique Rubio : « À la suite de la prise de l' Ambassade de la République Dominicaine, et même si bonne partie de ses directeurs se trouvaient détenus, le M-19 apparaissait comme le groupe rebelle digne d' imitation en Colombie. Par le biais de quelques coups très effectifs non seulement il avait accumulé des ressources économiques considérables mais il avait démontré la capacité à dialoguer dans ses propres termes avec le gouvernement colombien. En outre, il avait obtenu une diffusion, une couverture médiatique et une publicité difficiles à imaginer pour les autres groupes subversifs » (Rubio 2003, p. 14).199 Bien que le M-19 soit défini par ses membres comme « une organisation politique, nationaliste, révolutionnaire et par le socialisme », ses communiqués montraient une distance avec les grandes idéologies révolutionnaires. À cet égard, Martha Villafañe dit : « Le M-19 comme mouvement insurgé s' est transformé en une guérilla sans précédent dans le monde, qui a conquis les médias, a séduit le peuple, est arrivé aux intellectuels et, surtout, s' est écarté des postulats du marxisme – léninisme - maoïsme, en se transformant en la première guérilla du monde qui a été séparée du « livret » et a créé sa propre ligne de lutte idéologique, en antéposant à Bolívar, Nariño, Santander, aux penseurs classiques de la révolution. De ce fait, les membres du M-19 disaient qu' avant d' être communistes ils étaient des colombiens » (Villafañe cité par Amariles 2005, p. 1).200 Finalement le projet révolutionnaire du M-19 n’a pas réussi. Le mouvement a été attaqué par les gouvernements de l’époque ce qui l’a mené 199 Traduit par nous de : « A raíz de la toma de la embajada de la República Dominicana, y aún cuando buena parte de sus cuadros directivos se encontraban detenidos, el M-19 aparecía como el grupo rebelde digno de ser imitado en Colombia. Con unos pocos golpes muy certeros no sólo había logrado acumular recursos económicos considerables sino que había demostrado capacidad para dialogar en sus términos con el gobierno colombiano y había obtenido una difusión, un cubrimiento mediático y una publicidad difíciles de imaginar para cualquiera de las demás agrupaciones subversivas ». 200 Traduit par nous de : « El M-19 como movimiento insurgente se convirtió en una guerrilla sin precedentes en el mundo, que conquistó a los medios de comunicación, sedujo al pueblo, llegó a los intelectuales y, sobretodo, se apartó de los postulados del marxismo-leninismo-maoísmo, convirtiéndose en la primera guerrilla del mundo que se separó de la “cartilla” y creó su propia línea de lucha ideológica, al anteponer a Bolívar, Nariño, Santander, a los pensadores clásicos de la “revolución”. De ahí que los del M-19 dijeran que antes que ser comunistas eran colombianos ». 171 vers son affaiblissement progressif. Néanmoins il a montré comment la ville commence à être pensée comme un des principaux objectifs dans la guerre. Il a manifesté face à l’opinion publique le danger que représente la présence d’une guérilla dans la ville, la terreur qu’elle peut produire entre la population et le niveau de déstabilisation qu’elle peut engendrer. À partir de ce moment, la ville n’est plus conçue seulement comme le lieu du approvisionnement ; elle commence à être pensée comme la scène politique et militaire du conflit. 2.6 Les milices : guérilleros dans la ville ? Les milices apparaissent vers les années 1970 et se consolident dans le milieu des années 1980 comme structures armées illégales, composés par des groupes de jeunes provenant des quartiers défavorisés. Leur action était concentrée dans les quartiers populaires des grandes villes notamment à Medellín, Cali, Bogotá ainsi que Barrancabermeja. Les objectifs des milices étaient très divers : garantir la sécurité et la protection des classes populaires ; défendre les biens individuels et communautaires ; négocier la solution des conflits familiaux et entre voisins ; et dans quelques cas, elles cherchaient à construire un mouvement politique et social. Dans cette défense, elles incluaient la dissuasion ou l' élimination de toutes les personnes liées aux bandes de délinquance, et aussi l' éradication de vendeurs de drogue et prostituées. Pour cela, elles ont reçu la dénomination de groupes de « nettoyage social ».201 Le nettoyage social est décrit par Minotti-vu Ngoc comme : « [...] une pratique visant, selon ses responsables, à « nettoyer » la société de ceux qu' ils jugent indésirables : enfants des rues, délinquants, toxicomanes, petits trafiquants de drogue, sans-abri, prostituées, travestis, récupérateurs, etc. [...] Pour ce faire, est employée la méthode la plus radicale qui soit : l' élimination physique » (Minotti-vu Ngoc 2002, p. 13). Devant l' indifférence de l' État et son manque de capacité face au pouvoir étendu de la délinquance dans les villes, les milices s' approprient l' exercice de l' ordre et la justice dans les différents quartiers, créant des liens sociaux et 201 À ce sujet voir les études d’Ortiz 1990 et la thèse doctorale de Minotti-Vu Ngoc 2002 indiqués dans la bibliographie. 172 politiques avec leurs habitants et s’imposant comme l’autorité en opposition à celle de l’État (Defensoría del Pueblo et UNHCR 2004, p. 18). Quand nous parlons de milices, nous faisons généralement une liaison entre ces groupes et les organisations guérilleras qui agissent dans le pays. On les définit comme le bras armé de la guérilla dans la ville. Selon Astrid Téllez, le corps de la guérilla urbaine est constitué par les milices révolutionnaires, lesquelles se caractérisent pour avoir un projet politique qui fait face à l' État et pour avoir pour but l' instauration d' un nouvel État (Téllez 1995, p. 69). Néanmoins, quelques miliciens affirment qu’ils ne font pas partie du mouvement révolutionnaire national, ni de la structure politique et militaire des guérillas. Ils se reconnaissent comme le bras armé du mouvement civique des banlieues défavorisées. Ils luttent pour un accès de qualité aux services publics, au logement, à l' éducation et en général ils veulent combattre la pauvreté et l’inégalité des chances (Téllez 1995, p. 68). Selon Franco et Roldán il existe une différence entre les activités des guérillas et milices dans la ville. Les milices agissent pour la défense de la communauté et pour cela elles dominent un territoire. Mais, quand la guérilla intervient dans la ville, l’emprise d' un territoire au sens communautaire se transforme en l' instauration et la défense d’une emprise géopolitique (Franco et Roldán s.d., p. 43). Il s’avère très difficile de faire une distinction exacte entre les activités et les objectifs des milices et guérillas dans les villes. Quelques milices urbaines ont été mises à pied par les guérillas, d’autres ont surgi de manière autonome et agissent de façon indépendante des grands protagonistes. Néanmoins, nous pouvons observer des alliances stratégiques entre les différentes organisations armées illégales existants dans les villes. Parfois, dans les termes de Pécaut, elles se métamorphosent, se succèdent : « Les milices liées aux guérillas délogeant les sicarios, les groupes de délinquance organisée ou apolitiques prenant la place des milices, les groupes proches des paramilitaires remplaçant souvent à leur tour ces bandes » (Pécaut 2000, p. 131-132). Dans cette logique d’implantation, dont l' emprise sur le quartier est la condition de consolidation de l' organisation et d’accès au pouvoir, le recours à la violence est toujours présent. D’après Daniel Pécaut : 173 « Les milices des quartiers de classe moyenne ou populaire de Medellín ou Bogotá, qui ont des liens toujours plus lâches avec les grands protagonistes, mettent en scène leur puissance en encadrant un quartier voire un pâté de maisons, en y imposant une discipline, en prétendant le mettre à l' abri des bandes de délinquants, quitte à glisser rapidement elles aussi dans la délinquance. Un schéma circulaire s’établit ainsi où la désorganisation sociale engendre une violence qui appelle l' implantation des réseaux d’emprise qui, bientôt imposent leur propre violence » (Pécaut 1996b, p. 42-43). D' après le PNUD, il l' y a un plus grand indice de recrutement de miliciens dans les zones qui présentent des situations socio-économiques problématiques, où les nécessités de base insatisfaites sont communes de même que les conditions de pauvreté, le chômage et l' accès restreint au système éducatif (PNUD 2003, p. 264). Les jeunes ont trouvé dans les milices une façon de se promouvoir, d' être reconnus, de se venger. Attirés par le statut social de « guérillero » et le prestige des commandants, ils voient la possibilité de se faire respecter par l’utilisation des armes et de la terreur liée à elles. De même, un autre type de sujétion est donné entre les jeunes universitaires avec des aspirations de changement social et avec des tendances politiques de gauche. Par ailleurs, les habitants des quartiers concernés par les activités des milices reconnaissent dans celles-ci une substitution des fonctions de l’État, notamment dans le domaine de la justice pénale et la sécurité face à la délinquance. Ils acceptent la nouvelle autorité intimidés par la terreur et parce qu’ils ne voient pas une possibilité de la transformer, de l’éviter. Ils préfèrent donc une attitude de collaboration face à l’acteur armé (C. Ortiz 2001, p. 64-65). Selon le PNUD, à partir des années 1960 et 1970 les FARC-EP et l’ELN avaient déjà des réseaux d' appui urbains intégrés par des alliés d' extraction universitaire, syndicale ou politique. Avec l’essor du paramilitarisme depuis les années 1980, il y a eu des confrontations pour le contrôle de quelques villes telles que Montería, Buenaventura, Cúcuta et Barrancabermeja (PNUD 2003, p. 61-64). D' autre part, depuis la consolidation de la zone de distension lors du gouvernement de Pastrana (1998-2002) dont nous avons parlé dans la section 2.1 de cette partie, les FARC-EP avaient formulé un grand changement révolutionnaire dans les villes. Il s’agissait du PC3 (Partido Comunista Clandestino Colombiano) commandé par Alfonso Cano. L' idée du parti était de 174 promouvoir des activités politiques de masse et de projeter des actions de déstabilisation à l’établissement publique dans les villes. Cela concerne un groupe de professionnels universitaires qui sont des agents cachés des FARCEP. Ils effectuent des activités d' infiltration dans les organismes du gouvernement (El Tiempo, 18 août 2006). En définitive, la présence des milices dans les métropoles et les liens qu’elles entretiennent avec les guérillas, montre comment la ville est pensée comme lieu stratégique dans la guerre et de ce fait, la nécessité d’avoir une influence sur elle. Cette influence s’est traduite par une présence politique et militaire, par l' extension des réseaux d' appui parmi la population et par l’appropriation de fonctions d’ordre et de justice propres à l’État. Néanmoins, leur emprise a été aussi établie par la violence, laquelle est exercée contre tous ceux qui s’opposent à leurs intentions et intérêts. Nous reviendrons sur les activités des milices, notamment à Medellín, dans la troisième partie de cette étude. 3. Le trafic de drogue et son influence dans la violence urbaine À la fin des années 1970 et au début des années 1980 apparaissent deux phénomènes qui rendent plus complexe le conflit armé en Colombie : le trafic de drogue, qui a une relation directe avec le conflit comme source de financement de tous les acteurs armés, et l’apparition des groupes de paramilitaires illégaux. Nous évoquerons les relations entre trafic de drogue, conflit armé et violence urbaine en Colombie. Par la suite nous parlerons de l’apparition de tueurs à gages ou sicarios dans les villes colombiennes, acteurs armés engendrés par le narcotrafic. Enfin nous reviendrons sur les paramilitaires dans la section 4 de cette partie. 3.1 La guerre de la coca Au début des années 1970 les cultures de marihuana étaient concentrées notamment dans les départements de la côte atlantique colombienne. À cette époque l’exportation de marihuana était comparée à la contrebande des électroménagers et cigarettes, sauf que ce négoce avait une rentabilité beaucoup plus élevée (Jaramillo et Salazar 1992, p. 41). Selon María Teresa 175 Uribe, le trafic de drogue s' est transformé en opportunité pour les secteurs exclus, ceux en crise, ainsi que pour quelques agents de l' économie formelle qui voyaient dans les dollars de la drogue une manière de remonter les difficultés du moment (Uribe 1990, p. 106). La société colombienne, avec une activité de contrebande répandue, était assez tolérante envers les trafiquants des drogues. Selon Pécaut, « [...] il n’y a pas de frontière nette entre la nouvelle économie illégale et le reste de l’économie de sorte que l’expansion de la première peut paraître normale » (Pécaut 1996a, p. 254). Postérieurement, vers le milieu des années 1970 et au commencement des années 1980, avec l’exportation de cocaïne, on assiste à la consolidation des cartels de la drogue en Colombie.202 Ces cartels avaient comme fonction l’importation de la base de coca de Bolivie et du Pérou, pour traiter ensuite la cocaïne dans des laboratoires colombiens, et finalement la transférer aux principaux centres de consommation dans le monde.203 Le Cartel de Medellín acquit rapidement une position centrale sur le marché de la côte Est des ÉtatsUnis et le Cartel de Cali sur le marché de la côte Ouest (Pécaut 2001, p. 166). Néanmoins, d’après Gonzalo de Francisco, il est possible d' établir que les Cartels de Cali et de Medellín naquirent comme des organisations destinées à défendre l' existence d’affaires illégales plutôt que pour contrôler le marché et les prix. Une défense, de plus, établie sans limites et contre tous les adversaires étant donné que les ressources illimitées le permettaient (Francisco 2003, p. 9). Au niveau politique, le narcotrafic « [...] engendre une crise institutionnelle sous l’effet de la corruption » (Pécaut 1996a, p. 256). Les cartels ont élevé les niveaux de corruption en s’insérant dans toutes les instances du pouvoir publique. Le narcotrafic est arrivé à incorporer au Congrès ses porte-parole et ses défenseurs, comme le dénote le cas de Pablo Escobar204 qui réussira à 202 La notion de cartel fut signalée par des membres des appareils de contrôle et répression américains. Ces organisations seraient donc capables de contrôler le marché (les prix, les produits et les services). Il existe de forts débats sur sa véritable nature comme telle, mais, en suivant Camacho, nous adoptons la notion dans la mesure où son utilisation est devenue courante (Camacho 2004, p. 3). 203 À la fin des années 1980, due à la répression sur les cultures de coca en Bolivie et au Pérou, les narcotrafiquants colombiens ont commencé à semer la coca dans le pays. 204 Pablo Escobar a été l’un des narcotrafiquants les plus puissants de la Colombie. Il était le chef du Cartel de Medellín. 176 siéger en 1982 à la Chambre des Représentants en tant que représentant suppléant du parti libéral (Pécaut 1996a, p. 251). Dans l' exécutif, les candidats aux élections ont reçu l’aide financière des trafiquants ; dont le cas le plus connu fut celui de la campagne du président élu en 1994, Ernesto Samper Pizano. En outre, l’accentuation de la corruption a permis aux narcotrafiquants d’obtenir la prohibition de l’extradition dans la nouvelle constitution de 1991 et la réduction importante de peine, offerte par le code de procédure pénale, en cas de collaboration avec la justice (Kalmanovitz 1996, p. 313). À son tour, Escobar a été soumis à un processus de justice, éloigné totalement des lois colombiennes et par la suite les dirigeants du Cartel de Cali, ont défini les conditions de leur « soumission à la justice » (Pécaut 2001, p. 172). Ainsi, le trafic de drogue a contribué à la détérioration de la justice colombienne, tant du point de vue des menaces aux fonctionnaires étatiques chargés de l' administrer (depuis les années 1980 autour de 120 juges et procureurs ont dû abandonner leur profession voire le pays) comme de l' accroissement de l' impunité à cause de la corruption du système de justice (Gaitán et Montenegro 2000, p. 39 ; Camacho 2001, p. 29). Par ailleurs, le trafic de drogue fait irruption dans le cadre politique non seulement à travers la corruption mais aussi par la violence exercée par ses promoteurs. L’apparition des cartels à Medellín et Cali a marqué une étape notamment violente dans l’histoire du pays. Afin de défendre l’activité illégale, les narcotrafiquants ont éliminé des politiciens et fonctionnaires de l’État qui voulaient affronter et limiter les activités des cartels. L’assassinat du Ministre de Justice, Rodrigo Lara Bonilla, en 1984, est signalé comme « [...] la continuation d' une série d' actes au moyen desquels la maffia décide de défier le pouvoir de l' État » (Salazar et Jaramillo 1992, p. 69).205 À la fin des années 1980 et début de la décennie de 1990, le Cartel de Medellín a entamé une offensive contre l' État afin d' obliger le gouvernement à abolir un traité d' extradition signé avec les États-Unis.206 Ces actions ont été 205 Traduit par nous de : « [...] la continuación de una serie de actos mediante los cuales la mafia habría decidido desafiar el poder del Estado ». 206 En 1979 le gouvernement Colombien a signé un traité d' extradition avec les ÉtatsUnis lequel a été approuvé par la Loi 27 de 1980. En décembre 1986, la Cour Suprême 177 concentrées dans les villes au moyen de plusieurs attentats terroristes qui produisirent la mort de civils innocents. Les attentats le plus graves ont été dirigés contre le journal El Espectador (Bogotá), le journal Vanguardia Liberal (Bucaramanga), le siège du DAS (Departamento Administrativo de Seguridad) à Bogotá et l’explosion d’un avion d’Avianca transportant 107 passagers (Uribe 2004, p. 147).207 Une offensive a laquelle s’ajoutèrent des meurtres ciblés contre des personnalités politiques, comme le journaliste Guillermo Cano (1986) et le candidat à l’élection présidentielle Luis Carlos Galán (1989). Selon le sociologue Camacho, cette violence est menée contre le monopole étatique de la légalité et la justice. C’est une réponse à la persécution et la guerre de l’État contre le trafic de drogue (Camacho 2004, p. 5). D’après Gonzalo de Francisco, il n’y a pas de doute que le trafic de drogue est devenu une menace réelle pour la survie de l' État. Plus de deux cent policiers ont été assassinés par tueurs à gages dans le processus de démantèlement du Cartel de Medellín. Pour ce cartel, la police est devenue un objectif militaire (Francisco 2003, p. 11). De cette optique, le narcotrafic a suscité le développement des groupes criminels les plus puissants.208 Il convient de préciser que la violence n’était pas de Justice, résout de déclarer contraire à la Constitution la Loi 27 parce que celle-ci n' a pas été constitutionnellement sanctionnée par le Président de la République. Donc, en décembre 1986, le Président Virgilio Barco sanctionne de nouveau le projet de loi qui approuvait le traité, lequel se matérialise dans la Loi 68 de 1986. Toutefois en juin 1987, la Cour Suprême, résout de déclarer contraire à la Constitution la Loi 68 de 1986, par des vices dans sa formation ou procédure d’élaboration. L' opinion publique a dit qu' il s' agissait d' un jugement politique, contraint par les narcotrafiquants. En août 1989, le Gouvernement décrète l' extradition, par Acte Administratif, dans l' exercice de ses facultés sous l' État d' Exception constitutionnelle, appelé à l' époque État de Siège. Ensuite, la Constitution de 1991 interdit l' extradition de ressortissants dans son article 35. Plus tard, pendant le gouvernement d' Ernesto Samper, à travers l' acte législatif 1 de 1997 l' article 35 a été modifié et l' extradition a été rétablie. Mais une clause s' oppose à son application rétroactive, en mettant à l’abri les principaux représentants des cartels (Correa s.d., p. 13). 207 Entre août et décembre 1989, 88 bombes ont explosé dans les 5 principales villes du pays. Entre 1989 et 1993, 120 voitures piégées ont explosé dans plusieurs villes (Terra s.d., p. 1). 208 Comme nous l’avons déjà mentionné, l’un des premiers groupes criminels créé par les narcotrafiquants était le MAS « Muerte a Secuestradores » dont le but était de tuer les guérilleros et leurs familles. Ensuite, cette organisation est devenue gardienne des terres achetées par des narcotrafiquants, spécialement dans le Magdalena Medio d' Antioquia et Santander (PNUD 2003, p. 59). 178 seulement dirigée contre l’État, elle s’exprimait aussi au travers des disputes mortelles entre les mafias pour le contrôle des routes et du marché, et aussi par des assassinats à l’intérieur même de l’organisation pour punir les traîtres. De cette façon le trafic de drogue a augmenté les seuils de violence et ses activités pénétrèrent de vastes secteurs de la population, notamment dans les zones dominées par les organisations guérilleras dans la campagne et parmi les jeunes démunis de la ville. Après la chute des grands cartels au début des années 1990, (suite à la mort de Pablo Escobar en 1993 et l’arrestation des chefs du Cartel de Cali en 1995), le problème du trafic de drogue s’est transformé. La fragmentation du business est claire. L’exportation de la drogue commence à se faire par de petits groupes illégaux, de caractère patronal, qui font du trafic un business : ils traitent la cocaïne pour ensuite la livrer à des cartels internationaux chargés de la porter aux consommateurs (Francisco 2003, p. 5). Actuellement, il existe dans le pays de grandes extensions des cultures de coca, on note aussi une relance de la culture de marihuana, des plantations de pavot et de la fabrication d’héroïne (Pécaut 1996b, p. 19). Le trafic de drogue est actuellement source de financement tant des guérillas que des paramilitaires. La méthode paramilitaire consiste à demander des contributions aux grands propriétaires fonciers et exportateurs de drogue. La méthode des guérillas est d’exiger un « impôt » aux producteurs directs de la drogue ainsi qu’aux intermédiaires locaux (Camacho 2001, p. 30). La guérilla a aussi adopté le rôle de régularisation et commercialisation prenant la place des narcotrafiquants : « [...] elle remplace les intermédiaires locaux dans quelques régions, elle impose des cultures aux paysans et achète à des prix de sustentation. De même, elle vend à des raffineurs et à des grands exportateurs et même entreprend ses propres exportations » (PNUD 2003, p. 310).209 De ce fait, le narcotrafic est devenu un élément central dans la politique d’ordre 209 Traduit par nous de : « [...] sustituye a los intermediarios locales en algunas regiones, impone cultivos a los campesinos y compra a precios de sustentación. Asimismo vende a refinadores y exportadores mayoristas e incluso emprende sus propias exportaciones ». Entre 1984 et 1990 les revenus provenant du trafic de drogue étaient entre trois ou quatre milliards de dollars par année. Cette somme est équivalente aux investissements du secteur privé dans leur ensemble (Thoumi 1999 cité en Pécaut 2001, p.162). 179 publique dans le pays. En outre, le journaliste Antonio Caballero a remarqué que le trafic de drogue soutien aussi l’Armée étant donné que les militaires se financent en grande partie par l’argent que les États Unies envoient pour combattre ce phénomène (El Tiempo, 26 août 2006b).210 Selon Kalmanovitz plusieurs éléments sont réunis pour faire de la Colombie un centre capital du trafic de drogue : a) une situation géographique privilégiée équidistante entre les centres de production de coca de l’Amérique du Sud et les côtes des États-Unis ; b) l’existence des vastes régions frontalières non contrôlées par l’Armée ; c) un système judiciaire faible tendant à laisser impunis les crimes commis dans le pays ; d) des groupes de personnes (mules) prêtes à transporter la drogue (Kalmanovitz 1996, p. 303). Pécaut souligne aussi le rôle des guérillas : « Si la Colombie est devenue le pays pivot du trafic de drogue, ce n’est pas seulement à cause des traditions de contrebande ou de l’existence de « territoires » vides, c’est surtout parce que la présence chronique de guérillas dessinait un ensemble d’enclaves dans lesquelles l’économie de la drogue pouvait se développer sans craindre les incursions des Forces Armées. Les deux illégalités se renforcent l’une et l’autre en permanence » (Pécaut 1996b, p. 34). Même si les grands cartels ont disparu, la violence perpétrée par le narcotrafic est toujours présente dans les actions pour défendre le contrôle du marché et par la consolidation de groupes de paramilitaires illégaux dans le pays. Dans cette mesure, quelques secteurs du pays sont soumis à une logique mafieuse, dont l’ordre est implanté par la violence. Comme l’exprime le PNUD : « [...] comme les profits du trafic de drogue sont énormes, énormes sont les armées privées et la brutalité de la violence qu' ils exercent » (PNUD 2003, p. 309). 211 210 Les États Unies donnent une aide de 700 millions de dollars par an à la Colombie, dont 300 millions sont utilisés pour le développement des Forces Militaires (El Tiempo, 29 septembre, 2006). 211 Traduit par nous de : « [...] y como las ganancias del narcotráfico son enormes, enormes son los ejércitos privados y la brutalidad de la violencia que ejercitan ». 180 3.2 Les bandes de tueurs à gages, criminels de la drogue Le trafic de drogue a eu une présence notoire dans la scène urbaine représentée dans les tueurs à gages ou sicarios. D’après Ortiz, le terme sicario a atteint une utilisation généralisée en Colombie depuis 1986, à la suite des innombrables meurtres de dirigeants et d’activistes de l' Unión Patriotica et d' organisations syndicales et civiques, voire d’importantes figures de l' État et de la politique nationale (Ortiz 1991, p. 66).212 En effet, des criminels payés par l’argent de la drogue étaient chargés d' éliminer des concurrents, membres de la Force Publique, politiciens opposés au business et fonctionnaires de l' État. C’est le narcotrafic qui commande les actes délictueux et les gangs de sicarios sont nés comme des armées à leur service. Daniel Pécaut affirme que ces bandes se sont constituées pour servir avant tout les desseins de Pablo Escobar (Pécaut 1996b, p. 35). Néanmoins la Commission d' Études sur la Violence de 1987 indique que l' activité de tueurs à gages n' est pas le fruit exclusif du narcotrafic des années 1980. Elle a été précédée par les actions commises par les « pájaros », sicarios sous l’ordre des conservateurs et parfois de représentants du parti libéral. Les « pájaros » ont agi notamment dans les départements de Caldas et du Valle del Cauca entre 1940 et 1958, époque de la violence entre partis. Ils étaient les responsables matériels des meurtres et génocides, dans un système de justice privée, avec des liens avec l' État. Ils ont été aussi appelés chusmeros et paveadores. Plusieurs études remarquent leur existence (Comisión de Estudios sobre la Violencia 1987 ; Ortiz 1991 ; Gómez 1995 ; Minotti-vu Ngoc 2002). Cependant, nous étudierons le phénomène de tueurs à gages uniquement à partir du début des années 1980. Ce phénomène naquit entre les jeunes issus de banlieues populaires, notamment à Medellín. Ils se consolident dans les quartiers des zones du nord de la ville en liaison avec le Cartel de Medellín. Selon Salazar, ces jeunes ont trouvé dans la violence, dans le meurtre 212 Selon Ortiz, le terme sicario est utilisé en Colombie non seulement pour designer le tueur à gages, mais aussi pour nommer le jeune assassin qui agit par sa propre initiative (Ortiz 1991, p. 66). 181 commandité et dans le trafic de drogue, une possibilité de réaliser leurs aspirations et de sortir de l’anonymat (Salazar 1992, p. 197). Les conditions de marginalité de ces quartiers, le chômage, la profusion d' emplois mal rémunérés et sans sécurité sociale et la couverture insuffisante du système éducatif, poussent les jeunes vers les propositions des narcotrafiquants. C’est dans ces type de quartiers, où la légende de Pablo Escobar, l’un des narcotrafiquants les plus puissants, est née : « [...] l' homme qui avait connu la prison, qui depuis très jeune a été un dur [...] et qui était maintenant face à une affaire clandestine très grande [...]. En outre, il faisait de la politique, il fréquentait des gens importants et aidait le peuple » (Cañon 1994, p. 95).213 La lecture que fait Salazar du phénomène est à cet égard édifiante : « La création des grands cartels de la drogue à Medellín à partir de 1975 a coïncidé avec la plus grande récession de l’industrie et de l’économie antioquiennes ; le trafic de stupéfiants est devenu une option pour de vastes secteurs de la population, qui ont trouvé là une possibilité de promotion sociale et économique. Par la suite, la mafia a pris l’aspect d’un modèle de référence pour les jeunes qui ont découvert là une manière de réaliser leurs désirs de reconnaissance sociale et de vie aisée que les options traditionnelles d’étude et de travail leur refusaient »(Salazar 1992, p. 203). En outre, ce jeune, face à la société de consommation voit dans l' acte illégal le seul canal pour accéder à une vie avantageuse. Le narcotrafic a créé l' illusion de l' enrichissement rapide et le mépris envers le travail ordinaire. Avec l’argent, le jeune accède à une vie remplie de luxe : voitures, chaînes hi fi, télévision par câble, et aux monde des marques. Il ne renonce plus à ces objets, il accédera à eux au travers de l’argent. Le témoignage d’un sicario montre bien les facteurs qui poussent les jeunes vers les organisations des tueurs à gages : « [...] on croit que ces manifestations négatives sont uniquement dérivées de la pauvreté ou de la précarité des conditions de vie. On prétend oublier qu' il y a une particularité en nous qui nous incite à aller au-delà d' où nous sommes, se distinguer et se placer à la tête d' un certain pouvoir, sans importer la réalité ou la validité de celui-ci. La 213 Traduit par nous de : « [...] el hombre que había pagado cana, que desde muy joven fue un duro [...] y ahora estaba frente a un negocio clandestino muy grande [...]. Además hacia política, se codeaba con gente importante y ayudaba al pueblo ». 182 prétention est d' illuminer l' anonymat avec le brillant du succès » (Restrepo 1994, p. 133).214 Ce témoignage indique l’impossibilité de s’expliquer le phénomène de sicarios dans le seul cadre de la pauvreté. Comme l’indique le sociologue Carlos Miguel Ortiz, pour comprendre le phénomène, il faut penser aux considérations sociales telles que les problèmes d’appropriation des espaces publics et privés, l’influence de la rue dans le processus de socialisation et la perception de l’État et ses institutions parmi ces jeunes (Ortiz 1991, p. 70). Ainsi, le témoignage montre les conditions de vie de gens des quartiers défavorisés. Il parle d’une ville exclue et marginalisée, dont l’État est perçu comme l’ennemi et l’accès au pouvoir est éloigné et abstrait. Pour y accéder il faut faire n’importe quoi. C' est l' attitude d' une génération qui méprise la politique, et qui ne croit qu’au pouvoir des armes et de l' argent. Les bandes de tueurs à gages sont une forme d' autogestion économique et de recherche de reconnaissance, où on forge une identité dans la confrontation au danger et à la mort. La bande de sicarios « se distingue, en ce sens, de la délinquance professionnelle, amie de l’anonymat et de la discrétion [...] la puissance née de l’argent et d’une arme est faite pour être étalée » (Salazar 1992, p. 216). Ils n’ont pas peur de la mort, ils veulent jouir de l’argent tandis qu’ils sont vivants. « Condamnés à mourir précocement, les jeunes sicarios font de l’argent le signe de la fugacité de la vie » (Pécaut 1996b, p. 39). Les bandes de tueurs à gages « ont engendré une vague de violence dans leurs propres quartiers. Animés par l' appât du gain et l' esprit de représailles, ils ont semé la terreur auprès des habitant des quartiers » (Minottivu Ngoc 2002, p. 48). Cette violence provient des combats entre les bandes qui se battent périodiquement pour la possession d' un territoire, pour venger des insultes réelles ou imaginaires, pour obtenir des bénéfices économiques par des moyens illicites, pour venger des morts. Dans un milieu où la vie a une valeur passagère, les meurtres deviennent un malheur de la vie quotidienne et ils tuent 214 Traduit par nous de : « [...] se cree que estas manifestaciones negativas son derivadas únicamente de la pobreza o la precariedad de las condiciones de vida. Se pretende olvidar que hay una particularidad en nosotros que nos incita a ir más allá de donde estamos, a sobresalir y colocarnos a la cabeza de algún poder, sin importar la realidad o la validez de éste. La pretensión es iluminar el anonimato con el resplandor del éxito ». 183 seulement « pour voir tomber » (Salazar 1992, p. 210). Personne n' est innocent. L’homicide est accepté comme un mal nécessaire. De ce fait, les quartiers se transforment, pour leurs habitants, en une carte de zones interdites, étranges et inconnues, parce que ces groupes sont devenus propriétaires de certains territoires.215 D’autre part, il a été dénoncé par la population civile l’implication d’organismes policiers dans les affaires concernant les tueurs à gages (Salazar 1992, p. 201). En outre, le sociologue Ortiz indique que plusieurs jeunes sicarios ont été d’anciens soldats, au service de Forces Militaires d’Urabá, Magdalena Medio, nord-est d’Antioquia et Bajo Cauca (Ortiz 1991, p. 77). Trois autres facteurs sont importants pour comprendre les logiques d’action des bandes des tueurs à gages : la consommation de drogues, le sentiment religieux et l’amour à la mère. Selon le témoignage d’un sicario la consommation de drogues est un composant de l' identité des bandes. Ils acceptent que la drogue impose une socialisation spéciale au sein du groupe. Quand ils sont drogués, ils n' ont pas de limitations et sont libres de penser et de vivre dans leur propre monde. Le manque de lucidité, dans certains cas, est la cause de la violence (Arias et Medina 1995, p. 104). En outre, à Medellín, les bandes ont été associées à la consommation de la base de coca (bazuco), ce qui a des effets de dépendance très forts et des implications directes sur les niveaux de violence exercée par ces jeunes (Ceballos 2000, p. 388). Le sentiment religieux joue aussi un rôle important dans la mentalité du jeune sicario. Selon l’anthropologue Virginia Gutiérrez de Pineda dans certaines régions colombiennes, notamment dans le département d’Antioquia, la religion ne se présente pas comme un obstacle pour atteindre les objectifs, mais plutôt comme la force qui inspire la lutte pour obtenir ce qui est voulu (Gutiérrez de Pineda 2000, p. 384). Dans cette attitude nous pouvons encadrer le comportement du sicario : un être profondément croyant, qui demande et remercie le dieu des catholiques, pour le bon déroulement des actions illégales. 215 Pour l’année 1990, 120 bandes de tueurs à gages (environ 3000 jeunes) ont été identifiées à Medellín et ses alentours (Salazar 1992, p. 199). 184 De cette façon, ces jeunes prient « pour que le coup de poignard ou la balle tirée se révèlent efficaces » (Salazar 1992, p. 207).216 Enfin, il existe un fort lien avec la mère, laquelle, comme la Vierge est « synonyme de fidélité, de caractère inconditionnel, de non–exigence de rétribution » (Salazar 1992, p. 208). Les tueurs à gages commettent leurs crimes sous les auspices de la mère et de la Vierge. La mère, c’est l’argument grâce auquel les jeunes justifient leur action : « si ma vieille est à l’abri du besoin, je meurs tranquille » (Salazar 1992, p. 209).217 Bien que les narcotrafiquants aient joué un rôle fondamental dans la création et le développement de bandes de tueurs à gages, ce ne sont pas les seuls à les concevoir et à les user.218 Certains secteurs du monde politique et social et même des particuliers firent également appel à ces organisations (Salazar 1992, p. 202). En suivant la proposition proposée par Ortiz, pour le déroulement des actions des sicarios les affinités idéologiques ne sont pas nécessairement requises. En effet, il existe un décalage entre les buts des agents intellectuels et les agents matériels. De ce fait, un même sujet peut être agent matériel des actes violents de signe politique contraire. Dans ce cas, on observe à nouveau, comment la violence politique se confond avec des autres violences (Ortiz 1991, p. 68). 216 Plusieurs auteurs ont remarqué les forts liens existants entre violence, narcotrafic et religion (Salazar 1990 ; Jaramillo et Salazar 1992 ; Vallejo 1997 ; Franco 1997). À cet égard, voir aussi mon travail de recherche de l’année 1999 (indiqué dans la bibliographie) sur les rapports entre violence et religion dans le quartier Castilla de Medellín. De même les films « La vierge de tueurs », mis en scène par Barbet Schoeder depuis le roman de Fernando Vallejo et « Rosario Tijeras », mis en scène par Emilio Maillé depuis le roman de Jorge Franco ont rendu ce phénomène plus visible. 217 « La mère, qui aime quoi qu’il arrive, est celle pour laquelle ils acceptent de mettre leur vie en jeu afin de lui laisser au moins une somme d’argent qui la sorte de sa misère, grâce au prix de leur “travail”. La Vierge, qui pardonne tout, est celle auprès de laquelle l’on vient se recueillir avant le meurtre, que l’on porte en effigie sur soi pour être protégé dans l’action, que l’on vient remercier si l’on a réussi » (Pécaut 1996a, p. 263). 218 Il convient de préciser que toutes les bandes ne se sont pas créées avec l’essor du narcotrafic. Les demandes des narcotrafiquants ont aussi trouvé réponse dans des bandes de la délinquance déjà établies à l' avance, et qui se sont transformées en tueurs à gages à leur service (Camacho 2004, p. 7). 185 Dans les études de cas de Medellín et Barrancabermeja, nous allons parler des bandes qui opèrent dans les différents quartiers des villes et leur liaison avec les grands protagonistes du conflit armé national (relations qui combinent la association, la concurrence et l’antagonisme). Néanmoins, dans l’actualité, la majorité de ces bandes agissent indépendamment du trafic de drogue. Dès le début des années 1990, pour assurer le financement de leurs nécessités, les bandes se sont tournées vers d' autres activités (l' assaut de la rue, le vol de voitures, banques et corporations financières, le racket des commerçants, magasins, ateliers et bus de service public). Même si actuellement les bandes développent leurs activités selon leurs propres intérêts, on voulait remarquer dans cette section les logiques d’action des organisations de tueurs à gages. En effet, le lien entre trafic de drogue et sicarios a marqué une mode de vie dit de « l’argent rapide » et de la mort. De ce fait, la force des armes et la terreur sont devenus l’espace de socialisation du quotidien et la violence exercée par ces organisations a fortement affecté la société civile, notamment à Medellín. 4. Les paramilitaires illégaux ou autodéfenses D’abord, il convient de préciser l’utilisation des mots paramilitaires et autodéfenses dans ce texte. Quelques études indiquent que le mot autodéfense dénote un phénomène spontané de protection créé par les citoyens devant l' absence d' État, ayant pour but le maintien du territoire sans prétention d’expansion à d’autres régions. Quant au mot paramilitaire, il suggère un corps de combat parallèle aux Forces Militaires qui dans certains cas profitent de la connivence des agents de l' État et font des opérations de « nettoyage » politique et de consolidation militaire, préalables à l’emprise territoriale d' un secteur. C' està-dire, la différence est située dans le caractère défensif des autodéfenses et combatif de l’organisation paramilitaire (Romero 2002b, p. 285 ; PNUD 2003, p. 29). Dans ce texte nous utiliserons les mots paramilitaire et autodéfense comme synonymes étant donné que les différences initiales entre les uns et les autres ont été réduites, et due à la difficulté d’établir à quel titre se font les activités actuelles de ces organisations. D’après Romero « [...] la différence a perdu son pouvoir descriptif dans la moitié des années quatre-vingt-dix, quand 186 les différents groupes ont coïncidé, dans la théorie ou dans la pratique, avec des secteurs des forces de sécurité, que le conflit armé serait résolu à travers leur forces militaires combinées » (Romero 2003, p. 36-37). 219 Dans cette section nous évoquerons quelques aspects remarquables de la création et développement des groupes paramilitaires et nous parlerons du processus de négociation qu’ils ont entamé pendant le gouvernement d’Álvaro Uribe Vélez. Par la suite nous ferons référence à leur présence dans les métropoles. 4.1 Entre l' avidité et le désespoir : naissance et consolidation des paramilitaires Les paramilitaires illégaux ou autodéfenses naissent et se consolident dans la décennie des années 1980 comme défense de ceux qui possédaient un capital économique important, pour se protéger contre les menaces des organisations guérilleras.220 Face à l' incapacité de l' État de contenir la croissance de la guérilla, et victime directe des enlèvements et des actes violents, un secteur minoritaire de la société « [...] prend la détermination de mettre en marche une série d' organisations destinées à faire face à la guérilla en utilisant des méthodes et des tactiques, comme le meurtre hors combat et l' exil, copiés 219 Traduit par nous de : « [...] la diferencia perdió su poder descriptivo a mediados de los años noventa, cuando los distintos grupos coincidieron, ya fuera en la teoría o en la práctica, con sectores de las fuerzas de seguridad en que el conflicto armado se resolvería a través de sus fuerzas militares combinadas ». 220 Les groupes des paramilitaires des années 1980 et suivants sont considérés comme illégaux. Néanmoins dans une période antérieure, ils ont reçu le support officiel de l’État. En 1968, selon la Loi 48, il est déclaré comme partie de la législation le Décret 3398 de 1965. Ce décret établissait que tous les colombiens pourraient être utilisés par le gouvernement dans des activités pour le rétablissement de la normalité. Le décret indiquait que, quand il l' estimerait nécessaire, le Ministère de la Défense Nationale, pourrait permettre l’utilisation des armes aux particuliers, lesquelles, en condition de normalité, sont considérées comme d' utilisation exclusive des Forces Armées. En 1989, au travers du Décret 0815, le gouvernement colombien a suspendu l' application des dispositions mentionnées afin d' éviter qu' elles fussent interprétées comme une autorisation légale pour organiser des groupes civils armés (CIDH 2004, art. 53). En outre, en juin 1989 le gouvernement a promulgué le Décret N° 1194 qui établit des peines à ceux qui financent ou promeuvent des groupes paramilitaires (Reyes 1991, p. 46). 187 de la même guérilla » (Francisco 2003, p. 7).221 Selon le PNUD le paramilitarisme naît principalement de l' avidité ou du désespoir : « De l' avidité, quand la guérilla entre à contester la richesse d' industries protégées par des armées privées (trafic de drogue, émeraudes) ; du désespoir, quand les propriétaires de la zone ne trouvent pas une autre manière de faire face à la guérilla ou quand le militaire conclut que, dans le cadre de la loi, il n' est pas possible de vaincre les guérillas » (PNUD 2003, p. 59).222 Ces groupes de justice privée établis par des éleveurs, propriétaires fonciers, industriels, 223 narcotrafiquants, trafiquants d’émeraudes et, notamment des sont passés de la défense de leurs terres au développement de toute une stratégie de guerre contre les forces subversives et leur sphère sociale d’influence (Gómez 1995, p. 101). Composés d’ex-guérillas, ex-membres de la Force Publique et campagnards, ils se sont rendus très efficaces pour combattre leur ennemi. En effet, le manque de desseins politiques visibles des organisations guérilleras explique que « [...] beaucoup de guérilleros aient pu abandonner la lutte, passer au service des narcotrafiquants ou de la délinquance commune et, souvent aussi, rallier l’autre côté, celui des paramilitaires. Innombrables sont les chefs des paramilitaires qui ont fait leurs premières armes dans la guérilla » (Pécaut 1996b, p. 44). L’expansion territoriale des paramilitaires se développe à travers l’expropriation à la force des campagnards pauvres et le déplacement de la population civile. Ils réalisent des coalitions légales avec des propriétaires qui leur donnent de la légitimité et supportent leurs actions (Camacho 2004, p. 12). 221 Traduit par nous de : « [...] toma la determinación de poner en marcha una serie de organizaciones destinadas a enfrentar a la guerrilla utilizando métodos y tácticas, como el asesinato fuera de combate y el destierro, copiados a la misma guerrilla ». 222 Traduit par nous de : « De la codicia, cuando la guerrilla entra a disputar la riqueza de industrias protegidas por ejércitos privados (narcotráfico, esmeraldas) ; de la desesperación, cuando los propietarios de la zona no encuentran otro modo de enfrentar a la guerrilla o cuando el militar concluye que dentro de la ley no es posible derrotar a la insurgencia ». 223 Les narcotrafiquants sont devenus les plus gros propriétaires fonciers de la Colombie. On calcule qu’en 1998 ils avaient acquis quatre millions d' hectares des meilleures terres du pays (Pécaut 2001, p. 169). 188 « Pendant les années 1980 les paramilitaires se situèrent là où les narcotrafiquants avaient acheté de grandes fermes et par la suite vers des régions d’agriculture et d’industrie minière prospères pour rivaliser avec les guérillas pour la richesse. Dans les années 1990, ils sont parvenus à imposer leurs règles sur le département de Córdoba et la région d’Urabá, où ils ont formé les Autodefensas Unidas de Córdoba y Urabá (ACCU) ; dans le nord-est d' Antioquia où ils ont créé le mouvement Muerte a Revolucionarios del Nordeste ; dans la Sierra Nevada de Santa Marta dans le Magdalena et au sud, dans les départements de Meta, Caquetá, Guaviare et Putumayo » (PNUD 2003, p. 59).224 En 1981, ils ont conformé le MAS (Muerte a Secuestradores) dont l' objectif était d' éliminer les délinquants communs et guérilleros responsables d’extorsions et d’enlèvements.225 La création de cette organisation est la réponse à l’enlèvement, par le M-19, de Marta Nieves, soeur des Ochoa, membres du Cartel de Medellín. Par la suite plusieurs membres du M -19 ont été kidnappés, quelques dirigeants syndicaux de Medellín ont été assassinés de même que les intégrants de l’Unión Patriótica. Le MAS a marqué la disparition quasi-totale du M-19 à Medellín (Camacho 1998, p. 119). Le Procureur Général de la Nation a dénoncé l' existence de plusieurs de ces organisations ainsi que la participation de quelques membres des Forces Armées parmi elles (Camacho 1998, p. 120).226 Ceci a marqué une tendance déterminante dans la montée du paramilitarisme dans le pays. Enfin, dans leur projet antisubversif, les paramilitaires ont expulsé les guérillas de quelques zones. Cependant, au nom de la lutte contre les guérillas, 224 Traduit par nous de : « Durante los años ochenta el movimiento paramilitar se desplegó primeramente hacia otras regiones donde narcotraficantes habían comprado grandes haciendas y luego hacia regiones de bonanza agrícola o minera para disputarles la riqueza a las guerrillas. Hacia fines del decenio se había extendido a Córdoba y Urabá, donde formó las Autodefensas Unidas de Córdoba y Urabá (ACCU) ; al nororiente antioqueño, donde creó el movimiento Muerte a Revolucionarios del Nordeste; al Magdalena, alrededor de la Sierra Nevada de Santa Marta ; y hacia el sur, en Meta, Caquetá, Guaviare y Putumayo ». 225 Dans la ville de Cali un avion de tourisme a jeté des volants dans lesquels la mafia faisait connaître à l' opinion publique qu’elle avait décidé d’organiser une force paramilitaire pour tuer les kidnappeurs (Camacho 1998, p. 119). 226 L’historien Augusto Gómez souligne la participation de 59 militaires dans la conformation du MAS (Gómez 1995, p. 101-106). 189 ils ont aussi éliminé des membres de mouvements populaires de type sociaux et politique (Romero 2002b, p. 277). Pour le politologue Mauricio Romero nous trouvons les antécédents de groupes paramilitaires dans les éléments mentionnés ci-dessus. C' est-à-dire dans la réponse armée des propriétaires fonciers et narcotrafiquants aux menaces de la guérilla, et le développement d’une stratégie antisubversive avec la collaboration de membres des Forces Armées. Néanmoins, pour l’auteur, les paramilitaires ont consolidé un mouvement de restauration du statut quo rural. Ce mouvement s’oppose à toute tentative de réforme capable d’affecter les structures traditionnelles dans la campagne. Cela veut dire que l’auteur place les paramilitaires comme un groupe d’opposition à toute réforme ou négociation qui tente de distribuer le pouvoir et la richesse dans le secteur rural et ce qui par la suite donnerait aux insurgés l’accès aux systèmes politiques régionaux (Romero 2002b, p. 276 et 290). Dans cette optique, les paramilitaires sont passés de gardiens des propriétés acquises par les narcotrafiquants, à la coopération avec les forces de sécurité de l' armée, pour éliminer les civils liés aux fronts électoraux de la gauche. Ils ont commencé ensuite à faire partie d' un projet plus vaste de reconstruction de l' ordre rural (Romero 2002b, p. 285). Le contexte de ce virement dans les objectifs des paramilitaires, d’après Romero, commence dans le cadre des négociations de paix de 1982 entre le gouvernement et les guérillas, et ensuite avec la décentralisation et la première élection populaire de maires en 1987. Les militaires mécontents des politiques de paix ont cherché l’appui des élites régionales et des narcotrafiquants harcelés par l' extraction de ressources des guérillas. Ces personnes là, étaient favorables à soutenir politiquement et financièrement les groupes paramilitaires (Romero 2002b, p. 290).227 L’élimination de plus de 1500228 membres de l' Unión Patriótica (UP) par les paramilitaires est un exemple de leur projet de conservation du statut quo. 227 Le mécontentement des militaires avec la politique de paix du gouvernement Betancur a été aussi souligné par Alejandro Reyes dans son article de 1991 « Paramilitares en Colombia : contexto, aliados y consecuencias ». 228 Comme nous l’avons déjà indiqué le nombre de membres de l’Unión Patriotica assassinés reste inconnu et oscille entre les différents auteurs entre 1.500 et 4.500 190 L’UP, comme nous l’avons mentionné, était un parti politique de gauche créé en 1985 dans le cadre de processus de paix du gouvernement de Belisario Betancur (1982-1986). Il était composé par des membres du parti communiste, quelques mouvements régionaux de gauche et notamment des membres des FARC-EP. Selon Pécaut, en « se servant des paramilitaires, les militaires se donnaient les moyens de livrer à bon compte “la guerre sale” » (Pécaut 1996b, p. 35). La participation expresse ou tacite des membres de la Force Publique dans cette élimination a été remarquée à plusieurs reprises (Gómez 1995, Pécaut 1996b, Camacho 1998, Romero 2002b). D’après les membres de l’UP, le meurtre de ses membres a été, avant tout, une réponse à leurs dénonciations sur les liens politiques et économiques entre les trafiquants de drogue et quelques commandes militaires et propriétaires fonciers. Ils dénoncent de même une alliance d' extrême droite qui cherche à annuler les processus d' ouverture politique du pays (Camacho 1998, p.130). De ce fait, les paramilitaires ont empêché que les adhérents de formes légales de participation publique puissent récolter les bénéfices d' une mobilisation politique (Romero 2002b, p. 275). Au début des années 1990, l’articulation et l’expansion des paramilitaires marquent un accroissement de la confrontation armée dans le pays. Pour l’époque les paramilitaires ont déjà établi des étapes dans la forme de conquête de territoires : « Un premier moment d’incursion militaire, massacres et « ramollissement » des possibles appuis civils et sociaux de la guérilla, afin de l' isoler et lui couper tout lien avec la population. Un second moment de consolidation, repeuplement et initiatives économiques avec l' appui d' élites locales désaffectés des insurgés, et une troisième étape de légitimation du nouvel ordre à partir d' investissements étatiques et privés » (CINEP 1997 cité par Romero 2002b, p. 291). 229 personnes. 229 Traduit par nous de : « Un primer momento de incursión militar, masacres y “ablandamiento” de los posibles apoyos civiles y sociales de la guerrilla, con el fin de aislarla y cortarle cualquier nexo con la población. Un segundo momento de consolidación, repoblamiento e iniciativas económicas con el apoyo de élites locales desafectas de los insurgentes, y una tercera etapa de legitimación del nuevo orden a partir de inversiones estatales y privadas ». 191 Carte N° 3 : Distribution spatiale d' actions violentes effectuées par les autodefenses, pendant la période 1995-2002. Source : Dane, Marco Geoestadístico Nacional. Observatorio de Violencia –Presidencia de la República. Consulté en PNUD - PROGRAMA DE NACIONES UNIDAS PARA EL DESARROLLO. 2003. El conflicto callejón con salida : informe nacional de desarrollo humano para Colombia. Bogotá. p. 62. [réf. du 2006-01-06]. Disponible sur Internet : http://indh.pnud.org.co/informe2003_.plx?pga=CO3tablaContenido&f=1152459998 192 Carte N° 4 : Présence paramilitaire 2002. Source : PNUD - PROGRAMA DE NACIONES UNIDAS PARA EL DESARROLLO. 2003. El conflicto callejón con salida : informe nacional de desarrollo humano para Colombia. Bogotá. p. 63. [réf. du 2006-01-06]. Disponible sur Internet : http://indh.pnud.org.co/informe2003_.plx?pga=CO3tablaContenido&f=1152459998 Les paramilitaires se financent par les ressources provenant du trafic de drogue, par l’extraction des ressources aux élites rurales et urbaines et par l’appropriation des budgets régionaux et locaux de l' État (Ministerio de Defensa 2000 cité par Romero 2003, p. 55). En effet, selon Duncan, les paramilitaires ont corrompu la classe politique locale et par la suite ont défini une grande partie des 193 législateurs. Plus tard, ils gagnent le contrôle sur quelques membres de la branche judiciaire et des Forces Armées. Ainsi, ils garantissent que la structure politique assure la viabilité du trafic de drogues et d’autres économies extractives dans leurs régions d’emprise. Voire, les chefs paramilitaires, Salvatore Mancuso et Vicente Castaño, ont souligné leur contrôle sur 35% de l’assemblée législative, dans des entretiens accordés aux médias (Duncan 2005b, p. 24). Par ailleurs, il est également remarquable comme quelques propriétaires fonciers et politiciens ont vu dans les autodéfenses une option de défense légitime face à l’agression des guérillas. Cette vision a donné lieu en 1995 à la création des coopératives de sécurité « Convivir », lancées par le gouverneur d’Antioquia de l’époque, l’actuel Président de la République.230 Ces organisations privées de surveillance, information et sécurité rurale ont été conçues pour regagner l’ordre public grâce à la coopération entre secteurs des propriétaires et les Forces Armées. Bien qu’il ait été dit qu’elles consistaient en un réseau d' intelligence dirigé par des civils et en coordination avec les Forces Militaires, dans diverses régions du pays leurs membres ont été responsables de meurtres, port d' armes exclusifs de Forces Militaires, kidnappings et protection aux narcotrafiquants (Romero 2005, p. 5). Devant l' impossibilité des autorités centrales de surveiller le fonctionnement de ces associations, le type d' armement qu' ils utilisaient et les tâches qu' ils effectuaient, elles pouvaient devenir des groupes paramilitaires autorisés par la loi. Finalement, en 1997, la Cour Constitutionnelle a déclaré ces associations inconstitutionnelles (Romero 2002b, p. 273 et 287). D’autre part, en 1994 quelques groupes de paramilitaires s’unissent dans les Autodefensas Unidas de Córdoba y Urabá (ACCU). Par la suite, en 1997, sous le commandement de Carlos Castaño, naissaient les Autodefensas Unidas de Colombia (dorénavant AUC).231 Les AUC sont une organisation paramilitaire illégale qui a pour but de réunir dans un organisme semi centralisé les groupes paramilitaires préexistants en faveur de la lutte anti-communiste. D’après ses 230 Les organisations Convivir ont été répandues dans tout le pays. Il y a eu plus de 400 Convivir, notamment en Santander, dans lesquelles environ 2000 ex-fonctionnaires des Forces Armées étaient employés (Romero 2003, p. 103). 231 Site Internet AUC : http://www.colombialibre.org/ 194 promoteurs, ce front politique militaire opère en « défense de la propriété privée et de la libre entreprise » et offre son modèle de sécurité à des propriétaires touchés par la guérilla (Romero 2002b, p. 287). Plusieurs groupes restent encore hors de la structure des AUC mais cette organisation est la plus répandue en Colombie. En 2002, les AUC étaient composées par six groupes : a) Autodefensas Unidas de Córdoba y Urabá, b) Autodefensas Campesinas de los Llanos Orientales, c) Autodefensas Campesinas de Cundinamarca, d) Autodefensas Campesinas de Casanare, e) Autodefensas Campesinas de Santander y el sur del Cesar, f) Autodefensas Campesinas del Magdalena Medio (Romero 2002b, p. 285). Elles sont commandées actuellement par Salvatore Mancuso. Outre cela, les AUC ont adopté un discours idéologique. Elles veulent être validées comme projet politique et réclament les transformations de l' État. Elles exigent une réforme agricole, une réforme urbaine et d’autres mesures de redistribution de ressources (PNUD 2003, p. 42). Sous le premier gouvernement d' Álvaro Uribe Vélez (2002-2006), on est face à un processus de démobilisation et soumission à la justice des Autodefensas Unidas de Colombia (AUC), du Bloque Central Bolívar (BCB),232 et de l’Alianza Oriente, composé par les Autodefensas Campesinas de Casanare et les Autodefensas de Meta y Vichada. À la fin de l’année 2002, les différents groupes ont accepté une cessation d' hostilités comme condition pour une négociation avec le gouvernement. Les négociations ont été effectuées principalement à Santa Fé de Ralito, municipio de Tierralta dans le département de Córdoba. Celles-ci ont donné comme résultat la démobilisation de 31.671 personnes entre 2002 et le mois d’août 2006 (Alto Comisionado para la Paz 2006). Le cadre juridique pour le processus de démobilisation des paramilitaires a donné lieu à la promulgation de la Loi 975 de 2005, plus connue comme « Loi de Justice et Paix », laquelle peut être aussi utilisée dans des processus de démobilisation de groupes partisans. Après la démobilisation, il y a eu une chute de l' indice d' homicides au niveau national. De 28.837 homicides en 2002, on est passé à 23.214 en 2003 et 232 Le Bloque Central Bolívar, a consolidé aussi un projet national, on s’insérant dans le territoires stratégiques pour le trafic de drogues, dans un effort de neutraliser les FARCEP dans cet aspect. 195 à 20.167 en 2004 (DIJIN cité par PNUD 2005a, p. 2). En 2005, l’indice atteint le nombre de 18.111 et en 2006 de 17.209 homicides (Emisora del Ejército de Colombia 2007, p. 1) Selon Romero, bien que cette diminution en termes d' homicides ne soit pas directement due aux négociations avec les groupes paramilitaires et les démobilisations, il est évident qu’elles ont eu un effet important dans la chute des indicateurs (Romero 2005, p. 6). Néanmoins, et malgré leurs déclarations, les paramilitaires n’ont pas accompli totalement leur accord de cessation au feu. Quelques rapports des organismes internationaux et de défense des droits de l’homme indiquent que, pendant les négociations, l' influence des paramilitaires a augmenté dans quelques régions (notamment dans la côte atlantique, Santander, Norte Santander, quelques régions cafetières, Antioquia et les plaines orientales). Ils sont encore responsables des meurtres, disparitions, détournements de fonds publics, intimidation armée à des autorités locales, kidnappings et déplacement de population civile (Amnistie Internationale 2005 ; Defensoría del Pueblo 2005 ; Comisión Colombiana de Juristas 2006 ; Policía Nacional 2006).233 Pour la fin de l’année 2004, la Defensoría del Pueblo avait recensé 342 cas de violations à la cessation d' hostilités, tandis que la Comisión Colombiana de Juristas a responsabilisé les paramilitaires de 2.000 décès entre décembre 2002 et le 28 février 2005. En 2006, les cas dénoncés par cette Commission s' élèvent à 3.004 (Comisión Colombiana de Juristas 2006). En outre, les autorités ont confisqué l’ordinateur du chef paramilitaire Rodrigo Tovar alias Jorge 40 et le Procureur Général de la Nation a présenté un rapport final sur son contenu. L’information de l’ordinateur indique que les paramilitaires ont assassiné 558 personnes dans le département de l’Atlántico pendant le déroulement du processus de paix (El Tiempo, 7 octobre 2006).234 233 La Police Nationale a établi que 536 démobilisés ont été capturés pour différentes infractions : 126 pour port illégal d' armes, 70 pour homicide, 42 pour des atteintes à l' intégrité de la personne, 11 pour conformation de bandes de délinquance, 37 pour concert pour la commission d’un délit, 44 pour le trafic de stupéfiants, 30 pour extorsion, 29 pour vol, 30 pour des dommages dans des biens d’autrui et 117 pour d' autres infractions. De même 236 démobilisés ont été assassinés et 39 ont été gravement blessés (Policía Nacional 2006). 234 En outre, l' information de l’ordinateur révèle les routes du trafic de drogues utilisées par l' organisation pour porter la coca en Europe et aux États-Unis et la relation avec des membres de la Police Anti -Narcotique de Colombie et la Garde Nationale Vénézuélien. 196 Nonobstant, le bureau du Haut Commissariat de Paix a rejeté ces données. Ce bureau a enregistré seulement 252 décès (pour cause des acteurs participant à la démobilisation) pendant toute la durée du processus (El Tiempo, 19 octobre 2006c). En outre, la corruption des politiciens par les paramilitaires est aussi devenue une affaire plus visible, après le processus de démobilisation. Le journal El Tiempo235 a souligné les accords qui ont été signés entre les paramilitaires et la classe politique de la côte atlantique, et plusieurs députés ont été appelés par la Cour Suprême pour clarifier leur liens « supposés » avec les paramilitaires (El Tiempo, 26 novembre 2006). D’autre part, le fait de la démobilisation de 31.671 membres des autodéfenses entre 2002 et le mois d’août 2006 est assez paradoxal, parce que selon les estimations de 2003 du DNP (Departamento Nacional de Planeación) le nombre de membres des AUC n’était que de 10.500 personnes pour l’année 2001 (PNUD 2003, p. 84). De même, selon la Présidence de la République en 2004 les paramilitaires n’avaient que 13.500 hommes (Vicepresidencia de la República 2002a, p. 15). On doit ajouter à cela les 1.424 membres de paramilitaires tués au combat pendant les trois premières années du gouvernement d’Uribe (Fundación Seguridad y Democracia, s.d. (b)). De ce fait, on se demande qu’elle est la véritable identité des personnes faisant parti de ces accords. Les autodéfenses invoquent que toutes ces personnes en plus font parti de l’organisation non armée. Néanmoins, il est évident que les bénéfices consacrés par la « Loi de Justice et Paix » conviennent aux narcotrafiquants qui se font passer pour des membres des autodéfenses. De ce fait, ils bénéficient de la non-extradition aux États Unies.236 En effet, Carlos Castaño, dirigeant initial de De même, elle mentionne des organismes de l' État sous l’emprise paramilitaire et mentionne des fonctionnaires de l' État qui font partie de l’organisation (quatre sénateurs et plusieurs députés de Sucre, entre autres) (El Tiempo, octobre 7 de 2006). 235 El Tiempo est le journal le plus repandu en Colombie. Site Internet : http://www.eltiempo.com/ 236 C’est le cas de Víctor Manuel Mejía Múnera, Miguel Ángel Mejía Múnera, Francisco Javier Zuluaga Lindo, Ramiro Vano, qui ont actuellement ordre de capture pour trafic de drogue, mais qui se font passer pour des membres des autodéfenses et sont ainsi couverts par les accords de Justice et Paix (El Tiempo, 26 août 2006a). 197 processus de paix et le plus connu des membres des paramilitaires, a été assassiné par ses propres collègues, parce qu’il allait dénoncer les narcotrafiquants déguisés en paramilitaires (El Tiempo, 26 août 2006c). Finalement, en octobre 2006, dans l’ordinateur de « Jorge 40 » confisqué par les autorités, il y avait des courriers électroniques dans lesquels le chef paramilitaire indiquait à ses hommes qu' ils devaient chercher et recruter des civils pour la démobilisation. Les civils devaient être préparés pour le jour de la démobilisation : ils devaient chanter l' hymne des AUC et répondre de façon cohérente aux questions des autorités gouvernementales (El Tiempo, 7 octobre 2006).237 Les négociations de paix n’ont toujours pas abouti. Il est en effet difficile de tirer des conclusions satisfaisantes sur le processus actuel de démobilisation des groupes paramilitaires. Les chiffres qui évaluent ce processus sont dissemblables et varient suivant la source d' information. On remarque finalement que la disparition du phénomène, avec toutes ses implications pour la population civile dans les zones de contrôle, paraît encore éloignée. 4.2 Les paramilitaires en ville : les « restaurateurs » de l' ordre social Dans l' étude Colombia : violencia y democracia de 1987, qui définit les types de violence présentes dans le pays, les paramilitaires sont placés dans la modalité de violence définie comme : « Violence de particuliers organisés qui recourent à l' élimination physique tant d' auxiliateurs présumés de groupes armés comme de subversifs de l' ordre moral. Ils ont signification spéciale dans quelques villes du pays et leur violence est dirigée contre les homosexuels, les prostituées, les ex-prisonniers, les fournisseurs de drogue et autres citoyens qu' ils considèrent les tares de la société. Ils opèrent surtout au travers des escadrons de la mort » (Comisión de Estudios sobre la Violencia 1987, p. 20).238 237 Dans le même contexte, il est aussi remarquable que les autodéfenses, selon le site Internet du bureau du Haut Commissariat de Paix ont rendu seulement 17.564 armes au 30 avril 2006. 238 Traduit par nous de : « Violencia de particulares organizados que recurren a la eliminación física tanto de presuntos auxiliadores de grupos alzados en armas como de subversores del orden moral. Tienen especial significación en algunas ciudades del país 198 De nos jours il est clair que la scène principale des activités de ces groupes correspond plutôt à la campagne, mais on apercevait leur présence dans les villes depuis la décennie des années 1980. Les AUC, créées en 1997, reprennent l' idée de créer des fronts dans les villes. Elles se sont établies notamment à Barrancabermeja, Medellín, Bucaramanga et Cúcuta (Revista Semana 2006b). Elles agissent dans certains quartiers pour couper les fronts des guérillas et s’approprier des couloirs d' accès et de secteurs de territoire privilégiés dans la guerre. Leur stratégie est la rapprochement ou l' alliance avec des bandes de délinquance sous l’insigne de libérer la population de l' oppression exercée par les milices. Pour ceci, ils se servent de leur pouvoir coercitif et financier et consolident des zones d’emprise sociale, politique et économique dans la scène urbaine. Pour l’obtention de ressources, les paramilitaires utilisent quelques méthodes de bandes de délinquance : ils effectuent de l' extorsion, du kidnapping et de piquets afin de contrôler le transit de personnes et d' armements. Ils ont aussi d’autres stratégies telles que l' infiltration de ses hommes comme employés de familles de hautes strates239 et dans des compagnies de surveillance privée, pour accéder à l' information sur le transport des valeurs, la banque et les secteurs commerciaux (Table ronde Medellín, 27 juin 2003). Néanmoins leur front de financement principal est le narcotrafic. Ils ont établi des réseaux avec les mafias et les bureaux du narcotrafic dans les différentes villes.240 Ils se présentent dans la ville comme les « restaurateurs » de l' ordre social et commencent à contrôler de petites portions de territoire, où la violence y se dirige contra homosexuales, prostitutas, exconvictos, expendedores de droga y otros ciudadanos que consideran lacras de la sociedad. Opera sobre todo mediante los escuadrones de la muerte ». 239 Les strates (couches) socioéconomiques en Colombie vont depuis 1 (la plus pauvre) et 6 (la plus élevée). La classification des îlots repose sur l’application de critères qui rendent compte de la qualité des constructions et de la voirie. Cette stratification est utilisée pour moduler les tarifs des services publics en fonction du niveau de vie des habitants (Dureau et al 2004, p. 335-336). 240 À propos du financement des paramilitaires dans les villes voir : DUNCAN, Gustavo. 2005a. Del campo a la ciudad en Colombia : la infiltración urbana de los señores de la guerra. Bogotá : Universidad de los Andes - CEDE. 85 p. 199 est l' instrument principal de contrôle social.241 Parfois les paramilitaires exercent ce qu' Astrid Téllez a appelé violence para-institutionnelle, définie comme : « [...] celle qui a pour but de garantir, compléter et supplémenter le fonctionnement adéquat de la société, quand l' État n’est pas dans des conditions de le faire, par les limitations qu’il a dans tous les ordres. Para-institutionnelle dans la mesure dont elle s’accorde aux objectifs de l' ordre existant et elle s’engage avec le soutien de l' organisation institutionnelle » (Téllez 1995, p. 46).242 Mais leur soutien à l’institutionnalité n’est pas toujours constant. En effet, ils oscillent entre la coalition avec les autorités publiques et l’affrontement. Dans ce contexte, la violence est exercée contre tous ceux qui s’opposent à leurs objectifs. Avec la présence des paramilitaires en ville on constate que les métropoles ne constituent plus des refuges, « même si les principaux protagonistes armés n' y sont pas ouvertement installés, ils y entretiennent des réseaux clandestins ou y disposent de relais » (Pécaut 2000, p. 128). Dans les études cas de Medellín et Barrancabermeja, nous allons préciser les activités des paramilitaires en ville, notamment à travers les traces des personnes déplacées. 5. Brève note sur le rôle des médias face au conflit armé En Colombie l’exercice journalistique traverse plusieurs contraintes. La situation difficile des journalistes dans le pays est rendue évidente dans les rapports de l' ONU sur les droits humains. Ce bureau affirme avoir reçu plusieurs plaintes de journalistes et de communicateurs sociaux qui ont manifesté que leur travail est effectué dans un climat de censure indirecte, intimidation et entrave à l' information véridique. Beaucoup d’entre eux ont été menacés par les acteurs du conflit (paramilitaires, guérillas voire quelques agents de la Force Publique) et 241 Selon la Defensoría d’Antioquia, les activités des autodéfenses dans les villes sont marquées principalement par les disparitions et les déplacements forcés (Defensoría del Pueblo et UNHCR 2004, p. 42). 242 Traduit par nous de : « [...] aquella que tiene por objeto garantizar, complementar y suplementar el adecuado funcionamiento de la sociedad, cuando el Estado no está en condiciones de hacerlo, por las limitaciones que tiene en todos los órdenes. Parainstitucional en la medida de que es afín a los objetivos del ordenamiento existente y se compromete con el auxilio de la organización institucional ». 200 quelques acteurs non identifiés. Ces faits ont contribué à des pratiques d' autocensure en ce qui concerne les sujets délicats sur le conflit et la violence (ONU 2005). En 2001, le journaliste Germán Ortiz soulignait que les crises des médias en Colombie étaient corroborées, entre autres, quand le pays occupait pour la huitième fois consécutive la première place dans le monde concernant les journalistes assassinés. Entre 1990 et 2000, quarante-sept journalistes ont été assassinés dans le pays (G. Ortiz 2001). En outre, selon un éditorial récent du journal El Tiempo « [...] les crimes contre les journalistes lors des 20 dernières années ont été accompagnés d' un phénomène aberrant et scandaleux qui d' une certaine manière les encourage : une impunité qui dépasse les 90 pour cent » (El Tiempo, 17 décembre 2006).243 Dans ce contexte de violation des droits humains des journalistes, le Programme de Protection des Journalistes et des Communicateurs Sociaux a été crée en 2000. La fonction de ce programme est de protéger les professionnels de l' information qui risquent leur vie, leur intégrité personnelle, leur sécurité et leur liberté en raison de la violence politique et du conflit armé que le pays vit (Presidencia de la República 2000). En outre, la Defensoría del Pueblo a promulgué en mai 2003 une Resolución Defensorial dans laquelle elle rassemble des cas de menaces, kidnappings, attentats, meurtres et agressions aux journalistes en Colombie pendant l' année 2002 et les premiers mois de 2003. La résolution montre les normes du droit international humanitaire et les normes internationales des droits humains applicables dans ces cas, et offre des recommandations pour prévoir et gérer ces situations dans le futur (Defensoría del Pueblo 2003d). Par ailleurs, nous pouvons dire, à l’instar de Peralva et Macé, que « [...] la violence n’existe pas indépendamment de la manière dont elle est décrite et qualifiée dans le débat public » (Peralva et Macé 2002, p. 10). De ce fait, vu le rôle crucial des médias face à l’utilisation de l' information sur le conflit armé et le constat de l’interdépendance entre le traitement journalistique des 243 Traduit par nous de : « [...] los crímenes contra periodistas en los últimos 20 años han estado acompañados de un aberrante y escandaloso fenómeno que de cierta forma los alienta : una impunidad que supera el 90 por ciento ». 201 violences et le débat public sur ces mêmes questions, en 1999, trente cinq directeurs de médias de tout le pays ont signé un accord pour la discrétion sur la diffusion de faits violents en Colombie (voir l’accord dans l’annexe F). Cependant, il existe maintes critiques sur le rôle des médias face au conflit armé. Les analyses du CINEP, bien que contestées, concluent par exemple que les grands médias commettent sept péchés dans l’emploi de l' information : passer sous silence, dissimuler, dévier l' attention, déformer, avaliser, acquitter et condamner.244 En synthèse, ces analyses expliquent que les informations que les médias donnent reproduisent textuellement les communiqués officiels des organismes de sécurité de l' État, lesquels présentent les événements comme une série de faits isolés, et omettent de mentionner les responsables. En outre, selon le CINEP, beaucoup de violations aux droits humains ne sont pas d’importance pour les grands médias. Elles deviennent d’importance quand la violence qui les entoure est brutale ou quand les chiffres deviennent alarmants. Finalement, les analyses insistent sur le fait que, pendant la présidence d’Álvaro Uribe, le gouvernement a neutralisé les informations qui lui sont négatives, en particulier dans les médias qui protégent les intérêts des groupes économiques (Noche y Niebla 2004, p. 117-126).245 Conclusion Comme nous l’avons vu, notre étude s’occupe de la période de violence contemporaine en Colombie, considérée à partir de la formation et réactivation de groupes de guérillas ruraux après l' instauration du Frente Nacional en 1958. Par la suite, bien d’autres protagonistes font irruption sur la scène : narcotrafiquants, groupes de paramilitaires illégaux, bandes des tueurs à gages, milices urbaines, etc. Nombreux sont les facteurs auxquels on attribue la violence et la naissance ou consolidation d' acteurs armés illégaux en Colombie. Nous avons mentionné les facteurs liés aux causes objectives comme la pauvreté, le chômage, les conditions d' inégalité et d’exclusion, entre autres. En 244 Voir l’explication détaillée sur ces « péchés » dans le rapport Noche y Niebla 2004 indiqué dans la bibliographie. 245 À propos du rôle de médias face au conflit à Medellín et Barrancabermeja voir les rapports de Noche y Niebla 2003 et 2004 respectivement, indiqués dans la bibliographie. 202 suivant les études de Daniel Pécaut et du CINEP, on accorde de l’importance à ces facteurs mais on voit la nécessité de considérer, à côté de ces conditions, aspects subjectifs, comme par exemple les plans stratégiques qu‘élaborent les organisations insurgés (González 2004, p. 59). Comme le remarque Pécaut, la véritable portée de causes objectives est en rapport avec le fait qu' elles s' inscrivent dans les logiques d' action de certains protagonistes organisés. Ces acteurs s' approprient et se servent d' elles pour légitimer leurs actions (Pécaut 2001, p. 10). Dans cette optique et pour essayer de comprendre les logiques d’action des acteurs armés, principaux responsables du déplacement dans le pays, nous avons parlé de la naissance et consolidation des différents groupes de guérillas dans le pays (FARC-EP, ELN, EPL et M-19). Ensuite nous avons analysé l’apparition des groupes des paramilitaires en Colombie à partir de la décennie des années 1980 et de l’influence exercée par le trafic de drogue dans le débordement de la violence dans le pays. Il ne faut en effet pas oublier la responsabilité de l' État colombien dans les phénomènes de violence, par omission, ne remplissant pas son devoir de préserver l' ordre public, et en particulier de la Force Publique, de garantir la coexistence pacifique entre les citoyens et d' assurer la paix. De même, la Force Publique a utilisé les méthodes violentes utilisées par les groupes armés illégaux qu’elle essaie de combattre et par conséquent, elle prend partie de la confrontation en se servant des mêmes règles du jeu que l' ennemi.246 Les rapports d' Amnistie Internationale et d’autres organisations de défense de droits de l’homme ont indiqué la connivence de quelques membres des organismes de sécurité officiels avec les forces paramilitaires, ce qui aggrave la situation de la population civile soumise au conflit armé (Amnistie Internationale 2005). De ce fait, nous repérons que la dispute entre la guérilla et les forces anti-guérilla tend à justifier l' emploi de la violence. Sans nul doute, c’est la population civile la plus affectée par ce conflit. En effet, la Constitution de 1991 a dû consacrer dans son article 22 « la paix comme un droit et un devoir de accomplissement obligatoire » étant donnée la décomposition de la situation d’ordre publique dans le pays. 246 Voir quelques cas récents de corruption et violences perpétrées par l' Armée, dans la section Conflit Armé du journal El Tiempo du 29 septembre 2006. 203 Les meurtres, les massacres, les enlèvements, les homicides hors combat, l’installation de mines, le recrutement de mineurs, les disparitions, les attentats contre l’infrastructure, le vol, l’extorsion, les tortures, et les actes terroristes perpétrés par les acteurs armés montrent l’ampleur et la gravité de la situation. Dans la description des différents acteurs nous n’avons pas parlé de façon détaillée de leur implication dans chacune de ces activités. Cela déborderait les objectifs de la présente étude. Néanmoins on trouve des bases de données et des analyses de chacune de ces actions violentes et ses responsables dans diverses institutions.247 Nous nous occuperons seulement de leur responsabilité sur les déplacements dans le pays, notamment sur les déplacements intra-urbains comme nous le verrons dans la partie suivante. Étant donné que le sujet de notre étude est le déplacement à l’intérieur d’une même ville, nous avons étudié dans cette partie les incursions des acteurs armés dans les métropoles. Nous constatons que le conflit armé dans le pays a comme scène principale les espaces ruraux, mais nous voyons, à l’instar d’Echandía, la nécessité d' étudier la véritable portée d' une urbanisation éventuelle du conflit armé.248 La montée de la violence urbaine est importante dès 1980, avec l’essor du narcotrafic et l’apparition des bandes armées de jeunes. En même temps, les acteurs les plus organisés (les guérillas et les paramilitaires) font irruption dans la ville. On voit comment les acteurs armés demandent tout type de logistique urbaine. Les villes sont nécessaires pour maintenir le flux d’équipements et d’armes pour les campements ruraux. Mais les villes ne sont pas seulement le lieu de l’approvisionnement. Dans les villes colombiennes et notamment dans leurs quartiers défavorisés plusieurs combats y se sont déclenchés où se mêlent une infinité d’acteurs. Comme le remarquait Gérard Martin : à l' ombre des acteurs organisés, il y a donc une prolifération d' acteurs violents plus désorganisés, tels que les tueurs à gages, les assassins, 247 Departamento Nacional de Planeación (Bulletin Chiffres de la Violence 1996-2005) ; Observatorio de Derechos Humanos de la Vicepresidencia de la República (1987-2005) ; Policía Nacional (homicide, massacres et actes terroristes 1996-2005) ; Fondolibertad (extorsion 1998-2005) ; Fondolibertad (kidnapping 1996-2005) ; Observatorio de Minas Antipersonales de la Vicepresidencia de la República (Mines 1996-2005). 248 Selon Echandía l' action des acteurs armés dans les villes ne doit pas être sousestimée. Les villes peuvent être utilisées par les guérillas pour acquérir une plus grande capacité de négociation (Echandía s.d., p.24). 204 les sicarios (Martin 1997, p. 231). On ne peut ignorer pour autant « que la violence désorganisée contribue à élargir le champ de la violence organisée » (Pécaut 1996b, p. 17). Par ailleurs, comme dans les zones rurales, les acteurs armés dans la ville font appel à la violence pour l’obtenir l’appui de la population civile. Ils encerclent les quartiers et s’approprient des territoires semant la terreur entre leurs habitants. Dans le devenir propre du conflit, la population est obligée à manifester sa loyauté à un acteur ou l’autre, de même elle doit aussi changer de parti pris, à plusieurs reprises, comme simple stratégie de survie (Kalivas 2001, p. 10). De ce fait « [...] la présence sur un territoire implique obéissance au réseau qui le contrôle. La crainte et la défiance sont au coeur des interactions, le marquage des frontières repose sur la terreur » (Pécaut 1996a, p. 261). Selon l’anthropologue María Victoria Uribe il s’agit d’une terreur qui s’imprègne et se répand, elle se construit à partir des rumeurs à partir de ce que l’on entend et voit - ou ce que l’on imagine entendre et voir (Uribe 2004, p. 122).249 De même, dans cette ambiance de terreur, le silence est devenu une stratégie de survie. Selon Cefaï et Amiraux dans un pays comme la Colombie : « La “culture de la peur” peut provenir d' une routinisation de la terreur, qui peu à peu corrompt jusqu' aux liens de voisinage, d' amitié et de famille. Les pratiques d' intimidation, de torture et de disparition créent un climat d' insécurité chronique et réduisent au silence. Le secret ou la dissimulation, la politesse et la servilité sont des stratégies de survie et de résistance [...] » (Cefaï et Amiraux 2002).250 Dans la partie suivante nous analyserons les études de cas de déplacement intra-urbain dans les villes de Medellín et Barrancabermeja. Nous allons voir comment les différents acteurs armés du conflit national sont présents dans ces villes et leurs façons de s’imposer dans les différents quartiers par moyen de la violence et la terreur. 249 Selon Cefaï et Amiraux les rumeurs « [...] émergent pour pallier le manque de circuits de communication officiels ou habituels. Elles ne sont pas seulement des phénomènes spontanés, elles sont produites et renforcées par les stratégies de guerre psychologique, de matraquage idéologique ou de propagande partisane » (Cefaï et Amiraux 2002). 250 Au sujet de la peur, notamment celle vécu par les personnes qui ont dû se déplacer, voir le livre de Jaramillo, Villa, et Sánchez « Miedo y desplazamiento : experiencias y percepciones » souligné dans la bibliographie. 205 TROISIÈME PARTIE LE CAS DES VILLES DE MEDELLÍN ET BARRANCABERMEJA Introduction Plusieurs raisons ont été exposées pour expliquer la violence en Colombie et la consolidation des acteurs armés illégaux en ville, dont nous avons parlé dans la deuxième partie de cette étude. À ceci on doit ajouter la présence de groupes armés d’envergure nationale dans des secteurs urbains, et leurs relations de coopération et antagonisme avec différents groupes de la délinquance urbaine. Dans cette partie nous allons parler des déplacements forcés entre quartiers d’une même ville (Medellín et Barrancabermeja) produites à cause de la présence de ces acteurs et de leur contrôle sur certains territoires. Les raisons qui ont été signalées comme causes de cette mobilité sont variées : menaces de mort et d' expulsion, refus de payer des impôts exigés par des groupes armés, peur devant les hostilités et agressions dans les différents lieux de la ville. À ceci, on ajoute les combats militaires directs étant donné le positionnement de différents groupes armés illégaux dans certaines zones de la ville (Franco, s.d., p. 44). Selon la Defensoría del Pueblo le déplacement d' habitants urbains a été plus évident depuis l’année 2001. Quelques villes considérées comme réceptrices de population, sont actuellement aussi des points de départ. Cela est lié à l' accroissement des groupes paramilitaires dans les secteurs urbains et aux combats entre ces groupes et les milices (Defensoría del Pueblo 2002, p. 9). Les rapports des organismes de droits de l’homme ont indiqué que les situations qui obligent les personnes déplacées dans les villes à se déplacer à nouveau sont toujours plus fréquentes, dans la même ville ou depuis celle-ci vers d' autres zones du pays. Cela est une conséquence du suivi que les acteurs du conflit font des personnes déplacées dans les lieux de réception. D’après le bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme les menaces et les attentats contre des communautés déplacées, notamment contre 206 leurs dirigeants, sont nombreux. De même, l’agence dénote une augmentation de menaces contre des organisations qui travaillent pour les déplacés, spécialement dans le Magdalena Medio et l’Urabá (ONU 2000). De cette manière, les personnes qui ont été forcées de se déplacer dans une même ville, ont en général été plongées dans des dynamiques de violence. Dans une conférence de presse effectuée en 2006, l' actuel Représentant du Secrétaire Général des Nations Unies pour les Droits des Déplacés, le docteur Walter Kálin, a affirmé que le déplacement intra-urbain est une réalité silencieuse et occulte, mais existante. Il souligne que dans quelques cas les personnes démobilisées peuvent être la source des menaces (ONU 2006). Par ailleurs, la Comisión Colombiana de Juristas rejette les chiffres gouvernementaux sur la diminution du phénomène du déplacement pendant l' année 2004 (voir graphique N°2 dans la section 6.3 de la première partie de cette étude). Elle considère qu’il y a beaucoup de situations qui ne sont pas enregistrées et que certaines manifestations comme le déplacement intra-urbain sont invisibles aux systèmes de mesure (Corte Constitucional 2005, p. 94). Pour sa part, la CODHES explique que bien que pour l' année 2006 le gouvernement ait présenté une réduction dans le chiffre des déplacés comparé à celui des années précédentes, cela ne signifie pas qu' il y ait eu une amélioration dans la situation humanitaire du pays. Cette diminution est attribuée par l' ONG à une modification de la dynamique, dans laquelle prédomine le déplacement intraurbain ou l' enfermement (El País 2006).251 Dans le même sens, la Cour Constitutionnelle dans le suivi aux actions mises en ouvre par le gouvernement pour accomplir l’arrêt T-025, indique que même si la Red de Solidaridad Social a fait un effort pour améliorer la caractérisation de la population déplacée, il existe plusieurs difficultés dans le processus de caractérisation, notamment le manque d' inclusion des déplacés intra-urbains, inter-parcelles, et les personnes relogées (Corte Constitucional 2005, p. 79). En effet, les dénonciations (même si non officielles) du déplacement intraurbain sont chaque fois plus nombreuses. Elles sont souvent faites par les organismes de défense de droits de l’homme. On observe que le phénomène 251 La CODHES a souvent dénoncé le déplacement intra-urbain dans le pays mais n’a pas encore réalisé une recherche approfondie sur le sujet. 207 s’est rendu plus visible après la promulgation par la Cour Constitutionnelle de l’arrêt 268 de 2003, dont nous avons parlé dans la section 8.1.7 de la première partie de cette étude. Cet arrêt traite pour la première fois le cas du déplacement intra-urbain dans la ville de Medellín et signale ce type de mobilité comme une partie du déplacement forcé par la violence que subit le pays. Après ce jugement, la Red de Solidaridad Social de la ville de Medellín a commencé à reconnaître le phénomène et à offrir une assistance aux déplacés intra-urbains dans le cadre de la Loi 387 de 1997 et ses décrets réglementaires. D’autres villes ont suivi l’exemple, même si les politiques publiques pour traiter le phénomène sont encore faibles. Dans cette partie nous allons faire référence aux études de cas de Medellín et Barrancabermeja présentées dans la recherche de 2004 de la Defensoría del Pueblo et le HCR, dont nous avons parlé dans l’introduction générale de cette étude.252 Néanmoins, notre intention est d’approfondir les connaissances apportées sur chacune des villes, d’analyser de manière plus profonde les expositions des participants des tables rondes, et d’apporter des informations plus récentes sur le phénomène. Nous voulons notamment penser le débat du point de vue de l’impact du conflit interne sur la ville, plutôt que du côté de la protection et de l’assistance des victimes de ce fléau, comme cela a été le but de la Defensoría et le HCR.253 Avant de commencer l’analyse sur la consolidation des acteurs armés dans les villes étudiées et du phénomène du déplacement intra-urbain, il nous semble nécessaire de faire quelques observations sur le processus de migration et d’urbanisation de la Colombie. Cela fournira le contexte sur lequel se sont construites les villes colombiennes, ce qui permettra de mieux comprendre les phénomènes actuels de violence urbaine. Par la suite, nous allons analyser le cas de Medellín. Nous parlerons de la naissance et consolidation des acteurs armés illégaux, des actions de contrôle entamés par l’État pour le combattre et 252 Defensoría del Pueblo et UNHCR. 2004. Desplazamiento intraurbano como consecuencia del conflicto armado en las ciudades. Bogotá. 76p. 253 Au sujet de la protection et de l’assistance des victimes du déplacement intra-urbain, voir les recommandations de politique publique faites dans la publication de 2004 dans l’annexe G. 208 quelques aspects sur les incitatives de négociations entre l’État et les groupes armés illégaux. Après, nous réfléchirons au cas de la Comuna 13 comme épicentre du conflit national dans la ville et finalement nous parlerons des déplacements intra-urbains massifs et individuels. Plus loin, nous allons parler du cas de Barrancabermeja. D’abord nous analyserons son importance en tant que port pétrolier et capitale de la région du Magdalena Medio. Par la suite, nous observerons comment la ville a été un bastion des guérillas et des forces paramilitaires. Nous allons montrer aussi comment les organisations de la société civile se sont mobilisées pour faire face à la violence dans cette région. Finalement nous parlerons des cas de déplacement intra-urbain dans cette ville. Dans les conclusions de cette partie nous présenterons un tableau comparatif sur le deux villes qui permettra de regrouper et de visualiser de façon plus claire les aspects communs et les traits distinctifs du déplacement intra-urbain dans chacun des cas (tableau N° 6). Pour la construction de l’étude de cas de Medellín nous avons utilisé plusieurs sources d’information dont la plupart proviennent des organisations de promotion sociale et de défense de droits de l’homme. Pour l’examen des acteurs armés, nous avons utilisé notamment les analyses de 1998 et 2000 de Jaramillo, Ceballos et Martínez membres de la Corporación Región,254 et les analyses de l’IPC (Instituto Popular de Capacitación). Nous avons utilisé aussi les reportages de l’année 2002 du journal El Colombiano en relation au conflit urbain de Medellín (Vélez, Yarce, Montoya, Castaño) ainsi que quelques articles du journal El Tiempo. Pour le cas de la Comuna 13, nous avons utilisé notamment les rapports de la Defensoría del Pueblo-SAT (2002), de Liliana Franco et Hernando Roldán (s.d.), d’Amnistie Internationale (2005), de Restrepo (membre de l’IPC) (2005 a et b), et ceux de Noche y Niebla (2003).255 Tout au 254 La Corporación Región est une organisation sans but lucratif fondée en 1989. Elle a comme mission de promouvoir la paix, la démocratie, l' équité, l' inclusion, la reconnaissance de la diversité culturelle et le compromis avec l' environnement. Site Internet : http://www.region.org.co/ 255 En juillet 1996, la publication trimestrielle Noche y Niebla naît dans le cadre de la restructuration de la Banque de Données sur la Violence Politique, sous la direction du CINEP. Cette publication systématise l’information sur la violence politique et les droits de l’homme en Colombie dans quatre sections : violations des droits de l’homme, infractions au DIH, faits de violence politico-sociale et actions de guerre. De même, plus récemment, à travers du SIVEL (Système d' Information sur la Violence Politique en Ligne) la version web de cette base de données a été publiée. Site Internet : 209 long de cette partie nous faisons références, à plusieurs reprises, aux rapports de la Mairie de Medellín et notamment aux conclusions de la table ronde sur le déplacement intra-urbain réalisée à Medellín le 27 juin 2003. Pour la construction de l’étude de cas de Barrancabermeja nous avons utilisé le rapport d’Amnistie Internationale de 1999, les analyses du politologue Mauricio Romero (2002a-b, 2003), les recherches sur le phénomène paramilitaire dans le Magdalena Medio du chercheur irlandais Loingsigh (2002), les rapports de Noche y Niebla256 et notamment les rapports de la Viceprésidence de la République sur le Magdalena Medio et Barrancabermeja (2001, s.d.). Nous nous sommes aussi appuyés dans les documents de l' OPI (Observatorio de Paz Integral del Magdalena Medio) 257 , qui analyse et rend visible les activités et les problématiques de la région du Magdalena Medio y compris Barrancabermeja. Pour ceci, ils dissertent autour de quatre axes et sujets : Droits de l’Homme, Droit International Humanitaire, Développement Intégral et Culture de Paix. Chaque semestre, ils présentent un rapport sur les droits de l’homme dans la région et sur les alternatives de résolution du conflit entreprises par les mouvements et organisations de la société civile. La richesse de cette source d' information est située dans la variété d' institutions qui composent l' Observatoire : Le Diocèse de Barrancabermeja, L’Université de la Paix, La Defensoría del Pueblo del Magdalena Medio, la CREDHOS (Corporación Regional para la Defensa de los Derechos Humanos) et la CDPMM (La Corporación Desarrollo y Paz del Magdalena Medio). 1. Les villes colombiennes : migration et urbanisation Depuis la fin des années 1930, la Colombie a amorcé un mouvement de transition démographique. La population s’est multipliée par quatre en un demisiècle, passant de 8.9 millions d’habitants en 1938 à 36.7 millions en 1993. Sur cette période, la population rurale a presque doublé, mais ce sont les http://www.nocheyniebla.org/. 256 En 2004, Noche y Niebla a publié une édition spéciale sur la ville de Barrancabermeja. Barrancabermeja, la otra versión. Caso Tipo N° 3. Bogotá. 200 p. 257 Site Internet du Observatorio de Paz Integral : www.opi.org.co 210 agglomérations qui peuvent témoigner de la croissance la plus sensible. Ainsi, 31% de la population était urbaine en 1938. Et en 1993, la population urbaine représentait 69% (Gouëset et Mesclier 2004, p. 27). La croissance rapide des villes colombiennes est due en grande partie à l’exode rurale interne tout au long de la seconde moitié du XXe siècle. En effet, selon le recensement de 1993 et une enquête (Encuesta Continua de Hogares) menée en 2003 par le DANE (Departamento Administrativo Nacional),258 la migration colombienne est un phénomène qui peut être entièrement attribué à l' exode interne, puisque les flux migratoires externes ne représentent que 0.32% de la population totale du pays (DANE 2003, p. 5). En effet, à partir des années 1950, la Colombie a souffert un processus croissant d’exode rural lequel s’est intensifié au début des années 1970. À différence des autres pays d’Amérique Latine, en Colombie, la capitale (Bogotá) n’est pas la seule à recevoir cette population migrante. Les villes de Medellín, Cali et Barranquilla ont aussi profité de cet exode. De ce fait, le terme « quadricéphalie » est utilisé pour caractériser le réseau urbain colombien. La quantité de population de Bogotá ne se détache pas de façon radicale des autres grandes villes du pays. Ce réseau « s’appuie sur l’apparition d’un grand nombre de petites villes et sur la concentration de l’essentiel de la population urbaine dans des grandes villes, au détriment de moyennes, assez peu nombreuses » (Gouëset et Mesclier 2004, p. 20). Entre 1964 et 1973, Bogotá, Medellín, Cali et Barranquilla ont absorbé 40% du total des flux migratoires du pays (Rueda 1979 cité par Gouëset et Mesclier 2004, p. 47). Selon Gouëset et Mesclier, les causes de ces exodes sont : « [...] expulsion des populations de campagnes sous l’effet d’un surpeuplement relatif dû à la transition démographique et à la modernisation de l’agriculture, attraction de villes alors en plein essor, qui offraient des avantages sociaux et économiques de plus en plus évidents par rapport aux zones rurales. La Violencia, période de guerre civile qui a secoué la Colombie entre 1948 et 1953 (et ensuite de façon plus sporadique), a sans doute amplifié le mouvement, sans toutefois le déclencher ni en être le moteur principal (Gouëset, 1992, p. 57, Flórez, 2000, p. 67), contrairement à ce qui est parfois avancé en Colombie » (Gouëset et Mesclier 2004, p. 47). 258 Le DANE (Departamento Administrativo Nacional de Estadística) appartenant à la branche exécutive de l' État colombien est l' organisme responsable de la planification, du soulèvement, du traitement, de l' analyse et de la diffusion des statistiques officielles de la Colombie. Sa mission est de produire et de diffuser une information statistique stratégique pour la prise de décisions dans le développement économique et social du pays. Site Internet : http://www.dane.gov.co/ 211 Dans le même sens, l’historien nord-américain David Bushnell indique que le poids des migrants de La Violencia a été exagéré. Pour lui, l’augmentation de l’urbanisation a été une tendance générale dans toute l’Amérique Latine qui a obéi aux facteurs déjà mentionnés, notamment à l’absence de travail dans la campagne et l’attraction exercée par les zones urbaines (Bushnell 1996, p. 285). Néanmoins, d’après Dureau et Flórez, la croissance urbaine a été aussi alimentée par un accroissement naturel très élevé. Le rajeunissement de la population et l’arrivée de nombreuses femmes en ville en âge de procréer ont donné lieu à un taux de natalité élevé. En ajoutant la faiblesse de la mortalité infantile en ville, la croissance naturelle a pris progressivement la place à l’apport directe des population migrantes : « alors qu’entre 1951 et 1964, 37% de la croissance urbaine était imputable à l’immigration, cette proportion était tombée à 31% entre 1973 et 1985 » (Dureau et Flórez 1996 cité par Gouëset et Mesclier 2004, p. 46). De même, entre 1970 et 1980, il y a eu une diversification des directions de la migration. La migration d’origine urbaine (entre villes) a graduellement pris le pas sur le flux d’origine rurale (Gouëset et Mesclier 2004, p. 48). En synthèse, depuis les années 1950, il y a eu des changements profonds dans la configuration démographique colombienne. Entre 1951 et 1993, les villes ont absorbé les quatre cinquièmes de l’accroissement de la population. Le nombre de chefs-lieux (cabeceras) de plus de 15.000 habitants a quintuplé dans cette période passant de 35 à 179 (Gouëset et Mesclier 2004, p. 21-31). Ainsi, en un demi-siècle on est passé d’un pays rural à un pays urbain. Or, les villes colombiennes, à l’instar des autres villes de l’Amérique Latine, n’étaient pas préparées à une arrivée de migrants si massive. Elles ont reçu une population à un rythme supérieur de leurs possibilités d’accueil, ce qui a marqué la consolidation d’un processus chaotique et précaire d’urbanisation. Les villes ont été incapables de fournir des services publics adéquats à la population urbaine et l' industrie nationale était également incapable d’absorber cette main d' œuvre en augmentation (Bolívar et González s.d., p. 26). À cela on doit ajouter la tendance à la concentration de la richesse (de très profondes inégalités de revenus traversent la société) marquant les frontières entre quartiers favorisés et 212 défavorisés dans les différentes villes. De même, une bonne partie des logements de la population migrante a été construite dans des zones inadéquates, sans les mesures de prévention minimales face aux menaces naturelles comme les inondations, les avalanches ou les séismes. Plus loin, suite à l' ampleur du déplacement forcé par la violence à partir des années 1990, nous assistons à ce que quelques auteurs (notamment les chercheurs de l' Université d' Antioquia) ont appelé un « nouveau processus de colonisation urbaine ». À partir de ce moment là, les transformations économiques, sociales, culturelles et politiques qu' occasionne la présence des migrants dans la ville deviennent (à nouveau) évidentes. La ville ne dispose pas d’espaces adéquats ni suffisants pour recevoir toutes ces populations. De ce fait, ces personnes s’insèrent dans la ville au travers des stratégies basées, entre autres, sur l' auto-construction, l’invasion de terrains ou l' emploi informel. Ainsi, ces migrants s’installent dans des circonstances précaires, ayant des niveaux de qualité de vie très basses. Devant l’insuffisance de sol aménageable accessible, beaucoup de déplacés ont envahi les zones périphériques de la ville pour construire leurs logements, souvent dans des secteurs à haut risque. Ceci a donné lieu à une haute fragmentation de la terre et à la construction de logements dans de petits lots avec de hauts taux d’entassement. En outre, ces territoires présentent des insuffisances dans les services sociaux de base : assainissement, logement, éducation, santé, récréation et travail (Naranjo et Hurtado 2004, p. 11-12). Selon Gérard Martin, les grandes villes colombiennes « sont particulièrement sensibles aux phénomènes de délinquance, et de violence en général, et à l' implantation de nouveaux protagonistes armés, notamment la guérilla et les réseaux mafieux » (Martin 1997, p. 199). Il explique cela par le processus d’urbanisation rapide à partir des années 1950, lequel a été accompagné de phénomènes complexes de désorganisation sociale et d’un manque de cohésion sociale à cause d' origines régionales hétérogènes des migrants. Pour l’auteur, cette croissance démographique ne s' accompagne pas de formes d' encadrement institutionnel. Au contraire, les pratiques institutionnelles s’inscrivent dans la faiblesse historique de l’État, représenté par le clientélisme, la corruption et par l' extrême inefficacité de l' administration de justice. Ainsi, ces nouvelles sociétés 213 urbaines et rurales se construisent dans la précarité, ce qui facilite l’insertion de la délinquance et la consolidation des groupes armés illégaux (Martin 1997, p. 198-199). En outre, pour expliquer ces phénomènes de délinquance et de violence dans les villes colombiennes nous pouvons revenir aux conclusions des études d’Alejandro Portes et Bryan Roberts sur l’urbanisation en Amérique Latine, même s’ils n’étudient pas le cas colombien de manière spécifique.259 L’étude de 2004260 fournit une vision générale sur la manière dont la société urbaine a réagi aux occasions et aux restrictions introduites par l' adoption du modèle de développement néo-libéral. La recherche a avancé une série de hypothèses sur les liens entre les nouvelles politiques et l' évolution des systèmes de ville, le caractère du marché du travail urbain, les tendances concernant la pauvreté, l' inégalité, et le crime urbain. À propos de ces derniers, les auteurs concluent que l’augmentation soutenue de la délinquance et, particulièrement du vol dans toutes les villes principales d’Amérique Latine sont une réponse à la détérioration des occasions de marché du travail et aux niveaux élevés et continus de l' inégalité. Ces manifestations ont eu lieu quand l' ouverture des marchés a exposé la population urbaine aux styles de vie et aux occasions poussant à la consommation. Les classes riches y ont rapidement accédé, mais l’absence d' offres d' emploi pour les couches défavorisées a déclenché la recherche d’alternatives pour y arriver. Ainsi, l’économie informelle et l’emploi précaire ont été les alternatives choisies par plusieurs, mais d’autres ont opté pour l’expropriation de la richesse par la force et le crime (Portes et Roberts 2004, p. 18).261 259 Les auteurs ont développé du travail de terrain en six pays d’Amérique Latine : Argentine, Brésil, Chili, Mexique, Pérou et Uruguay. 260 PORTES, Alejandro ; ROBERTS, Bryan. 2004. The Free Market City : Latin American Urbanization in the Years of Neoliberal Adjustment. Princeton University and Bryan R. Roberts University of Texas – Austin. Texas. 34 p. [réf. du 2007-01-25]. Disponible sur Internet : http://www.prc.utexas.edu/urbancenter/documents/Free%20Market%20City%20text.pdf 261 Les auteurs insistent sur le fait que les traitements répressifs de la part de la Police n’arriveront pas à contrôler la situation si les causes structurelles du problème ne sont pas résolues. 214 C’est dans ce contexte des villes colombiennes que les acteurs armés d’envergure nationale se sont emparés de certaines zones et quartiers. L’absence et l’inefficacité de l’État pour résoudre les conflits entre les citoyens et la précarité des conditions de vie, permettent l’accès des personnes qu’imposent leur propres règles, non nécessairement de manière légitime mais par moyen de l’intimidation et de la force des armes. Nous analyserons ceci de manière plus concrète dans les études de cas. 2. La ville de Medellín La ville de Medellín, située dans le nord-ouest du pays, est la capitale du département d' Antioquia. Les espagnols dirigés par Francisco Campuzano 1616 le Lorenzo Herrera et fondé en ont village de d' Aburrá, San lieu originalement habité par les groupes indigènes Yamesíes, Niquías, Nutabes et Aburráes. Dans 1675, ils ont établi, quelques kilomètres plus au nord, Carte N° 5 : Medellín et Antioquia en Colombie. La superficie du département d’Antioquia est de 63.612 km2 et compte 5.601.507 habitants. Les limites du département au nord son la mer Caraïbe et les départements de Córdoba et Bolívar ; à l’est, les départements de Bolívar, Santander et Boyacá ; au sud, les départements de Caldas et Risaralda ; et à l’ouest, le département du Chocó (Censo General 2005b). la Villa de Nuestra Señora de la Candelaria de Medellín. En 1826 cette villa est considérée la capitale d' Antioquia, et enleva ainsi le titre à Santa Fé d' Antioquia. Depuis 1920 Medellín a été reconnue comme l’un des principaux centres industriels du pays (Site Internet Alcaldía de Medellín 2006). 215 La ville est limitée au nord par les municipios de Bello, Copacabana et San Jerónimo ; au sud par les municipios d’Envigado, Itagüí, La Estrella et El Retiro ; à l’est par les municipios de Guarne et Rionegro et à l' ouest par les municipios d’Angelópolis, Ebéjico et Heliconia. Medellín a une extension de 380,64 kilomètres carrés. Elle est située à une hauteur de 1.479 mètres audessus du niveau de la mer et sa température moyenne est de 24 degrés centigrades. Placée dans le centre de La Vallée d’Aburrá, la ville est traversée par la rivière Medellín de sud à nord. Selon le recensement général de population de l’année 2005, la Vallée loge une aire métropolitaine262 de 3.312.165 habitants. Après Bogotá, elle est la seconde agglomération urbaine de la Colombie (Censo General 2005b). Photo N° 1 : Vue panoramique de Medellín. Source : Frieden – Fragen. Disponible su Internet: http://www.frieden-fragen.de/images/10172.jpg Medellín compte 2.223.660 habitants, dont 2.187.356 dans le chef lieu (cabecera), c' est-à-dire que le 98.3% de la population habite la zone urbaine. 262 L’aire métropolitaine est l’organisme administratif formé par un ensemble de deux ou plus municipios intégrés autour d' un municipio noyau. Les municipios qui la conforment sont liés par des étroites relations d' ordre physique, économique et sociale. Pour la programmation et la coordination de leur développement et pour la prestation rationnelle de services publics, l’aire métropolitaine demande une administration coordonnée (Article 1, Loi 128 de 1994). L’Aire Métropolitaine de la Vallée d' Aburrá, selon le décret 34 de 1980, est composé par les municipios de Medellín, Barbosa, Bello, Caldas, Copacabana, Envigado, Girardota, Itagui, La Estrella et Sabaneta (Censo General 2005b). 217 Administrativement, la ville de Medellín comprend 6 zones urbaines,263 lesquelles se divisent en 16 comunas,264 et 249 quartiers (barrios).265 Voir dans l’annexe H le tableau sur la division de la zone urbaine de Medellín par comunas et quartiers. Carte N° 6 : Division administrative de Medellin. Source : Alcaldía de Medellín. 2005. Medellín en cifras 2005. Medellín. [réf. du 2006-11-14]. Disponible sur Internet : http://www.medellin.gov.co/alcaldia/jsp/modulos/ N_admon//obj/pdf/Medellin%20en%20cifras%202 005.pdf?idPagina=845 263 La zone est une division du secteur urbain conformée par des communautés dont la population appartient à différentes catégories socio-économiques (Alcaldía de Medellín 2000). 264 Les comunas sont les divisions des zones, conformées par des quartiers dont la population appartient à une catégorie socio-économique semblable (Alcaldía de Medellín 2000). 265 Le quartier est la plus petite division territoriale du secteur urbain dont la population appartient à une catégorie socio-économique semblable et prédomine l' utilisation résidentielle du sol (Alcaldía de Medellín 2000). 218 La zone rurale compte 5 hameaux (corregimientos)266 : Palmitas, San Cristóbal, Altavista, San Antonio de Prado et Santa Elena. La population rurale de Medellín est de 36.304 habitants selon le recensement général de 2005 (Censo General 2005b). Voir dans l’annexe le profil de la ville de Medellín selon le recensement général de 2005. Pour faire un tour d’horizon général des conditions de vie actuelles des habitants de Medellín, nous pouvons nous appuyer sur les données de satisfaction des besoins essentiels, logement, travail, éducation et espace public du Plan du Développement de Medellín 2004 - 2007. Les chiffres présentés se basent sur des données de l’année 2003 fournies par l’Observatorio de la Juventud de Medellín (Metrojuventud), le Secrétariat de Solidarité du DANE, la Veeduría del Plan de Desarrollo 1998-2002 (Jurande du Plan de Développement), le Centre d’Études d’Opinion de l’Université d’Antioquia, et la Personería de Medellín. La ville possédait à l’époque (juin 2003) 2.049.127 personnes et 491.380 familles. Besoins essentiels non satisfaits : 16% des habitants de Medellín ont leurs besoins essentiels non satisfaits, ce qui les situe sous la ligne de pauvreté. 80% des revenus des familles est investi dans l’alimentation, cependant 38.74% des mineurs scolarisés entre cinq et quatorze années des strates socioéconomiques 1, 2 et 3, présentent des signes de malnutrition (Alcaldía de Medellín 2004, p. 57). Le logement : 9.9 % des familles habitant à Medellín n’ont pas de logement dont 95% se concentrent dans le secteur urbain avec un poids plus élevé dans la zone du nord (48%) et dans le centre (39%). De même 25.000 logements sont situés dans des zones de risque, ce qui affecte 6.61% de familles. Le déficit qualitatif est représenté dans 34.000 logements sans un des services de base, 50.000 ont des insuffisances en infrastructure et 38.539 présentent un entassement critique (Alcaldía de Medellín 2004, p. 98). 266 Le hameau (corregimiento) est le territoire situé dans le secteur rural avec une population entre 5.000 et 20.000 habitants. Le hameau dispose d' un noyau central dans lequel se développe un processus d' urbanisation (Alcaldía de Medellín 2000). 219 Le travail : 18.9% de familles habitant à Medellín touchent moins d' un salaire minimum, 35.9% jusqu' à deux et 23.9% entre deux et trois.267 Le Plan de Développement 2004 - 2007 indique que les revenus se concentrent dans des secteurs minoritaires, tandis que de grands secteurs de la population s' appauvrissent. La comuna d’un plus grand revenu par habitant, perçoit cinq fois plus que les comunas de plus petits revenus par habitant. En outre, avec la chute de l’industrie enregistrée en Antioquia depuis le début des années quatre-vingt, le taux de chômage a augmenté. Les bas niveaux de croissance économique et la capacité limitée de produire emploi de bonne qualité, ont stimulé l' économie informelle comme une forme alternative de subsistance ou de réduction de coûts.268 Depuis les années quatre-vingt, le travail informel a augmenté considérablement. En 2003, de chaque 100 personnes occupées 62 travaillaient dans des travails informels.269 Dans le premier trimestre de 2001, les taux de chômage ont dépassé 20%, tandis que dans le dernier trimestre de 2004 il a été de 13.5%. Les femmes et les jeunes sont les plus touchés par le chômage. Pour le premier groupe, le taux de chômage dépasse le 50% et pour les jeunes il se situe entre 35% et 40% (Alcaldía de Medellín 2004, p. 130-133). L’éducation : même si l' offre d' éducation de base à la population entre 7 à 15 années est totale, il existe de grands insuffisances de qualité ce qui se reflète dans les bas niveaux atteints par les étudiants de Medellín dans les examens de l' État. De même, il existe de hauts taux de redoublement dans les premiers degrés de l’éducation primaire par des problèmes de santé et de nutrition des enfants. Il existe aussi une insuffisance dans les processus 267 Le salaire minimum en Colombie pour l’année 2006 est de $408.000 pesos, c’est à dire 141 euros par mois (Decreto 4686 de 2005). 268 Selon Portes et Shauffler le debat sur comment traiter et mesurer l’économie informelle est centré sur la façon de définir le concept. D’abord, on peut la voir comme un ensemble d' activités marginales de survie des pauvres urbains et comme tel une manifestation de sous-développement. D’autre part elle a été définie comme la rébellion du marché libre contre le règlement oppressif de l’État, et en troisième lieu, comme des activités non régulées, intégrées mais subordonnées aux économies modernes (Portes et Shauffler 1992, p. 32-33) 269 Selon la Mairie de Medellín, les travailleurs informels sont ceux qui travaillent comme : travailleur familial sans rémunération ; travailleurs domestiques ; les ouvriers et les employés particuliers ; ceux qui travaillent pour leur propre compte et, les patrons et les personnes employés dans de micro-entreprises. Généralement ces personnes ne sont pas couvertes par la sécurité sociale et ne reçoivent pas de prestations sociales (Alcaldía de Medellín 2004, p. 133). 220 d’enseignement et d’apprentissage ce qui se constate par les hauts niveaux de redoublement du sixième degré. L’absentéisme est présenté surtout dans l’éducation secondaire avec un niveau de 7.6% dans le secteur urbain. Il y a de même un accès limité à l' éducation supérieure : 31.2% des bacheliers d' Antioquia ne sont pas admis dans les établissements d' éducation supérieurs (Alcaldía de Medellín 2004, p. 50-53). De même, le Plan du Développement 2004 - 2007 indique que l' inégalité dans la distribution de la richesse est aussi exprimée par les niveaux de scolarité dans les différentes couches sociales. Pour l' année 2000, parmi les 10% de la population les plus pauvre de la ville, seulement 1.2% de la population avait des espoirs de finir le baccalauréat et de commencer une carrière universitaire, en revanche, pour les 10% les plus riches, cet espoir était évalué à 29% des personnes (Alcaldía de Medellín 2004, p. 7). L’espace public : il existe un indice critique d' espace public de 2.23 m² par habitant dans la zone du nord-est, tandis que la moyenne urbaine est 4.01 m² par habitant (Alcaldía de Medellín 2004, p. 99). Finalement, un autre élément important dans ce regard sur la ville de Medellín est le grand flux de déplacés qui perçoit constantement la ville. Selon le SUR, Antioquia est le département de la Colombie que reçoit le plus de population déplacée. Entre 2000 et 2005 il a reçu 252.234 personnes, c' est-àdire 14.95% du total des personnes déplacées dans le pays selon les statistiques officielles (RSS 1995 – 2006c). Également, Medellín est la seconde ville réceptrice de déplacés après Bogotá (4.57% du total des déplacés dans le pays) (RSS 1995 – 2006d). Ce flux migrateur vers la ville a un impact négatif sur la planification urbaine : il fait augmenter la pression sur le sol urbain, il affecte la prestation de services sociaux et les conditions de logement (Naranjo et Hurtado 2004, p. 6).270 270 Le chiffre peut être plus large si on prend les données de la CODHES ou de la Personería de Medellín. Selon la Personería seulement entre l’année 2000 et le mois d’août 2006 ils ont rendu déclaration dans ses bureaux 103.273 personnes en tant que déplacés. Ces personnes se sont situées notamment dans le municipio de Bello et dans les quartiers Santo Domingo Sabio, Manrique, Moravia, Robledo, Popular, Enciso, Buenos Aires et Castilla de Medellín. Du total de personnes registrées dans cet organisme le 85% n' a pas d' intentions de retourner au lieu d' origine (Personería de Medellín 2006b, p. 23 - 24). 221 En outre, selon les conclusions de la table ronde effectuée à Medellín sur le déplacement intra-urbain, des chercheurs et des fonctionnaires de l’État signalent que ce flux migrateur a stimulé à son tour l' arrivée d’acteurs armés en ville. De ce fait, les zones d’emplacement des déplacés sont des secteurs vulnérables à la stigmatisation et à la ségrégation sociale, étant donné que les déplacés sont vus comme agents générateurs de conflits (Table ronde Medellín, 27 juin 2003).271 En même temps, Antioquia est le département de la Colombie avec un plus grand nombre de paramilitaires réinsérés. Selon les données de la Mairie de Medellín de 31.637272 paramilitaires démobilisés en Colombie, le 34,2% (10.844), sont situés à Antioquia, et le 13% (4.130) à Medellín (Alcaldía de Medellín - Programa de Paz y Reconciliación 2006, p. 5). Cette situation a contribué à engendrer la stigmatisation des habitants des secteurs où ces personnes se sont installées. 3. La violence à Medellín : inégalité et fragmentation par zones Depuis les années 1950, à l’instar d’autres pays en Amérique Latine, la croissance urbaine de Medellín due aux flux migratoires de la campagne à la ville n’a pas été accompagnée d’une amélioration de la qualité de vie des habitants. L’exode rural a eu comme conséquence le peuplement de zones de haut risque géologique et une forte détérioration des espaces publics de la ville, notamment dans les zones du nord. Par la suite, l' économie informelle a augmenté, à cause de l' incapacité de l' État de donner des possibilités d' inclusion économiques à cette population (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 33-36). Selon Urán et Arenas, à partir des années cinquante, dans les comunas du nord, s’affirme une nouvelle culture populaire urbaine, avec des mœurs et des coutumes différentes des habitants installés de l’ancien village de Medellín. Cette nouvelle culture est produite des migrations et de l’agglomération non planifiée, qui rencontre sa voie principale d’expression, à travers l’informalité et le marginalisme (Urán et Arenas 271 À ce propos voir l’article de Marta Inés Villa, El desplazamiento forzado en Medellín : del fenómeno del desplazamiento a la construcción social del desplazado, indiqué dans la bibliographie. 272 Dans la deuxième partie de cette étude nous avions mentionné que les négociations ont donné comme résultat la démobilisation de 31.671 personnes entre 2002 et le mois d’août de 2006 selon les données du site Internet du Bureau du Haut Commissariat de Paix. Néanmoins les données de la Mairie présentées dans cette partie datent de 2005. De ce fait, l’écart de 34 personnes entre les deux chiffres présentés. 222 1995, p. 10).273 On observe aussi une grande inégalité dans la distribution de la richesse parmi les différentes zones de la ville. Cette inégalité a consolidé deux façons de construire et se représenter la ville : une ville planifiée, avec des services publics, réflexe de sécurité ; une autre ville marginale, spontanée et précaire. À partir des années 1980, avec l’essor du narcotrafic en Colombie, cette ville marginale est nommée par les colombiens et par les médias comme « La ville des comunas » (même si tous les habitants résident dans une comuna étant donnée la division administrative de la ville) en faisant allusion aux zones du nord et parfois aux quartiers défavorisés des zones du centre de la ville.274 Or, la distinction entre une ville planifiée et une autre marginale a été remarquée à plusieurs reprises comme moyen d’expliquer la violence urbaine par les médias et les chercheurs en sciences sociales. Les comunas de nord apparaissent comme l’expression des quartiers pauvres et marginaux soumis au pouvoir du narcotrafic, des toxicodépendants, de la criminalité, de la violence, des gamins tueurs utilisés par les mafias de la drogue.275 Selon la sociologue Uribe dans les territoires des migrants, il y a d’autres pouvoirs, une autre notion d’identité, d’autres sens d’appartenance. Pour l’auteur, c’est le pays « des autres », les différents, qui finalement se confondent avec le territoire des délinquants et des ennemis internes (Uribe 1990, p. 130).276 Il est courant 273 À propos des conséquences des migrations sur la ville de Medellín dans les années 1950 et 1960, et par la suite des migrations depuis les années 1990 voir le livre de Jaramillo, Villa, et Sánchez « Miedo y desplazamiento : experiencias y percepciones ». 274 Pour l’année 1989, époque de l’essor du narcotrafic dans la ville, dans la zone du nord-est le 74% de la population vivait dans l’extrême pauvreté (habitants de la strate 1 et 2) et le 26% appartenait à la strate 4 (moyen-moyen) (Naranjo 1992, p. 20). Dans la zone nord-ouest le 43% des habitants étaient de la strate 3 (moyen-bas), 42% de la strate 2 (bas), 5% de la strate 1 (bas-bas) et 5% de la strate 4 (moyen-moyen) (Naranjo 1992, p. 58). 275 Pour le cas de la France dans les années 1990 « Lorsque le mot de violence urbaine a fait son entrée dans le débat public, c’était en lien avec ces deux référents principaux que sont les banlieues en tant que lieu de vie socialement défini par la pauvreté et la crise ; et les enfants de l’immigration en tant que population à problème (Peralva et Macé 2002, p. 17). 276 La théorie sociologique américaine, notamment Merton, a donné une explication à la criminalité en l’associant au mouvement migrateur. Ainsi, le processus rapide d’industrialisation et d’urbanisation a provoqué de grands mouvements migrateurs et, par la suite, dans les nouveaux lieux de concentration des migrants, la criminalité a été vue comme une réaction à la dissociation entre les aspirations sociales et les alternatives légitimes de conquête personnelle, inaccessibles pour les pauvres désorganisés. Donc, 223 d’entendre que le stigmate de violents qui retombe sur les jeunes des comunas du nord leur empêche de trouver un emploi et des options socio-économiques pour leur développement personnel (Naranjo 1992, p. 186). En effet, cette vision d’une ville divisée (discours nord-sud) est aussi utilisée par les habitants du nord pour faire leurs réclamations auprès de l’État. Néanmoins, les habitants de ces quartiers veulent indiquer que même si la violence est une réalité dans leurs quartiers, il existe aussi des expressions très fortes de solidarité et de culture de paix (Ortiz 1991, p. 70).277 D’après Ceballos la zone des comunas du nord a été fortement stigmatisée, même avant l’essor du narcotrafic : « [...] pour des raisons politiques dues au fait qu’elle a logé des quartiers de tradition « gaitanista » et ensuite des quartiers d' invasion qui, dans leurs luttes, parfois très violentes, ont mis en évidence l' influence du mouvement de gauche. Elle a été aussi stigmatisée pour être le siège de lieux de prostitution reconnus, combattus par la morale publique comme épicentres de dérèglement et par les autorités comme refuge de délinquants. Elle a aussi été stigmatisée socialement parce qu' elle a été choisie comme emplacement de relogement de gens provenant d' autres lieux de la ville. En outre, il s’ajoute dans les années 1980, une stigmatisation encore plus élevée : elle est accusée d’être un “lieu de provision des sicarios” selon l' expression révélatrice d' un milicien » (Ceballos 2000, p. 390). 278 À l’instar du terme « favela » au Brésil, à partir de 1980, le terme « comunas » devient un terme péjoratif donné aux quartiers situés sur les collines de Medellín, pour indiquer leurs rapports au narcotrafic et à la violence engendrée par celui-ci, dans cette théorie, il existe une relation causale entre pauvreté, marginalité et crime (Zaluar 1999b, p. 63 - 64). 277 Selon María Teresa Uribe les comunas du nord ont été prises en considération par l’État seulement quand le conflit a explosé sous forme de violence généralisée, en mettant en danger toute la société (Uribe 1990). 278 Traduit par nous de : « [...] por razones políticas debido a que albergó barrios de tradición gaitanista y luego barrios de invasión en cuyas luchas, a veces cruentas, se puso de manifiesto la influencia de los movimientos de izquierda ; fue estigmatizada además por ser sede de reconocidos lugares de prostitución, combatidos por la moral pública como epicentros de perdición y por las autoridades como refugio de delincuentes ; fue estigmatizada también socialmente porque se la escogió como sitio de reubicación de gentes desalojadas de otros lugares de la ciudad. A todo ellos se le sumará en los ochenta, un explosivo de estigma : el ser “una despensa de sicarios” según la reveladora expresión de un miliciano ». 224 comme si le phénomène du trafic de drogues et la commission des actions violentes étaient exclusivement une affaire de ces quartiers.279 En effet, la violence déclenchée par le narcotrafic a touché toutes les couches de population de Medellín. Elle a affecté les zones les plus exclusives de Medellín comme celle de la Comuna 14 (Poblado). D’une part, les jeunes issus des classes favorisées se sont insérés dans le marché de la drogue et le blanchiment de dollars, avec les implications sur la violence que cette affaire illégale a engendrée (par exemple l’utilisation des services des sicarios dont nous avons parlé dans la partie précédente). De même, les quartiers exclusifs de la ville ont été à la fois lieu de résidence des plus puissants narcotrafiquants et lieu privilégié pour l’organisation d’attentats terroristes (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 59).280 Selon Daniel Pécaut et Gonzalo Sánchez, la violence en Colombie établit une interaction entre tous les secteurs sociaux, étant donné que personne ne peut y échapper. De ce fait, c’est un processus impliquant que les habitants appartiennent au même monde (Pécaut et Sánchez 1989, p. 6). Toutefois, on ne peut pas nier que la violence s’est emparée d’une manière plus notoire des quartiers défavorisés de la ville. D’après l' PC (Instituto Popular de Capacitación) tant les homicides que la présence d' acteurs armés dans la ville sont plus fréquents là où il y a des limitations en espaces publics, des taux de chômage élevés, des déficit de logement, des difficultés pour l' accès à la justice formelle, une plus grande pauvreté et l’absence de programmes éducatifs de qualité (Jiménez 2002) (voir les homicides par zone à Medellín dans le tableau N° 3 de cette étude). Or, le narcotrafic n’a pas été le seul à engendrer la violence en ville. Dès les années 1980, on connaît la présence dans la ville des milices et guérillas et 279 Pour le cas du Brésil (notamment Rio de Janeiro) les travaux de la sociologue brésilienne Licia Valladares insistent sur les problèmes qu’engendre la pensée d’une ville divisée en deux, promue notamment par les médias. Cette vision contribue à homogénéiser les favelas et « [...] ne fait que promouvoir une esthétique de la pauvreté marquée par une vie réduite à la samba et à un quotidien de violence mêlé à la drogue et à l’amour » (Valladares 2000, p. 62). Au contraire, selon les conclusions du livre de Valladares La favela d’un siècle à l’autre, les favelas sont le lieu par excellence de l’hétérogénéité « [...] le lieu d’une véritable dynamique sociale, qu’elles étaient composées d’individus qui, loin d’être marginaux, participent activement au système économique, politique et social, même si cette participation restait partielle et possédait ses caractères propres » (Valladares 2006, p. 7). 280 Par exemple les attentats du centre commercial le Trésor et celui du Parc Lleras. 225 depuis 1997 des paramilitaires. À partir de 1998 la principale action des groupes armés a été la lutte territoriale entre les milices des FARC-EP et de l' ELN, avec les paramilitaires. En même temps chaque organisation entretenait des relations de coopération ou d’antagonisme avec les différentes bandes de délinquance qui agissaient en ville. Les combats directs et les meurtres sélectifs ont soumis la population civile à un haut degré de risque.281 Selon le général Montoya,282 pour l’année 2002, les zones critiques du conflit armé à Medellín étaient les parties hautes de la zone nord-est et de la zone nord-ouest (notamment les quartiers de Robledo, Santo Domingo Sabio, Popular 1 et 2), certains quartiers de la zone centre-est, et dans la zone centreouest les quartiers de Belencito, Veinte de Julio et las Independencias de la Comuna 13 (Montoya 2002). Il est évident que l’emprise sur ces quartiers est fondamentale pour les acteurs armés. Dans un premier moment leurs voies de communication ont facilité la consolidation du trafic de drogues et le trafic d' armes dans la ville. En même temps, la partie plus haute des zones du nord, permet aux acteurs du conflit de faire leurs incursions en ville mais aussi de se replier facilement dans la zone rurale. La ville offre des facilités d’accès vers la côte atlantique, le Magdalena Medio et les rivières Atrato, Cauca et Magdalena, et des routes vers la zone cafetière et le centre du pays. D’après le sociologue Pardo « [...] il ne s' agit pas de garçons qui se tuent simplement pour revendiquer les droits de leurs communautés. C' est un conflit qui s' incorpore au cadre national » (Pardo 2002 cité par Yarce 2002b).283 Le Plan de Développement 2004 - 2007 du maire Sergio Fajardo reconnaît comme un des éléments de la crise de gouvernabilité de Medellín le contrôle d' importantes zones du territoire urbain par des acteurs armés illégaux et la confrontation armée entre les différentes organisations criminelles (Alcaldía de Medellín 2004, p. 6). Le chiffre d’homicides dans la ville, bien qu’inférieur à celui 281 Pour la compréhension du risque de la population dans le conflit urbain voir l’article de Naranjo et Hurtado 2004 indiqué dans la bibliographie. 282 Mario Montoya est l’actuel comandant de l’Armée. 283 Traduit par nous de : « [...] no se trata de muchachos que se están matando simplemente por reivindicar los derechos de sus comunidades. Es un conflicto que se incorpora al ámbito nacional ». 226 présenté dans la décennie 1990, est encore très élevé. Le plus grand nombre d' homicides se concentre dans les zones du nord et dans la zone centre-est, et affectent notamment les hommes entre 15 et 29 ans (Alcaldía de Medellín 2004, p. 21-24). 284 Le tableau suivant montre l' évolution des homicides dans les six zones de Medellín depuis 1992 jusqu’au 31 octobre 2003. Les chiffres jusqu’en 1999 appartiennent à la base de données de l’IPC (Instituto Popular de Capacitación) ; les données de 2000 et 2001 sont registres de DECYPOL (Departamento de Estudios Criminológicos e Identificación) ; les chiffres de 2002 et 2003, sont présentés par la Police Métropolitaine de Medellín. Les chiffres n’incluent pas les homicides dans les zones rurales de Medellín (hameaux) ni les homicides sans zone déterminée. Homicides à Medellín par zone depuis 1992 jusqu’au 31 octobre 2003. Année Centre- Nord- Nord- Centre- Sud- Sud- est est ouest ouest ouest est 1992 1793 1672 1122 445 707 152 1993 1891 1425 1097 423 557 133 1994 1716 1124 1066 410 365 151 1995 1505 962 824 439 336 91 1996 1207 952 798 397 128 372 1997 973 1026 702 369 114 384 1998 764 900 598 325 255 45 1999 824 989 637 368 272 46 2000 735 1024 632 325 276 59 2001 812 1111 587 450 298 70 2002 768 1031 636 653 289 73 2003 380 480 268 167 116 24 Tableau N° 3 : Homicides à Medellín par zone depuis 1992 jusqu’au 31 octobre 2003. Source : IPC, DECYPOL, PMM. Extrait de : IPC INSTITUTO POPULAR DE CAPACITACIÓN. 2004. Situación de violencia y conflicto urbano en Medellín y el Valle de Aburrá 2003. Medellín. [réf. du 2006-11-06]. Disponible sur Internet : http://www.ipc.org.co/page/index.php?option=com_content&task=view&id =532&Itemid=375 284 L’homicide de jeunes du sexe masculin a été toujours surreprésenté dans les chiffres d’homicide en Colombie. Cette situation se présente aussi dans le cas du Brésil. Entre 1981 et 1991, il y a eu une augmentation du nombre de meurtres violents, dont les hommes entre 14 et 29 années, étaient représentés entre 8 et 12 fois plus que le femmes (Zaluar 1999b, p. 60). 227 À partir de ces données nous avons élaboré le graphique suivant pour montrer de façon plus claire le phénomène : Homicides à Medellín par Zone 2000 1800 1600 1400 Centre-est Nord-est Nord-ouest 1200 1000 Centre-ouest Sud-ouest Sud-est 800 600 400 200 0 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003* Graphique N° 4 : Homicides à Medellín par zone depuis 1992 jusqu’au 31 octobre 2003. Sans méconnaître que la violence a eu lieu dans tous les lieux de la ville de Medellín et que ses responsables et victimes se trouvent parmi toutes les couches de population, on fera référence explicite à la violence des quartiers du nord et quelques quartiers du centre (notamment dans la Comuna 13), étant donné que c’est là où nous avons trouvé les cas plus représentatifs des déplacement intra-urbain dans la ville.285 En effet, selon les conclusions de la table ronde de Medellín sur le sujet, le déplacement intra-urbain se produit plutôt dans les : Zones marginales où les habitants ont les besoins essentiels non satisfaits. Zones où il a une absence de planification urbaine. 285 La Personería de Medellín a établi que 47 quartiers de Medellín ont été affectés par le déplacement forcé intra-urbain, en affectant notamment les habitants des strates 1 et 2 (IPC 2006g). 228 Zones de conflit territorial par les acteurs armés illégaux où l’État n’est pas médiateur des conflits. Zones qui, par leur topographie, sont de contrôle territorial difficile, et qui donnent aux acteurs armés un refuge facile dans les zones urbaines. Zones où il existe une culture de l’argent rapide. Zones avec un indice de criminalité élevé. Zones où les grands projets de modernisation de la ville sont en marche. Toutefois, il a été reconnu que ce phénomène se développe aussi dans toutes les comunas et de ce fait, la ville ne constitue plus un lieu de refuge (voir le graphique N° 9 sur le déplacement par comunas) (Table ronde Medellín, 27 juin 2003). 3.1 Les bandes et autres groupes armés illégaux à Medellín : le pouvoir des armes dans les quartiers défavorisés À Medellín, à partir des années 1980, il y a eu toute une gamme de bandes de délinquance, bandes liées au narcotrafic et une multiplicité d’acteurs qui ont pris les armes pour la défense de leurs comunas et quartiers d’habitation. Néanmoins, selon l’analyse de Ramiro Ceballos, les bandes de délinquants existent à Medellín depuis les années 1960. À cette époque, elles ont entamé des actions de petite taille et ne comptaient pas sur une spécialisation des activités ni une structure corporative très forte. Elles se caractérisaient par les actions individuelles de certains de leurs membres et de ce fait elles ne sont pas arrivées à représenter un problème d' ordre public pour la ville (Ceballos 2000, p. 387). Néanmoins, la prolifération d’acteurs armés illégaux dans la ville est marquée par l’essor du trafic de drogues à partir des années 1980. En effet, le processus de consolidation de bandes dans la ville a été nourri par le flux d' argent et d' armes provenant du trafic de drogues. Ainsi, la ville est inondée par tout type d' organisations criminelles : les galladas, les bandes de tueurs à gages directement liées au Cartel de Medellín, les groupes de personnes qui se consacrent à prêter des services comme intermédiaires entre les chefs du trafic de drogues et les sicarios (oficinas), bandes de délinquance indépendantes du 229 narcotrafic, une multiplicité de bandes de petite taille appelées chichipatos dédiées au vol et à l’attaque dans les rues de leurs quartiers d’origine, des groupes armés appelés combos et aussi des groupes qui prêtaient des services de vigilance aux différents comunas et quartiers (Ceballos 2000, p. 388). Bien que les actions de tous ces groupes se ressemblent et qu’il soit difficile de marquer la différence entre les uns et les autres, nous allons montrer comment ces groupes ont été définis par les chercheurs de la Corporación Región. Nous cherchons à rendre visible la complexité et la quantité alarmante de groupes en armes qui opèrent tous dans la même ville. Sans doute, les termes pour identifier les différents groupes ont été utilisés de manière indistincte par les journalistes, les chercheurs, les représentants du gouvernement national et local, voire par la communauté touchée par leurs actions violentes. Néanmoins, les jeunes qui composent les différents groupes marquent un grand écart entre leurs actions et celles de leurs opposants. De ce fait, en suivant l’analyse proposée en 1998 par Jaramillo, Ceballos et Martínez dans le livre « En la encrucijada : conflicto y cultura política en el Medellín de los noventa » et l’article de l’année 2000 écrit par Ceballos sur la violence récente à Medellín et ses acteurs, nous allons montrer les caractéristiques plus représentatives des acteurs mentionnés ci-dessus. L’exercice de différentiation que nous allons proposer a été fait dans un but académique et en cherchant la clarté dans l’exposition de cette recherche. Néanmoins, nous insistons sur le fait que, dans la réalité, il est très difficile de marquer les séparations entre les acteurs. Pour cette raison, il est aussi difficile d’établir une chronologie précise sur l’apparition des différents groupes. Les galladas : D’après Ceballos, à la fin des années 1970, les bandes de jeunes ou galladas se sont consolidées dans la ville comme une réponse à la marginalisation sociale, le chômage, les conditions précaires du logement populaire, entre autres conditions des comunas marginales, dont nous avons parlé dans la section antérieure. Ces bandes étaient plutôt associées aux demandes de promotion sociale qu’à des activités délictueuses. Néanmoins elles ont été liées à la commission des vols et à la consommation de marijuana comme moyen de socialisation. Par la suite, dans les années 1980, face à l’essor 230 du narcotrafic dans le pays et notamment à Medellín, ces bandes se sont facilement insérées avec le négoce de la drogue, ce qui a augmenté la consommation de drogues entres leurs membres et le nombre d’homicides dans la ville (Ceballos 2000, p. 387-388). Les bandes de délinquants durs : Ces bandes se sont consolidées comme des structures armées dans la ville, lesquelles effectuaient des activités de délinquance de grand niveau, mais loin des quartiers de résidence de leurs membres. De ce fait, elles ont atteint des hauts niveaux de légitimité au sein de la communauté ce qui leur a conféré un important statut symbolique face aux autres groupes délinquants qui effectuaient des opérations dans les quartiers. Elles fonctionnaient comme des réseaux d' amis ou des familiers avec des liens avec les organismes de sécurité de l' État. Leurs membres se rassemblaient pour effectuer des actions ponctuelles. En général, ils ne consommaient pas de drogue et évitaient les liens avec le narcotrafic et le Cartel de Medellín (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 71-72).286 Les chichipatos : Les chichipatos sont des bandes de petite taille dédiées au vol de résidences et de véhicules et à l’assaut dans les quartiers d’origine de leurs membres. Leurs activités sont liées à la consommation de la base de coca (bazuco). De ce fait, elles ne disposent pas de l' appui des habitants. En effet, le nom chichipato indique un caractère péjoratif envers ces organisations (Ceballos 2000, p. 388). Les bandes du narcotrafic et les bandes de tueurs à gages : étant donnée leur relation directe avec le trafic de drogues, nous avons donné une description détaillée des bandes de tueurs à gages dans la section 3.2 de la deuxième partie de cette étude. En particulier, dans le département d’Antioquia, la crise économique des années 1980, notamment de l' industrie textile, l' industrie minière et le commerce ont facilité l' entrée du Cartel de Medellín. De ce fait, il y a eu une prolifération de bandes de tueurs à gages à Medellín, lesquelles étaient sous la commande des plus puissants narcotrafiquants, notamment Pablo Escobar. Parmi les principales bandes liées au Cartel, on trouve: Los Priscos, El Viejo, Los 286 Voir le livre de Diego Bedoya et Julio Jaramillo. 1991. De la barra a la banda. Medellín : El propio bolsillo, 150 p. 231 Capuchos, La Ramada, La Quica, Los Mecatos, La 91, El Loco Uribe, Los Enanos, Los Magníficos et Los Nachos (Yarce 2002a). Selon Gérard Martin, les chefs du narcotrafic définissent les coups à porter, mais les basses besognes sont déléguées vers le bas : dans ce cas, vers les bandes de sicarios chargés d' exécuter les homicides, les prises d' otages, les vols, etc. Pour l’auteur « cette délégation relève, bien entendu, d' une compartimentation commandée par des impératifs de sécurité, mais aussi d' un souci des chefs à ne pas être personnellement impliqués dans les basses besognes et donc de garder les mains (plus) propres » (Martin 1997, p. 231). Les bandes de tueurs à gages et toutes celles associées au narcotrafic ont opéré notamment dans les comunas du nord de la ville et dans les municipios des alentours comme celle d’Envigado, La Estrella et Bello. Selon le Bureau de Planification de Medellín, c’est parmi les quartiers de la strate trois (moyen) où se sont consolidées les bandes les plus puissantes : les Priscos dans la Comuna 4 (Aranjuez) de la zone nord-est et La Ramada dans les quartiers du municipio de Bello (Ortiz 1991, p. 69).287 Ce phénomène a été tellement marqué à Medellín, que les jeunes des bandes ont créé un nouveau dialecte connu comme el parlache. Selon Henao et Naranjo, el parlache est le produit des transformations de la ville de Medellín à partir de 1980, quand les comunas du nord-est et du nord-ouest ont été stigmatisées par les effets violents du trafic de drogue. Dans ce nouveau dialecte, les personnes exclues construisent de nouveaux codes, liés à la violence et au besoin de dissimuler les informations. Ce dialecte a été défini comme « [...] un dialecte social qui apparaît et se développe dans les secteurs populaires de Medellín comme une des réponses que les groupes sociaux qui se perçoivent exclus de l' éducation, du travail et de la culture, donnent aux autres 287 Selon le philosophe Estanislao Zuleta : « [...] la violence ne résulte pas directement de la misère, mais plutôt de l' injustice, de l' absence ou l' insuffisance de l' État. La perte de confiance en la loi comme espace pour dissoudre les conflits coïncide avec l' effondrement d' une éthique du travail et le mérite, et son remplacement par l' enrichissement à tout coût et par tout moyen (Zuleta 1991 cité par Jaramillo et al 1992, p. 108). Traduit par nous de : « [...] la violencia no resulta directamente de la miseria, sino más bien de la injusticia, de la ausencia o insuficiencia del Estado. La pérdida de confianza en la ley como espacio para dirimir los conflictos coincide con el hundimiento de una ética del trabajo y el mérito, y su reemplazo por el enriquecimiento a cualquier costo y por cualquier medio ». 232 secteurs de la population face auxquels ils se sentent marginalisés » (Henao et Naranjo 1995, p. 18).288 Or, avec le démantèlement du Cartel de Medellín et la mort de Pablo Escobar en 1993, ces bandes ont commencé à travailler indépendamment, mais en profitant des armes et de l’argent laissés par le trafic de drogues. Beaucoup de bandes ont été désactivées mais quelques autres sont restées actives avec de forts niveaux de spécialisation criminelle comme celle de La Terraza , La de Frank , et 8 de marzo (Montoya 2002). Les organisations de ce type, toutefois, oscillent entre la délinquance organisée et la délinquance commune selon le cas. Bien qu' ils condamnent la délinquance commune effectuée par d' autres bandes, elles se sentent autorisées à l’utiliser si le besoin de ressources le requiert ainsi (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 70). Par la suite, avec l’arrivée des groupes armés illégaux comme les guérillas des FARC-EP et d’ELN et les paramilitaires, ces bandes, ont été dotées avec des armes très puissantes, voire plus modernes que celles utilisées par les organismes de l’État (Yarce 2002a). Les oficinas : Les oficinas sont des bandes consacrées à prêter des services comme intermédiaires entre les chefs du trafic de drogues et les sicarios. Elles ont un haut niveau économique et des relations permanentes avec les grands capos du narcotrafic. De ce fait, elles ont une grande capacité pour mener des opérations avec un haut degré de spécialisation et de logistique (Ceballos 2000, p. 388) Les combos : Les combos sont constitués par des délinquants de bas profil avec des opérations de petite envergure comme les vols et les attaques dans la rue. Ils sont souvent à la base du recrutement de la délinquance organisée. Ils n’ont pas une hiérarchie définie. Toutefois, contrairement aux groupes de chichipatos leurs activités se sont tournées vers le contrôle territorial et la sécurité communautaire. La population recourt à eux pour régler des problèmes familiaux et des voisins. De ce fait, le respect du quartier est fondamental dans leur façon d’agir, et leurs opérations de délinquance ont été 288 Traduit par nous de : « [...] un dialecto social que surge y se desarrolla en los sectores populares de Medellín como una de las respuestas que los grupos sociales que se sienten excluidos de la educación, la actividad laboral y la cultura, dan a los otros sectores de la población frente a los cuales se sienten marginados ». 233 dirigées vers le centre de la ville (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 71-75). La consommation de la marijuana est un élément de sociabilité entre eux, et, de ce fait, ils rejettent les activités de nettoyage social vers les toxicodépendants. Toutefois ils marquent une différence sensible entre la consommation de cette drogue avec les drogues fortes comme la base de coca (bazuco) et les roches (psycho-tropique), lesquelles sont associées au désordre et au manque de contrôle sur les actions. De même, les combos, par opposition aux sicarios, accordent à la vie une valeur particulière et refusent de tuer pour des mobiles financiers (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 75-80). Groupes de vigilance et de sécurité privée (police privée): Il existe à Medellín des acteurs qui se sont organisés pour se défendre des délinquants en accomplissant une fonction spécifique de vigilance. L’impératif sécuritaire s’est largement diffusé et les habitants tendent à s’armer.289 Il est courant que les habitants installent des comités de surveillance communautaire et de surveillance privée comme moyen de défense contre les excès et violations de droits de l’homme par les groupes armés sur leurs territoires. En Colombie, la violence urbaine amalgamée à la violence politique, au sentiment et à la perception d’insécurité a mené à la prévention de celle-ci par le biais de la protection et de la sécurisation des unités d’habitation, voire des quartiers dans leur ensemble. Différentes stratégies s’y développent. Dans le secteur résidentiel privé des personnes aisées, on voit la présence des compagnies d’assurance, qui conduit à la mise en place de systèmes d’alarmes et d’interphones. Il existe une tendance à construire des quartiers résidentiels fermés (avec une fermeture matérielle visible) chaque fois plus indépendants (avec toute l’offre des services à l’intérieur), plus isolés dans leur propre monde. Dans les secteurs populaires, selon Guenola Capron290, les habitants de villes latino-américaines « 289 Le trafic d' armes est d' une grande ampleur dans la ville de Medellín. On estime qu' autour de 300.000 armes sont portées par la population civile (IPC 2003). 290 Un des principaux sujets de recherche de la géographe Guenola Capron est le rôle de la sécurité dans l' urbanisme, notamment en Amérique Latine. Capron souligne qu’à partir de la moitié des années quatre vingt la sécurité est devenue un impératif sociétal, au sens où elle est une problématique de plus en plus prégnante dans nos sociétés. « Elle devient omniprésente, elle réside autant dans les faits (accroissement des délits et de la violence urbaine dans certaines grandes villes du monde) que dans les dispositifs juridiques, policiers, institutionnels, voire urbanistiques mis en place pour lutter contre elle » (Capron 2002, p. 13). Capron fait une analyse sur les rapports entre les processus d' enfermement, de sécurisation et d' autonomisation qui semblent être l' une des 234 [...] prennent rapidement des mesures d’autoprotection qui peuvent passer par la fermeture ou par la construction de quartiers ouvriers destinés aux ouvriers, mais aussi par des mesures d’autodéfense ou d’auto-surveillance (Capron 2002, p. 16). La particularité des quartiers populaires de Medellín est qu’une des manières de garantir la sécurité est de recourir aux services des bandes, milices et groupes paramilitaires. Ces groupes perçoivent un impôt pour la prestation du service. Ainsi, iIs se sont appropriés des structures de vigilance existantes dans la ville, avec des discours politiques en termes de sécurité (Ceballos 2000, p. 392). Évidemment la privatisation de la sécurité n’est pas une tendance exclusive de la Colombie. Selon l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques), le secteur de la sécurité à niveau mondial a fonctionné -en grande partie au moins- séparément des forces civiles et militaires chargées de l’application de la loi et de la sécurité nationale (OCDE 2004, p. 8). En même temps que « [...] les différentes formes de polices contribuent elles aussi à renforcer le sentiment d’insécurité des citadins qui, parfois, se fient plus aux vigiles privés qu’aux forces de police publiques » (Capron 2002, p. 15). On assiste donc au développement d’une économie dédiée exclusivement à la sécurité. Le terme « économie de la sécurité » décrit, selon l’OCDE, la multiplicité des activités dont l’objet est de prévenir ou d’atténuer le risque d’atteintes délibérées à la vie et aux biens. Ainsi, « [...] dans son acception la plus large, il peut englober la défense et le contre-espionnage, les forces de police, les polices privées, le gardiennage armé et les fournisseurs de technologies de sécurité ; dans un sens plus étroit, il peut se limiter aux dépenses privées de sécurité des personnes et des entreprises » (OCDE 2004, p. 8). En définitive, après avoir parcouru les catégories des bandes et groupes armés proposés par les chercheurs de la Corporación Región, nous observons la tendances d' évolution de la ville. Ainsi, l’auteur parle d’une ville forteresse et analyse les formes du développement d’un urbanisme sécuritaire : quartiers résidentiels fermés et sécurisés, gated communities, barrios o conjuntos cerrados, condominios fechados. L’auteur propose que pour bien comprendre ces nouveaux espaces il est nécessaire de revenir aux références et aux origines historiques de ces formes résidentielles tant dans les quartiers exclusifs comme dans ceux de la population pauvre (Capron 2002, p. 22). 235 manière dont les différentes structures défendent leurs territoires par la force, dans une ambiance de méfiance face à la police et les services de sécurité de l’État. Plusieurs groupes ont gagné de la légitimité parmi les habitants des quartiers et par la suite, ils élargissent leurs activités de défense à des actions de régulation sociale. Néanmoins, nombreux sont les acteurs qui se disputent le même territoire, ce qui engendre maintes situations de violence et la fragmentation permanente de la communauté. 3.2 Les milices à Medellín : une ville sur surveillée Dans la section 2.6 de la deuxième partie de cette étude nous avons parlé des principales caractéristiques des milices. Nous avions remarqué qu’il s’avère très difficile de faire une distinction exacte entre les activités et les objectifs des milices et des guérillas dans les villes. Quelques milices urbaines ont été formées par les guérillas, d’autres ont surgi de manière autonome et agissent indépendamment des grands protagonistes. Néanmoins, il existe aussi des alliances stratégiques entre les deux organisations. Dans le cas de Medellín, les milices apparaissent à la fin des années 1980, dans une ambiance propice à leur consolidation grâce à l’essor du narcotrafic et à la prolifération de bandes et groupes armés illégaux. Les guérillas des FARC-EP, d’ELN, d’EPL et du M-19 ont joué un rôle important avec des cellules urbaines. Selon Ceballos, la prolifération des bandes de petite taille (bandes de chichipatos) dédiées au vol, aux attaques et aux homicides dans la rue et associées à la consommation de drogues, a marqué l’entrée des milices dans les comunas populaires de Medellín. Pour l’auteur, le but initial des milices était de « nettoyer » les quartiers de personnes indésirables (notamment bandes de chichipatos et combos) plutôt que de porter secours face aux sicarios ou bandes puissantes de narcotrafiquants. Toutefois, dans leurs discours publics destinés à justifier leur existence, ils se présentent comme les acteurs qui vont libérer les quartiers des tueurs à gages et des actions arbitraires de la police (Ceballos 2000, p. 389-393). Ainsi, les milices entreprennent des campagnes de nettoyage contre les responsables de « conduites incorrectes ». Dans certains cas, ces campagnes 236 commencent par un avertissement, lequel permet au « contrevenant » de changer sa conduite dans le sens souhaité par les miliciens. Dans d' autres cas, la punition est l' expulsion immédiate du quartier (déplacement forcé) et dans le cas le plus grave, la punition est la mort. D’après les miliciens, les campagnes sont devenues une stratégie d' exécution populaire et les homicides causés dans ce contexte, sont perçus comme « [...] décès inévitables dans toute guerre » (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 87-88).291 Néanmoins, à leur arrivée dans la ville dans le but de combattre la délinquance, les miliciens ont été obligés de recourir aux bandes pour pouvoir exercer le contrôle dans certaines zones de la ville. De cette manière, depuis les débuts des années 1980, elles absorbent quelques bandes et assument la protection qu' elles exerçaient dans les quartiers. D’autre part, les miliciens se déclarent promoteurs de l' organisation populaire et des actions collectives en faveur de la communauté. Leurs activités comprennent la surveillance et le contrôle des quartiers, mais aussi des activités culturelles et sportives. Ils ont même effectué des tâches liées à l’hygiène et à l’environnement urbain. Ils récoltent des fonds auprès de la population pour la réalisation d’oeuvres sociales (ils achètent des médicaments pour les personnes malades et offrent des aliments aux habitants les plus démunis). Depuis leur installation dans certains quartiers, ce sont les habitants qui leur demandent des services tels que la médiation de conflits entre les membres de la communauté, voire entre familles (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 89-93). De même, en suivant la proposition de Jaramillo, Ceballos et Martínez, les milices, y compris les milices indépendantes, se définissent elles-mêmes comme des organisations politico-militaires dont l' objectif est la contribution aux transformations structurelles dans la ville et la prise du pouvoir pour le peuple. Dans ce sens, l' État est considéré comme l' adversaire idéologique et politique de premier ordre, même si dans la vie quotidienne leurs opposants les plus forts sont d’autres groupes armés illégaux (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 86-95). Ainsi, elles ont interdit la gestion de ressources avec des organismes étatiques et les activités politiques liées aux partis traditionnels, voire avec quelques mouvements de la gauche (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 8991). En effet, les milices tiennent un discours révolutionnaire alimenté par la 291 Traduit par nous de : « [...] muertes inevitables en cualquier guerra ». 237 déception face au travail gouvernemental dans les villes, par la crise des institutions traditionnelles comme l’église, la famille et l’école et par la déstabilisation sociale due à la prolifération des acteurs armés (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 61). Nonobstant, selon les chercheurs de la Corporación Región tous les habitants des comunas touchées ne connaissent pas forcément la connexion des milices avec des projets politiques. Il est même difficile de les distinguer d' autres groupes armés qui opèrent dans la ville (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 86). Néanmoins, le projet milicien dispose d’une certaine légitimité parmi les habitants des comunas où elles agissent. D’abord pour la pression exercée par la délinquance dans les quartiers et, en deuxième lieu, par le constat de la faiblesse de l’État face à la violence urbaine et l’absence de politiques locales pour la combattre. Toutefois, cette légitimité repose sur des sentiments ambigus qui oscillent entre la valorisation, la confiance, la peur et la terreur. Il y a une combinaison permanente entre l' acceptation et le rejet. Souvent, elles disposent de légitimité dans leur secteur d’emprise et sont rejetées dans le quartier voisin. Selon le témoignage d’un habitant des comunas de nord : « On ne veut pas être du tout soumis aux conditions imposées par eux, mais on n' est pas non plus disposés à refuser leurs services, parfois il n’y a pas le choix » (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 220).292 En 1980 apparaissent les premières milices à Medellín appelées Las Milicias Populares del Pueblo y para el Pueblo dans le quartier Popular et Santo Domingo de la Comuna 1. Par la suite, bien d’autres milices ont une présence sur la scène urbaine, ce que nous pouvons observer dans le tableau N° 4 sur l’emplacement des acteurs armés illégaux à Medellín. En effet, depuis la moitié des années 1980, les milices ont marqué leur apparition par des graffitis sur les murs des espaces publics où elles menaçaient de mort la population. Plusieurs groupes ont commencé à faire des rondes (patrullajes) dans les quartiers dans le but de contrôler le mouvement des habitants. Cependant, c’est seulement dans les années 1990 et 1991 que les milices se sont faites connaître publiquement, 292 Traduit par nous de : « No se quiere estar del todo sujeto a las condiciones impuestas por ellos, pero tampoco se esta dispuesto a prescindir de sus servicios ; y muchas veces no hay opción de escoger ». 238 dans les informations et les journaux : des jeunes encapuchonnés se sont présentés comme le pouvoir armé dans les quartiers (Ceballos 2000, p. 390391). D’après le général Mario Montoya, entre 1992 et 1993, Las Milicias Populares de l'ELN et Las Milicias Bolivarianas des FARC-EP ont commencé à arriver à Medellín.293 La manière de s’insérer dans les quartiers s’est réalisée par la persuasion directe de quelques bandes et combos mais aussi par l' intimidation et la terreur avec l’exécution de quelques chefs de bandes. Aussi, explique le général, entre 1996 et 1997 les CAP (Comandos Armados del Pueblo) apparaissent avec l' idée de protéger les quartiers des comunas du nord de la ville. Ils avaient une plateforme politique de gauche et ont été associés à l’ELN.294 Les jeunes entre 16 et 25 ans ont été obligés de faire partie de ces groupes, soit de manière active par l’utilisation d’armes, soit comme informateurs. Selon Montoya, l’un des buts des milices liées aux grands protagonistes armés illégaux, c’est précisément le recrutement des combattants non seulement pour agir en ville, mais pour leurs campements ruraux. La ville est aussi utilisée comme un lieu de publicité et de récupération des combattants blessés dans les combats ruraux (Montoya 2002). Les zones choisies pour les guérillas pour la consolidation de leurs cellules urbaines avaient une grande importance militaire et stratégique. Ainsi, les milices de l’ELN implantées au nord-est de la ville permettaient au mouvement de guérilla de l’Oriente d’Antioquia d’accéder à la ville, et les forces miliciennes des FARC-EP consolidés à l’ouest, ouvraient la ville aux guérilleros de cette organisation implantés dans le nord-ouest du pays (Amnistie Internationale 2005). De même, les guérilleros utilisent la ville comme lieu d’approvisionnement des fonds au travers des extorsions et des kidnappings. D’après les informations collectées au moment de la table ronde qui s’est tenue à Medellín en juin 2003, il y a eu des « kidnappings transitoires », qui consistent à 293 Selon les rapports d’Amnistie Internationale en 1994, une alliance entre les FARC-EP, l’ELN et un certain nombre de groupes miliciens indépendants a dérivé dans la création du Bloque Popular Miliciano (Amnistie Internationale 2005). 294 Selon les reportages de la journaliste Yarce les CAP on travaillé en coordination avec les Milicias Bolivarianas des FARC-EP, et ont agi notamment dans les quartiers de Vallejuelos, Blanquizal, Belencito et Corazón dans la Comuna 13 (Yarce 2002). 239 retenir des personnes pendant plusieurs heures et à les libérer après l’encaissement d’une somme entre 1 et 3 millions de pesos (entre 345 et 1034 euros) (Table ronde Medellín, 27 juin 2003). En suivant la proposition de Jaramillo, Ceballos et Martínez, à la fin des années 1990, Medellín se transforme en une « ville sur-surveillée ». Non seulement par la prolifération d' acteurs armés illégaux mais aussi par les efforts des administrations locales pour combattre l' insécurité en termes répressifs. Nous pouvons citer quelques exemples. Pendant l' administration d’Álvaro Uribe (1985-1988), le Fond Métropolitain de Sécurité (Metroseguridad) a été créé. C‘est un système de coordination opérationnelle et d' appui aux tâches des organismes de sécurité. Il était chargé de la surveillance des espaces publics et cherchait l' appui de la communauté en termes d' information (Naranjo 1992, p. 118). Pendant les années 1995 et 1997, on assiste à la consolidation des « Convivir » dont nous avions parlé dans la section 4.1 de la deuxième partie de cette étude. Celles-ci ont concentré leurs activités dans la campagne mais aussi dans la ville. Pour la même époque, la police a lancé des comités communautaires pour soutenir sa tâche de vigilance (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 49-50). De même, en 2002, après les événements de la Comuna 13 dont nous parlerons plus loin, l’administration municipale a construit une station de police dans le quartier Belencito et a réinstallé la base de l' Armée Nationale dans le quartier El Pesebre (Table ronde Medellín, 27 juin 2003). Bien que toutes ces organisations fassent partie d’une politique gouvernementale destinée à combattre la criminalité, elles ont été des membres actifs dans la dégradation du conflit dans la ville. L' État n' est pas reconnu comme un arbitre du conflit mais comme une partie active en lui. Ainsi, le traitement répressif de l' État face au conflit s’est traduit par l’affaiblissement de sa légitimité et par la détérioration des niveaux de crédibilité, autorité, et confiance des citoyens envers lui. Cette situation fut signalée par Ortiz en 1991 : « [...] le traitement policier et répressif n' a pas montré de réduction de la violence ni de diminution des acteurs armés. En revanche, il a suscité, par ses méthodes, un grand rejet. Ainsi la police est perçue à Medellín comme un facteur de violence et non comme une ressource de sécurité » (Ortiz 1991, p. 81).295 295 Traduit par nous de : « [...] el tratamiento policial y represivo no ha mostrado 240 Or, les milices ont atteint un impact tellement grand dans le détournement de l' ordre public de la ville, qu' en 1990, la mairie de Medellín et le gouverneur d' Antioquia leur proposent une négociation. À l’époque Medellín est considérée comme l’une des villes les plus violentes du monde. En 1991, elle présente le chiffre le plus élevé du nombre d’homicides par habitant en Amérique Latine (voir le graphique N° 6 sur les chiffres d’homicides à Medellín). Néanmoins la négociation ne se consolide qu’en 1994, étant donné que le caractère du problème requérait une politique nationale que les mandataires régionaux et locaux ne pouvaient pas adopter indépendamment (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 64). Les dialogues connus comme processus « Media Luna »296 se consolident sous le gouvernement du Président Cesar Gaviria (1990-1994) et dans le cadre de la Constitution de 1991. Toutefois dans ces négociations, les milices démobilisées (quelques membres des Milicias Populares, un secteur des Milicias Populares del Valle de Aburrá et Las Milicias Metropolitanas) ont assuré ne pas entretenir de liens avec la guérilla ou les autodéfenses, ni réaliser d’actions de « nettoyage social », ou effectuer d’activités illégales comme le kidnapping et l' extorsion (Vélez 2002).297 Néanmoins, le président Gaviria était concerné par la possible cooptation de ces groupes de milices par les guérillas et a favorisé la consolidation de ce processus de paix. De même, depuis 1993, l’État commence à reconnaître les milices comme des acteurs politiques (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 65-66). Ainsi, la Loi 104 de 1993 octroie certains bénéfices juridiques au profit des milices. Ce processus est pensé par l’État comme un cas exceptionnel de traitement du conflit urbain. Selon les données du Bureau d' Insertion d’Antioquia, resultados de reducción de la violencia ni de disminución de los actores armados. En cambio ha suscitado, por sus métodos, un gran rechazo. Así la policía es percibida en Medellín como un factor de violencia y no como un recurso de seguridad ». 296 Media Luna est un secteur proche de la ville de Medellín, près du hameau de Santa Elena. 297 Nonobstant, comme nous l’avons remarqué à plusieurs reprises, il est difficile de savoir sous quel signe idéologique ont agi ces milices. Parfois, elles ont été liées aux grands protagonistes du conflit national, même les milices appelées indépendantes. En outre, face au processus de négociation, il est très important de se présenter sous un visage légitimant, et, il pourrait devenir plus convenable de se présenter comme milices indépendantes. Par exemple, les liens entre Las Milicias del Valle de Aburrá et l’ELN ont été connus, mais dans la négociation elles évitent de dévoiler leurs rapports. 241 en 1994, 600 miliciens ont été démobilisés. Toutefois, si l’on s’attache à suivre la mise en pratique de cette négociation, le processus n' a pas arrêté le projet milicien et beaucoup de démobilisés ont laissé leurs cellules actives dans différents quartiers de la ville (Ceballos 2000, p 393-395). 298 Après la démobilisation des milices, COOSERCOM (Cooperativa de Vigilancia y Servicios Comunitarios), a été créé avec l' idée de réaliser un projet de cœxistence et de sécurité dans la zone du nord-est. Autour de 350 exmiliciens, désormais représentants d’une institution officielle, ont proposé des services de surveillance dans des quartiers où ils avaient eu une influence importante. Ceci, selon les organismes de sécurité, permettrait à l' État de se rapprocher de la communauté. Pourtant, l' idée initiale a surpassé le contrôle étatique et cette coopération s’est transformée en un facteur additionnel de violence dans la zone. Il y a eu des dénonciations sur la commission des délits par les membres de cette coopérative, y compris des combats directs contre des miliciens et la police. Le Directeur National de Réinsertion de l' époque, Tomas Concha, a reconnu l' erreur de la création de COOSERCOM, par le fait d' ouvrir à des particuliers le monopole des armes, qui devrait être une faculté détenue exclusivement par l’État. En 1995, environ 100 membres de la coopérative avaient été assassinés. En 1997, le maire de Medellín a exigé le désarmement de COOSERCOM. Toutefois, quelques membres se sont liés aux groupes de milices ou paramilitaires (Vélez 2002).299 Après la démobilisation de 1994, les milices restantes ont souffert d’un processus de fragmentation et d’expansion vers des quartiers périphériques, en laissant de côté les activités dans des emplacements centraux de la ville. Cela leur a fait perdre impact et visibilité. De même, à la fin des années 1990, ces groupes deviennent très perméables aux activités de délinquance, et commettent aussi des extorsions régulières dans les différents quartiers. De ce fait, ils ont perdu l’appui de la population. Parallèlement des armées illégales se sont 298 Pour l’analyse de ce processus de paix voir Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 82-85. 299 Selon Jaramillo, Ceballos et Martínez cette coopérative a été liquidé en 1996 et non en 1997. 242 organisées pour leur faire opposition (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 65-68). Par ailleurs, on a pu remarquer d’autres initiatives importantes sur le terrain du dialogue et de la négociation de la part de la Mairie, la Secretaría de Gobierno, la Secretaría de Desarrollo Comunitario et la Secretaría de Bienestar Social. La plus significative de ces initiatives a été la création en 1993 de l’Asesoría de Paz y Convivencia de la Marie de Medellín, laquelle était chargée de la résolution pacifique des conflits, au travers de la réalisation des accords de paix et pactes de convivialité entre les différents acteurs armés.300 Selon les rapports de la Veeduría del Plan de Desarrollo de Medellín (Jurande du Plan de Développement), sous l’administration de Sergio Naranjo (1995-1997), les actions de ce bureau ont été intermittentes et le désarmement des acteurs n’a pas été possible. En outre, le budget destiné à ce bureau était insuffisant face aux objectifs proposés. En effet, sous cette administration, il y a eu un intérêt plus fort pour la dotation en ressources technologiques, techniques et physiques dans l' exercice des activités de sécurité et très peu pour les investissements dans des actions à caractère communautaire et social (Veeduría del Plan de Desarrollo de Medellín 1998, p. 12-16). Le témoignage de l’IPC est à cet égard édifiant : « Les interventions médiatrices promues par l' administration municipale [...] n' incluent pas l' idée du désarmement et ne sont pas non plus une négociation proprement dite entre l’État et des acteurs contraétatiques. Elles sont plutôt des programmes d' assistance qui essayent de désarmer les esprits, d' offrir des alternatives d' insertion sociale, et d’obtenir, par cette voie, la neutralisation des armes. Ils sont un complément aux politiques répressives qui continuent à être fortifiées et montrent toujours leur inefficacité ; mais, en outre, ils montrent comment l' État doit négocier la paix et la coexistence, ce qui est, en principe, anormal dans une démocratie, comme l’a bien indiqué le directeur de l’Asesoría de Paz y Convivencia, Juan Guillermo Sepúlveda, dans ses interventions devant le Conseil » (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 125).301 300 D’abord, le bureau faisait la reconnaissance et organisait le rapprochement avec les bandes et les acteurs armés illégaux. Après, elle donnait un soutien éducatif et économique (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 121). 301 Traduit par nous de : « Las intervenciones mediadoras promovidas por la administración municipal [...] no incluyen la idea del desarme y no son tampoco una negociación propiamente dicha entre Estado y actores contraestatales. Parecen más bien programas de asistencia que intentan desarmar los espíritus, ofrecer alternativas de 243 De même, selon l' IPC, d' autres instances de médiation comme les ONG et l' Église aident à la distension des conflits, mais ne traitent pas des sujets primordiaux tels que le désarmement ou l' interdiction d' effectuer des activités délictueuses hors des quartiers de résidence des participants (Jaramillo, Ceballos et Martínez 1998, p. 135). Par la suite, pendant la deuxième administration de Juan Gómez Martínez (1998-2000), l’Asesoría de Paz y Conviviencia a passé des accords de nonagression dans les quartiers touchés par les acteurs armés. Ces négociations étaient accompagnées de journées éducatives et d’ateliers de paix ; la création d' un observatoire des accords, la promotion de projets productifs et la recherche d' emplois pour certains jeunes insérés dans le processus. Cependant à la fin de l’année 2000, l’absence des possibilités d' emploi ou la courte durée de ceux-ci pour les personnes faisant partie des accords a été indiquée. En outre, les bandes ont été accusées d’acheter des armes avec l’argent destiné à l' investissement social dans les quartiers (Vélez 2002). D’autre part, le programme de la BID (Banque Interaméricaine de Développement) « Apoyo a la convivencia y seguridad ciudadana » qui avait pour but la promotion des projets de connivence et la prévention de la violence, a présenté plusieurs retards dans l’exécution de ses programmes. Ses promoteurs se sont dédiés à des affaires administratives sans définir la planification de l’ensemble du programme. À la fin de l’administration Gómez, quelques projets n’avaient pas encore été approuvés (Veeduría del Plan de Desarrollo de Medellín 2000, p. 9). Par la suite, une des lignes de l’administration de Luis Pérez Gutiérrez (2001-2003) était la révolution de la culture des citoyens (revolución de la cultura ciudadana). Selon cette ligne le maire reprendrait le projet de la BID. À la fin de inserción social, y lograr, por esta vía, la neutralización de las armas. Son un complemento a las políticas represivas que siguen fortaleciéndose y mostrando además su ineficacia ; pero adicionalmente, muestran como el Estado tiene que negociar la paz y la convivencia, lo que es, en principio, anormal en un democracia, como bien lo señalara el director de la Oficina de Asesoría de Paz y Convivencia, Juan Guillermo Sepúlveda, en sus intervenciones ante el Consejo ». 244 l’administration le haut degré d' inefficacité du programme associé au manque d' expérience pour administrer des crédits internationaux dans des projets sociaux a été mis en évidence. Les plus importantes défaillances dans le développement du programme étaient : une gestion administrative déficiente, des retards dans l’exécution des projets, l' incohérence dans la présentation des chiffres, l’absence d’actions préventives, et le manque d’objectifs clairs en termes de temps, d’activités et de ressources (Veeduría del Plan de Desarrollo de Medellín 2004, p. 18-30). Nous avons vu dans cette section l’apparition et la consolidation des milices à Medellín, lesquelles sont entrées sous le prétexte de libérer les habitants des quartiers populaires de la pression exercée par les bandes, combos et tous les acteurs armés qu’on a signalé dans la section précédente. Les milices associées aux grands protagonistes du conflit national (guérillas des FARC-EP, de l’ELN et de l’EPL) voient la ville comme un espace stratégique dans la prolongation de leur lutte politique et militaire contre l’État. En conséquence, la ville a souffert d’un processus croissant de violence associé non seulement à la violence urbaine mais aussi au conflit national. Par ailleurs, même si l’administration municipale et le gouvernement national ont proposé différentes alternatives pour une pacification de la ville à travers le dialogue et la négociation, plusieurs mécanismes répressifs pour combattre la délinquance et les milices ont aussi été renforcés. Néanmoins, ils n’ont pas arrivé à regagner le contrôle sur le territoire. 3.3 Les paramilitaires : lutte antisubversive fragmentée La présence paramilitaire dans la ville de Medellín commence à se consolider à partir de l’année 1997 avec l' entrée du Bloque Metro, commandé par Carlos Mauricio García, alias Rodrigo ou Doble Cero.302 Les membres initiaux du Bloc provenaient notamment des Autodefensas Campesinas de Córdoba y Urabá, groupe qui agissait dans d’autres municipios du département d’Antioquia et dans la région du Magdalena Medio. Avec des commandants d’origine urbaine, le Bloque Metro avait comme but la consolidation du projet paramilitaire dans la ville. Selon les membres du Bloc, il « [...] est né comme 302 Site Internet Bloque Metro : http://bloquemetro.tripod.com/ 245 une réaction devant l' agression injuste et systématique des guérillas terroristes contre les secteurs moins favorisés de la société, outre le manque de direction de la classe dirigeante dans les affaires politiques, économiques et sociales, raison pour laquelle la Nation est plongée dans la crise la plus profonde » (Bloque Metro s.d. (b)).303 Les premières incursions du Bloque Metro ont été effectuées spécialement dans la zone centre-est (comunas 8, 9 et 10), où il s’est battu avec les Milicias 6 y 7 de Noviembre. Par la suite, il s’est allié avec l’une des bandes les plus puissante de la ville La Terraza304 pour agir dans la zone centre-est et contester le pouvoir acquis par les milices (IPC 2006a, p. 36). Néanmoins, l’alliance avec cette bande a affaibli le pouvoir du Bloque Metro. La Terraza avait des ennuis avec la police et surtout avec l’Oficina de Envigado,305 par sa façon de gérer les affaires du trafic de drogue. Étant donné que l’Oficina était l’organisation qui avait le contrôle sur plusieurs bandes de la ville, le Bloque Metro est resté en marge du contrôle de ces structures urbaines qui avaient déjà montré leur influence sur certains quartiers. D’après le rapport de l’IPC de 2006, le Bloque Metro n’as pas été capable d’éliminer les milices, parce qu' il n' a pas eu la compétence suffisante pour articuler à son projet les structures criminelles préexistantes dans la ville de Medellín. Le Bloque Metro a essayé de développer une stratégie fondamentalement antisubversive et la seule possibilité de créer une emprise territoriale dans la ville était de s’allier aux bandes et, par la suite, combattre les guérillas (IPC 2006a, p. 36-37).306 303 Traduit par nous de : « [...] surgió como una reacción ante la agresión injusta y sistemática de parte de las guerrillas terroristas en contra de los sectores menos favorecidos de la sociedad, además por el vacío de liderazgo existente históricamente en la clase dirigente en los aspectos, político, económico y social, razones estas que han sumido a la Nación en la más profunda crisis ». 304 Dirigée par Elkin Sánchez Mena alias El Negro, la bande La Terraza est devenue célèbre par le vol de 13.000 millions de pesos (4.5 millions d’euros) au transporteur de fonds Brinks, à la ville de Bucaramanga, et par les commissions chargées par Carlos Castaño (chef des AUC) comme le kidnapping de la sénateur Piedad Córdoba et de quatre chercheurs de l’IPC (Instituto Popular de Capacitación) (El Tiempo, 28 septembre 2003). 305 Après la mort de Pablo Escobar, la Oficina de Envigado a pris la tête du commerce de stupéfiants en Antioquia (Amnistie Internationale 2005). 306 Néanmoins, cette version s’oppose à celle de la Defensoría del Pueblo de Medellín en 2002. Selon cet organisme, le Bloque Metro a réussi à coopter plusieurs bandes dans la ville, et cela a été évident à partir de l’affrontement entre les deux blocs de paramilitaires. 246 De ce fait, à partir de l’année 2001, le pouvoir paramilitaire du Bloque Metro commence à être contesté par une autre organisation paramilitaire appelée le Bloque Cacique Nutibara (dorénavant BCN), commandé par Diego Fernando Murillo Bejarano, alias Don Berna ou Adolfo Paz. Cette organisation avait des liens étroits avec l’Oficina de Envigado. Après une alliance initiale avec la bande La Terraza,307 le BCN a terminé par l’affronter, en raison des différentes conceptions dans la façon de gérer le contrôle du trafic de drogues. Cette dispute a été marquée par l’explosion des bombes dans l’année 2001, dans les quartiers exclusifs de la ville de Medellín (Centre Commercial El Tesoro et le Parc Lleras) (Garzón, s.d., p. 3). D’après les autorités La Terraza aurait choisi ces endroits pour les attentats parce qu’ils représentent des symboles de la haute bourgeoisie, qui, selon cette bande, finançait les paramilitaires (Terra s.d.). Plus tard, Don Berna a abattu les membres les plus importants de La Terraza. Dans un changement de stratégie par rapport au Bloque Metro, le BCN a réalisé d’abord des alliances avec plusieurs bandes, ou les a éliminée par la force. Ensuite, il a attaqué les miliciens (IPC 2006a, p. 38 ; IPC 2006b, p. 19). Ainsi, selon la Corporación Nuevo Arco Iris308 la mission du BCN était d’abord d’affronter ou de contrôler les bandes les plus puissantes de la ville. Ensuite, il avait pour but la subordination ou l’annihilation des milices des FARC-EP, d’ELN, les CAP et Las Milicias 6 y 7 de Noviembre et, finalement, la confrontation militaire contre le Bloque Metro. Une fois accomplie cette mission, le BCN a consolidé son pouvoir dans la ville (Corporación Nuevo Arco Iris 2005). Ainsi, cette organisation a incorporé à ses structures les différentes Le Bloque Cacique Nutibara (dont nous parlerons plus loin) a entamé une offensive contre plusieurs bandes qui étaient liées au Bloque Metro (Entretien avec María Girlesa Villegas, effectué le 26 juin 2003). 307 Dans quelques rapports officiels, Don Berna apparaît comme le chef plus important de cette bande (El Tiempo, 28 septembre 2003). 308 La Corporación Nuevo Arco Iris est une organisation civile pour la promotion de la paix et le développement. Elle a été créée en 1996 dans le cadre de l' exécution des compromis assumés dans l' Accord Politique Final, souscrit entre la CRS (Corriente de Renovación Socialista) et le Gouvernement National en 1994. Un de ses principaux objectifs est de trouver une solution négociée au conflit armé interne que subit le pays. Site web http://www.nuevoarcoiris.org.co/ 247 bandes de Medellín.309 Cette cooptation a obéit tant au potentiel de guerre des bandes, comme à leur influence sur la communauté et le territoire et leur importance dans le contrôle du marché de la drogue dans la ville. Actuellement, maintes bandes, qui opéraient dans la ville, appartiennent à des structures paramilitaires bien qu’elles continuent à opérer sous leurs propres noms. Les paramilitaires leur offrent de l' entraînement militaire, améliorent leur capacité de combat et leur armement. Mais la cooptation de bandes n’était pas la seule stratégie des paramilitaires. Ils recrutent aussi directement des mineurs et des jeunes issus des quartiers défavorisés, pour leurs fronts de combat. D’abord, les jeunes ont des activités d' information et par la suite ils commencent l' étape d' entraînement militaire (Montoya 2002). Évidemment, quelques bandes ont opposé une résistance à la consolidation des paramilitaires. Ainsi, les paramilitaires ont exécuté des membres des bandes qui ont refusé de s' adapter à leurs intérêts. Un des combats à remarquer a été celui entre le BCN et la bande de Frank, dans la zone nord-ouest, dont la bande a finalement perdu son influence sur la zone. Dans le cadre des attaques entre bandes et paramilitaires, au premier semestre de 2001, de nombreux massacres310 ont eu lieu. Les quartiers les plus touchés étaient ceux de la Comuna 8 et quelques quartiers du municipio voisin de Bello (IPC 2006b, p. 20). Une fois que les bandes ont été cooptées ou éliminées, le BCN a pu contrôler les quartiers d’emprise des milices. Selon la Corporación Arco Iris, ils ont gagné la Comuna 13,311 le quartier de la Sierra de la Comuna 8, le quartier Moravia de la Comuna 4, le quartier Picacho de la Comuna 6 et les hameaux de San Cristóbal et de San Antonio de Prado, ainsi que quelques municipios de 309 D’après la Mairie de Medellín l’origine des membres du BCN est : 48% sont entrés directement au groupe, 37% provenaient des bandes et combos, 9% provenaient des Forces Militaires, 5% d’autres groupes paramilitaires et 1% des FARC-EP (Alcaldía de Medellín. Programa de Paz y Reconciliación 2006, p. 7). 310 Selon le Droit International des Droits de l’Homme, un massacre est un homicide collectif de quatre ou plus personnes commis dans des circonstances indignes et infâmes contre des personnes désarmées et sans défense (IPC 2006a, p. 25). 311 Nous allons voir dans la section 3.4 de cette partie le cas des combats dans la Comuna 13, dont les paramilitaires, après les opérations militaires par la Force Publique, ont commencé à occuper les espaces délaissés par les milices. 248 l’Aire Métropolitaine de la Vallée d’Aburrá tels que Bello, Itagüí et Envigado (Corporación Nuevo Arco Iris 2005). À l’instar de leur comportement envers les bandes, la stratégie n’a pas été seulement l’affrontement mais aussi la cooptation des miliciens. À Medellín, Il est courant que les acteurs du conflit, après une démobilisation ou une insertion avortée dans la société civile, ils s' intègrent à une organisation armée illégale différente. Dans certains quartiers, il est difficile de rester en marge du circuit d' agressions, et, souvent, les habitants doivent adhérer nécessairement à un groupe armé. Dans ce contexte, les paramilitaires ont démontré une forte capacité de coopter des bandes et milices. Le cas d’ex- membres des Milicias 6 y 7 de Noviembre qui, après un processus de démobilisation, ont décidé d’appartenir aux paramilitaires est connu à Medellín. On connaît aussi le cas de la démobilisation de plusieurs membres des Milicias Populares del Pueblo y para el Pueblo et des Milicias Populares del Valle de Aburrá, lesquels en 1994, ont formé la coopérative COOSERCOM, dont nous avons déjà parlé. Après la dissolution de la coopérative en 1997, beaucoup de leurs membres se sont unis aux paramilitaires (Colciencias et Universidad de Antioquia 2001, p. 257-259). En outre, la confrontation entre les deux blocs paramilitaires, notamment dans la zone nord-est et les zones du centre de la ville, a marqué une période spécialement violente dans le conflit armé à Medellín. Cette lutte pour le contrôle du territoire et de la population a été étendue à l’Aire Métropolitaine de la Vallée d’Aburrá dans les municipios de Bello, Sabaneta, Envigado, Caldas, La Estrella et Itagüi (Table ronde Medellín, 27 juin 2003). Pour l’année 2002, le Bloque Metro s’est séparé des Autodefensas Unidas de Colombia (AUC) pour leur liaison avec le narcotrafic. Le Bloc indiquait ne vouloir entretenir aucun rapport avec le marché de la drogue. Dans leur site Internet ils expliquent cette séparation en affirmant qu’ils considèrent le trafic de drogues comme le facteur le plus dissolvant et nuisible qu' affronte la société colombienne, lequel est promoteur non seulement de la violence mais aussi de la corruption existante à tous les niveaux de la société. Ainsi, ils disent se sentir fiers de leur origine historique dans les Autodefensas Campesinas de Córdoba y Urabá, mais ils conditionnent leur retour aux AUC à une position claire à l’égard 249 du narcotrafic (Bloque Metro s.d. (b)).312 À partir de ce moment le Bloque Metro commence à avoir des combats directs avec les propres paramilitaires. De ce fait, une période de décadence débute.313 En 2003, l’extinction du Bloque Metro commence. Selon son commandant, Carlos Mauricio García, la structure qu' il conduisait a cessé d' exister après les combats à San Roque (Antioquia) au mois d’octobre, quand il s’est affronté aux quatre blocs paramilitaires qui le poursuivaient, parmi lesquels le BCN (Rojas 2004).314 Finalement, au mois de mai 2004, le chef du Bloque Metro a été assassiné dans la ville de Santa Marta (Magdalena) par le BCN. Cela a marqué la fin de l’emprise du Bloc à Medellín, et par la suite de l' est d' Antioquia (Romero 2005, p. 11). Même si les principaux groupes paramilitaires à Medellín ont été le Bloque Metro et le Bloque Cacique Nutibara, il y a eu aussi présence du Bloque Héroes de Granada des AUC (dorénavant BHG). Ce groupe agissait à l' est d' Antioquia, mais disposait d’une forte composante urbaine non seulement à Medellín mais dans les municipios d’Itagüí et d' Envigado.315 Ses actions étaient reliées à l’Oficina de Envigado. À l’instar du BCN, la composante urbaine du BHG est complexe par le mélange entre organisations criminelles (bandes et combos), narcotrafiquants (groupes de sicarios et oficinas) et paramilitaires. Ce groupe a mené une stratégie contre le Bloque Metro dans les municipios de l' est d' Antioquia. Par la suite, il a intégré à son organisation quelques ex-membres du Bloque Metro et quelques déserteurs des guérillas du front Carlos Alirio Buitrago 312 En effet, d’après Romero, grâce aux dénonciations faites par le commandant du Bloque Metro dans l’année 2003 à propos des liens du BCN et le narcotrafic, la relation entre les paramilitaires et le narcotrafic est devenue plus claire (Romero 2005, p. 7-8). 313 Le Bloque Metro n’a pas fait partie des négociations avec les gouvernement d’Álvaro Uribe Vélez, parce qu’ils considéraient qu’il s’agissait d’un processus de démobilisation des structures paramilitaires pour se soumettre à la justice, mais non d’un processus de paix, étant donnée la non participation de tous les acteurs du conflit (Interview de Reuters au commandant du Bloque Metro, Site Internet Bloque Metro). 314 Pendant toute l’année 2003, il y a eu aussi de combats en Amalfi, La Ceja, Santa Bárbara, Segovia, El Santuario, Santo Domingo et Yalí, municipios du département d’Antioquia. Selon le commandant du Bloque Metro, l’affrontement entre son organisation et le BCN a laissé plus de 1000 morts (Rojas 2004). 315 En revanche, quelques auteurs indiquent que le BHG est la première expression rurale du Bloque Cacique Nutibara à la tête de Don Berna (IPC 2006a, p. 45). 250 de l' ELN. En août 2005, le BHG s’est démobilisé (2.033 membres) dans le municipio de San Roque (Antioquia). Selon la Personería de Medellín, plus de 60% des démobilisés de ce bloc appartenaient à des structures armées de la délinquance qui opéraient dans la ville de Medellín sous le commandement de Daniel Mejía (Personería de Medellín 2005, p. 14). On calcule qu' après la démobilisation du BHG plus de 1.550 (76.2%) des anciens combattants se sont situés à Medellín (Garzón, s.d., p. 1-5). Il est très difficile de reconstruire l’histoire des organismes paramilitaires en ville, étant données leurs différentes alliances avec les bandes, combos et autres structures armées illégales. Les alliances qu’ils établissent avec les acteurs armés illégaux préexistants oscillent entre la coopération et l’antagonisme. Un jour, ils font des alliances avec un certain groupe et le lendemain ils sont des ennemis irréconciliables. Un jour, ils font des déclarations en faveur d’un groupe et l’autre ils se déclarent contre.316 La preuve irréfutable est la dispute entre les propres paramilitaires. Par ailleurs, quand on voit la provenance de différents membres du BCN donnée par la Mairie de Medellín, on voit que 37% de leurs membres déclarent leur appartenance antérieure aux bandes et combos, mais très peu (1%) d’entre eux disent provenir des guérillas et des milices (Alcaldía de Medellín. Programa Paz y Reconciliación 2006, p. 7). Néanmoins, les rapports de l’IPC, de la Corporación Región et de l’Université d’Antioquia indiquent la forte capacité des paramilitaires d’intégrer à leur organisation aux ex-miliciens. En outre, certains criminels indépendants utilisent le nom des autodéfenses comme une manière d' acquérir une certaine importance, et, actuellement, pour faire partie de processus de négociation avec le gouvernement (Garzón, s.d., p. 5). Selon la Vice-présidence de la République, il est très difficile de discriminer les activités des autodéfenses en ville de celles d' autres organisations illégales, parce que la majorité des faits sont attribués à des « inconnus » ou à des auteurs « non identifiés », plutôt qu’à des groupes précis (Vicepresidencia de la República 2002a, p. 44). 316 Par exemple dans un communiqué du Bloque Metro arrivé à la Defensoría del Pueblo d’Antioquia, ils disent n’avoir jamais eu aucun rapport avec la bande La Terraza. Néanmoins, les rapports de l’IPC et de quelques journaux déclarent le contraire. 251 De ce point de vue, on constate la difficulté que révèle le cas de Medellín pour analyser les sources. Ainsi, nous avons mentionné une des hypothèses possibles sur les parcours des blocs paramilitaires en ville, en essayant de préciser les versions opposées dans les notes de bas de page. Nonobstant, cette difficulté est aussi révélatrice des caractéristiques propres des paramilitaires. On dénote, à l’instar qu’Ana María Bejarano, qu’on est face à une collection de groupes très divers. Ils diffèrent par leur conformation sociale, par les appuis sur lesquels ils peuvent compter parmi la population, par leur relation avec le trafic de drogues et finalement par leurs rapports avec l’armée et la police.317 En outre, tandis que certains peuvent encore être qualifiés « d’autodéfenses », beaucoup d' autres sont déjà des armées mobiles qui vont à l' offensive et qui ne défendent légitimement aucun groupe social (Bejarano 2001, p. 12). 3.3.1 Démobilisation ou légitimation du Bloque Cacique Nutibara ? Sous le premier gouvernement d’Álvaro Uribe Vélez (2002-2006) le 25 novembre 2003, le Bloque Cacique Nutibara (BCN) fut la première organisation urbaine à se démobiliser dans le processus de paix (voir section 4.1 de la deuxième partie). C’est le gouvernement local de Medellín, avec à sa tête le maire Sergio Fajardo, qui a entamé la réinsertion au travers du Programme de Paix et Réconciliation. Selon les statistiques de la Mairie de Medellín, les démobilisés du BCN sont composés à 65% de jeunes entre 18 et 25 ans. 35.25% se sont démobilisés en raison d’une nécessité de change, 34.58% par les bénéfices liés à la démobilisation, 18.56% en raison de leur famille, 6.14% à fin d’effacer des peines judiciaires et 5.47% par un ordre reçu des Autodefensas Unidas de Colombia (AUC). Dans le Programme de Paix et Réconciliation, les réinsérés prennent part à des projets éducatifs, productifs, de génération de revenus, et reçoivent de l’assistance juridique, de santé et d' accompagnement psycho-social (Alcaldía de Medellín. Programa de Paz y Reconciliación 2006, p. 8-9). 317 À propos de la relation entre paramilitaires et la Force Publique à Medellín voir l’analyse de la Comuna 13 dans la section 3.4 de cette partie. 252 Bien qu’après la démobilisation il y ait eu une chute de l' indice des homicides à Medellín,318 ce processus a eu beaucoup de critiques. Les médias indiquent que la majorité des démobilisés du Bloque Cacique Nutibara ont été des personnes qui se sont incorporées au groupe pour la démobilisation et qui n' avaient pas une formation à l’autodéfense. Ceci, comme nous l’avons indiqué à la deuxième partie, a été vérifié au travers des informations obtenues dans l' ordinateur saisi par les autorités à un des grands chefs paramilitaires, et aussi par les déclarations de Vicente Castaño (membre des AUC) aux médias (El Tiempo, 28 août 2006a). De même, les habitants des anciens lieux de consolidation de la structure paramilitaire se plaignent de l' intimidation et de l' extorsion auxquels ils sont encore soumis par les paramilitaires. Bien qu' ils soient considérés comme des démobilisés,319 ils continuent la réalisation de tâches de surveillance et d’intelligence dans les différents quartiers, et continuent à harceler et à intimider ceux qui rejettent leurs projets (Romero 2005, p 6).320 Les organisations des droits de l’homme rapportent que les démobilisés ont cherché à légitimer leur influence au niveau des assemblées d' action communale. Il y a des dénonciations sur l’intimidation exercée sur les membres de ces assemblées, bien pour qu’ils démissionnent ou pour le détournement des ressources de l’État aux structures paramilitaires (IPC 2006b, p. 54). Les témoignages rassemblés par les organisations des droits de l’homme font aussi référence à la commission de 130 disparitions forcées pendant l' année 2003, 97 disparitions entre janvier et juillet 2004, et à la découverte de fosses communes à Medellín. De même, ils font référence aux homicides commis avec utilisation d' armes blanches au lieu d' armes à feu.321 En outre, les dénonciations sur la collaboration entre les paramilitaires et la Force Publique persistent. De ce fait, la 318 Selon les chiffres présentés par l’UCC-URI, de 3.721 homicides en 2002, on est passé à 2.012 en 2003, à 1.177 en 2004 et à 741 au 4 décembre 2006 (Voir tableau N° 5 sur les chiffres de la violence à Medellín). 319 Environ 2900 réinsérés du BCN se sont actuellement regroupés dans une organisation légale appelée la Corporación Democracia. 320 Il a été indiqué que les paramilitaires, notamment dans les Comunas 8 et 13, imposent des punitions à ceux qui ne respectent pas leurs ordres. Par exemple, ils laissent les gens submergés toute une nuit en eau froide. Ces punitions sont imposées afin que ceux qui sont punis ne récidivent pas ou pour diminuer la probabilité que d' autres commettent les actes sanctionnés (Restrepo 2005b). 321 Voir la liste de dénonciations détaillées faite par la Personería de Medellín dans le rapport de 2005, sur les droits de l’homme à Medellín, pages 1 à 17. 253 crainte de présenter des dénonciations devant les autorités judiciaires et de contrôle (CIDH 2004, art. 96 ; IPC 2006b, p. 27). Cependant, les dénonciations sur les actions illégales des paramilitaires démobilisés contrastent avec les résultats de l' enquête faite auprès des habitants de Medellín par l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), en janvier 2005, où on cherchait à évaluer la perception de la communauté face au processus de démobilisation du BCN. Selon l' enquête, 88% de la communauté évalue positive la présence des bénéficiaires du programme de réinsertion dans leurs quartiers de résidence, et 81% ne croit pas avoir des difficultés à accepter les démobilisés. Toutefois, la même enquête dit que 41% des habitants croient que certains des bénéficiaires peuvent retourner à la réalisation des activités illégales, et affirment que quelques uns le font déjà (Alcaldía de Medellín. Programa Paz y Reconciliación 2006, p. 18). Or, on constate les difficultés à faire une évaluation du processus de démobilisation. D’un côté, le gouvernement s’appuie sur la chute des chiffres d’homicides pour indiquer la réussite de la négociation dans la diminution des nivaux de violence dans la ville. Il considère le processus comme un modèle à répliquer dans tout le pays. Les autorités insistent sur le fait qu’elles détiennent le contrôle sur chaque personne démobilisée qui se trouve dans la ville. En revanche, nous avons les dénonciations sur les violations de droits de l’homme pratiquées par le démobilisés d’après les organisations de droit de l’homme. Selon l’IPC, actuellement, le contrôle des territoires ne se fait pas par les biais de massacres ou d’assassinats en grand nombre, mais au travers de pratiques autoritaires et violentes plus discrètes (IPC 2006b, p. 50). Néanmoins, les dénonciations officielles sont très peu nombreuses et les autorités exigent des faits concrets pour entamer une action judiciaire.322 En effet, il convient de 322 Gustavo Villegas, directeur du Bureau de Paix et Réconciliation de Medellín, a réclamé des preuves concrètes, ne provenant pas des organismes défenseurs de droits de l’homme mais des personnes directement touchées : « Il est nécessaire d' avoir des preuves plus fermes, connaître les noms des responsables, que les familles effectuent les dénonciations, parce que sinon on ne peut rien faire » a-t-il déclaré. Il explique que l’organisme compétent pour recevoir les dénonciations et faire la vérification des devoirs des démobilisés est la Mission d' Accompagnement au Processus de Paix de l' OEA (Restrepo 2005b). Traduit par nous de : « Es necesario tener pruebas más contundentes, conocer los nombres de los responsables, que las familias efectúen las denuncias, porque, de lo contrario, poco o nada podemos hacer ». 254 préciser que de nombreuses dénonciations ne sont pas interposées par la peur aux représailles, soit parce que les gens ne font pas confiance aux autorités ou parce qu' ils acceptent l’autorité illégitime des paramilitaires (Restrepo, 25 septembre 2005). De ce fait, on observe la difficulté à prendre les mesures nécessaires pour faire face à la situation. 3.4 La Comuna 13 : épicentre du conflit national dans la ville Photo N° 2 : Vue panoramique Comuna 13. Source : Colombianos apoyando a colombianos. Boletín N° 4. Fundación Centro Internacional de Educación y Desarrollo Humano –CINDE. Disponible sur Internet: http://cinde.org.co/Imagenes/Vista%20de%20la%20comuna%20d esde%20la%20Gabriela.gif Depuis la fin des années quatre-vingt-dix et jusqu' en 2002, le cas le plus notoire de présence de milices dans la ville de Medellín a été celui de la Comuna 13.323 D' abord on trouvait les CAP (Comandos Armados del Pueblo) lesquels offraient sécurité aux habitants du secteur. Plus tard, à partir de 1997, les milices des FARC-EP et de l’ELN sont entrées dans les quartiers de la comuna sous 323 La Comuna 13 est située dans la zone centre-ouest de Medellín. Elle possède une population de 137.779 habitants selon le recensement général de 2005. Ses quartiers se caractérisent par une basse couverture éducative, la malnutrition infantile, l’insalubrité, l’entassement, l’irrégularité dans la prestation des services publiques, l’insuffisance en équipement, l’illégalité dans la location de la terre et la précarité dans la qualité du logement, entre autres (Franco et Roldán, s.d.). Pour plus d’information sur les conditions socio-économiques de cette comuna voir : Defensoría del Pueblo 2002b, Noche y Niebla 2003, Roldán 2003. 255 prétexte de sécuriser la zone à cause des conflits menés par les bandes et les groupes armés illégaux. À partir de l’année 2002, d’après Franco et Roldán, les FARC-EP se présentent dans la ville par le biais de combattants professionnels provenant des zones rurales et non au travers des milices bolivariennes. Pour les auteurs, ceci marque un processus d’instauration et de défense d' une emprise géopolitique, plutôt que communautaire. Dans cette optique, la territorialité est subordonnée à la dispute par le pouvoir politique. Néanmoins, selon les auteurs, la présence des milices dans la zone a produit la fragmentation de la communauté. D' abord, parce qu’elles n' ont pas disposée de la capacité militaire pour éliminer les bandes et en deuxième lieu par la confrontation entre ellesmêmes pour le contrôle de quelques quartiers (Franco et Roldán, s.d.). Depuis l' entrée des guérillas et milices dans la comuna, celle-ci s' est transformée en l’épicentre de la lutte contre les guérillas à Medellín ; non seulement pour l' administration municipale, mais aussi, en 2002, pour la Présidence de la République (IPC 2006a, p. 39).324 En outre, depuis 1999 les paramilitaires sont entrés dans la Comuna 13, avec l' intention de combattre les miliciens. Ils ont avancé depuis la zone nordouest de la ville (Cucaracho, Santa Margarita, Robledo) et la zone du sud occident (Belén, Las Mercedes, Las Violetas, Altavista) vers la comuna (Franco et Roldán, s.d.). Selon la Vice-présidence de la République, ils se sont installés principalement dans les quartiers El Pesebre, Veinte de Julio, El Salado et San Javier (Vicepresidencia de la República 2002b). À partir de ce moment là, on dénote un intérêt politique pour gagner l’emprise de la comuna. En effet, celle-ci est un lieu stratégique dans la guerre, étant donnés les couloirs qui communiquent la ville et quelques municipios du nord d’Antioquia, ce qui permet l’approvisionnement des fronts ruraux.325 En deuxième lieu, la connexion de la route à la mer et la route panaméricaine permettent l’entrée et la sortie des drogues illicites et la contrebande des armes pour l’ensemble de la ville et l’Aire Métropolitaine de la Vallée d’Aburrá. En outre, il existe un attrait primordial pour 324 Selon les rapports de la Police Nationale en 2002, les milices des FARC-EP comptaient 150 militants, les CAP 250 et les cellules du Front Luis Fernando Giraldo Builes 300 combattants (Vicepresidencia de la República, 12 octobre 2002). 325 Par exemple, elle permet la connexion avec le front V des FARC-EP situé dans les municipios de Dabeiba et Mutatá (Defensoría del Pueblo. Sistema de Alerta Temprana 2002, p. 16). 256 l’emprise territorial, puisque la zone est devenue l’un des accès routiers les plus importants pour la ville étant donnée la construction du Tunnel d' Occident, qui relie le secteur métropolitain avec les régions d' Urabá et l' occident du pays (Defensoría del Pueblo. Sistema de Alerta Temprana 2002, p. 16). Carte N° 7 : La Comuna 13 de Medellín. Source : NOCHE Y NIEBLA. 2003. Comuna 13, la otra versión. Caso Tipo N° 2. Bogotá. p. 135 [réf. du 2007-01-05]. Disponible sur Internet : http://www.nocheyniebla.org/com1301.htm Selon l'Observatorio del Programa Presidencial de Derechos Humanos y Derecho Internacional Humanitario de la Vice-présidence de la République les combats entre les milices et les groupes paramilitaires développés à partir de 1999, ont eu lieu principalement dans les quartiers Blanquizal, Nuevos Conquistadores, Belencito, El Corazón, Veinte de Julio et San Javier. Dans les combats plusieurs civils, ont perdu la vie, victimes du feu croisé ; mais aussi par les actions directes menées contre eux, en raison du besoin de contrôle de la population par les acteurs armés. Dans ce sens, les massacres ont été une stratégie récurrente des paramilitaires comme moyen d’affaiblissement des 257 guérillas par l’assassinat de leurs collaborateurs présumés (Vicepresidencia de la República 2002b). 326 D’après les rapports de Franco et Roldán la confrontation permanente entre les groupes armés illégaux a altéré les conditions de développement des activités sociales et productives de la Comuna 13. Maints locaux commerciaux ont dû fermer en raison du conflit, quelques habitants ne pouvant plus se déplacer aux lieux de travail. Il y a une déscolarisation massive des enfants et il existe des limites à la libre circulation. Les organisations sociales ont souffert également des restrictions de leur liberté de réunion et d’expression. Au niveau psychologique, la confrontation a produit des sentiments d’insécurité, de méfiance, de frustration et de stress. De même, beaucoup d' enfants et de femmes ont été blessés ou tués en raison des combats. Finalement, le risque d’être blessé au milieu du combat a poussé au déplacement de multiples noyaux familiaux qui se déplacent vers d’autres secteurs de la ville, ou bien le déplacement forcé est produit par les menaces directes de la part des acteurs armés (Franco et Roldán, s.d.). Dans ce conflit pour le contrôle de la comuna, la Police et l' Armée sont aussi intervenues. Depuis 1999, il y a eu des combats sporadiques entre la Force Publique et les milices. Toutefois la lutte de l' État contre les insurgés dans cette comuna a été principalement marquée par le développement de deux opérations militaires en 2002. Il s’agit de l’opération Mariscal lancée le 21 mai 2002 et de l’opération Orión lancée le 16 octobre 2002. Ces opérations ont mis en évidence les graves violations aux droits de l’homme et au droit international humanitaire par les Forces de l' État.327 Les deux opérations ont réuni dans un seul front l’Armée Nationale, la Police, le CTI (Cuerpo Técnico de Investigación ), 326 La Vice-présidence de la République a documenté plusieurs massacres : ceux du 18 et 30 octobre 2001 dans le quartier San Javier, celui du 11 avril 2002 dans le quartier Veinte de Julio, celui du 17 juillet 2002 dans le quartier La Pradera, entre les plus représentatifs (Vicepresidencia de la República 2002b). 327 Selon les rapports de l’IPC dans la Vallée d’Aburrá et notamment à Medellín les institutions étatiques, principalement la Force Publique, ont été les principaux responsables du plus grand nombre de violations aux droits de l’homme. Ils ont été responsables par 898 cas des détentions arbitraires provoquées dans leur majorité pendant les opérations militaires déroulées dans les années 2002 et 2003 dans le cadre du projet de Sécurité Démocratique du gouvernement d' Álvaro Uribe Vélez (IPC 2006a, p. 89-90). 258 la FAC (Fuerza Aérea Colombiana), la Procuraduría328, la Fiscalía General329 et le DAS (Departamento Administrativo de Seguridad). Elles ont participé ensemble à un assaut militaire contre les FARC-EP, l’ELN, et les CAP.330 L’opération Mariscal a été lancée notamment dans les quartiers du Veinte de Julio, El Salado, Las Independencias et Nuevos Conquistadores. Selon Amnistie Internationale, dans cette opération « [...] les forces de sécurité ont fait usage d’hélicoptères d’attaque, de chars et de mitrailleuses lourdes» (Amnistie Internationale 2005). De même, d’après l’IPC (Instituto Popular de Capacitación), les Forces Armées de l' État ont effectué des retentions arbitraires et des inspections de maisons sans ordre judiciaire, il y a eu des tirs sur la population civile et un hôpital du secteur a été utilisé comme centre d' opérations (IPC 2006a, p. 40). Finalement vers 15 heures, le même jour, l’opération a été suspendue grâce aux habitants du secteur qui sont sortis dans les rues en demandant la cessation des hostilités et la protection des organisations de droits de l’homme. Ces associations et les médias régionaux ont fait présence dans le secteur, ce qui a empêché la continuation de l’opération (IPC 2006a, p. 40). En effet, une enquête judiciaire de la Procuraduría, dont les résultats ont été connus dans l’année 2006, a indiqué que la Police de Medellín a retenu des civils sans justification,331 a réalisé des inspections illégales et a tiré sans distinction sur les combattants et les non-combattants pendant l’opération Mariscal. Le bilan signale que l' opération a laissé 9 morts, 38 civils et 7 policiers 328 La Procuraduría est un organisme de l' État qui fait partie du Ministère Public. Elle a la fonction de surveiller l' accomplissement de la Constitution Nationale, les lois, les décisions judiciaires et les actes administratifs des employés publics. Site Internet : http://www.procuraduria.gov.co/ 329 La Fiscalía General est l’organisme de la branche judiciaire chargé de faire des recherches sur les infractions, de qualifier les processus et d' accuser devant les juges et les tribunaux compétents les contrevenants présumés de la loi pénale. La Fiscalía est née en 1991, avec la promulgation de la nouvelle Constitution Politique et a commencé à opérer le 1 juillet 1992. Site Internet : http://www.fiscalia.gov.co 330 Le rapport de Noche y Niebla de l’année 2003 « Comuna 13, la otra versión » présente en détail une analyse des faits des opérations Mariscal et Orión soulignant les excès de la Force Publique. 331 L’enquête judiciaire a trouvé que, bien que l' opération avait pour but de combattre les milices et les guérillas, beaucoup des personnes ont été capturées pour d’autres affaires telles que non assistance alimentaire, fausseté en document et vol aggravé. 259 blessés et 41 personnes détenues. Cette enquête a signalé que le Général José Leonardo Gallego, commandant de la Police Métropolitaine de Medellín pendant l' opération, était responsable d' omission dans l' accomplissement de ses fonctions et de l' infraction conséquente au Droit International Humanitaire. L’enquête conclut que le commandant a omis de distribuer les ordres précis et d' adopter les méthodes pour protéger de manière effective la population civile non combattante (El Tiempo, 10 novembre 2006). Malgré le déroulement de l' opération Mariscal, les CAP, les milices de l' ELN et les FARC-EP ont continué à opérer dans la Comuna 13.332 Ainsi, après l’entrée en fonction du président Álvaro Uribe Vélez, la deuxième opération militaire de grande ampleur dans la comuna a été lancée (opération Orión). Cette opération a touché notamment les quartiers de Belencito, El Corazón, Veinte de Julio, El Salado, Las Independencias et Nuevos Conquistadores et certains secteurs de la Comuna 7. Selon Amnistie Internationale : « [...] les forces de sécurité auraient mitraillé la zone en rasemottes à partir d’un hélicoptère d’attaque et engagé des véhicules blindés. Plus de 350 personnes ont été incarcérées pendant l’opération Orión, qui s’est prolongée jusqu’en décembre 2002 [...]. Pendant les combats avec les guérilleros, un civil a été tué par les forces de sécurité, quatre ont « disparu » et 38 ont été blessés, notamment plusieurs mineurs ; quatre militaires ou policiers au moins ont été tués et 14 blessés. Dix guérilleros auraient été tués » (Amnistie Internationale 2005).333 De ce fait, on dénote à nouveau les infractions aux droits de l’homme et au droit international humanitaire commises par la Force Publique. Toutefois, pour la Force Publique, le triomphe du gouvernement national dans le délogement des milices de la Comuna 13, était marqué par cette opération, laquelle a été considérée comme un modèle de « pacification urbaine » (IPC 2006d). Le taux d’homicides de la comuna s’est élevé énormément en 2002 en raison du déroulement des opérations militaires mentionnées. Le graphique suivant montre le taux d’homicides depuis 1995 jusqu’au 29 octobre 2006. 332 Néanmoins, selon un rapport de la Vice-présidence de la République d’octobre 2002, dans l’opération Mariscal, les principaux chefs de l’ELN ont été capturés. 228 personnes liées avec les milices ont été capturées, et 13 membres des groupes armés illégaux ont été tués (Vicepresidencia de la República 2002b). 333 Selon Noche y Niebla l’opération Orión a laissé 1 civil mort, 38 personnes blessées, 8 personnes ont été disparues et 355 personnes détenues (Noche y Niebla 2003, p. 20). 260 Taux d' homicides Comuna 13 400 357 350 300 250 200 221 182 153 150 147 123 153 128 100 72 36 50 34 27 0 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 Graphique N° 5 : Taux d’homicides Comuna 13 pour chaque 100.000 habitants. Source : INML-CIC-URI. Extrait de SECRETARÍA DE GOBIERNO MUNICIPAL DE MEDELLÍN ; SUBSECRETARÍA DE ORDEN CIVIL ; UNIDAD DE CONVIVENCIA CIUDADANA. 2006. Tasas de homicidio de Medellín por comuna de la ciudad 1995-2006. Medellín. p. 4-5. Or, une fois terminée l' opération Orión, ce sont les paramilitaires qui ont commencé à contrôler la zone. Le Bloque Cacique Nutibara s’est consolidé comme l’un des grands contrôleurs de la délinquance organisée et d' importants secteurs du trafic de drogues à Medellín (Romero 2005, p. 6). Dans la Comuna 13, ils ont imposé leurs règles de coexistence aux habitants du secteur. De même, selon les organismes défenseurs de droits de l’homme, les personnes qui ont osé dénoncer les graves violations survenues pendant l' opération Orión ont été poursuivies par les paramilitaires (IPC 2006a, p. 41 ; Amnistie Internationale 2005). Selon Restrepo, ces personnes ont dû quitter leurs quartiers de résidence et se sont installées dans un autre secteur de la ville (Restrepo 2005a). Selon les rapports d’Amnistie Internationale, il existe une coordination entre les paramilitaires et la Force Publique dans le secteur : « [...] les paramilitaires ont souvent accompagné ou suivi de près les forces de sécurité alors qu’elles progressaient dans la Comuna 13. Les paramilitaires sont entrés dans le sillage des forces de sécurité, occupées à sécuriser les zones. Le 13 novembre, ils ont convoqué les habitants de Las Independencias à une réunion où ils auraient fait allusion à leurs liens avec la Police et l’Armée, et averti leur auditoire que 261 les personnes liées à la guérilla devaient quitter la zone. Lors d’une réunion, ce même jour, dans un autre secteur de Las Independencias, des paramilitaires des AUC auraient dit qu’ils étaient là pour contrôler le secteur et empêcher les guérilleros d’entrer. Avant la réunion, des unités militaires qui opéraient sur le secteur se sont retirées, pour revenir ultérieurement » (Amnistie Internationale 2005). Après la consolidation des paramilitaires dans la zone, les informations faisant état de violations des droits de l’homme commises par des hommes armés non identifiés et par les paramilitaires ont été dénoncées par les organisations des droits de l’homme334 (la disparition de personnes, les assassinats, les déplacements intra-urbains, entre autres). Ces organisations dénoncent le recrutement des enfants par le BCN après le processus de démobilisation. Une fois recrutés, le groupe armé les oblige à effectuer des activités comme la prostitution, le transport de drogue et d' armes, de tâches de surveillance et d’espionnage, et des menaces et de l’extorsion contre la communauté (IPC 2005). 335 En 2006, la communauté a signalé la détérioration de la sécurité dans quelques quartiers de la comuna. Elle a dénoncé des contrôles territoriaux par des groupes armés illégaux non identifiés entre les quartiers Las Independencias, El Salado et le Veinte de Julio. De ce fait, le maire de Medellín les a déclaré « quartiers conflictuels ». Cependant, la communauté ressent un abandon de la part de l’État et la non-reconnaissance de la situation d’insécurité que vivent les habitants de ces quartiers. Or, les alarmes se sont déclenchées à nouveau le 2 août 2006, jour de l’assassinat de deux jeunes de 19 ans dans le quartier Veinte de Julio. En outre, le 23 août 2006, Haider Ramírez, chef social et politique de la Comuna 13, a été assassiné. Il était le directeur d’une corporation communautaire (Corapas) et président de l’Association des Assemblées d' Action 334 Organisations tels que Amnistie Internationale, Instituto Popular de Capacitación, Groupe Interdisciplinaire de Droits de l’Homme (GIDH), Ruta Pacífica de Las Mujeres, Red de Hermanamiento Lazos visibles-pueblos hermanos, Red Juvenil et Corporación El Solar. 335 Selon le général Montoya, beaucoup des potentiels recrutés deviennent des victimes de déplacement forcé dans la ville. Dans beaucoup de cas, les gens préfèrent abandonner leurs maisons que être soumises à la dictature de groupes armés illégaux et livrer leurs enfants à ces armées (Montoya 2002). 262 Communale de la comuna. Il avait manifesté son intérêt à se présenter comme candidat au Conseil de Medellín dans les élections de 2007 (IPC 2006c et d). À présent, personne n' ose dire à quelle organisation armée illégale appartiennent ces nouveaux groupes. Pour le Commandant de la Police du quartier El Corazón, il ne s’agit pas de bandes organisées, mais de délinquants qui se font passer par des organisations armées. D’autre part, pour les fonctionnaires de la Personería de Medellín, il s' agit de la réactivation de groupes armés hybrides entre paramilitaires démobilisés et bandes de délinquants (IPC 2006c et d). Nous voulions souligner dans cette section le cas détaillé du conflit dans la Comuna 13, étant donné qu’il est devenu le cas le plus représentatif de la présence des acteurs armés illégaux dans les métropoles colombiennes. Nous y trouvons tous les protagonistes, dont les Forces de Sécurité de l’État, qui ont aussi participé à l’augmentation de la violence. Évidemment les combats entre les différents acteurs dans des zones densément peuplées, comme le cas de cette comuna, ont affecté énormément la population civile par la difficulté de faire une distinction entre les combattants et les civils. Un des effets négatifs le plus représentatifs de la confrontation a été le déplacement forcé. Selon Moreno, les combats en 2002 ont causé le déplacement de 500 familles dans cette comuna (Moreno 2003 cité par Villa s.d., p. 6). Nous soulignerons cette situation de manière spécifique dans la section 4 de cette partie. 263 + $$ $44 $ )) + ( 3 7 8 !! 3 ! 1 + ? % 8 :; $ 0 + '' 0 ,1 + ? 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L’emplacement des acteurs armés illégaux à Medellín. 2 . # ( #$ + # " 7 + , , 264 Les références sur l’emplacement des acteurs armés à Medellín sont très dispersées et partiales. Ce tableau a été construit par le réassemblage de différentes sources d’information.336 Les cinq premières références (Vélez, Yarce, Defensoría Régional d’Antioquia, Quijano et SAT) datent de 2002, mais elles font référence aux groupes armés de la ville depuis le début des années 1980. La sixième source (Mairie de Medellín) montre le nombre des bandes dans la ville en 2004, distinguées par zone. Vélez souligne seulement la place de milices tandis que Quijano se réfère uniquement aux paramilitaires. Pour leur part, Yarce et la Defensoría Régional d’Antioquia dressent un tableau général, même si Yarce montre plus clairement la présence des bandes. Finalement, le SAT souligne la présence des milices et paramilitaires. Nous avons choisi de montrer les sources combinées (notamment celles de l’année 2002) pour visualiser un schéma général de la présence des groupes armés à Medellín et leurs zones d’influence. Même si nous combinons des sources, nous constatons que le tableau n’est pas exhaustif, et quelques groupes armés ne sont pas mentionnés dans aucunes des sources utilisées (par exemple les Milicias Metropolitanas). Une autre difficulté pour analyser les sources est la filiation politique attribuée à certains groupes, laquelle peut varier selon l’auteur. Dans la réalité, cette filiation est difficile à établir étant donné que quelques bandes qui ont été liées aux milices, deviennent plus tard le plus fort associé des paramilitaires ; les paramilitaires recrutent les combattants parmi les anciens miliciens et, en général, il y a une forte disposition à changer de groupe armé. Ces relations, comme il a été déjà dit, combinent toujours la coopération et l’antagonisme. Ainsi, les frontières floues entre les acteurs, permettent de souligner que la violence de la délinquance participe à la progression de la violence politique. D’autre part, il existe une difficulté par rapport à la localisation des groupes dans les différents quartiers. Quelques auteurs mentionnent le quartier tandis que d’autres sont restreints à la zone. On pourrait supposer que les quartiers mentionnés correspondent aux quartiers d’opération, mais les sources 336 Voir l’indication complète sur les sources consultées dans la bibliographie de cette étude. 265 ne spécifient pas cette information. Donc il peut s’agir du quartier d’origine, du quartier d’opération ou du lieu de la confrontation territoriale. De ce fait, il peut y avoir des versions opposées sur l’emplacement des différents groupes dans la ville. Il faut aussi indiquer que les noms des groupes peuvent être trompeurs. Par exemple, les auteurs mentionnent la présence des AUC, mais il peut s’agir du Bloque Metro, du Bloque Cacique Nutibara ou d’autres groupes associés. En outre, un même groupe peut avoir différents noms, dont il peut apparaître doublé dans les analyses des différents auteurs. Étant données les difficultés présentées dans l’examen des sources, il faut souligner que ce tableau a été réalisé pour visualiser la quantité énorme de groupes armés illégaux qui agissent et se disputent le contrôle de Medellín. La carte « réelle » de l’emplacement de ces acteurs n’est pas facile à établir avec les sources disponibles. La carte suivante illustre l’information du tableau, considérée par zone. Carte N° 8 : Présence des groupes armés illégaux à Medellín par zone (2002). 266 3.6 Les chiffres de la violence à Medellín Homicides annuels à Medellín d' après diverses sources 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 DECYPOL 1627 1655 1682 1957 2453 2807 3132 4128 4785 6160 7376 5424 6349 UCC -URI 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 DECYPOL 6638 6301 5671 5003 4676 UCC -URI 5881 5526 4777 4159 3853 3144 2998 3559 3158 3480 3721 2012 1177 741* 5284 5285 5257 4478 4083 4288 4296 4610 4697 2679 1517 DIJIN IPCDECYPOL 5891 5526 4832 4157 3854 3568 2887 3136 3051 3328 3450 1435 - PMM Tableau N° 5 : Homicides annuels à Medellín 1981-2005. *Jusqu' au 04/12/2004 Source : Decypol, UCC-URI, DIJIN, IPC-DECYPOL-PMM. Homicides annuels à Medellin 8000 7000 6000 5000 DECYPOL UCC-URI DIJIN IPC - DECYPOL - PMM 4000 3000 2000 1000 19 81 19 82 19 83 19 84 19 85 19 86 19 87 19 88 19 89 19 90 19 91 19 92 19 93 19 94 19 95 19 96 19 97 19 98 19 99 20 00 20 01 20 02 20 03 20 04 20 05 0 Graphique N° 6 : Homicides annuels à Medellín 1981-2005. Source : Decypol ,UCC-URI, DIJIN, IPC-DECYPOL-PMM. 267 Nous avons regroupé les informations de quatre sources pour dresser un tableau des homicides à Medellín : Decypol,337 UCC-URI,338 DIJIN,339 et IPCDECYPOL-PMM.340 Nous avons décidé de montrer les sources combinées étant donné qu’elles rassemblent un rang d’années plus ample et parce que nous avons trouvé des écarts entre elles. En termes généraux nous pouvons voir qu’à partir de 1981, l’homicide présente une tendance croissante jusqu’à arriver à son maximum en 1991, quand la ville a enregistré 7.376 homicides selon DECYPOL et 6.349 selon UCC-URI. Medellín se présente pour l’époque comme la ville la plus violente de Colombie et de toute l’Amérique Latine. Ceci est dû à la prolifération de tout type d' acteurs armés (bandes de délinquance, combos, bandes au service de narcotrafiquants, milices etc.) et notamment aux effets nocifs du trafic de drogue. Depuis 1991, le taux d’homicides commence à descendre, même si les chiffres continuent à être alarmants. Nous pouvons attribuer celui-ci à la mort de Pablo Escobar et au démantèlement du Cartel de Medellín. En conséquence, les actions violentes commises par les bandes de tueurs à gages ont été moins nombreuses. Entre 1997 et 2002, on assiste à la 337 DECYPOL (Departamento de Estudios Criminológicos e Identificación). Consulté en CEBALLOS, Ramiro. 2000. Violencia reciente en Medellín : una aproximación a los actores. In Bulletin de l’Institut Français d’Etudes Andines. Tomo 29. N° 3. Lima. p. 24. [réf. du 2006-07-15]. Disponible sur Internet : http://www.ifeanet.org/publicaciones/boletines/29(3)/381.pdf 338 Unidad de Convivencia Ciudadana - Unidad de Reacción Inmediata. Consulté en PERSONERÍA DE MEDELLÍN. 2005. Derechos humanos en Medellín 2005. Medellín. p. 5. [réf. du 2006-07-24]. Disponible sur Internet : http://www.personeriamedellin.gov.co/imagenes/docs/situacion_de_los_derechos_human os_en_medellin.pdf 339 DIJIN (Dirección de Policía Judicial). Consulté en PNUD. 2005a. Las polémicas por las cifras de desplazamiento. In Hechos del Callejón N° 1. Bogotá. p. 2. [réf. du 2006-0906]. Disponible sur Internet : http://indh.pnud.org.co/boletin_hechos/index.plx?boletin=1;articulo=1;tema=¿Y%20al%20 fin%20qué?&imprimir=1 340 Jusqu’en 1999, les chiffres appartiennent à la base de données de l’IPC (Instituto Popular de Capacitación) ; les données de 2000 et 2001 sont registres de DECYPOL (Departamento de Estudios Criminológicos e Identificación) ; les chiffres de 2002 et 2003, sont présentés par la Police Métropolitaine de Medellín. Les chiffres n’incluent pas les homicides dans les zones rurales de Medellín (hameaux) ni les homicides sans zone déterminée. Consulté en IPC - INSTITUTO POPULAR DE CAPACITACIÓN. 2004. Situación de violencia y conflicto urbano en Medellín y el Valle de Aburrá 2003. Medellín. [réf. du 2006-11-06]. Disponible sur Internet : http://www.ipc.org.co/page/index.php?option=com_content&task=view&id=532&Itemid=3 75 268 consolidation de groupes paramilitaires dans la ville. Les chiffres qui présentaient une diminution depuis 1991, commencent à remonter, jusqu’à atteindre en 2002 le chiffre de 4.697 homicides selon la DIJIN. Les autres sources présentent un chiffre de 3.721 et 3.450 homicides. Néanmoins, toutes coïncident pour montrer que le chiffre a commencé à croître à nouveau à partir de 1998. Ces estimations montrent comment en 2002 il y a eu une recrudescence de la violence à Medellín, dont le conflit de la Comuna 13 a sûrement apporté à l’élévation de cet indicateur. Entre 2003 et 2006, pendant la présidence d’Álvaro Uribe Vélez, on est face au processus de réinsertion des paramilitaires. À partir de 2003, on perçoit une chute remarquable dans l’indice d’homicides jusqu' à arriver à un chiffre inférieur à mille dans l’année 2005. Selon la Mairie de Medellín, cette chute est un indicateur de la réussite du processus de démobilisation. Le chiffre reste toujours très haut. Mais Medellín n’est plus la première ville par rapport aux taux d’homicides. Celui-ci est inférieur à ceux de Villavicencio, Bucaramanga, Palmira, Pereira, Buga, Tulua et Cali (Alcaldía de Medellín - Programa de Paz y Reconciliación 2006, p. 22). Nous n’allons pas discuter la façon de calculer les chiffres par les différentes sources. Ce travail déborderait des limites de cette étude. Néanmoins dans l’élaboration de cette recherche, nous avons constaté l’énorme faiblesse pour calculer les chiffres des organismes étatiques colombiens, voire des organismes privés. De ce fait, dans l’annexe J, nous avons indiqué une liste de défaillances sur les statistiques officielles faite par les Nations Unies. Selon cet organisme, il n' existe pas en Colombie un système de statistiques officielles qui couvre adéquatement les violations et les infractions conformément aux instruments internationaux. En général, on n' utilise pas de critères unifiés pour le traitement de l' information. Quant aux infractions au droit international humanitaire, les statistiques officielles se réfèrent presque exclusivement à des conduites des membres des groupes armés illégaux. En outre, ces statistiques ne couvrent pas correctement certaines infractions au droit international humanitaire et présentent des faiblesses sérieuses, omissions, inexactitudes et contradictions (ONU 2005, p. 24). 269 4. Le déplacement intra-urbain à Medellín Dans les sections qui suivent nous allons parler des cas de déplacement intra-urbain à Medellín. D’abord nous aborderons les cas de déplacement du quartier El Salado (Comuna 13) pour être considérés les cas les plus représentatifs sur la question dans le pays. Plus loin, dans la section 4.2 nous aborderons les cas de déplacement individuel qui sont le plus récurrents et difficiles à détecter. Finalement, dans la section 4.3 nous présenterons quelques considérations sur les chiffres présentés par la Personería de Medellín à ce sujet. 4.1 Le déplacement intra-urbain massif dans le quartier El Salado : le cas qui a sonné l’alarme Étant donnée la situation de conflit dans les différents quartiers de Medellín, quelques habitants ont dû abandonner leurs résidences afin de sauvegarder leurs vies. Quelques personnes expulsées à cause des combats et de l’harcèlement des acteurs armés ont décidé de quitter la ville, mais d’autres sont restées dans les limites urbaines, cherchant refuge dans d’autres quartiers. Il existe des références dispersées et mal documentées sur le cas du déplacement intra-urbain massif des habitants du « Esfuerzo ».341 Néanmoins, le cas du quartier El Salado de la Comuna 13 a sonné l’alarme sur le phénomène. Le déplacement c’est déroulé le 29 juin 2002, entre les deux opérations militaires mentionnées dans la section antérieure, Mariscal et Orión. Ce cas a donné lieu à la reconnaissance par l' État de cette modalité de déplacement dans la Loi 387 de 1997, comme nous l' avons indiqué dans l' analyse de l’arrêt T-268 de 2003, dans la section 8.1.7 de la première partie de cette étude. Selon l’article 12 du décret 341 La Defensoría del Pueblo a indiqué que pendant le mois d’avril et mai de 2001 les Autodefensas Campesinas de Córdoba y Urabá ont incinéré les logements de l’emplacement de déplacés « Esfuerzo », situé dans les limites des municipios de Bello et de Medellín. Ils ont expulsé tous les habitants du secteur (180 familles) lesquels se sont logés, dans des conditions précaires, dans la salle du sport du secteur et d' autres ont cherché refuge chez la famille et les amis. Il s’agissait en effet de familles déplacées (provenant notamment du département du Chocó et Urabá) qui ont souffert un deuxième déplacement par la violence à l’intérieur de la ville (Table ronde Medellín, 27 juin 2003). 270 2569 de 2000, les déplacements massifs sont ceux qui concernent plus de 10 foyers342 ou 50 personnes. Dans cette section nous reprendrons la description de la confrontation du 29 juin 2002 dans le quartier El Salado, faite dans la publication « Desplazamiento intraurbano en Colombia » (Defensoría del Pueblo et UNHCR 2004, p. 43-48). Le 29 juin 2002, les habitants de la partie supérieure du quartier El Salado de la Comuna 13 de Medellín, face à la peur, l' intimidation et le risque de mourir dans un combat livré entre Las Milicias Bolivarianas des FARC-EP et les CAP associés à l’ELN (Comandos Armados del Pueblo) avec les paramilitaires du Bloque Metro et du Bloque Cacique Nutibara (BCN), ont été obligés de s' enfuir de chez eux et de chercher refuge dans un autre lieu de la ville : le Lycée l' Indépendance. En effet, ce conflit a causé la mort d’un civil, a donné lieu à l' incinération et à la destruction de logements, et finalement, a causé le déplacement des habitants vers la partie basse du secteur et, ensuite, vers le Lycée l' Indépendance. Ce cas a été connu par la Defensoría del Pueblo d’Antioquia, entité qui a recueilli plusieurs témoignages. Nous en évoquerons les plus significatifs : Madame Usuga a signalé que la nuit du 29 juin : « [...] on a écouté des tirs et par la suite des explosions ; on a vu les gens courir, des maisons brûlées ; ils ont tué un garçon qui était notre voisin, mais je ne connais pas son nom ; une autre voisine a perdu sa maison dans une explosion, elle a sept enfants [...] les gens pleuraient. Cette même nuit nous sommes tous partis » (Corte Constitucional 2003a, p. 5).343 342 Foyer est le groupe de personnes de la famille ou non, qui partagent un logement et la nourriture (Decreto 2569 de 2000, art. 12). 343 Traduit par nous de : « [...] se escuchó un tiroteo, luego explosiones ; vimos que la gente corría, que ardían unos ranchos ; mataron a un muchacho que era vecino de nosotros, pero no sé el nombre ; a una vecina le volaron la casa con una explosión, ella tiene siete hijos [...] la gente lloraba. Esa misma noche toda la gente nos fuimos ». 271 Madame Carvajal a déclaré: « [...] vers 10 :30 la lumière s’est éteinte dans la partie supérieure du quartier El Salado ; vers une heure du matin, nous avons compris que ceux qui étaient en haut, apparemment les paramilitaires, incendiaient les maisons. Tous les gens criaient et descendaient en courant, les enfants pleuraient. Comme ils descendaient et brûlaient, mon conjoint Carlos Arturo Yépez Mazo,344 avec sa soeur Claudia María Mazo et ses trois enfants, nous sommes sortis de la maison pour descendre avec les autres. Soudain, un homme avec une arme longue m' a demandé où j’allais, je lui ai dit que je descendais comme tous les autres, il m' a alors dit : « Non, vous n’allez nulle part, retournez et montez » et il nous a fait monter à nouveau. Mon conjoint, qui était avec l' enfant de sa soeur, quand cette même personne l’a interpellé et lui a crié s' il savait avec qui il parlait, lui a dit qu' il ne savait pas et l' autre lui a répondu : “pour votre information, vous parlez avec les autodéfenses “. [...] il n' y a aucun moyen de revenir, c' est pourquoi il me faut rester où je suis » (Corte Constitucional 2003a, p. 5). 345 Monsieur Asprilla a déclaré que cette nuit là il a été très maltraité, il a été insulté, il a été frappé, ils ont détruit et brûlé ses propriétés, et ils lui ont donné 32 heures pour évacuer la zone « [...] c' est pourquoi nous sommes sortis immédiatement en courant vers la partie basse, en nous plaçant donc dans le Lycée l' Indépendance, puisque nous n' avions pas où aller » (Corte Constitucional 2003a, p. 6). 346 Pour sa part, Monsieur Mosquera a dit : « [...] ils m' ont fait sortir de la maison et ils m' ont dit de me perdre sinon ils allaient me tuer, donc je suis entré 344 Carlos Arturo Yépez Mazo a été assassiné la nuit du 29 juin de 2002. 345 Traduit par nous de : « [...] como a eso de las 10:30 se fue la luz por la parte alta del sector El Salado ; como a la una de la mañana escuchamos que los que estaban arriba, al parecer los paramilitares, estaban incendiando las casas, toda la gente gritaba y bajaba a las carreras, niños llorando ; como ellos estaban bajando y quemando, mi esposo Carlos Arturo Yépez Mazo, con su hermana Claudia María Mazo y tres niños, salimos de la casa para bajar con todos, yo venía adelante cuando salió uno de ellos y me puso un arma larga de frente y me preguntó que para dónde iba, yo le dije que para abajo como toda la gente ; entonces él me dijo : “No, usted no va para ninguna parte, vuelva y suba” y nos hizo volver a subir ; mi esposo estaba cargando el niño de su hermana, cuando esta misma persona lo llamó y le gritaba que si sabía con quién estaba hablando ; mi esposo le dijo que no sabía y el otro le dijo: “si no sabe, para su información está hablando con las autodefensas” [...]. No hay forma de volver, por eso me toca quedarme donde estoy ». 346 Traduit par nous de : « [...] por eso salimos inmediatamente corriendo hacia la parte baja, ubicándonos entonces en el colegio La Independencia, ya que no teníamos para donde más coger ». 272 chez moi, j' ai pris quelques vêtements pour mes enfants et je suis parti avec ma famille. Le lendemain, je suis retourné chez moi pour voir ce qu' il était arrivé et ils avaient brûlé ma maisonnette » (Corte Constitucional 2003a, p. 6). 347 Madame Bedoya a dit : « [...] les gens que nous avons retrouvés nous ont dit d’aller vers le Lycée l' Indépendance, où étaient logés tous les habitants des parties supérieures du quartier El Salado ; là, nous nous sommes situés, et depuis ce moment là, nous sommes dans cet emplacement [...]. Je ne peux pas retourner à ma maison parce qu’elle a été brûlée, je ne sais pas quoi faire dans cette situation, ni où aller, je ne sais même pas où envoyer mes enfants pour qu' ils continuent leurs études. [...] dans le lycée presque personne ne dort, parce que la confrontation a été permanente, quotidiennement on entend des tirs, grenades, pétards, de tout, on a entendu dire qu' il y a eu plusieurs morts, nous sommes morts de peur [...] » (Corte Constitucional 2003a, p. 6). 348 La Defensoría del Pueblo a connu que les combats entre les acteurs armés ont continué après le déplacement. D’un part, les miliciens ont fait savoir aux occupants du Lycée que, s’ils retournaient dans la partie supérieur du quartier, ils le feraient pour se joindre à l’organisation partisane. Pour leur part, les paramilitaires ont déclaré qu' ils n' étaient pas disposés à supporter l’occupation du lycée par la communauté, parce que selon eux, entre les occupants, il y avait maintes personnes appartenant aux milices. Cette situation a mis en danger la vie et l' intégrité personnelle de tous ceux qui ont cherché refuge dans le lycée. D’après la Defensoría del Pueblo, 65 familles (dont 161 mineurs de 18 ans et 55 femmes chefs de famille) ont dû fuir le jour des combats, et ont 347 Traduit par nous de : « [...] me sacaron de la casa y me dijeron piérdase que si no lo matamos ; entonces yo entré a mi casa, saqué una muda de ropa para mis niños y me fui con mi familia ; al otro día regresé a mi casa para ver qué había sucedido y resultó que me habían quemado la casita ». 348 Traduit par nous de : « [...] la gente que nos encontramos nos manifestaron que nos fuéramos para el colegio de La Independencia, donde estaban albergados todos los habitantes de las partes altas del barrio El Salado ; allí nos ubicamos y, desde entonces, estamos en dicho sitio [...] a mi casa, como la quemaron, no puedo regresar, por la situación en el barrio no sé qué hacer, ni para dónde coger, por lo pronto no sé ni siquiera a donde enviar mis hijos para que continúen con sus estudios. [...] en el colegio casi nadie está durmiendo, pues el enfrentamiento ha sido permanente, diario se escuchan disparos, granadas, petardos, de todo, cada día se oye decir que hubo varios muertos, estamos muertos de miedo [...] ». 273 cherché refuge dans le Lycée l’Indépendance.349 Les cas de ces familles ont donné lieu à l’arrêt 268 de 2003 de la Cour Constitutionnelle. Elle a estimé que le déplacement intra-urbain peut être défini comme le déplacement forcé par la violence, puisqu' il a lieu dans un contexte de violence qui oblige les habitants de secteurs urbains à abandonner leur résidence et à chercher refuge dans un autre lieu situé dans la même ville (voir section 8.1.7 de la première partie de cette étude). En effet, on reconnaît l' importance de l' analyse jurisprudentielle sur le sujet de la mobilité intra-urbaine, étant donné que les définitions sont essentielles pour des fins juridiques. En outre, l’arrêt rend évident un phénomène de déplacement intra-urbain qui touche la ville de Medellín depuis la guerre du trafic de drogues entamé dans les années quatre-vingt et qui n’a été reconnue officiellement qu’à présent. 4.2. Le déplacement intra-urbain individuel à Medellín : une réalité silencieuse et anonyme Le déplacement des 65 familles du quartier El Salado à Medellín, dont nous avons parlé dans la section antérieure, a été reconnu comme le cas paradigmatique du déplacement intra-urbain dans le pays. Étant donnée sa visibilité et la quantité de personnes rassemblées dans le lycée, le cas a attiré l’attention des autorités en matière de défense des droits de l’homme et des médias et, par la suite, la Cour Constitutionnelle a accordé aux victimes de ce phénomène une place en tant que personnes affectées par le déplacement forcé par la violence en accord avec la Loi 387 de 1997. Nonobstant, la plupart des cas de déplacement intra-urbain sont individuels. Ces déplacements se déroulent de manière silencieuse et anonyme, étant donné que tant les victimes comme les victimaires continuent à habiter la même ville. Les dénonciations officielles ne se présentent pas en raison de l' intimidation qu’ils peuvent subir. Il a été souligné que les menaces faites par les groupes armés concernent la famille de celui qui est déplacé, ce qui empêche tout type d’accusation face aux autorités. Une autre difficulté pour identifier et calculer ce phénomène est due à 349 Selon le directeur du Lycée, la population réfugiée au lycée était d’environ 450 personnes (Corte Constitucional 2003a, p. 5). 274 la mobilité constante des déplacés intra-urbains. Une fois expulsés d’un quartier, ils ont des difficultés à trouver un lieu tranquille où s’installer, ce qui les oblige à se mouvoir dans différents quartiers de la ville avant leur réinstallation. Ils deviennent donc des nomades à l’intérieur de la ville.350 En effet, les personnes qui sont obligées de sortir en raison d' un acteur armé déterminé, doivent chercher un logement où l’emprise soit de l’acteur armé opposé. Cette situation fait du relogement une tâche très difficile. Néanmoins, maints déplacés ont finalement trouvé un lieu où se stabiliser à l’intérieur de la ville (Table ronde Medellín, 27 juin 2003). De plus, selon l’IPC, le déplacement intra-urbain est régularisé à tel point qu’il est assumé comme une conséquence logique de la menace sans qu' il soit explicitement nommé comme une violation (IPC 2006b, p. 120). Finalement, la difficulté pour la détection de ce phénomène se trouve aussi dans le fait qu’il se confond et se mélange avec d’autres circonstances et problèmes propres à la ville (Table ronde Medellín, 27 juin 2003). Or, même s’il n’existe pas beaucoup d’études qui traitent le sujet de manière spécifique, nous pouvons retrouver plusieurs sources qui ont signalé quelques caractéristiques de ce phénomène dans la ville de Medellín. Ce sont des institutions telles que la Personería de Medellín, la Defensoría del Pueblo d’Antioquia, la Secretaría de Gobierno et l’IPC. Elles ont déclaré qu’il existe un flux remarquable de personnes qui s' enfuient de chez elles sous les menaces des différents acteurs armés dans la ville. Il existe aussi des rapports des journaux qui ont traité le phénomène, notamment le journal de la ville de Medellín : El Colombiano. Une équipe de quatorze rédacteurs et de quatre journalistes graphiques du journal El Colombiano, sous la coordination du journaliste Carlos Alberto Giraldo, ont effectué une série de 19 rapportages sur le conflit urbain à Medellín pendant l' année 2002.351 Dans les rapports, ils ont interviewé les autorités, 350 Le CICR a qualifié ce déplacement du nom « d' opérations kangourou », étant donné que le harcèlement et les persécutions obligent les civils à donner de petits sauts territoriaux d' une localité vers une autre, ce qui fait du déplacement un phénomène circuler (CICR. s.d., p. 3) À ce sujet, voir les témoignages, indiqués dans la bibliographie, du projet des Victimes du Conflit Armé de la Mairie de Medellín. 351 Cette série des reportages a gagné le prix international de journalisme « Rey de España » en 2002. Voir les reportages complètes sur Internet : 275 plusieurs chercheurs et les personnes directement touchées par la violence. Ces personnes ont souligné les milliers de maisons abandonnées par le conflit. Les histoires ont rendu compte de la façon dont ces personnes ont décidé de se déplacer vers d' autres quartiers à l’intérieur de la ville. Alberto Morales, conseiller de la Personería, signalait que bien qu' il n' existe pas un recensement précis, nombreuses sont les maisons abandonnées et détruites en raison de la guerre entre les milices et les autodéfenses à Medellín. Le conseiller indiquait que les quartiers les plus touchés par ce phénomène en 2002 étaient : Santo Domingo Sabio, Popular, Ocho de Marzo, Veinte de Julio, Belencito, Blanquizal, Villa Laura, Betania, Trece de Noviembre, Villa Tina, La Sierra, El Pinal, Los Mangos et Efe Gómez (Castaño 2002). De même, les rapportages parlaient des quartiers périphériques où il y avait des halls marqués par l' abandon et où seuls les graffiti en aérosol, dans lesquels les groupes armés se défiaient à mort, restaient . En outre, ils montraient les difficultés économiques qu’avaient traversé les propriétaires pour construire leurs maisons et la souffrance que leur a causé la perte de leurs propriétés. Les journalistes ont souligné que beaucoup d' habitants ne voulaient pas retourner à leurs quartiers par peur. Ils cherchaient la manière de vendre ou de louer leurs propriétés, ce qui est devenu impossible du fait de la violence. Finalement, ils ont souligné que le problème du déplacement intraurbain n' est pas nouveau et qu’il existe depuis les années quatre-vingt, quand le trafic de drogues a commencé à financer les bandes de sicarios. Les sicarios ont exilé des familles complètes, voire, ils exigeaient la cession légale des propriétés (Castaño 2002). Les cas de déplacements intra-urbains par la violence ont été aussi rapportés par l'Observatorio del Programa Presidencial de Derechos Humanos y Derecho Internacional Humanitario de la Vice-présidence de la République. L’Observatoire signale les menaces de délogement faites par les paramilitaires dans le quartier Veinte de Julio de la Comuna 13, le 28 août 2002. Sous le prétexte qu' ils étaient sur le point d' entamer une offensive contre les groupes de milices du secteur, les paramilitaires ont délogé plusieurs maisons. Quelques cas ont été dénoncés devant la Commission Interaméricaine de Droits de l’Homme de l' OEA (Vicepresidencia de la República 2002b). http://www.elcolombiano.com/proyectos/serieselcolombiano/textos/conflicto_urbano/Mem orias/Memorias.htm 276 En général, les dénonciations sur le déplacement forcé intra-urbain indiquent les paramilitaires comme responsables. À travers ces déplacements, les paramilitaires se sont appropriés des terres et des logements abandonnés, ce qui a mené à un repeuplement des quartiers des comunas. Ce déplacement a été accentué à la fin de l’année 2002 par la confrontation produite entre le Bloque Metro et le Bloque Cacique Nutibara. Néanmoins, Restrepo souligne que le délogement des maisons n’a pas été seulement une stratégie de ces groupes mais aussi des guérillas et des milices. À l' époque de leur apogée à Medellín, les milices utilisaient les immeubles abandonnés comme centres d’opérations, et pour cacher des personnes kidnappées tandis qu' elles négociaient les rançons (Restrepo 2005a). De même, il existe des déplacements à cause d’une guerre entre les bandes de délinquance dans un conflit territorial. Il existe aussi des dénonciations des activités de la bande des Los Triana, laquelle s' est appropriée plusieurs logements dans les Comunas 1 et 2, notamment dans les quartiers Andalucía, La Francia et Villa del Socorro (Restrepo 2005a).352 En outre, quelques habitants rapportent que la Force Publique est entrée par la force dans leurs maisons à la recherche d' armes et par la suite elle a retenue des civils innocents. Ainsi, en raison des activités de la Force Publique, ils ont dû abandonner leurs maisons. Un des cas qui a été rendu visible durant la table ronde de Medellín est celui des chefs du MOSDA (Movimiento Social de Desplazados). C’est le cas de plus de mille familles de déplacés provenant de l’est et sud-ouest d' Antioquia qui se sont installées dans les secteurs de La Cruz La Honda, Bello Oriente et Primavera. Ces communautés dénoncent la persécution des organismes de l' État. Selon eux, la Force Publique les accuse d’être des membres ou des collaborateurs des groupes des insurgés. Pour cette raison, ils ont été victimes de détentions arbitraires, notamment dans l' opération Estrella 6 en janvier 2003, où la Force Publique a arrêté 61 membres de la communauté.353 Leur représentant à la table ronde parlait « d' un déplacement 352 Selon la Personería de Medellín, la bande de Los Triana continue à opérer à Medellín et compte environ 300 combattants (Restrepo, 25 septembre 2005). 353 Cette opération a été exécutée par la Quatrième Brigade de l' Armée Nationale, la Police Métropolitaine de Medellín, le DAS (Departamento Administratvo de Seguridad) et le CTI (Cuerpo Técnico de Investigación) (Noche y Niebla 2003, p. 31) 277 intra-urbain vers d’autres quartiers de la ville mais aussi vers la prison » (Table ronde Medellín, 27 juin 2003). Ainsi, quelques anciens habitants des quartiers touchés indiquent qu' ils préfèrent ne pas retourner étant données les pressions des groupes armes illégaux, mais aussi en raison du harcèlement des autorités. Actuellement les dénonciations des déplacements dans la ville continuent, associés plutôt à la présence de personnes démobilisées du BCN (Bloque Cacique Nutibara), notamment dans la Comuna 13 (Restrepo 2005b).354 Photo N° 3 : La Esperanza 1 (Medellín). Lieu d’emplacement des déplacés provenant d' Urrao (Antioquia). Source : Colombia Update. The Real Colombia. [réf. du 2007-06-14]. Disponible sur Internet: http://www.colombiaupdate.com/Members/georg e/p/esperanza1.jpgb Photo N° 4 : La Esperanza 2 (Medellín). Source : Colombia Update. The Real Colombia. [réf. du 2007-06-14]. Disponible sur Internet: http://www.colombiaupdate.com/Members/georg e/p/esperanza2.jpg Or, une des caractéristiques les plus significatives du déplacement intraurbain est que beaucoup de personnes qui se déplacent à l’intérieur de la ville avaient été déplacées précédemment. Plusieurs exemples de ceci se trouvent dans les témoignages rassemblés par la Defensoría del Pueblo dans le cas du déplacement massif du quartier El Salado. En outre, selon les rapports de l’IPC, 29 personnes en moyenne par jour se présentent aux organismes de contrôle en tant que déplacés. Par la suite, quand les institutions chargées de donner l’aide 354 D’après la Personería de Medellín, les réinsérés des AUC sont les responsables de la majorité de cas de déplacement forcé intra-urbain dans la ville, en accord avec les dénonciations assermentées de civils présentées devant l' Unité Permanente de Droits de l’Homme de cette organisation (IPC 2006g). 278 humanitaire essaient de les retrouver, 60% ne se trouve plus dans le lieu où ils avaient enregistré leur domicile. Ainsi, on observe que beaucoup de personnes déplacées que se situent à Medellín et l’Aire Métropolitaine de la Vallée d’Aburrá se déplacent à l’intérieur de la ville pour différents motifs. Selon une enquête effectuée auprès de déplacés situés à Medellín et dans la Vallée d’Aburrá la mobilité est motivée à hauteur de 20.8% des cas par des pressions économiques, pour 16.3% des cas par la recherche de familiers et de leur soutien, pour 11.8% de cas par la recherche de développement, 4% des cas impliquent des personnes qui changent de quartier à cause de leur emploi, 1.2% de cas sont motivés par des catastrophes et, finalement, 11.7% a répondue que leur mobilité était causée par le conflit armé dans leurs quartiers de relogement. Il convient de signaler que 34.4% des interviewés n’a pas répondu à cette question (IPC 2006b, p. 28-34).355 Les personnes qui fuient en raison du conflit armé cherchent d’abord refuge dans d' autres quartiers de la ville, ce qui favorise la permanence des paramètres culturels et la continuité de certaines activités comme l' éducation des enfants et le maintien des liens sociaux. En outre, la ville propose des conditions de travail plus bénéfiques que les zones rurales et offre une possibilité plus claire pour la reconstruction du projet de vie. En plus, les coûts économiques et sociaux que produit un déplacement vers d' autres régions du pays stimulent le choix de rester en ville. Néanmoins, il est évident que le déplacement implique une mobilité descendante en termes socio-économiques surtout s' il s' agit d' un deuxième déplacement. Les personnes déplacées perdent leur maisons et propriétés, et le changement de résidence produit une augmentation des frais (transport, éducation, etc.), qui affecte leur qualité de vie. Dans plusieurs cas, le déplacement vient accompagné de la perte du travail, ce qui oblige les gens à se loger dans d' autres quartiers de la ville dans des conditions de pauvreté et de marginalité. Cela engendre beaucoup de tensions, étant donnés les conflits qui provoquent l' invasion du sol et la prolifération des logements informels (Franco et Roldán, s.d.). 355 Selon, Pécaut : « Les déplacés qui en font l' expérience, s' aperçoivent vite au terme de leurs périples qu' ils retrouvent à leur arrivée les conditions qui prévalaient dans leur lieu d' origine et qu' ils sont voués, soit à rester les otages des organisations dont ils dépendaient avant, soit à devenir des suspects s' ils passent sous la coupe d' organisations concurrentes » (Pécaut 2000, p. 128). 279 Parfois, le déplacement implique aussi la décomposition familiale et la transformation de rôles, ce qui a un fort impact au niveau social et psychologique. Les déplacés intra-urbains ont une condition nomade ce qui mène à la fragmentation familiale et à la perte de liens avec la communauté. De même, la forte stigmatisation qui accompagne les déplacés (dont nous avons parlé dans la première partie de cette étude) les empêche de trouver des lieux de refuge et d’alternatives stables pour refaire leur vie (ils ne trouvent pas d’emplois, parfois les enfants ne sont pas acceptés dans les écoles, les aides humanitaires leurs sont niées, entre autres). À cet égard les difficultés qu’ont les déplacés face à l’assistance de l’État et des organismes su SNAIPDV ont été signalées. Même si cette assistance est une obligation en termes légaux pour l’État et qu’elle a été établie par l’arrêt 268 de 2003, il existe toujours des difficultés pour la recevoir. Les conclusions du bureau du CICR en Colombie sont à ce propos édifiants : « Généralement, ces déplacements deviennent imperceptibles et dans beaucoup de cas ils ne sont pas enregistrés et, le droit d' accéder à de nouvelles assistances matérielles est refusé, dans la mesure où ils sont considérés comme des « kangourous qui allaitent ». Nous avons vu que beaucoup de personnes qui ont été déjà enregistrées dans les ordinateurs comme des bénéficiaires des aides postérieurement sont rejetées de nouvelles aides parce que le nouveau déplacement n’est pas qualifié comme une pratique de déplacement. Au contraire, les demandes de nouvelles aides se sont retournées contre les demandeurs qui sont stigmatisés comme des personnes qui recyclent les ressources humanitaires » (CICR. s.d. (b), p. 3).356 Dans le même sens, la Cour Constitutionnelle signale qu’elle a été informée des refus réitérés de la part de la Red de Solidaridad Social d' enregistrer des seconds déplacements, déplacements intra-urbains et les déplacements en relation avec les opérations de police ou militaires (Corte Constitucional 2006a, p. 10). 356 Traduit par nous de : « Generalmente esos desplazamientos se vuelven imperceptibles y, en muchos casos no son registrados o a los desplazados se les niega el derecho a acceder a nuevas asistencias materiales por cuanto se les considera “canguros lactantes”. Hemos visto que muchas personas que ya han sido registradas en los computadores como beneficiarias de las ayudas son posteriormente rechazadas de nuevas ayudas porque el nuevo desplazamiento al que se ven sometidas no alcanza a calificar como una práctica de desplazamiento. Por el contrario, las solicitudes de nuevas ayudas se han convertido en una prueba en contra suya y los solicitantes son estigmatizados como personas recicladoras de los recursos humanitarios ». 280 D’autre part, selon l’IPC, il n' existe pas à Medellín des pensions spéciales pour prêter de l' aide immédiate à cette population. Contrairement à ce qui est assumé, en général, les déplacés intra-urbains ne disposent pas de personnes ou familiers pour les loger. La ville dispose actuellement de deux pensions pour s' occuper de déplacés provenant des zones rurales et des déplacés intraurbains.357 De ce fait il existe une manque d’espaces privés, des mauvaises conditions d' hygiène, et des conflit entres les personnes qui y habitent. En outre, quelques familles touchées par le déplacement forcé intra-urbain se sont logées de manière temporaire dans ces pensions, ce qui a produit de graves problèmes de sécurité, étant donné que le responsable de leur déplacement peut facilement trouver leur refuge (IPC 2006b, p. 58). Étant donnés les éléments mentionnés ci-dessus, quelques participants de la table ronde effectuée à Medellín sur le déplacement intra-urbain ont insisté sur le fait que le déplacement intra-urbain emporte les mêmes effets qu' un déplacement depuis les zones rurales.358 La mobilité forcée à l’intérieur d’une même ville oblige les personnes à un changement total dans leur projet de vie. En outre, ils ont constamment une sensation de peur et d’angoisse pour le fait de rester dans la même ville des responsables de leur fuite. En perdant leur lieu de résidence, ils perdent généralement leurs sources de revenus, parce qu’en plusieurs occasions l’espace de logement est en même temps l’espace de travail, où ils développent leurs activités et ont leurs instruments de travail. À cet égard, le témoignage de la Corporación por la Vida : Mujeres que Crean est édifiant : 357 On ne doit pas confondre les pensions avec les emplacements des déplacés dans la ville qui sont calculés entre 54 et 56. La majeure partie d’entre eux est située dans la zone du nord-est, la zone du centre-ouest et à la périphérie de la ville (Personería de Medellín 2005, p. 21). 358 En revanche, le représentant de la Red de Solidaridad Social dans la table ronde, Rodolfo Zapata, a indiqué que si bien le déplacement intra-urbain a des implications très graves, il ne peut pas être comparé à ce provenant des zones rurales dont les aides et l’assistance requis est majeure. Il souligne que les déplacés intra-urbains ont une plus fort possibilité de retour et que dans quelques cas ces personnes conservent leurs travails, ce qui permettrait leur stabilisation économique (Table ronde Medellín, 27 juin 2003). 281 « Psychologiquement, nous pouvons dire que le déplacement intra-urbain cause un plus petit impact dans les identités des personnes [par rapport aux déplacements des zones rurales vers la ville]. Toutefois, cette affirmation n' est pas du tout certaine, puisque l' identité est une construction qui devient possible dans le cadre des liens sociaux qui permettent à chaque sujet d’établir ses repères, d’être placé dans un lieu déterminé et singulier dans un groupe ou dans une communauté. De cette manière, si ces repères disparaissent brutalement, on doit attendre, donc, une affectation sur l' identité des personnes » (Bedoya 2003, p. 12).359 D’autre part, la Secretaría de Gobierno a essayé d' établir la propriété sur les maisons délogées en raison du conflit armé et de la guerre entre bandes entre 2002 et 2003, notamment dans la Comuna 13. Pour le faire, ils ont appliqué un modèle d' intervention sociale qui consiste à réunir les personnes touchées, pour développer des ateliers psycho- sociaux et chercher des solutions qui permettent de récupérer leur maison (IPC 2006b, p. 34-35). Les fonctionnaires du Secrétariat essayent de parler avec les locataires qui occupent actuellement les maisons. Les locataires affirment qu’ils payent une location à un homme qu' ils disent ne pas connaître et qui leur a dit de prendre ces maisons parce qu' elles étaient abandonnées. Selon Alonso Salazar, Secrétaire du Gouvernement à l’époque : « C' est un phénomène étrange parce que nous n’arrivons pas de manière claire aux informations. Il y a des personnes qui viennent nous indiquer des maisons prises par les paramilitaires, mais quand nous commençons à poser des questions, les gens n' approfondissent pas beaucoup » (Restrepo 2005a).360 En général, les nouveaux habitants des maisons ne payent ni les impôts, ni les services et donnent peu d' information qui permette d' établir un responsable ou un lien direct avec les acteurs du conflit (Restrepo 2005a). Finalement, entre 2002 et 2003 la Secretaría de Gobierno a identifié 160 cas de maisons délogées par le conflit. Quelques maisons du quartier Popular de la Comuna 1 et des quartiers de la Comuna 13 ont été 359 Traduit par nous de : « Desde la psicología se podría decir que el desplazamiento intraurbano causa un menor impacto en las identidades de las personas, sin embargo esta afirmación no es del todo cierta, ya que la identidad es una construcción que se hace posible en el marco de unos vínculos sociales que establecen referentes que van permitiendo, a cada sujeto, ubicarse en un lugar determinado y único dentro de un grupo o de una comunidad. De este modo, si abruptamente desaparecen dichos referentes, se debe esperar una afectación sobre la identidad de las personas ». 360 Traduit par nous de : « Es un fenómeno extraño porque no logramos llegar de manera clara a las informaciones. Vienen personas que nos señalan casas tomadas por los paras`, pero empezamos a preguntar y no profundizan mucho ». 282 récupérées. Nonobstant, elles sont en général délabrées, les services publics ne fonctionnent pas à cause de l’absence des paiements, et les dettes avec les entreprises qui prêtent ces services se sont accumulées (IPC 2006b, p. 57).361 D’autre part, la majeure partie des propriétaires est fermée à toute discussion sur leurs propriétés à cause de la pression et de l’intimidation encore exercées par les acteurs armés (IPC 2006b, p. 34-35). En outre les démobilisés du BCN ont indiqué, que beaucoup des maisons abandonnées dans la Comuna 13 et dans d' autres secteurs de la ville ont été récupérées par des guérilleros qui se font passer comme déplacés intra-urbains pour réclamer la propriété sur elles (Restrepo 2005a). Malgré quelques efforts faits par l’administration municipale, comme ceux que nous venons d’indiquer de la Secretaría de Gobierno, l’absence de politique publique structurée pour l' assistance aux déplacés intra-urbains est évidente. En plusieurs occasions, ce sont les institutions de l’église et les ONG, les organisations qui ont rendu un service permanent aux déplacés intra-urbains, et non les organismes de l’État (Table ronde Medellín, 27 juin 2003). Actuellement, il n’existe pas de rapports de la part de la Red de Solidaridad d’Antioquia sur le phénomène, ni des chiffres officiels sur l’assistance donnée à cette population.362 En général, au niveau national, les chiffres sur le déplacement forcé excluent les situations du déplacement intra-urbain, comme nous l’avons indiqué à plusieurs reprises. En outre, quelques organismes de défense de droits de l’homme ont souligné qu’en dépit de l’arrêt 268 de 2003, l' Unité Territoriale d’Antioquia de la RSS, continue de rejeter l' inclusion dans le SUR (Système Unique d’Enregistrement de la Population Déplacée) des quelques déplacés intraurbains (IPC 2006b, p. 55). 361 Dans le cas de restitution des maisons du quartier El Salado de la Comuna 13, les autorités de l’État se montrent très fières de ce processus de dévolution. En revanche, les habitants se plaignent du mauvais état des maisons restituées et les dettes à payer aux entreprises de services publiques. Voir l’article de l’IPC 2006f indiqué dans la bibliographie. 362 En effet, chaque institution présente dans la table ronde a présenté des chiffres (non – officiels) par rapport aux quelques secteurs ou quartiers dont elles ont leur influence. Néanmoins ces données étaient tellement dispersées qu’elles n’ont pas permis d’établir un tableau général du phénomène. 283 À ce propos, Rodolfo Zapata, représentant de la Red de Solidaridad Social au moment de la table ronde effectuée à Medellín en 2003, indique que le problème pour l' inclusion des déplacés dans le SUR provient notamment des défaillances dans le processus de prises de déclaration (effectué dans la plupart des cas par les fonctionnaires du Ministère Public). 363 Selon Zapata, la RSS a besoin d' une déclaration détaillée sur les faits qui ont motivé le déplacement et celle-ci est difficile à établir avec les déclarations. Beaucoup de déclarations mentionnent la peur comme motif de la fuite, mais il n’y a pas d’arguments qui permettent d' établir la fidélité du récit, ce qui résulte souvent dans le rejet de l’inclusion. Il indique que plusieurs cas de déplacement intra-urbain sont dus aux conflits entre voisins ou de problèmes affectifs qui ne peuvent pas être contemplés par la Loi 387 de 1997. Dans ce sens, le représentant de l' Université Pontifical Bolivarienne de Medellín a souligné que le conflit armé est utilisé parfois comme excuse pour effectuer des vengeances entre voisins. De cette manière il existe des fausses rumeurs face à des menaces d' acteurs armés et par conséquent quelques personnes finissent par se déplacer en raison des rumeurs. Devant une rumeur, le doute n' est pas admissible puisqu' il est préférable de partir, que de prendre le risque de confirmer la véracité de la menace. Finalement, à propos de la déclaration, Sergio Mazo, représentant de la Defensoría del Pueblo d'Antioquia dans la table ronde, a indiqué qu’il est difficile d’obtenir une dénonciation claire et concrète face à l' acteur qui a produit le déplacement. Souvent, les personnes touchées évitent de mentionner un acteur spécifique pour des conditions de sécurité (Table ronde Medellín, 27 juin 2003). Selon un rapport récent de l'Asociación Campesina de Antioquia (Association des Paysannes d' Antioquia), le refus d’inscrire les déplacés intraurbains sur le registre officiel est fondé sur les mêmes motifs que ceux pour lesquels elle est refusée aux déplacés en général : demande présentée hors du temps indiqué dans la loi, déclaration contraire à la vérité ou déclaration dans laquelle l' acteur responsable du déplacement a été la délinquance commune. À l’égard du dernier aspect, l' association indique qu' après les processus de démobilisation des paramilitaires, leurs actions sont présentées comme des 363 Un des constats pendant le déroulement de la table ronde était que les différents organismes étatiques culpabilisaient les autres institutions pour les défaillances dans l’assistance à la population déplacée. 284 actions de la délinquance. De ce fait, ces actions ne sont pas associées à la violence politique et généralisée que vit le pays (Asociación Campesina de Antioquia 2006, p. 4-8). En effet, il existe une énorme difficulté d’expliquer les raisons réelles qui poussent une personne à s’enfuir de chez elle. Il existe des raisons en rapport direct avec le conflit interne comme les menaces à la vie et l’intégrité personnelle et les sentiments associés à cette menace comme la peur et la terreur. D’autre part, les manifestations de la violence urbaine et la délinquance se mélangent avec les expressions du conflit, ce qui rend les frontières entre violences complexes et confuses. Cette ambiguïté a créé des tensions entre les différents organismes à charge des déplacés. En effet, la Red de Solidaridad Social a refusé l’inclusion dans le registre de plusieurs déplacés intra-urbains, parce qu’ils soulignent la délinquance commune comme responsable de leur fuite. La RSS s’accroche à la définition de déplacé donnée dans l’article 1 de la Loi 387 de 1997, laquelle indique que la fuite doit être encadrée dans le cas des situations de conflits armés internes, désordres ou tensions intérieures, violence généralisée, violations massives des droits de l’homme, infractions au droit international humanitaire ou autres cas tels que ceux précités, qui peuvent altérer ou altèrent drastiquement l’ordre public. En revanche, dans la définition de déplacés intra-urbains donnée par la Personería de Medellín, on dénote une conception plus large. Elle indique qu’il s’agit de personnes qui se déplacent d' un quartier à un autre, dans la même ville, ayant le seul objectif de sauver leur vie, leur intégrité physique, leur sécurité ou liberté personnelle parce qu’elles ont été atteintes ou sont menacées par l’action de groupes armés légaux ou illégaux. Nous voyons dans cette définition de la Personería, une vision plus proche de celle proposé par la Cour Constitutionnelle, laquelle considère que, pour caractériser les déplacés internes, deux éléments suffisent : la contrainte qui rend nécessaire le déplacement, et la permanence dans les frontières de la propre nation. Pour la Cour, le déplacement, loin d' être structuré avec des paramètres rigides, doit être moulé aux circonstances très dissemblables dans lesquelles l' une ou l' autre personne est déplacée dans le pays. Ce sont des circonstances claires, fermes, voire subjectives, comme la crainte qui émerge d' une angoisse généralisée, qui expliquent objectivement le déplacement interne (Corte Constitucional 2003a, p. 10) 285 Nonobstant, et malgré les différents arrêts de la Cour Constitutionnelle indiquant ceci, beaucoup de déplacements intra-urbains ne sont pas enregistrés par la RSS. Cette situation empêche de connaître le nombre exact de victimes et la dimension réelle du phénomène. Ceci a des conséquences dans l' efficacité de la réponse étatique tant pour la prévention que pour l’assistance des personnes touchées. Nous avons présenté les caractéristiques les plus représentatives du déplacement intra-urbain à Medellín. Nous avons utilisé notamment les conclusions de la table ronde effectuée le 27 juin 2003, mais aussi une bibliographie plus récente sur le sujet. Dans la section 8 de cette partie nous allons montrer les caractéristiques de ce phénomène dans la ville de Barrancabermeja. 4.3 Considérations sur les chiffres sur le déplacement intra-urbain à Medellín Plusieurs auteurs ont donné des chiffres dispersés sur le déplacement intra-urbain à Medellín. Ils présentent des calculs approximatifs par année, dans des quartiers déterminés, et des estimations sur les déplacements individuels et massifs mais, en général, ces chiffres ne correspondent pas à un corps de données cohérent et vérifiable. Plus encore, les chiffres sont contradictoires dans plusieurs cas (Yarce 2002a ; Palacio 2006 ; Villa s.d. ; IPC 2006a et b). En outre, nous avons mentionné que la RSS ne rend pas compte de manière spécifique de ce phénomène dans son système de registre. Le SUR indique que Medellín n’est pas seulement une ville réceptrice de population déplacée mais aussi une ville d’expulsion. De ce fait, depuis 1995 jusqu' au 31 octobre 2006, selon les statistiques officielles, elle a expulsé 8.554 personnes (1.934 foyers) devenant le 13ème municipio expulseur dans le département d’Antioquia et le 55ème dans le pays (parmi 1.098). Néanmoins, il n’y a pas de registres précis qui aident à établir si ces personnes expulsées sont restées dans la ville ou si effectivement elles sont parties ailleurs. 286 La seule organisation qui présente un corps de données organisé sur le déplacement intra-urbain est la Personería de Medellín. Cette organisation base ses chiffres dans les déclarations qu' elle reçoit de personnes déplacées. Ainsi, les chiffres présentés concernent seulement les personnes qui prennent la décision de déclarer les faits aux autorités. Comme il a été dit, pour des raisons de sécurité, plusieurs personnes ne déclarent pas leur situation. En outre, il ne faut pas oublier que la Personería est l’organisme chargé de recevoir les déclarations, mais l’évaluation et l’inscription au SUR de ces personnes relève de la compétence de la RSS. De ce fait quelques personnes considérées comme déplacés intra-urbains par la Personería (comme par exemple les personnes qui fuient à cause des actions de la délinquance commune) peuvent ne pas acquérir cette condition d’après les démarches de la RSS. En même temps, les rapports de la Personería ne sont ni exhaustifs, ni détaillés. Parfois, ils ne précisent pas les périodes exactes de prise de données, ils présentent des résultats statistiques des enquêtes sans mentionner le total des personnes interviewées et les tableaux omettent de préciser quelques données. Nonobstant ces difficultés d’analyse de l’information consultée, nous allons montrer les chiffres présentés par cet organisme. D’après la Personería de Medellín, entre le 1er janvier 2000 et le 31 mai 2006, 5.380 personnes ont présenté une déclaration de déplacement intraurbain, d’un total de 100.140 déclarations reçues (c' est-à-dire le 5.37%). Ces personnes indiquent que les acteurs responsables de leur déplacement sont : les paramilitaires pour 60%, les groupes armés non identifiés pour 15%, la délinquance commune pour 10%, la guérilla pour 10% et finalement 5% ne le sait pas ou n’a pas répondu à la question (Personería de Medellín 2006b, p. 2). Le graphique suivant illustre ces données : 287 Responsables du déplacement intra-urbain à Medellín 2002- 31 mai 2006 Paramilitaires Groupes Armés non Identifiés 10% 5% 10% Délinquance Commune Guérilla NS/NR 15% 60% Graphique N° 7 : Responsables du déplacement intra-urbain à Medellín (200231mai 2006) Source : PERSONERÍA DE MEDELLÍN. Desplazamiento forzado intraurbano en Medellín : una realidad invisible. Medellín 2006. p.11 [réf. du 2006-12-24]. Disponible sur Internet : http://www.acantioquia.org/documentos/memorias_foro/INF_PERS_DESP_INTRAUR B.ppt Les principaux quartiers expulseurs entre l’année 2000 et mai 2006 sont : Campo Valdez (Comuna 3), Villa Hermosa et El Pinal (Comuna 8), Santo Domingo (Comuna 1), Veinte de Julio et San Javier (Comuna 13) et La Honda, La Cruz et Bello Oriente qui correspondent aux secteurs d’installation des communautés déplacées. Ces quartiers sont situés dans les zones nord et centre de la ville. De ce fait, la Personería a déclaré que le déplacement forcé intra-urbain affecte notamment les habitants des strates 1 et 2. Les principaux quartiers récepteurs sont : El Jardín, Manrique (Comuna 3), Veinte de Julio (Comuna 13), Belén (Comuna 16), Robledo (Comuna 7), Santo Domingo (Comuna 1). On peut observer que les quartiers de réception sont distribués tout au long de la ville et que quelques quartiers sont en même temps quartiers d’expulsion et de réception (Veinte de Julio et Santo Domingo). De ces familles, 86.3% n' a pas d' intentions de retourner à leur quartier habituel de résidence, contre 9.9% qui a l' intention d’y retourner. 3,8% ne se prononce pas sur cette question (Personería de Medellín 2006b, p. 24-30). D’après la Personería entre le 1er janvier et le 31 août 2006, 524 personnes ont déposé une déclaration de déplacement intra-urbain (146 foyers). 288 De même, elle discrimine les acteurs responsables du déplacement intra-urbain en 2006 ainsi que les comunas d’expulsion. Responsables du déplacement intra-urbain à Medellín janvier -août 2006 6,2% 0,7% 10,3% Paramilitaires Groupes Armés non Identifiés 44,5% Délinquance Commune Guérilla 15,8% NS/NR Forces Militaires 22,6% Graphique N° 8 : Responsables du déplacement intra-urbain à Medellín (janvier août 2006). Source : PERSONERÍA DE MEDELLÍN. 2006. Informe de gestión. Medellín. p. 42 [réf. du 2006-07-24]. Disponible sur Internet : http://www.personeriamedellin.gov.co/home.php Comunas d'expulsion des déplacés intraurbains à Medellín janvier - août 2006 140 125 120 100 85 80 58 55 60 33 40 27 16 18 22 26 12 20 4 1 0 1 5 5 0 1 2 3 Zone nord-est 4 5 6 7 Zone nord-ouest 8 9 10 Zone centro-est 11 12 13 Zone centro-ouest 14 15 Zone sudest Zone sudouest 16 sans inf. Graphique N° 9 : Comunas d’expulsion des déplacés intra-urbains à Medellín janvier -août 2006. Source : PERSONERÍA DE MEDELLÍN. 2006. Informe de gestión. Medellín. p. 44 [réf. du 200607-24]. Disponible sur Internet : http://www.personeriamedellin.gov.co/home.php Note : L’information présentée par la Personería parle d’un total de 524 déplacés intra-urbains entre janvier et le 31 août 2006. Néanmoins quand elle fait référence aux comunas d’expulsion elle situe 408 personnes et souligne qu’elle na pas d’information sur 85 personnes. Néanmoins, si on 289 considère le total de 524 personnes, il manque aussi des informations à propos de 31 personnes. La Personería ne précise rien à ce sujet. D’après ces informations, nous pouvons dire que ce sont les paramilitaires le groupe qui continue à exercer le contrôle sur la ville de Medellín. Ils sont les principaux responsables du déplacement intra-urbain, suivis par les groupes armés non identifiés. En revanche la guérilla n’est responsable que de 10.3% des déplacements, ce qui dénote un niveau d’influence et de contrôle sur la ville inférieur qu’auparavant, même si elles continuent à surveiller certains quartiers. La délinquance commune est présentée comme la responsable de 15.8% des déplacements. Néanmoins, comme il a déjà été dit, la RSS a nié la condition des déplacés aux personnes qui déclarent les délinquants comme responsables. Ce sujet mérite être étudié en détail parce que la vulnération des droits de l’homme et les conséquences du déplacement peuvent être les mêmes, sans importer l’auteur du déplacement. En outre, comme il a été remarqué à plusieurs reprises, les violences des acteurs politiques et des acteurs moins organisés s’entrecroisent, et se réalimentent. De ce fait la distinction entre les actions des uns et des autres est difficile à établir. Finalement, le graphique N° 9 souligne que le déplacement intra-urbain se concentre dans les zones du nord et du centre de la ville. Il y a des déplacements dans toutes les comunas de la zone nord-est (comunas 1 à 4) et centre-est (comunas 8, 9 et 10) ainsi que dans la zone du nord-ouest (comunas 5 à 7) même si, dans la Comuna 6, il n’y a qu’un seul cas rapporté. Dans la zone centre-ouest (comuna 11 à 13), nous trouvons une situation variable. Tandis que dans les comunas 11 et 12, il y a eu très peu de cas rapportés, la Comuna 13 continue à être le lieu plus conflictuel de Medellín. Elle a expulsé 125 personnes (le 23.8% par rapport au total), sans compter qu’on ne connaît pas le lieu d’expulsion de 85 personnes (16.2 %) et nous avons un vide d’information sur 31 personnes (5.9%). Dans la zone sud-est (Comuna 14) il n’y a aucun cas reporté et dans la zone sud-ouest (comunas 15 et 16) il n’y a que 10 cas, 5 pour chaque comuna. 290 5. La ville de Barrancabermeja : port pétrolier du Magdalena Medio Carte N° 9 : Barrancabermeja et Santander en Colombie. La superficie du département de Santander 2 est de 30.537 km et compte 1.916.336 habitants. Le département est délimité au nord par les départements du Cesar et Nord de Santander ; à l’est et au sud par le département de Boyacá et à l’ouest par le fleuve Magdalena, qui le sépare des départements d’Antioquia et Bolívar (Censo General 2005c). Barrancabermeja est un important centre industriel du département de Santander, situé à 403 kilomètres de Bogotá au nord-est de la Colombie. La ville s’élève à environ 75 mètres au-dessus du niveau de la mer avec une température moyenne de 27 degrés centigrades. Selon le recensement de 2005, la ville compte 187.311 habitants dont 168.307 dans le chef lieu (cabecera), soit 89.85% de la population habitant la zone urbaine (Censo General 2005c).364 Avec une extension de 1.347,8 km², Barrancabermeja est limitrophe avec les municipios de Puerto Wilches, Sabana de Torres et Giron au nord, de Puerto Parra, Simacota et San Vicente de Chucurí, au sud, de San Vicente de Chucurí et Betulia à l’est, et à l’ouest avec le fleuve Magdalena, la plus importante voie fluviale du pays qui le sépare de la ville de Yondó (Antioquia). Voir dans l’annexe K le profil de la ville de Barrancabermeja selon le recensement général de 2005. 364 Néanmoins selon les données du Site Internet de la Mairie de Barrancabermeja, la ville compte environ 300.000 habitants, ce qui montre un écart énorme par rapport aux données du recensement de 2005. 291 Photo N° 5 : Port de Barrancabermeja. Source : Carlos Cargonher. Puertos Colombianos 2. [réf. du 2007-06-14]. Disponible sur Internet: http://img482.imageshack.us/img482/5803/bbar ranca5vo.jpg Photo N° 6 : Le centre-ville de Barrancabermeja. Source : The Center for International Policy’s. Colombia Program. [réf. du 200706-14]. Disponible sur Internet: http://www.ciponline.org/colombia/barranca panorama.jpg La ville est donc un important port fluvial. Mais Barrancabermeja est surtout reconnue pour l’exploitation du pétrole, ce qui lui a valu le surnom de « capitale pétrolière de Colombie ». De nombreux témoignages de l’époque de la colonie espagnole montrent la présence du combustible dans la région, et son utilisation par les indigènes. Néanmoins, l’importance de « Barranca », comme on l’appelle couramment, date du XXe siècle, quand les premières concessions pour l’exploitation du brut furent octroyées aux entreprises étrangères (1916). Par la suite, la Loi 5 de 1922 autorisa l’Assemblée du département de Santander à ériger en municipio l’ancien hameau (corregimiento) de Barrancabermeja, changement qui eut lieu avec l’ordonnance départementale N° 13 du 17 avril 1922. L’importance économique était incontestable pour l’époque, encore aujourd’hui, Barrancabermeja est le siège de la plus importante raffinerie du pays, et du complexe industriel de l’entreprise étatique du pétrole, ECOPETROL (Empresa Colombiana de Petróleos). En outre, le syndicat de cette entreprise (USO - Unión Sindical de Obreros) est l’un des plus puissants du pays, devenu symbole de la gauche (Alcaldía de Barrancabermeja 2004a). En effet, Barrancabermeja a été le siège des plus grands conflits de travail de la Colombie, accompagnés de luttes campagnardes et de vastes protestations urbaines. À côté des syndicats, il y a eu le développement de partis politiques de gauche et de plusieurs organisations politiques, sociales et populaires ayant un impact direct sur le développement du port pétrolier et de 292 toute la région du Magdalena Medio (Defensoría del Pueblo 2001, p. 125). Selon l’OPI (Observatorio de Paz Integral del Magdalena Medio) les premiers conflits suscités dans la région se sont présentés entre la classe ouvrière et les entreprises pétrolières étrangères, d' une part, par les conditions de travail imposées par celles-ci et les conditions exigées par les travailleurs ; et, d' autre part, entre les petits paysans et les entreprises multinationales, par la possession et l' utilisation de la terre. De cette manière les luttes campagnardes, syndicales et des populations urbaines s’entrecroisent constamment dans le but d' élever les conditions de vie. Ainsi, la première grève pétrolière à Barrancabermeja date d’octobre 1924. Plus tard, en 1963, nous assistons à la première grève civique de la ville dont l' objectif était la lutte pour l' eau potable. À partir de ce moment, les grèves se sont transformées en armes efficaces pour atteindre les objectifs de la population face à l' administration publique. Dans les années quatre-vingt, le nombre de mobilisations sociales a augmenté face à des questions comme le développement social et économique de toute la région du Magdalena Medio. À la même période, les mobilisations contre les actions violentes débutèrent. Nous y reviendrons plus loin (OPI 2006c, p. 59-60). Par ailleurs, Barrancabermeja est considérée comme la capitale de la région du Magdalena Medio, qui, définie par le Programme de Paix et Développement (PDPMM), est un espace de 30.000 km² situé au nord-est de la Colombie, traversé par le fleuve Magdalena du sud au nord. C’est le point de confluence entre le centre du pays et la côte atlantique, et entre la région pacifique et le Venezuela (second associé commercial du pays). Sa situation géographique est stratégique pour le développement national et la communication entre le nord, le centre et le sud de la Colombie. La région comprend actuellement trente municipios des départements d’Antioquia, Bolívar, César et Santander (Katz 2004, p. 1).365 Les critères partagés par ces municipios sont : l' exploitation pétrolière ; les similitudes de population ; la présence étatique 365 Nous pouvons considérer la région du Magdalena Medio dans un sens plus large et inclure quelques zones des départements de Boyacá, Cundinarmarca et Caldas. Néanmoins dans cette étude on gardera la proposition du PDPMM. Les trente municipios qui composent la zone sont : Aguachica, Arenal, Barrancabermeja, Betulia, Bolívar, Cantagallo, Cimitarra, El Carmen, El Peñón, Gamarra, La Gloria, Landázuri, Morales, Puerto Berrio, Puerto Nare, Puerto Parra, Puerto Wilches, Regidor, Río Negro, Riejo Viejo, Sabana de Torres, San Alberto, San Martín, San Pablo, San Vicente del Chucurí, Santa Rosa del Sur, Simacota, Simiti, Tiquisio et Yondó. 293 précaire ; les hauts indices de pauvreté ; les formes de violence et de luttes armées, et le partage de la culture (Fundación Ideas para la Paz et PNUD 2002, p. 25). Carte N° 10 : Division administrative de Barrancabermeja Source : ALCALDÍA DE BARRANCABERMEJA. 2004a. Barrancabermeja en cifras : 2001 2003. Barrancabermeja. 148 p. [réf. du 200610-14]. Disponible sur Internet : http://www.barrancabermeja.gov.co/ Administrativement, comunas, 366 la ville de Barrancabermeja qui regroupent 140 quartiers (barrios) 367 comprend sept et la partie rural comprend 6 hameaux : Llanito, La Fortuna, Meseta San Rafael, San Rafael del Chucurí, Ciénaga del Opón et El Centro (Alcaldía de Barrancabermeja 2004a, p. 29). Voir dans l’annexe L, le tableau sur la division de la zone urbaine de Barrancabermeja par comunas et quartiers. L’importance du port pétrolier et de la navigation par le fleuve Magdalena a fait de Barrancabermeja un important pôle d’attraction de population. D’après Flórez et Castañeda, depuis le début du XXe siècle, Barrancabermeja acquit une 366 La comuna c' est la plus grande division dans la zone urbaine, conformée par deux ou plus quartiers qui réunissent les conditions démographiques déterminées dans l' article 117 de la Loi 136 de 1994. En outre, les comunas se constituent par des secteurs de, au moins, trente pâtés de maisons, conformés par population socio économiquement homogène et dotés d' une indépendance relative entre eux (Consejo Municipal de Barrancabermeja 2002, article 86). 367 Le quartier est la plus petite division territoriale de la zone urbaine, intégrée par une population socio-économique homogène, dépendant des services collectifs de la communauté et dans laquelle l' utilisation résidentielle est prédominante mais qui admet autres utilisations connexes complémentaires. Le quartier, en tant que produit de la dynamique urbaine, correspond à des conglomérats de développement naturel ou à des urbanisations successives (Consejo Municipal de Barrancabermeja 2002, article 88). 294 triple fonctionnalité comme campement, port et centre régional : « La ville a eu un rythme de croissance accéléré, parce qu’elle était fortifiée comme une “Ville Ouverte”, conformée par trois rôles : une ville campement qui logeait des travailleurs pétroliers fixes et temporaires, une ville comme port fluvial qui centralisait le transport de cargo et de passagers dans la zone, enfin, une ville commerciale qui contrôlait son secteur d' influence » (Flórez y Castañeda 1997 cité en Noche y Niebla 2004, p. 90-91).368 Pendant l’époque de « La Violencia » dans les années cinquante, Barrancabermeja a été centre d’accueil de population déplacée. En outre, selon la Vice-présidence de la République, la croissance du port entre 1980 et 2000 est associée à l' arrivée de déplacés du Magdalena Medio et d' autres zones touchées par les violences du pays. À partir de 1996, elle a notamment reçu les déplacés venus du sud de Bolívar suite à l’offensive paramilitaire du département (Vicepresidencia de la República 2001, p. 12). Selon le SUR (Système Unique d’Enregistrement de la Population Déplacée de la RSS), entre 2000 et 2005 Santander a reçu 63.902 personnes, soit 3.79% du total des personnes déplacées dans le pays selon les statistiques officielles (RSS 1995 – 2006c). Barrancabermeja est le 17ème municipio d’accueil de déplacés (parmi 1.098).369 Elle est aussi la principale ville d’accueil parmi les trente municipios du Magdalena Medio (RSS 1995 – 2006d). À l’égard de la population déplacée de Barrancabermeja, Ramírez remarque que, même si une grande partie a été incluse dans le SUR, quelques familles n' ont jamais reçu l’aide humanitaire d' urgence et, en conséquence, elles ne font pas partie des processus de rétablissement. Par ailleurs, l’auteur signale que quelques familles ont été retirées du registre sans qu' elles aient été notifiées, et sans qu' ait cessé leur condition de déplacés d’après la loi (Ramírez 2005, p. 38). En outre, un rapport de l' Université Nationale de la Colombie et de la Red de Solidaridad Social (RSS) signale que, bien que la population déplacée située à 368 Traduit par nous de : « La ciudad mantuvo un ritmo de crecimiento acelerado, porque se fortalecía como una Ciudad Abierta, conformada por tres roles : una ciudad campamento que albergaba trabajadores petroleros fijos y temporales, una ciudad como puerto fluvial que centralizaba el transporte de carga y pasajeros en la zona, y una ciudad centro comercial que controlaba su área de influencia ». 369 Le chiffre peut être plus large si on prend les données de la CODHES. 295 Barrancabermeja soit organisée en associations comme ASODESAMUBA, ASODEPACOL, FUNMUDEMBA, APROCOB, COREDMAG, ACVC, CORDEBAN y ASODEV,370 peu d’entre d' elles ont une représentation dans les Comités d’Assistance à la Population Déplacée par la Violence.371 Finalement, ce rapport indique que dû à l’absence de possibilités de travail et d' appui étatique aux déplacés, ils sont poussés à s’insérer dans les groupes armés, la délinquance commune et les activités concernant le vol du combustible (RSS ; Universidad Nacional 2002a, p. 11-20). 6. La violence à Barrancabermeja : une population soumise au silence La violence dans la ville de Barrancabermeja a été directement associée aux acteurs armés du conflit national. En 2000 Barrancabermeja a eu l’un des taux d' homicides les plus élevés du pays : 203.8 pour chaque 100.000 habitants (la moyenne du pays en 2000 était de 62.71). Selon une analyse faite par l'Observatorio Presidencial de Derechos Humanos y Derecho Internacional Humanitario aux actes de soulèvement de cadavres de médecine légale, 851 homicides ont été enregistrés entre le mois de janvier de l’année 2000 et le mois de septembre 2001, 89% ont été associés directement au conflit armé et 72% ont eu pour scène le casque urbain de la ville (Vicepresidencia de la República 2001, p. 8). La présence des acteurs armés dans la ville a été évidente dès la décennie des années 1960 avec la consolidation des premières structures urbaines de la guérilla de l’ELN. Par la suite, la ville a eu des cellules des FARC-EP, et quelques noyaux de l’EPL. Plus loin, notamment à partir de 1998, la ville a vécu 370 Voir l’étude de l’ILSA 2006, sur les origines, caractéristiques, missions et activités de ces organisations de déplacées. 371 Les Comités des municipios et de département pour l' assistance de la population déplacée par la violence sont les instances territoriales créées par la Loi 387 de 1997 et réglementées dans le Décret 2569 de 2000 afin de soutenir la mise en oeuvre locale de la politique d' assistance au déplacement. Ils doivent être convoqués par les maires ou les gouverneurs selon le cas. Ils ont des fonctions de prévention et d’assistance. Les Comités doivent garantir que les programmes et les projets réalisés par les autorités et les organismes publics soient conçus de manière articulée. La Loi 387 de 1997 indique le droit des personnes déplacées à faire partie de ces Comités. 296 l’offensive paramilitaire qui a eu pour but l’expulsion des guérillas. Depuis l’année 2001, les paramilitaires ont gagné un plus grand contrôle sur le port pétrolier et les guérillas se sont repliées dans les zones rurales. Selon Pécaut, une telle transition s’est réalisée à travers le départ forcé d’une partie des habitants et le soutien d’une autre partie, exaspérée par les exactions de la guérilla (Pécaut 1996a, p. 260). Dans le même sens Romero souligne « [...] sur les erreurs ou les excès des guérillas, les paramilitaires ont réussi à créer un public qui coïncide avec leur proposition ou avec quelques parties de celle-ci, même s’il n’est pas d' accord avec la terreur de leurs méthodes » (Romero 1999, p. 67).372 Les confrontations entre guérillas et paramilitaires ont laissé de nombreuses victimes. En outre, plusieurs des homicides ont été effectués dans la voie publique et ont été accompagnés de pratiques de torture, ce qui a propagé la terreur parmi la population civile. Ainsi, les habitants de la ville, notamment ceux des quartiers populaires, ont été quotidiennement soumis à la vigilance des protagonistes armés et placés entre plusieurs feux. La ville était en effet divisée par des frontières invisibles séparant les quartiers tenus par les divers groupes armés. En effet, la présence des guérillas, et par la suite la dispute avec les paramilitaires, a engendré une dynamique de violence à Barrancabermeja marqué par les meurtres sélectifs, les disparitions forcées, les menaces, la destruction de l’infrastructure pétrolière,373 l’incendie de véhicules, les kidnappings, les attaques à la Force Publique et aussi le déplacement forcé de population.374 Dans ce contexte, la population est soumise au silence, marquée par le manque de confiance envers les autorités. Nombreuses sont les remarques faites par les organisations des droits de l’homme, sur les liens et affinités entre 372 Traduit par nous de : « [...] sobre los errores o excesos de las guerrillas los paramilitares han logrado crear un público que coincide con su propuesta o con puntos de ella, así no esté de acuerdo con el terror de sus métodos ». 373 Selon la Vice-présidence de la République la violence contre l' infrastructure a différents buts : d’une part elle est associée à l' extorsion aux pétrolières et leurs associés, dans d' autres cas elle est mis en rapport avec la présence de grèves civiques et de travail. Parfois elle est liée aux protestations par les meurtres, les massacres et les déplacements forcés dans la région (Vicepresidencia de la República s.d.). 374 Eu égard ces violations des droits de l’homme voir la Resolución Defensorial N° 7 sur la situation des défenseurs de droits de l’homme à Barrancabermeja, du 7 mars 2001. 297 les objectifs paramilitaires et ceux des forces de l’ordre. De ce fait, selon l’IPC (Instituto Popular de Capacitación), la présence de la Police et de l' Armée Nationale dans le secteur urbain de la ville et dans la région du Magdalena Medio n' a pas signifié le rétablissement de l' ordre public et la cessation de violations des Droits de l’Homme et au Droit International Humanitaire (IPC 2006a p. 146). En effet, il existe toujours une divergence entre les versions des autorités armées de la région et celles des organisations des droits de l’homme par rapport aux faits de violence. Il existe une grande méfiance des habitants face à l’autorité et à leur relation avec les paramilitaires, et, en conséquence, les revendications officielles sont peu nombreuses. Le silence est donc l‘option des habitants pour survivre (Romero 2002a, p. 15-16).375 En effet, selon maints rapports, la prise du port pétrolier par les paramilitaires a été possible grâce à la complicité et la coopération des Forces de Sécurité Colombiennes avec le groupe armé illégal (Isacson 2001). 6.1 Le port pétrolier comme bastion des guérillas Barrancabermeja reçoit de population migrante depuis des années grâce au développement de l' économie pétrolière et à la navigation par le fleuve Magdalena. Depuis 1950, elle a reçu aussi des importants flux migrateurs provenant des différentes zones sensibles du pays et du Magdalena Medio. Parallèlement à ce processus, de nombreuses guérillas ont profité de la présence de mouvements de la gauche légale dans la ville pour gagner le soutien et la légitimité de la population (Vicepresidencia de la República 2001, p. 2-3). De ce fait, la première organisation guérillera à arriver à Barrancabermeja fut l’ELN. Cette organisation a reçu l' appui logistique des combattants recrutés parmi les jeunes issus de clase moyenne de la ville. Les mouvements de gauche ont effectivement facilité les activités des fronts ruraux de l’ELN et ont permis la consolidation des structures urbaines qui ont survécu à l' opération Anorí au début des années 1970. Barrancabermeja a donc été l’une des premières localités où l' ELN a attiré des dirigeants des mouvements de masses pour faire partie de son projet politique (Medina 2001, p. 228). 375 Un des fonctionnaires de l' Armée chargée de la sécurité dans le quartier La Paz (Comuna 3 de Barrancabermeja) souligne que la responsabilité de l' impunité est de la citoyenneté qui ne fait pas des dénonciations officielles (Romero 2002a, p. 15-16). 298 En effet, comme il a été mentionné dans la section 2.2 de la deuxième partie de cette étude, depuis 1964 les membres de l’ELN ont choisi le municipio de San Vicente du Chucurí (voisin de Barrancabermeja par le sud et par l’est) pour fonder leur organisation guérillera. La zone était le lieu des activités des guérillas libérales de Rafael Rangel dans les années cinquante, ce qui a permis la formation des premiers noyaux armés. Elle était aussi un terrain favorable au contrôle de la région pétrolière (à proximité du port de Barrancabermeja et de la principale raffinerie du pays) et du chemin de fer du Magdalena. Mais surtout, elle réunissait les organisations qui avaient dirigé les luttes sociales et politiques depuis les années 1920 et un syndicalisme représentatif du mouvement ouvrier colombien. À tout cela s’ajoutaient les conditions révolutionnaires particulières aux étudiants de l’Université Industrielle de Santander (UIS) (Arenas 1972, p. 23). Entre 1983 et 1986, période de la résurgence de l' ELN grâce à l’extorsion des compagnies pétrolières étrangères, le front Cristóbal Uribe est né à Bucaramanga et à Barrancabermeja, financé par les revenus provenant des extorsions perpétrées dans le Magdalena Medio, notamment auprès des éleveurs de bétail. Par la suite, entre 1989 et 1991, le front Manuel Gustavo Chacón s’est consolidé aux alentours de Barranca. Plus tard, entre 1992 et 1995 le front urbain de Resistencia Yariguíes est apparu dans le port pétrolier et dans la ville de Sabana de Torres, en perpétrant des attentats contre les organismes de l' État. Tous ces fronts ont été initialement articulés au front de guerre oriental, également présents dans les départements d’Arauca, au nord de Santander, au nord de Boyacá, et au sud de Cesar. Après la désintégration du front de guerre oriental, les fronts de Resistencia Yariguíes, Capitán Parmenio, Manuel Gustavo Chacón et Guillermo Antonio Vásquez ont pris le pouvoir sur la région du Magdalena Medio, ayant comme siège général la ville de Barrancabermeja (Vicepresidencia de la República 2001, p. 4). Selon un rapport plus récent de la Vice- présidence de la République (2005), le front Resistencia Yariguies et le front urbain Manuel Gustavo Chacón continuent à opérer dans la ville (Vicepresidencia de la República 2005, p. 4).376 376 Le rapport de la Vice-présidence de la République de l’année 2003 sur les droits de l’homme à Santander souligne les activités du front urbain Diego Cristóbal Uribe Escobar 299 D’autre part, en ce qui concerne les FARC-EP, leur présence et activités étaient moins significatives dans le casque urbain de Barrancabermeja que celles de l’ELN. D’après les rapports de la Vice-présidence de la République, depuis les années 1960, le quatrième front des FARC-EP est né dans le sud du Magdalena Medio, mais il n’a pas eu d’impact sur Barrancabermeja. Dans le port, la plus grande croissance de cette organisation s' est produite entre 1980 et 1983, quand sont apparus les fronts 12, 20 et 23 à Santander et le front 24 dans le sud de Bolívar. Par la suite, dans la première moitié des années 1990, les fronts 37 dans le sud de Bolívar et le 46 dans les limites entre Santander et Bolívar sont apparus, lesquels ont eu une influence sur Barrancabermeja (Vicepresidencia de la República 2001, p. 5). Selon un rapport plus récent de la Vice-présidente de la République sur la situation des droits de l’homme dans le département de Santander (2003), le front 24 (Héroes de Santa Rosa) et les Milicias Bolivarianas des FARC-EP continuent à opérer dans la ville (Vicepresidencia de la República 2003, p. 5). Finalement, l' EPL s’est également installé dans le casque urbain de la ville. En effet, le 17 décembre 1997, cette organisation a incendié plusieurs véhicules et a posé des bombes à Barrancabermeja pour commémorer l' anniversaire de sa fondation comme mouvement politique (Human Rights Watch 1998). Elle était active par le biais du front Ramón Gilberto Barbosa Zambrano. Elle fut néanmoins expulsée de la ville par les FARC-EP en juin 1999, après l’assassinat de 12 de ses militants (Roux 1999, p. 14). Selon Loingsigh cela a provoqué les premières désertions de la guérilla vers les AUC (Loingsigh 2002, p. 10). En outre, il faut souligner qu’une dispute territoriale entre guérillas a eu lieu entre les FARC-EP et l’ELN, dans les quartiers sud-est et nord-est de la ville. En définitive, le Magdalena Medio et la ville de Barrancabermeja ont été des zones stratégiques pour les guérillas par l’économie pétrolière, la proximité avec le fleuve Magdalena, l’autoroute Troncal de la Paz qui traverse plusieurs secteurs du Magdalena Medio, et par l’importance de l’agro-industrie et l’élevage à Barrancabermeja. Cependant, pour l’année 2005, il ne le reporte plus (Vicepresidencia de la República 2003, p. 5). 300 du bétail, activités desquelles elles extraient leurs revenus. Selon les rapports de la Vice-présidence de la République entre janvier 1990 et septembre 2001, il y a eu un total de 550 actions armées377 à Barrancabermeja dont 378 ont été attribuées à l' ELN (69%), 89 aux FARC-EP (16%), 18 à l' EPL (3,3%) et le reste à d' autres organisations non identifiées (Vicepresidencia de la República 2001, p. 5). En mai 1999 un rapport d' Amnistie Internationale présente une carte de la présence des guérillas dans la ville : « La ville est considérée comme un bastion tant des FARC-EP que de l’ELN et, dans une moindre mesure de l' EPL. La ville a éprouvé une importante croissance ces dix dernières années avec l' afflux massif de travailleurs migrants et de communautés campagnardes déplacées. Par la suite, les quartiers marginaux ont proliféré et ont été dispersés vers les zones environnantes. C’est tout spécialement dans ces quartiers pauvres où les organisations partisanes ont établi une forte présence. Il existe une tendance à identifier ces quartiers par les mouvements insurgés. Les quartiers du sud-est et du nord-est de la ville sont aussi des bastions des milices urbaines liées aux groupes partisans. Parmi ces milices figurent : le front urbain de Resistencia Yariguíes-Fury, et le Capitan Parmenio, tous deux liés à l' ELN ; une unité des FARC-EP en rapport avec le Bloque del Magdalena Medio, et une unité urbaine du front Ramón Gilberto Barbosa de l' EPL » (Amnistie Internationale 1999, p. 5).378 377 La Vice-présidence considère comme actions armées, les contacts armés à l' initiative de la Force Publique, les attaques qui, à l' initiative de la guérilla, sont retombées sur la Force Publique (les embuscades, les harcèlements, les attaques à des installations militaires et de police et la prise des peuplements), les actes orientés à la destruction d' infrastructure et, finalement, les actions de piraterie terrestre et les assauts d’organismes bancaires et de propriétés privées (Vicepresidencia de la República 2001, p. 5). 378 Traduit par nous de : « La ciudad se considera un baluarte tanto de las FARC-EP como del ELN y, en menor medida del EPL. La ciudad experimentó un importante crecimiento la década pasada con la afluencia masiva de trabajadores migratorios y de comunidades campesinas desplazadas, y los barrios marginales han proliferado y se han esparcido por las zonas circundantes. Es especialmente en estos barrios pobres donde las organizaciones guerrilleras han establecido una presencia fuerte. A los barrios se los tiende a identificar con alguno de los movimientos insurgentes. Los barrios suroriental y nororiental de la ciudad también son bastiones de las milicias urbanas vinculadas a los grupos guerrilleros. Entre estas milicias figuran : el Frente Urbano de Resistencia Yariguíes-Fury, y el Capitán Parmenio ambos vinculados al ELN ; una unidad de las FARC-EP relacionada con su Bloque del Magdalena Medio, y una unidad urbana del Frente Ramón Gilberto Barbosa del EPL ». 301 Dans cette section nous avons vu que Barrancabermeja a été une zone stratégique tant au niveau géographique que politique pour la consolidation des guérillas. Néanmoins, à partir de 1998 leur pouvoir commence à être contesté par les paramilitaires. La confrontation entamée entre ces deux groupes opposés a conduit la population à de hauts niveaux de risque pour leur vie et leur intégrité personnelle. En effet, à la fin de l’année 2001, les paramilitaires ont réussi à déloger les guérillas, et ils ont recruté des hommes parmi les combattants ennemis (Vicepresidencia de la República 2001, p. 14).379 6.2 L’offensive paramilitaire : guerre frontale contre la subversion En réponse à l’emprise de la guérilla sur Barrancabermeja, dans la décennie des années 1980, cette ville a été la scène du mouvement des autodéfenses MAS (Muerte a Secuestradores). L' objectif de ce mouvement était d' éliminer les délinquants et guérilleros responsables des extorsions et des enlèvements. En même temps, quelques structures paramilitaires qui opéraient dans le sud de la région du Magdalena Medio ont aussi commencé à avoir des attachés dans le port pétrolier. Par la suite, dans les années 1990, il y eut présence des autodéfenses qui opéraient dans le bajo Simacota, dans les municipios de San Vicente et le Carmen de Chucurí (Vicepresidencia de la República 2001, p. 7). Depuis 1995, les organisations de droits de l’homme ont dénoncé l' intention des paramilitaires « d' entourer Barrancabermeja ». Selon un rapport de CREDHOS (Corporación Regional para la Defensa de los Derechos Humanos) le réseau paramilitaire a commencé d’abord par l' occupation de territoires limitrophes à Barrancabermeja : El Carmen, Cimitarra, Puerto Parra, San Vicente de Chucurí et Simacota. En 1996 la corporation a enregistré la présence des groupes paramilitaires dans le municipio de Yondó (Antioquia), dans la rive gauche de la fleuve Magdalena, dans le sud de Bolívar et dans la zone rurale et 379 En général les paramilitaires leur proposaient un salaire pour les attirer. Toutefois, selon les recherches de Loingsigh, les paramilitaires ont cessé de payer les salaires après quelques mois, quand les jeunes ont déjà été signalés comme paramilitaires. Même dans quelques cas, ils les ont tués pour ne pas leur payer le salaire ou pour éviter les dénonciations. Une autre modalité pour se défaire de ces jeunes était de les envoyer combattre dans le Sud de Bolívar (Loingsigh 2002, p. 22). 302 le chef lieu de Barrancabermeja, malgré la militarisation de ces zones (CREDHOS 1996, cité par Romero 2003, p. 105-106). Les effets de cette avancée territoriale par les paramilitaires se sont donc reflétés dans une croissance soutenue, depuis 1998, de l' indice d' homicides pour cent mille habitants (Romero 2002a, p. 14).380 (Voir graphique N° 10) En effet, c’était en 1998 que la stratégie pour la prise du port pétrolier été élaborée par les paramilitaires avec l' appui des autodéfenses qui opéraient à Sabana de Torres, Yondó, Puerto Wilches, le sud du Cesar et Bolívar (Vicepresidencia de la República 2001, p. 7).381 De cette manière, bien qu' ils aient été présents dans la zone depuis plusieurs années, ce n’est qu’à partir de 1998 que les autodéfenses ont commencé à contester clairement le contrôle de la région aux guérillas. Cette entrée est marquée par l' incursion du 16 mai 1998 à Barrancabermeja. D’après le rapport d' Amnistie Internationale sur cette offensive : « Barrancabermeja, una ciudad sitiada » un groupe de plusieurs paramilitaires est entré dans la ville dans des camions et a circulé librement par les quartiers défavorisés (zones sud-est et nord-est). Pendant le parcours, il a tué 7 habitants accusés d’être auxiliateurs des milices urbaines de l’EPL et de l’ELN, et a forcé 25 personnes à partir dans les camions, lesquelles ont disparu.382 Les enlèvements ont eu lieu notamment dans les quartiers María Eugenia, El Campín, Divino Niño et Nueve de Abril dans la Comuna 7. Selon le rapport d’Amnistie, quelques jours avant l’offensive, le DAS (Departamento Administrativo de Seguridad) avait envoyé un communiqué aux commandants militaires et de police de Barrancabermeja dans lequel il signalait que les forces paramilitaires projetaient un massacre dans la ville. Malgré l’avertissement, les Forces de Sécurité de l' État n' ont pas pris de mesures pour empêcher l' attaque ni 380 D’après Romero, depuis 1999 jusqu’en 2002 ont été assassinées dans la ville environ 800 personnes accusées par les paramilitaires d' appartenir ou d' aider la guérilla. Parmi les victimes on trouve : chefs communautaires, syndicalistes, campagnards et activistes sociaux et de droits de l’homme (Romero 2002a, p. 15). 381 D’après Romero le fait que des 414 organisations Convivir reportées dans le pays par la Surintendance de Surveillance et Sécurité Privée en 1997, 106 soient situés dans le département de Santander, constitue (possiblement) un antécédent de l' offensive paramilitaire, entamée en 1998 contre les guérillas et la population civile du Magdalena Medio (Romero 2002a, p. 12). 382 Selon les rapports de Isacson (2001) et ASFADDES (2003) les morts ont été 11 au lieu de 7. 303 faire face au groupe paramilitaire pendant l' incursion. Finalement, les AUSAC (Autodefensas Unidas de Santander y el sur del Cesar) ont été tenues pour responsables de cette incursion. Leur commandant a même admis face aux médias leur responsabilité. Il a affirmé que toutes les victimes avaient des liens avec les milices populaires de Barrancabermeja et que, de ce fait, ils méritaient ce qui leur était survenu (Amnistie Internationale 1999).383 En outre, selon Loingsigh, entre les années 2000 et 2001, les autodéfenses ont menacé plusieurs familiers des victimes du massacre du 16 mai 1998, pour leurs dénonciations à ce sujet. Quatre familiers des disparus ont été tués. De ce fait, l’organisation ASFADDES (ONG de familiers de personnes disparues que nous allons présenter plus loin) a été obligée de fermer son bureau à Barrancabermeja (Loingsigh 2002, p. 17).384 Selon la Police National, en 1998, il y eut à Barrancabermeja 5 massacres (27 victimes) ; en 1999, 3 massacres (26 victimes) ; en 2000, 5 massacres (29 victimes) et en 2001, 2 massacres (9 victimes). Il n’y a pas de massacres registrées par la Police pour les années 2002, 2003 et les premiers 8 mois de 2004 (Vicepresidencia de la República. s.d. (b)). Loingsigh fait une description de ces événements dans son livre sur les paramilitaires dans le Magdalena Medio. Il précise aussi que, c’est au cours de l’année 2001 que les paramilitaires prennent le contrôle définitif de la ville (Loingsigh 2002, p. 9-19). Ainsi, à la fin de l’année 2000 et pendant le premier semestre du 2001, les paramilitaires ont continué leur offensive contre les guérillas et contre les dirigeants populaires et syndicaux, laquelle a eu comme scène les quartiers populaires de la ville, placés notamment dans les zones du nord-est et sud-est. Cette escalade obéissait à l’intérêt des AUC de transférer une partie de ses effectifs du sud de Bolívar à Barrancabermeja. Depuis le 22 décembre de 2000 383 Voir la Revista Semana N° 851. Bogotá : août 1998. « La confesión de Morantes. El jefe de las Autodefenses de Santander y Sur del Cesar acepta que fue el autor de la masacre de Barrancabermeja en mayo de este año ». 384 D’après Noche y Niebla, le 11 juillet 2000, les paramilitaires ont assassiné, Elizabeth Cañas Cano à Barrancabermeja. Elle appartenait à l’organisation ASFADDES de Barrancabermeja et avait été fondateur de l' Association de Familiers de Disparues du Magdalena Medio. Elle avait identifié et avait dénoncé un membre de la Force Publique qui avait participé au massacre du 16 mai 1998 (Noche y Niebla 2004, p. 52). 304 plus de 100 combattants sont arrivés par la rivière Magdalena ayant pour but de fermer les routes d' approvisionnement des militants de l’ELN dans le Magdalena Medio (Romero 2002a, p. 16). Cette offensive leur a permis de réduire ostensiblement le pouvoir et l' influence des guérillas, particulièrement de l' ELN. À la suite de cette attaque paramilitaire, la guérilla a dû se replier dans les montagnes de San Lucas et du Perijá (Vicepresidencia de la República 2001, p. 3). En effet, la stratégie des paramilitaires a été de couper le lien partisan entre les secteurs urbains et ruraux et ils l' ont obtenu en encerclant Barrancabermeja. Les guérillas ont été obligées de se replier dans les zones montagneuses comme effet de la pression dans les quartiers populaires du port. Néanmoins, l’offensive paramilitaire n’a pas seulement affecté la base des guérillas ; elle a profondément affecté d’importants secteurs de la population civile et, en particulier, les membres du syndicalisme et les organisations politiques et sociales (Vicepresidencia de la República 2001, p. 3). Les événements du 22 et 23 décembre 2000 ont marqué profondément la société civile du port. Les paramilitaires ont réalisé des piquets dans le secteur nord-est de la ville et ils ont fait des incursions dans le quartier Primero de Mayo (Comuna 5) : ils ont assassiné un jeune, et ils ont pris par la force les logements de plusieurs civils où ils ont kidnappé de manière transitoire plusieurs personnes. En outre, ils ont pris quelques logements dans les quartiers Miraflorez et Simón Bolívar (Comuna 5) depuis lesquels ils ont commencé à dévoiler leurs stratégies et activités (Defensoría del Pueblo de Colombia, Expediente - Quejas N° Q0001494 CMC). Selon un article du journal El Tiempo du 27 décembre de 2000, les Autodefensas Unidas del Sur de Bolívar y Santander ont confirmé leur présence à Barrancabermeja et ont annoncé qu’ « [...] elles maintiendront une guerre frontale contre la subversion et déclarent comme objectif militaire la délinquance, la classe politique corrompue et tous ceux-là qui ont un certain lien avec les groupes partisans » (El Tiempo, 27 décembre 2000).385 Le graphique suivant montre le taux d’homicides à Barrancabermeja à partir de l’année d’initiation de l’offensive paramilitaire. 385 Traduit par nous de : « [...] mantendrán una guerra frontal contra la subversión y declaran objetivo militar a la delincuencia común, la clase política corrupta y todo los que tengan algún nexo con los grupos guerrilleros ». 305 Taux d' homicides à Barrancabermeja 1998-2004* 250 203, 8 200 184 150 133 100 67, 2 56, 7 50 0 51, 5 14, 5 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Graphique N° 10 : Taux d’homicides à Barrancabermeja 1998-2004* (100.000 habitants) * Chiffres projetés sur les chiffres enregistrés dans les huit premiers mois de 2004. Source : Police National. Consulté en VICEPRESIDENCIA DE LA REPÚBLICA. OBSERVATORIO DEL PROGRAMA PRESIDENCIAL DE DERECHOS HUMANOS Y DIH. Algunos indicadores sobre la situación de los derechos humanos en Barrancabermeja y su zona de influencia. p. 3 [réf. du 2006-12-06] Disponible sur Internet : http://www.reliefweb.int/library/documents/2004/govcol-col-21oct8.pdf Le graphique souligne, qu’à partir de l’entrée paramilitaire en ville, les homicides ont une tendance croissante jusqu’à arriver à son maximum en 2000 avec un taux de 203.8 homicides par 100.000 habitants. À partir de l’année 2002, il y a une chute dans le taux d’homicides, qui a sûrement une relation directe avec le processus de démobilisation des paramilitaires entamé cette année-là. Néanmoins, les démobilisations des paramilitaires du Magdalena Medio ont eu lieu notamment en 2006 comme nous le verrons dans la section suivante. Par ailleurs, les paramilitaires contrôlent le marché du vol de l' essence grâce à la perforation directe du gazoduc, et parfois, par le biais des extorsions aux bandes organisées qui ont traditionnellement développé cette activité. De ce fait, ils cherchent le contrôle des lieux stratégiques pour effectuer la commercialisation de ce produit aux revendeurs (par exemple les quartiers de la Comuna 7). D’autre part, ils reçoivent l' appui des organisations paramilitaires du Magdalena Medio, lesquelles dérivent leurs ressources des économies de la coca et de l' or (Vicepresidencia de la República 2001, p. 8). De ce fait, ils ont assez de ressources pour survivre, ce qui leur permet de ne pas demander 306 régulièrement des impôts ou extorsions à la population civile, ce qui, par la suite, leur garantit une certaine légitimité parmi les habitants de la ville. En outre, selon une version contestée de Loingsigh, les paramilitaires contrôlent les ressources internationales du Plan Colombie386, soit par le biais de leurs propres ONG qui ont acquis les contrats, soit par les impôts qu’ils demandent aux travailleurs de différentes coopératives qui gèrent les fonds du composant social de ce projet (Loingsigh 2002, p. 104). Selon les conclusions de la table ronde effectuée à Barrancabermeja le 15 juillet 2003, même si le contrôle de la ville par les paramilitaires se situe notamment dans les quartiers des comunas 1, 5, 6 et 7, ceux-ci ont une stratégie globale de couverture de toute la ville avec des hommes qui montent la garde dans tous les secteurs. Ces hommes doivent changer souvent leur lieu de surveillance (chaque 15 ou 30 jours) pour éviter la création de liens avec la communauté. De ce fait, les paramilitaires sont arrivés à maintenir la population intimidée et soumise à leurs demandes. Dans quelques secteurs, ils sont chargés de l' administration de la justice et de la résolution de conflits, et ils sont arrivés à imposer des normes de coexistence (lesquelles ont été consignées dans un manuel de conduite). En outre, ils ont pris la place des quelques institutions légales comme par exemple les commissariats de famille (Table ronde Barrancabermeja, 15 juillet 2003).387 Le manuel de conduite des autodéfenses dicte des normes tant pour les propres autodéfenses que pour la population civile. Chaque norme est accompagnée de sa sanction respective. On consigne ainsi des horaires d’entrée et de sortie pour les enfants et les horaires d' ouverture des établissements publics. On légifère sur la vente de liqueurs, les jeux d’hasard, les nuisances sur la voie publique, les relations avec la population civile, le port d' armes et 386 Le Plan Colombie est un projet pour diminuer le trafic de drogues et résoudre l' actuel conflit armé en Colombie par le biais de l' aide des États-Unis. Le plan, conçu en 1999, a des projets sociaux et économiques et cherche, notamment, à créer une stratégie antinarcotique et le renforcement des forces militaires pour combattre les groupes armés illégaux. 387 Selon Loingsigh, les paramilitaires ont pris le contrôle de la prison de Barrancabermeja pour annihiler définitivement la guérilla. Soit ils assassinent les prisonniers politiques quand ils sortent de la prison, soit ils les menacent de mort s' ils ne travaillaient pas pour eux (Loingsigh 2002, p. 25). 307 l’utilisation de véhicules officiels ou d' organismes privés. En outre, il ordonne la manutention de façades, la récolte d' ordures, la propreté de fermes et pâturages, le maintien d' animaux, l’étude obligatoire et l’interdiction du vol. Les sanctions comprennent la détention de personnes, des amendes, des travaux forcés, la confiscation de propriétés et l' expulsion de la zone (nous y reviendrons plus loin).388 Néanmoins, selon les rapports de Noche y Niebla, les punitions consistent aussi à ligoter les personnes, leur raser la tête et les sourcils, les frapper, voire, violer les femmes et les enfants (Noche y Niebla 2004, p. 101). En même temps, nombreuses ont été les plaintes qui ont été rassemblées par la Defensoría del Pueblo à propos des activités des paramilitaires dans la ville. Ils se sont emparés de nombreux logements et ont transformé la population en otages et boucliers humains. Outre les meurtres et les disparitions, ils profèrent des menaces constantes, ils font des piquets, des réunions obligatoires de la communauté sous pression armée, ils coupent les lignes téléphoniques, ils empêchent la libre réalisation des événements, ils obligent les femmes à porter des panneaux qui les désignent comme prostituées et les hommes doivent maintenir les cheveux courts. Les paramilitaires réalisent aussi une nouvelle modalité de kidnapping qui consiste à retenir les personnes dans leur propre logement. L' agression des paramilitaires est arrivée même à obstruer l' assistance humanitaire qu' offrent différentes organisations à la population déplacée par la violence (Defensoría del Pueblo, Expediente Quejas N° Q0001494 CMC). De même, la CREDHOS a dénoncé que les paramilitaires profitent de leur pouvoir dans tout type de situations. Par exemple, si un membre des autodéfenses tombe amoureux d' une fille et elle ne lui répond pas sentimentalement, elle est aussitôt menacée (Table ronde Barrancabermeja, 15 juillet 2003). Néanmoins, les paramilitaires réalisent aussi des actions pour gagner l’appui des habitants. De ce fait, ils offrent des postes de travail aux jeunes (dans un ville dont le taux de chômage pour 2004 était de 26,2%), offrent de l’argent pour la réalisation de projets de récupération des rues et investissent dans la construction des parcs (Loingsigh 2002, p. 21). D’autre part, ils ont pris le contrôle des Assemblés d’Action Communale, par la participation directe de leurs 388 Voir le manuel de conduite dans l’annexe M de cette étude. 308 agents en elles ou par le biais de la pression armée à leurs membres. Ainsi, ils préparent plusieurs festivités et activités pour la communauté, ayant comme but de gagner en légitimité auprès de la population (Noche y Niebla 2004, p. 106). Il faut cependant bien reconnaître que les paramilitaires ont aussi commencé à développer de réseaux politiques d’appui parmi la population civile. Par exemple, entre 2000 et 2001, quand il y avait la possibilité concertée entre l’ELN et le gouvernement d’Andrés Pastrana de retirer la Force Publique des municipios de Cantagallo et San Pablo dans le sud de Bolívar pour réaliser une convention entre cette organisation guérillera et la société civile, l’association Asocipaz et le Mouvement « No al Despeje » ont été opposés à cette possibilité, coïncidant avec la position des groupes paramilitaires (Vicepresidencia de la República 2001, p. 7).389 Cependant, il est aussi évident que maintes personnes faisant partie de cette opposition (manifestée au travers des mobilisations et blocages des routes) ont été contraintes de le faire par les paramilitaires, lesquels ont menacé de délogement les personnes ne faisant pas partie de la mobilisation et ont donné des ordres précis sur la façon d’agir dans des réunions obligatoires convoquées dans les chefs lieux des municipios de la région du Magdalena Medio (Romero 2002a, p. 75).390 Par ailleurs, en septembre 2005, la Defensoría del Pueblo Régional del Magdalena Medio a élaboré un Rapport de Risque sur les parcelles les Ñeques, La Colorada et la Florida (appartenant au hameau de Ciénaga de l' Opón de la zone rurale de Barrancabermeja) du fait des violations systématiques des droits de l’homme de la part des acteurs armés illégaux, notamment les paramilitaires du Bloque Central Bolívar. Ce rapport a donné lieu à l' émission d' une « Alerte 389 D’après les recherches de Loingsigh, des ONG comme Asocipaz et d' autres comme Construpaz ont été créées par les propres paramilitaires. Cependant Asocipaz se présente comme un représentant des communautés campagnardes et nie ses liens avec ce groupe armé (Loingsigh 2002, p. 22 et 63). 390 La première mobilisation sociale contre la zone de connivence pour l' ELN s' est produite en février 2000 avec le blocage de la route qui relie l' intérieur du pays avec la côte atlantique. Ces mobilisations sont représentatives de la thèse de Romero sur les motivations de paramilitaires qu’on a développé dans la section 4.1 de la deuxième partie de cette étude. Il s’agit d’une mobilisation pour éviter la réalisation d’un processus de paix avec les groupes des guérillas lequel peut arriver à transformer le statu quo (Romero 2002b, p. 75) 309 Précoce »391 émise dans la première semaine de décembre 2005. Selon Ramírez, au premier semestre 2005, les zones d' une plus grande expulsion de population à Barrancabermeja, ont été précisément ces parcelles (Ramírez 2005, p. 23). Par rapport à la zone urbaine de Barrancabermeja, selon le Défenseur du Peuple du Magdalena Medio, les comunas les plus affectées en 2005 par le conflit étaient la 1, 4, 5, 6 et la 7. Selon un rapport de la Vice-présidence de la République de l’année 2005 sur la situation de droits de l’homme dans le département de Santander, ce sont notamment les paramilitaires des AUSAC (Autodefensas Unidas de Santander y sur del Cesar) – lesquels ont été absorbés par le BCB (Bloque Central Bolívar) - le groupe qui continue à avoir un certain contrôle sur la ville. Il y a aussi présence des autodéfenses du front urbain Fidel Castaño Gil et des Autodefensas Campesinas del Magdalena Medio (Vicepresidencia de la República 2005, p. 4). Avant de finir cette brève exposition des actions paramilitaires dans la ville de Barrancabermeja, il convient de préciser qu’une des plaintes des organisations de droit de l’homme est que les paramilitaires se sont renforcés dans les zones hautement militarisées de la ville. Selon les organisations, à Barranca, il règne une impunité absolue malgré « [...] l’impressionnant coup de force dans la région : des Forces Spéciales désignées pour Barrancabermeja, la Brigade Mobile N° 2 assignée à la Cinquième Brigade, avec siège à Bucaramanga, et l' augmentation énorme dans les frais publics pour le renforcement du système judiciaire, y compris la Police » (Romero 2003, p. 106).392 Selon le rapport Noche y Niebla pour 2004, le Magdalena Medio comptait sur les organismes de sécurité de l’État suivants: Comando Especial del Magdalena Medio ; Bataillon 60 d' Infanterie de Marine ; Sijín de 391 Le Sistema de Alertas Tempranas (Système d' Alertes Précoces) est un service de la Defensoría del Pueblo pour contrôler et signaler les situations de risque à la population civile, dérivées du conflit armé. Le système informe préalablement les autorités compétentes sur les possibles violations massives aux droits fondamentaux. L’intention est de promouvoir l' action de prévention humanitaire. 392 Traduit par nous de : « [...] del impresionante pie de fuerza de la región : las Fuerzas Especiales designadas a Barrancabermeja, La Brigada Móvil N° 2 asignada a la V Brigada, con sede en Bucaramanga, y el enorme aumento en el gasto público para el fortalecimiento del sistema judicial, incluída la Policía ». 310 Barrancabermeja ; Bataillon d' Artillerie Antiaérienne Nueva Granada ; bases militaire et policier situés dans les municipios de Yondó, Puerto Wilches, San Pablo et Cantagallo et les hameaux du El Centro et El Llanito et le DAS de Barrancabermeja (Departamento Administrativo de Seguridad) (Noche y Niebla 2004, p. 30) De ce fait, les accusations constantes sur les relations de connivence entre la Force Publique et les paramilitaires, ou, à la limite, l’inaction des forces de sécurité face aux actions des paramilitaires deviennent plus vraisemblables. 6.2.1 La démobilisation des paramilitaires : processus de paix inachevé Le 31 janvier 2006, 2.523 membres du BCB (Bloque Central Bolívar) y compris les AUSAC (Autodefensas Unidas de Santander y sur del Cesar) qui avaient opéré à Barrancabermeja se sont démobilisés.393 Par la suite, en février 2006, 990 personnes appartenant aux Autodefensas Campesinas del Magdalena Medio se sont démobilisées. Elles avaient aussi réalisé quelques actions dans la ville de Barrancabermeja et dans la région du Magdalena Medio (Alto Comisionado para la Paz 2006). Selon les estimations de l' OPI (Observatorio de Paz Integral du Magdalena Medio) il existe à Barrancabermeja autour de 600 démobilisés. Dans cette ville, les démobilisés se sont regroupés dans une organisation appelée la Fundación Semillas de Paz, laquelle effectue un processus de resocialisation avec les victimes, à partir de projets productifs qui disposent de l' appui du Bureau du Haut Commissariat pour La Paix, du Ministère de l' Intérieur, du SENA (Servicio Nacional de Aprendizaje) et de la Mairie de Barrancabermeja. Environ 135 personnes démobilisées, quelques personnes déplacées et des groupes de jeunes font partie de ce projet (OPI 2006c, p. 51-52). Néanmoins il existe maintes dénonciations des actions illégales de ces démobilisés dans la ville. Selon la revue Mohana,394 après les démobilisations 393 Les AUSAC on fait partie des AUC et, par la suite, ont été absorbées par le BCB (Bloque Central Bolívar) (Vicepresidencia de la República 2006, p. 59). 394 Mohana est une revue de publication semestrielle et distribution gratuite, dont sa 311 plusieurs activités violentes des paramilitaires ont été dénoncées devant la Defensoría del Pueblo Regional : homicides, disparitions, menaces, contrôle sur la population et les finances publiques, vol de combustible, entre autres (Mohana 2004). D’autre part, quelques uns participent à une coopérative de sécurité privée. Le Défenseur du Peuple Régional a estimé que les personnes appartenant à ces coopératives ont effectué des piquets et portent des armes sans avoir aucun type d’autorisation pour l' effectuer (OPI 2006c, p. 52). L' OEA a aussi exprimé sa préoccupation sur : « [...] le regroupement de démobilisés dans des bandes de délinquance qui exercent contrôle sur les communautés spécifiques et les économies illicites [...]. Dans des régions où les activités de la guérilla ont été réduites et l' entrée de la Force Publique n' a pas encore été effective, les conditions pour le contrôle naissant de différents groupes armés illégaux se sont créées. Quelques commandos effectuent des actions délictueuses qui étaient traditionnellement exécutées par le bloc ou le front qui y opérait (extorsions, encaissements au grammage, nettoyage sociale, alliances avec des administrations locales) » (OEA 2006 cité par l’OPI 2006c, p. 55).395 Ainsi, au premier semestre 2006, selon l' OPI, plusieurs habitants et organisations de Barrancabermeja ont été des victimes de groupes qui ont agi sous les noms Mano Negra, Aguilas Negras et Colombia Libre 2006-2010, ceux qui ont fait connaître leurs menaces et intimidations au travers des pamphlets distribués parmi la population. De ce fait, la population de plusieurs municipios du Magdalena Medio a accusé les groupes paramilitaires en processus de démobilisation de conformer de nouveaux groupes de paramilitaires (OPI 2006c, p. 24-36). Par ailleurs, dans les six premiers mois de l' année 2006, deux démobilisés ont été assassinés à Barrancabermeja. Selon l’OPI, ces morts ont thématique sont les violations de droits de l’homme en Colombie notamment dans la région du Magdalena Medio. La revue est dirigée par l’OFP (Organización Femenina Popular). Site Internet : www.ofp.org.co/boletin_electronico.asp 395 Traduit par nous de : « [...] el reagrupamiento de desmovilizados en bandas delincuenciales que ejercen control sobre comunidades específicas y economías ilícitas [...]. En regiones en donde el accionar de la guerrilla es reducido y la entrada de la Fuerza Pública aún no ha sido efectiva, se crean las condiciones para el incipiente control de diferentes grupos armados ilegales. Algunos mandos realizan las acciones delictivas que tradicionalmente ejecutaba el bloque o frente que allí operaba (extorsión, cobros al gramaje, limpieza social, alianzas con administraciones locales) ». 312 un lien avec le conflit territorial entre les structures « démobilisées » du Bloque Central Bolívar et les Autodefensas Campesinas del Magdalena Medio. Ces derniers veulent l’emprise sur le territoire où opérait le Bloque Central Bolívar avant la démobilisation (OPI 2006c, p. 22). En outre dans le premier semestre 2006 quatre démobilisés insérés dans des extorsions aux employés d' ECOPETROL ont été capturés et le DAS (Departamento Administrativo de Seguridad) a informé la capture de deux commandants des autodéfenses qui opéraient à Barrancabermeja et Yondó (OPI 2006c, p. 54). Il convient aussi de préciser que la population craint que la guérilla prenne des représailles dans les lieux abandonnés par les paramilitaires. Dans cette section, on a repéré quelques actions illégales des paramilitaires démobilisés à Barrancabermeja et ses alentours. On constate de nouveau comment le processus de paix avec les paramilitaires reste toujours inachevé. Les doutes sur leurs vraies motivations de paix sont encore nombreux et la formation de nouvelles structures criminelles a été signalée à plusieurs reprises. 7. Les organismes de défense de droit de l’homme : résistance face au conflit armé Malgré la violation constante des droits de l’homme dans la ville de Barrancabermeja, maintes sont les organisations sociales qui ont continué leurs activités en faveur des habitants de la ville et qui ont contribué avec des mobilisations et activités à la recherche de la paix. De ce fait, elles se sont érigées en Photo N° 7 : Manifestation contre la guerre à Barrancabermeja. Source : E- Leusis Net. [réf. du 2007-06-14]. Disponible sur Internet : http://sanpablobolivar.gov.co/apc-aafiles/38633033383433363562343031383031 /clip_image001_thumb.jpg 313 exemples de résistance pacifique face au conflit : OFP (Organización Femenina Popular), ASFADDES (Asociación de Familiares de Detenidos y Desaparecidos), CREDHOS (Corporación Regional para la Defensa de los Derechos Humanos), l'Asociación de Campesinos del Valle del Rio Cimitarra, le PDPMM (Programa de Paz y Desarrollo del Magdalena Medio) pour n’en mentionner que quelques unes. Nous allons exposer les principales activités de chacune de ces organisations pour essayer de comprendre leur rôle actif de résistance face au conflit armé dans la région.396 L’OFP (Organización Femenina Popular) est une organisation d' appui à la femme fondée par l' Église Catholique en 1972. En 1988, elle s’est séparée de l’église. Actuellement l’organisation est présente dans la région du Magdalena Medio dans les municipios de San Pablo, Cantagallo, Santa Rosa, Yondó, Puerto Wilches, La India, Cimitarra, San Vicente et Barrancabermeja. Lors des dernières années, le travail a été étendu à des secteurs populaires dans les villes de Bogotá, Neiva et Cartagena. L' OFP offre différents services aux femmes : aide économique, éducation, services de santé, activités pour les jeunes, assistance aux personnes déplacées et assistance légale pour les victimes de violations de droits de l’homme. Depuis 1996, ils ont une proposition politique de résistance civile et autonome de femmes contre la guerre. 397 L’ASFADDES (Asociación de familiares de detenidos y desaparecidos) naît en 1982 afin d' orienter et conseiller dans la recherche des familles des victimes de disparitions forcées. L' association offre de l' assistance légale, de la documentation, de la compagnie, de l' éducation et de l' assistance économique. Son objectif est d' obtenir un verdict contre les coupables des disparitions et la compensation pour les familles des victimes. Actuellement ASFADDES, dispose de bureaux à Bogota, Medellín, Bucaramanga et Neiva. L’organisation a été affectée de manière directe par le conflit armé, situation qui a obligé à fermer six bureaux régionaux à Urabá, Barranquilla, Ocaña, Río Sucio (Caldas), Cali et Barrancabermeja. Le bureau de Barrancabermeja qui était né après la prise paramilitaire du port le 16 mai 1998 et la disparition de 25 personnes, a dû fermer ses portes en février 2001, étant données les menaces et l’harcèlement 396 Pour information sur les actions pour la paix (séminaires, rencontres, tables, marches) effectuées dans le premier semestre de 2006 voir OPI 2006c, p. 60-71. 397 Site Internet : http://www.ofp.org.co/ 314 des paramilitaires. Néanmoins l’association continue son travail dans la région depuis le siège national à Bogotá. 398 La CREDHOS (Corporación Regional para la Defensa de los Derechos Humanos) a été créée en 1987 comme instrument de sensibilisation et d’ouverture d' espaces sociaux pour le travail humanitaire et pour la défense des droits de l’homme des habitants de Barrancabermeja et le Magdalena Medio. La CREDHOS réalise des projets d' éducation, reçoit et fait des recherches sur les dénonciations et les abus contre les droits de l’homme et prête de l' assistance légale et technique aux victimes de ces violations (Defensoría del Pueblo 2001). L’Asociación Campesina del Valle del Río Cimitarra est une organisation non gouvernementale de paysans déplacés, née en 1996. Elle développe un travail politique et social avec le secteur rural de huit municipios du Magdalena Medio y compris l’hameau de Ciénaga de l' Opón de Barrancabermeja. L' organisation développe des activités dans les domaines suivants : assistance au déplacement interne, défense intégrale des droits de l’homme dans la région, mise en oeuvre de projets productifs de sécurité alimentaire, planification du développement local et régional, substitution de cultures de coca, qualification et promotion aux processus organisationnels des paysans.399 Finalement on fera mention spéciale du PDPMM (Programa de Paz y Desarrollo del Magdalena Medio) fondé en 1995, étant donné son ampleur et l’attention qu’il a reçu de la part de la communauté internationale.400 Ce programme est né comme une réponse à la lutte armée ayant comme objectif de fortifier la communauté face au conflit. Sa devise est « La vie d’abord » (Primero la Vida). Il s’agit d’un programme qui réalise des projets de développement et résolution de conflits dans les trente municipios du Magdalena Medio y compris la ville de Barrancabermeja. Selon un ex-dirigeant du programme, celui-ci apparaît « [...] de la convergence d' intérêts entre l' Entreprise Étatique de Pétrole (ECOPETROL) et son syndicat, l' Union Syndicale Ouvrière (USO), autour de 398 Site Internet : http://www.asfaddes.org.co/ 399 Site Internet : http://www.prensarural.org/ 400 Site Internet : http://www.pdpmm.org.co/ 315 sujets comme la défense des droits de l’homme et l' utilisation adéquate des revenus étatiques du pétrole ; l' existence d' un mouvement social fort et actif et la présence de l' Église Catholique locale comme acteur qui a de la crédibilité et de la capacité opérationnelle » (Kats, 2004 p. 1).401 Ainsi, la première action effectuée pour commencer le programme a été l' élaboration d' un diagnostic participatif de la zone du Magdalena Medio fait par la SEAP (Sociedad Económica de Amigos del País), le CINEP (Centro de Investigación para la Educación Popular), ECOPETROL et la USO. Le PDPMM alors est né avec deux objectifs : la promotion de processus d’organisation de la communauté, et la mise en marche de processus productifs dans la région (Fundación Ideas para la Paz et PNUD 2002, p. 23).402 En 1998, le Programme de Nations Unies pour le Développement (PNUD) et le gouvernement du Japon ont soutenu le projet, ce qui a servi de base pour un prêt postérieur de la Banque Mondiale gérée à travers le DNP (Departamento Nacional de Planeación) avec cofinancement national d' ECOPETROL. L' ampleur qu’a atteint ce projet a contribué à la création d’une instance chargée de la direction et de l' administration. Ainsi, la CDPMM (Corporación de Desarrollo y Paz del Magdalena Medio) est née, conformée par le Diocèse de Barrancabermeja et le CINEP (PDPMM s.d., p. 6). En 2002, grâce à l' aide de l' Union Européenne au Programme du Développement et Paix du Magdalena Medio, le Laboratoire de Paix a été créé à travers une convention signée avec le gouvernement colombien. L' exécution du laboratoire a été confiée à la Corporación Desarrollo y Paz del Magdalena Medio. L' objectif général du laboratoire est : « Établir, dans le Magdalena Medio, un Laboratoire de Paix qui, à travers la défense des droits de l’homme de base de tous les habitants et la promotion du développement humain soutenable, contribue significativement à la coexistence des citoyens, fortifie le dialogue de paix et montre des chemins 401 Traduit par nous de : « [...] de la convergencia de intereses entre la Empresa Estatal de Petróleos (ECOPETROL) y su sindicato, la Unión Sindical Obrera (USO), alrededor de temas como la defensa de los derechos humanos y el uso adecuado de las rentas estatales del petróleo ; la existencia de un fuerte y activo movimiento social y la presencia de la Iglesia Católica local como actor con credibilidad y capacidad operativa ». 402 Pour plus d’information à propos des premières actions de ce programme voir la revue Controversia N° 174 de 1999 du CINEP dédiée dans sa totalité au PDPMM. 316 efficaces et viables dans le dépassement du conflit qui peuvent être appliqués dans d' autres régions de la Colombie » (PDPMM s.d., p. 7).403 Dans la ville de Barrancabermeja, depuis le mois d’août 2002, le laboratoire réalise le projet « Comunas : Territorio de No Violencia » comme un espace d' expression contre la guerre et la violence (PDPMM s.d., p. 16). Selon Romero le PDPMM a montré une synergie positive entre l’État et la société civile (Romero 1999, p. 65).404 Les organisations mentionnées, dû à leur rôle de résistance face au conflit armé, ont obtenu le soutien et la reconnaissance au niveau national et international. Deux importants exemples sont le Prix National de Paix 2001 accordé au Programa de Paz y Desarrollo del Magdalena Medio et le prix concédé à l'Organización Femenina Popular par le Fonds de Développement des Nations Unies pour la Femme, UNIFEM (GTD 2002b, p. 9). Dans ce contexte, la ville reçoit un appui important et l' accompagnement politique de la communauté internationale. Plusieurs organisations européennes et américaines font acte de présence dans la ville soit par leur accompagnement direct, soit par leur appui économique : les Brigades Internationales de Paix,405 le MSD/USAID (Agence des États Unies pour le Développement International),406 403 Traduit par nous de : « Establecer, en el Magdalena Medio, un Laboratorio de Paz que a través de la defensa de los derechos humanos básicos de todos los habitantes y el impulso del desarrollo humano sostenible, contribuya significativamente a la convivencia ciudadana, fortalezca el diálogo de paz y muestre caminos eficaces y viables en la superación del conflicto que puedan aplicarse en otras regiones de Colombia ». 404 Le PDPMM a été vu par beaucoup de personnes comme un plan de contrainsurgence dans le Magdalena Medio, spécialement par quelques organisations guérilleras qui agissent dans le secteur. Ils voient les projets productifs proposés par le programme comme une avant-garde du capitalisme dans la région. Concrètement l' article de Romero publié dans la revue Controversia N° 174 est consacré à réfuter cette position (Romero 1999, p. 65). 405 Depuis 1994, ils ont un programme en Colombie pour protéger les défenseurs des droits de l’homme et les communautés de personnes déplacées. Les travailleurs des Brigades de Paix (PBI) accompagnent physiquement les personnes et les organisations, effectuent des visites périodiques aux zones de conflit et ils se réunissent régulièrement avec les autorités locales, ainsi qu' avec les organisations non-gouvernementales. Actuellement, les volontaires de PBI viennent de 12 pays de l' Amérique Nord et de l' Europe. L' organisation opère à Bogota, le Magdalena Medio, Medellín et dans la région de l' Urabá dans le nord-ouest colombien. Dans le Magdalena Medio ils accompagnent les fonctionnaires de l’OFP et de la CREDHOS (Defensoría del Pueblo 2001). 406 Site Internet: http://www.usaid.gov/espanol/ 317 l' Union Européenne, le Système de Protection des Nations Unies, le Système Interaméricain de Droits de l’Homme, le Comité International de la Croix Rouge, Secours Catholique - Caritas France, le Service Jésuite pour Réfugiés, les équipes Chrétiennes d' Action pour la Paix et le bureau des Nations Unies pour les Droits de l’Homme dans la région du Magdalena Medio et le nord-est colombien. Ces organisations ont contribué à l' établissement des espaces humanitaires et le renforcement du mouvement par la défense des droits de l’homme (IPC 2006a, p. 149).407 Nonobstant, dues aux accusations de violations massives de droit de l’homme, les organisations locales sont devenues des cibles militaires pour les autodéfenses. La Defensoría del Pueblo a connu les menaces de déplacement et mort proférés par les autodéfenses contre les organisations de défense de droits de l’homme : les Brigades Internationales de Paix, l'Organización Femenina Popular (OFP), L’ASFADDES, et le CREDHOS, entre les plus courants. Elle a aussi connu les menaces contre l' Union Syndicale Ouvrière (USO),408 le syndicat de chômeurs, le syndicat de chauffeurs de taxi (Unimotor), le Syndicat d' Employés de l' Assurance Sociale et d’autres organisations qui ont été obligées de fermer leurs sièges ou d' agir sous l' intimidation des groupes armés (Table ronde Barrancabermeja, 15 juillet 2003). Selon Cohen et Sánchez, la Colombie est probablement le pays le plus dangereux pour les dirigeants des organisations de déplacés et pour les ONG locaux qui les aident. De même, les fonctionnaires de l’État ont été persécutés en raison de leurs activités d’assistance vers la population déplacée (Cohen Sánchez 2001, p. 59-60). En outre, les organisations sociales et de droits de l’homme qui opèrent dans la zone ont attiré l’attention sur l' attitude permissive de quelques autorités publiques avec les groupes d' autodéfense. En communiqué du 30 mars 2002, 407 Voir la liste complète des organisations humanitaires internationales à Barrancabermeja dans le site Internet Sala Humanitaria : http://www.colombiassh.org/dase/resultados.php?psearch=Barrancabermeja&psearchtyp e=OR&Submit=Buscar 408 Voir le témoignage de Olgher Santo Domingo dirigeant syndical de la USO, dans l’article d’Eugenia García de 1998 indiqué dans la bibliographie. Santo Domingo a été obligé de quitter la ville de Barrancabermeja pour sauvegarder sa vie. 318 l'Organización Femenina Popular affirme qu' il y a une omission par les Forces Militaires à résister et neutraliser les activités illégales des autodéfenses. D’après Noche y Niebla : « La majorité des personnes capturées qui sont initialement présentées comme paramilitaires finalement sont libérées, en faisant valoir qu' il n' y avait pas de raisons pour leur réclusion, ou accusées d' infractions mineures. Presque jamais on ne les accuse d’avoir commis des tortures, des meurtres, des disparitions forcées. Il y a un abîme géant entre ce qui est présenté à travers les médias et la pratique judiciaire effective des personnes accusées de commettre des crimes de lèse humanité, d' appartenir à la structure paramilitaire ou d' être lié à la structure économique du paramilitarisme » (Noche y Niebla 2004, p. 69-70).409 L’outil Noche y Niebla a recueilli aussi de nombreuses dénonciations des menaces proférées par les paramilitaires contre les organisations sociales. Nous ferons mention de l’une d’entre elles qui nous a paru représentative. Le 7 février 2003, les membres de l'Asociación de Campesinos del Valle del Rio Cimitarra et les habitants des comunas populaires ont été menacés par les paramilitaires du Bloque Central Bolívar des AUC. La dénonciation mentionne : « L' ordre donné aux chefs paramilitaires de Yondó et de Barrancabermeja est d' exterminer ce qu' ils appellent les réduits de la guérilla camouflés dans les ONG et aussi d’incorporer à la liste des menacés de mort les personnes qui habitent dans les comunas populaires de Barrancabermeja et qui, dans le passé, ont réalisé des activités dans le mouvement populaire » (Noche y Niebla 2004).410 Ensuite, la dénonciation indique qu’un chef paramilitaire a signalé devant un groupe de personnes « [...] nous n’allons plus tolérer aux guérilleros d' une telle Association de Paysans qui, avec l' excuse du travail de droits de l’homme font du 409 Traduit par nous de : « La mayoría de los capturados que son presentados inicialmente como paramilitares finalmente son liberados, argumentando que no había razones para su reclusión o son acusados de delitos menores. Casi nunca se los acusa por haber cometido torturas, asesinatos, desapariciones forzadas. Hay un abismo gigante entre lo que presentan a través de los medios de comunicación y la judicialización efectiva de personas acusadas de cometer crímenes de lesa humanidad, pertenecer a la estructura paramilitar o de estar vinculadas a la estructura económica del paramilitarismo ». 410 Traduit par nous de : « La orden a los jefes paramilitares de Yondó y Barrancabermeja, es exterminar lo que ellos llaman los reductos de la insurgencia camuflados en las ONG y también incorporar a la lista de amenazados de muerte a aquellas personas que habiten en las comunas populares de Barrancabermeja y que en el pasado se les halla conocido actividades en el movimiento popular ». 319 prosélytisme à la guérilla, principalement un tel Andrés Gíl qui est un idéologue et Miguel Cifuentes qui est un agronome associé à la guérilla. Barrancabermeja n' est pas encore libre de guérillas, elles sont encore infiltrées dans les syndicats et ONG. Pour garantir que la guérilla ne reprendra pas Barrancabermeja il faut les annihiler de même que les traites qui restent encore dans les quartiers » Noche y Niebla 2004).411 De même, selon Loingsigh, les paramilitaires ont intérêt à contrôler l’infrastructure des organisations sociales, et ainsi, avoir plus de légitimité et de contrôle sur la population, en offrant les mêmes services que celles-ci (Loingsigh 2002, p. 19). La situation de conflit et de violation des droits de l’homme des représentants de ces organisations a donné lieu à la Résolution 07 du 7 mars 2001 de la Defensoría del Pueblo. Cette résolution recommande au gouvernement national d' adopter une instance permanente de dialogue avec la participation de représentants des organisations non gouvernementales de droits de l’homme, la création d' un mécanisme spécial pour le suivi et le contrôle des mesures de protection accordées aux membres de ces organisations, et la promotion du développement efficace et opportun des recherches pénales et disciplinaires par les faits de violence contre les membres de ces organisations (Defensoría del Pueblo 2001). De ce fait, en août 2002, par le biais du Décret 1747, la Commission Intersectorielle pour la Défense de la Vie à Barrancabermeja a été crée. Elle a pour but la concertation pour la promotion, la protection et la défense des droits de l’homme et la promotion du Droit International Humanitaire dans la ville. La Commission est composée par le Viceprésident de la République, le Ministre de l' Intérieur, le Ministre de Défense, le Directeur National de la Police, le commandant Général des Forces Militaires, le directeur de La Red de Solidaridad Social et le Président d' ECOPETROL (ou leur délégués). D' autres invités permanents aux réunions de la Commission seraient 411 Traduit par nous de : « [...] no vamos a tolerar más a los guerrilleros de la tal Asociación de Campesinos, que con la excusa del trabajo de derechos humanos le hacen proselitismo a la guerrilla, principalmente a ese tal Andrés Gíl que es un ideólogo de ellos y Miguel Cifuentes que es un agrónomo vendido a la guerrilla. Barrancabermeja aun no está libre de guerrilleros, todavía quedan infiltrados en los sindicatos, ONG y para garantizar que la guerrilla no se retome Barrancabermeja hay que aniquilarlos lo mismo que a los sapos que todavía quedan en los barrios ». 320 les membres du Ministère Public, le gouverneur de Santander, le maire de Barrancabermeja et membres de l' Armée et de la Police. La société civile est représentée par l' Évêque de Barrancabermeja, représentants de l' Espace de Travailleurs de Droits de l’Homme du Magdalena Medio, représentants d' ONG de droits de l’homme nationaux, représentants d' organisations humanitaires ou de coopération internationales, un représentant du Programa de Desarrollo y Paz del Magdalena Medio, un représentant des groupes économiques de Barrancabermeja, un représentant de la Chambre de Commerce de Barrancabermeja et un délégué de l' Union Syndicale Ouvrière (Presidencia de la República 2002). En 2006, malgré la démobilisation des paramilitaires, les menaces aux membres des organisations de droits de l’homme ont continué. Au mois de juin, la corporation CREDHOS a signalé les communiqués qui circulent dans la ville dans lesquelles les paramilitaires indiquent qu’ils vont commencer à faire des campagnes de « nettoyage social » pour éliminer les guérilleros. La corporation souligne que quelques paramilitaires continuent à effectuer des rondes pour avoir le contrôle des quartiers de la zone nord-est (CREDHOS 2006, p. 1-2). En définitive, nous avons remarqué dans cette section la forte présence des organisations de promotion sociale et de défense de droits de l’homme à Barrancabermeja et leur rôle de résistance face au conflit armé. La consolidation et la légitimation de ces organisations parmi la population civile, et la méfiance envers les autorités officielles a fait que la plupart des accusations de violations de droits de l’homme soient connues par ces organisations et non par les organismes de l’État. À plusieurs reprises, ce sont ces organisations qui ont porté secours à la population en danger. En outre, ces organisations on attiré l’attention internationale sur les phénomènes de violence qui touchent quotidiennement les habitants de la ville. 8. Le déplacement intra-urbain à Barrancabermeja : nomades à l’intérieur de la ville Étant donnée la dynamique de violence que nous venons de décrire à Barrancabermeja, la ville n’est pas seulement centre de réception de déplacés 321 du Magdalena Medio, mais aussi lieu d’expulsion de population. Selon le SUR, depuis 1995 jusqu' au 31 octobre 2006, la ville a expulsé 14.939 personnes (3.486 foyers) occupant la 19ème place comme municipio expulseur du pays et la première dans le département de Santander.412 En outre, elle occupe la première place comme municipio expulseur parmi les trente municipios du Magdalena Medio (RSS 1995 – 2006d). Les combats entre les groupes armés (guérillas, autodéfenses et Force Publique), la consolidation des paramilitaires dans la ville à partir de l' année 2001 et les constantes pratiques de « nettoyage social » des différents acteurs, ont produit des exodes entre les différents quartiers de Barrancabermeja. Le plus grand nombre de déplacements intra-urbains s' est présenté pendant l’année 2001, quand le pouvoir des paramilitaires s’est consolidé. Néanmoins, selon les participants à la table ronde de Barrancabermeja, il y eut aussi des déplacements au cours des années précédentes causés par les guérillas, mais ils sont beaucoup moins documentés (Table ronde Barrancabermeja, 15 juillet 2003). Les rapports qui parlent du délogement de maisons à partir de l’entrée du paramilitarisme en ville sont nombreux (Amnistie Internationale 1999, Isacson 2001, Loingsigh 2002, Noche y Niebla 2004, Defensoría del Pueblo et UNHCR 2004) D’après Loingsigh : « Les paramilitaires, comme une partie de leur offensive, ont occupé plusieurs maisons dans des points stratégiques de la ville, dans la majorité des cas après avoir inévitablement délogé leurs habitants. Par exemple, les maisons qui étaient placées dans des coins de sorte qu' il était très facile de contrôler les mouvements des gens, ou maisons situées dans l' entrée des quartiers, ce qui facilitait l' accomplissement de deux objectifs : d' abord, fournir le contrôle militaire, prévoyant une attaque de la guérilla ou, même de la Force Publique ; et, en deuxième lieu, permettre le contrôle social. Beaucoup de dirigeants ont dû 412 Toutefois en ce qui concerne le chiffre d' expulsion pour l' année 2006 l' OPI (Observatorio de Paz Integral du Magdalena Medio) a déclaré que les chiffres présentés par le SUR dans la page web nationale ne coïncident pas avec ceux de l' Unité Territoriale du Magdalena Medio de la RSS. D' une part, il y a eu un retard dans le rapport de données au bureau central, mais aussi un retard dans l' évaluation des déclarations et l’inclusion des déplacés dans le Système. Ceci démontre une fois de plus l' inefficacité des mécanismes d' assistance à la population déplacée par la violence, dont nous avions parlé dans la première partie de cette étude (OPI 2006c, p. 40). 322 abandonner leurs quartiers et se déplacer en d' autres lieux pour survivre au contrôle imposé par les AUC dans la ville » (Loingsigh 2002, p. 20). 413 La Defensoría del Pueblo a connu des cas de personnes touchées par ce phénomène, entre lesquelles se trouvent notamment les dirigeants politiques, les travailleurs de droits de l’homme et les syndicalistes qui ont reçu des menaces constantes contre leur vie et intégrité personnelle. Ce type de déplacement s’est présenté notamment dans les comunas 1, 5, 6 et 7 et, quelques cas dispersés dans la Comuna 3 (Table ronde Barrancabermeja, 15 juillet 2003). D’après l' Espace de Travailleurs et Travailleurs de Droits de l’Homme en 2005, les déplacements ont eu lieu dans les comunas 4, 5, 6 et 7 (Ramírez 2005, p. 24). De ce fait on dénote que cette pratique couvre presque la totalité de la ville, à l’exception de la Comuna 2. La menace à la population civile s' est transformée en un mécanisme pour produire terreur et beaucoup d’habitants urbains ont été dans la nécessité de changer de résidence et d' être déplacés silencieusement dans la ville afin de sauvegarder leurs vies. Les paramilitaires sont placés dans des lieux stratégiques pour contrôler l' entrée à certains quartiers. Par la suite, ils expulsent les personnes suspectées, pour pouvoir effectuer leurs activités. Dans ce contexte, le déplacement est pensé comme une stratégie de repeuplement afin de placer des personnes qui garantissent un haut niveau de confiance à l' organisation paramilitaire (Table ronde Barrancabermeja, 15 juillet 2003). À propos de ces délogements nous pouvons indiquer deux cas représentatifs, connus par la Defensoría del Pueblo, entant donnée la grande quantité des personnes concernées par les menaces : 413 Traduit par nous de : « Los paramilitares como parte de la ofensiva ocuparon varias casas en puntos estratégicos de la ciudad, en la mayoría de los casos después de haber desalojado forzosamente a quienes en ellas vivían. Por ejemplo, casas que hacían esquina de modo que es muy fácil controlar los movimientos de la gente o casas ubicadas en la entrada a los barrios, facilitaba el cumplimiento de dos objetivos : primero, facilitar el control militar, previniendo un ataque de parte de la guerrilla o, incluso de la Fuerza Pública; y segundo, posibilitar el control social. Muchos dirigentes tuvieron que abandonar sus barrios y trasladarse a otros lugares para sobrevivir al control impuesto por las AUC en la ciudad ». 323 L'Organización Femenina Popular (OFP) dans le communiqué « Voix de Femmes » du 11 juin 2001, a indiqué qu' entre le 9 et le 10 juin, environ quatrevingt familles ont été menacées par « un acteur armé » dans les secteurs du nord-est et sud-est de la ville. Elles ont dû abandonner leurs maisons dans un délai de 24 heures. Le deuxième cas concerne vingt familles du secteur Alpes qui, en mars 2002, se sont déplacées à cause des menaces de groupes d' autodéfense. Elles étaient suspectées, par les paramilitaires, d’être collaboratrices des guérillas. De même, selon la Defensoría del Pueblo plusieurs personnes se sont enfuies des quartiers Pablo Acuña, San Silvestre, Kennedy, el Progreso, Boston, La Independencia, La Libertad, Villarelys, Primero de Mayo, Danubio, Rafael Rangel, Puerta del Sol, 20 de Agosto, San Pedro, Comuneros et San Martín sous la pression et les menaces des groupes armés (Defensoría del Pueblo, Expediente - Quejas N° Q0001494 CMC). Dans les situations signalées, on ne connaît pas le lieu de relogement des personnes menacées. Néanmoins, d’après les participants de la table ronde de Barrancabermeja, face aux menaces, les personnes quittent leurs quartiers de résidence mais non la ville. De ce fait, quelques personnes se sont situées dans les zones centrales de Barrancabermeja, où le risque est mineur, car les activités et le contrôle des paramilitaires est limité. Toutefois, ceci les a poussé à assumer de hauts coûts économiques. Par la suite, si les menaces continuent, elles sont obligées de partir dans d’autres municipios de la région, voire dans une autre ville plus lointaine (Table ronde Barrancabermeja, 15 juillet 2003). En effet, le seul cas de déplacement massif, dont nous connaissons le lieu de refuge est celui du 26 janvier 2001, quand 22 familles, menacées par les paramilitaires, ont été déplacées du quartier Pablo Acuña (Comuna 7). D’abord, elles ont cherché refuge dans la Maison de la Femme de l' OFP située dans le quartier Campestre de la même comuna. Elles y sont restées pendant un mois et, de ce fait, ce lieu s' est transformé en le premier espace de résistance civile face au déplacement dans la ville. Par la suite, elles se sont situées dans le quartier Primero de Mayo (Comuna 5) (Table ronde Barrancabermeja, 15 juillet 2003). 324 Ainsi, les déplacements à Barrancabermeja se sont caractérisés par une mobilité continue, à travers les différents secteurs de la ville : les personnes s’installent dans un lieu, par la suite cherchent l’aide des organisations sociales, plus tard elles s’établissent dans un quartier appartenant à une comuna différente de celle de la fuite, elles se déplacent vers une autre et, dans beaucoup de cas, elles finissent par sortir de la ville. En effet, la petite taille de celle-ci et le vaste contrôle des paramilitaires, rendent facilement identifiable l' emplacement où elles se sont situées, donc, la ville ne constitue plus un refuge. En effet, la situation de déplacement a été aggravée parce que les familles qui ont reçu des personnes déplacées se sont aussi transformées en objectif militaire. Par ailleurs, les déplacements de membres des organisations sociales de Barrancabermeja, qui après avoir reçu des menaces, ont été obligées de laisser leurs travaux, de fermer les sièges de leurs organisations et d' entreprendre la fuite sont connus. Un des cas représentatifs de ce déplacement reporté par la Defensoría del Pueblo est celui des membres de la CREDHOS. Entre le mois de septembre de l’année 2000 et le mois de mai 2001, 12 directeurs de cette corporation ont été déplacés. En effet, un des mécanismes utilisés par les groupes armés pour garantir le contrôle des territoires est celui de déplacer ou de menacer les chefs communautaires. Avec cette menace individuelle, ils poussent plusieurs familles qui sortent avec les leaders (Table ronde Barrancabermeja, 15 juillet 2003). Il faut cependant bien reconnaître que le déplacement à Barrancabermeja est en rapport direct avec la situation des municipios voisins, notamment la confrontation armée dans toute la région du Magdalena Medio. De même, du point de vue des lieux de refuge de la population menacée, les liens familiaux et d’amitié qui existent entre des personnes de Barrancabermeja et les habitants de San Pablo, Yondó, Cantagallo, Puerto Wilches, Puerto Berrío et Remedios, entre autres municipios de la région, expliquent en partie la mobilité interne qu' il y a dans le Magdalena Medio. De ce fait, une personne menacée à Barrancabermeja peut chercher refuge dans un municipio voisin, de même que cette personne peut recevoir chez elle un membre de sa famille ou un ami qui ait été menacé dans la région (Table ronde Barrancabermeja, 15 juillet 2003). 325 Pendant la fin de l’année 2002 et la première moitié de l’année 2003, le déplacement s' est présenté par la pression des paramilitaires dans la ville mais aussi par le rejet de la population à l' imposition de leurs « normes de coexistence ». Comme on l’avait indiqué, le non respect de ces normes a été accompagné d’amendes, détentions, punitions corporelles, délogements, voire, la mort. Concrètement la norme 5 du manuel de conduite indique que le manque de respect ou mauvais traitement par la population civile envers les personnel des AUC ou l' abus d' autorité ou mauvais traitement par ceux-ci vers la population civile sera sanctionné avec l' expulsion de la zone. De ce fait beaucoup des habitants préfèrent s' enfuir que de rester sous l’intimidation paramilitaire. D’autre part, tout comme à Medellín, le repeuplement de beaucoup des logements abandonnés s’est présenté. Le 8 mai 2001, le journal Vanguardia Liberal414 a reporté l' information suivante : « Les Autodefensas Unidas de Colombia (AUC) offrent à ceux qu' ils considèrent, les maisons qui ont été abandonnées en Arenal, un secteur populaire de la Comuna 1 de Barrancabermeja. Au moins trente propriétés, les mêmes qui avaient été abandonnées par leurs propriétaires face aux pressions des AUC, peu à peu sont livrées à leurs nouveaux habitants » (Vanguardia Liberal 2001 cité par Loingsigh 2002, p. 20).415 En outre, dans le cas où il y a eu des actions pour la récupération de ces maisons par les autorités, la recherche a été très difficile à cause de l' absence d’écritures publiques et de registres qui constatent qui est le propriétaire de la maison. Dans plusieurs cas il s’agit des quartiers d' invasion dont la propriété officielle n’a jamais été établie (Table ronde Barrancabermeja, 15 juillet 2003). 414 Journal de la ville de Bucaramanga. Il est le journal local le plus étendu dans le département de Santander. 415 Traduit par nous de : « Las Autodefensas Unidas de Colombia, AUC están regalando a quienes ellos consideran, las casas que están abandonadas en Arenal un popular sector de la Comuna 1 de Barrancabermeja. Por los menos 30 predios, los mismos que habían sido desalojados por sus propios dueños ante las presiones de las AUC poco a poco están siendo entregados a sus nuevos moradores ». 326 D’autre part, comme il a déjà été dit, il existe une grande crainte à dénoncer les situations de violence. Dans plusieurs cas les dénonciations ont été rapidement connues par les groupes armés illégaux, ce qui a produit le déplacement des dénonciateurs. Les dénonciations soumettent donc les personnes à un plus grand degré de risque. En revanche, la non dénonciation garantit, parfois, la permanence dans les quartiers de résidence habituels. Les témoignages suivants sont à cet égard édifiants : « On les voit emmener et il y a la Force Publique à 50 mètres. C’est-à-dire que si on est témoin d’un acte grave, on ne le dénonce pas parce que, ici, ils savent très rapidement qui a fait les dénonciations. Il y a des gens qui ont dû partir à cause de la dénonciation qu’ils ont faite. Moi, ça me fait mal quand je vois passer une personne ligotée, parce qu’on sait déjà où elle va, mais qu’on ne peut rien faire. Comment peuton informer? On pourrait au moins appeler la Police, mais, quand on les appelle, ils connaissent immédiatement le numéro d’où on appelle et qui on est, et cela signifie un risque. Ça nous est déjà arrivé. Alors, face à cela, que peut-on faire ?. Commettre un délit parce qu' on sait qu' ils vont tuer une personne et qu’on ne peut rien faire. Cela est grave. En tant que chef communautaire, j’ai dû vivre plus d’une fois cette situation » (témoignage du membre d’ASODESAMUBA dans la table ronde de Barrancabermeja, 15 juillet 2003).416 « Toutes les semaines il y a des déplacements de ce type [elle fait référence aux déplacement intra-urbains], qui ne se sont pas enregistrés à cause d’une situation de crise. On travaille avec les gens pour qu' ils dénoncent, pour avoir à la limite le registre de ces cas là, mais il arrive toujours un truc … : la dénonciation, au lieu de freiner un peu la problématique et d’être un mécanisme de sécurité pour la famille, est devenue un instrument d’accélération du processus de déplacement. Le fait de la dénonciation est connu rapidement par l' acteur paramilitaire, et, automatiquement, s' ils ont la possibilité de se déplacer chez une famille amie, ils doivent quitter Barranca » (témoignage du membre de l’OFP dans la table ronde de Barrancabermeja, 15 juillet 2003).417 416 Traduit par nous de : « Uno ve gente que se llevan y hay Fuerza Pública a 50 metros, o sea uno incurre en un acto grave y es que no denuncia porque aquí las denuncias que se hacen, al ratico saben quién las hace. Y hay gente que les ha tocado irse a través de una denuncia que ha hecho. A mi me duele cuando yo veo entrar a una persona que la llevan amarrada, que uno sabe ya para donde la llevan y uno no puede hacer nada. ¿Cómo avisa? Porque uno puede por lo menos llamar a la Policía, pero, cuando uno llama, el número del que llaman están inmediatamente diciendo quién está llamando y eso para uno es un riesgo. Nos ha pasado. Entonces frente a eso qué se puede hacer. Incurrir en un delito porque uno sabe que van a matar a una persona y no puede hacer nada. Eso es grave. Como líder comunitario me ha tocado vivir más de una vez eso ». 417 Traduit par nous de : « Se están dando todas las semanas desplazamientos de ese tipo, que no se quedan registrados porque se da una cosa, uno le trabaja a la gente para 327 En outre, certaines personnes refusent de quitter leurs maisons, ce qui a entraîné la désintégration de familles. De ce fait, elles envoient les jeunes enfants chez des amis ou familiers et de cette façon, les liens familiers commencent à se rompre (Table ronde Barrancabermeja, 15 juillet 2003). D’autre part, en ce qui concerne la reconnaissance du phénomène par les autorités et l’assistance donnée aux déplacés intra-urbains la situation à Barrancabermeja a été tout à fait différente qu’à Medellín. Bien que la caractéristique de ce phénomène ait été l' absence des dénonciations, en 2001, cinquante-deux familles ont été reconnues et registrées par la Red de Solidaridad Social de Barrancabermeja (y compris les 22 familles du déplacement massif du quartier Pablo Acuña dont nous avons déjà parlé). Ces déplacés ont donc reçu l’assistance prévue dans la Loi 387 de 1997. En effet, quand cet organisme a évalué les déclarations des ceux touchés il n' a fait aucune différenciation entre ceux qui se déplacent depuis les secteurs ruraux vers la ville et ceux qui le font à l' intérieur de la même ville. Le témoignage de la RSS de Barrancabermeja est à cet égard édifiant : « Ce qui est intéressant d' analyser là est que le cas de Medellín est très différent de celui-ci, en ce qui concerne la façon d' agir de la Red de Solidaridad Social. À ce moment là, un cas de déplacement intra-urbain ne s' était pas encore présenté dans le pays, il n' avait pas été l' objet de la RSS. De forme presque d' urgence institutionnelle et formelle, nous avons communiqué avec la RSS à Bogotá et nous lui avons demandé ce que nous devions faire face à cette problématique. À ce moment là, elle nous a donné le feu vert pour les inclure comme déplacés dans le registre. Donc, toutes ces familles qui se sont déplacées à l’intérieur des quartiers de la ville ont été par la suite enregistrées dans le SUR et en conséquence, ont reçu l’assistance. Postérieurement, avec l' évolution politique et concrètement face au cas de Medellín qui s’est présenté l' année passée, nous avons reçu un concept juridique formel par la RSS en disant que les cas intra-urbains ne pourraient pas être évalués comme incluses dans le registre. Mais nous avions déjà inclus 52 familles de 2001. Toutefois, on n’a pas reçu que logre denunciar, para que por lo menos quede el registro de estos casos, pero automáticamente se da una cosa y es que ante la denuncia, antes de frenar un poco la problemática y ser como un posible mecanismo de seguridad para la familia, lo que hace es acelerar el proceso de desplazamiento porque se sabe lo de la denuncia, llega donde el actor paramilitar, y, automáticamente, si tenían la posibilidad de moverse donde otra familia, les toca es estar saliendo de Barranca ». 328 de réponse sur quoi faire avec les familles enregistrées ni si on devait les sortir du registre. Heureusement, plus tard il y eut l’arrêt de la Cour dans ce sens, que nous connaissons maintenant, et définitivement il n' y a pas de problème avec l’inclusion de ces familles » (témoignage du fonctionnaire de la RSS dans la table ronde de Barrancabermeja, 15 juillet 2003).418 De cette manière, même s’il y a eu une tension face à la décision de l' inclusion ou non dans le registre des déplacés intra-urbains, dès le début, la RSS de Barrancabermeja a reconnu le phénomène. De ce fait, les institutions du Système d’Assistance à la Population Déplacée ont offert une assistance aux déplacés dans le cadre de la normativité existante. Néanmoins, cette assistance a présenté les mêmes défaillances à celle offerte aux déplacés provenant des secteurs ruraux, particulièrement en ce qui concerne la stabilisation socioéconomique et le rétablissement de droits. Par exemple la RSS n’a pas fait un accompagnement direct de familles victimes du déplacement intra-urbain et ne connaît pas leur situation particulière face aux aides reçues ni leur lieu actuel de résidence (Table ronde Barrancabermeja, 15 juillet 2003). D' autre part, le représentant de la Mairie de Barrancabermeja qui a participé à la table ronde de juillet 2003, a souligné que, lors de l' année 2001, les phénomènes de déplacement forcé intra-urbain ont été connus, mais qu’il n’existe pas des dénonciations formelles à ce sujet pour les années postérieures, malgré les cas présentés par les organisations sociales tout au long de la table ronde. Dans cette mesure, dit le fonctionnaire, l' État ne peut répondre face à un 418 Traduit par nous de : « Lo que es interesante analizar acá es que el caso de Medellín es muy distinto a éste con respecto a la forma de actuar de la Red de Solidaridad Social. En ese momento no se había presentado en el país un caso de desplazamiento intraurbano, no había sido objeto de la Red de Solidaridad Social. De forma casi de emergencia institucional y formal, nos comunicamos con la Red en Bogotá y les preguntamos qué hacíamos frente a esa problemática y nos dieron luz verde para incluir como desplazados, en ese momento, en el registro. Entonces todas estas familias que se desplazaron internamente de los barrios fueron incluidas en el Registro por la Red de Solidaridad Social y en consecuencia fueron atendidas. Posteriormente, con la evolución de la política y concretamente frente al caso de Medellín que se presenta el año pasado, nosotros recibimos un concepto jurídico formal por parte de la Red de Solidaridad Social diciendo que los casos intraurbanos no podrían valorarse como incluidos, y frente a eso nosotros ya teníamos incluidas 52 familias de 2001. Sin embargo, no se nos dio ni respuesta frente al hecho de decir bueno cómo hacemos, los sacamos del registro aunque ya están incluidos, con la fortuna de que posteriormente está el fallo de la Corte, que ahora conocemos y definitivamente no hay problema con esas inclusiones de esas familias ». 329 phénomène qui n' est pas dénoncé et qui n' est pas connu. De ce fait on observe que quelques situations de menaces et déplacements dans la ville ont été dénoncées devant les autorités officielles, notamment dans l’année 2001, mais la majorité d’entre elles ne sont connues que par les organisations de défense de droits de l’homme non gouvernementales. L’absence de dénonciations officielles, dérive, comme nous l’avons remarqué, de la peur à la dénonciation et des effets de celle-ci sur la vie et l’intégrité des habitants de la ville. Conclusion Dans cette partie nous avons vu comment le conflit national provoque de fortes répercussions dans les villes étudiées. Tant la ville de Medellín que celle de Barrancabermeja ont été des témoins de la présence d' acteurs armés d' envergure nationale dans leurs différents quartiers. Ceci s’est traduit par une montée de la confrontation armée, où, en utilisant les termes de Daniel Pécaut, les diverses violences entrent en résonance (violence politique, violence sociale, délinquance commune etc.). En même temps, nous avons observé que les frontières existantes entre les différents acteurs armés sont facilement perméables. Ainsi, les groupes armés illégaux se situent dans les villes par le transfert de leurs factions rurales, mais, également, par la cooptation des organisations de la délinquance urbaine, par le recrutement de nouveaux combattants parmi leurs adversaires ou parmi la population jeune des métropoles. De cette manière, bandes, combos, galladas et délinquants de droit commun contribuent à étendre le champ de la violence politique et organisée. Dans les cas étudiés nous observons un intérêt des protagonistes du conflit armé national pour gagner des espaces dans la ville. Ceci est exprimé par le positionnement dans des lieux stratégiques tant au niveau géographique et politique que par l' influence et le contrôle qu' ils exercent sur les habitants urbains. Cette influence, comme nous l' avons exposée, est acquise par le biais de la peur et l' intimidation. Toutefois, les acteurs armés ont aussi obtenu des espaces de légitimation, puisqu' ils se présentent dans les différents quartiers comme les garants de la sécurité et de la protection, face à la pression exercée par l' acteur armé antagonique, et face à l' absence de contrôle de l’insécurité par l' État. Ainsi, au lieu de recourir aux services de sécurité et médiation fournies par 330 les autorités officielles de l' État (lesquels produisent une immense méfiance), les habitants sollicitent ces services aux acteurs armés illégaux. Ces services incluent l' administration de la justice, ce qui rend plus difficile toute prétention d’établir un d' ordre fondé sur les lois colombiennes. En effet, selon Ortiz, l' expérience historique colombienne souligne que presque tous les groupes violents qui se sont succédés depuis 1949, ont été initialement implantés comme protecteurs de la sécurité des citoyens, comme « autodéfenses ». Toutefois, dans cette prétention d' offrir sécurité et protection ils ont affecté profondément la société civile en nuisant les droits de leurs propres protégés et en produisant en conséquence la création de groupes qui prennent les armes pour résister à leur influence (Ortiz 1991, p. 81). Cette situation a accentué les besoins de sécurité des habitants urbains et la recherche de solutions privées. On assiste donc à la prolifération de groupes de surveillance, compagnies de vigilance et notamment à la généralisation du port d' armes parmi la société civile. Cela entraîne également l’enfermement progressif de la population et en conséquence la fragmentation de la communauté. Finalement, les déplacements forcés dans les villes de Medellín et Barrancabermeja sont une manifestation claire du conflit armé interne sur la scène urbaine. Ainsi, la mobilité forcée n' est pas un problème exclusif des zones rurales et éloignées. Quand il se présent dans les métropoles, nous constatons des implications sérieuses sur la sécurité des citoyens et en général sur la stabilité économique, sociale et politique des villes. En outre nous avons souligné que souvent celui qui est déplacé dans la ville avait déjà été victime de ce phénomène. Ainsi, le déplacement n' est plus une situation passagère, il devient donc un fait récurrent pour certaines personnes. Néanmoins, malgré l’insécurité des espaces urbains, quelques personnes menacées refusent de quitter la ville, et se déplacent à l’intérieur des limites urbaines. Cela constitue le déplacement intra-urbain. Pour visualiser globalement les informations apportées par les études de cas de Medellín et Barrancabermeja à l’égard du déplacement intra-urbain individuelle nous avons élaboré le tableau suivant. 331 ! # ! " " $ % & $ ' ( " 6 & % ) * + 0 % " % + + , -, 9 % , : % < : . % 4 , ,-, . % / 0 + " 2 2 3 0 2 3 7 4 8 ( 1 2 3 3 5 6 5 1 7 / 9 : . ; ; 7 ) ) ! ! 5 = 5 " > = , 1 "" () = 1 ' 1 ' " ? = & > ? > " @ @ > > / / / " A / > = A > = ?& 332 " " ' ' - 7 ) - 7 ) ! & ! /) 5 & ! /) 5 > ( > ( B + 2 B , ,-, . % + 6 C ' 3 0 6 2 2 3 ? 2/ 2 3 ( 5 3 ;3 5 ( " " A A ? B @ B $ -,. , 9 ? ? # $$ % ) > & D @ ) @ E > - 7 " 7 > # ' = @ - " ; @ = @ 7 " 9 ; ) ) ) @ 7 , " E > - = @ 7 7 F = 7 ) # 7 ) @ 7 8 D# ) > 8 %' ' C G 8 E $ ! " # ! 0 " - 8 / ? + 4 8 5 )* + & ? 8 %# $ % $ % & $ % %& %8 !" E 5 !E +5 % $ " "' ' ' ( Tableau N° 6. 333 Principaux aspects du déplacement intra-urbain individuel à Medellín et Barrancabermeja - 334 CONCLUSION GÉNÉRALE En Colombie, l’assistance aux déplacés forcés par violence a été l’objet de plusieurs politiques publiques. Il s’agit notamment de la protection aux personnes qui ont fuit des zones rurales à cause de l’action des groupes armés dans leurs territoires. De fait, le déplacement forcé à l’intérieur de la ville est un sujet qui a été relégué à l' arrière plan. Sa reconnaissance et l’élaboration de politiques précises pour sa prévention et pour l’assistance aux personnes touchées, signifierait d’accepter que les villes, elles aussi, aient été atteintes par le conflit interne et par les situations de violence généralisée. Il existe, dans l’opinion publique colombienne, cette idée que les villes sont éloignées des actions des protagonistes armés d’envergure nationale et que les combats se déroulent exclusivement dans les zones rurales. Ainsi, les villes sont pensées comme des lieux de refuge, non seulement par les habitants urbains mais aussi par les populations déplacées provenant de la campagne. De ce fait, les études existantes sur le déplacement décrivent les mouvements migratoires depuis les zones rurales vers les villes et s' intéressent en effet très rarement au déplacement forcé produit à l’intérieur des métropoles. Même s’il est évident que l’ampleur du conflit dans la ville est faible par rapport à celui livré dans la campagne, nous avons remarqué comment le conflit a touché la population urbaine. Quelques villes considérées comme réceptrices de populations, sont actuellement aussi des points de départ, dû au contrôle et à l’influence des acteurs armés illégaux sur certains quartiers. Néanmoins, la violence dont nous avons parlé tout au long de cette étude, et qui a eu comme conséquence le déplacement intra-urbain, est peu visible. Elle affecte les personnes de manière individuelle, lesquelles préfèrent garder le silence et l’anonymat afin de sauvegarder leurs vies. En conséquence de quoi, c’est une violence qui ne fait pas l’objet de titres dans les journaux ni de grands rapportages dans les médias. Nonobstant, elle oblige les habitants urbains à entreprendre une mobilité résidentielle non souhaitée, avec tous les effets négatifs que cela engendre. 335 En effet, la population civile est utilisée par les différents acteurs en conflit. Les groupes armés se dissimulent parmi la population, ils l' utilisent comme bouclier pendant les combats et recrutent les jeunes et les enfants pour augmenter le nombre de leurs combattants. Les acteurs armés encerclent les quartiers et s’approprient des territoires semant la terreur parmi leurs habitants. La population est obligée de manifester sa loyauté et obéissance à l’un ou l’autre des acteurs en présence. Il est difficile d' établir clairement celui qui est collaborateur de celui qui ne l' est pas, parce qu’il existe des alliances faibles, oscillantes et transitoires. La plupart de ces alliances ne reposent pas sur des adhérences idéologiques mais sur la peur et l' intimidation. Néanmoins, la conséquence inéluctable est que la population qui a collaboré avec un acteur armé (ou est suspectée d’avoir collaboré) se transforme en objectif militaire pour l' adversaire. Ainsi, les habitants urbains doivent quitter leur lieu de résidence pour sauvegarder leurs vies. Nous constatons donc que le déplacement forcé en Colombie, n' est plus un problème exclusif des zones rurales et éloignées. Les raisons qui ont été signalées comme causes de cette mobilité sont variées : les menaces à la vie et l' intégrité personnelle, les meurtres, les tortures, l’extorsion, le refus de payer des impôts exigés par les groupes armés et de se plier à leurs règles de coexistence. En effet, il est très difficile de définir la cause exacte de ce déplacement parce que c' est un phénomène qui comprend un croisement de causalités. Des actions des acteurs armés, comme celles que nous venons de mentionner, sont mélangées avec des sensations comme la peur, la terreur et la panique. À ceci on ajoute les combats militaires directs étant donné le positionnement de différents groupes armés illégaux dans les mêmes zones et quartiers et les affrontements avec la Force Publique. À cette multiplicité des raisons de fuite, nous devons ajouter les implications que le conflit comporte quand il se mélange avec d’autres manifestations de la violence urbaine. Les troubles causés par des groupes de jeunes, les pratiques de banditisme et délinquance dans des quartiers sensibles alimentent la violence politique. Les frontières sont floues et poreuses, et l' ambiguïté entre types de violence est toujours existante. Les organisations armées recourent aux pratiques propres à la délinquance comme l' extorsion et le kidnapping, la délinquance commune échange des kidnappés avec les guérillas 336 et les paramilitaires, les narcotrafiquants financent tous les acteurs du conflit, etc. De ce fait, la difficulté d’expliquer les raisons réelles qui poussent une personne à s’enfuir de chez elle. Cette ambiguïté a créé des tensions entre les différents organismes chargés des déplacés. La Red de Solidaridad Social a refusé l’inclusion dans le registre de plusieurs déplacés intra-urbains, parce qu’ils dénoncent la délinquance commune comme responsable de leur fuite et non les circonstances prévues dans l’article 1 de la Loi 387 de 1997. En revanche, d’autres institutions comme la Personería de Medellín et la Cour Constitutionnelle ont une conception plus large face à la définition des déplacés. D’après ces organismes, le déplacement, loin d' être structuré avec des indicateurs rigides, doit être moulé aux circonstances très dissemblables dans lesquelles l' une ou l' autre personne est déplacée dans le pays. Il est clair qu’il existe une difficulté énorme d’extraire la violence perpétrée par les protagonistes du conflit interne des autres violences manifestes dans les villes. Néanmoins, pou ce qui touche à la personne soumise au déplacement forcé, nous sommes face à une réalité objective : l’abandon non souhaité du lieu de résidence, et le relogement dans un autre emplacement. Tout ceci étant donnée la contrainte injuste de groupes armés et l’incapacité de l’État de préserver l’ordre et de dirimer les conflits entre les citoyens. Ainsi, plus qu’à une étiquette administrative il faut penser à la situation objective de la personne qui a vécu le déplacement et à la nécessité réelle de protection et d’assistance qu’elle requiert. Pour la compréhension du déplacement intra-urbain nous avons abordé l’analyse en trois parties. Dans la première partie, nous avons vu le développement de la catégorie de déplacé dans les instruments juridiques et la place donnée au déplacement intra-urbain du point de vue juridique. D’abord, nous observons comment en Colombie le mot déplacé est directement lié aux notions normatives. C’est la norme qui définit qui est un déplacé et les droits qui lui sont attachés. Nous accordons aux déplacés une place singulière du point de vue juridique et un énorme appareil étatique est mis en marche pour assurer leur assistance. 337 Néanmoins, les défaillances du système créé pour l’assistance à la population déplacée par la violence sont évidentes. De ce fait la Cour Constitutionnelle a déclaré « un état inconstitutionnel des faits ». Cet état se réfère à l’existence d’une violation répétée des droits fondamentaux de beaucoup de personnes qui recourent à l' action de tutelle pour obtenir la défense de leurs droits. Mais la cause de cette violation n’est pas imputable uniquement à l' autorité mise en cause par l’action de tutelle, mais repose sur des facteurs structurels. Cette situation a rendu évidente une tension entre l’État et la société, et la distance entre les normes juridiques et la capacité institutionnelle et budgétaire pour faire face à la situation. Il est clair que l’arrivée massive des déplacés dans les grandes villes a bousculé la population urbaine et a engendré de multiples tensions avec les gouvernements locaux chargés de la réception de ces personnes. Les pouvoirs publics concernés les considèrent comme un problème sécuritaire plutôt que comme des personnes nécessitant protection et assistance. Nous repérons que, plus qu’une préoccupation humanitaire, les migrants représentent une charge additionnelle et une menace pour les régions d’accueil. Ainsi, les migrants forcés sont l’objet d’un regard ambivalent. D’un côté, ils sont victimes du conflit et de la violence et méritent la solidarité sociale et l’aide étatique. Mais d’un autre, ils sont objet de suspicion pour le fait de leur provenance des zones de conflit armé et pour l’énorme déstabilisation que leur arrivée révèle dans les lieux de réception. Par ailleurs, malgré les défaillances du système, les déplacés se sont appropriés cette catégorie juridique pour se faire remarquer par l’État et pour accéder aux bénéfices que cette notion suppose. Les déplacés cherchent désespérément à se conformer aux normes de ceux qui les tiennent en leur pouvoir, dans le but d’obtenir un statut, une lettre officielle qui caractérise leur situation. Ceci, dans les termes de Gérard Noiriel, leur permet d’acquérir une nouvelle identité civile et collective qui leur ouvre les portes d’une nouvelle existence (Noiriel 2005, p. 420). En deuxième lieu, nous avons analysé l’apparition du concept du déplacement intra-urbain. Nous avons précisé que ces déplacements, dans le contexte de violence contemporaine, ont existé depuis les années 1980, mais ils 338 ne représentaient alors que des cas isolés. Il a fallu un déplacement massif de grande envergure, comme celui du quartier El Salado de la Comuna 13 de Medellín en 2002, pour sonner l’alarme sur le phénomène. À partir de la reconnaissance de cet événement par la Cour Constitutionnelle dans l’arrêt T268 de 2003, nous assistons à la création de la catégorie de déplacement intraurbain. Ainsi, les personnes qui, en raison du conflit armé et de la violence généralisée à l’intérieur de la ville, sont obligées d’abandonner leur résidence et de chercher refuge dans un autre lieu situé dans la même ville, sont définies comme des personnes déplacées. Les personnes touchées acquièrent donc l' étiquette de déplacés par la violence dans le cadre de la Loi 387 de 1997. Dans la deuxième partie, nous nous sommes attachés à décrire les principaux aspects de la violence contemporaine en Colombie. Nous avons décrit l’apparition et la consolidation des différents acteurs armés illégaux depuis les années soixante pour se retourner sur leur impact et leur influence dans les métropoles. Nous avons décrit les principales caractéristiques de ces acteurs étant donné qu’ils sont les principaux responsables des déplacements forcés de population. Nous avons souligné que dans le pays le monopole de la force n' est absolument pas détenu par l' État. Les acteurs armés illégaux sont divers et ont des idéologies et des projets politiques opposés. En même temps, il n’est pas possible de parler d’une guérilla unique ou d’un acteur paramilitaire en singulier parce qu’ils sont à la fois très fragmentés. À ceci, nous devons ajouter le fractionnement, la participation et la polarisation de la société civile face aux différents acteurs du conflit. De ce fait, la prolongation du conflit interne et les difficultés trouvées dans la négociation de la paix. Même si actuellement on est face à un processus de démobilisation de groupes paramilitaires, on constate que la disparition du phénomène avec toutes ses implications paraît encore éloignée. Ce processus inachevé et douteux a rendu évidentes les difficultés de faire une négociation au milieu du conflit. D’autre part, la prolongation du conflit interne est due aussi au fait de l’autonomie acquise par les différents acteurs armés dans le domaine financier (notamment au travers des profits tirés du narcotrafic). Cette autonomie fait amoindrir la nécessité d’appui social et politique. En revanche, la violence est la forme pour imposer le contrôle sur les 339 territoires et leurs habitants. Ainsi, les acteurs armés violent quotidiennement les principes qu' ils veulent défendre, notamment la sécurité des citoyens. En même temps, la Force Publique a utilisé les méthodes violentes utilisées par les groupes armés illégaux qu’elle essaie de combattre et par conséquent, elle prend partie de la confrontation en se servant des mêmes règles du jeu que l' ennemi. En outre, il a été indiqué à plusieurs reprises la connivence de quelques membres des organismes de sécurité officiels avec les forces paramilitaires. Dans ce contexte de prolifération des acteurs armés et pour autant de violences, nous avons donné une place singulière au trafic de drogue dans le débordement de celles-ci. Bien que le trafic de drogues n’ait pas les implications ni la force qu’il avait dans la décennie des 1980, il n’a pas disparu. Au contraire, il continue à conformer et financer différents acteurs armés illégaux et continue à élever les niveaux de corruption et de violence dans le pays. Tout au long de l’analyse nous avons confirmé que les acteurs armés illégaux ont leurs principales activités figées dans les zones rurales. Cependant, nous pouvons souligner quelques caractéristiques de la ville comme scénario du conflit interne. La ville a été toujours le lieu d’approvisionnement et d’accès aux services. De ce fait, les groupes armés ont toujours eu besoin de réseaux d' appui dans les métropoles. La ville a aussi été conçue comme le lieu de réalisation des opérations ponctuelles à caractère tactique ou logistique tels que l’explosion des bombes, les kidnappings et le vol d' armes. Cependant, plus récemment, la ville commence à être pensée comme la scène politique et militaire du conflit. De ce fait, les acteurs armés ont l’emprise sur quelques zones et quartiers où ils établissent un certain pouvoir. Ce pouvoir s’est traduit par une présence politique et militaire, par l' extension des réseaux d' appui parmi la population urbaine et par l’appropriation de fonctions d’ordre et de justice propres à l’État. Dans la troisième partie nous nous sommes consacrés aux études de cas de déplacement intra-urbain dans les villes de Medellín et Barrancabermeja. 340 Pour le cas de Medellín, nous avons analysé la naissance et la consolidation des acteurs armés illégaux et les actions de contrôle entamés par l’État pour les combattre. En effet, depuis les années 1980, la prolifération et consolidation d’acteurs armés illégaux à Medellín ont été nourries par le flux d' argent et d' armes provenant du trafic de drogues. La ville est inondée par tout type d' organisations criminelles : les galladas, les oficinas, les bandes de délinquance, les bandes de tueurs à gages, les combos et aussi différents groupes qui prêtent des services de vigilance dans les quartiers. En même temps, dès les années 1980, on connaît la présence des milices et guérillas lesquelles ont gagné en légitimité dans des secteurs abattus par la délinquance. Les guérillas (FARC-EP, ELN et EPL) percevaient la ville comme un espace stratégique dans la prolongation de leur lutte militaire et politique contre l’État. En 1997, les paramilitaires apparaissent pour contester le pouvoir acquis par les guérillas dans la ville. Néanmoins, les différentes conceptions sur la façon de gérer la confrontation et leurs rapports au trafic de drogues ont mené à la division de la structure paramilitaire. On a donc deux blocs paramilitaires opposés : le Bloque Metro et le Bloque Cacique Nutibara. Ainsi, la confrontation entre les paramilitaires et les guérillas, mais aussi entre les même paramilitaires a marqué une période notamment violente dans la ville de Medellín. En général, les groupes armés illégaux se situent dans les villes par le transfert de leurs factions rurales, mais, également, par l’absorption des organisations de la délinquance urbaine, par le recrutement de nouveaux combattants parmi leurs adversaires ou parmi la population jeune des métropoles. Les frontières existantes entre les différents acteurs armés sont facilement perméables. De cette manière, comme l’avait indiqué Pécaut, bandes, combos, galladas et délinquants de droit commun contribuent à étendre le champ de la violence politique et organisée. Une caractéristique commune aux différents acteurs armés est qu' ils se présentent dans les quartiers comme les garants de la sécurité face à la pression exercée par l' acteur armé antagonique, et face à l' absence de contrôle de l’insécurité par l' État. Ils ont gagné certaine légitimité parce qu’ils sont reconnus par le fait d’assurer une protection matérielle. Par la suite, ils ont élargi leurs activités de défense à des actions de régulation sociale. Ainsi, au lieu de recourir 341 aux services de sécurité et de médiation fournies par les autorités officielles de l' État, les habitants sollicitent ces services aux acteurs armés illégaux. L’impératif sécuritaire s’est donc largement diffusé. En effet, la violence urbaine amalgamée à la violence politique, au sentiment et à la perception d’insécurité a mené à la prévention de celle-ci par le biais de la protection et de la sécurisation des zones et quartiers. Toutefois, dans cette prétention d' offrir protection, les groupes armés ont affecté profondément la société civile en nuisant les droits de leurs propres protégés. On assiste donc à la création d’autres groupes qui prennent les armes pour les confronter. Ainsi, la spirale de la violence est chaque fois plus difficile à arrêter. En conséquence, la ville a souffert un processus croissant de violence associé, non seulement, à la violence urbaine mais au conflit national. Même si l’administration municipale et le gouvernement national ont proposé différentes alternatives pour une pacification de la ville à travers le dialogue, plusieurs mécanismes répressifs ont aussi été renforcés pour combattre les groupes armés illégaux. Face à l’échec de ces mécanismes, on assiste à l’affaiblissement de la légitimité de l’État et à la détérioration des niveaux de crédibilité et de confiance des citoyens envers la Force Publique. Pour le cas de Barrancabermeja, la violence a été directement associée aux acteurs armés du conflit national. La présence des acteurs armés dans la ville a été évidente dès la décennie des années 1960 avec la consolidation des premières structures urbaines de la guérilla de l’ELN. Par la suite, la ville a reçu des cellules des FARC-EP, et quelques noyaux de l’EPL. Plus loin, notamment à partir de 1998, la ville a vécu l’offensive paramilitaire qui a eu pour but l’expulsion des guérillas. La ville était en effet divisée par des frontières séparant les quartiers tenus par les divers groupes armés. Les paramilitaires ont entamé une offensive contre les guérillas et contre les dirigeants populaires et syndicaux, elle a eu comme scène les zones du nord-est et du sud-est de la ville. Depuis l’année 2001, les paramilitaires ont gagné un plus grand contrôle sur le port pétrolier et les guérillas se sont repliées dans les zones rurales. Les paramilitaires sont arrivés à maintenir la population intimidée et soumise à leurs demandes. Voire, dans quelques secteurs, ils se sont chargés 342 de l' administration de justice et de la résolution de conflits. Ils ont même réussi à imposer des normes de coexistence très précises. Il est clair qu’une telle influence sur le territoire et sur ses habitants, ne s’explique pas sans la connivence de la Force Publique. Les remarques faites par les organisations des droits de l’homme sur les liens et affinités entre les objectifs paramilitaires et ceux des forces de l’ordre sont nombreuses. Ainsi, au lieu de combattre leurs activités illégales, la Force Publique renforce le pouvoir des paramilitaires. De ce fait, marquée par le manque de confiance envers les autorités, la population est soumise au silence. Dans ce contexte de violence, nous avons remarqué le rôle de résistance des organisations sociales face au conflit armé. La consolidation et la légitimation de ces organisations parmi la population civile, et la méfiance envers les autorités officielles a fait que la plupart des accusations de violations de droits de l’homme soient connus par ces organisations et non par les organismes étatiques. À plusieurs reprises, ce sont ces organisations qui ont porté secours à la population en danger. Nonobstant, dû à leurs accusations et leurs actions de résistance, les organisations locales sont devenues des cibles militaires pour les paramilitaires. En 2006, malgré la démobilisation des structures paramilitaires, les menaces ont continué. Nous avons repéré quelques actions illégales des paramilitaires démobilisés à Barrancabermeja et ses alentours et sur la consolidation de bandes qui ont repris le contrôle exercé précédemment par ces structures. C’est dans le contexte de violence de ces deux villes que le déplacement intra-urbain a eu lieu. Le cas du déplacement massif des habitants du quartier El Salado de la Comuna 13 de Medellín a sonné l’alarme sur le phénomène. Ce cas a donné lieu à la reconnaissance par l' État de cette modalité de déplacement, depuis la promulgation de l’arrêt T-268 de 2003 de la Cour Constitutionnelle. Cet arrêt rend évident un phénomène qui touche la ville de Medellín depuis la guerre du trafic de drogues entamé dans les années quatre-vingt et qui n’a été reconnue officiellement qu’à présent. Néanmoins, les cas les plus courants du déplacement intra-urbain tant à Medellín qu’à Barrancabermeja sont les cas individuels. 343 Les acteurs armés dans les villes étudiées contrôlent les flux démographiques en décidant quel type de population peut habiter dans leurs secteurs d' influence. Dans ce contexte, le déplacement est pensé comme une stratégie de repeuplement afin de placer dans les maisons abandonnées des personnes qui garantissent un haut niveau de confiance aux différentes organisations. Même si le déplacement n’a pas seulement été une stratégie des groupes paramilitaires, de nos jours ce sont eux qui ont eu recours plus fréquemment à cette pratique. Les déplacements se déroulent de manière silencieuse et anonyme, étant donné que tant victimes comme victimaires continuent à habiter la même ville. Les personnes déplacées entreprennent une mobilité constante. Une fois expulsés d’un quartier, elles ont des difficultés pour trouver un lieu tranquille où s’installer, ce qui les oblige à se mouvoir dans différents quartiers avant leur réinstallation définitive. Ils deviennent donc des nomades à l’intérieur de la ville. Néanmoins, nous avons remarqué qu’à Medellín, la possibilité de rester en ville, est plus forte que dans le cas de Barrancabermeja. En effet, la petite taille de Barranca et le vaste contrôle des paramilitaires, rendent facilement identifiable l' endroit où les déplacés se situent. En même temps, cette situation a été aggravée parce que les familles qui ont reçu des personnes déplacées se sont aussi transformées en objectif militaire. Ainsi, la dynamique de déplacement intra-urbain se transforme dans une dynamique de déplacement depuis la ville vers d’autres villes ou zones du pays. Or, l’une des caractéristiques les plus significatives du déplacement intraurbain est que beaucoup de personnes qui se déplacent à l’intérieur de la ville avaient été déplacées précédemment. Ainsi, pour certaines personnes, le déplacement n’est plus une situation transitoire sinon une condition permanente et réitérée. En même temps, les déplacements de membres des organisations sociales et de défense de droit de l’homme qui, après avoir reçu des menaces, ont été obligés de laisser leurs travaux et, dans certaines ocassions, de fermer les sièges de leurs organisations et d' entreprendre la fuite sont connus. Néanmoins, nous avons remarqué que certaines personnes déplacées refusent de quitter la ville. En effet, les coûts économiques et sociaux que produit 344 un déplacement vers d' autres régions du pays stimulent le choix de rester en ville. Les personnes qui fuient en raison du conflit armé cherchent d’abord refuge dans d' autres quartiers, ce qui favorise le maintien des liens sociaux et la continuité de certaines activités. La ville propose des conditions de travail plus bénéfiques que les zones rurales et pour certaines personnes, elle offre une possibilité plus claire pour la reconstruction du projet de vie. Néanmoins, on a repéré que le déplacement implique une mobilité descendante en termes socioéconomiques. Les personnes déplacées perdent leur maisons et propriétés, et le changement de résidence produit une augmentation des frais qui affecte leur qualité de vie. Dans plusieurs cas, le déplacement vient accompagné de la perte du travail, ce qui oblige les gens à se loger dans d' autres quartiers dans des conditions de pauvreté et de marginalité extrêmes. En outre, le déplacement est souvent accompagné d' une rupture familiale et de la perte d’identité et d’appartenance à la communauté d’origine. De même, la forte stigmatisation qui accompagne les déplacés les empêche de trouver des lieux de refuge et alternatives stables pour refaire leurs vies. L' attitude de rejet de la communauté d' accueil est fréquente, puisqu' en provenant de zones de violence, la population déplacée entre dans une dynamique caractérisée par le soupçon et la marginalisation sociale. Par ailleurs, cette mobilité constante et silencieuse empêche la canalisation des aides sociales et des programmes d’assistance. L’absence des dénonciations officielles dérive des effets de celle-ci sur la vie et l’intégrité des habitants de la ville. Dans plusieurs cas, les dénonciations ont été rapidement connues par les groupes armés illégaux, ce qui a produit le déplacement des dénonciateurs. Ainsi, au lieu de produire des effets positifs, les dénonciations soumettent les personnes à un plus grand degré de risque. À présent, l’absence de politique publique structurée pour la protection et l' assistance aux déplacés intra-urbains est évidente, même si cette obligation a été établie dans l’arrêt T-268 de 2003 de la Cour Constitutionnelle. En plusieurs ocassions, ce sont les institutions de l’église et les ONG les organisations qui ont rendu un service permanent aux déplacés intra-urbains, et non les organismes de l’État. 345 Au travers de l’étude d’une réalité comme le déplacement intra-urbain, nous sommes arrivé à montrer l’ampleur du conflit interne dans les villes colombiennes. En 2006, la CODHES a dénoncé que ce phénomène continue à se présenter dans les villes de notre étude mais il se présente aussi à Barranquilla, Cartagena, Cucuta et Buenaventura. Il serait intéressant d’aborder l’étude approfondie de ces villes pour pouvoir caractériser d’une manière plus précise ce phénomène. En même temps, comme il s’agit d’un sujet d’actualité, nous pouvons continuer à approfondir et relever de nouvelles informations sur les cas déjà présentés, notamment au travers des études de terrain et de l’accompagnement aux déplacés intra-urbains. Il est évident qu’une mobilité résidentielle comme celle que nous venons de décrire a des effets nocifs sur les personnes touchées mais aussi sur la planification et le développement des villes. De ce fait, une recherche future pourrait se concentrer sur les impacts du conflit interne sur la structure urbaine et sur les programmes de développement des villes. Évidemment, une telle démarche passe d’abord par la reconnaissance du conflit interne dans les métropoles. Finalement, même si cette étude s’en tient au cas proprement colombien, le sujet des migrations forcées par la violence concerne une problématique plus ample qui touche plusieurs cas contemporains dans le monde entier. De ce fait, malgré la diversité des contextes et l’histoire propre aux migrations dans les différents pays, nous pouvons trouver dans cette recherche plusieurs points de rencontre et caractéristiques similaires qui peuvent aider à mieux comprendre la situation générale du déplacement forcé. 346 BIBLIOGRAPHIE Introduction et première partie ACUERDO DE ESQUÍPULAS II. 1987. Procedimiento para establecer la paz firme y duradera en centroamérica. Ciudad de Guatemala. [réf. du 2005-11-14]. Disponible sur Internet : http://www.parlacen.org/index.php?mod=cont&idcontenido=62 AGIER, Michel. 2002. Aux bords du monde, les réfugiés. Paris : Flammarion. 187 p. ALEINIKOFF, Alexander ; CHETAIL, Vincent. 2003. Migration and International legal norms. The Hague : Asses Press. 382 p. ARENDT, Hannah. 1993. La tradition cachée : le juif comme paria. Paris : C. Bourgois. 255 p. ______. 1995. Qu'est-ce que la politique ? Paris : Éd. du Seuil. 216 p. AROCHA, Jaime. 1998. 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Consejo Nacional de Política Económica y Social (Conseil National de Politique Économique et Sociale) Cooperativa de Vigilancia y Servicios Comunitarios (Coopérative de Surveillance et de Services Communautaires) Corporación de Organizaciones de Desplazados por la Violencia de Barrancabermeja y el Magdalena Medio (Corporation d' Organisations de Déplacés par la Violence de Barrancabermeja et du Magdalena Medio) Corporación Regional de Desplazados del Magdalena Medio (Corporation Régionale de Déplacés du Magdalena Medio) Corporación de Vivienda y Desarrollo Social (Corporation de Logement et de Développement Social) CPDIA : CREDHOS : CRS : CTI : DANE : DAS : DIH : DIJIN: DNP : ECOPETROL: ELN : EPL : FAC : FARC-EP : FUNMUDEMBA: GTD : HCR : IDMC : ILSA : INCORA : IPC : M-19 : MAQL : MAS : MINGA : MOSDA : MRL : OACNUDH : OCDE : OCHA : OEA : OFP : OIM : Consulta Permanente para los Desplazados Internos en las Américas (Conseil Permanent pour les Déplacés Internes en Amérique) Corporación Regional para la Defensa de los Derechos Humanos (Corporation Régionale pour la Défense des Droits de l' Homme) Corriente de Renovación Socialista (Courant de Rénovation Socialiste) CTC : Confederación de Trabajadores de Colombia (Confédération de Travailleurs de la Colombie) Cuerpo Técnico de Investigación (Unité d’enquêtes techniques de la police judiciaire) Departamento Administrativo Nacional de Estadística (Institut Administratif National de Statistique) Departamento Administrativo de Seguridad (Institut Administratif de Sécurité) Droit International Humanitaire Dirección de Policía Judicial (Direction de Police Judiciaire) Departamento Nacional de Planeación (Institut National de Planification) Empresa Colombiana de Petróleos (Entreprise Colombienne de Pétrole) Ejército de Liberación Nacional (Armée de Libération Nationale) Ejército Popular de Liberación (Armée Populaire de Libération) Fuerza Aérea Colombiana (Armée de l’air colombienne) Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia - Ejército del Pueblo (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple) Fundación de Mujeres Desplazadas del Magdalena Medio (Fondation de Femmes Déplacées du Magdalena Medio) Grupo Temático sobre Desplazamiento (Groupe Thématique sur le Déplacement) Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. The Internal Displacement Monitoring Center (Centre de monitorat sur le déplacement interne) Instituto Latino-americano de Servicios Jurídicos Alternativos (Institut latino-americain de Services Juridiques Alternatifs) Instituto Colombiano de Reforma Agraria Instituto Popular de Capacitación (Institut Populaire de Qualification) Movimiento 19 de Abril (Mouvement 19 Avril) Movimiento Armado Quintín Lame (Mouvement Armé Quintin Lame) Muerte a Secuestradores (Mort aux Kidnappeurs) Asociación para la Promoción Social Alternativa (Association pour la Promotion Sociale Alternative) Movimiento Social de Desplazados (Mouvement Social des Déplacés) Movimiento Revolucionario Liberal (Mouvement Révolutionnaire Libéral) Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits Humains Organisation de Coopération et de Développement Économiques Bureau de Nations Unies pour la Coordination d' Affaires Humanitaires Organisation d' États Américains Organización Femenina Popular (Organisation Féminine Populaire) Organisation Internationale pour les Migrations 388 ONG : OPI : PC3 : PCC : PC-ML : PDPMM : PNUD : PRODERE : PRT : RSS : RUAN : RUT : s.d. : SEFC : SENA : SISDHES : s.l. : SNAIPDV : SUR : UCC-URI : UC - ELN : UNHCR : USO : UTC : 389 Organisation Non Gouvernementale Observatorio de Paz Integral del Magdalena Medio (Observatoire de Paix Intégrale du Magdalena Medio) Partido Comunista Clandestino Colombiano (Parti Communiste Clandestine Colombien) Partido Comunista Colombiano (Parti Communiste Colombien) Partido Comunista de Colombia - Marxista Leninista (Parti Communiste de la Colombie - Marxiste Leniniste) Programa de Desarrollo y Paz del Magdalena Medio (Programme de Développement et Paix du Magdalena Medio) Programme des Nations Unies pour le Développement Programa de Desarrollo para Desplazados, Refugiados y Retornados en Centroamérica (Programme de Développement pour Déplacés, Réfugiés et Retournés en Amérique Centrale) Partido Revolucionario de los Trabajadores (Parti Révolutionnaire des Travailleurs) Red de Solidaridad Social (Réseau de Solidarité Sociale) Red Urbana Antonio Nariño (Réseau Urbain Antonio Nariño) Système d' Information sur la Population Déplacée par la Violence de l’Église Catholique sans date de publication Sistema de Estimación de Desplazamiento Forzado por Fuentes Contrastadas (Système d’Estimation du Déplacement Forcé par Contraste de Sources) Servicio Nacional de Aprendizaje (Service National d’Apprentissage) Sistema de Información sobre Desplazamiento Forzado y Derechos Humanos de CODHES (Système d' Information sur les Droits Humains et le Déplacement de la CODHES) sans lieu d’édition Sistema Nacional de Atención Integral a la Población Desplazada por la Violencia (Système National d' Assistance Intégrale à la Population Déplacée par la Violence) Sistema Único de Registro de la Población Desplazada (Système Unique d’Enregistrement de Population Déplacée) Unidad de Convivencia Ciudadana - Unidad de Reaccion Inmediata (Unité de Convivialité des Citoyens - Unité de Réaction Immédiate) Unión Camilista - Ejército de Liberación Nacional (Union Camilista Armée de Libération Nationale) Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés Unión Sindical de Obreros (Union Syndicale de Travailleurs) Unidad Técnica Conjunta (Unité Technique Conjointe) 390 LISTE DES GRAPHIQUES, TABLEAUX, CARTES ET PHOTOS Graphiques : 1. Tendances du déplacement national de 1985 au troisième trimestre de 2005. 70 2. Comparaison de données du déplacement entre le SISDHES (CODHES) et le SUR (RSS). 72 3. Comparaison de données accumulées du déplacement entre le SISDHES (CODHES) et le SUR. 73 4. Homicides à Medellín par zone depuis 1992 jusqu’au 31 octobre 2003. 227 5. Taux d’homicides Comuna 13 pour chaque 100.000 habitants. 261 6. Homicides annuels à Medellín 1981-2005. 267 7. Responsables du déplacement intra-urbain à Medellín (2002- 31mai 2006). 288 8. Responsables du déplacement intra-urbain à Medellín (janvier -août 2006). 289 9. Comunas d’expulsion des déplacés intra-urbains à Medellín janvieraoût 2006. 10. Taux d’homicides à Barrancabermeja 1998-2004 (100.000 habitants). 289 306 Tableaux : 1. Comparaison des données du déplacement entre le SUR (RSS) et le SISDHES (CODHES). 72 2. Estimation du nombre des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays 1995 et 1996. 75 3. Homicides à Medellín par zone depuis 1992 jusqu’au 31 octobre 2003. 227 4. L’emplacement des acteurs armés à Medellín. 264 5. Homicides annuels à Medellín 1981-2005. 267 6. Principaux aspects du déplacement intra-urbain individuel à Medellín et Barrancabermeja. 391 332 Cartes : 1. Distribution spatiale d' actions violentes effectuées par les Farc, pendant la période 1995-2002. 145 2. Distribution spatiale d' actions violentes effectuées par l' ELN, pendant la période 1995-2002. 156 3. Distribution spatiale d' actions violentes effectuées par les autodefenses, pendant la période 1995-2002. 192 4. Présence paramilitaire 2002. 193 5. Medellín et Antioquia en Colombia. 216 6. Division administrative de Medellin. 218 7. La Comuna 13 de Medellín. 257 8. Présence des groupes armés illégaux à Medellín par zone (2002). 266 9. Barrancabermeja et Santander en Colombie. 291 10. Division administrative de Barrancabermeja 294 Photos : 1. Vue panoramique de Medellín. 2. Vue panoramique Comuna 13. 3. La Esperanza 1 (Medellín). Lieu d’emplacement des déplacés provenant d' Urrao (Antioquia). 4. La Esperanza 2 (Medellín). 5. Port de Barrancabermeja. 6. Le centre-ville de Barrancabermeja. 7. Manifestation contre la guerre à Barrancabermeja. 217 255 278 278 292 292 313 392 ANNEXES 393 394 Annexe A – Normes sur le déplacement forcé en Colombie Normas sobre desplazamiento forzado en Colombia Tema NORMAS GENERALES Norma Ley 387 de 1997 Ley 418 de 1997 Ley 548 de 1999 Ley 589 de 2000 Ley 599 de 2000 Decreto 976 de 1997 Decreto 173 de 1998 Decreto 501 de 1998 DERECHO A LA SALUD Decreto 2569 de 2000 Resolución 02045 de 2000 Resolución 001591 de 1995 Resolución 001602 de 1995 Circular 014 de 1997 Circular 025 de 1997 Acuerdo 59 de 1997 Acuerdo 185 de 2000 DERECHO A LA EDUCACIÓN Circular Conjunta RSS 001 de 2001 Circular 042 de 2002 Decreto 2231 de 1989 Decreto 48 de 1990 Decreto 2562 395 Definición Por la cual se adoptan medidas para la prevención del desplazamiento; la atención, protección, consolidación y estabilización socio-económica de los desplazados internos por la violencia en la República de Colombia. Por la cual se consagran unos instrumentos para la búsqueda de la convivencia, la eficacia de la justicia y se dictan otras disposiciones. Por medio de la cual se prorroga la vigencia de la Ley 418 del 26 de diciembre de 1997 y se dictan otras disposiciones. Por medio de la cual se tipifica el genocidio, la desaparición forzada, el desplazamiento forzado y la tortura; y se dictan otras disposiciones. Por la cual se expide el Código Penal. Por el cual se reglamenta el artículo 70 del Decreto-Ley 919 de 1989, estableciendo que para los efectos de la aplicación de este artículo, se entiende de naturaleza similar a desastres y calamidades, el fenómeno social de desplazamiento masivo de población civil, por causas de violencia en sus distintas manifestaciones. Por el cual se adopta el Plan Nacional para la Atención Integral a la Población Desplazada por la Violencia. Por el cual se establece la organización y funcionamiento del Fondo Nacional para la Atención Integral a la Población Desplazada por la Violencia y se dictan otras disposiciones. Por el cual se reglamenta parcialmente la Ley 387 de 1997 y se dictan otras disposiciones. Por la cual se delegan facultades constitucionales y legales y en especial, de las conferidas por el artículo 14 de la Ley 489 de 1998. Por la cual se fijan normas y procedimientos y se adoptan los modelos de reclamación uniforme para el reconocimiento y pagos a las instituciones prestadoras de servicios de salud, por concepto gastos médicos, quirúrgicos, farmacéuticos y hospitalarios presentados a las víctimas de eventos catastróficos. Por la cual se fijan normas y procedimientos y se adoptan los modelos de reclamación uniforme para el reconocimiento y pagos de las indemnizaciones a personas naturales víctimas de eventos catastróficos. Establece la administración de recursos del Fondo de Solidaridad y Garantía. Cobertura subcuenta de seguro de riesgos catastróficos y accidentes de tránsito del Fondo de Solidaridad y Garantía. Por el cual se declara como evento catastrófico el desplazamiento masivo de población por causa de la violencia y se adoptan otras medidas relacionadas. Por el cual se define el procedimiento aplicable a las reclamaciones para el pago de los servicios de salud prestados a la población desplazada. Instrucción para la atención en salud de la población desplazada por la violencia y cobro de atención. Fuentes de financiamiento de la atención en salud a la población desplazada. Por el cual se crean unos beneficios en el sector educativo para apoyar a los familiares de las víctimas de la violencia. Por el cual se modifica el Decreto 2231 de 1989 reconociendo beneficios también a las víctimas de la violencia política que sean menores de edad. Por el cual se reglamenta la ley 387 del 18 de julio de 1997, en de 2001 Resolución 1400 de 2001 DERECHO A LA VIVIENDA Decreto 2620 de 2000 Decreto 951 de 2001 Acuerdo 13 de 2001 DERECHO A LA TIERRA Acuerdo 18 de 1995 Acuerdo 8 de 1996 Decreto 2217 de 1996 Decreto 1458 de 1997 Decreto 2007 de 2001 cuanto a la prestación del servicio público educativo a la población desplazada por la violencia y se dictan otras disposiciones. Por el cual se modifica la Resolución 3272 del 6 de diciembre de 2000, autorizando el desarrollo del Programa Especial de Educación Básica y Media para la Convivencia Pacífica en los establecimientos educativos estatales y privados del país, por un término de 5 años a partir de la fecha de expedición de esta resolución, dirigido a la población desplazada por lo violencia y por el conflicto armado, ubicada en el territorio nacional o en zonas de distensión o en aquellas que sean autorizadas por el Gobierno Nacional. Por el cual se reglamenta parcialmente la ley 3ª de 1991 en relación con el subsidio familiar de vivienda en dinero y en especie para áreas urbanas; Ley 49 de 1990 en cuanto a su asignación por parte de las cajas de compensación familiar; y Ley 546 de 1999, en relación con la vivienda de interés social. Por el cual se reglamentan parcialmente las leyes 3ª de 1991 y 387 de 1997, en lo relacionado con la vivienda y el subsidio de vivienda para la población desplazada. Por el cual se dictan disposiciones sobre el otorgamiento y administración de subsidio familiar de vivienda aplicable a hogares desplazados por la violencia. Por el cual se establece el reglamento especial de dotación de tierras para las personas que tengan condición de desplazados forzados por causa de la violencia. Por el cual se modifica parcialmente el Acuerdo 18 del 17 de octubre de 1995, por el cual se establece el reglamento especial de dotación de tierras para personas que tengan la condición de desplazados forzosos por causa de la violencia. Programa especial de adquisición de tierras en beneficio de la población campesina desplazada por la violencia. Por el cual se reglamenta el funcionamiento del Fondo para la Rehabilitación, Inversión Social y Lucha contra el Crimen Organizado, y se dictan disposiciones en materia de destinación de bienes. Por el cual se reglamentan parcialmente los artículos 7ª, 17 y 19 de la Ley 387 de 1997, en lo relativo a la oportuna atención a la población rural desplazada por la violencia, en el marco del retorno voluntario a su lugar de origen o de su reasentamiento en otro lugar, y se adoptan medidas tendientes a prevenir esta situación. Source : DEFENSORÍA DEL PUEBLO ; UNHCR. 2002. Compendio de documentos relacionados con la atención del desplazamiento forzado. Bogotá. 396 Annexe B - États signataires de la Convention de l' ONU pour les Réfugiés de 1951, et du Protocole de 1967 (situation au 31 décembre 1999) États Convention Protocole membres des sur les de Nations Réfugiés 1967 (b) Unies (a) Afghanistan Afrique du 1996 1996 Sud Albanie 1992 1992 Algérie 1963 1967 Allemagne 1969 1969 Andorre Angola 1981 1981 Antigua-etBarbuda Arabie saoudite Argentine Arménie Australie Autriche Azerbaïdjan Bahamas Bahreïn Bangladesh Barbade Bélarus 1995 1995 États membres des Nations Unies Lesotho Lettonie 1997 1997 Liban Libéria Liechtenstein Lituanie Luxembourg Macédoine, exRépublique yougoslave de 1963 1964 1957 1997 1953 1980 1968 1997 1971 1994 1994 Madagascar Belgique 1953 1969 Belize 1990 1990 Bénin Bhoutan Bolivie BosnieHerzégovine Botswana Brésil Brunéi Darussalam Bulgarie Burkina Faso Burundi Cambodge Cameroun Canada 1962 1970 1982 1982 Malaisie Malawi Maldives Mali Malte Maroc Marshall, Îles Maurice, Île Mauritanie Mexique (d) Micronésie, États fédérés de Moldova, République de Monaco Mongolie Mozambique 1993 1993 Myanmar 1969 1960 1969 1972 Namibie Nauru 397 1961 1993 1973 1954 1993 1993 1967 1993 1973 1973 1993 1993 Convention Protocole sur les de Réfugiés 1967 (b) (a) 1981 1981 1967 1987 1987 1973 1971 1956 1973 1971 1971 1987 1987 1954 1983 1989 1995 Népal 1993 1980 1963 1992 1961 1969 1993 1980 1971 1992 1967 1969 Nicaragua Niger Nigeria Norvège Nouvelle-Zélande Oman 1980 1961 1967 1953 1960 1980 1970 1968 1967 1973 Cap-Vert Centrafricaine, République Chilie Chine, République populaire de Chypre Colombie Comores Congo Congo, République démocratique du Corée, République dee (Sud) Corée, République populaire démocratique de (Nord) Costa Rica Côte d’Ivoiree Croatie 1987 Ouganda 1962 1967 Ouzbékistan 1972 1972 Pakistan 1982 1982 Palaos 1963 1968 1961 1980 1962 1970 Panama Papouasie-NouvelleGuinée Paraguay Pays-Bas 1965 1975 1992 1992 1978 1961 1978 1970 1992 1992 Cuba 1968 1977 1994 1981 1976 1976 1978 1978 1986 1986 1970 1968 1970 1968 Pérou 1964 1983 Philippines 1981 1981 Pologne 1991 1991 Portugal Qatar République arabe syrienne République dominicaine République tchèque Roumanie Royaume-Uni Rwanda 1976 1976 1978 1978 1993 1991 1968 1980 1993 1991 1968 1980 1956 1967 Danemark Djibouti Dominique Égypte Émirats arabes unis Équateur Érythrée 1952 1977 1994 1981 Espagne 1978 1978 Estonie États-Unis Éthiopie Fédération de Russie Fidji Finlande France Gabon Gambie Géorgie Ghana Grèce 1997 1969 1997 1968 1969 Saint-Marin Saint-Siège (c) Saint-Vincent-et-lesGrenadines Sainte-Lucie Salomon, Îles Salvador 1993 1993 1972 1968 1954 1964 1966 1999 1963 1960 1972 1968 1971 1973 1967 1999 1968 1968 Saint-Kitts-et-Nevis 1955 1969 1993 1995 1983 1995 1983 Samoa 1988 1994 Sao-Tomé-et-Principe Sénégal Seychelles Sierra Leone Singapour Slovaquie Slovénie Somalie 1978 1963 1980 1981 1978 1967 1980 1981 1993 1992 1978 1993 1992 1978 398 Grenade Guatemala Guinée Guinée-Bissau Guinée équatoriale Guyane Haïti 1974 1983 1968 1976 Soudan Sri Lanka Suède Suisse (c) 1974 1983 1965 1976 1954 1955 1967 1968 1986 1986 Suriname 1978 1978 1984 1984 1993 1969 1993 Honduras 1992 1992 1964 1968 Hongrie Inde Indonésie Iran, République islamique d’ Iraq Irlande Islande Israël Italie Jamahiriya arabe libyenne Jamaïque Japon Jordanie Kazakhstan Kenya 1989 1989 1981 1981 1962 1969 1957 1998 1962 1986 1968 1998 1968 1986 1970 1970 Kirghizistan Kiribati Koweït Lao, République démocratique populaire Swaziland Tadjikistan Tanzanie, RépubliqueUnie de Tchad Thaïlande Togo 1976 1976 Tonga 1956 1955 1954 1954 1968 1968 1968 1972 Trinité et Tobago Tunisie Turkménistan Turquie Tuvalu (c) Ukraine 1964 1981 1980 1982 1999 1966 1999 1981 1996 1996 Uruguay Vanuatu Venezuela Viet Nam Yémen Yougoslavie, République fédérale de Zambie Zimbabwe 1986 1980 1980 1959 1968 1969 1981 1969 1981 Notes : a. Année de ratification, adhésion et/ou succession à la Convention de l’ONU de 1951 sur les réfugiés. b. Année d’adhésion et/ou succession au Protocole de 1967. c. États non membres des Nations Unies. d. Le 31 décembre 1999, le Mexique n’était pas signataire de la Convention des Nations Unies de 1951 sur les réfugiés ni du Protocole de 1967. Cependant, en juin 2000, il signe les deux instruments. Source: UNHCR. 2000. Les réfugiés dans le monde : cinquante ans d’action humanitaire. Paris : Editions Autrement. p. 302-305. [réf. du 2005-11-14] Disponible sur Internet : http://www.unhcr.ch/pubs/sowr2000/french/tocfrench.htm 399 Annexe C - Résolutions et documents des Nations Unies relatifs aux déplacés forcés. Selected formal documents relating to IDPs. 1. Statute of the Office of the United Nations High Commissioner for Refugees: Approved by the UN General Assembly resolution 428 (V) of 14 December 1950 Article 9: “The High Commissioner shall engage in such additional activities…as the General Assembly may determine within the limits of the resources placed at his disposal”. 2. UN General Assembly A/RES/2956 of 12 December 1972: 2. Requests the High Commissioner (for Refugees) to continue to participate, at the invitation of the Secretary General, in those humanitarian endeavors of the United Nations for which his office has particular expertise and experience. 3. UN General Assembly resolution 47/105 of 16 December 1992 Welcomes, in this context, efforts by the High Commissioner, on the basis of specific requests from the Secretary-General or the competent principal organs of the United Nations and with the consent of the concerned State, to undertake activities in favor of internally displaced persons, taking into account the complementarities of the mandates and expertise of other relevant organizations; 4. IOM/FOM/33/93: UNHCR’s Role with Internally Displaced Persons (28 April 1993) 5. UN General Assembly resolution 48/116 of 20 December 1993: “12. Reaffirms [the General Assembly’s] support for the High Commissioner’s efforts, on the basis of specific requests from the Secretary General or the competent principal organs of the United Nations, and with the consent of the concerned State, and taking into account the complementarities of the mandates and expertise of other relevant organizations, to provide humanitarian assistance and protection to persons displaced within their own country in specific situations calling for the Office’s particular expertise, especially where such efforts could contribute to the prevention or solution of refugee problems.” 6. UN General Assembly resolution 48/116 of 20 December 1993 14. Recognizes the need for the international community to explore methods and means better to address within the United Nations system the protection and assistance needs of internally displaced persons, and calls upon the High Commissioner to engage actively in further consultations on this priority issue with the Department of Humanitarian Affairs of the Secretariat and the Special Representative of the Secretary General on Internally Displaced Persons, and with other appropriate international organizations and bodies, including the International Committee of the Red Cross. 7. UNHCR’s Executive Committee Conclusion No. 75 of 1994: “(j) Recognizes that resolution 48/116 adopted by the United Nations General Assembly on 20 December 1993 … continues to provide an “appropriate framework for the involvement of the High Commissioner in situations of internal displacement” (k) Encourages the High Commissioner to continue the efforts of (his) Office to put into action its internal criteria and guidelines for UNHCR involvement in situations of internal 400 displacement, as an important contribution towards a more concerted response by the international community to the needs of the internally displaced. (l) Emphasizes that activities on behalf of internally displaced persons must not undermine the institution of asylum including the right to seek and enjoy in other countries asylum from persecution.” 8. UNHCR’s Operational Experience with Internally Displaced Persons DIP (1 September 1994) 9. UN General Assembly resolution A/RES/49/169 of 23 December 1994 10. Calls for a more concerted response by the international community to the needs of internally displaced persons and in accordance with its resolution 48/116, reaffirms its support for the High Commissioners efforts, on the basis of specific requests from the Secretary General or the complementarities of the mandates and expertise of other relevant organizations to provide humanitarian assistance and protection to such persons, emphasizing that activities on behalf of internally displaced persons must not undermine the institution of asylum, including the right to seek and enjoy in other countries asylum from persecution. 13. Acknowledges the continuing close cooperation between the High Commissioner and the representative of the Secretary-General on internally displaced persons in the exercise of his mandate, and recognizes the importance of their close cooperation, and of cooperation with the International Committee of the Red Cross, with respect to prevention, protection, humanitarian assistance and solutions; 9. UN General Assembly resolution 49/174 of 23 December 1994 9. Calls upon Member States and intergovernmental and non-governmental organizations to continue to provide the necessary support and financial assistance to the High Commissioner to enhance her capacities and abilities to implement emergency operations, care and maintenance activities and repatriation and reintegration programmes for the benefit of refugees, returnees and, as appropriate, certain groups of internally displaced persons; 10. UN General Assembly resolution 15/75 of 12 December 1996 13…recalls that the Office of the High Commissioner may be called upon by the appropriate organs of the United Nations and with the consent of the State concerned to extend its assistance to other groups, such as internally displaced persons, recognizing that such involvement may contribute to the prevention or mitigation of refugee situations, yet emphasizing that activities on behalf of internally displaced persons must not undermine the institution of asylum, including the right to seek and to enjoy in other countries asylum from persecution; 11. IOM/FOM/87/97: UNHCR’s Role with Internally Displaced Persons (12 December 1997) 12. UN General Assembly resolution 53/125 of 9 December 1998 16. Notes the relevance of the Guiding Principles on the Internal displacement, reaffirms its support for the role of the Office of the High Commissioner in providing humanitarian assistance and protection to internally displaced persons, on the basis of specific requests from the Secretary General or the competent organs of the United Nations and with the consent of the State concerned, taking into account the complementarities of the mandates and expertise of other relevant organizations, and emphasizes that activities on behalf of internally displaced persons must not undermine the institution of asylum; 13. UNHCR’s Executive Committee Conclusion No. 87 of 1999: 401 “(t) Recalls Conclusions No 75 (XLV) on internally displaced persons; takes note of resolution 53/ 125 adopted by the United Nations General Assembly in December 1998; reiterates the relevance of the Guiding Principles on Internal Displacement, (1) and reaffirms its support for UNHCR’s role with internally displaced persons on the basis of criteria specified in the General Assembly.” 14. Introduction to International Protection: UNHCR Emergency Management Training Program (1 July 1999) 15. IASC Policy Paper on Protection for IDPs (6 December 1999) 16. UN General Assembly resolution 54/146 of 17 December 1999 17. Reiterates its support for the role of the Office of the High Commissioner in providing humanitarian assistance and protection to internally displaced persons on the basis of criteria enumerated in paragraph 16 of its resolution 53/125, and underlines the continuing relevance of the Guiding Principles on Internal Displacement; 17. Handbook for Applying the Guiding Principles on Internal Displacement (The Brooking Institution Project on IDPs, 1999) 18. Field Practice in internal displacement. Examples from UN Agencies and Partner Organizations of Field-based Initiatives Supporting Internally Displaced Persons. (IASC, 1999) 19. Internally Displaced Persons: The Role of the United Nations High Commissioner for Refugees (6 March 2000) 20. UN General Assembly resolution 55/76 of 4 December 2000 3. Reaffirms its support for the activities of the Office of the High Commissioner, in accordance with the relevant General Assembly resolutions, on behalf of returnees, stateless persons and internally displaced persons; 21. UN General Assembly resolution 55/74 of 4 December 2000 20. Reiterates its support for the role of the Office of the High Commissioner in providing humanitarian assistance and protection to internally displaced persons on the basis of criteria enumerated in paragraph 16 of its resolution 53/125 of 9 December 1998, and underlines the continuing relevance of the Guiding Principles on Internal Displacement; 22. High Commissioner’s Speaking notes from Oslo: UNHCR’s Policy on Internally Displaced Persons (23 May 2001). 23. IOM/FOM/77/2001: Operational Guidelines for UNHCR's Involvement with Internally Displaced Persons (IDPs) (24 September 2001). 24. IOM/046/2004/FOM 048/2004: Involvement with IDP situations: a process for decision-making. Source: UNHCR. 2005. Consistent and Predictable Responses to IDPs. A Review of UNHCR’s Decisionmaking Processes. Geneva. p. 55-58. [réf. du 2006-03-05]. Disponible sur Internet : http://www.unhcr.org/cgi-bin/texis/vtx/research/opendoc.pdf?tbl=RESEARCH&id=423551522 402 Annexe D - Charte des droits basiques de la population déplacée. Carta de derechos básicos de toda persona que ha sido víctima de desplazamiento forzado interno. 1. Tiene derecho a ser registrado como desplazado, solo o con su núcleo familiar. 2. Conserva todos sus derechos fundamentales y por el hecho del desplazamiento no ha perdido ninguno de sus derechos constitucionales sino que por el contrario es sujeto de especial protección por el Estado. 3. Tiene derecho a recibir ayuda humanitaria inmediatamente se produzca el desplazamiento y por el término de 3 meses, prorrogables por 3 meses más y que tal ayuda comprende, como mínimo, a) alimentos esenciales y agua potable, b) alojamiento y vivienda básicos, c) vestido adecuado, y (d) servicios médicos y sanitarios esenciales. 4. Tiene derecho a que se le entregue el documento que lo acredita en una entidad promotora de salud, a fin de garantizar su acceso efectivo a los servicios de atención en salud. 5. Tiene derecho a retornar en condiciones de seguridad a su lugar de origen y sin que se le pueda obligar a regresar o a reubicarse en alguna parte específica del territorio nacional. 6. Tiene derecho a que se identifiquen, con su plena participación, las circunstancias específicas de su situación personal y familiar para definir, mientras no retorne a su lugar de origen, cómo puede trabajar con miras a generar ingresos que le permita vivir digna y autónomamente. 7. Tiene derecho, si es menor de 15 años, a acceder a un cupo en un establecimiento educativo. 8. Estos derechos deben ser inmediatamente respetados por las autoridades administrativas competentes, sin que éstas puedan establecer como condición para otorgarle dichos beneficios que interponga acciones de tutela, aunque está en libertad para hacerlo. 9. Como víctima de un delito, tiene todos los derechos que la Constitución y las leyes le reconocen por esa condición para asegurar que se haga justicia, se revele la verdad de los hechos y obtenga de los autores del delito una reparación. Source : RSS - Red de Solidaridad Social. 2004. Bogotá. [réf. du 2005-02-05]. Disponible sur Internet : http://www.minagricultura.gov.co/18_descargas/desplazados/Carta_Derechos_Basicos.pdf 403 Annexe E - Carte de la Colombie Source : Atlas en Cartes. 2006. Fiche Colombie. Paris : Editions Atlas. 404 Annexe F - Accord pour la discrétion sur la diffusion de faits violents en Colombie. Acuerdo por la discreción sobre la difusión de hechos violentos Conscientes de la responsabilidad social de nuestro oficio, los profesionales de los Medios de Comunicación de Colombia nos comprometemos con este Acuerdo por la Discreción, porque queremos contribuir al logro de la paz, al respeto de la vida y a la búsqueda del bien común. 1. El cubrimiento informativo de actos violentos - ataques contra las poblaciones, masacres, secuestros y combates entre los bandos- será veraz, responsable y equilibrado. Para cumplir con este propósito, cada medio definirá normas de actuación profesional que fomenten el periodismo de calidad y beneficien a su público. 2. No presentaremos rumores como si fueran hechos. La exactitud, que implica ponerlos en contexto, debe primar sobre la rapidez. 3. Fijaremos criterios claros sobre las transmisiones en directo, con el fin de mejorar la calidad de esa información y evitar que el medio sea manipulado por los violentos. 4. Por razones éticas y de responsabilidad social no presionaremos periodísticamente a los familiares de las víctimas de hechos violentos. 5. Estableceremos criterios de difusión y publicación de imágenes y fotografías que puedan generar repulsión en el público, contagio con la violencia o indiferencia ante ésta. 6. Respetaremos y fomentaremos el pluralismo ideológico, doctrinario y político. Utilizaremos expresiones que contribuyan a la convivencia entre los colombianos. Preferimos perder una noticia antes que una vida. (Fue firmado en su momento por 35 directores de medios de todo el país, en Santafé de Bogotá, noviembre 4 de 1999.) Source : ORTIZ, Germán. 2001. ¿Por qué un Observatorio de Medios para Colombia? In Sala de Prensa N°37. Año III, Vol. 2. [réf. du 2007-01-15]. Disponible sur Internet : http://www.saladeprensa.org/art293.htm 405 Annexe G - Recommandations de politique publique face au déplacement intra-urbain. Recomendaciones de política pública frente al desplazamiento intraurbano. Al Consejo Nacional de Atención Integral a la Población Desplazada por la Violencia, en el marco de la formulación de la política pública de atención al desplazamiento forzado: establecer un enfoque de atención diferencial para las víctimas del desplazamiento intraurbano, teniendo en cuenta particularidades tales como la concurrencia en la misma ciudad del victimario y la víctima, que le impone al Estado una responsabilidad primordial de protección a los afectados. A los Comités Municipales de Atención Integral a la Población Desplazada de Medellín y Barrancabermeja, en coordinación con los Comités Departamentales de Atención Integral a la Población Desplazada de Antioquia y Santander, y al Consejo Distrital de Atención a la Población Desplazada de Bogotá, en coordinación con las demás entidades del SNAIPD: atender de forma urgente, en materia de ayuda humanitaria de emergencia y de estabilización socioeconómica, a las víctimas de desplazamiento forzado intraurbano asentadas en sus respectivas jurisdicciones, teniendo en cuenta un esquema diferencial frente a las particularidades que presenta este fenómeno. Al Gobierno Nacional y a las alcaldías de Medellín, Barrancabermeja y Bogotá: adoptar las medidas necesarias y oportunas para proteger a la población civil que en estas ciudades se encuentra en riesgo de desplazamiento forzado por el accionar de los grupos armados ilegales, los cuales, a pesar de los esfuerzos de la Fuerza Pública por neutralizarlos y desarticularlos, actúan en algunas áreas de dichas ciudades. A las alcaldías de Medellín, Barrancabermeja y Bogotá, en el marco de los Comités Territoriales de Atención Integral a la Población Desplazada, en coordinación con las demás entidades del SNAIDP: diseñar y ejecutar políticas integrales de prevención, encaminadas, entre otros fines, a evitar el reclutamiento de jóvenes por parte de los grupos armados ilegales. Dichas políticas deben incluir programas y proyectos de carácter educativo y laboral. Al Ministerio del Interior, a los Comités Municipales de Atención Integral a la Población Desplazada de Medellín y Barrancabermeja y al Consejo Distrital de Atención a la Población Desplazada de Bogotá, en coordinación con las demás entidades del SNAIDP: adoptar las medidas necesarias para proteger la vida de los líderes sociales y los jóvenes que han sido amenazados y/o que se han visto forzados a desplazarse al interior de las ciudades mencionadas. A los Comités Municipales de Atención Integral a la Población Desplazada de Medellín y Barrancabermeja, en coordinación con los Comités Departamentales de Atención Integral a la Población Desplazada de Antioquia y Santander, y al Consejo Distrital de Atención a la Población 406 Desplazada de Bogotá, en coordinación con las demás entidades del SNAIPD: fortalecer los espacios de participación de las organizaciones de población desplazada, con el fin de que puedan incidir en la formulación y ejecución de las políticas para la atención del desplazamiento intraurbano. En desarrollo de este trabajo, es necesario abordar, entre otras, problemáticas como el bajo nivel de denuncias de la población desplazada intraurbana, y adoptar las medidas necesarias para superarla. A las entidades del SNAIPD, incluyendo las entidades territoriales: trabajar integralmente el aspecto psicosocial con la población en situación de desplazamiento intraurbano, la cual se ve seriamente afectada por el terror psicológico que provoca el accionar violento-terrorista en las ciudades. A las entidades del SNAIPD: diseñar mecanismos legales de protección de bienes urbanos abandonados por la población en situación de desplazamiento intraurbano. A la Fiscalía General de la Nación: examinar y evaluar los casos de desplazamiento forzado intraurbano que se han presentado en Medellín, Barrancabermeja y Bogotá y, de ser procedente, iniciar las investigaciones a que haya lugar, con el fin de que los responsables de estos hechos sean sancionados de acuerdo con la legislación penal colombiana. Source: DEFENSORÍA DEL PUEBLO DE COLOMBIA ; UNHCR. 2004. Desplazamiento intraurbano como consecuencia del conflicto armado en las ciudades. Bogotá. p. 72-74. [réf. du 2004-07-22]. Disponible sur Internet : http://www.acnur.org/pais/docs/785.pdf 407 Annexe H – La zone urbaine de Medellín. Les comunas, leurs quartiers et le nombre d’habitantes selon le recensement général de 2005 La zone nord-est Comuna 1 – Popular : Santo Domingo Sabio Nº 1, Santo Domingo Sabio Nº 2, Popular, Granizal, Moscú Nº 2, Villa Guadalupe, San Pablo, Aldea Pablo VI, La Esperanza Nº 2, El Compromiso, La Avanzada, Carpinelo (129.771 habitants). Comuna 2 - Santa Cruz : La Isla, El Playón de Los Comuneros, Pablo VI, La Frontera, La Francia, Andalucía, Villa del Socorro, Villa Niza, Moscú Nº 1, Santa Cruz, La Rosa (104.693 habitants). Comuna 3 – Manrique : La Salle, Las Granjas, Campo Valdes Nº 2, Santa Inés, El Raizal, El Pomar, Manrique, Central Nº 2, Manrique Oriental, Versalles Nº 1, Versalles Nº 2, La Cruz, Oriente, Maria Cano – Carambolas, San José La Cima Nº 1, San José La Cima Nº 2 (151.779 habitants). Comuna 4 – Aranjuez : Berlín, San Isidro, Palermo, Bermejal - Los Álamos, Moravia, Sevilla, San Pedro, Manrique Central Nº 1, Campo Valdes Nº 1, Las Esmeraldas, La Piñuela, Aranjuez, Brasilia, Miranda (156.244 habitants). La zone nord-ouest Comuna 5 – Castilla : Toscaza, Las Brisas, Florencia, Tejelo, Boyacá, Héctor Abad Gómez, Belalcázar, Girardot, Tricentenario, Castilla, Francisco Antonio Zea, Alfonso López, Caribe (145.137 habitants). Comuna 6 - Doce de Octubre : Santander, Doce de Octubre Nº 1, Doce de Octubre Nº 2, Pedregal, La Esperanza, San Martín de Porres, Kennedy, Picacho, Picachito, Mirador del Doce, Progreso Nº 2, El Triunfo (188.236 habitants). Comuna 7 – Robledo : Cerro El Volador, San Germán, Barrio Facultad de Minas, La Pilarica, Bosques de San Pablo, Altamira, Córdoba, López de Mesa, El Diamante, Aures Nº 1, Aures Nº 2, Bello Horizonte, Villa Flora, Palenque, Robledo, Cucaracho, Fuente Clara, Santa Margarita, Olaya Herrera, Pajarito, Monteclaro, Nueva Villa de La Iguaná (170.860 habitants). La zone centro-est Comuna 8 - Villa Hermosa : Villa Hermosa, La Mansión, San Miguel, La Ladera, Batallón Girardot, Llanaditas, Los Mangos, Enciso, Sucre, El Pinal, Trece de Noviembre, La Libertad, Villa Tina, San Antonio, Las Estancias, Villa Turbay, La Sierra (Santa Lucía Las Estancias), Villa Lilliam (138.677 habitants) Comuna 9 - Buenos Aires : Juan Pablo II, Barrios de Jesús, Bombona Nº 2, Los Cerros El Vergel, Alejandro Echavarría, Caicedo, Buenos Aires, Miraflores, Cataluña, La Milagrosa, Gerona, El Salvador, Loreto, Asomadera Nº 1, Asomadera Nº 2, Asomadera Nº 3, Ocho de Marzo (132.794 habitants). Comuna 10 - La Candelaria : Prado, Jesús Nazareno, El Chagualo, Estación Villa, San Benito, Guayaquil, Corazón de Jesús, Calle Nueva, Perpetuo Socorro, Barrio Colón, Las Palmas, Bombona Nº 1, Boston, Los Ángeles, Villa Nueva, La Candelaria, San Diego (82.102 habitants). La zone centro-ouest Comuna 11 - Laureles – Estadio : Carlos E. Restrepo, Suramericana, Naranjal, San Joaquín, Los Conquistadores, Bolivariana, Laureles, Las Acacias, La Castellana, Lorena, El Velódromo, Estadio, Los Colores, Cuarta Brigada, Florida Nueva (115.218 habitants). Comuna 12 - La América : Ferrini, Calasanz, Los Pinos, La América, La Floresta, Santa Lucia, El Danubio, Campo Alegre, Santa Mónica, Barrio Cristóbal, Simón Bolívar, Santa Teresita, Calasanz Parte Alta (87.045 habitants). Comuna 13 - San Javier : El Pesebre, Blanquizal, Santa Rosa de Lima, Los Alcázares, Metropolitano, La Pradera, Juan XIII - La Quiebra, San Javier Nº 2, San Javier Nº 1, Veinte de Julio, Belencito, Betania, El Corazón, Las Independencias, Nuevos Conquistadores, El Salado, Eduardo Santos, Antonio Nariño, El Socorro, La Gabriela (137.779 habitants). 408 La zone sud-est Comuna 14 - El Poblado : Barrio Colombia, Simesa, Villa Carlota, Castropol, Lalinde, Las Lomas Nº 1, Las Lomas Nº 2, Altos del Poblado, El Tesoro, Los Naranjos, Los Balsos Nº 1, San Lucas, El Diamante Nº 2, El Castillo, Los Balsos Nº 2, Alejandría, La Florida, El Poblado, Manila, Astorga, Patio Bonito, La Aguacatala, Santa Maria de Los Ángeles (103.961 habitants). La zone sud-ouest Comuna 15 - Guayabal: Tenche, Trinidad, Santa Fé, Shellmar, Parque Juan Pablo II, Campo Amor, Noel, Cristo Rey, Guayabal, La Colina (87.466 habitants). Comuna 16 - Belén: Fátima, Rosales, Belén, Granada, San Bernardo, Las Playas, Diego Echevarría, La Mota, La Hondonada, El Rincón, La Loma de Los Bernal, La Gloria, Altavista, La Palma, Los Alpes, Las Violetas, Las Mercedes, Nueva Villa de Aburrá, Miravalle, El Nogal - Los Almendros, Cerro Nutibara. (191.861 habitants). Source : DANE - DEPARTAMENTO ADMINISTRATIVO NACIONAL DE ESTADÍSTICA. 2005. Censo General 2005. [réf. du 2006-11-22]. Disponible sur Internet : http://www.dane.gov.co/index.php?option=com_content&task=category§ionid=16&id=269&Ite mid=750 409 Annexe I – Profil de la ville de Medellín selon le recensement général de 2005. 410 411 412 413 Annexe J – Considérations sur les statistiques officielles colombiennes Nota sobre estadísticas 1. Los indicadores estadísticos son un poderoso instrumento para la protección de los derechos humanos y el derecho internacional humanitario. Se pueden usar como instrumento para formular mejores políticas; vigilar los progresos realizados; determinar los efectos no deseados de leyes, políticas y prácticas; determinar qué actores están influyendo en la realización de los derechos, poner de relieve si ellos están cumpliendo sus obligaciones; advertir de antemano posibles violaciones y poder adoptar medidas preventivas; fortalecer el consenso social respecto de decisiones difíciles que deban adoptarse frente a la limitación de recursos; sacar a la luz cuestiones que han sido desatendidas o silenciadas. 2. Colombia carece de un sistema estadístico que recoja adecuadamente la realidad en cuanto a las violaciones de los derechos humanos e infracciones del derecho internacional humanitario. 3. Las estadísticas oficiales actuales sobre violaciones de los derechos humanos e infracciones del derecho internacional humanitario adolecen de errores sistemáticos y accidentales. Esto puede ser, entre otros, producto de una deficiente definición de los indicadores, por no ajustarse a los instrumentos internacionales, y del empleo de una metodología menos apropiada en la recolección de los datos. 4. Las breves consideraciones que siguen buscan motivar el establecimiento en Colombia de un sistema de estadísticas oficiales que recojan más adecuadamente las violaciones de los derechos humanos y las infracciones del derecho internacional humanitario. Ello permitirá tener mejores elementos para la formulación y puesta en práctica de políticas públicas integrales en la materia. 5. En cuanto a los derechos humanos, la oficina ha observado que las estadísticas oficiales del ejecutivo son limitadas y con pocas excepciones no incluyen indicadores relevantes de violaciones de los derechos civiles y políticos, ni de los derechos económicos, sociales y culturales. 6. Por ejemplo, no se registran las desapariciones forzadas, las ejecuciones extrajudiciales, las torturas y los tratos crueles, inhumanos o degradantes, las detenciones arbitrarias, y las violaciones al debido proceso de acuerdo con los estándares internacionales establecidos. De igual forma ocurre con las estadísticas sobre homicidios, las mismas no discriminan adecuadamente si el autor ha sido un agente del Estado o un particular actuando con el consentimiento o aquiescencia de éste. 7. Ejemplo de lo anterior es la estadística sobre tortura, registrada por el Centro de Investigaciones Criminológicas (CIC) de la Dirección Central de Policía Judicial, en el período comprendido entre los años 1993 al 30 de septiembre 2004. Esta revela que entre los años 1993 y 2001 a nivel nacional, se registró un promedio anual de 1.230 casos de tortura. De 2002 a septiembre de 2004, el registro bajó a un promedio de seis casos anuales. La oficina ha registrado en 2004, 20 casos de hechos que pueden calificarse, a la luz de la normativa internacional como tortura o tratos o penas crueles, inhumanos o degradantes. Para la Policía Nacional la tortura, siguiendo la normativa interna, puede ser cometida por particulares que no tiene nexo alguno con el Estado. Para el derecho internacional de los derechos humanos la tortura y los tratos o penas 414 crueles, inhumanos o degradantes, deben tener por autores a funcionarios públicos o a personas particulares que actúen con la aquiescencia o tolerancia de aquellos. 8. Otro ejemplo se refiere a la desaparición forzada. El CIC no registra los casos de desaparición forzada, a pesar de que la conducta ha sido tipificada como delito en el Código Penal vigente. Según la legislación colombiana, los autores pueden ser tanto funcionarios públicos como particulares que actúan sin vínculos con aquellos. Por el contrario, para el derecho internacional de los derechos humanos la desaparición forzada sólo puede ser cometida por funcionarios públicos o por particulares que actúen con la aquiescencia o tolerancia de aquellos. Es posible que los casos de desaparición forzada se sigan incluyendo incorrectamente en el renglón estadístico de los secuestros. Según informaciones recogidas por la oficina en lo que va del año 2004 hay registrados más de 200 casos que pueden ser calificados como desaparición forzada. 9. Las estadísticas del ejército registran incorrectamente como "violaciones de derechos humanos por los grupos ilegales" los actos de terrorismo, las masacres, la utilización de armas no convencionales, el secuestro, la utilización de los niños en la guerra, y los ataques a bienes protegidos por parte de grupos armados ilegales. Debe anotarse que esas conductas son infracciones al derecho internacional humanitario y solamente son violaciones de los derechos humanos cuando tienen por autores a funcionarios públicos o a particulares que actúan bajo su determinación o con su complicidad. 10. La oficina registró durante 2004 un alto número de denuncias de casos de personas que fueron ejecutadas por los paramilitares y presentadas posteriormente por las autoridades como muertas en combate. La falta de una investigación independiente e imparcial de estas denuncias tiende a generar una distorsión estadística, al incluir esos homicidios como parte de los logros operacionales de la fuerza pública. 11. Las estadísticas del Observatorio del Programa Presidencial de Derechos Humanos y Derecho Internacional Humanitario, basadas en diversas fuentes, usan definiciones que no son compatibles con los instrumentos internacionales de derechos humanos. Así por ejemplo, la ejecución extrajudicial de tres líderes sindicales, ocurrida el 5 de agosto de 2004 y atribuida a miembros de las fuerzas militares, no fue considerada como una violación grave de los derechos humanos de los sindicalistas. El Ministerio de Protección Social no considera esas muertes "vinculadas con la actividad sindical", por estar "en curso una investigación penal que tiene como objetivo determinar las circunstancias de modo y lugar en las cuales se desarrollaron los hechos". Con este criterio ninguna violación de derechos humanos podría calificarse como tal mientras no existiera una sentencia judicial. 12. El Observatorio registra homicidios, amenazas y secuestros de periodistas por grupos armados al margen de la ley, pero no incluye casos sobre uso excesivo de la fuerza o de otros ataques a la libertad de expresión atribuidos a miembros de la fuerza pública. En 2004 la oficina ha registrado 40 casos de hechos que pueden calificarse, a la luz de la normativa internacional, como violación a la libertad de expresión y opinión. 13. Las estadísticas de la Defensoría del Pueblo en cambio muestran un mayor grado de precisión y son más relevantes en relación con los derechos humanos y el derecho internacional humanitario. Sin embargo, no parecen ser tomadas en cuenta en las estadísticas del ejecutivo. 14. En cuanto a infracciones del derecho internacional humanitario existen más estadísticas oficiales, pero en su mayoría se refieren a conductas atribuidas a miembros de los grupos armados ilegales. Hay menos estadísticas sobre conductas cuya responsabilidad se atribuye a agentes del Estado. 15. El Observatorio contabiliza, hasta agosto de 2004, nueve homicidios de indígenas atribuidos a miembros de las fuerzas militares. Sin embargo, en los indicadores de 415 septiembre de 2004, disponibles en su página web, no se incluye a funcionarios del Estado entre los presuntos responsables de homicidios de indígenas. 16. Las estadísticas oficiales sobre infracciones del derecho internacional humanitario también contienen vacíos y lagunas. Por una parte no recogen las infracciones cometidas por agentes del Estado, como puede apreciarse en los datos del Observatorio del Programa Presidencial de Derechos Humanos y Derecho Internacional Humanitario. Por la otra, la mayoría de las infracciones están atribuidas a desconocidos. También estas estadísticas están afectadas por un manifiesto subregistro. En 2004 la oficina ha registrado 248 casos que pueden calificarse, a la luz de la normativa internacional, como infracciones del derecho internacional humanitario. De este total, 57 casos serían imputables a miembros de la fuerza pública. 17. Las estadísticas oficiales también denotan imprecisiones y distorsiones. Un ejemplo de ello es el parámetro "homicidio común" usado por el Centro de Investigación Criminal (CIC) de la Policía Nacional y por el Observatorio de la Vicepresidencia. Esta denominación incluye toda clase de muertes violentas, con excepción de las producidas por los accidentes de tránsito. Tampoco el parámetro precisa el origen étnico de la víctima, la condición del autor de la muerte (agente del Estado o particular), ni las circunstancias de la misma. 18. Otro ejemplo de la falta de precisión en las estadísticas oficiales, es el empleo del término actos de terrorismo. Por actos de terrorismo el Observatorio, de acuerdo con el Ministerio de Defensa, entiende aquellos "hechos en los cuales son utilizados artefactos explosivos de manera indiscriminada, atacando la vida de los no combatientes y sus bienes". Según una resolución de las Naciones Unidas se entiende por actos de terrorismo "los actos criminales con fines políticos concebidos o planeados para provocar un estado de terror en la población en general, en un grupo de personas o en personas determinadas son injustificables en todas las circunstancias, cualesquiera sean las consideraciones políticas, filosóficas, ideológicas, raciales, étnicas, religiosas o de cualquier otra índole que se hagan valer para justificarlos". 19. Un ejemplo de las contradicciones estadísticas es la discrepancia entre distintas fuentes. Así el Programa Presidencial para los Derechos Humanos y el Derecho Internacional Humanitario registra 1 ó 14 casos de ataque a población civil, según la fuente que originó la información. Si la fuente es del Ministerio de Defensa, reflejaría una disminución de los ataques a poblaciones en un 75%. Si esta información surge de los boletines del DAS, representaría un incremento del 180%. 20. Finalmente, la ausencia de estadísticas desagregadas impide conocer cuál es el impacto de las violaciones e infracciones sobre determinados sectores sociales. Por ejemplo, la Red de Solidaridad Social al carecer de estadísticas desagregadas sobre desplazamiento forzado de indígenas y afrocolombianos, no está en capacidad de establecer lo suficientemente bien la situación de las comunidades y poblaciones más vulnerables. Source: ONU - ORGANIZACION DE NACIONES UNIDAS. 2005. Informe de la Alta Comisionada de las Naciones Unidas para los Derechos Humanos sobre la situación de los derechos humanos en Colombia. p. 68-71. [réf. du 2005-12-25]. Disponible sur Internet : http://www.hchr.org.co/documentoseinformes/informes/altocomisionado/Informe2004_esp.doc 416 Annexe K – Profil de la ville de Barrancabermeja selon le recensement général de 2005. 417 418 419 420 Annexe L – La zone urbaine de Barrancabermeja . Les comunas et leurs quartiers selon la Mairie de la Ville La Comuna 1 Arenal, Buenos Aires, Cardales, Dorado, Recreo, David Núñez, San Francisco, Las Playas, Inscredial, Isla del Zapato, La Campana, San Luis, Las Cruces, La Victoria, Las Margaritas, Palmira, Sector Comercial, Tres Unidos, Urb. Cincuentenario, San José, Colombia. La Comuna 2 Aguas Claras, Ciudad Bolívar, Los Lagos, El Rosario, Galán Gómez, Las Colinas, Olaya Herrera, Parnaso, Pueblo Nuevo, Torcoroma, Uribe Uribe, 25 de Agosto, Villa Luz I y II, Yariguies, Villa Olimpica. La Comuna 3 Belén, Ciudadela Pipatón, Cortijillo, Coviba, Internacional, Jorge E. Gaitán, La Floresta, La Libertad, La Paz, Los Ficus, Luis Eleazar, San Judas Tadeo, Santa Isabel, 20 de Enero, Campo Hermoso, Jerusalén, Cristo Rey, Altos de los Ángeles, Altos del Rosario, Altos de la Virgen, Colinas del Norte, Maria Lucia, Invasión Novalito. La Comuna 4 Antonia Santos, Bella Vista, Buena Vista, El Bosque, El Castillo, Cincuentenario, Limonar, Palmar, Refugio, José Antonio Galán, La Liga, Peninsula, Las Brisas, Las Nieves, Los Pinos, Los Lagos, Villa de Leyva, Los Naranjos, Yarima, Planada Cerro, Conjunto Cerrado el Refugio, Invasión Cincuentenario. La Comuna 5 Alcazar, Barrancabermeja, Campo Alegre, Chicó, El Triunfo, Independencia, Candelaria, Esperanza, Américas, Camelias, Malvinas, Rosales, Miraflores, Primero de Mayo, Provivienda, Ramaral, San José Obrero, Santa Ana, Simón Bolívar, Tierradentro, La Tora, Francisco Sarasti, Versalles, Villa Rosita, Chapinero, Invasión Ramaral. La Comuna 6 Antonio Nariño, El Boston, Brisas San Martin, Brisas del Oriente, Corinto, Danubio, Progreso, Kennedy, Granjas, Oro Negro, Rafael Rangel, San Pedro, 20 de Agosto. La Comuna 7 Divino Niño, El Campin, Campestre, Paraiso, Prado, Maria Eugenia, Nueve de Abril, Santa Bárbara, Vereda la Independencia, Pablo Acuña, Villarelys I, II y III, Invasión el Poblado, Los Almendros, El Reten, Miradores del Sur, Minas del Paraiso, Invasión Sapo Escondido. Source: ALCALDÍA DE BARRANCABERMEJA. 2004a. Barrancabermeja en cifras : 2001 - 2003. Barrancabermeja. 148 p. [réf. du 2006-10-14]. Disponible sur Internet : http://www.barrancabermeja.gov.co/ 421 Annexe M – Manuel de Conduite des AUC (Autodefensas Unidas de Colombia) Normas de convivencia autodefensas y población civil (El incumplimiento de cada uno de los puntos especificados acarreará la respectiva sanción) 1. HORARIO PARA LOS MENORES DE EDAD DE 6 A.M. A 9 P.M. Lunes a Viernes DE 6 A.M. A 10 P.M. Sábados y Domingos SANCIÓN: Detención durante 12 horas de menor que infrinja la norma, luego de las cuales será entregado a sus padres y/o familiares. 2. HORARIO PARA LOS ESTABLECIMIENTOS PÚBLICOS DE 6 A.M. A 11 P.M. Lunes a Viernes DE 6 A.M. A 2 A.M. Sábados y Domingos SANCIÓN: Multa de Quinientos mil pesos/Cierre temporal del establecimiento/Cierre permanente del establecimiento. 3. VENTA DE LICORES Distribución y venta de bebidas alcohólicas a personal en servicio de las AUC. SANCIÓN: Multa de Quinientos mil pesos/Cierre temporal del establecimiento/ Cierre permanente del establecimiento. 4. ESCÁNDALOS EN LA VÍA PÚBLICA En el caso de riñas entre civiles se procederá al decomiso de las armas. En el caso de riñas entre miembros de las AUC, entrará en rigor el estamento disciplinario interno. SANCIÓN: En el primero de los casos, los civiles involucrados realizarán trabajos asignados por las AUC. 5. RELACIONES CON LA POBLACIÓN CIVIL Falta de respeto o maltrato por parte de la población civil hacia personal de las AUC. Abuso de autoridad o maltrato por parte de personal de las AUC hacia la población 9. MANTENIMIENTO DE FACHADAS Hace referencia a la buena presentación de las casas y sus alrededores. SANCIÓN: Trabajos para el beneficio de la comunidad, tales como limpieza de las vías públicas, mantenimiento de las mismas, arborización y otros. 10. RECOLECCIÓN DE BASURAS Cada casa deberá tener su respectiva caneca roja y hacer uso adecuado de las mismas. SANCIÓN: Multa de cien mil pesos/Trabajos para el beneficio de la comunidad 11. LIMPIEZA DE FINCAS Y POTREROS Las fincas que tengan límites con vías de comunicación deberán mantener sus orillas limpias, de tal forma que faciliten la visibilidad. SANCIÓN: Multa de quinientos mil pesos/ Decomiso del terreno y su posterior donación a los pobladores de la región de escasos recursos. 12. MANUTENCIÓN DE ANIMALES Todo animal doméstico deberá permanecer en los predios de su propietario y bajo las medidas de higiene apropiadas. SANCIÓN: Multa de doscientos mil pesos/ Decomiso de los animales. 13. ESTUDIO OBLIGATORIO Reglamentado para los menores cuyas edades estén entre los 4 y 17 años. Este control se llevará a cabo mediante la exigencia del respectivo carné de estudiante. 422 civil. SANCIÓN: Se someterá a estudio disciplinario por parte del comando central y acarreará la expulsión de la zona/Sanción ejemplar por parte del comando central y destitución de la organización. 6. JUEGOS DE AZAR Participación de los miembros en servicio de las AUC en cualquier tipo de juego o espectáculo que desprestigie el buen nombre de la organización. SANCIÓN: Disciplinaria al infractor y multa de quinientos mil pesos al estableciminto implicado. 7. DESARME DE LA POBLACIÓN CIVIL Se prohíbe el porte de cualquier tipo de armas sin autorización previa de las AUC. Aquellas personas que estén debidamente autorizadas perderán ese derecho en el caso de que ingieran bebidas alcohólicas. SANCIÓN: Decomiso del arma y detención del infractor/Expulsión de la zona. 8. PRENDAS DE USO PRIVATIVO Se prohíbe el uso de prendas y/o accesorios similares por parte de la población civil. SANCIÓN: Decomiso de las prendas y detención del infractor/Expulsión de la zona. SANCIÓN: Llamado de atención a sus padres y sanciones disciplinarias por parte del comando central. 14. USO DE VEHÍCULOS OFICIALES O DE ENTIDADES PRIVADAS Se prohíbe rotundamente el uso de vehículos con emblemas de entidades oficiales o privadas por parte del personal en servicio de las AUC. SANCIÓN: Amonestación disciplinaria para el comandante del personal infractor/ Amonestación disciplinaria para los infractores. 15. HOSPEDAJE Y SITIOS DE VIVIENDA PARA LOS MIEMBROS DE LAS AUC Este punto hace referencia a la utilización de establecimientos civiles y/o privados, para ser utilizados por miembros en servicio de las AUC, como dormitorios o sitios para acampar. SANCIÓN: Amonestación disciplinaria para el comandante del personal infractor/Amonestación disciplinaria para los infractores. 16. RESPETO DE LA PROPIEDAD PRIVADA Hace referencia al hurto en cualquiera de sus modalidades, ya sea de animales o enseres, por parte de miembros de las AUC o civiles. SANCIÓN: Amonestación disciplinaria para los infractores/Amonestación disciplinaria para el comandante del personal infractor. Source : NOCHE Y NIEBLA. 2004. Barrancabermeja, la otra versión. Caso Tipo N°3. Bogotá. p. 199. [réf. du 2003-02-05]. Disponible sur Internet : http://www.nocheyniebla.org/ 423 Titre : Les nouvelles formes de violence urbaine en Colombie : les déplacements forcés à Medellín et Barrancabermeja Résumé : Le déplacement de population par la violence en Colombie est un phénomène de longue date qui n’a attiré l’attention de l’État qu’à partir des années 1990. Cependant, il existe dans l’opinion publique colombienne cette idée que les villes sont éloignées des actions des protagonistes armés d’envergure nationale et que les combats se déroulent exclusivement dans les zones rurales. Toutefois, la dynamique actuelle du conflit interne nous appelle à l’étude du déplacement à l’intérieur de la ville. La présence de groupes armés illégaux dans des secteurs urbains, leurs relations de coopération et d’antagonisme avec différents groupes de la délinquance ainsi que les affrontements avec la Force Publique, ont produit des déplacements forcés de population entre les différents quartiers d' une même ville. Nous nous sommes proposés de décrire et d’analyser le déplacement intra-urbain comme une nouvelle forme de violence urbaine, conséquence directe du conflit armé interne. Nous etudions le cas des villes de Medellín et Barrancabermeja. Mots clefs : déplacement forcé, violence, violence urbaine, conflit armé, migration, acteurs armés, intra-urbain, mobilité, déplacés, déplacés internes, guérilla, paramilitaires, Force Publique, Colombie, Medellín, Barrancabermeja. Title: New forms of urban violence in Colombia: forced displacement in the cities of Medellin and Barrancabermeja Summary: Forced displacement is an issue which has affected Colombia for a long time, but which only drew the attention of the State in the 1990' s. Although Colombian public opinion considers that cities are secluded from the actions of armed groups, both official and unofficial, and that combats between said groups belong exclusively to rural areas, the current dynamic of the conflict calls for us to study forced displacement inside urban areas. The presence of armed illegal groups in urban areas, their cooperation and clashes with several delinquency groups and their confrontations with the National Army and Police have produced the involuntary displacement of people within diverse districts of a same city. Taking into account the above, our research proposal is to describe and analyze intra-urban displacement as a new form of urban violence, a direct consequence of internal conflict. We have as case studies the cities of Medellín and Barrancabermeja. Key words: forced displacement, violence, urban violence, internal conflict, migration, armed actors, intra-urban, mobility, internally displaced people, IDPs, guerrilla groups, paramilitary groups, army, police, Colombia, Medellín, Barrancabermeja.