Versión de les échasses du prophète en PDF

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Versión de les échasses du prophète en PDF
LES ECHASSES DU PROPHETE.
A PROPOS DE PATTES, DE BRAS ET AUTRES OBJETS PUTRESCIBLES ET
IMPUTRESCIBLES1
EL MORISCO EXTENSION DE LOS VICIOS DEL CRISTIANO, ESPEJO ANTITETICO:
LE CAS DU "ZANCARRON" DE MAHOMET
¿Sois confeso?
Hasta en el hueso.
Refrán
A travers l'étude du Zancarron se pose la question de savoir s'il ne faudrait pas invalider
définitivement l'usage des textes inquisitoriaux comme fidèles témoignages d'esprits rationnels.Le
Z est la démonstration la plus simple,et en même temps, croyons-nous, la plus divertissante, de la
confusion de registres que pratiquent habituellement certains historiens des Morisques.
Pour cela, Cardaillac2, logiquement, a inclus le Z dans les croyances populaires morisques. Nous
cherchons non seulement à tirer au clair le très grand onirisme chrétien sur le cas morisque, mais
aussi à placer, en même temps, une pierre de touche pour faire broncher, préparer un croc-en-jambe
à l'école des moriscologues qui utilisent des textes sans les vérifier, des textes qui ne parlent pas des
morisques mais ordonnent le savoir sur les morisques (que celui-ci soit réel ou fantasmagorique) à
des fins propres à l'axe interne de la structure sociale chrétienne. Plus tard, négliger certaines
données qui modifieraient tout leur échafaudage ne pose pas le moindre problème à ces mêmes
professionnels.
1
Le traducteur: Jean-Fréderic Schaub
La diferencia de consideración de los textos en Cardaillac es clara. los textos moriscos son polémicos y los libelistas
cristianos son, en la mayor parte de los casos incluido el histérico Bleda, cronistas que apoyan sus argumentos. Son
problemas de identificación personal en las que no entramos.
Llega a considerar el bulo de la creencia en una iglesia morisca (antitesis perversa), descrita por Aznar y Guadalajara,
como existente con visos de realidad. Aunque pone una interrogación con la boca pequeña, termina diciendo: "Estas
gentes sencillas soñaban probablemente con una Iglesia organizada sobre el modelo de la Iglesia Católica, pero de signo
contrario, es decir de signo adverso. Por eso no debe extrañarnos que su califa propusiera un jubileo, indulgencias y bulas.
En cuanto al culto de los moriscos por el famoso 'zancarrón de Mahoma', está atestiguado en numerosos textos"
(Cardaillac, polémica, p.311-312). Cardaillac saca como consecuencia, a pesar de señalar que unos opinaban que era el pie
y otros la mano (Fonseca) como una creencia popular de los moriscos y no de los cristianos que simplemente "será objeto
de burla por parte de los cristianos" (Cardaillac, polémica, p.312). ¿No confundirá Cardaillac los sueños de los cristianos
libelistas, gente nada "sencilla"? Su opinión sobre lo popular es clara: "Una vez más constatamos el desfase que puede
haber entre las creencias 'intelectuales' que se encuentran en los textos polémicos y las del pueblo en su vida cotidiana. Así,
a pesar de la difusión indudable de los manuscritos de adoctrinamiento, la fe del pueblo morisco se mantenía simple pero
combativa y no exenta de calcos de las creencias del adversario" (Cardaillac, polémica, p.312).
2
Une sérieuse remise en question des appels au "populaire" est absolument opportune. L'étude du Z
montre l'origine intellectuelle dans la longue durée de certaines manifestations d'exclusion bien
qu'elles se concrétisent à un certain moment, en manifestations populaires. A partir de cela, le
chercheur inverse le cours des choses considérant le résultat comme la cause. Il transforme ce qui
est l'expression d'un processus complexe en mèche allumant un grand bûcher, sans se préoccuper
de la main incendiaire ni même du combustible utilisé.
"Et erit sepulchrum
eius gloriosum"3
"Unos hombres (los moros) son
azules y colorados/
que viven por despoblados/
y adoran el zancarrón."
Lope de Vega,
Los Porceles de Murcia.
"Certains hommes (les mores) sont/ Bleus et rouges./ Ils vivent dans le désert et
adorent le le Zancarron."
Jarret de boeuf, illustre relique, bras du prophète paré de pierreries, faux-pas malheureux d'un
boiteux illettré, tout cela à la fois, le "zancarron" de Mahomet reste mystérieux. Cet article prétend
3
Nulla etiam admittenda esse nova miracula, nec novas relíquias recipendas nisi eodem recognoscente et approbante
Episcopo. De invocat.et reliq. sanctorum. Sess.25 de Reform.Concilio de Trento. Sobre la religiosidad de esta época el
mejor manual es la ya clásica obra de Caro Baroja, Julio, Las formas complejas de la vida religiosa, Akal, Madrid, 1978.
Sobre el exceso de reliquias en la España del siglo XVI, es significativa la crítica erasmiana del Viaje de Turquía:
"Mata-. ¿y qué habíamos de hazer con nuestro relicario?
Pedro-. ¿Qual?
Mata-. El que nos da de comer principalmente: «luego nunca le habeis visto? Pues en verdad no nos falta reliquía que no
tengamos en un cofrecito de marfil; no nos falta sino pluma de las alas del arcángel Sant Gabriel" (en el manuscrito 3871,
tachada la frase "solamente falta pluma de las alas del gallo de Sancto Domingo), p.124, ed. Fernando García Salinero,
Catedra, Madrid, 1980.
retrouver la recette du bouillon qu'on préparait avec cet os. Lorsque Cervantes cherchait un nom
pour son héros Sancho, il hésita entre Sancho et "Zanca" (patte):
"Junto a él estaba Sancho Panza, que tenía del cabestro a su asno, a los pies del cual estaba
otro rétulo que decía: Sancho Zancas, y debía de ser que tenía, a lo que mostraba la pintura,
la barriga grande, el talle corto y las zancas largas, y por esto se le debió de poner nombre
de Panza y de Zancas, que con estos dos sobrenombres le llama algunas veces la historia"4
Auprès de lui était Sancho Pança qui tenait son âne par le licol, au pied duquel y avait un
autre rouleau qui disait: Sancho Zancas, et devait être qu'il avait, à ce que la peinture
montrait, le ventre grand, la taille courte, les jambes grêles, et pour cette occasion on lui
donna le nom de Pança et Zancas, car l'histoire le nomme quelquefois de ces deux
surnoms."
Les deux termes, populaires, renvoyaient par jeu de mots à l'animalité. Le calembour, adressé au
vulgaire et vulgairement repris par lui, jouait sur un vaste registre sémantique dérivé de la racine
"zanc".
Mot d'origine floue, commun aux langues romanes, exceptés le français, le rhétique et le roumain,
"zanca" est même présent dans la langue basque (ce qui a élargi l'éventail des hypothèses
étymologiques). Corominas5 définit le terme, attesté en bas latin, comme un soulier haut, à semelle
de bois, à la façon des cothurnes. De là viendraient "zanca" (patte), "zancos" (échasses),
"zancudo"(échassier), et peut-être même "chancla" (soulier éculé) et "chanquleta" (savate).
Un des dérivés, "zancarron" signifie: os de patte équarri presque entièrement décharné. En outre,
par une intéressante dérive sémantique, le mot désigne également un individu de constitution
4
"Junto a él estaba Sancho Panza, que tenía del cabestro a su asno, a los pies del cual estaba otro rétulo que decía:
Sancho Zancas, y debía de ser que tenía, a lo que mostraba la pintura, la barriga grande, el talle corto y las zancas largas, y
por esto se le debió de poner nombre de Panza y de Zancas, que con estos dos sobrenombres le llama algunas veces la
historia", Cervantes, Miguel de, Don Quijote de la Mancha, I, 9, ed. de Martin de Riquer, p.102, Planeta, Barcelona, 1980.
Será precisamente Sancho Panza quien, en carta a su mujer volverá a utilizar el término zancas: "Mujer de gobernador
eres; »mira si te roerá nadie los zancajos!", Quijote, II, 36, ed. Martin de Riquer, p. 861.
La identificación de la raiz 'zanc' como una componente de palabras pertenecientes o atreibuidas al vulgo, y por tanto
elemento de descripciones costumbristas, es aún más clara en los versos de Lope de Vega: "Musas, «Qué importan los
honestos bajos,/ entoldados de medias y chapines,/ si os descubren juanetes y zancajos?/ «De qué sirven los verdes
faldellines,/ si el vulgo por los lodos os arrastra? /Hermosa, pues,«Por qué sufrís botines?". La poesía completa, escrita en
Sevilla, está dedicada al Contador Gaspar de Barrionuevo con el título de Epistola y es el Poema 153 de Vega Carpio,
Lope de, Poesía Selecta, ed.de Antonio Carreño, Madrid, Catedra, Letras Hispánicas, 1984.
5
Corominas, Joan, Diccionario Crítico-Etimológico de la lengua castellana, Volumen IV, Ri-Z e Indices, Ed.Francke,
Berna, 1954.
ingrate, vieux, laid et efflanqué, aussi bien qu'un professeur ignorant (ce dernier sens a mieux
survécu en Amérique que sur la péninsule).
Entre 1550 et 1650 le "zancarron" fut employé pour décrire un ensemble de reliques du prophète
Mahomet, adorées à la Mecque, disait-on. On a parlé d'un bras, d'une jambe ou d'un soulier, tout à
la fois. Cet imaginaire génère un jeu de significations, parfois contradictoires entre elles,
rebondissant à travers le théâtre et la poésie. Au XVIIIème siècle encore, le Diccionario de
Autoridades propose la même définition; on retrouve même sa trace dans certains "romances"
d'aveugles recueillis par le professeur Caro Baroja6, comme par exemple, Celinda y don Antonio
Moreno (1729)7.
Au XIXème siècle, en dépit de la réactualisation française de l'Orientalisme, le terme ne réapparaît
pas: il est absent de la langue française et ne saurait être emprunté à l'espagnol. Depuis deux siècles,
la confrontation avec l'Islam s'étant atténuée, le mot perdit de sa dimension religieuse, sans pour
autant se débarrasser de toutes les significations acquises en cours de route.
"La vérité du langage est une multitude mouvante de métaphores, de métonymies,
d'anthropomorphismes - bref une somme de relations humaines qui ont été rehaussées,
transposées et ornées par la poésie et par la réthorique, et qui, après un long usage,
paraissent établies, canoniques et contraignantes à un peuple: les vérités sont des illusions
dont on a oublié qu'elles le sont."
6
En el romance de "Celinda y don Antonio Moreno" todavía se cita el tema del Zancarrón en 1729 cuando el cautivo
convence a la mora con este tema y la convierte, bajo la autoridad de San Pedro Pascual, citado por Caro Baroja, Julio,
Ensayos sobre la literatura de cordel, Revista de Occidente, Madrid, 1968, pp.92-95.
7
CELINDA Y DON ANTONIO MORENO Habla de una historia sucedida en 1749. Cuando se enfrentan Celinda y
Moreno sobre el asunto de la otra vida, la respuesta del cristiano es:"Mas le respondió Moreno:/- Pues yo no dejo a mi
Dios/Por seguir a ese embustero;/Y si no, escucha, y diré/de su fin y nacimiento./Mahoma, cuando su madre/Le parió
estando en lecho,/De un letargo que les dio/Padre y madre se murieron./Un tío suyo buscóle/Un ama, y dandole el
pecho/Veía un demonio que estaba/Consigo a su lado puesto./Viendo el tio que salía/Tan pertinaz y soberbio,/Le echó al
campo, y el oficio/Que tuvo fue de vaquero,/Y se amistó con un monje/Idólatra y hecicero,/Creyendo en sus herejías;/Y
viéndole tan experto,/Le habló con dulces palabras/Dándole malos consejos,/Y en breve tiempo salió/Mas que el maestro,
maestro,/Y escribió su mala secta/Con tan viles documentos./Era muy enamorado,/Y un día salió a paseo,/Donde vido una
judía/Primorosa, y con requiebros/Solicitó su hermosura/Con caricias y con ruegos./Ella dio cuenta a los suyos,/Y entre
todos dispusieron/Darle muerte a Mahoma;/Despues a ella dijeron/Que lo llevase a su casa,/Y escondidos estuvieron/En
un cuarto, y de que entró,/Salen, y muerte le dieron,/Y cortándole una pierna,/Con mil olores la ungieron,/Y a unos cerdos
luego echaron/La demás parte del cuerpo,/Y se lo comieron todo,/Hasta los mismos cabellos;/Y viendo que no
parecia,/Sus amigos le echan menos,/Y procurando buscarle,/En casa la judía fueron,/Y preguntando por él,/Les dice: - Ya
se fue al cielo,/Y estando aquí en mi presencia,/Unos angeles vinieron,/Y arrebatado lo llevan;/Mas yo que miraba
esto,/Me arroje, y así una pierna/Muy fuertemente, y con recios/Tirones se la saqué./Y ellos llevaronse el cuerpo;/Y
cuando ya iba volando,/Me habló él, así diciendo,/Que en la gloria me aguardaba:/Y para prueba de aquesto,/Aquí está su
misma pierna -/Se la mostró, y la creyeron;/Y la pierna que decía/La llevaron y pusieron/Allá en casa de Meca/Donde
ignorantes y ciegos/Adorais un zancarrón,/Pues él está en los infiernos./Y esto lo podré pobrar/Con un autor docto y
bueno;/Este es San Pedro Pascual,/Y en sus escritos discretos/Se hallará aquesta noticia /Escrita del Santo mesmo - nota:
¿Quién no se ha de reir del origen que se da al famoso y fabulosos Zancarrón de Mahoma, que tanto agrada y tanto cree el
vulgo todavía, Romancero General, BAE, t.XVI, II, p.298.
FRIEDRICH NIETZSCHE8
LE "ZANCARRON" RELIQUE DU PROPHETE
Pour les Espagnols du premier XVIIème siècle, il était difficile, voire impossible, de penser un
monde sans relique9. La spiritualité baroque se caractérisait par deux grandes tendances
concurrentes: d'une part un mysticisme hermétique, tout en énigmes et en symboles, à l'usage de
quelques élus, d'autre part le renouveau missionnaire tridentin visant à la renaissance de la
religiosité "populaire", à travers une propagande brutale et sensuelle, faite d'images, de rétables, de
processions, de reliques10.
Lorsque le prêtre baisait l'autel, l'acte physique prenait une dimension spirituelle. De même, le
simple peuple pouvait s'élever grâce aux artas ou estadales (reliquaires ou médaillons) que les
moines bénissaient et accrochaient, dans les sanctuaires, au cou des dévotes et des béates. A leur
ceinture pendait aussi le muelle11, objet décoratif composé de plusieurs reliquaires et de listes des
saints des bréviaires. On parle également du tahalí, écran de cuir où l'on serrait reliques et prières.
Ainsi, la sensibilité baroque, sur le plan catholique engendre un double processus de
démocratisation de la spiritualité mais aussi une défense de l'immobilité hiérarchique et doctrinale.
Il s'agissait bien de rituels et d'objets matériels à voir ou à toucher, à porter sur soi, à vénérer: en eux
se rejoignaient l'acte collectif de la fête - définitivement confisqué, contrôlé et réglementé -, et
8
Vérité et mensonge au sens extra-moral", Sur l'avenir de nos establissements d'enseignement. Oeuvres Philosophiques,
Paris, Gallimard, 1975, p.282.
9
Véase BOUZA, Religiosidad contrarreformista y cultura simbólica del barroco, prólogo de Caro Baroja y
Domínguez Ortíz, ediciones del Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 1990.
10
CONTRARREFORMA:La contrarreforma, llamada también reforma católica, practicó una doble vía:en las clases
altas, un ocultismo elitista (símbolos y emblemas) unido a un autocontrol estricto en las cuestiones dogmáticas, guiado
porla enseñanza jesuitica; en las clases bajas se permitió el descontrol que no se permitieron las élites, un populismo
mágico desenfrenado unido a un control policial cada vez más estricto. El hilo que unía este populismo era un ataque a la
inteligencia desde la docta ignorancia al orgullo de las élites, contra el localismo desde el universalismo católico, contra la
explotación brutal provocando una baja productividad desde el paternalismo caritativo, contra el dinero, el trabajo manual,
el interés... La vitalidad teatral frente a la contención individualista (tanto en la alegría como en el dolor de los carnavales y
la cuaresma). Se atacó a todo el que pretendía destacarse o salirse de la norma (incluidas las pecaminosas), contra la pureza
y el trato directo con la divinidad. El arma fueron los múltiples intermediarios, reales o simbólicos, que se colocaron como
un entramado entre la realidad y el hombre, dios y el individuo. Este nunca se encontró solo ni real ni figuradamente.
Símbolos, definición de Kircher, p.395: A veces podemos encontrar las mismas soluciones en el catolicismo y en la
reforma pero los caminos que han llevado a las mismas son diferentes razonamientos a veces muy opuestos, como en el
caso de las lenguas nacionales. La contrarreforma une los opuestos en la contradicción fundamental de llevar razón y estar
equivocados. Las clases altas pagan su privilegiada situacion a través de la destrucción de algunos de sus miembros, la
conexión de lo más alto y lo más bajo que lleva a la exaltación del pobre nacimiento de jesús y la adoración de los Magos.
Los enanos en la corte, los nobles mendigos. Todo lo que el protestantismo considera una excentricidad.
11
MUELLE según el Diccionario de Autoridades: 'Se llamaba también el adorno que las mugeres de distinción traían,
compuesto de varios relicarios u dixes, pendientes a un lado de la cintura'.
l'expérience individuelle d'un parfum d'éternité. Peu importe que ce contact fut assuré par une page
d'un livre sacré, le regard d'une vierge, un lambeau d'habit sacerdotal ou par le bras intact d'une
sainte conservé au creux d'une niche surabondamment décorée.
La profusion et la quête de reliques ont suscité la création d'un véritable marché. Dès l'origine, on
dut produire des certificats et des témoignages appelés" authenticas"12, où figuraient la description
et l'histoire précise de la relique. Les falsifications, bien entendu, étaient légions car les monastères,
les cathédrales, les paroisses et même les ermitages et les chapelles particulières se disputaient la
possession de ces bribes de sainteté.
Sainte Thérèse offre un exemple complexe de dépècement d'une sainte dépouille par ses
contemporains: "Le bras qu'on vénère à Albe, dans un précieux reliquaire d'or, fut arraché par le
P.Gregorio Nacianceno, lorsqu'on déterra le corps saint pour le transférer au couvent d'Avila, neuf
mois après sa mort. C'était, dit-on, pour offrir une consolation à la maison d'Albe. On l'a placé sur
un superbe piédestal formant une sorte de V, les deux os reposant sur le coude. Le père Gracian
avait découpé la main gauche avant que le père Gregorio Nacianceno n'eût arraché le bras. Sur les
deux os on peut voir une peau parcheminée et un reste de chair séchée, comme salée... Le coeur se
trouve dans un cylindre en verre épais et transparent, ouvert en son sommet, car il s'est brisé comme
si les feux mal éteints de l'amour divin avaient continué à y brûler. Le cylindre repose sur un
superbe socle en argent doré décoré de pierres, comme son fermoir. Le docteur Sanchez déclara
avoir remarqué sur la partie supérieure de l'organe une blessure horizontale, étroite, longue et
profonde, provoquée par un objet tranchant, petit et dur; sur les bords de la plaie il a distingué des
marques de brûlures. Depuis cent cinquante ans et trois siècles après l'événement, les pèlerins
peuvent vérifier par eux-mêmes l'exactitude de cette déclaration. Le 26 mars 1726, sur la foi de
cette information canonique, le Saint-Siège a institué une fête de la transverbération le 27ème jour
du mois d'août"13.
Tout objet utilisé ou simplement touché par un saint était considéré comme une relique. Un
sanctuaire n'était pas digne de ce nom s'il n'en possédait pas une collection. La réforme catholique,
12
AUTHENTICA según el Diccionario de Autoridades: 'Se llama también el despacho original con que se testifica la
entidad y verdad de las reliquias, para que por tales se tengan'.
13
La Fuente, Vicente de, Casas y Recuerdos de Santa Teresa en España: Manual del viajero devoto para
visitarlas, segunda ed.corregida y aumentada de la que se publicó en 1882 con el título de Tercer Centenario de Santa
Teresa, Madrid, Imprenta de A.Pérez Dubrull, 1883, p.226 y 230-231.
dans son effort de propagande, insistait sur le culte des reliques au point qu'on dut réprimer certains
excès. La littérature a laissé des témoignages de nombreux miracles liés à la présence de reliques.
Nombreuses sont les églises qui passent commande à Rome de ces éléments centraux de la liturgie
tridentine, si elles en sont encore dépourvues.
Sebastian de Covarrubias, en 1606, définissait les reliques comme "des fragments d'os de Saints,
ainsi appelés parce qu'on les trouve en faible quantité, sauf lorsque les Pontifes concèdent à quelque
Prince le corps entier de quelque Saint." Cette définition traduit la volonté naïve d'accumulation de
ses contemporains. De plus, en altérant l'étymologie du terme, au demeurant reprise dans le
Diccionario de Autoridades, il met l'accent sur la confusion des rôles économique et spirituel
joués par Rome.
Le même dictionnaire insiste sur l'ordre de préférence qui relègue au second plan les oeuvres, les
vêtements ou les objets personnels des saints, au bénéfice du corps: "insignes reliques sont la tête,
le bras ou la jambe d'un saint". La dépouille a ses morceaux de choix.
Le culte des reliques a beaucoup affecté ce qu'on a appelé les traditions populaires. Son parfum se
retrouve dans l'art des desserts et des confiseries: diverses sucreries nommées "osselets de saint"
offrent une cocasse version anthropophage de ce phénomène.
ZANCARRON: IMAGE OU RELIQUE?
En retour, la discussion sur l'incorruptibilité des corps saints avait déjà affecté la figure de
Mahomet. Par opposition aux corps parfumés des martyrs, le cadavre du "faussaire" avait connu
une fin plutôt minable. Blas Verdú dans Engaños y desengaños del tiempo (1612) fait un résumé
des différentes versions de la mort du prophète, apparues depuis les débuts de l'Islam. Il suit
l'interprétation de Saint Jean Damascène, de Saint Euloge et d'Euthyme14. La longue tradition de la
polémique antimusulmane, à laquelle l'auteur se réfère, milite contre la croyance de la montée de
Mahomet au ciel15.
14
Verdú, Blas, Engaños y Desengaños del tiempo, Barcelona, Sebastián Matheuad, 1612, folio 135. Jaime Bleda en el
prólogo de su Coronica de los moros de España, Valencia, Felipe Mey, 1618, reconoce también su deuda con San Juan
Damasceno; sobre este apologeta de comienzos del Islam, véase Khoury, Adel-Théodore, Les Théologiens byzantins et
l'Islam, Nauwelaerst, Louvain-Paris, 1969, pp.47-67. Sobre el olor que despiden los cuerpos santos, o incluso principescos
hay una enorme literatura entre la que se puede destacar respecto a una infanta española el libro del padre fray
Jean-Jacques Courvoisier, Le sacré mausolée, ou les parfums exhalants du tombeau de la Pricesse Isabelle, Bruselas,
F.Vivier, 1634.
15
Sobre las creencias de los musulmanes españoles sobre este aspecto veáse KONTZI, R, "La ascensión del profeta
Ses disciples, après une vaine attente, finirent par dédaigner son corps. Evidente allusion
christologique inversée16: restée trois jours sans inhumation, la dépouille du faux prophète était
dévorée par des chiens attirés par l'odeur de sa corruption. Ses fidèles, honteux de l'immonde
charogne quelque peu rognée, cachèrent les restes. De là naîtrait la légende de l'ascension. En
retour, "pour célébrer le souvenir, chaque année ils tuaient beaucoup de chiens"17.
La main de Fatima, motif présent dans toute l'Afrique du Nord, peut être à l'origine de l'assertion de
Damian Fonseca (1612) et Pedro Aznar Cardona18 selon laquelle les morisques adoraient l'Ampsa,
ou main de Mahomet. Reste à savoir comment l'on passe d'une extrémité au membre tout entier19.
Et puis le Zancarron était-il une jambe ou une main?
La définition concrète du "Zancarron" est: "os de patte équarri presque entièrement décharné".
Lorsque la confiance règne, vous prêtez la main et on vous prend le bras: c'est l'idée que les
chrétiens se faisaient des morisques. Ensuite le transfert d'un membre à l'autre est facile s'agissant
d'animaux, dont on sait qu'ils ont des pattes.
Ainsi, Marcos de Guadalajara y Xavier, dans Prodicion y destierro de los moriscos de Castilla
(1614), dit: "...en outre, les Mores d'Espagne, d'Afrique et de Berbérie (comme les Morisques l'ont
souvent avoué devant le tribunal de la foi) ne vénèrent ni n'honorent toute la personne de Mahomet
mais son seul "Zancarron": c'est un bras qu'ils décorent, chacun selon ses possibilités, de pierreries,
de bagues et de toutes sortes de richesses"20.
Il s'agissait donc d'une sorte d'idole adorée par les musulmans, à l'image de la statue décrite par
Gonzalo de Cespedes y Meneses dans le conte "El Mahomita de Oro" tiré du Soldat Pindare
(1626)21. Les romances s'en sont fait l'écho:
Mahoma a los cielos en manuscritos aljamiados y en el manuscrito árabe M.518", Actes du CIEM, II, Tunis, 1984, p.4554.
16
Cuando los perros al comerlo le abren el costado, que era por donde mas olía (las tripas), Verdú comenta "esta fue la
lanzada que le dieron", Op.cit.fol.135, apuntalando la metáfora cristológica.
17
Verdú, op.cit.fol.132, sobre la imagen de Mahoma véase Alphandery, Pierre, "Mahomet-Antechrist dans le Moyen
Age latin", Melanges Hartwig-Derembourg, París, 1909; Kritzeck, James, Peter the Venerable and the Islam, University
Press, Princenton, 1964; la continuidad entre las fábulas de la antiguedad y la leyenda de Mahoma nos la aclara de una
forma ingénua Bernardo de Aldrete en Varias Antiguedades de España, Africa y otras Provincias,Juan Hafrey, Amberes,
1614, p.570: "Pues todo lo que debajo de velos, y cubierto de fábulas encubrió, y quiso significar la Antiguedad, en
teología política; eso y mucho más de vicios, maldades, pécados enormísimos y atrocísimos, trae consigo la nefanda secta
del maldito y detestable Mahoma".
18
Aznar Cardona, Pedro, Expulsión Iustificada de los moriscos españoles, Pedro Cabarte, Huesca, 1612, II parte, fol.51.
19
Fonseca, Damián, Justa Expulsión de los Moriscos de España, Iacomo Mascardó, Roma, 1612, p. 96.
20
Guadalajara y Xavierr,fray Marcos de, Prodición y Destierro de los moriscos de Castilla, Nicolás de Asiayn,
Pamplona, 1614, fol.72.
21
Cespedes y Meneses, Gonzalo, La varia fortuna del soldado Píndaro, Lisboa, 1626, libro I, paragrafo, XXII.
"Ni tengan ninguna imagen/
si no fuere de Mahoma".
("Qu'ils n'aient aucune image/ Si ce
n'est de Mahomet)22
Une autre tradition médiévale, très en vogue, se fondait sur la légende de la pierre Iman (aimant)23.
Selon des avis autorisés qui provoqueraient de vives polémiques scientifiques, la sépulture de
Mahomet reposerait en l'air, soutenue par la seule force d'attraction de deux pierres aimantées. Le
Voyage de Turquie, au milieu du XVIème siècle, parle uniquement d'un soulier qu'on appelle
"isaroh" ou "tsaroh" selon Georgievits. On rapprochera ces deux termes de la racine "zanc" qui
renvoie également à soulier ou à jambe. Cette interprétation est la plus généralement retenue. Lope
de Vega y fait allusion dans les comédies El cuerdo loco24, El Alcalde Mayor25 et Los mártires
de Madrid:
22
Verdadera relación en la qual se declara el gran número de moriscos que renegaron de la fe catolica en la ciudad de
Alarache; que confina con Berbería y del martirio de cinco que no quisieron renegar; naturales de la ciudad de Carteaba,
compuesto por Thomas de los Angeles, Lorenzo de Robles, Zaragoza, 1610; recogido por Alvarez Gamero, S., "Nueve
romances sobre la Expulsión de los Moriscos", Revue Hispanique, XXXV, II, 1915, p.435. "Moriscos y cristianos, pues, e
encuentran en perfecta oposición acerca del problema de Dios. Los cristianos por su parte creen a menudo que los
moriscos adoran a Mahoma del mismo modo que ellos adoran a Cristo. Al proyectar sus estructuras mentales sobre el
Islam acusan a los moriscos de 'mahometismo', palabra forjada por ellos sobre la de 'cristianismo'. (Cardaillac, polémica,
p.277).
23
"Mirad con que dos se toma,/ y entre que dos piedras imanes/ le suspenden sus afanes/ al çancarron de Mahoma",
Gongora, Foulché-delbosc, II, 158. "Suspension hai, la que siempre,/en la provisión de esta plaça/que viene a ser el
sancarron/de Mahoma entre los imanes, Gongora, Foulché Delbosc, I, 170. Ver Bernardo ALEMANY Y SELFA,
Vocabulario de las Obras de Don Luis de Gongora y Argote, 1930.
24
Véase Vega Carpio, Lope de,comedia "El cuerdo loco", pp.374-412 de Obras de Lope de Vega publicadas por la Real
Academia Española (Nueva Edición), Obras dramáticas, tomo IV, Madrid, Tipografía de la revista de Archivos,
Bibliotecas y Museos, 1917:
" Sultan-.
Pues yo juro
Por los huesos que están colgando en Meca
del aire mismo, en su virtud, de darte,
favor..."
Acto segundo de "El cuerdo loco", p.393. También procedente de algún cuentista italiano aparece esta comedia intitulada
"el cuerdo loco", donde un príncipe de Albania se finge loco para librarse de las asechanzas de su madrastra y los nobles
de su estado que intentan despojarle del gobierno. La primera impresión hecha por el mismo Lope de Vega en la parte
XIV de su colección en 1620-21, Madrid. Existe un Manuscrito autógrafo, fechado en Madrid a 11 de Noviembre de
1602, procedente de la casa de Altamira, que cayó luego en manos de lord Holland, y lleva aprobaciones de l604, 1607,
1610, 1611, y 1615, fechadas en Valladolid, Zaragoza, Murcia, Granada y Loja, lo que demuestra que sirvió para las
representaciones de la obra. La copia de este autógrafo, 1781, por Miguel Sanz de Pliegos, archivero del duque de Sessa.
B.N.M.ms.14833.
25
En "El Alcalde Mayor", Obras de Lope de Vega publicadas por la Real Academia española (Nueva Edición), tomo
XI, Madrid, 1929, pp.210-245:
Beltrán-.
Dame albricias, que bien ves
que traigo los zaragüelles
con más troneras que un muro,
y en cuartos los dos cuarteles.
"Pide las piedras que están/
sustentando el sancarrón;/
de pintado jaspe iman"
(Réclame les pierres/ Qui soutiennent le 'zancarron'/ Jaspe colorée aimantée)26
En outre, le "Zancarron" est la seule partie de son corps qui est conservée, le reste ayant disparu,
caché par ses disciples ou, mieux encore, avalé par la terre, c'est-à-dire parti droit en enfer.
La légende sur Mahomet, reprise par les écrivains jusqu'à Quevedo, raconte que le prophète était
boiteux. Lorsque le démon entraîna ses restes, il était normal qu'il n'emportât pas sa jambe arrachée
(détail emprunté aux histoires de boiteux maudits). Lope de Vega crée une variante du même thème
dans Los esclavos libres:
Paje 3 -. Enamorado
dicen que andaba este bestial profeta
de una judía, y el marido y padres
cogieronlo entre puertas como a perro
y dieronle paliza temeraria;
viendole muerto, hicieronle pedazos,
reservando una pierna y la cadera,
rogando a la judía que dijese
que una noche, gozándola, se había
Tanto que ya al zancarrón
de Mahoma se parecen:
que si él se tiene en el aire,
ellos también como fuelles.p.230.
26
Vega Carpio, Lope de, "Los martires de Madrid", Obras de Lope de Vega, publicadas por la Real Academia Española,
tomo V, Comedias de vidas de santos y leyendas piadosas (conclusión) Comedias pastoriles. Madrid, 1895,
Establecimiento Tipográfico Sucesores de Rivadeneyra, B.N.P.[Yg 7(5), pp.ll5-145.
El turco está pidiendole a Flora que lo ame y ofrece darle cualquier cosa a cambio:
"Pide las piedras que están
Sustentando el zancarrón,
De pintado jaspe imán:
Las columnas de Sansón
Que robó aquel capitán.
Pídeme del Fenix solo
Plumas para tu tocado..."
p.135 de "Los mártires de Madrid". Esta comedia no es mencionada en El Peregrino, fue impresa en un volumen
"extravagante", Doce Comedias de Lope de Vega Carpio, parte ventinueve, Huesca, Pedro Bluson, 1634. Solo pertenecen
a Lope cuatro de las comedias. La referencia a 'zancarron' aparece en el fol.14 vo. Existe reproducción fotográfica, tomo
98 de las Obras de Lope, Real Academia. Véase asimismo Vocabulario de Lope de Vega, p.2.494.
subido al cielo, y que ella, por tenerle,
le asió de aquella pierna, que en reliquias
le dejó, y se llevó lo más del cuerpo;
creyeronlo los moros, y escaparonse
de ellos con este engaño, los judíos;
entre piedras imanes la pusieron,
cuya virtud la tiene y la sustenta,
aunque ellos piensan que es milagro.
("Amoureux, dit-on, tomba le bestial prophète/ d'une juive. Le mari et le père/ le
surprirent entre deux portes comme un chien/ et le battirent d'importance./ Le
voyant mort, ils le mirent en pièces,/ préservant la jambe et la hanche,/ ils
demandèrent à la juive de raconter/ qu'une nuit, abusant d'elle, il était/ monté au
ciel et qu'elle, pour le retenir/ lui arracha cette jambe comme reliquat/ et le reste du
corps disparut./ Les mores la crurent et par cette ruse, les Juifs échappèrent à leur
vengeance./ Ils placèrent le membre entre deux pierres aimants dont la force le
retient et l'élève. Mais, eux, ils y voient un miracle.")
Au total, nous avons: un sépulcre vide, une dépouille escamotée, et une main ou une jambe
mystérieuses. Les enquêteurs chrétiens, partant de ces indices, allaient forger et populariser le plus
extraordinaire motif de l'imaginaire antimorisque. Certains morisques même, après avoir subi la
question, confirmaient les faits devant l'Inquisition, comme dans le cas de la acusación y sentencia
del proceso contra Francisco de Espinosa, morisco de el Provencio (Cuenca) en 1561-1562.
Le Zancarrón joue le rôle de relique indispensable, preuve matérielle de la trahison morisque.
Logiquement, les musulmans sont l'image inverse des chrétiens qui ont une Eglise de vérité, des
dogmes et des reliques. Et même, certains polémistes partisans de l'assimilation créditent l'Islam
d'une caricature de sainteté et d'une vaine tentative d'imitation des institutions chrétiennes.
L'essentiel, dans les deux cas, demeure que le chrétien ne peut atteindre l'autre sans l'assimiler à sa
propre réalité. Bernardo Pérez de Chinchón dans son Antialcorano (1532) avait défendu l'idée de
l'universelle nécessité qu'il existe des églises, des moines, des nonnes, des prêtres, des dîmes. Dans
cette idée, comme dans le monde carnavalesque, les morisques correspondent à une vision du
monde inversée, à l'envers27.
Dans le troisième acte de El Gran Patriarca, le personnage morisque se signe par
derrière (por el cogote).
Boamit -. ¿Tu en que parte te santiguas?
Farachino -. Yo, en el cogote.
Boamit -. ¿Por qué?
Farachino -.Como la nación morisca
es siempre hecha al revés,
aquesta es la frente mía.28
Les morisques, selon les polémistes, disposeraient d'un encadrement clérical, les "alfaquies"
(véritable obsession de ces auteurs). En outre, suivant leurs dépositions devant l'Inquisition, ils
auraient des évêques, des cardinaux et un pape dispensateur d'indulgences. Jaime Bleda, dans sa
Coronica de los moros de España (1618), raconte comment le Saint Père morisque "promulgue
les grâces, comme on fait des bulles, avec un droit de 24 réaux ou moins. Les indulgences en
question permettent aux morisques d'épouser leur propre soeur et d'avoir jusqu'à sept femmes".
Selon ce schéma, le "zancarron" serait un accessoire supplémentaire, la relique indispensable,
l'image forcément adorée par les mores. Mais la richesse de contenu du "zancarron" ne se résume
pas à ce bras de Mahomet, ni à la charge de mépris que manifeste son assimilation à un os de vache
maigre et décharné, symbole, dans le registre de la boucherie, de pauvreté, de vieillesse et de
déchéance.
27
Africa es la tierra inversa de la cristiana: "Alli, si quereys ser moros,/no ay temor de inquisicion,/ ni capisayo con
franjas./ Dicen que en passando allà/ direys, que la tierra es santa,/ pues que en ella Mahoma/ puso sus pessimas plantas./
Que luego renegareys,/ y que ya hechos Piratas/ vuestros Moriscos baxeles/ tocaran en nuestras playas./ Yo digo que no
hareys tal,/ que tengo firme esperança/ que aveis de morir por Dios/ con firmissima constancia./ Todos mirad, que yo
tengo/ dada a muchos la palabra,/ que soys Catolicos muchos,/ no me hagays caer en falta./ Mas quien siempre an sido
perros/ de dentro de nuestra España,/ que mucho lo sean allà,/ adonde no hay Ley Chritiana". (Bauer, Papeles, p.182) El
mundo invertido de Africa se revela en este poema donde los moriscos, a través de las cosas que el narrador les propone
comprar muestran la lista inmensa de las mercancias donde se va el dinero de España.
28
AGUILAR, El Gran Patriarca, p.275.
LA SALAISON MAHOMETANE
Bien sûr, la présence de "zancarron" en vitrine, loin de refléter la prospérité, fait plutôt mauvais
effet. Diana, héroïne de Boba para los otros, discreta para si, le situait à la Mecque "où le jambon
salé du Prophète est pendu". En dépit de sa complexité et de sa subtilité, l'image est d'usage
courant. Lope de Vega peut s'en servir comme clin d'oeil compris du parterre qui, sinon, sifflerait la
saillie.
Et lorsqu'on cherche à donner une définition naïve, vivace et cocasse de l'Islam dan la bouche d'un
enfant, comme dans Los Porceles de Murcia on entend: "Certains hommes (les mores) sont bleus
et rouges, ils vivent dans le désert et adorent le zancarron"29. En quelques mots, Lope résume tout
ce qu'il faut savoir sur les mores: bleus (couleur de mort), rouges (couleur d'enfer), nomades
endurcis sans civilité et adorateurs d'une relique bizarre.
Pour autant, les sources de cette construction alambiquée n'ont rien de très populaire.Tout au
contraire, on voit là la fortune d'une diversité de sources cristallisées autour d'un terme approprié,
même s'il fut toujours impossible d'en fixer la définition académique. Dans son acception vulgaire,
un lieu commun peut devenir le lieu où convergent les détritus sémantiques les plus hétérogènes.
LA CLAUDICATION DE MAHOMET
Les diables boiteux, clopinants et bancroches traversent la littérature du Siècle d'Or,depuis Velez de
Guevara jusqu'à Quevedo. Ce dernier, dans ses visites oniriques aux enfers, fait de la claudication
et de la négritude30 les caractéristiques physiques de la tribu luciférine; et le Prophète lui-même
boîte. Suivant la figure mythologique du forgeron Vulcain, la tradition veut que les hôtes obscurs
de l'Hadès sautillent entre chaudrons et foyers. Les vers de Jose de Villaviciosa en La
Mosquea(1615)31 démontrent que le souvenir littéraire demeure vivace:
"Oyó el mensaje el negro herrero, y brama,
29
Veg Carpio, Lope de, comedia de "Los Porceles de Murcia", en Obras de lidlatomo XI, Madrid, 1900 pp.543-584.
Ver sobre el 'negro' en los comienzos del siglo XVII, el artículo de Josete Riandière La Roche, "Quevedo et le
problème de l'esclavage des Noirs dans La Hora de Todo en La contestation dans la litterature espagnole du siècle d'Or,
pp.165-178, l'Université de Toulouse-Le Miral, Service des Publications, 1981. Sobre la evolución del término 'negro' en
Francia, véase el artículo de Simone Delesalle y Lucette Valensi, "Le mot "Nègre" dans les dictionnaires français d'Ancien
Régime. Histoire et lexicographie", pp. 79-104, Langue et Histoire, Paris, 1970.
31
La utilización del término 'negro' aplicado a Vulcano se realiza en La Mosquea,viciosa(Sigσenza,1589-Cuenca,1658)
fueinquisidor de Murcia y de Cuenca. Autor den 1615, poema éico burlesco en doce cantos que constituye una libre
adptación dos moros? ea de T.Folengo. Utilizando la octava como estrofa, refiere la victoria de las hormigas sobre las
moscas.
30
Porque la pierna coxa entonces tenga,
De manera que no pueda tan presto
ver de su Rey el formidable gesto"
("Le noir forgeron entend le message, il hurle, sa jambe de boiteux l'empêche de se tourner
aussi vite qu'il le voudrait pour voir de son roi le geste formidable.")
Boîter est donc un vice en soi (Dictionnaire de Covarrubias), une faute grave dans le contexte d'une
culture humaniste qui valorise la perfection du corps. Les descriptions des êtres qui échappent au
canon renaissant de l'harmonie appartiennent à une littérature de la bizarrerie. Pour une part, il s'agit
d'une réaction contre l'idéalisation poétique par contrepoint "réaliste". Du même coup, on
réactualise cette même vision en associant vices moraux et défauts physiques. Le boiteux, par
exemple, ne peut suivre un droit chemin, avec ses raisonnements tordus; comment serait-il
sympathique, lui qui trébuche comme un sot sur le moindre obstacle avec sa démarche incertaine.
Etre boiteux c'est tout un caractère.
La patte folle, la folle humeur sont bien humaines et ne renvoient pas nécessairement à
l'amputation. Le faux-pas ("zancajada") c'est la fonction historique du Prophète, coupable de
détournement, boiteux qui dessina la route de l'erreur.
JURER SUR LES OS DU PROPHETE
On ne s'étonnera pas si les musulmans, dans les revers, maudissent Mahomet et son "zancarron".
Ainsi dans la comédie San Diego de Alcalá o Ya anda la de Mazagatos32:
Tronera-.
Cáscaras.
Los villanos- ¡Mueran los moros!
¡Viva Castilla la Vieja!
(Vencen los villanos)
Tronera-.
32
!Qué zurra que anda, señores!
Vega Carpio, Lope de, p.527 de la comedia Ya anda la de Mazagatos, Obras de Lope de Vega, publicadas por La
Real Academia Española (Nueva Edición), pp.492-539 del Tomo X, Madrid, 1930. Se publicó por primera vez en una de
las edicis 'extavagantes', Parte V, Sevilla 1629. La acción se situa en tiempos del rey Pelayo. En la obra "San Diego de
Alcalá", el santo libera a un niño del horno, Obras de Lope de Vega publicadas por la Real Academia Española, tomo V,
Madrid, 1895, pp.35-70.
!Quien me metió en esta guerra,
abogado de los moros,
sino el zancarrón de Meca?
(Tronera: Sapristi!/Les vilains: Mort aux Mores!/ Vive la Vieille Castille!/
Tronera: Quelle mêlée, mes seigneurs!/ Qui donc m'a lancé dans cette guerre?/
C'est l'avocat des Mores/ le zancarron de La Mecque)
Jurer sur le Prophète, promettre sur quelque chose de sérieux, était indispensable pour les
"Abencerrajes" et "Abindarraez"33. Après le Coran, divine parole, les os de Mahomet étaient l'objet
le plus sacré sur lequel on pouvait jurer. Ainsi le "Miles Gloriosus" musulmán devait jurer à tour de
bras.Le "zancarron" va jouer ce double rôle comme les reliques des chrétiens. C'est l'équivalent de
la sépulture de Saint Jacques (Santiago de Compostela).
Du caractère péjoratif du mot "zancarron" découlent deux types de serments. Les personnages que
l'auteur a faits "hidalgos" incontestables, même s'ils sont mores, pour éviter de prononcer
"zancarron", jurent par euphémisme sur les os du Prophète:
Alcaide-.
Conocíle en las armas, y te juro
por los huesos que Meca en honor tiene
que derribaba moros con la espada
como el que siega con la hoz espigas.
(La Campana de Aragón, Lope de Vega,34).
(Le châtelain: Je l'ai connu au combat, et je te jure/ sur les os qui sont l'honneur de
la Mecque/ qu'il fauchait les Mores avec son épée/ comme on cisaille les épis à la
faucille)
33
"Oyeronse luego nuevas cajas y dulzainas, apareciendo en la plaza otro hermoso escuadrón muy bien adornado, cuyo
capitán era el moro Puertocarrero, hijo del alcaide de Jergal. Vea vestido de una ropa encarnada guarnecida con remates
dcguí hecho en Arjel era datilado; el rico alfange clgado de un hermoso tahalí, b y en el penacho blanco y encarnado; la
bandera era roja, sin contener letra algun zancarrón y la media luna"
Pere de Hita, Gines, Guerras civiles de Granada, II parte, cap.XIV, p. 634 de la ed.B.A.E, tomo III, Madrid, 1975.
Véase Carrasco Urgoiti, María Soledad, "La cultura popular de Ginés Pérez de Hita", Homenaje a don Vicente Garcia de
Diego, vol. II, C.S.I.C, Madrid, 1978. Y Caoiti, María Soleda, "El trasfondo social de la novla morisca del siglo XVI:
notaerraje Pérez de Hita", Comunicación leida en Diciembre 1970 en la sesión de Spaature o the Renaissance and golden
Age.
34
Vega Carpio, Lope de, p.265 de "La Campana de Aragón", Obras de Lope de Vega publicadas por la Real Academia
Española, pp.248-293 del tomo VIII, Madrid, 1898. Es ya citada en a primera lista de El Peregrino (1604), publicada en
1622.
Le bouffon, lui, fera un serment sur le "zancarron", comme dans El primer Fajardo35:
ZULEMILLA -.
Dar Mahoma el que mereza
que a fe de moro hidalgo,
que servirte con más veras
que no aquel potro beliaco
que estar cançaron en Meca.
(Zulemilla: Il faut rendre à Mahomet son dû/mais foi de More Hidalgo/ toi je te
servirai très fidèlement/ plutôt que cette méchante rosse/ qui fait le zancarron à La
Mecque.)36
A l'évidence, la seule évocation du "zancarron" provoquait l'hilarité du public. De toute façon, dans
les deux cas, le serment était invalide par nature. Le primat accordé au serment chrétien ne fait pas
de doute: l'infidélité ôte toute foi au serment. En fin de compte, aucun infidèle ne tient parole, sauf
s'il s'agit d'un chrétien revêtu de la défroque morisque.
MAHOMET: LE PROFESSEUR IGNARE
Le titulaire de l'os ingrat, "zancarron" lui-même, tend aux faux pas et fait divaguer celui qui suit sa
doctrine. Le terme "zancarron" rend compte à la fois du défaut physique et de la perversité: il
désigne simultanément la claudication et la faible intelligence d'un maître ès Sciences et Arts. Le
Diccionario de Autoridades rapporte que: "Métaphoriquement le terme s'applique au professeur
de Sciences, au savoir limité ou à l'intelligence courte: au zancarron la substance de la chair fait
défaut, au maître ignare celle de ses facultés."
Le glissement se fait au pas de l'échassier: il trébuche, se trompe et s'emmêle les pattes: un véritable
zancarron!37
35
Vega Carpio, Lpe de, p.20 de "El Primer Faras de Lope de Vega publicadaeñao X, Madrid, 1899. Ctada en El
Peregrino y anterior a 1604, impresa en 1617 tanto en Madrid como en Barcelona, Parte VII de las comedias de Lope.
36
La presencia del Zancarrón en la ciudad de la Meca se da como un atributo casi turístico de esa ciudad. LA
PRODIGIOSA NAVEGACION de la nave Santa Elena, que venía de la India de portugal, la cual anduvo perdida
casi un año, hasta que acaso la descubrió en su naufragio una nave de Florida, y los muchos infortunios y sucesos
raros que tuvo hasta que llegó a la ciudad de Lisboa con grandissima riqueza. Hacese asimesmo relacion de un
estraordinario presente que envió el gran Turco a la casa de la Meca, donde está el Zancarrón de Mahoma, y el
aparato con que se embarcó en Constantinopla., Malaga, por Antonio René, 1613, folio.
Pour une fois, le trait est dirigé contre le mauvais maître ignorant, pédant et inepte et non contre
l'élève sot et borné. Le ton est donné, une fois encore par Mahomet et son escouade de boiteux. Ce
cuisseau moisi ne peut guère renvoyer à la jeunesse des étudiants: cet os zancarronien, maigre et
étique tombe sous l'empire du "Domine Cabra" (archétype du professeur ignorant). Quevedo a
réfléchi sur le lien qui unit stupidité, vieillesse et décharnement. Ainsi dans un de ses innombrables
poèmes sur les vieillardes38.
Vieja amolada y büida,
cecina con aladares,
pellejo que anda en chapines,
por carne momia se pague...
Vieja blanca a puros moros
Solimanes y Albayaldes,
vestida sea el Zancarrón,
y el puro Mahoma en carnes.
("Vieille femme, édentée, émaciée,/ toute sèche et demi-chauve,/ vieille peau en
scarpins/ vos chairs sont momifiées... Vieille blanchie de poudre more/ Solimanes
y albayaldes,/ parée comme un zancarron/ portrait craché de Mahomet)
Mahomet, faux prophète, trompeur et drôle, c'est le maître inculte par excellence39.Au cours de ses
traversées caravanières, il a ramassé des bribes éparses des religions juive et nestorienne,
auxquelles il a ajouté quelques éléments chaldéens et manichéistes. Quand le nomade ignare rentre
chez lui, la cervelle retournée par l'épilepsie ou "gota coral" qui l'obnubile, son esprit ténébreux
brasse toutes les doctrines.
37
Jean Fréderic Schaub, comprobación oral en una fonda de Simancas. Una mujer decía, refiriendose a otra presumida:
"Y esa se ha imaginado que ha salido del zancarrón de Mahoma" ('de la cuisse de Jupiter'). Preguntada por la expresión,
dijo que "zancarrón" era un hueso y Mahoma creía que era un hombre o una mujer profeta. Zancarrón, hombre flaco, feo y
desaseado.
38
En la comedia "Lo que hay que fiar del mundo", Obras de Lope de Vega publicadas por la Real Academia Española
(Nueva Edición), tomo VII, Madrid, 1930, pp.251-287. Francisco de QUEVEDO, Poesia completa, Jose Manuel Blecua,
Barcelona, Planeta, poema 708. En el Parnaso ocupa el poema 528.
39
IMAGEN DE MAHOMA "De même, puisque Mahomet était considéré comme le propagateur d'une fausse
Révélation, il était devenu un condensé de lubricité, de débauche, de sodomie et de toute une collection de traîtrises, toutes
issues logiquement de ses impostures doctrinales" (Saïd, p.79). Mahoma en Dante, p.85 y su sensualidad en p.86. Mahoma
como impostor (anti-Cristo) y como extranjero (el oriental) en la p.89.
Les chroniqueurs se demandent même, depuis Saint Jean Damascène, s'il ne cherche pas
sciemment à déformer ou à simplifier à l'extrême toutes ces doctrines à l'usage "du simple et béat
peuple arabique".
Du coup, Mahomet est le "zancarron" lui-même: par une sorte de pirouette boiteuse, ce détour du
sens trahit le caractère malintentionné du prophète. Notre échassier trébuche sans doute; mais il
entrave aussi le pas de simple marcheur, pourtant mieux doué que lui par nature.
En brodant sur ce thème, on voit bien que le déchu tend à provoquer la chute de l'autre. Gonzalo de
Berceo remarquait que le démon, déchu par excellence et boiteux par tradition, était la préfiguration
naturelle de Mahomet l'Antéchrist.
Sennora Benedicta, reina acabada,
por mano del tu fijo, don Christo coronada,
líbranos del Diablo, de la su çancajada"
("Mère bénie, reine de perfection,/ par la main de ton fils Don Christ couronnée,/
délivre-nous du Diable et de ses croche-pieds")
Le prophète, docteur en tromperies, malfaiteur, archimandrite de faussetés, c'est la meilleure école
pour escrocs. Cet homme a trompé les Mores: le fait se reproduirait si l'on s'avisait de le suivre
encore. C'est peut-être là l'origine du mot portugais "sancarrao" (imposteur) qui, selon Corominas,
apparaît dans l'oeuvre de Pantaleâo d'Aveiro, a la fin du XVIème siècle.
La figure de médecin, auquel on confie naïvement sa santé, celle du corps renvoyant à celle de
l'esprit, est un lieu commun littéraire présent depuis le Viaje de Turquia jusqu'à Quevedo:
Míralo doctor amigo,
así a poder de recetas
ganes, matando a los moros,
por zancarrón, honra en Meca.
Quevedo
("prends garde docteur, mon ami,/ à force de médications/ en condamnant les
Mores / en véritable 'zancarron', tu seras à l'honneur à la Mecque").
Le médicastre burlesque est à bonne école avec Mahomet; le personnage de Lope de Vega,
Feliciano, s'en aperçoit vite dans Viuda, Casada y doncella40:
Haquelme-. Médico sin duda es.
Celio -. Y agora la borla toma
graduado por Mahoma.
(un momento después)
Celio-. ¿Cómo has de curar la mora?
Feliciano-.Encomendandole a Dios
cuando la mano le ponga.
Ya soy doctor confirmado.
Celio-. ¿Por donde tienes la borla? Feliciano-.Por la gran casa de Meca
y el zancarrón de Mahoma.
(Haquelme:il est médecin, pas de doute./Celio: Et voilà
son grade/ il l'a reçu de Mahomet./ (Plus tard) Celio:
Comment vas-tu soigner la More?/ Feliciano: En la
recommandant à Dieu/ lorsque je lui imposerai la main./
Je suis docteur consommé./ Celio: D'où tiens-tu ton
grade?/ Feliciano: De la grand Maison de la Mecque/ et
du zancarron de Mahomet).
LE ZANCARRON, OBJET REEL?
Pourquoi accorder tant d'importance au statut de relique qu'a revêtu cette jambe momifiée? On y
insiste à dessein: c'est, en fait, le coeur du débat.Le zancarron, bras ou jambe, os ou idole, est une
réalité: quelque part il existe.De lui émane la noire lumière du contre-savoir. Lorsqu'on en parle, il
ne s'agit jamais d'une notion abstraite. Tout au contraire le zancarron est palpable et visible; en fait
40
Vega Carpio, Lope de, p.470 de Viuda, Casada y Doncella, Obras de Lope de Vega publicadas por la Real Academia
Española (Nueva Edición), pp.455-491 del Tomo X,Madrid, 1930. Figura en El Peregrino de 1618, publicada en la Parte
VII de las obras de Lope, Madrid y Barcelona, 1617.
on aimerait bien qu'il le fût. Partant de son succès, il tombe forcément dans le discrédit et devient
l'objet de plaisanteries. Sans un zancarron réel, point de zancarron de Mahomet.
LE ZANCARRON EN ESPAGNE
La constitution de l'"esprit espagnol" se caractérise par le transfert sur la péninsule ibérique du
théâtre des événements clefs de l'histoire de l'humanité. Et parler histoire au Siècle d'Or c'est encore
parler de référents bibliques.
Gregorio López Madera, Excelencias de la monarquia y reyno de España41, raconte que le
castillan - ou espagnol, avant le déluge était une des langues du chantier de Babel, proches de
l'hébreu. Il ne faut donc pas s'étonner de la précocité et rapidité de l'évangélisation du pays. A cette
fin, les disciples de saint Jacques étaient venus avec sa dépouille. Pour rivaliser avec la dignité du
siège archiépiscopal galicien, la Tarraconaise découvre la venue, de son vivant, de saint Paul, et
l'apparition de la Vierge du Pilier de Saragosse.
Si le premier chrysostome de la Chrétienté avait visité la péninsule, pourquoi la langue vipérine de
l'hérésie ne s'y se serait-elle pas attardée? Séville revendique l'honneur d'être le théâtre de "ce grand
détournement". Saint Isidore l'emportera en expulsant le prophète de la terre sacrée: celui-ci
ruminera sa vengeance et ses disciples l'appliqueront durant huit cents ans.
La présence physique du Prophète sur la péninsule rend possible l'existence d'une trace laissée par
sa retraite déshonorante42. Le zancarron serait un témoin pieusement conservé par les morisques et
son existence reconnue devant les tribunaux de l'Inquisition. Dans ce cas précis, il est question de la
main ou du bras, le membre qui écrit, puisqu'il s'agit du transcripteur de la Parole. Ce bras, double
de celui de Sainte Thérèse, jouit d'une curiosité particulière au moment précis où la canonisation de
la sainte devient une affaire d'Etat.
"El brazo incorrupto de la santa", la main sûre de celle que Dieu même inspirait dans ses
écrits,s'oppose à celle de l'imposteur, le secrétaire de l'Antéchrist.
41
López Madera, Gregorio, Excelencias de la monarquia y reyno de España, M .utor es un excelente tratado sobre la
veracidad de las reliquías titulado Discurumbre de las reliquia descubiertas en Granada, desde el año de 1588, hasta el de
1598; autor el doctor López Madera, Granada, Sebastian de Mena, 1601.
42
Sobre las ideas comunes respecto a Mahoma veanse los siete capítulos dedicados al tema en Bleda, Jaime, Coronica
de los moros de España, op.cit.
LE BOUILLON DU ZANCARRON
Un mot chargé de signification peut en perdre ou peut la gauchir par coïncidence phonétique avec
d'autres mots, par voisinage de sens ou similitude de fonctions dans des énoncés rapprochés.
Bien plus: si un mot "a" s'apparente par le son à un mot "b" et que ce dernier se rapproche, par le
sens, d'un mot "c", on peut voir s'établir une relation de sens entre "a" et "c", allant jusqu'à la
confusion.
Un exemple de cette transitivité: l'identification de "zancarron" et "zangano" (parasite) attestée par
Torres Villarroel, dans ses oeuvres (1752), apparaissait déjà dans la Agricultura Christiana
(1589) de Fray Juan de Pineda:
Philotimo-.
Príncipe no te mates por pocas cosas, sino contempla esta
presencia del señor Polycronio más derecha que el
derecho civil, y más enxuto que un arenque, con aquellos
arreboles del rey Almançor; que no se me representa sino
que acaba en este punto de llegar a la romería de la casa
de La Meca, de adorar al zangarrón de su pariente mayor
Mahoma.
(Philotime: Prince, ne t'en fais pas pour si peu, regarde plutôt le seigneur
Polyandros plus droit que le droit civil, plus saur qu'un hareng, avec sa barbe
taillée à la Al-Mansur; il ne vient pas me voir car il rentre tout juste d'un
pélerinage au temple de la Mecque où l'on adore le "zangarron" (entre "zancarron"
et pique-assiette) de son grand frère Mahomet.)
A Salamanque, province de Torres Villarroel, on se sert encore du mot "zangarron"43: c'est le
"moharracho" personnage grimé et grotesque qui se mêle aux danses des "fiestas". De même le
gaillard trop grand, dégingandé et insouciant, se dit "zangon", et le maladroit (patoso) impertinent
et disgracieux se dit aussi "zangano"44.
43
La proximidad con el término 'zingaro' augura posibles derivaciones.
Véase Moliner, María, Diccionario de uso del español, edit.Gredos, Madrid, 1983. Sobre este aspecto de desaliño,
abandono y cercano al 'mamarracho', tenemos un ejemplo en Quevedo, Francisco de, Obras Completas, tomo I, ed.Jose
Manuel Blecua, Planeta, Barcelona, pp.1352-1354.
44
Sur le temps long, le mythe de Vulcain reste vivace: boiteux artisan des profondeurs, vil et
mécanique dans l'idée du XVIème siècle, trompeur par nature comme l'on sait depuis ses noces
adultères avec Vénus, à la barbe de Jupiter.
Vulcain a une face noiraude de forgeron: trait secondaire pour les Anciens mais qui acquiert alors
une importance capitale. Il serait une préfiguration des démons boiteux et scandaleux, pleins de
vivacité et de malice à l'heure d'attaquer les bonnes moeurs et de damner les hommes.
Sur un temps plus court, celui de la mémoire historique, dans l'affrontement Islam-Chrétienté,
l'Espagne drapée dans sa catholicité, est en première ligne face au Turc. Le monarque Habsbourg
l'est aussi de Jérusalem, ancien centre du monde, avant que la Castille ne lui ravisse ce titre. Le
Zancarron est un élément du conflit, une relique opposée à cette autre relique universelle qu'est
Jérusalem, comme le montrent Pedro de Escobar Cabeça de Vaca, dans Luzero de Tierra Santa y
Grandezas de Egipto y Monte Sinaí45, et Fernandez de Heredia dans Mesón del Mundo46.
De mémoire d'homme, temps de l'anecdote, la popularisation du zancarron mahométan coïncide
avec l'expulsion des morisques du 160947. La vile extraction de Mahomet, son office de muletier,
son goût pour les raisins secs et le couscous, achèvent d'équarrir ce zancarron, malheureux os à
bouillon.
"J'arrivai dans un coin où un homme solitaire et très sale était assis; il lui manquait un talon
("zancajo"), le visage couturé, des clochettes autour du cou, fiévreux et blasphémant". "Qui es-tu
toi le pire d'entre les méchants, lui demandai-je?", "Moi, répondit-il, je suis Mahomet". "Tu es le
45
Valladolid, 1587, fol.50 r-v.
Madrid, 1632, p.89.
47
Aznar resume en su libro todas los perfumes antimoriscos en la esencia de Mahoma: Mapa de la vanidad, deposito de
la obstinación, I, fol.17; Lascivo Mahoma, I, fol.23; Inmundo blasfemo, I, fol.23; Epicuro poltron, capitan general del
brutal apetito, esclavo servidor de las pasiones sucias, I, fol.29; gran torpeza y sucio corazon, I, fol.30; Ydiota Mahoma, I,
fol.31; Relajado Mahoma, I, fol.35; Torpe gloton, I, fol.37; Poblador del infierno (por do se despeño el condenado
Mahoma y se despeñan su secuaces, cerrados los ojos a la razón), I, fol.37; Desvariado Mahoma, I, fol.38; Capitan de los
sensuales y torpes, ignorante y necio aborrecible Mahoma, I, fol.38; Embotado Mahoma, I, fol.39
desalmado Mahoma, I, fol.41; Voluptuoso capitan, I, fol.42
Burlador Mahoma, I, fol.43; Desalmado pervertidor de las buenas costumbres, mentecato, falto de juicio, prevaricador del
Testamento viejo y nuevo, y guerreador perpetuo contra la verdad de la ley, cruel homicida de todos cuantos no desechan
su receta dañosa, I, fol.44; Impio Mahoma, I, fol.88; Discorde Mahoma, I, fol.91; Entendimiento bajo del oscuro Mahoma,
I, fol.93; Falsisimo Mahoma, I, fol.94; Disoluto Mahoma, I, fol.97; Mahoma, grande cara, era carudo, I, fol.99;
Sensualisimo Mahoma, I, fol.103; Secta pestilencial del barbaro Mahoma, I, fol.128; Temerario destrozador Mahoma, I,
fol.144; Jabali colmilludo de la selva, I, fol.148; Muerto el condenado Mahoma, II, fol.15; Maldito y falso profeta
Mahoma, II, fol.22; Y para que no quede sin decir quien era este maestro de maldad (puerta ce condenación, vecino y
procurador del infierno, capitan delos condenados, general de los sacrilegos, mayoral de la herejia, pastor de los hipocritas,
maestresala de las herejias, dispensero de maldad, abogado de las culpas, galan de la carne, alferez de los carnales, atizador
de la concupiscencia, mantenedor de la lujuria, esclavo de los apetitos desordenados, fautor y precursor del Antichristo, II,
fol.22; Embustero Mahoma, II, fol.22; Variable Mahoma, I, fol.87; Ministro del demonio, y su discipulo, y camisa suya, I,
fol.94; Trabuco de la virtud y jabali de la selva, I, fol.141; Puerco Montes que vio David, y el verdugo que mató infinitos
santos y el ladrón que hurto las riquezas mas insignes de España, I, fol.144.
46
plus méchant homme du monde, lui dis-je.C'est toi qui a entraîné le plus d'âmes ici-bas". "Je souffre
de tout, dit-il, tandis que les malheureux Africains adorent le zancarron, ce talon qui me manque".
Ainsi, Quevedo fait-il parler Mahomet dans Las zahurdas de Pluton48.
Lorsqu'on évoque le zancarron, ceci est essentiel, on fait un jeu de mots saisi de tous, sur l'Islam en
général mais aussi sur quelque affaire quotidienne comme un cosmétique à la mode appelé
"Soliman"49.
A UNA MUJER AFEITADA
Arrebozas en ángel castellano
el zancarrón que Meca despreciara.
Líquido galgo, huye como jara,
y entrate en la botica de un marrano.
A hermosura que está en algarabía,
el Alcorán se llegue a requebralla:
tez otomana es asco y herejía.
("A une femme poudrée", sonnet: Tu caches sous l'aile de l'ange castillan/ le
zancarron que la Mecque méprise./ Crème qui file comme lévrier ou javelot/
jusqu'à la boutique de quelque marrane./ L'on arrive au beau charabia/ Du Coran à
force de louange: la peau ottomane c'est dégoût et hérésie.)
La confusion du zancarron et de l'Empire Ottoman est liée à l'actualité du conflit. Quevedo attaque
les vantardises de la Cour madrilène et montre, par cette image, combien les courtisans serviles et
les secrétaires corrompus le cultivent.
Todo hoy ministro es Turquia
en el español cenit,
donde el zancarron se adora
y tiene templo y atril.
48
P.323 de Quevedo, Francisco de, Las zahurdas de Pluton, edición de la Bi pII, Atlas, Madrid, 1946, pp.307-324.
Quevedo, Francisco de, Obras Completas, tomo I, Pesia lul Blecua, edt.Planeta, B1968, Poemas satíricos y burlescos,
p.583, poema 566. [.M.Pelayo, f189 y 20.355, Bibl.Nacional.Madrid, f.254. En Parnaso, 443, a, la versión es ligeramente
distinta.]
Soliman-. Un afeite para el rostro llamado también el ½Gran Turco¼, hecho con sublimado corrosivo.
49
Quevedo
("Désormais tout ministre est une Turquie/ Au zénith espagnol/ Où l'on adore le
zancarron,/ avec son temple et son lutrin. Quevedo").
CORRUPTIONS ET CONCLUSION
L'élaboration du "zancarron", de ses significations, de ses dérives et de ses connexions phonétiques
accidentelles invente un objet de savoir en même temps qu'elle articule une série d'énoncés
apparemment anodins dans leur usage courant. Souligner la richesse du terme, c'est chercher à
dessiner le réseau de significations qui le traverse.
La demande d'une crème à la mode, les bourdes d'un professeur sénile, un coup de pied au derrière,
ou une dispute sur la pierre philosophale, toutes ces figures s'exécutent sur la même scène.
Point de stratégie consciente là-dedans, même lorsqu'on peut distinguer les traits militants de pures
dérives comiques. Chaque emploi du terme renvoie, à un moment donné, à une série de désirs et
d'aspirations.
Le Prophète, moteur premier de la dérive sémantique, s'efface en ouvrant l'éventail des
significations. Peut-être certaines acceptions du mot auraient-elles émergé sans la dimension
mahométane, ou peut-être pas. On a choisi "zancarron" à cause de la rareté des reférences illustrant
la diversité de ses significations, de la connexion amusante que le terme opère entre Mahomet et le
bétail des montagnes et du fait que le terme présent dans la littérature du Siècle d'Or est devenu
incompréhensible50.
La méchanceté, l'ignorance, l'hérésie et la misère sont évoquées par un terme de boucherie. Il est
donc logique qu'on veuille frapper avec cet os l'acheteur qui voudrait en faire un bouillon.
50
"Oyeronse luego nuevas cajas y dulzainas, apareciendo en la plaza otro hermoso escuadrón muy bien adornado, cuyo
capitán era el moro Puertocarrero, hijo del alcaide de Jergal. Vea vestido de una ropa encarnada guarnecida con remates
dcguí hecho en Arjel era datilado; el rico alfange clgado de un hermoso tahalí, b y en el penacho blanco y encarnado; la
bandera era roja, sin contener letra algun zancarrón y la media luna"
Pere de Hita, Gines, Guerras civiles de Granada, II parte, cap.XIV, p. 634 de la ed.B.A.E, tomo III, Madrid, 1975.
Véase Carrasco Urgoiti, María Soledad, "La cultura popular de Ginés Pérez de Hita", Homenaje a don Vicente Garcia de
Diego, vol. II, C.S.I.C, Madrid, 1978. Y Caoiti, María Soleda, "El trasfondo social de la novla morisca del siglo XVI:
notaerraje Pérez de Hita", Comunicación leida en Diciembre 1970 en la sesión de Spaature o the Renaissance and golden
Age.
Dans l'espace "interclassiste" du "corral de comedias" (théâtre espagnol en plein air), le dramaturge
doit régaler tous les publics. Le zancarron appartient à un monde où les reliques ont une efficacité
magique au quotidien. Le zancarron fait converger, par acculturation, tous les ressentiments
anti-musulmans. Mais le zancarron c'est aussi un réflexion sur l'Autre, exclu et présent dans la
société du Siècle d'Or.
Parcourant les trois âges du terme, une fois tendues et pincées toutes les cordes de ses
significations, que reste-t-il de proprement "populaire"? Rien que le mot. Du même coup on s'en
prend à l'Islam et au voisin misérable forcé de se contenter des mauvais morceaux. Le vulgaire rit
en entendant "zancarron" sur la scène, car il évoque la maigre pitance que sa pauvre fortune lui
permet de s'offrir. Et tous de rire, même si les balcons rient du parterre.
Ce jeu exemplaire de significations est l'un des procédés littéraires du costumbrismo (littérature du
pittoresque), source du roman picaresque. Un geste, une attitude, un mot ou la façon de le
prononcer sont le théâtre sur lequel la pensée élitaire va se mettre en scène, en inventant de toutes
pièces les objets d'un prétendu imaginaire populaire. L'espace d'un instant, le rire unit les hommes
face à la scène. Rire simple, rire double: les uns rient du spectacle de la scène, les autres rient aussi
de celui de la salle.
Si la distinction des sens du "zancarron" a paru laborieuse, c'est sans doute que nous sommes
tombés sur un os sacrément dur. Lope de Vega répond:
Calixto-."Más decid: Qué piedra es esta
(saca una piedra)
para remediar la vista,
que me diste por gran fiesta
que por más que en ella asista
menos veo y más me cuesta?
Manfredo-.Si el mal no se cura y doma,
no se atribuya al poder,
que es con la fe que se toma.
Calixto-.Reliquía debe de ser
del zancarrón de Mahoma;
basta que voy viendo menos.
Manfredo-.De su virtud están llenos
los libros; más es razón
que aguardeis la operación.
Calixto- Hacedla en ojos ajenos.
¡Qué Evangelio de San Juan!
¡Qué reliquia de San Diego!
sino un hueso que me dan,
con que estoy del todo ciego,
de algun moro ganapan"
(Calixto: Vous ajoutez:quelle est cette pierre qui rend la vue?/ Vous me l'avez
donnée en grande pompe/ et plus je m'y rapporte, moins j'y vois et plus elle m'en
coûte./ Manfredo: Si le mal ne se cure ni se dompte/ n'en accusez pas le charme/
car c'est par la foi qu'on l'emporte/ Calixto: ce doit être une relique/ du zancarron
de Mahomet puisque je n'y vois goutte/ Manfredo: de sa vertu les livres sont
pleins, et c'est raison que vous attendiez l'opération./ Calixto: Faites-la sur d'autres
yeux. Quel Evangile de Saint Jean!/ Quelle relique de San Diego!/ c'est un os
qu'on me jette,/ par lequel je suis bien aveugle/ un os de charlatan moresque!).
Fin de la pièce.

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