VI ème Séminaire International sur la Sécurité et la Défense en

Transcripción

VI ème Séminaire International sur la Sécurité et la Défense en
Fundación CIDOB - Calle Elisabets, 12 - 08001 Barcelona, España - Tel. (+34) 93 302 6495 - Fax. (+34) 93 302 6495 - [email protected]
VI ème Séminaire International
sur la Sécurité et la Défense
en Méditerranée.
Sécurité humaine.
VI ème Séminaire International sur
la Sécurité et la Défense en Méditerranée
Sécurité humaine
Eduard Soler i Lecha et Laia Carbonell Agustín (eds.)
MINISTERIO
DE DEFENSA
DIRECCIÓN GENERAL
DE RELACIONES
INSTITUCIONALES
Édition des actes du « VIème Séminaire International sur la Sécurité et la Défense en Méditerranée. Sécurité humaine », organisée par le Ministère de Défense
espagnol et le Programme Méditerranée de la Fondation CIDOB les jours 5 et 6 de
novembre 2007.
© Fundación CIDOB et Dirección General de Relaciones Institucionales (Ministerio
de Defensa de España)
Coordination de l'édition: Eduard Soler, Programme Méditerranée de la Fondation
CIDOB, et Laia Carbonell
Révision de textes: Laia Carbonell
Traduction au Français: Paloma Valenciano et Gwen Ninae
CIDOB edicions
Elisabets, 12
08001 Barcelone
Tel.: 933 026 495
www.cidob.org
[email protected]
Impression: Color Marfil, S.L. Barcelone
ISBN: 978-84-92511-06-8
Dépôt Légal:
Distribution
Edicions Bellaterra, S.L.
Navas de Tolosa, 289 bis. 08026 Barcelona
www.ed-bellaterra.com
Barcelone, novembre 2008
SOMMAIRE
PRESÉNTATION 5
Narcís Serra et Manuel López Blázquez
INTRODUCTION 9
José Antonio Alonso
L’Espagne et la sécurité en Méditerranée.............................................................. 11
João Mira Gomes
La Présidence Portugaise de l’UE et la sécurité en Méditerranée...................... 15
Félix Sanz
La prolifération de forums pour le dialogue méditerranéen :
La place de l’OTAN.................................................................................................... 19
BALANCE DES INICIATIVES DE COOPÉRATION 23
Martín Ortega Carcelén
La PESC et la PESD en Méditerranée en 2007....................................................... 25
Eduard Soler i Lecha
Le Processus de Barcelone et la Politique Européenne de Voisinage :
De Tampere à Lisbonne............................................................................................ 31
Mario Rino Me
Coopération dans les pays de la Méditerranée occidentale :
L’Initiative 5+5 de défense....................................................................................... 37
Alberto Bin
Le rôle de l’OTAN en Méditerranée et dan les Grand Moyen Orient................ 41
SCÉNARIOS DE SÉCURITÉ ET D’INSÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE 45
Álvaro de Vasconcelos
Comprendre la sécurité autrement : Une sortie de l’impasse
du Processus de Barcelone....................................................................................... 47
Khadija Mohsen-Finan
Les défis sécuritaires au Maghreb.......................................................................... 51
Shlomo Ben Ami
La paix israelo-arabe et la sécurité au Moyen Orient.......................................... 59
Fred Halliday
Sécurité et insécurité au Moyen Orient................................................................. 63
Ian O. Lesser
Sécurité et insécurité en Méditerranée : Une perspective
nord-américaine....................................................................................................... 71
Meliha Benli Altunisik
Les défis sécuritaires dans la Méditerranée sud-orientale :
Implications pour l’UE............................................................................................... 81
LIBERTÉS FONDAMENTALES 87
Isabelle Werenfels
Libertés fondamentales et sécurité dans la coopération euro-méditerranéenne:
Stratégies à long terme et spécifiques pour chaque pays.................................. 89
Nadir Benseba
Plaidoyer pour un code et une charter de l’éthique des médias
en Méditerranée........................................................................................................ 97
Salam Kawakibi
Guerre contre le terrorisme : y a-t-il des solutions pour préserver
les libertés fondamentales ?................................................................................. 101
COOPÉRATION CIVILE-MILITAIRE DANS LES CADRES DES MISSIONS HUMANITAIRES 109
Benito Raggio
Coopération civile-militaire dans des opérations humanitaires .................... 111
Radek Khol
Coordination civile et militaire dans la gestion des crises de l’UE.................. 121
Francisco José Gan Pampols
L’expérience afghane en coopération civile-militaire : un exemple
pour la Méditerranée............................................................................................. 135
RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ 141
Arnold Luethold
Mettre en risque la confiance : la réforme du secteur de la sécurité
dans la région arabe.............................................................................................. 143
Volkan Aytar
Le lourd silence et des voix émergentes : vigilance démocratique sur
le secteur de la sécurité et le rôle de la société civile en Turquie.................... 147
Gemma Collantes Celador
L’UE et sa politique orientée vers la réforme du secteur de la sécurité :
Un nouvel exemple de division conceptuelle-contextuelle ?.......................... 157
CONCLUSIONS 169
Eduard Soler i Lecha
La Sécurité en Méditerranée en 2007 : Une réflexion autour du concept
de sécurité humaine
RAPPORT 177
Jesús A. Núñez Villaverde et Balder Hageraats
III Rapport sur les armes de destruction massive en Méditerranée 2007 :
Au-delà de la menace nucléaire
PROGRAMME DU SÉMINAIRE 219
PRÉSENTATION
Narcís Serra et Manuel López Blázquez
5­
•
PRÉSENTATION
Narcís Serra
Président de la Fondation CIDOB
Manuel López Blázquez
Directeur Général des Relations Institutionnelles
du Ministère de la Défense d’Espagne
L
a monographie que le lecteur a dans ses mains reprend les communications, interventions et rapports présenté lors du sixième
séminaire international de sécurité et défense en Méditerranée,
tenu à Barcelone les 5 et 6 novembre 2007. Ces séminaires, organisés
conjointement par la Fondation CIDOB et le Ministère de la Défense, ont
eu lieu à une périodicité annuelle depuis 2002, et se sont convertis en un
rendez-vous de référence pour les spécialistes en questions méditerranéennes et de sécurité.
Ce séminaire dresse le
bilan des progrès dans
diverses initiatives de
coopération. De même
furent abordées les
différents scénarios de
sécurité et insécurité
Année après année, ces séminaires réunissent des représentants gouvernementaux des pays de l’Union Européenne, des membres de l’OTAN et
des pays du sud et de l’est de la Méditerranée, qui partagent de l’information et débattent sur les principaux défis de la sécurité dans la région.
Ce rendez-vous annuel est aussi propice à ce que des académiques de
prestige et des acteurs qui sont sur le terrain, tant civiles que militaires,
développent un dialogue fructueux.
Le séminaire de l’année 2007 eut lieu dans un contexte caractérisé par
la présentation de la proposition d’Union Méditerranéenne de la part
de Nicolas Sarkozy, qui sera plus tard modifiée pour se convertir en
Processus de Barcelone : Union pour le Méditerranée ». D’autres sujets
qui faisaient partie du débat public étaient le maintien de la tension au
Moyen-Orient, la résurgence du phénomène terroriste au Maghreb et
finalement, les efforts de l’UE pour sortir de la crise constitutionnelle
dans laquelle elle a été plongée après les référendums français et hollandais de l’année 2005. Ce fut un moment particulièrement indiqué
pour réfléchir ensemble tant sur les politiques de coopération dans l’espace euro-méditerranéen, que sur la manière d’affronter l’insécurité dans
laquelle vivent beaucoup de citoyens de cette région.
Comme cela en devient une habitude, ce séminaire dresse le bilan
des progrès dans diverses initiatives de coopération (le Processus de
Barcelone, la Politique Européenne de Voisinage, le 5+5, le Dialogue
Méditerranéen de l’OTAN et de la PESD). De même furent abordées, depuis
des perspectives régionales différentes, les différents scénarios de sécurité
et insécurité. Dans le cadre des groupes de travail il s’agit d’une question
7­
•
d’intérêt vital : la menace de la sécurité humaine. Nous entendons
par sécurité humaine cette conception qui prime, au-dessus de tout, la
sécurité des citoyens. La Méditerranée est un espace où trop souvent
nous nous trouvons dans une logique de sécurité traditionnelle, il nous
paru dès lors intéressant d’ouvrir cette réflexion, de caractère conceptuel
mais avec une application pratique marquée. Avec cette approche furent
analysé des sujets comme le respect des libertés fondamentales dans la
région, la coopération civile militaire et la réforme du secteur de sécurité.
Depuis la Fondation CIDOB et le Ministère de la Défense nous invitons à
la lecture et aux études qui sont reprises ici. Nous croyons qu’elles fournissent une information de première main et des réflexions suggestives
qui peuvent aussi aider à concevoir de nouvelles voies d’action pour faire
du bassin méditerranéen un milieu de paix, de liberté et de prospérité.
8­
PRÉSENTATION
•
INTRODUCTION
• L’Espagne et la sécurité en Méditerranée
José Antonio Alonso
• La Présidence Portugaise de l’UE et la sécurité
en Méditerranée
João Mira Gomes
• LA PROLIFÉRATION DE FORUMS POUR LE DIALOGUE
MÉDITERRANÉEN: LA PLACE DE L’OTAN
Félix Sanz
9­
•
L’ESPAGNE ET LA SÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE
José Antonio Alonso
Ministre de la Défense d’Espagne
C
eci est la sixième convocation du Séminaire de sécurité et de
défense en Méditerranée qu’organise la Fondation CIDOB et
je considère que la continuité de la rencontre représente déjà
une valeur importante en soi. C’est un rendez-vous obligé, une réunion qui a accumulé beaucoup de crédit. Il s’agit d’un séminaire de
référence à propos d’une question de transcendance indubitable non
seulement pour les pays dans lesquels nous vivons et leurs alentours
mais considérablement au-delà de cette zone. C’est ainsi que nous
le considérons en Espagne et pour cela la Méditerranée est fondamentale au sein de notre politique extérieure, comme nous venons
le répéter dans les forums auxquels nous assistons et au sein des
institutions internationales dont nous faisons partie: la Méditerranée
est un élément clé de notre politique générale de sécurité. Et mes
paroles ne peuvent pas être interprétées comme rhétoriques tenant
compte de notre engagement actif, de notre haut degré de participation à toutes les initiatives de sécurité et de défense qui concernent
ou qui ont lieu dans cette partie du monde.
Depuis l’Espagne ont
surgis des initiatives
de grande profondeur,
comme l’Alliance des
Civilisations
La Méditerranée est une mer entourée de peuples, frontière en même
temps que lien pour beaucoup de personnes et pour beaucoup de choses. Il semble évident que lorsque nous parlons du lien méditerranéen
nous ne le faisons pas dans les mêmes termes que lorsque nous faisons
référence à d’autres liens en relation avec d’autres pays ou d’autres
zones géographiques. Dans le cas du pourtour méditerranéen, d’emblée
le voisinage urge à la communication et a résoudre les conflits, latents
ou ouverts, liés à notre vie en commun quotidienne.
L’acceptation de la diversité est une condition pour avancer; il faut
accepter les différences; il faut reconnaître et s’attaquer aux inégalités.
C’est-à-dire, la communauté méditerranéenne nécessite une construction permanente et un appel aux valeurs constant, en particulier quand
nous rencontrons des exposés extrêmes engagés à promouvoir le
contraire: les identités excluantes, la méfiance, le choc entre les différents acteurs en ce compris entre les différentes cultures. Dans ce sens,
depuis l’Espagne ont surgis des initiatives de grande profondeur, comme
l’Alliance des Civilisations qui, certainement, va tenir prochainement une
importante réunion à Madrid.
11­
•
À propos de la
Méditerranée nous
avons besoin de
quelque chose de
plus concret que la
Politique Européenne
de Voisinage et, à son
tour, quelque chose de
plus ouvert que l’Union
Méditerranéenne
Si, comme je vous l’ai dit, l’Espagne s’implique avec vigueur dans de
nombreuses initiatives c’est avant tout en rapport avec la sécurité et
la défense en Méditerranée; je voudrais vous les rappeler de manière
succincte: l’opération de surveillance maritime en Méditerranée
orientale que mène l’Alliance Atlantique et à laquelle nous apportons
des moyens; notre participation à EUROMARFOR, considéré comme
un noyau potentiel de la dimension maritime de la sécurité de l’Union
Européenne; les initiatives à caractère régional, comme le 5+5, avec
la présence, comme son nom l’indique, de dix pays des deux rives,
ou le 8+6, qui comprend huit pays européens conjointement aux
membres du Conseil de la coopération du Golfe. Dans le domaine
de la sécurité, en plus, il est nécessaire de mentionner la coopération
qui existe et que nous sommes en train de développer quant aux
mécanismes d’information partagée, comme celle relative au trafic
maritime dans les espaces de souveraineté nationale à travers le
Centre virtuel à Rome, une initiative lancée il y a maintenant un an
centrée sur la Méditerranée et la Mer Noire. Ceci sont des preuves
concrètes de notre participation, tout comme le sont des scénarios
qui évoluent avec une intensité particulière ces dernières années; il
faut souligner que nous parlons d’initiatives de 2002, 2005, 2006,
c’est-à-dire très récentes. Je crois que tout ceci aussi accrédite, de la
part des acteurs méditerranéens, une bonne compréhension de l’évolution du nouveau scénario stratégique de sécurité.
Mais, au-delà du détail de notre participation à ces initiatives concrètes,
je voudrais vous dire que ce dont il est question est, en mon opinion, de
miser gros et de construire à travers des processus fermes, à partir de
structures régionales et d’organisations solides. En ce sens, par exemple,
nous avons la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD)
de l’Union Européenne. Donc, il est nécessaire que les pays de l’Union,
non seulement les riverains de cette mer, comprennent la nécessité que
cette politique, qui en plus de se consolider, gravite chaque fois plus vers
la Méditerranée. C’est-à-dire, nous devons accepter que les initiatives
actuelles, bien qu’elles soient importantes et indispensables, ne couvrent
pas toutes les expectatives d’une PESD qui doit être particulièrement
ambitieuse en ce qui concerne la Méditerranée et l’Afrique. En ce sens,
et dans le but d’avancer depuis l’ensemble de l’Union Européenne, nous
avons appuyé pendant cette période les initiatives de la présidence portugaise à ce sujet.
L’Alliance Atlantique est un autre cadre fondamental à l’heure de
construire la sécurité à partir du dialogue et de la coopération. Je voudrais rappeler la position active de l’Espagne à l’Alliance et, à ce sujet, notre
revendication et appui constant au fameux Dialogue Méditerranéen
au sein de l’Alliance. Il en a été de la sorte depuis sa création au milieu
des années 90, nous avons insisté plus récemment à Riga, et plus tard
à la réunion informelle de Séville, entre autres. Nous considérons également qu’il faut tenir une réunion des ministres Extérieurs du Dialogue
Méditerranéen coïncidant avec la réunion Ministérielle de l’Alliance
Atlantique de décembre à Bruxelles. De même, nous sommes partisans
de convertir cette initiative ambitieuse en une authentique association,
de manière telle que sa dimension politique s’équipe du reste des associations de l’OTAN.
12­
L’ESPAGNE ET LA SÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE
•
Dans un ordre plus large, et considérant la confluence des diverses initiatives, je voudrais faire comprendre notre position nette pour le Processus
de Barcelone. À propos de la Méditerranée, nous avons certainement
besoin de quelque chose de plus concret que la Politique Européenne
de Voisinage et, à son tour, quelque chose de plus ouvert que l’Union
Méditerranéenne. Naturellement, l’appui au Processus de Barcelone
n’implique la négation d’aucune autre initiative, parce qu’elles sont toutes intéressantes et doivent s’additionner. Ce que je souhaite souligner
est que nous ne devons pas prendre pour achevés des processus qui
sont ouverts et pleins de possibilités. Ce mois-ci nous fêtons les douze ans
de la Déclaration de Barcelone, un événement marquant qui mise sur un
processus de collaboration politique et sur la paix, la stabilité et la sécurité; qui défend la collaboration économique et financière en vue de créer
une zone de prospérité partagée, et qui plaide pour la compréhension
entre les cultures et les échanges entre les sociétés civiles. Cette enceinte
euro méditerranéenne est un grand cadre qu’il faut stimuler et dans
lequel nous pouvons intégrer de nombreuses initiatives, sans amoindrir
ce qui doit être fait dans d’autres régions de l’Union. Il ne fait aucun
doute qu’en relation avec la Méditerranée nous ne pouvons faire table
rase de ce qui a déjà été acquis. En abusant de l’expression, je dirais que
nous n'allons pas découvrir la Méditerranée parce que, entre autres choses, nous ne partons pas de zéro ni de beaucoup moins.
Nous ne devons pas
prendre pour achevés
des processus qui sont
ouverts et pleins de
possibilités
Je réitère, pour finir, que la position stratégique de pays comme l’Espagne doit être la Méditerranée, non seulement par notre condition de
voisins mais pour une compréhension stratégique adéquate l’évolution
de la sécurité dans le monde. La Méditerranée est une grande priorité
pour la politique extérieure et de sécurité et de défense de l’Espagne et
cela doit également l’être pour l’Union Européenne.
13­
José Antonio Alonso
•
La présidence portugaise de l’UE et la sécurité en
Méditerranée
João Mira Gomes
Secrétaire d’État a la Défense et aux Affaires de la mer du Portugal
J
e voudrais aborder un thème aussi significatif que la sécurité et la défense en Méditerranée depuis la perspective de
l’actuelle présidence portugaise du Conseil de l’Union Européenne.
La Méditerranée représente une région stratégique pour l’Europe, non
seulement par sa proximité géographique et les liens historiques et
culturels qui nous unissent, mais aussi parce que les gouvernements des
deux rives font face aux même défis et menaces dans le domaine de la
sécurité et la défense.
L’émergence du terrorisme, le crime organisé, le trafic de drogues et
l’immigration illégale sont particulièrement préoccupants tant pour l’Europe que pour les pays de la rive sud de la Méditerranée. Pour affronter
avec succès ces défis et menaces il est nécessaire de continuer à renforcer les mécanismes de coopération, que ce soit déjà à travers des
forums multilatéraux ou régionaux, sur différents thèmes, parmi lesquels
se trouvent la sécurité et la défense. Dans ce contexte, la structure et le
fonctionnement des partenariats qui existent déjà doivent être renforcés.
Pour cela, l’actuelle présidence portugaise du Conseil de l’UE a établi la
coopération avec la Méditerranée en tant que prioritaire dans le cadre
de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD)
L’émergence du
terrorisme, le crime
organisé, le trafic
de drogues et
l’immigration illégale
sont particulièrement
préoccupants tant pour
l’Europe que pour les
pays de la rive sud de
la Méditerranée
À l’occasion de la rencontre informelle des Ministres de la Défense,
qui eut lieu à évora le 28 et 29 septembre 2007, il fut organisé une
session de travail, qui réunit pour la première fois dans un format
de l’UE, des Ministres de la Défense des pays du sud de l’Initiative
5+5 (qui comprend le Maroc, la Libye, l’Algérie, la Mauritanie et la
Tunisie). Cet événement pionnier souligna deux objectifs fondamentaux, qui ont été largement atteints. Le premier était de présenter
l’Initiative 5+5 aux autres pays de l’UE, en mettant en relief l’importance des relations existantes entre l’Europe et le Maghreb comme
possible catalyseur pour un dialogue élargi en matière de sécurité
et de défense. Le deuxième objectif était de partager avec les pays
européens les expectatives des pays partenaires méditerranéens, à la
lumière des bons résultats atteins par ce partenariat régional prospère. Comme conséquence plus immédiate, les prochaines Présidences
slovènes et françaises du Conseil de l’UE ont annoncé leur volonté de
faire avancer plus loin cette priorité.
15­
•
Au jour d’aujourd’hui
la Déclaration de
Barcelone conserve sa
vigueur et continue de
constituer la référence
pour des relations
coopératives et des
liens de solidarité entre
l’UE et ses partenaires
méditerranéens
Le Portugal accorde une grande importance à l’Initiative 5+5, basée sur
le dialogue sincère et ouvert et sur le respect entier de l’identité et l’idiosyncrasie de chacun des partenaires. De plus, il est pleinement engagé
dans le renforcement des relations dans le domaine de la sécurité et de
la défense, comme moyen pour garantir les niveaux de stabilité adéquats
qui favorisent les conditions pour un développement durable. Avec cette
intention, les ministres de la défense de l’Initiative 5+5 (qui comprend,
au nord de la Méditerranée, le Portugal, l’Espagne, la France, l’Italie et
Malte) définirent en 2004 comme domaines de coopération initiaux la
vigilance maritime, la participation des forces armées dans le domaine
de la protection civile et la sécurité aérienne.
Nous constatons que jusqu’à présent les réussites ont été considérables.
Le nombre croissant d’activités dans le cadre de l’Initiative 5+5 - quatre en
2005, 14 en 2006 et une vingtaine en 2007- démontre clairement la vitalité
de ce cadre. La capacité de matérialiser les intentions par ceux qui les ont
conçues, c’est aussi le reflet de ce dynamisme. C’est-à-dire, de renforcer les
activités grâce au développement et l’implémentation de moyens et actions
de coopération spécifiques en affaires d’intérêt commun. Pour ces motifs,
l’Initiative 5+5 doit être considérée pour le Portugal comme un exemple
pour promouvoir des formes de coopération plus ambitieuses en sécurité et
défense entre l’Europe et la Méditerranée, en maintenant leurs spécificités et
complémentarités avec d’autres forums internationaux comme le Dialogue
Méditerranéen de l’OTAN et le Processus de Barcelone de l’UE.
Ce fut dans un contexte de paix et d’espérance que le Processus de
Barcelone – qui est, à son tour, le résultat des directives approuvées à
Lisbonne pendant la présidence portugaise du Conseil de l’UE en 1992 –
pointa clairement la nécessité de renforcer la coopération entre les deux
rives de la Méditerranée. Ceci représente un concept innovateur à un
moment qui, après la Guerre Froide et avec les élargissements successifs
de l’OTAN et de l’UE, résulta vital pour consolider nos liens et soutenir
les principaux défis des deux régions. La Déclaration de Barcelone naquit
de cette ambition commune et du sens d’une responsabilité partagée.
Au jour d’aujourd’hui, ce texte conserve sa vigueur et continue de constituer la référence pour des relations coopératives et des liens de solidarité
entre l’UE et ses partenaires méditerranéens. Depuis plus de dix ans de
Partenariat, il fut possible d’institutionnaliser le dialogue, autant au niveau
bilatéral que régional. Un cadre solide et régulier de rencontres ministériels
a consolidé le dialogue et la coopération dans des domaines essentiels
comme l’industrie, le commerce ou la technologie des communications et
l’information, pour n’en mentionner que certaines.
Avec le lancement de la Politique Européenne de Voisinage, l’Union
Européenne a revigoré le Processus de Barcelone, avec l’objectif de
prêter une attention spéciale aux voisins plus proches. Ceci est particulièrement significatif actuellement du à la perception partagée de la
nécessité d’une plus grande et plus profonde coopération. Nous devons
travailler pour atteindre un point de vue commun en matières comme
la sécurité et la défense et c’est uniquement en tant que partenaires
que nous pourrons atteindre nos objectifs. La dimension de la Politique
Européenne de Sécurité et de Défense se renforcera par le Traité de
Réforme de l’UE récemment adopté à Lisbonne.
16­
La présidence portugaise de l’UE et la sécurité en Méditerranée
•
Un exemple concret du futur de la coopération est la vigilance maritime
des frontières extérieures et la nécessité d’une meilleure coordination des
États membres de l’Union Européenne et des partenaires méditerranéens
dans ce domaine. Malgré que nous soyons conscients de la complexité
d’avancer dans le panier politique et de sécurité dans l’agenda euroméditerranéen, à cause des antagonismes persistants et du manque
d’une intégration sud-sud dynamique et consistante, nous croyons que
ce soit dans notre propre intérêt commun de rendre ce dialogue entre
les deux rives plus fructueux, en convertissant les principes partagés en
initiatives communes capables de surmonter les divergences existantes.
Toute action coopérative en Méditerranée, comme la récente proposition française d’établir une Union Méditerranéenne, est toujours
utile et nécessaire tant qu’elle soit complémentaire. La IX Conférence
Euroméditerranéenne des Ministres des Affaires Extérieures du 5 novembre 2007 fut une excellente opportunité pour discuter des liens entre
cette initiative et le Partenariat Euro-Méditerranéen.
Le Portugal comprend
bien la nécessité de
contribuer à la stabilité
et la sécurité en
Méditerranée
Après plus d’une décade de Partenariat, nous devons admettre que les
attentes n’ont pas été satisfaites en aucune des deux rives. Nous devons
toujours faire face à des défis que nous pourrons seulement vaincre ensemble. Aussi, nous devons continuer à montrer une forte volonté politique
qui développe les réponses nécessaires pour établir une zone de paix, de
sécurité et de prospérité en Méditerranée. Cette zone peut seulement surgir
d’un sentiment croissant de communauté, qui ne se base pas uniquement
sur des déclarations, mais qui émane d’actions concrètes.
Le Portugal, en tenant compte de son histoire et de sa géographie – le
pays de l’Atlantique le plus méditerranéen, avec une relation spéciale
avec l’Afrique et l’Amérique – comprend bien la nécessité de contribuer
à la stabilité et la sécurité en Méditerranée, un espace privilégié d’intenses relations entre états, personnes, religions, cultures ainsi qu’une zone
avec un grand potentiel de croissance économique. Comme je le mentionnais au début, nos intérêts communs en Méditerranée proviennent
de notre culture et notre histoire, nos liens commerciaux en expansion
et notre désir de stabilité et de prospérité. Cet objectif commun peut
uniquement être atteint au travers du partenariat, impliquant tous les
pays méditerranéens – une région vitale qui est le berceau de notre
civilisation. Je suis convaincu que, dans ce sens, le compromis de nos
partenaires méditerranéens est aussi fort que le nôtre.
17­
JOÃO MIRA GOMES
•
LA PROLIFÉRATION DE FORUMS POUR LE DIALOGUE
MÉDITERRANÉEN: LA PLACE DE L’OTAN
Félix Sanz
Général d'Armée, Chef de l’État Major de la Défense de l'Espagne
U
ne des raisons pour lesquelles j’ai demandé au président de
la Fondation CIDOB de pouvoir parlé assis est, non seulement
parce que c’est plus confortable, mais principalement parce
que mon discours va durer trois heures et, à ce moment de la journée, trois heures peuvent être très longues. Je voudrais m’excuser
parce que parler du Dialogue Méditerranéen ne peut pas se faire de
manière brève. Cependant, j’ai une version réduite du discours, de
quinze minutes, et après avoir vu vos visages en annonçant que le
discours serait de trois heures, je crois qu’il serait mieux que je me
limite à la version courte.
J’aimerais commencer par remercier la Fondation CIDOB pour cette
initiative. Comme vous le savez probablement déjà, cette initiative fut
lancée quand l’Espagne était à la Présidence de l’Union Européenne en
2002. Depuis lors, nous avons clairement vu que nous devions être aussi
transparents que ce nous fut possible avec les pays qui participaient au
Dialogue Méditerranéen. Cette rencontre doit bien avoir quelque chose
de positif quand année après année les gens se montrent intéressés à
venir et dialoguer quant au futur, au présent et au passé du Dialogue
Méditerranéen.
La Fondation CIDOB n’est pas seulement un lieu où on peut discuter
de tout dans une ambiance agréable. Pour l’armée il s’agit aussi d’une
institution de projection professionnelle. Je suis arrivé comme Colonel en
1998 et je suis ici, des années plus tard, en tant que Chef de l’État Major
de la Défense. Vraisemblablement, à l’exception de 2005 et 2006, parmi
toutes les occasions où nous avons parlé du Dialogue Méditerranéen,
j’ai été présent. Ce qui est bien dans cela est que j’ai accumulé de
l’expérience que je peux maintenant apporter. Au travers de cette expérience je peux voir le processus et le progrès, si vous me le permettez,
qui a eu lieu pendant ces huit années. Les mauvaises nouvelles sont,
cependant, que ce progrès n’a pas été aussi prolifique que l’on espérait
dans les forums qui furent ouverts par le Dialogue Méditerranéen.
La première fois que nous nous sommes réunis à Barcelone pour parler
du Dialogue Méditerranéen ce fut le 31 octobre 2000 quand nous avons
conclu, après de longs débats, avec quatre idées générales:
19­
•
L’OTAN n’a jamais eu
la possibilité d’avoir du
succès dans le Dialogue
Méditerranéen
jusqu'au 11 septembre
2001
•Un. Les pays qui participent au Dialogue Méditerranéen veulent
recourir à l’OTAN pour traiter de thèmes de sécurité.
•Deux. Les pays du Dialogue Méditerranéen veulent recourir à l’UE pour
traiter de développement économique (Processus de Barcelone).
•Trois. Il existe de nombreux forums dans lesquels débattre: quand nous
avons commencé, il y avait l’OTAN, l’UE, l’Union de l’Europe Occidentale
(UEO), Euroforces, l’OSCE, le Conseil de l’Europe, Eurocorps – même
l’Eurocorps a une petite équipe consacrée au Dialogue Méditerranéen
– entre autres. D’une certaine manière, nous avons confondus les associés
à les exposer à tant de forums.
•Quatre. Tout type de coopération militaire-militaire a beaucoup de
possibilités de progresser.
C’est ce sur quoi on s’est mis d’accord il y a huit ans; quand nous parlions de Dialogue Méditerranéen.
En analysant la situation actuelle, je crois que ces quatre points sont
toujours valides. Le rôle de l’OTAN en matière de sécurité; celui de l’UE
dans le domaine du développement économique; ne pas confondre nos
associés en leur offrant trop d’éléments pour le débat, et à nouveau,
toute relation militaire – militaire a toujours eu de grandes possibilités et
opportunités pour le développement.
Je souhaitais ajouter un cinquième élément au Dialogue Méditerranéen.
C’est ce que les américains appellent “deux ne se disputent pas si un ne
le veut pas”.
Nous devons nous convaincre qu’une relation mutuelle est bénéfique pour
tous. Pour cela, il ne s’agit pas d’essayer de convaincre quiconque des vertus
de parler. Les gens de l’autre rive, peut importe la rive à laquelle nous nous
referons, ont aussi besoin d’être convaincus que c’est positif de parler entre
nous. Cela devrait être l’élément ultime de la position actuelle. Nonobstant,
la position est toujours plus ou moins la même. Dans l’OTAN les choses ont
beaucoup changé. C’est peut-être le forum où le Dialogue Méditerranéen a
le plus évolué. Mais la réalité est que ce discours, valide durant les huit dernières années, l’est toujours aujourd’hui.
Je crois que ce fut Scott Fitzgerald qui dit que "il est impossible de changer les choses, mais, au moins, nous devrions essayer". C’est pour cela
que nous sommes ici. Non seulement parce que les années ont passées
et que nous restons, dans une certaine mesure, sous les mêmes paramètres dans l’évolution du Dialogue Méditerranéen, mais aussi parce
que nous devons nous convaincre que c’est positif. Et pour cela nous
avons l’exemple que, pour moi, représente l’OTAN.
L’OTAN, comme vous devez le savoir, n’a jamais eu la possibilité d’avoir
du succès dans le Dialogue Méditerranéen. Nous n’avons jamais,
jusqu’au 11 septembre 2001, pu nous asseoir ensemble, en même
temps, à Bruxelles, les pays du Dialogue Méditerranéen et les pays de
l’OTAN. Donc, après le 11 septembre, nous avons découvert la manière
de passer à nous asseoir, d’un coup de 19 plus 1 à 19 plus 7.
Nous avons aussi lancé les rencontres de chefs d’état de la Défense,
toujours en vigueur actuellement. Et non seulement cela, les forums
20­
LA PROLIFÉRATION DE FORUMS POUR LE DIALOGUE MÉDITERRANÉEN: LA PLACE DE L’OTAN
•
de l’OTAN s’ouvrirent aux pays du Dialogue Méditerranéen et tous en
bénéficièrent. Il y a une semaine j’ai été à Tromso, en Norvège, où j’ai
rencontré un ami de Mauritanie pour discuter de la coopération avec
l’OTAN. Ainsi donc, un bon exemple pour illustrer qu’il est possible
d’avancer dans cette relation est que c’est ce qui se passe dans l’OTAN.
On a commencé, en premier lieu, au niveau politique; nous continuons
à faire de timides avancées dans les relations militaire-militaire et nous
terminons avec l’élément le plus important, le Sommet d’Istanbul.
Je ne sais pas si vous avez eu la possibilité de lire quelque chose concernant le Sommet d’Istanbul, lié au Dialogue Méditerranéen. Il est
important de savoir que l’OTAN a décidé de rompre avec le Dialogue
Méditerranéen et commencer une association. L’OTAN a établi exactement les mêmes outils que ceux pour l’Association pour la Paix. Depuis
lors, l’OTAN a doublé le budget pour le Dialogue Méditerranéen et
chaque pays intéressé peut établir sa propre stratégie pour entamer
des relations avec l’OTAN. Les éléments pour débattre et dans lesquels
avancer ont été d’importance vitale: l’intelligence, le contre terrorisme,
l’interopérabilité et le travail conjoint dans les opérations de crises. Dans
l’opération Active Endeavour, en Méditerranée, certains partenaires participèrent en apportant des navires et de l’appui. Il n’est pas nécessaire
de dire que l’opération Active Endeavour est une opération de l’Article
5. Je pourrais aussi donner une longue liste d’activités qui furent menées
sur la scène de l’OTAN et qui démontrent qu’il est possible de continuer
d’avancer dans le Dialogue Méditerranéen.
Personne ne pourra se
plaindre qu’il n’existe
aucun lieu pour parler
de sécurité et d’autres
aspects liés à la zone
de la Méditerranée
La deuxième partie est ce qui est arrivé avec l’UE. Tous ceux qui sont présents ce soir, savent que dans l’UE on essaye d’établir quelque chose de
nouveau en relation avec le Processus de Barcelone; particulièrement en
lien avec le premier panier, celui de la sécurité. Nonobstant, pour ce qui
concerne ma réponse et malgré que je puisse me tromper, ce panier n’a
pas donné beaucoup de fruits.
Peut-être ceci est du à l’existence de différentes perceptions de ce
panier. Tandis que la rive nord est plus orientée vers la sécurité et le
dialogue politique, la rive sud est plus orientée vers le développement
économique. Dans ce cas, si nous avons résolu la relation de sécurité
dans le cadre de l’OTAN, pourquoi ne pas établir avec l’UE un dialogue
spécifique lié au développement économique? La majorité des pays
représentés dans l’UE sont aussi présents dans l’OTAN. Est-ce mal d’avoir
un forum spécifique pour débattre de sécurité et un autre de développement économique? Est-ce que c’est mieux si les pays intéressés veulent
continuer à suivre ce modèle?
Ainsi donc, probablement, nous pouvons proposer aujourd’hui ce que
nous avons déjà décidé il y a huit ans: Parler à Bruxelles de sécurité et à
Barcelone de développement économique.
Et donc, que faire avec les autres forums? Parce que chaque fois qu’il
y en a un qui disparaît, un autre apparaît. Actuellement nous pouvons
compter toujours quelques six ou sept forums dans lesquels parler du
Dialogue Méditerranéen. Est-ce mal? Bien, au moins personne ne pourra
se plaindre qu’il n’existe aucun lieu pour parler de sécurité et d’autres
aspects liés à la zone de la Méditerranée. Mais la réalité est que, en
21­
FÉlix Sanz
•
mon opinion, ce que nous faisons avec la prolifération des forums est
d’établir des choses qui n’ont des chances de succès que si nous appliquons un troisième élément établi il y a huit ans: continuer à progresser
dans les relations militaire-militaire. Et ceci est l’exemple du 5+5.
Ce que nous faisons dans le 5+5 est établir diverses relations entre les
Forces Armées. Une frégate espagnole et une italienne ont travaillé ensemble avec des embarcations algériennes et marocaines il y a quelques
mois. Pour cela, nous devons avancer, nous devons être transparents
dans tous les aspects de sécurité. Ceci est une des raisons pour lesquelles nous somme ici ce soir: pour être transparents dans les aspects
de sécurité, pour maintenir les relations militaire-militaire et, si nous y
sommes disposés, progresser dans le champ de la sécurité; pour suivre, à
mon avis, le chemin initié par l’OTAN.
L’OTAN, ne l’oublions pas, est la seule organisation où le Dialogue
Méditerranéen est présent, non seulement dans son Comité militaire,
mais aussi dans le Conseil de l’Atlantique Nord (NAC) dans les formats
des ministres des Affaires Extérieures et de Défense ainsi que beaucoup
d’autres formations.
Pour résumer, parce que je vous avais promis un discours de 15 minutes et que nous arrivons à la 16ème, nous pouvons dire que les points
auxquels on est arrivé il y a huit ans sont toujours valides aujourd’hui.
Nous efforts devraient avancer dans la direction d’atteindre des actions
parallèles; qui n’interfèrent pas les unes avec les autres. Notre outil doit
être le dialogue dans la coopération militaire- militaire et après nous
assurons, dans la mesure du possible, que les deux parties soient disposées à débattre de ces éléments.
Ceci est tout ce que je peux dire. La relation qui a été établie dans ce
Séminaire ainsi que dans d’autres rencontres est aussi très importante,
car ceux-ci sont essentiels pour construire des liens de confiance et, au
plus les partenaires sont confiants entre eux, au moins de normes ils
devront établir pour continuer à avancer.
22­
LA PROLIFÉRATION DE FORUMS POUR LE DIALOGUE MÉDITERRANÉEN: LA PLACE DE L’OTAN
•
BALANCE DES INICIATIVES DE
Coopération
• La PESC et la PESD en Méditerranée en 2007
Martín Ortega Carcelén
• Le Processus de Barcelone et la Politique Européenne de Voisinage: De Tampere à
Lisbonne
Eduard Soler i Lecha
• Coopération dans les pays de la Méditerranée occidentale : L’Initiative 5+5 de défense
Mario Rino Me
• Le rôle de l’OTAN en Méditerranée et dan les
Grand Moyen-Orient
Alberto Bin
23­
•
La PESC et la PESD en Méditerranée en 2007
Martín Ortega Carcelén
Professeur de droit international et relations internationales
à l'Université Complutense de Madrid
Dans cet article nous passerons en premier lieu en revue la Politique
Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) durant la dernière année.
En deuxième lieu, nous commenterons les actions récentes de Politique
Extérieure et de Sécurité Commune (PESC) de l'UE dans l'espace méditerranéen; et en troisième lieu nous évalueront les dernières propositions
pour rénover les architectures de coopération en la Méditerranée, en
ce compris le projet du Président français Nicolas Sarkozy d'une Union
Méditerranéenne, avant d'esquisser quelques conclusions.
La Politique
Européenne de Sécurité
et de Défense n’a pas
été affectée par la crise
constitutionnelle entre
2005 et 2007
La Politique Européenne de Sécurité et de Défense en
méditerranée
Après les difficultés pour ratifier le projet de Constitution européenne,
dues aux référendums négatifs en 2005 en France et les Pays Bas, 2007
a été une année de récupération. Durant le premier semestre de 2007
la présidence allemande de l’UE travailla dur pour surmonter la crise, ce
qui permit d’arriver à un accord au sein du Conseil Européen de juin lors
duquel furent esquissées les lignes principales d’un nouveau traité. Face
à ce sentiment d’incertitude dans les grandes structures, la PESD a continué à fonctionner de manière très satisfaisante. La Politique Européenne
de Sécurité et de Défense n’a pas été affectée par la crise constitutionnelle entre 2005 et 2007, elle a suivi une approche pragmatique. De fait,
si on regarde les développements de la PESD avec un certain recul, depuis
sa création au Conseil Européen de Cologne en 1999, on peut dire sans
aucun doute que la PESD a eu une histoire faite de succès. Il faut se rappeler que, avant cette date, cette politique était complètement inédite
dans le processus d’intégration, et que, bien qu’elle n’ait pas encore 10
ans, elle compte déjà certaines institutions et une capacité opérationnelle
qui permettent à l’Union Européenne de contribuer à sa propre sécurité
et au maintien de la paix dans le monde de manière efficace.
Les développements de la PESD sont approuvés tous les six mois dans un
document publique intitulé « Rapport de la Présidence sur la PESD ». Ce
document est un impressionnant résumé des activités dans les champs
de la sécurité et de la défense de l’Union Européenne. Pour autant, il
est recommandé de lire ce rapport semestriel. Le fait que ce rapport soit
public et ouvert, tant pour les citoyens européens que pour les parte-
25­
Martín Ortega Carcelén
•
naires de l’Union et spécialement pour les méditerranéens, et y compris
pour le reste du monde, démontre que l’UE est en train de construire
une politique de défense transparente. En même temps, dans ces documents et aussi dans les actions de l’Union il est démontré que l’UE a la
volonté de collaborer avec les diverses instances internationales pour le
maintien de la paix et la sécurité en commençant par les Nations Unies.
Le dernier rapport sur la PESD approuvé en juin 2007, intitulé Presidency
Report on ESDP, 10910/07, explique les progrès qui ont été accomplis
pour les capacités militaires et civiles de l’Union Européenne pour la
gestion de crises. Y sont aussi détaillées les relations de coopération et
de dialogue de la PESD avec d’autres organisations, en premier lieu avec
l’OTAN, et avec les voisins et partenaires de l’UE. Ici il est très important
de souligner que l’Union Européenne informe ponctuellement les partenaires méditerranéens de sa politique de sécurité et de défense dans le
cadre du Processus de Barcelone.
Une leçon importante des rapports successifs est que la PESD inclut
des opérations de nature distincte. L’Union Européenne peut lancer et
réaliser des opérations classiques de maintien de la paix (qui se nomment avec l’acronyme EUFOR), de gestion militaire et civile de crise, de
police (pour lesquelles s’utilise le terme EUPOL), d’état de droit (ce qui
en anglais s’entend comme opérations « law and order », qui reçoivent
le nom de EUJUST) de contrôle des frontières (qui se connaissent comme
Border Assistance Mission ou BAM), de réforme du secteur de la sécurité
(Security Sector Reform ou SSR qui est une terminologie très utilisée,
que l’UE a transformée en EUSEC), et aussi de financement, c’est-à-dire,
de contribution financière à des opérations réalisées pour d’autres structures régionales, comme c’est le cas de l’aide pour l’opération de l’Union
Africaine au Darfour.
Durant la dernière année, la PESD a été présente en des régions très
diverses du monde. Les opérations suivantes de l’UE sont actives à
l’automne 2007 : dans les Balkans, EUFOR Althea, EUPOL EUPM, qui est
l’opération de police en Bosnie, et une équipe de planification pour une
possible opération au Kosovo; en Asie, EUPOL Afghanistan; en Afrique,
EUFOR CHAD/RCA, EUPOL RD Congo, EUSEC RD Congo, et l’opération de soutien à la mission AMIS II au Darfour de l’Union Africaine ; et
dans la région du Moyen-Orient, EUPOL COPPS pour soutenir la police
palestinienne, EU BAM Rafah, pour cet effort frontalier entre Gaza et
l’Egypte, et l’EUJUST Lex, pour la formation de l’administration de la justice iraquienne. En plus, il existe déjà huit opérations accomplies de l’UE,
ce qui fait une liste impressionnante, en tenant compte du jeune âge de
la PESD.
En plus de ces opération, il faut souligner aussi la participation européenne dans la mission des Nations Unies au Sud du Liban FINUL 2 (ou
UNIFIL 2). Comme on le sait, après la brève guerre de l’été 2006, la
contribution européenne rendit possible une gestion rapide de la crise,
et après le cessez le feu la modeste opération des Nations Unies qui existait déjà dans la région fut renforcée. Bien qu’à ce moment il fut décidé
de ne pas impliquer l’Union Européenne en tant qu’institution, et donc
de ne pas créer une nouvelle mission de la PESD, la participation des
états européens fur cruciale pour la sortie de cette crise et la stabilisation
26­
La PESC et la PESD en Méditerranée en 2007
•
postérieure. L’effort qui depuis lors et tout au long de 2007 fut mené
par les européens est très important. Selon les chiffres du Département
des Opérations de Maintien de la Paix des Nations Unies (DPKO), en
septembre 2007, la force comptait 13 264 effectifs, desquels 2 379
étaient italiens, 1 587 français, 1 121 espagnoles et 905 allemands. A
l’heure d’évaluer la situation de la sécurité et la coopération dans l’espace méditerranéen il est important de se rappeler cette contribution des
européens à la stabilité, qui bénéficie aux pays impliqués, dans la région
et aussi au reste du monde, qui ne veut pas voir éclater plus de conflits
dans la zone.
La Politique Extérieure et de Sécurité Commune (PESC)
en Méditerranée
Faire un bilan de la PESC dans la Méditerranée pendant la dernière
année est très difficile, sachant qu’il y eut des aspects positifs et d’autres
moins, et l’appréciation de l’ensemble n’est pas claire. Après le dixième
anniversaire du Processus de Barcelone, célébré en novembre 2005,
une nouvelle Conférence Euroméditerranéenne à Tampere, en novembre 2006, et celle qui prit place en novembre à Lisbonne ont marqué
le rythme du Processus. La Politique Européenne de Voisinage a suivi
également son cours pour compléter le Processus de Barcelone. Un
autre vecteur de l’Union Européenne avec des implications dans l’espace
méditerranéen est l’élargissement à deux nouveaux membres, la Bulgarie
et la Roumanie, qui eut lieu le premier janvier 2007, et qui sans aucun
doute donnera avec le temps une projection plus grande de l’Union vers
la Mer Noire. Egalement, l’implication continue de l’Union Européenne
dans la stabilité des Balkans est un autre aspect positif de la PESC qui
doit être pris en compte.
Le point le plus épineux
et controversé au
long de la dernière
année a été la réaction
européenne face au
conflit entre Israéliens
et Palestiniens, et les
évolutions du côté
palestinien
En plus, du coté positif de la balance durant l’année passée, il faut
également mettre l’accord obtenu au Conseil Européen informel de
Lisbonne le 19 octobre 2007 sur le Traité de Réforme. Dans cet accord, il
fut confirmé que le Haut Représentant de l’UE serait également vice-président de la Commission et responsable des relations extérieures, pour
que la PESC ait un instrument plus efficace quand le traité sera ratifié.
Maintenant, il existe des aspects moins positifs dans la politique extérieure européenne envers la région de la Méditerranée. Le point le plus
épineux et controversé au long de la dernière année a été sans doute la
réaction européenne face au conflit entre Israéliens et Palestiniens, et
les évolutions du côté palestinien. Il faut se rappeler que, après les élections palestiniennes de janvier 2006 lors desquelles le Hamas obtenu la
majorité, fur créé un gouvernement Hamas mené par Ismail Haniya qui
partagea le pouvoir avec le Fatah, du Président Mahmoud Abbas. Bien
que cette cohabitation fut difficile, les parties palestiniennes arrivèrent à
un accord à La Mecque le 8 février 2007 pour un gouvernement d’unité
nationale. Ce moment de consensus alla en se détériorant, la situation
humanitaire étant chaque fois pire, et les factions palestiniennes furent
préparées pour la lutte, qui éclata en juin 2007, avec pour résultat que
les forces armées du Hamas contrôlèrent à partir de ce moment la bande
de Gaza, et qu’une scission politique se produisit entre les Palestiniens.
27­
Martín Ortega Carcelén
•
En plus de la création d’un gouvernement d’unité nationale, l’Union
Européenne, qui avait déclaré le Hamas en tant qu’organisation
terroriste, nia tout appui direct et tout contact politique avec ce gouvernement. Bien qu’elle ne maintint pas de relations avec le gouvernement
du Hamas, l’Union Européenne continua à assurer une aide humanitaire
qui était canalisée à travers un processus d’urgence. Maintenant, de
nombreux experts et observateurs affirment que le temps écoulé entre
l’accord de La Mecque en février 2007 et la irruption de la violence en
juin 2007, les Européens perdirent une opportunité d’essayer un nouveau type de relations avec le Gouvernement de coalition. Ainsi, Muriel
Asseburg, du Stiftung Wissenshaft und Politik, observe que, comme il y
a diverses tendances au sein du Hamas, il aurait été possible de favoriser celles qui étaient les plus proches de reconnaître un modus vivendi
avec l’État d’Israël et de respecter les compromis précédents acquis pour
les Palestiniens. En ayant produit la fragmentation entre les Palestiniens
de Gaza et de Cisjordanie en été 2007, s’ouvre une nouvelle phase de
résultats difficiles à prévoir, sachant que la bande de Gaza s’est convertie en un espace toujours plus détérioré d’un point de vue économique
et politique.
Nouvelles initiatives pour la Méditerranée
Durant la campagne pour élire le Président de la république française
en mai 2007, le candidat Nicolas Sarkozy proposa un nouveau projet de
l’Union Méditerranéenne, très vague, pour les pays riverains de l’espace
méditerranéen. Une fois élu Président, Sarkozy concrétisa cette idée,
surtout dans un discours fait à Tanger le 23 octobre 2007. La récente
proposition du président Sarkozy a le mérite indiscutable d’inviter à la
réflexion sur les relations en Méditerranée. Cependant, elle souffre de
certains points faibles propres aux idées politiques sorties du four à moitié cuites.
Premièrement, Sarkozy cita dans son discours de Tanger les pères de
l’intégration européenne. Mais ces précurseurs étaient de différents
pays, tandis que lui ne partagea pas son projet avec d’autres avant de
le formuler. Deuxièmement, Sarkozy prévoit une association d’États
baignés par la Mer Méditerranée uniquement et invite les autres États
européens à assister en tant qu’observateurs, tandis que la Commission
serait associée pour assurer la relation « entre les deux unions ». Il faut
se demander si cette formule est compatible avec l’existence d’une
politique extérieure et de sécurité commune dans l’Union Européenne.
Enfin, Sarkozy affirma que l’intégration européenne commença avec
le charbon et l’acier, l’Union Méditerranéenne commencerait avec le
développement durable, l’énergie, les transports et l’eau, et s’occuperait
aussi de la culture, de l’éducation et du capital humain. Tous ces aspects
sont aujourd’hui traités dans d’autres forums et on ne voit pas quelle est
la valeur ajoutée.
Le plan de Sarkozy doit encore mûrir à travers la discussion entre les partenaires européens et méditerranéens. Cependant, au jour d’aujourd’hui
il semble que le meilleur développement du projet serait une fusion avec
le Processus de Barcelone, en associant pleinement l’UE, dans le but de
renforcer le Partenariat Euro-Méditerranéen.
28­
La PESC et la PESD en Méditerranée en 2007
•
En 1995, les Européens et les autres riverains de la Méditerranée eurent
une idée géniale : donner un contenu politique à la réalité géographique
de cette mer au moyen d’une association de large portée avec l’Union
Européenne naissante, qui se présentait comme le pôle économique
indiscutable de cet espace. Ainsi fut créé le Processus de Barcelone
avec des activités multilatérales (dans lesquelles tous participèrent) et
des accords bilatéraux de chacun des voisins avec l’Union Européenne.
Ce fut une solution flexible pour un ensemble hétérogène parsemé de
conflits, qui ne pouvait pas aspirer à intégrer l’Union.
Comme nous le savons, le Processus a eu une vie hasardeuse et n’a pas
produit de résultats spectaculaires. Pour en juger, il faut tenir compte
non obstant que vaincre des inerties historiques si pesantes requiert
du temps et que les controverses ouvertes dans la région supposent
un frein permanent. Parmi ses vertus, il faut souligner que le Processus
de Barcelone est un forum de dialogue et de coopération où les pays
européens, et l’Union Européenne comme nouvel acteur international,
peuvent se rencontrer avec les pays méditerranéens. La déclaration de
la récente Conférence Euroméditerranéenne de Lisbonne, célébrée les
5 et 6 novembre sous la présidence portugaise, refléta une dédaignable
liste de contenus : depuis la lutte contre le terrorisme ou la désertification aux programmes d’aide au ciné, paré d’un financement de plus de
trois milles millions d’euros pour la période 2007-2010.
Pendant 2007, la
PESC et la PESD, les
politiques extérieures et
de sécurité de l’Union,
ont contribué de
manière remarquable
au maintien de la paix
et la stabilité
Pour cette raison, il faudrait utiliser la nouvelle impulsion française pour
renforcer le Processus de Barcelone, ce qui pourrait se concrétiser pendant
la présidence française de l’UE pendant le second semestre de 2008.
Quelques conclusions face au future
En regardant en arrière, il semble que 2007 ait été une année de transition, aussi pour la Méditerranée. Les problèmes classiques de cet espace,
à commencer par le conflit entre Israël et les Palestiniens, continuent
sans résolution. Les États-Unis, qui s’embarquèrent dans la guerre d’Iraq
en 2003 n’ont pas exercé un leadership clair pour la résolution de ces
conflits et n’ont pas offert une vision cohérente de la région du MoyenOrient. L’Union Européenne aussi est en transition (comme cela semble
être habituel), mais se dirige lentement vers l’irruption en tant qu’acteur international plus significatif. Probablement le Traité de Lisbonne,
qui réforme l’Union, lui donnant une plus grande capacité d’action
extérieure, sert pour exercer un rôle plus décisif dans les relations internationales.
En Méditerranée, le Processus de Barcelone et la Politique Européenne
de Voisinage continuent d’être des instruments privilégiés pour assurer
des relations de coopération entre l’Union Européenne et ses voisins.
Pendant 2007, la PESC et la PESD, les politiques extérieures et de sécurité de l’Union, ont contribué de manière remarquable au maintien de
la paix et la stabilité. En tant qu’aspect plus positif, il faut se rappeler les
moyens de coopération au sein du Processus de Barcelone et la participation de certains États européens dans l’opération FINUL 2 au sud du
Liban. Bien que celle-ci fut une mission des Nations Unies et non dans le
cadre de la PESD de l’Union Européenne, il est évident que la présence
29­
Martín Ortega Carcelén
•
des Européens renforça l’opération. Comme aspect plus négatif, peutêtre pourrions nous signaler le manque de décision des Européens à
l’heure de chercher une solution négociée du conflit entre les Israéliens
et les Palestiniens.
Le projet présenté par
le Président Sarkozy en
2007 a servi de révulsif,
pour attirer l’attention
qu’il est nécessaire de
repenser et reconstruire
cet espace euroméditerranéen
30­
Cependant, nous ne pouvons être entièrement satisfaits du Processus de
Barcelone comme il est aujourd’hui. Le projet présenté par le Président
Sarkozy en 2007 a servi de révulsif, pour attirer l’attention qu’il est
nécessaire de repenser et reconstruire cet espace euro-méditerranéen.
Il est sûr que ce projet doit être révisé et, au final, doit servir pour
renforcer le Processus de Barcelone, en intégrant pleinement l’Union
Européenne. Mais le fait de présenter des alternatives est utile parce
que cela démontre que nous ne sommes dans un temps de continuité
mais dans un temps d’architectes, dans lequel nous devons planifier de
manière audacieuse le future. Cette ambition doit être présente dans
tout l’espace euro-méditerranéen parce que, après 2008, qui comme
2007 se profile aussi comme une année de transition, s’ouvrira certainement une nouvelle étape dans laquelle il faudra établir de nouvelles
structures régionales au Moyen-Orient et aussi réformer les institutions
globales pour faire face aux nombreux problèmes communs, depuis la
résolution de conflits jusqu’à la protection de l’environnement.
La PESC et la PESD en Méditerranée en 2007
•
LE PROCESSUS DE BARCELONE ET LA POLITIQUE
EUROPÉENNE DE VOISINAGE: DE TAMPERE À LISBONNE
Eduard Soler i Lecha
Coordinateur du Programme Méditerranéen de la Fondation CIDOB
Dans le cadre des séminaires internationaux sur la sécurité et la défense
en Méditerranée on dresse généralement le bilan des principales initiatives de coopération dans la région . Il ne faudrait pas manquer dans cet
effort, l’analyse tant du Processus de Barcelone, pierre angulaire des
relations euro-méditerranéennes que de la Politique Européenne de
Voisinage . Nous ferons le point quant à l’évolution de ces cadres de
coopération depuis la Conférence euro-méditerranéenne de Tampere
(27-28 novembre 2006) jusqu’à la Conférence euro-méditerranéenne de
Lisbonne (5-6 décembre 2007) . Malgré les différences
certains perçoivent
des rapprochements
excessifs entre le
Processus de Barcelone
et la Politique
Européenne de
voisinage
Deux cadres de coopération dans une même région
Avant de nous avancer dans le bilan proprement dit nous devons exposer, à grands traits, les principales différences entre le Processus de
Barcelone et la Politique Européenne de Voisinage (PEV) . Nous observons
une différence de nature . Comme son nom l’indique la PEV est une politique, c’est-à-dire, qu’elle est conçue par son sujet (l’Union Européenne)
envers un objet (le pays associé) . En revanche, l’esprit du Processus de
Barcelone situe, du moins quant à ces principes, tous les membres, européens ou méditerranéens, sur un pied d’égalité.
De même nous constatons une différence du spectre géographique . La
PEV recouvre un espace beaucoup plus grand étant donné que, en plus
des pays du bassin méditerranéen, elle inclut les pays d’Europe orientale
et du Caucase . Ainsi, la Turquie est membre du Processus de Barcelone
mais la PEV ne s’applique pas puisqu’il s’agit d’un pays candidat.
Il y a, finalement, une différence de structure . Le Processus de Barcelone
combine une dimension multilatérale et une dimension bilatérale tandis
que la PEV, du moins actuellement, se base sur une logique strictement
bilatérale . Cette logique, qui se concrétise en plans d’action (action
plans) et rapports de pays (country reports) permet de programmer des
actions adaptées aux nécessités, situations concrètes et volonté réformatrice de chacun des membres méditerranéens . Malgré ces différences certains perçoivent des rapprochements excessifs
entre les deux cadres . Bien que la Commission Européenne et les États
31­
•
Membres insistent qu’il y a une complémentarité entre ces cadres de
coopération, nombreux sont les experts et les analystes qui préviennent
du risque de substitution du Processus de Barcelone par la PEV, ou en
tous cas de la marginalisation du premier par cette politique . Ces discussions, qui ne sont pas le centre de cette analyse, montrent
pourquoi il est important d’analyser le Processus de Barcelone et la PEV
dans le cadre d’un même article1 . La raison principale est qu’ils sont fortement inter-reliés et qu’ils se font référence l’un l’autre . Une année compliquée
Dans cet exercice de bilan dans chacun des cadres de coopération de
ce qui s’est passé entre Tampere et Lisbonne nous nous concentrerons,
exclusivement, sur les aspects politiques et de sécurité . C’est-à-dire, les
aspects qui constituent le premier panier du processus de Barcelone . Une
thématique qui est aussi présente dans les Plans d’actions de la PEV . La Conférence euro-méditerranéenne de Tampere eut lieu les 27 et 28
novembre 2006 . Dans cette ville finlandaise, les membres euro-méditerranéens approuvèrent un plan de travail pour l’année suivante . Un
plan modeste mais concret2 . Ce que l’on réussit à adopter fut un succès
significatif si nous tenons compte d’à quel point furent adverses les mois
précédents cette réunion (guerre au Liban, tension croissante dans les
territoires palestiniens).
Au début novembre 2007 les membres euro-méditerranéens se réunirent à nouveau à Lisbonne . Dans cette ville, des conclusions communes
furent convenues et des activités pour 2008 planifiées3 . Le rendez-vous
de Lisbonne fut marqué, surtout, par l’incitant créé par la proposition
française de mettre en marche une Union Méditerranéenne, qui dans
ces exposés initiaux se présentait comme un mécanisme pour surmonter
l’échec supposé du Processus de Barcelone . Pour des motifs bien différents tant en 2006 qu’en 2007 les membres
euro-méditerranéens se virent obliger de se définir de manière plus
claire que d’habitude dans leur engagement dans le projet euro-méditerranéen . Le compromis montré dans les deux réunions, n’a pas été
accompagné, nécessairement, de progrès tangibles . Les suites négatives
Nous pouvons identifier cinq aspects dans lesquels, malheureusement,
il n’y a pas eu d’avancées significatives ces dernières années . Le premier
est qu’il continue d’il y avoir de grandes difficultés pour avancer dans les
thèmes de sécurité dans le cadre du Processus de Barcelone . Des projets
congelés comme la Lettre de paix et de sécurité en méditerranée continuent à être vues comme impossibles dans le contexte actuel . C’est pour
cela qu’il fut décidé d’agir de manière bilatérale et d’appuyer ces états
qui, comme le Maroc, désirent coopérer dans le cadre de la Politique
Européenne de Sécurité et de Défense (PESD).
Le deuxième est que le cadre du dialogue politique du Processus de
Barcelone n’a pas servi à diminuer la tension entre les membres du
processus, en particulier entre trois des membres du processus : Israël,
le Liban et l’Autorité Nationale Palestinienne . Le rapport annuel de
32­
LE PROCESSUS DE BARCELONE ET LA POLITIQUE EUROPÉENNE DE VOISINAGE: DE TAMPERE À LISBONNE
•
EuroMeSCo qualifia l’année 2006 comme l’année des « guerres et des
tensions en Méditerranée”4 . En automne 2007 la situation dans la bande
de Gaza continuait d’être préoccupante . Un facteur additionnel de préoccupation est qu’un autre membre du partenariat euro-méditerranéen,
la Turquie, mène une politique agressive et nationaliste dans la lutte
contre le terrorisme du PKK, qui menace d’ajouter de nouveaux éléments
d’instabilités au Moyen-Orient . En troisième lieu, il y a toujours un certain trouble quant aux résultats du
Processus de Barcelone . Certains parlent des limites du Processus . En ce
sens, nous assistons à un débat qui se développe depuis les premières
années de fonctionnement: est-ce un problème de conception du partenariat ou un problème du contexte politico international et régional?
En quatrième lieu, la PEV n’offre pas d’incitants adéquats ou seulement
pour les pays qui sont spécialement prédisposés à avancer dans leur coopération avec l’UE . Cette constatation, qui est un problème général de
cette politique, s’accentue lorsque nous nous centrons sur le domaine
politique et encore plus dans celui de la sécurité et la défense . Car, en
premier lieu, pourquoi la PEV offre d’avancer dans l’intégration économique mais non politique? La PEV a bien peu à offrir dans le champ de
la sécurité et de la défense déjà que, pour le moment, elle n’apporte pas
d’incitants attractifs dans des domaines comme la résolution de conflits
ou la modernisation et la démocratisation des forces armées . La PEV continue à ne
pas être attractive pour
un pays clé de l’espace
euro-méditerranéen:
l’Algérie
Finalement, nous devons souligner que la PEV continue à ne pas être attractive pour un pays clé de l’espace euro-méditerranéen: l’Algérie5 . Ce pays voit
avec suspicion la PEV parce qu’il considère qu’elle a une volonté excessive
d’influencer et de marquer le rythme des réformes et considère qu’elle interfère excessivement dans les affaires de sa souveraineté nationale . De plus,
comme l’Algérie a signé l’Accord d’Association relativement tard, en 2002,
elle trouve plus convenant d’explorer toute la potentialité de l’accord avant
de s’embarquer dans de nouveaux cadres de relation avec l’UE . Nouveautés et progrès
Parallèlement à cette stagnation, entre Tampere et Lisbonne nous pouvons
observer quelques nouveautés qui, dans certains cas, reflètent des progrès
dans le cadre euro-méditerranéen ou dans la PEV et qui, dans d’autres cas,
supposent de nouveaux défis auxquels ces cadres devront faire face . Une de ces nouveautés est l’adoption de ce que la présidence allemande
de l’UE vint à appeler la ‘Politique Européenne de Voisinage Renforcée’
et qui consiste en une série de documents de révision de cette politique,
le plus connu étant la Communication de la Commission de décembre
20066 . Parmi les éléments les plus saillants de cette révision de la PEV
figure la nécessité de repenser les incitants que peut offrir l’UE, faisant
un plus grand effort pour identifier des agences ou des programmes
européens qui peuvent être attractifs et, très concrètement une révision
de la politique des visas . Une autre nouveauté consiste en l’acceptation
qu’une politique purement bilatérale ne peut faire face à certains défis,
comme celui de l’environnement ou de l’énergie . Tant la Commission
Européenne que les experts mettent l’emphase sur le fait que ces questions requièrent des cadres multilatéraux . Non obstant, on ne veut pas
créer de nouvelles institutions mais profiter des cadres de coopération
régionaux déjà existants comme le Processus de Barcelone ou les initiatives de coopération dans la Mer Noire . 33­
Eduard Soler i Lecha
•
Malgré ce discours selon lequel la PEV veut rester une politique bilatérale
nous avons observé ces derniers mois quelques démarches qui suggèrent
le contraire . La plus notable est la célébration en septembre à Bruxelles
d’une conférence qui réunit des représentants gouvernementaux des
pays bénéficiaires de la PEV et qui, apparemment, aura une continuité . Une des nouveautés les
plus significatives de
cette année est ce qui
se connait déjà comme
le statut avancé du
Maroc
En restant dans le cadre de la PEV il faut souligner que, à la différence de
ce que nous commentions avant concernant l’Algérie, l’Egypte a décidé
de participer à cette politique . Le gouvernement du Caire, avait donné
de rares preuves d’enthousiasme lorsque cette politique a commencé
à se mettre en marche . Cependant, en 2007 elle a décidé de participer
pleinement et depuis mars de cette année elle possède un Plan d’Action . A cheval entre la PEV et le Processus de Barcelone une des nouveautés
les plus significatives de cette année est ce qui se connait déjà comme
le statut avancé du Maroc . Le gouvernement du Maroc, avec l’appui
de l’Espagne, du Portugal, de la France, de l’Italie et de la Commission
européenne a décidé de se rapprocher autant que faire se peut de l’idée
de Romano Prodi de « tout sauf les institutions » . En ce sens, le statut
avancé devrait servir pour concrétiser comment un pays peut se convertir en quelque chose de plus qu’un associé sans arriver l’adhésion7 . Les
pays qui sont dans les relations avec le Maroc peuvent finir par avoir des
répercussions chez les voisins méditerranéens y compris parmi les pays
de l’Est qui suivront de près comment se concrétise ce ‘statut avancé’ et
probablement tenteront de l’imiter . Dans le domaine de la sécurité et de
la défense, le statut avancé se concrétisera, probablement, en une plus
grande intégration du Maroc dans les mécanismes et les missions de la
PESD . Le Maroc a montré des signes en ce sens (participation à l’ALTHEA
et désignation d’un responsable dans le Comité politique et de sécurité) . Avec le statut avancé cette coopération s’approfondira et s’étendra . Egalement à cheval entre la PEV et le Processus de Barcelone il faut
souligner que 2007 fut aussi la première année de fonctionnement de
l’Instrument européen de voisinage et de partenariat (ENPI, en ses sigles
anglais) . Cet instrument provient de la fusion des fonds MEDA et des
fonds TACIS et, en plus, il incorpore quelques changements pour améliorer l’exécution des projets ou pour renforcer certaines dimensions
comme la coopération transfrontalière . Non obstant, il est trop tôt pour
dresser le bilan des résultats de cet instrument . Déjà dans le cadre du Processus de Barcelone nous devons souligner les
avancées vers la création d’un système euro-méditerranéen de protection
civile . La Méditerranée est une zone spécialement vulnérable en matière
de catastrophes naturelles et en 2005 le Plan d’Action approuvé à
Barcelone signalait que ce domaine devrait être une priorité . Ainsi donc,
le 24 octobre 2007 se réunirent à Porto les directeurs généraux de la
protection civile du programme Euromed et leurs homologues européens
pour avancer vers la construction de ce système euro-méditerranéen,
pleinement intégré . La Conférence euro-méditerranéenne de Lisbonne
continue d’avancer dans cette direction . Dans le domaine de la sécurité et la défense nous observons que les
pays européens ont fait un effort majeur pour intégrer certains membres méditerranéens dans les discussions sur ces thèmes . Ainsi, à la fin
septembre une session de travail informelle fut organisée à Evora entre
les Ministres de la Défense des vingt six ainsi que ceux de cinq pays du
Maghreb . 34­
LE PROCESSUS DE BARCELONE ET LA POLITIQUE EUROPÉENNE DE VOISINAGE: DE TAMPERE À LISBONNE
•
Néanmoins, une des principales nouveautés dans le cadre euro-méditerranéen fut l’irruption de la proposition française de créer une Union
Méditerranéenne . Proposition initialement ébauchée en février à Toulon
et concrétisée un peu plus tard dans un récent discours à Tanger
du Président français8 . Nicolas Sarzoky assume que le Processus de
Barcelone et la PEV ont des limites que ce nouveau projet pourrait
surmonter . Sarkozy mise, d’un côté, pour ce qu’il défini comme des
« solidarités concrètes » et des « projets pragmatiques dans un cadre à
géométries variables » . Selon le Président français, de la même manière
que la construction européenne s’est initié autours de la coopération
du charbon et de l’acier, la construction méditerranéenne doit se réaliser autours du développement durable, l’énergie, les transports et
l’eau . Comme nous le voyons, nous rencontrons les thèmes classiques de
la sécurité et de la défense dans ce catalogue . Sarkozy mise, d’un autre côté, pour renforcer le dialogue politique en
convoquant une réunion des chefs d’état et de gouvernements des pays
riverains de la Méditerranée . Le terme G-Med fut proposé, imitant ainsi
le G-8 . L’effort de dialogue politique fut une des principales priorités de
la France dans le cadre euro-méditerranéen . Il faudra voir si un cadre
qui réunit exclusivement les pays riverains est réellement plus effectif
(ou plus problématique) qu’un cadre qui inclut les pays de l’Europe septentrionale et orientale . À la lumière des conflits régionaux existants au
Proche orient, il ne semble pas qu’il en soit de la sorte.
Une des principales
nouveautés dans
le cadre euroméditerranéen fut
l’irruption de la
proposition française
de créer une Union
Méditerranéenne
Il n’échappe à personne que le projet français génère de nombreux doutes . Entre ceux qui se montrent plus septiques nous trouvons les pays et
les institutions, comme la Commission, les plus fermement engagés dans
le Processus de Barcelone . Il figure aussi des pays de l’Europe non-méditerranéenne comme la Finlande ou l’Allemagne qui se sentent exclus d’une
coopération dans laquelle ils ont investi beaucoup d’efforts . De même dans
les pays du sud il existe des doutes et des réticences . De nombreux pays arabes mettent la priorité à avoir une relation avec toute l’UE et non seulement
avec les pays méditerranéens de l’UE . De plus, la Turquie voit avec suspicion
cette initiative déjà que ce pays craint que l’Union Méditerranéenne se présente comme une alternative à ses plans d’adhésion à l’UE.
En guise de conclusion
La Méditerranée se révèle, cette année aussi, comme un domaine important des relations extérieures de l’UE sans que cela ne veuille dire que
des avancées et des progrès significatifs ont été produit . Non seulement
les cadres de coopérations existants ont été maintenus jusqu’à présent
mais se pose la possibilité d’ajouter de nouveaux espaces, concrètement
l’Union Méditerranéenne, à un schéma déjà complexe . Un des grands
défis continue d’être l’articulation d’une politique européenne cohérente, qui optimise les moyens et les efforts et qui puisse avancer vers
les ambitieux objectifs fixés dans la Déclaration de Barcelone de 1995,
aujourd’hui encore pleinement en vigueur . Comme nous venons de le voir, l’année 2007 a comporté des nouveautés sur la scène méditerranéenne mais dans le cadre de la coopération
et la défense ils ont été particulièrement limités bien que nous ne puissions pas parler d’une situation de stagnation et de laisser-aller . Ce
bilan annuel pourrait se résumer en paraphrasant Galilée: eppur si
muove . Non obstant, ce mouvement n’atteint pas la vitesse de croisière
que les défis de la région nécessitent.
35­
Eduard Soler i Lecha
•
Notes
1. Pour ces discussions voyez, entre autres, EMERSON, Michael y NOUTCHEVA, Gergana . “From
Barcelona Process to Neighbourhood Policy: Assessments and Open Issues” . CEPS Working Paper,
No 220 (2005); MAHJOUB, Azzam . “La politique européenne de voisinage: un dépassement du partenariat euro-méditerranéen” . Politique Étrangère, No . 3 . (2005) . P . 535-544; SCHUMACHER, Tobias
y DEL SARTO, Raffaella, “From EMP to ENP: What’s at Stake with the European Neighbourhood
Policy towards the Southern Mediterranean?”, The European Foreign Affairs Review, vol . 10 No
1 (2005) 17-38; y SOLER i LECHA, “Las perspectivas de la Política Europea de Vecindad para el
Mediterráneo” BARBÉ, Esther & HERRANZ, Anna (eds), Política Exterior y Parlamento Europeo:
hacia el equilibrio entre eficacia y democracia . Barcelone: IUEE/ Bureau du Parlement européen à
Barcelone, (2007) pp . 89-101 . 2. Tampere conclusions, 8th Euro-Mediterranean Conference of Ministers of Foreign Affairs, Tampere,
27-28 novembre 2006.
3. Agreed Conclusions of the 9th Euro-Mediterranean Meeting of Ministers of Foreign Affairs,
Lisbonne, 5-6 novembre 2007.
4. EuroMeSCo Regaining Impetus, annual report, Lisbonne, 2007, pp . 14-15..
5. Voir ZERARKA, Youssef, “Política de vecindad: por ahora no es una prioridad para Argel” dans
AFKAR-IDEAS, No . 14 (2007)
6. Communication from the Commission to the Council and the European Parliament on
Strengthening the European Neighbourhood Policy, Bruxelles, 4 décembre 2006, COM(2006)726
final.
7. JAIDI, Larbi, “Estatuto avanzado entre la UE y Marruecos: ¿un nuevo partenariado?”, AFKAR-IDEAS,
No . 14 (2007).
8. SARKOZY, Nicolas, Discours à Toulon (07/02/07) et SARKOZY, Nicolas, Discours du Président de la
République sur l’Union méditerranéenne – Tanger, 23 octobre 2007 . 36­
LE PROCESSUS DE BARCELONE ET LA POLITIQUE EUROPÉENNE DE VOISINAGE: DE TAMPERE À LISBONNE
•
Coopération dans les pays de la Méditerranée
occidentale : L’Initiative 5+5 de défense
Mario Rino Me
Admiral.
Président du 5+5, Ministère de la Défense de l'Italie
I
l y a un consensus sur la nécessité de reconnaître la croissante prééminence des vieux carrefours fruit de dynamiques géopolitiques
implicites. Ceci, à un moment où il est chaque fois plus utile de
reconnaître à la géographie son importance stratégique, son acuité
actuelle et son rôle quant aux questions sous-régionales.
De fait, la dimension stratégique de la Méditerranée a mis en relief les
difficultés pour atteindre des plates-formes partagées qui permettent
d’établir une architecture de sécurité commune due à la complexité et
à la multiplicité des dynamiques sous-régionales. Il en résulte que la
Méditerranée dans son ensemble est loin de se libérer des anciennes
divisions et tensions de ses conséquences actuelles.
La dimension
stratégique de la
Méditerranée a mis en
relief les difficultés pour
atteindre des platesformes partagées qui
permettent d’établir
une architecture de
sécurité commune
À l’automne 2004, dans un climat de collaboration effective et d’appui
politique également intense, se présenta la proposition d’adopter le
format 5+5 dans le domaine de la défense. Le défi était alors de mettre en marche l’initiative à partir d’une table rase, avec l’intention de
la doter d’un sens de dialogue opérationnel dans le cadre d’un format
déjà existent. C’est-à-dire, le Dialogue 5+5, relancé dans les dimensions
originales – ministres des Affaires Etrangères et ministres de l’Intérieur –
après dix ans d’impasse.
Dans un contexte informel, un format plus circonscrit, de fait, favorise un dialogue plus dynamique et effectif, en minimisant le risque
de s’enraciner dans un processus de prise de décisions compliquées.
Il est considéré que le Dialogue établit une base indispensable pour la
construction d’une coopération fructueuse. De fait, le climat nécessaire
de confiance et de respect mutuel, qui permet d’assimiler les différences,
se construit au travers du dialogue. Un autre facteur qui a permis le lancement rapide et l’avancement de cette initiative a été la combinaison
des facteurs mentionnés antérieurement avec une portée géographique
limitée, qui a permis de la maintenir à la marge des fluctuations et des
frustrations causées par diverses crises politiques dans le voisinage.
En novembre 2004, le Ministère de la Défense d’Italie a accueilli la première rencontre informelle de l’autoproclamé Comité Directeur, qui assit
les bases d’un accord. À Rome fut confirmé l’existence d’une perception
commune des défis et opportunités et du désir d’avancer conjointement
37­
•
vers un projet commun progressif. Le 21 du mois suivant à Paris, les
ministres de la Défense des 10 pays membres ratifièrent la naissance
officielle de l’Initiative de Défense 5+5 et formalisèrent la Déclaration
d’Intentions. Ce document exhaustif établissait la figure institutionnelle
de la Présidence, rotative annuellement suivant l’ordre alphabétique
anglais des pays, et la constitution du Comité Directeur, responsable
devant les ministres de la direction et la supervision des actions accordées annuellement dans les Plans d’Actions respectifs (approuvé au
niveau des ministres de la Défense). Son plus grand atout consiste en la
rapide définition conceptuelle et approbation ministérielle du cadre de
référence (la nommée Déclaration d’Intentions) et le Premier Plan d’Action de 2005 qui incluait, entre autres, en plus de la liste des activités,
les principes (essentiellement la libre volonté et le consensus unanime),
la méthodologie à suivre et les schémas opérationnels.
L’initiative 5+5 de défense se base sur la coopération dans des activités pratiques, qui donnent une réponse à des nécessités communes aux deux rives.
Ces nécessités communes entraînent certains problèmes d’interopérabilité,
qui peuvent se résoudre in situ avec des méthodologies de travail proposées
et vérifiées selon chaque contexte. Un autre aspect important est l’esprit
sui generis de la coopération, basée sur les principes de transparence et de
coresponsabilité au lieu de l’imposition de solutions. C’est-à-dire, une coopération bidirectionnelle entre des partenaires égaux.
Trois domaines principaux de coopération sont étables selon leur apport
dans le domaine de la défense.
En premier lieu, la vigilance maritime. Nous observons dans les moyens
de communication comment ce que les romains appelaient Mare
Nostrum est aujourd’hui le scénario d’un certain nombre d’activités illégales. La dimension maritime est couverte par un cadre légal, composé
de lois et d’accords internationaux, qui presse à partager cet espace
commun depuis la perspective de la coopération. Les zones couvertes
avec des missions Search and Rescue et l’apport de la Défense dans la
lutte contre le trafic illicite de marchandises ou d’êtres humains et contre
l’immigration illégale, sont spécialement importants pour les deux rives.
Il est important de souligner que la gestion de certains aspects se produit
au niveau des Chefs d’État Major de l’Armée.
En deuxième lieu, la contribution des Forces Armées dans le domaine de
la Protection civile est significative. Dans un contexte de demande croissante de sécurité humaine, les ministres de la Défense peuvent offrir,
dans leurs compétences et selon leurs moyens et capacités, un rapide
soutien à la population, à la propriété, aux produits et aux services qui
ont souffert des dommages ou ont été exposés au danger. L’assistance
dans des situations de crise – qu’elle soit environnementale, naturelle ou
provoquée par l’homme- le déminage et l’appui à la médecine militaire
ou le suivi des nuages de sauterelles sont des champs où l’apport des
Forces Armées peut présenter une valeur ajoutée.
Finalement, nous percevons le champ de la sécurité. Depuis que des
organisations terroristes transnationales représentent un défi stratégique pour la communauté internationale, l’échange d’information sur
l’espace aérien, en plus des réseaux habituels du système de contrôle
38­
Coopération dans les pays de la Méditerranée occidentale : L’Initiative 5+5 de défense
•
du trafic aérien civil, peut contribuer au rapide déploiement des moyens
défensifs en cas de détecter l’usage de l’espace aérien pour des activités
terroristes. Avec la première rencontre des Chefs d’État Major des Forces
Aériennes, qui eut lieu à Alger en juin 2007, une forte impulsion fut
donnée à cette dimension.
L’initiative 5+5 de défense a misé, depuis ses débuts, pour le pragmatisme et le dynamisme. Ceci l’a mise à la tête en matière de coopération,
en la convertissant en un bon banc d’essais et d’expériences exportables
aux autres et à de plus grands scénarios de participation.
L’initiative 5+5 de
défense a misé, depuis
ses débuts, pour le
pragmatisme et le
dynamisme
Avec la phase opérationnelle de flexibilité en 2006 –avec la seconde
présidence, celle de la France- a augmenté le nombre d’activités, en
passant des quatre réalisée en 2005 à 14, 4 desquelles furent proposées
par les partenaires de la rive Sud, en donnant lieu à la coopération espérée bidirectionnelle. Ceci, à son tour, a lancé un processus de croissance
en spirale de cercles vertueux basé sur le travail en équipe des membres intéressés par les activités. Entre-temps, l’éventail d’activités s’est
amplifié avec l’inclusion de propositions pour le déminage, pour établir
des structures de formation et avec le débat initial sur la dimension de
la formation du personnel. En 2007, 20 activités furent réalisées, huit
desquelles, promues par les pays de la rive Sud. 2007 nous a montrés
de nouvelles preuves du succès de cette entreprise commune, de sa
conception en tant que projet et de sa mise en œuvre – conséquence
d’un compromis collectif ferme- qui a eu des résultats positifs, donnant
lieu à l’alimentation croisée d’idées. En définitive, ce dynamisme reflète
la réussite d’un triple objectif collectif et stratégique.
Le premier objectif stratégique obéit à la consolidation de l’Initiative,
trois ans après son lancement, vers une dimension opérationnelle. Une
offre de nombreuses activités avale la validité de la méthodologie
appliquée à l’établissement d’une coopération effective et adéquate.
L’exercice « Canale »- une initiative italo-maltaise étendue à d’autres
états méditerranéens qui désirent participer et qui ont la capacité pour
le faire et qui a déjà été adapté à la participation de dix pays– et l’exercice similaire “Forefinger”, proposé par la France, indiquent que nous
sommes entrés dans la dimension pratique.
Le véhicule opérationnel que représente le programme pilote italien,
appelé Virtual-Regional Maritime Traffic Centre (V-RMTC), à la mesure
du 5+5, est complémentaire à l’exercice « Canale » et à d’autres activités similaires. C’est une contribution de facto à la sensibilisation de
la situation aux principes plug and play et à des mesures spécifiques
de confiance. L’approbation, de la part de huit Flottes des préparatifs
opérationnels du V-RMTC 5+5 NET eu lieu à Naples en mai 2007, pendant la rencontre des Chefs d’État Major de la Flotte des pays membres
de l’Initiative 5+5. Pour l’instant, ce réseau reprend les apports de neuf
Flottes et nous espérons qu’il inclut les Flottes de tous les membres l’année prochaine. Les recommandations d’un groupe de nombreux experts
consolident les résultats obtenus, qui, à travers des leçons apprises, permet d’implémenter un système propre à chaque cas.
Le deuxième objectif stratégique est représenté par l’émergence de
formes spécifiques de coopération bidirectionnelle entre des partenai-
39­
Mario Rino Me
•
Il est nécessaire
d’adhérer aux
processus impulsés
par les organisations
régionales chaque fois
plus actives dans la
région, en recherche de
possibles synergies
res égaux. Le troisième objectif stratégique est l’échange d’un dialogue
fluide entre toutes les parties. Grâce à un milieu favorable aux relations
interpersonnelles et en particulier aux opportunités que représentent
une initiative dont tous les membres bénéficient, nous pouvons affirmer
que l’Initiative est entré dans son étape de jeunesse.
La dimension de l’éducation constitue, actuellement, le quatrième domaine
de coopération. Dans cette direction, la France et la Tunisie ont présenté leurs
propositions pour la mise en marche d’une école du groupe 5+5 et d’un
Institut d’Études Stratégiques. Les deux projets méritent une grande attention en vue de leur possible complémentarité et de la contribution décisive
de ce que nous pourrions définir comme « interopérabilité des mentalités ».
L’ainsi nommée « école itinérante du groupe 5+5 » a atteint sa phase finale
et sera lancée l’année prochaine. Grâce à la généreuse contribution de toute
la communauté, celle-ci ira au-delà du simple échange universitaire.
En relation avec le think-tank, nous considérons que toute forme de
coopération pragmatique doit se nourrir dans une vision du futur stratégique, avec la conviction que des directrices communes puissent être
bénéfiques pour les deux rives et qu’elles sont un réquisit indispensable pour affronter avec succès les défis du futur. En d’autres mots, si la
première impulsion fut de caractère pratique, pour regarder vers l’avant
nous devons aller au-delà des nécessités quotidiennes.
En résultats de ce que qui est mentionné antérieurement, l’Initiative se
renforce par la concurrence des activités pragmatiques et, dans un future proche, par la dimension éducative déjà mentionnée. Dans une étape
postérieure, nous espérons pouvoir établir aussi une sous-dimension de
formation, qui augmente son caractère auto suffisant.
Il est nécessaire d’adhérer aux processus impulsés par les organisations
régionales comme l’Union Européenne, l’Union du Maghreb Arabe et
l’Union Africaine, chaque fois plus actives dans la région, en recherche
de possibles synergies. La rencontre ministérielle à Evora fut la première
réponse à cette nécessité. Le compromis de la Slovénie et de la France
de continuer à avancer dans la même direction assurent un future
encourageant. Nous croyons aussi qu’il est nécessaire d’établir un lien
dans le cadre du 5+5 déjà que nombre des activités qui se réalisent sont
très proches des compétences des ministres de l’Intérieur.
Une coopération pragmatique et équilibrée fait que l’Initiative s’érige
comme un modèle de coopération entre l’UE et l’Afrique et comme
banc d’essais pour de futures expériences.
En définitive, le projet de l’Initiative 5+5 de Défense est une structure de
blocs de construction qui nous permet de voir la Méditerranée, en ces
moments réduite à sa dimension occidentale, sous une perspective de
coopération collective. La gouvernementalité de cette mer est une responsabilité partagée. Le succès de l’Initiative réside en sa propre nature,
décrite préalablement et en son adhésion à certains principes connus
comme « pense globalement, commence pratiquement et agi localement » et, après la rencontre d’Evora, « coordonne régionalement ».
Il est essentiel de travailler en équipe pour harmoniser les questions et
établir des synergies.
40­
Coopération dans les pays de la Méditerranée occidentale : L’Initiative 5+5 de défense
•
Le rôle de l’OTAN en Méditerranée et dan les
Grand Moyen-Orient
Alberto Bin
Responsable du Dialogue Méditerranéen, Initiative de Coopération
d’Istanbul et Section de Contact avec les Pays,
Division des Affaires politiques et Politique de Sécurité,
Personnel International de l’OTAN
.
C
es dernières années, j’ai vaincu de très près l’évolution de la coopération de l’OTAN avec les autres pays tant méditerranéens que
du Moyen-Orient et j’aimerais souligner l’énorme potentiel de
cette coopération. Dans notre monde actuel les effets tant positifs que
négatifs de la globalisation sont évidents. Dans un contexte international
volatil, de plus en plus complexe et aux changements trépidants, la coopération se présente comme l’unique forme effective pour nos pays afin
de protéger leur sécurité.
Depuis ses débuts il y a presque 60 ans, dans des circonstances très différentes des circonstances actuelles, l’OTAN a compris l’importance de
la coopération. L’OTAN fut créée pour rapprocher l’Amérique du Nord
et l’Europe afin d’affronter les défis de sécurité d’une Europe divisée.
Heureusement, la Guerre Froide s’est terminée il y a quelque temps, en
même temps que l’ancienne alliance de l’OTAN de cette période.
Dans un contexte
international volatil, de
plus en plus complexe
et aux changements
trépidants, la
coopération se
présente comme
l’unique forme
effective pour nos pays
afin de protéger leur
sécurité
Comme alors, l’OTAN continue d’avoir deux traits distinctifs qui lui conférèrent la force et la cohésion nécessaires pour s’adapter et répondre aux
circonstances changeantes. D’un côté, l’OTAN unit l’Amérique du Nord à
l’Europe –deux continents qui ont non seulement un degré de coopération
privilégié entre eux, mais qui en plus se sentent dans l’obligation de contribuer à la stabilité mondiale. D’un autre côté, l’OTAN continue de présenter
des mécanismes de consultation politique exceptionnels et une structure militaire capable de mettre en marche les décisions convenues par ses membres.
En même temps, la coopération au sein de l’OTAN en matière de sécurité a évolué vers une nouvelle nature totalement différente. Il n’est plus
nécessaire de défendre l’Europe occidentale de la menace d’une invasion
massive de la partie orientale. Maintenant, la coopération au sein de
l’OTAN se dirige vers les nouveaux défis en matière de sécurité come le
terrorisme, la prolifération d’armes de destruction massive (ADM) et l’instabilité due aux états fragiles ou en déliquescence. Ainsi donc, quelles
différences rencontrons nous entre l’OTAN du 21ème siècle et l’ancienne ? Je crois que nous pouvons en faire ressortir essentiellement trois.
En premier lieu, la perception de la sécurité. En essence, les 26 membres de l’OTAN s’accordent à dire que concevoir la sécurité en se basant
uniquement sur des paramètres géographiques et territoriaux est une
41­
•
approche excessivement limitée pour affronter les risques et les défis, qui
actuellement ne connaissent pas de barrière. Nous ne pouvons pas nous
permettre d’attendre que ces défis se présentent à nous, mais au contraire nous devons être prêts pour les affronter dès qu’ils apparaissent, en ce
compris quand ils ont des origines au-delà des frontières traditionnelles
européennes.
Pour cela, l’OTAN dispose actuellement de plus de 50.000 troupes
déployées en grand nombre de missions très exigeantes dans les trois
continents. En Europe, l’OTAN continue à maintenir la paix dans les
Balkans, et plus spécialement au Kosovo. En Méditerranée, nous avons
l’opération maritime de l’Alliance “Active Endeavour” réalisée par des
patrouilles navales pour lutter contre le terrorisme. En Afghanistan,
l’OTAN dirige la Force Internationale d’Assistance à la sécurité, un des
compromis de grande envergure, qui comprend des tâches de maintien
de la paix et de combat. En Irak, l’OTAN a établi une mission d’entraînement pour aider à former les forces de sécurité iraquiennes. En Afrique,
l’OTAN apporte son soutien à l’Union Africaine dans sa mission de
maintien de la paix au Darfour. De même, en de nombreuses occasions,
l’OTAN a démontré sa capacité d’assistance dans les opérations internationales d’aide humanitaire. Elle l’a fait après le terrible tremblement de
terre qui frappa le Pakistan en 2005 et plus récemment dans le contexte
des opérations de sauvetage après l’éruption d’un volcan dans une île au
devant de la côte du Yémen. Dans les deux cas, l’OTAN est intervenue
après demande spécifique des autorités locales.
Je voulais signaler qu’aucune de ces missions n’a pour objectif la défense
du territoire ni ne poursuit une victoire militaire dans le sens territorial.
Je voulais aussi souligner qu’elle ne désir pas jouer le rôle de police
mondiale toujours prête à solutionner les problèmes du monde. Nous
avons compris que, à l’ère de la globalisation, l’OTAN doit avoir un rôle
beaucoup plus actif dans la promotion de la stabilité et la sécurité. Ceci
ne signifie pas que l’OTAN doive s’imposer, mais au contraire, qu’il est
nécessaire de travailler côte à côte avec d’autres pays et d’autres organisations internationales.
Ceci nous amène à la seconde caractéristique fondamentale de l’OTAN
actuellement : notre proximité avec d’autres institutions. Le cas de
l’Afghanistan en est la meilleure illustration. Nous savons que le succès
en Afghanistan ne dépend pas exclusivement de l’OTAN mais implique
une meilleure sécurité et un meilleur développement, les deux allant de
paire. La reconstruction et le développement ont débuté quasi de zéro ;
il est nécessaire de créer un nouveau processus politique, la lutte et la
construction des structures nationales doivent être menée en parallèle, et
les voisins régionaux doivent s’impliquer dans tout ceci.
Pour tout cela en Afghanistan, comme ailleurs, l’OTAN n’agit pas seul.
Évidemment nous travaillons en collaboration avec les gouvernement
impliqués. Toujours plus, nous collaborons également avec d’autres
institutions plus importantes, comme les Nations Unies (ONU), l’Union
Européenne (UE) ou la Banque Mondiale (BM) et avec des organisations
non gouvernementales (ONG). Comme je le mentionnais antérieurement,
cet effort de coopération international est l’unique approche possible
pour la sauvegarde de la sécurité dans un monde globalisé.
42­
Le rôle de l’OTAN en Méditerranée et dan les Grand Moyen-Orient
•
La troisième caractéristique significative de l’OTAN actuellement est son
travail en association. La promotion de la sécurité est une tâche ardue
dont les 26 états membres de l’OTAN sont conscients qu’elle requiert la
collaboration d’autres pays – pays qui aussi sont conscients qu’ils ne sont
pas exempts de nouveaux risques et menaces globales; pays disposés à
travailler avec nous pour faire face à ces défis communs.
Il abonde de pays qui veulent collaborer. À l’heure actuelle, 18 pays
membres ont des forces sous le mandat de l’OTAN, côte à côte avec nos
troupes dans des opérations très exigeantes. L’OTAN se trouve au centre
d’un vaste réseau d’associations qui s’étend dans toute l’Europe, l’Asie
centrale, le nord de l’Afrique, le Moyen-Orient et y compris au-delà.
Dans le milieu des années 90, l’OTAN fit le premier pas dans le rapprochement de ses voisins du Sud avec le Dialogue Méditerranéen. Son objectif
sera d’établir une nouvelle relation entre l’OTAN et quelques pays du nord
de l’Afrique et du Moyen-Orient. Il y a trois ans de cela, l’Initiative de
Coopération d’Istanbul (ICI) a étendu cette offre aux États du Golfe.
Le Dialogue
Méditerranéen et l’ICI
poursuivent encourager
la compréhension
mutuelle, améliorer
la transparence et
le compromis de
coopération en affaires
ponctuelles d’intérêt
mutuel
Dans le fond, le Dialogue Méditerranéen et l’ICI poursuivent les mêmes
objectifs : encourager la compréhension mutuelle, améliorer la transparence et le compromis de coopération en affaires ponctuelles d’intérêt
mutuel. L’approche de base du Dialogue Méditerranéen et de l’ICI peut
se résumer facilement ainsi : l’OTAN n’impose rien à ses partenaires mais
elle leur offre la possibilité de travailler ensemble dans des domaines
dans lesquels elle a de l’expérience et dans lequel ses partenaires peuvent
définir leurs nécessités spécifiques et démontrer l’authentique appropriation du projet. De plus, l’OTAN veut compléter la coopération actuelle
de ses partenaires dans d’autres scénarios et avec d’autres acteurs internationaux. Il ne s’agit pas de dupliquer ou de compliquer la coopération
existante, mais de se concentrer sur des domaines dans lesquels l’OTAN
peut apporter une valeur ajoutée, qui est dans la coopération pratique.
Jusqu’à présent les résultats sont positifs. Pour le moment, sept pays de
la rive sud de la Méditerranée se sont joints au Dialogue Méditerranéen :
l’Algérie, Israël, la Jordanie, la Mauritanie, le Maroc, et la Tunisie. Quatre
pays du Golfe participent à la ICI : le Bahreïn, le Koweït, le Qatar et les
Émirats Arabes Unis. Les contacts politiques ont par ailleurs augmenté
considérablement. Des réunions ministérielles du Dialogue Méditerranéen
ont été tenues à Bruxelles en 2004, à Taormina en 2006 et à Séville en
2007. La prochaine rencontre est prévue pour le 7 décembre 2007 à
Bruxelles. Le Conseil de l’OTAN au complet – le corps politique avec la
plus haute autorité de l’Alliance – rendit visite au Maroc et au Koweït.
Les chefs d’État Major des pays qui participent à l’OTAN et au Dialogue
Méditerranéen se réunissent régulièrement au siège central de l’OTAN.
Nous avons aperçu une augmentation significative de la coopération pratique, dans des domaines qui vont depuis le partage des connaissances
d’intelligence à travers l’interopérabilité militaire et la participation dans
des exercices militaires, jusqu’à la réforme du secteur de la sécurité. Ainsi
donc, nous pouvons établir un équilibre entre la non-discrimination – un
principe fondamental pour toutes nos initiatives dans la région – et la
nécessité de différenciation développant les Programmes de Coopération
Individuel (PCI). Israël fut le premier à développer un PCI, suivi par l’Egypte, qui y a mis un point final récemment.
43­
Alberto Bin
•
Dans moins de deux
ans, l’OTAN aura 60
ans grâce à sa grande
capacité d’adaptation
Maintenant donc, le défi est de continuer à progresser et renforcer ce
qui a été acquis. Je suis convaincu que c’est plus possible que jamais.
Cela fait moins d’un an, lors du Sommet de Riga, les chefs d’Etat et de
gouvernement de l’OTAN ont décidé de renforcer les mécanismes d’association de l’OTAN. Ce pas important ouvre les portes à de nouvelles
possibilités de coopération dans trois domaines essentiels.
En premier lieu, de nouvelles opportunités émergeront pour le dialogue
politique et la consultation entre les membres de l’OTAN et un ou plusieurs partenaires du dialogue Méditerranéen ou de la ICI qui participent
aux opérations de l’OTAN. Ceci donnera plus de substance aux deux
cadres et permettra de répondre mieux à de futures événements.
En deuxième lieu, le Dialogue Méditerranéen et l’ICI pourront bénéficier de certains des outils pour l’association qui, jusqu’alors, étaient
seulement disponibles pour les membres du cadre plus complexe de l’Association pour la Paix (Partnership for peace), ce qui accroîtra l’intensité
de la coopération.
Finalement, et peut-être le plus important, nous lançons l’ainsi nommée
Initiative de coopération pour la Formation de l’OTAN. Au travers de
quasi six décades de coopération militaire entre les Alliés, l’OTAN a acquis
une expérience enrichissante dans l’éducation et la formation. En partageant cette expérience avec ses partenaires de la Méditerranée et de la
région du Golfe elle ferait un pas de plus vers l’interopérabilité humaine,
tellement importante tant pour le succès des futures missions partagées
que pour la coopération quotidienne. Actuellement nous travaillons pour
l’établissement de cette nouvelle initiative, en ce compris à travers l’établissement d’une faculté dans le Collège de Défense de l’OTAN à Rome.
Dans la phase d’implémentation des nouvelles opportunités de coopération, nous continuons de travailler de près avec de nouveaux partenaires
dans la région. Nous croyons que la co-appropriation entre des partenaires analogues est la clé pour la coopération. Nous défendons aussi une
coopération bidirectionnelle, qui ne double pas les efforts des autres et qui
n’impose rien à personne. Tous ces principes continuent à guider la coopération avec nos partenaires tant en Méditerranée qu’au Moyen-Orient.
Dans moins de deux ans, l’OTAN aura 60 ans. C’est un âge avancé pour
une alliance d’états souverains, mais à regarder l’agenda chargé de l’OTAN
la raison pour laquelle l’Alliance a été maintenue opérationnelle pendant
tant de temps est évidente : parce qu’elle a une grande capacité d’adaptation à un paysage stratégique changeant. Le Dialogue Méditerranéen et
l’Initiative de Coopération d’Istanbul sont chacun un exemple de l’habilité
unique d’adaptation qui doit être préservé.
44­
Le rôle de l’OTAN en Méditerranée et dan les Grand Moyen-Orient
•
SCÉNARIOS DE SÉCURITÉ ET
D’INSÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE
• Comprendre la sécurité autrement :
une issue à l’impasse du processus de
Barcelone
Álvaro de Vasconcelos
• Les défis sécuritaires au Maghreb
Khadija Mohsen-Finan
• LA PAIX ISRAELO-ARABE ET LA Sécurité
AU MOYEN-ORIENT
Shlomo Ben Ami
• Sécurité et insécurité au Moyen-Orient
Fred Halliday
• Sécurité et insécurité en Méditerranée :
une perspective nord-américaine
Ian O. Lesser
• LES DÉFIS SÉCURITAIRES DANS LA MÉDITERRANÉE
SUD-ORIENTALE : IMPLICATIONS POUR L’UE
Meliha Benli Altunisik
45­
•
Comprendre la sécurité autrement : une issue à
l’impasse du processus de Barcelone
Álvaro de Vasconcelos
Directeur, Institut d’Études
sur la Sécurité de l’Union Européenne (ISS-EU), Paris
L
e constat d’échec du processus de Barcelone semble aujourd’hui
de plus un plus accepté. Il est partagé par beaucoup de capitales
et notamment par les pays d’Europe du sud -mais pas seulementdevenant aujourd’hui le centre du débat euroméditerranèen. Il me
semble alors important d’aborder ici le rapport entre l’analyse que nous
faisons de la problématique de sécurité en Méditerranée et ce constat
d’échec du processus de Barcelone.
Au niveau sécuritaire, il y a une dysfonction entre les valeurs que l’on
avait fixées, que l’on avait annoncé quand nous avons lancé le processus
de Barcelone et l’analyse qu’on fait de la problématique de la sécurité en
Méditerranée et du défi du sud de la Méditerranée à l’Union Européenne.
Ce décalage est une des raisons centrales de ce constat d’échec. À savoir,
nous avons annoncé ici, à Barcelone, ça fait déjà 12 ans, que notre objectif
était de créer une zone intégrée euroméditerranéenne, basée sur la démocratie et les droits de l’homme et que nous allions le faire par un processus
à long terme d’intégration économique, politique et sociale. Mais en même
temps, déjà en 1995 (ça n’a pas changé dans l’essentiel) on a fait une analyse des défis auxquels on devait faire face qui ne correspond pas, de mon
point de vue, à la réalité. Je dirais même qu’elle est en contradiction même
avec la possibilité de mener à bien ces objectifs.
Au niveau sécuritaire,
il y a une dysfonction
entre les valeurs que
l’on avait fixées et
l’analyse qu’on fait
de la problématique
de la sécurité en
Méditerranée
À partir de 1995 on a considéré que le grand défi pour l’UE dans la
Méditerranée était l’islamisme politique. On considérait que les pays du
sud qui faisait face à un changement politique étaient en crise (du point
de vue économique et sociale) lorsque l’alternative aux régimes existants
étaient de forces politiques qui apparaissaient comme un véritable danger aux yeux de l’UE : on les comprenait pas, on les aimait pas, on avait
peur de son arrivée au pouvoir et on a développé pendant ces années
une politique qui avait comme objectif les neutraliser ou, au moins, les
rendre incapables de participer activement dans la vie politique.
La base du constat d’échec que l’on fait aujourd’hui, même si elle n’est
pas la seule, a à voir avec le fait que, 12 ans après, toutes ces forces
politiques n’ont pas été neutralisées, n’ont pas été éliminées mais elles
sont devenues plutôt des forces incontournables. Des forces qui y étaient
peut-être déjà mais qu’aujourd’hui elles y sont d’une façon plus évidente
et se sont constituées en tant que véritables alternatives politiques aux
47­
•
Il y a de forces
politiques islamistes,
qui ont une référence
à la religion dans sa
culture politique et
qui sont en même
temps des acteurs
du changement
démocratique
gouvernements qui ont dirigé ces pays pendant toutes ces dernières
années. C’est dans cette analyse que réside une partie importante du
constat d’échec du processus et il est alors importante dans notre discussion sur les défis de la sécurité en Méditerranée d’être capable de faire
une analyse plus précise, plus proche de la réalité, plus capable de comprendre le changement politique dans la région, enfin plus capable de
comprendre ce qu’on appelle le « phénomène islamiste ».
Pour arriver à cette analyse, il faut abandonner une approche de la problématique euroméditerranéenne qui est basé sur une analyse que j’appellerais,
pour simplifier, culturaliste. Tout homme de bon sens dirait que prévoir un
clash of civilizations ne fait pas de sens. Mais ça ne veut pas dire qu’on
n’accepte pas le donné essentiel de cette analyse qui fonde finalement la
conviction de Samuel Huntington et, disons, des culturalistes. Cette donnée
essentielle serait d’une part, que les civilisations sont des acteurs politiques
et donc, quand elles se mettent en rapport, nous serions ou bien en face
d’un dialogue, ou bien d’un choc. Le dialogue c’est une vision positive mais
ça serait le huntingtonnisme positive du choc de civilisations. Et d’autre part,
que les islamistes seraient les représentants les plus claires, les plus avancés,
de cette perspective civilisationnelle, de ce choc de civilisations –par leur
référence claire à la religion, à la culture, à la civilisation ; mais aussi, pour
beaucoup d’eux, parce qu’ils croient que les civilisations sont des acteurs
politiques et que eux ils sont les représentants d’une certaine civilisation ; par
leur méfiance de l’influence culturelle de l’occident ; et parce que, les plus
extrémistes, ils ont une perspective aussi de choc de civilisations. Ils seraient
donc le grand défi à l’UE.
En ce point il me semble central comprendre que les gens ont des identités
multiples. Il y a un livre d’Amartya Sen1 sur la problématique des identités,
où il l’exprime d’une façon très brillante et claire cette idée. L’argument
de base dans sa critique du culturalisme, est justement l’incapacité pour
beaucoup d’accepter multiplicité de l’identité. Nous ne sommes jamais une
seule chose, esclaves de sa culture, de sa religion ou de sa civilisation : il y
a des hommes qui sont des démocrates et islamistes en même temps, des
démocrates et non islamistes, mais parmi les islamistes des démocrates et
islamistes qui peuvent avoir ces deux identités de la même manière que l’on
peut être démocrate, islamiste et favorable à une intégration avec l’UE et
en même temps croire à l’idée d’une Union Euroméditerranéenne qui serait
alors une troisième identité. Ce livre nous empêche de continuer à penser la
situation méditerranéenne de la même manière. Cette idée change la compréhension du phénomène islamiste, de son énorme diversité, du fait que les
islamistes ne sont pas tous de terroristes. Il y a de forces politiques islamistes,
prenons pour cas l’AKP en Turquie (même si l’AKP n’aime pas qu’on rappelle
que son identité vient de l’islamisme politique), ou le PJD au Maroc, qui ont
une référence à la religion dans sa culture politique et qui sont en même
temps des acteurs du changement démocratique.
L’importance de cette analyse pour les relations euroméditerranéennes et
pour la sécurité en Méditerranée est bien évidente si l’on prend la question
de la Palestine. Aujourd’hui la stratégie de sécurité de l’UE –et il s’agit d’une
perspective très partagée- voit la question israélo-palestinienne comme la
question centrale en Méditerranée. Elle considère ainsi que la résolution
de la problématique israélo-palestinienne non seulement ferait avancer
les relations euroméditerranéennes mais ferait aussi reculer le radicalisme,
48­
Comprendre la sécurité autrement : Une sortie de l’impasse du Processus de Barcelone
•
l’extrémisme identitaire, d’une façon significative. Il s’agirait donc d’une
contribution majeure à la stabilité et la sécurité en Méditerranée. Pourtant
l’incapacité de comprendre le phénomène islamiste, la tendance à voir dans
tout l’islamisme un ennemi mortel des valeurs occidentales a fait que l’UE
(et pas seulement l’UE qui n’est peut-être même pas le déclencheur de cette
position), a été incapable d’accepter les résultats des élections palestiniennes
qui ont donné la victoire à Hamas, un parti islamiste. Nous trouvons dans cet
événement d’un coté, le caractère incontournable de ce parti et de l’autre,
notre incapacité pour accepter leur rôle dans la vie politique et les conséquences de cette incapacité, c'est-à-dire, une situation très dégradée, avec
une profonde division des forces politiques palestiniennes, un affaiblissement de la cause de la construction d’un état palestinien et tout ce qui s’en
découle. Il n’est pas nécessaire d’insister à ce propos car aujourd’hui tout le
monde réalise que sans un engagement de Hamas il n’y aura pas une sortie
pour la situation palestinienne. Le 27 de novembre il y aura une Conférence
de paix à Annapolis sur la question israélo-palestinienne, que espérons soit
un grand succès, mais difficilement sera le cas si toutes les forces palestiniennes ne sont pas engagées dans le processus. Elle sera peut-être le début
d’un processus, mais sans engager toutes les forces politiques palestiniennes
le leader de la Palestine est évidemment très affaibli, incapable de mettre en
pratique ce qu’il pourrait éventuellement accepter dans cette conférence.
Il faut changer la
conception politique
dans le domaine de
la sécurité et ne pas
faire de la question du
terrorisme la question
unique et absolue
Depuis une perspective plus positive, si l’on regarde les élections au
Maroc nous voyons comment le processus de transformation politique
est possible dû au fait que le gouvernement marocain, le roi, a accepté le
PJD en tant qu’acteur du changement politique. Évidemment nous pourrions nous demander qu’est-ce que serait aujourd’hui du Maroc et les
possibilités de son intégration euroméditerranéenne si le Maroc n’avait
pas accepté le PJD comme un acteur politique, si il l’aurait neutralisé, ou
empêché de participer politiquement. Quelle serait la situation politique
interne au Maroc ? Certainement cette force politique s’aurait radicalisé
et serait un facteur énorme d’instabilité.
Quel est alors notre futur ? D'un coté, on arrive à la fin d'une période où
l'analyse des problèmes de sécurité en Méditerranée était dominée par la
perspective de global war against terrorism. Cette perspective de guerre
globale contre le terrorisme a rendu évidemment très difficile la relation
avec les partis islamistes car c'est vrai qu’une partie du courrant islamiste,
le courrant plus radical, plus extrémiste, minoritaire mais existant, a fait du
terrorisme une arme dans son action politique. Le fait d’avoir globalisé le
phénomène et de considérer le terrorisme comme une menace semblable a
ce qu'était l'Union Soviétique pendant la Guerre Froide empêchait de voir les
différences, les distinctions, contextualiser la problématique du terrorisme et
différencier entre les différentes forces politiques.
Il serait intéressant de signaler qu’aujourd'hui aux États-Unis, notamment
dans le secteur démocrate qui très probablement arrivera au pouvoir, mais
même dans des secteurs républicains, la réflexion constate un échec
de cette conception. On considère donc qu’il faut changer la conception
politique dans le domaine de la sécurité et ne pas faire de la question du
terrorisme la question unique et absolue. On récupère d’autres problèmes
comme des questions sociales, des questions politiques, des questions de
démocratie, des questions de droits de l'homme, des questions de pauvreté,
etc. que dans beaucoup de circonstances sont plus importantes, plus signifi-
49­
Álvaro de Vasconcelos
•
catives pour la stabilité et pour la sécurité que le terrorisme. Évidemment, ce
changement aux États-Unis facilitera aussi le changement dans le monde et
certainement aura un grand impact en Europe.
Finalement, il faudrait se demander qu'est-ce que nous avons à faire en tant
qu’européens, euroméditerranéens et européens du Sud. Si j’ai signalé pour
commencer qu’on avait un constat d'échec, il faut aussi dire que devant ce
constat d'échec il y a eu de propositions osées comme par exemple la création de la Union Euroméditerranéenne. L'idée qui est à la base du lancement
de cette proposition est ce constat d'échec et la perception de la nécessité
de faire plus, du besoin d’aller au-delà de cet échec. Mais qu'est-ce qu'il
faudrait faire de plus? Est-ce qu'il faut faire plus en tant que méditerranéens
(ce qui, évidemment, a un rôle particulier a jouer), ou est-ce qu'il faut faire
plus en tant que euroméditerranéens? Est-ce que le type de questions que
j'ai soulevées sont mieux résolues par une coopération étroite seulement
entre les pays du parcours méditerranéen ou sont mieux résolues par un
engagement fort de l'UE? Est-ce qu'il faut parler d'Union Méditerranéenne
ou d'Union Euroméditerranéenne? À mon avis, la réponse a trouver est
dans cette perspective euroméditerranéenne pour une raison simple: si l’on
se place seulement dans le méditerranéen, l'accent est mis dans l'intergouvernementale, il est mis dans la coopération entre les états, ce qui est
évidemment une composante essentiel, mais on perd la dimension communautaire, la dimension d'engagement politique, la dimension sociale, la
dimension de soutien à la société civile, à la démocratisation, etc. qui est
la partie plus intéressante dès mon point de vue du processus euroméditerranéen. Cette partie-ci est la partie de succès du processus de Barcelone et
il ne faut pas la jeter de coté mais, tout au contraire, la développer en tirant
profit de cet en-plus qui est donné par de bases euroméditerranéennes.
Il faut qu'on aie bien en tête que dans toutes ces années de difficultés du
Processus de Barcelone il y a eu seulement un engagement avec la société
civile, qu'il y a eu aussi un engagement dans le domaine économique et qu'il
y a eu aussi des progrès qui ont été faits en utilisant les instruments communautaires de l'UE. Il faut alors les ressembler. Si nous avons une vision, un
défi qui ne soit pas le sécuritaire purement mais le sécuritaire dans un sens
plus large, on se rendra compte que le grand atout de l'UE est cette combinaison entre le communautaire et le politique. C'est en travaillant cette
cohérence entre la coopération politique, la coopération intergouvernementale, comme c’est déjà le cas avec le 5+5 dans le domaine de la sécurité, et
les efforts communautaires d'intégration économique, de soutien à la démocratie et aux droits de l'homme que l’on pourra aller de l'avant. Espérons
alors, pour conclure, que ce débat sur l'Union Méditerranéenne renforce
une perspective euroméditerranéenne et pas seulement méditerranéenne.
Note
1. Amartya Sen, Identity and violence: the illusion of destiny, New York: W. W. Norton&Co. cop., 2006.
50­
Comprendre la sécurité autrement : Une sortie de l’impasse du Processus de Barcelone
•
Les défis sécuritaires au Maghreb
Khadija Mohsen-Finan
Chargé de Recherche à l’Institut français des relations internationales (IFRI)
et enseignante à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris
D
ans les pays du Maghreb, la menace de type sécuritaire est
aujourd’hui multiforme, conjuguant des éléments traditionnellement ancrés dans l’environnement de cette région, comme
la tension entre Alger et Rabat et son point de cristallisation autour du
conflit du Sahara occidental et des éléments qui constituent une donne
nouvelle comme l’alliance passée entre Al-Qaïda et deux formations islamistes de la région : le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le
combat) algérien et le Groupe islamique combattant en Libye.
Il existe également des points de convergence entre les facteurs considérés comme anciens et les nouveaux qui pourraient se rencontrer dans
cette fameuse bande sahélienne où l’autorité des États ne s’exerce pas.
Ce qui a
fondamentalement
changé au niveau
des défis de type
sécuritaire, c’est
l’inscription de l’Islam
radical au plan
internationa
En réalité, ce qui a fondamentalement changé au niveau des défis de
type sécuritaire, c’est l’inscription de l’Islam radical au plan international. Cela s’accompagne bien sûr de méthodes nouvelles, importées du
Moyen-Orient par des Maghrébins ayant séjourné en Afghanistan, ou
tout simplement observées sur des sites internet.
Autrefois, que ce soit dans les années quatre-vingt avec les émeutes du
pain, ou encore dans les années quatre-vingt-dix avec la guerre civile
algérienne, les phénomènes étaient nationaux. Aujourd’hui, l’ennemi est
beaucoup plus difficile à identifier, et les objectifs des actes terroristes ne
sont pas précis. Les méthodes empruntées rendent les moyens de lutte
traditionnels peu opérants et donnent le sentiment que les pouvoirs en
place ont de moins en moins de maîtrise sur la sécurité de leurs pays.
Par ailleurs, cette menace n’est pas localisée, elle est diffuse, tous les
lieux, tous les pays sont exposés à la violence. Le ralliement du GSPC à
Al-Qaïda octroie également à ce mouvement une légitimité qui lui est
très utile pour reconstituer des réseaux de jeunes désireux d’aller combattre en Irak, ou encore candidats au suicide; une facilité à reconstituer
les réseaux qui révèle l’existence d’une jeunesse, aussi minoritaire soitelle, dénuée de rêves, de projets et sans intégration réelle, qu’elle soit
sociale ou politique, dans la société dans laquelle elle vit. Ces jeunes ne
négocient plus avec l’État, considéré comme corrompu, impie et allié des
Occidentaux, leur mode d’expression est radicalement différent, puisqu’ils
choisissent de vaincre l’ennemi au prix de leur propre destruction.
51­
•
Un terrorisme d’un type nouveau
Le projet des nouveaux
jihadistes est global : il
dépasse les frontières
du pays et peut-être de
la région
L’année 2007 a été marquée par des attentats d’un type nouveau. Qu’ils
soient revendiqués ou non par Al-Qaïda, ils en portent indéniablement
la marque : voitures piégées, attentats simultanés, opérations suicides
synchronisées, choix symbolique des dates et des cibles, le mode opératoire est de plus en plus sophistiqué avec une mise à feu à distance,
au moyen de téléphones mobiles. Ces attentats s’inscrivent désormais
dans la mouvance islamiste internationale et n’épargnent aucun pays
de la région. Dans la Tunisie de Ben Ali, fortement sécurisée, un groupe
salafiste s’apprêtant à commettre des attaques à été démantelé en
décembre 2006. Au Maroc, en avril 2007, les opérations kamikazes de
Casablanca ont dramatiquement ravivé le souvenir de mai 2003, lorsque
des attentats-suicides simultanés se sont produits dans divers lieux symboliques de la capitale économique faisant 43 morts.
En Algérie, l’ancien GSPC, rebaptisé Al-Qaïda dans le Maghreb islamique, montre qu’il a accru ses capacités opérationnelles, qu’il a retrouvé
sa force de frappe, un temps réduite par l’armée algérienne. Sa maîtrise,
bien qu’imparfaite à frapper les symboles du pouvoir et de l’Occident
indique que, contrairement aux déclarations des autorités algériennes, la
violence radicale n’est pas résiduelle.
L’ancien GSPC dispose également d’une capacité, sans doute accrue
depuis son alliance avec Ben Laden, à reconstituer les réseaux de jihadistes candidats au suicide pour commettre des attentats ou aller en Irak.
Ces jeunes sont souvent algériens, mais le démantèlement de certains
réseaux a montré qu’ils pouvaient aussi venir des pays voisins.
Les nouveaux jihadistes se donnent pour objectif de déclarer la guerre aux
dirigeants politiques des pays de la région qu’ils jugent impies, corrompus
et inféodés aux États-Unis et aux Occidentaux. Ils se différencient ainsi du
Front islamique du salut (FIS) ou encore du Groupe islamique armé (GIA)
qui entendaient inscrire leurs actions dans un cadre algérien, dans le but de
mettre en place un État islamique. Le projet des nouveaux jihadistes est global : il dépasse les frontières du pays et peut-être de la région.
C’est précisément ce projet qui fait craindre aux états du Maghreb une
vague fondamentaliste depuis le ralliement des deux groupes précités
à la nébuleuse internationale de Ben Laden. Toutefois, pour l’heure, et
indépendamment de la simultanéité des attentats du 11 avril, ainsi que
la présence de Tunisiens et de Mauritaniens dans les camps d’entraînement de l’ex-GSPC, on ne peut parler de commandement unifié.
Pensée par Ayman El Zawahiri, la fédération des mouvements islamistes du
Maghreb, qui aurait entre autres avantages de constituer un front proche
de l’Europe n’est pas encore réelle. Au Maroc, par exemple, si les attentats
suicides survenus le 11 mars et le 10 avril 2007 s’apparentent aux méthodes d’Al-Qaïda, leur commandement est totalement autonome. Il s’agit de
cellules islamistes radicales dont les objectifs sont différents. Si le Groupe
islamique combattant marocain (GICM) reste l’organisation de référence,
il en existe d’autres, déterminées à atteindre des cibles variées comme les
symboles du pouvoir, les Occidentaux ou encore les touristes. En 2006, les
services de sécurité marocains ont démantelé onze réseaux d’agents recru-
52­
Les défis sécuritaires au Maghreb
•
teurs de combattants en Irak. Ces réseaux étaient animés par le GICM et
l’un d’entre eux aurait envoyé près de 40 marocains combattre en Irak après
les avoir entraînés dans le nord du Mali1.
Le démantèlement régulier de cellules prêtes pour des attaques terroristes
indique qu’il y a bien persistance de la menace du 16 mai 2003. Comme
dans le cas du GSPC algérien, ces groupes marocains affichent une capacité
certaine à régénérer les réseaux et ce en dépit d’une très grande surveillance de la part des forces de l’ordre. Il existe un ensemble de groupuscules
violents et dépourvus de projet politique. Ils s’inspirent du salafisme international et se nourrissent et coexistent avec la petite criminalité.
En l’absence de commandement unifié, on voit donc que dans le
Maghreb d’aujourd’hui, des pratiques salafistes se déploient différemment, et ce parce que l’islamisme s’élabore de manière interactive avec
son environnement.
La bande sahélienne
En réalité nous ne disposons que de peu d’éléments tangibles sur cette
bande sahélienne de plusieurs milliers de kilomètres qui va de l’Atlantique jusqu’au Tchad. Longtemps abandonné aux seuls Touaregs et aux
trafiquants de tout genre, ce territoire fait aujourd’hui figure de zone
grise rebelle à l’autorité des États de la région.
Différents facteurs expliquent l’appréhension des Américains, des
Européens et des États maghrébins quant à cette zone peu contrôlée.
D’une part, la porosité des frontières permet la circulation de personnes et de produits de toutes sortes : armes, cigarettes en contrebande,
marchandises dont le commerce est plus ou moins licite. Cette circulation de personnes et de produits est facilitée par le fait que cette zone
sahélienne est entourée de pays dont les appareils sécuritaires sont particulièrement faibles pour pouvoir contrôler l’ensemble de leurs territoires,
jusqu’aux frontières.
La faiblesse de ces États sahéliens, lourdement endettés et mal structurés au plan politique est d’autant plus à craindre qu’ils jouxtent des
pays considérés comme des foyers actifs ou potentiels de l’Islam radical
comme le Soudan, la nord du Nigeria ou encore l’Algérie2.
Véritable territoire sans maître, il pourrait servir de lieu d’entraînement
aussi bien aux candidats venus des pays limitrophes, d’Europe ou
d’ailleurs, comme aux groupes Jihad islamistes ayant des difficultés à
opérer en Algérie. Potentiel ou réel, ce refuge d’islamistes pouvant
se regrouper, s’entraîner et éventuellement concevoir des opérations
terroristes nourrit une véritable fixation chez les Américains. Dès
2002, ils mirent en place une lutte concertée entre les différents
États de la région baptisée alors Pan-Sahel Initiative, qui deviendra
en 2005 la Trans-Sahara Counterterrorism Initiative (TSCTI). Doté
de 100 millions de dollars par an sur une durée de cinq ans, ce
programme a vocation à venir en aide aux sept pays qui bordent le
Sahara dans leur lutte contre le terrorisme.
53­
Khadija Mohsen-Finan
•
Dans les faits, cette « coordination sur le terrain » renvoie à des moyens
relativement rudimentaires comme apprendre aux armées de la région à
manier le matériel militaire, à se coordonner et à tirer profit des renseignements fournis par Washington ou encore Paris.
En outre, les sept États qui participent à cette coordination semblent
concevoir différemment la lutte contre le terrorisme. Tandis que pour
les Américains, elle passe nécessairement par un entraînement des
forces locales qu’il faut doter des moyens nécessaires pour combattre les islamistes, pour les Maliens, ce ne sont pas les islamistes qu’il
faut combattre en priorité mais bien la contrebande rendue possible
par le faible contrôle étatique sur le Nord du Mali. Pour Bamako,
c’est la fragilité des États et la porosité des frontières qui constituent
la première menace.
Parallèlement à ces conceptions divergentes de la menace et des moyens
nécessaires pour la combattre, Alger a pendant un temps instrumentalisé certains groupes touaregs en les enrôlant dans des unités spéciales de
sécurité pour combattre les islamistes. Stratégie qui fut de courte durée,
puisque ces anciens rebelles touaregs se sont rapidement réconciliés
avec les membres du GSPC.
Cette absence d’unité dans l’appréciation de la menace et de la définition même de l’adversaire à combattre, contribue à précariser les
méthodes préconisées. Comment lutter aujourd’hui contre les réseaux
terroristes dans cette région et quelle est la réalité de la menace qui
règne dans cette fameuse bande sahélienne ? Chacun des États concernés par ce programme de lutte contre le terrorisme pourrait être tenté
d’utiliser l’opacité régnante, la porosité des frontières et le manque
de cloisonnement traditionnel entre trafiquants, commerçants et plus
récemment salafistes, pour se débarrasser de ses ennemis. Un ennemi
qu’il aura défini et qui peut être l’islamiste du GSPC pour Alger ou le
Sahraoui du Front Polisario pour Rabat.
Ces accusations se fondent peut-être sur des observations mettant
en exergue des liens existants entre ces groupes. L’étude conduite
par Altadis sur la contrebande de tabac au Maghreb montre que des
Sahraouis ont été impliqués dans un vaste réseau de contrebande, en
réceptionnant les stocks de cigarettes à Casablanca avant de les redistribuer. Ce trafic qui emprunte des routes variées passe également par
le Sahara occidental et en particulier par la ville de Laayoun, pénètre
en Algérie par Tifariti et Bir Lahlou, points d’eau contrôlés par le Front
Polisario3.
Si aujourd’hui la nature de ces contacts ne semble pas constituer une
menace immédiate et avérée pour les pays limitrophes, les activités de
ces groupes sont rendues possibles par l’absence de contrôle étatique.
Des groupes réfractaires aux États de la région qui pourraient conjuguer
leur rejet des systèmes établis pour faire de cette bande sahélienne un
refuge, une zone de repli pour des opérations de déstabilisation des
pouvoirs en place. D’où la nécessité de pacifier la région, en commençant par mettre un terme au conflit du Sahara, même s’il s’agit d’un
conflit de basse intensité.
54­
Les défis sécuritaires au Maghreb
•
Clore le conflit du Sahara
Toutefois, si Américains, Européens et Marocains s’accordent à penser
que la résolution de ce conflit est un préalable à la pacification de la
région, la difficulté à trouver une solution reste entière.
Si aujourd’hui Rabat présente l’autonomie du Sahara sous souveraineté
marocaine comme une solution inéluctable à ce conflit vieux de plus de
trente ans, il n’en reste pas moins que cette option ne pourra être retenue que si elle est acceptée par tous les acteurs. Or, elle a été rejetée par
le Front Polisario et l’Algérie qui continuent de revendiquer le principe
d’autodétermination pour régler ce contentieux.
La complexité de la situation actuelle tient notamment du fait que les
protagonistes se sont enfermés dans une sémantique réductrice consistant pour les uns à assimiler l’autodétermination à l’indépendance des
Sahraouis, et donc à une défaite du Maroc, et pour les autres à associer
l’autonomie du Sahara à une victoire marocaine, puisque c’est l’option
retenue par Rabat depuis le début des années 2000.
De pacifier la région,
en commençant par
mettre un terme au
conflit du Sahara,
même s’il s’agit d’un
conflit de basse
intensité
Pour sortir de ce dilemme, il aurait fallu que l’une des deux parties puisse
être considérée comme victorieuse dans ce conflit, de manière à dicter
son option en guise de résolution. Cela n’est pas le cas. Rabat et Alger
continuent de nourrir le projet de dominer la région en affaiblissant le
voisin. Cette ambition sous-jacente ne s’est pas évanouie et le Front
Polisario continue d’exister, grâce à l’Algérie et aussi du fait que ce pays
n’a pas abandonné son projet de dominer la région. Or, la visée finale de
la guerre, comme le dit Clausewitz, n’est pas de détruire physiquement
un adversaire mais de briser sa volonté politique. Dans le cas du Sahara,
les deux volontés politiques, aussi antagonistes soient-elles, sont encore
très présentes.
L’erreur des protagonistes consiste ici à penser comme s’il n’y avait de
victoire ou de défaite que par le « tout ou rien » et comme si la mise en
application de sa propre option garantissait forcément sa victoire et la
défaite de l’adversaire.
Compte tenu de ces rigidités stratégiques qui créent forcément un piétinement dans la recherche d’une sortie de crise, le renoncement au
conflit du Sahara par ses acteurs résultera nécessairement d’un apprentissage et d’une maturité politique consistant à abandonner les logiques
nationales et la nécessité de l’existence d’un leadership régional.
Par ailleurs, si la mise en place d’une autonomie au Sahara semble constituer la sortie de crise la plus probable, d’autant qu’elle est
approuvée par les États-Unis, la France et les Nations Unies, elle pose
inévitablement une série de questions au pouvoir marocain d’une part,
aux autres pays de la région ensuite. Pour le Maroc, elle implique une
nouvelle architecture institutionnelle et une révision de la Constitution. Il
s’agit aussi de passer d’un système centralisé à un système décentralisé,
avec tout ce que cela implique pour une monarchie qui « s’est construit
une fonction de gardienne de l’unité nationale et de l’Islam marocain
tout en centralisant son pouvoir »4.
55­
Khadija Mohsen-Finan
•
De fait, les symboles politiques sont toujours très présents dans l’esprit
des Marocains et à Mohammed V « le libérateur » a succédé Hassan II
« l’unificateur » qui, au nom de l’intégrité territoriale, aurait intégré le
Sahara au Maroc.
Il s’agit aussi d’établir un nouveau pacte avec les Sahraouis qui auront
des prérogatives régionales en étant représentés par une Assemblée. Se
pose alors la question de la composition de cette instance. Comment
faire coexister les personnes déplacées de Tarfaya et Goulimine, avec celles venues des villes du Maroc et les éléments du Front Polisario ? Il s’agit
là de légitimité et de représentativité, deux notions intimement liées à la
possibilité de négocier avec Rabat les limites du pouvoir local.
En matière d’éducation, par exemple, est-il possible d’imaginer des programmes scolaires différents des autres régions ? Inversement, s’il y avait
similitude, que resterait-il de l’identité sahraouie et de l’histoire du Sahara
forcément à écrire ? Comment écrire une histoire officielle et refonder un
pacte national en prenant en compte des identités plurielles qui se sont
opposées au prix d’une guerre plus de trois décennies durant ?
Cette autonomie qui pourrait être concédée au Sahara implique pour le
Maroc une transformation affectant son assise territoriale et son régime
interne, pouvant avoir des effets sur son identité politique. Par ailleurs,
cette autonomie pourrait faire école et susciter d’autres revendications
dans des régions où les populations seraient tentées de mettre en avant
leurs identités ou leurs spécificités. Si cela se produisait, nous assisterions
alors à une fragmentation du pouvoir central au profit des identités et
des libertés locales.
Si ce schéma de régionalisation devait prendre forme au Maroc, il pourrait alors séduire des entités originaires de pays voisins, et notamment les
Kabyles qui pourraient revendiquer leur autonomie par rapport à Alger.
Si dans ces cas de figure, il s’agit de fragmentation des pouvoirs centraux et d’une réévaluation de la configuration politique actuelle, il n’est
pas forcément question de risques ou de dangers potentiels, mais plutôt
d’un autre schéma politique qui pourrait même constituer un prélude à
un Maghreb des régions susceptible de se substituer à un Maghreb des
États-nations.
Développement politique et stabilité
Ces défis sécuritaires, de même que le maintien d’un conflit larvé dont
les acteurs peinent à sortir, révèlent l’existence de nouveaux foyers de
tension proches de l’Europe. Cette proximité donne une nouvelle centralité au Maghreb dans les relations internationales.
Pont économique et culturel entre l’Europe, l’Afrique et le MoyenOrient, cette région devient un lieu de tensions exportables, réservoir
d’immigrés originaires du Maghreb ou en transit par ces pays.
Mais cette réappréciation de l’espace Maghreb peut également inciter
Européens et Américains à contribuer à la pacification et au développe-
56­
Les défis sécuritaires au Maghreb
•
ment de cette région, puisque les effets pervers ne peuvent être confinés
d’un seul côté de la Méditerranée.
Cette relation entre développement économique, politique et sécurité est donc réelle. Mieux encore, depuis le 11 septembre 2001, les
Américains sont même allés plus loin en établissant un lien entre l’instauration de la démocratie dans le monde, et en particulier dans le
monde arabe, et leur propre sécurité intérieure.
À l’inverse, dans les pays du Maghreb, les rendez-vous électoraux, organisés
à dates régulières, s’inscrivent dans un climat de changement voulu dans
chacun des pays et sont censés traduire une ouverture politique et exprimer
le lien politique renoué entre électeurs et dirigeants politiques5. Depuis les
années quatre-vingt-dix, les gouvernants déploient un effort considérable
pour respecter le cadre de la légalité constitutionnelle et le calendrier. Ce
souci de la légalité formelle tranche avec les interrogations que l’on peut
avoir sur le sens de ces consultations. Dans chacun des pays, le pouvoir met
en avant le cadre pluri-partisan et organise régulièrement des élections,
en respectant scrupuleusement le calendrier électoral. Il multiplie aussi les
mécanismes de contrôle politique, affichant la transparence comme façon
de rompre avec des périodes révolues. Toutes ces précautions sont censées
donner une cohérence symbolique au pouvoir, tout en affichant un souci de
la légalité constitutionnelle.
En dépit des
aménagements, les
élections indiquent une
volonté de changement
par le haut et elles
sont contrôlées par les
pouvoirs qui hésitent
à associer ou à juguler
les islamistes
Pourtant, et en dépit des aménagements, les élections qui se tiennent
indiquent une volonté de changement par le haut et, malgré un souci
de transparence et d’ouverture, elles sont contrôlées par les pouvoirs qui
hésitent à associer ou à juguler les islamistes.
Les deux élections législatives qui se sont déroulées en Algérie (mai 2007)
et au Maroc (septembre 2007), montrent que, contrairement au modèle
turc, les élites au pouvoir au Maghreb, et plus généralement encore dans le
monde arabe, ne sont pas prêtes à partager la gestion des affaires politiques
avec des partis islamistes, quelle que soit l’importance de leurs bases.
En réalité, la transparence du jeu politique et la pluralité des partis en
compétition créent des espoirs de participation au jeu politique, qui sont
par la suite contredits par la réalité des régimes qui restent au dernier
ressort autoritaires6. Au Maroc, par exemple, la crainte de la victoire du
Parti islamiste de la justice et du développement (PJD), a conduit le pouvoir à redécouper les circonscriptions électorales, ce qui fut préjudiciable
à la formation islamiste. Pourtant, malgré cela, ce parti, qui s’est imposé
dans le domaine politique en l’espace d’une décennie, est arrivé en
second rang, après l’Istiqlal, sans être représenté au Gouvernement.
Ces régimes qui combinent maintien de l’autoritarisme et transparence
électorale apportent pour l’heure une stabilité politique doublée d’une
image d’ouverture. Cela arrange bien les alliés européens et américains qui
ne manquent pas de saluer les résultats de ces élections qualifiées de libres
et transparentes. Mais, à terme, la frustration des militants et des sympathisants de ces partis pourrait contribuer à la désaffection des citoyens à
l’égard des classes politiques, créant un risque de déstabilisation. En effet,
la mauvaise gouvernance et « l'hybridité » des régimes peuvent aussi être
porteuses de risques sécuritaires pour les équilibres politiques.
57­
Khadija Mohsen-Finan
•
Notes
1. Khadija Mohsen-Finan, « Le Jihadisme s’invite au Maghreb » Ramsès, 2007 p. 192.
2. Alain Antil L’Afrique et la guerre contre la terreur, Politique étrangère, Ifri N° 3.2006.
3. Ignacio Cembrero, La contrebande du tabac malmenée par Altadis, Le Journal hebdomadaire, 2-8
juin 2007.
4. Malika Zeghal, Islam, islamistes et ouvertures politiques dans le monde arabe, quelques jalons pour
une approche non culturaliste, in La démocratie est-elle soluble dans l’Islam ? ss dir Hammoudi,
Bauchard et Leveau, IFRI/CNRS éditions, 2007
5. Khadija Mohsen-Finan, « Au Maghreb, ce que voter veut dire », in Marchés Tropicaux et
méditerranéens, mai 2003.
6. Khadija Mohsen-Finan et Malika Zeghal, « Maroc, régime hybride » in Libération, 27 septembre
2007.
58­
Les défis sécuritaires au Maghreb
•
LA PAIX ISRAELO-ARABE ET LA SÉCURITÉ AU MOYENORIENT
Shlomo Ben Ami
Vice-Président du Centre International de Tolède pour la Paix (CITpax).
Ancien Ministre des Affaires Etrangères d'Israël
I
l est difficile d'imaginer l'établissement proche d'un système
de sécurité collectif au Moyen-Orient à cause des craintes pour la
stabilité nationale des régimes de la zone, de l'absence de valeurs
communes entre ses membres et, non le moins important, de l'émergence du fondamentalisme islamique comme une des plus grandes
menaces aux régimes actuels de la région. Cette multiplicité de
menaces convertit la sécurité globale au Moyen-Orient en un concept
hautement problématique.
Un système de sécurité
régional au MoyenOrient restera paralysé
pendant des années
par la perception que
les pays arabes ont
d'Israël
A moins que ne se résolve le conflit israélo-arabe, que se solutionnent
les disputes inter-arabes et que les aspirations nationales des minorités
opprimées ne se satisfassent, la vente sélective d'armes dans la région,
spécialement à pays qui ont une stratégie défensive, se présente comme
l'instrument principal pour maintenir la stabilité et la sécurité de la
région. Parmi ces derniers nous trouvons non seulement la Palestine,
mais aussi le conflit turco-kurde, la structuration du Liban, l'affrontement
entre sunnites et chiites, l'apparition de puissants acteurs non-étatiques
comme le Hamas, qui ont obtenus des succès dans un conflit asymétrique, l'apparition de pouvoirs révolutionnaires comme en Syrie et en
Iran, qui continuent à se doter de la technologie militaire nucléaire, et
l'avancée de "l'axe du mal", dirigé par l'Iran, qui menace d'en finir avec
n'importe quel processus de paix dans la région.
C'est seulement en surmontant les aspirations nationales et en solutionnant les conflits politiques qu'il va être possible de créer un système
quasi-fédéral comme celui de l'Union européenne. Ainsi, il ne fut possible d'établir des initiatives plus importantes et de structure variable,
comme la conférence d'Helsinki, qu'une fois que les conflits européens
furent résolus.
Un système de sécurité régional au Moyen-Orient restera paralysé pendant des années par la perception que les pays arabes ont d'Israël. Tant
que celui-ci n'a pas de frontières fixes reconnues internationalement, les
arabes continueront à le percevoir comme un état avec des préhensions
irrépressibles de s'étendre. Pendant des années, Israël a représenté pour
les arabes la mesure de leur échec, un "état traversé technologiquement
avancé" dirigé par une élite technologique décidée à obstruer le développement arabe.
59­
•
Percevoir la sécurité
dans la région comme
une question de "Israël
contre le monde
arabe" est une des
principales erreurs au
Moyen-Orient.
Les arabes ne se sentent pas sûrs de leur supériorité numérique et
craignent l'avantage qualitatif d'Israël, toujours assurée par le soutien
inconditionnel des États-Unis à l'état juif. De manière inévitable, la perception des arabes de la menace qualitative que représente Israël est
déterminée par la capacité nucléaire israélienne. Ainsi donc, il parait peu
probable que les arabes accèdent à la création d'un système de sécurité
régional tant que Israël n'aborde pas le facteur nucléaire.
Une difficulté ajoutée à la perspective de contrôle des armes au MoyenOrient retombe sur les différentes sources qui menacent la sécurité
dans la région. Percevoir la sécurité dans la région comme une question
de "Israël contre le monde arabe" est une des principales erreurs au
Moyen-Orient. La Syrie n'est pas seulement un rival d'Israël, elle développe aussi un rôle important dans la stabilité du Liban et maintenant
aussi dans le consensus panarabe contre l'Iran. La guerre du Golfe des
années 90 et l'irruption actuelle de l'Iran comme une hégémonie régionale après la guerre en Irak ont amené les monarchies du Golfe à tenir
un discours sans équivoque prétendant que leur stabilité n'est pas liée
à l'ennemi israélien. L'Irak d'avant et l'Iran de maintenant représentent
une source plus importante de menace. Ce scénario de tensions et de
conflits rend très difficile de concevoir un nouvel équilibre régional au
Moyen-Orient à travers le contrôle des armes et autres moyens. À cela il
faut ajouter le fait qu'il ne semble pas que l'Occident soit disposé à diminuer la vente d'armes à la région.
La paix et la stabilité au Moyen-Orient dépendent, en grande partie, des
résultats de la politique nord-américaine dans la région et de la possibilité que l'alliance transatlantique puisse servir comme une plateforme
efficace pour résoudre les conflits de la région.
George W. Bush fut le premier président à admettre que la stabilité per
se est un obstacle à la promotion des intérêts nord-américains dans
la région. Ces intérêts, en ce compris la paix Israélo-arabe, pourraient
s'accomplir avec plus de facilité avec la restructuration fondamentale du
Moyen-Orient, ce qui apporterait avec lui un changement de comportement des pouvoirs régionaux. Si la première guerre d'Irak fut initiée pour
maintenir le statut quo et le principe de stabilité, la seconde recherche
un changement radical de celui-ci.
Cette politique américaine d' "instabilité constructive" est clairement
proche d'atteindre un point critique. Une question essentielle est celle
de savoir si les États-Unis peuvent gagner la guerre d'Irak; ou mieux, s'ils
peuvent gagner la paix en Irak. La réponse est ambigüe. Les iraquiens
ont définitivement perdu confiance en Washington et il ne semble pas
qu'ils vont la récupérer. Si quelqu'un peut gagner la paix, ce sont les
iraquiens modérés, dans la mesure où ils ne dépendent pas du pouvoir
d'occupation des États-Unis.
Une autre question porte sur la capacité d'un grand pacte entre les
États-Unis, l'Europe et l'Iran pour, à son tour, être positif pour la paix
entre les Palestiniens et les Israéliens. Une coopération efficace entre les
européens et les nord-américains pour contenir la prolifération nucléaire
dans la région serait un stimulant pour la paix arabo-israélienne. Plus
qu'un ennemi pour Israël, l'Iran est l'ennemi de la réconciliation entre
60­
LA PAIX ISRAELO-ARABE ET LA SÉCURITÉ AU MOYEN-ORIENT
•
les arabes et les israéliens. La paix arabo-israélienne est l'outil principal
pour limiter la capacité de l'Iran de continuer à exhorter les foules de
musulmans contre Israël, contre le pouvoir nord-américain et contre les
régimes actuels.
Nous devons prendre en compte que le motif principal pour la guerre
en Irak ne fut pas sa démocratisation, bien que cet argument gagna en
poids quand la supercherie des armes de destruction massive (ADM) fut
démontrée fausse. Non obstant, est-ce que la démocratie et la participation populaire impliquent nécessairement des politiques modérées
ou de paix? Les autocrates arabes se montrent réticents à appuyer les
politiques de leurs protecteurs nord-américains au Moyen-Orient parce
que leurs propres sociétés sont également hostiles à ces politiques. Si
l'Égypte était une véritable démocratie, la menace de Mubarak proviendrait des illégaux Frères Musulmans au lieu des démocrates libéraux
(la même chose vaut aussi pour la Syrie). Ces régimes n'ont aucune
intention de suivre le modèle nord-américain, et à cause de cela et de la
présence de certaines élites avides que ces régimes ont favorisés, une
partie du monde arabe réclame maintenant ses droits démocratiques.
Il serait erroné de
tomber dans la vieille
croyance selon laquelle
la démocratie n'est pas
compatible avec les
arabes
Une autre question est celle de savoir si Israël n'aura pas de difficultés
au moment de s'ajuster à un monde arabe démocratique, dans lequel
l'opinion publique au lieu des gouvernements centralisés déterminera les
politiques. Est-ce qu’une démocratie, c’est-a-dire une démocratie islamique, en Égypte et en Jordanie pourra fortifier la paix avec Israël?
Ainsi donc, la question de savoir si les partis islamistes (Hamas et les
Frères musulmans entre autres) peuvent se transformer en organisations
politiques complètement développées gagne de la signification non seulement dans le futur de la paix arabo-israélienne, mais aussi dans le futur
de l'Islam politique dans le monde arabe et dans le futur de la démocratie arabe. Cette question a des effets de portée si importante que, tant
Israël que l'Occident, doivent l'aborder sans tomber dans les clichés,
avec un objectif primordial: renforcer le compromis de l'Islam politique
avec la paix et l'éloigner de l'"axe du mal" régional dirigé par l'Iran.
Pour comprendre la nature des mouvements islamiques dans le monde
arabe, nous ne pouvons pas tomber dans des perspectives catégoriques, déjà que dans la majorité des cas ces mouvements obéissent à de
profondes réalités sociales et politiques. Comme dans le cas du Hamas
ceux-ci sont des mouvements essentiellement sociaux, avec un réseau
communautaire étendu, qui n'est pas indifférent aux calculs politiques.
Ainsi donc, il serait erroné de tomber dans la vieille croyance selon laquelle
la démocratie n'est pas compatible avec les arabes. La stabilité de ces
régimes arabes, non soutenue dans le consensus démocratique, court
le risque d'être fragile et trompeuse. L'extinction de la démocratie arabe
n'apportera ni la stabilité ni la paix dans la région, mais elle augmentera le
mécontentement des masses et la déjà connue culpabilité de l'Occident,
maintenant exprimée à travers son double discours sur la démocratie.
Pour atteindre la paix il sera nécessaire d'inclure les acteurs déstabilisateurs dans un Proche Orient inclusif. Cette paix devra aller au-delà de
la question de la Palestine, déjà que la solution de ce conflit n'annoncera pas une étape de paix céleste pour le Proche Orient, parce que les
61­
Shlomo Ben Ami
•
dangers qui la guettent vont bien au-delà des frontières de la dispute
arabo-israélienne. Cependant, la paix entre israéliens et palestiniens, en
plus d'être un impératif moral et de répondre aux désirs de générations
d'arabes et d'israéliens, influencera positivement sur la stabilité dans la
région en éliminant certains des plus grands acteurs provoquant l'hystérie dans la région, un prétexte habituel pour les Ben Laden du monde
musulman dans leur guerre de terreur globale, et le principal prétexte
des gouvernants arabes pour écraser les libertés sociales et politiques.
Quand un système politique arrivera à s'établir dans la région, Israël
devra affronter la question de savoir s'il est prêt pour affronter la voie
européenne de sécurité collective. Traditionnellement, la conception de
sécurité d'Israël se base sur les concepts d'autosuffisance et de dissuasion, plus que dans un cadre de sécurité coopérative ou collective. Le
défi à long terme d'Israël quant à la paix est de rechercher jusqu'où il
peut se permettre de changer sa doctrine militaire de défense offensive à défensive. Ce style européen de transformation de la philosophie
israélienne de stratégie requiert un changement radical dans la situation
politique au Moyen-Orient arabe.
62­
LA PAIX ISRAELO-ARABE ET LA SÉCURITÉ AU MOYEN-ORIENT
•
SÉCURITÉ ET INSÉCURITÉ AU MOYEN-ORIENT
Fred Halliday
Professeur de recherche ICREA
à Institut Barcelona d'Estudis Internacionals (IBEI)
Introduction
Bien que je sois d’un pays éloigné de la Méditerranée, la république
d’Irlande, j’ai passé les quarante dernières années à étudier tout ce qui
concerne le Moyen-Orient. Bien que je n’aie pas été en Mauritanie, je
peux dire que j’ai été dans tous et chacun des pays du Moyen-Orient, y
compris l’Afghanistan. J’ai donné cours dans la majorité des universités
de la région, depuis les universités de Tel Aviv et de Jérusalem jusqu’au
Saddam Hussein College of Law and Politics de Bagdad. Pour eux, la
plus grande préoccupation au printemps 1980 était de savoir si l’Union
Soviétique envahirait l’Irak depuis leurs bases dans le Caucase, comme
ils avaient envahit l’Afghanistan depuis les bases en Asie centrale en
utilisant pour l’Irak les mêmes traités d’Amitié et de Coopération qu’ils
avaient alors avec la République Démocratique d’Afghanistan, comme
elle s’appelait entre 1978 et 1992.
Il existe un certain
risque dans les calculs
des autorités de
Téhéran
J’aimerais faire deux ou trois observations empiriques de mes récentes conversations et visites dans la région. Ensuite je souhaiterais faire
quelques réflexions académiques, qui peuvent être intéressantes pour le
débat qui suivra. Finalement, j’aborderai la question de la sécurité.
L’Iran
En premier lieu je parlerai de l’Iran1. Je connais le pays depuis plus de
quarante ans. J’ai même maintenu des contacts avec des officiels du
régime d’Ahmadinejad. On a beaucoup parlé récemment de savoir
si l’Iran abandonnerait ses politiques militantes et cesserait d’agir de
manière “irrationnelle “ : il faut faire la distinction, cependant, entre
être irrationnel et être radical. En même temps, il existe un certain
risque dans les calculs des autorités de Téhéran pour deux motifs
concrets. L’un est que, au-delà d’être un pouvoir impérial formel,
avec leur propre idée de grandeur- les iraniens sont fiers de redevenir
une puissance méditerranéenne après 2000 ans – et au-delà d’être
une puissance chiite avec sa propre conception de l’identité chiite au
Moyen-Orient, l’Iran est un pays révolutionnaire, ce qui est très important pour la politique iranienne. Si nous analysons les révolutions des
cent dernières années d’un point de vue comparatif nous pouvons
63­
•
Le nationalisme est
ce qui motive la
rhétorique iranienne
et les sentiments au
sein de l’Iran même et
qui donne au régime
un appui suffisant de
la population et de
l’appareil d’État pour
continuer
observer qu’ils tendent à suivre ce que l’historien E.H. Carr qualifia
de “politique duelle”, à la fois diplomatique et révolutionnaire. Il fallu
beaucoup de temps pour que des états révolutionnaires comme la
Russie, Cuba ou la Corée acceptent le système International. Si nous
pensons que Cuba, un petit pays de dix millions d’habitants avec une
situation économique très mauvaise, continue de rechercher des alliances révolutionnaires avec l’Amérique Latine, nous pouvons comprendre
que l’Iran, avec les ressources dont elle dispose et après moins de
trente ans de révolution, maintienne tant d’attentes.
Le conflit entre l’Iran et ses alliées et les États-Unis et ses alliées – Israël,
l’Égypte et l’Arabie Saoudite – va au-delà de la guerre d’Irak ou de la
dispute israélo-arabe – l’axe fondamental du conflit au Moyen-Orient
– et peut se perpétuer pendant beaucoup plus d’années. En quelques
aspects, la république Islamique d’Iran fait des calculs diplomatiques
rationnels et conventionnels. Une anomalie de la politique extérieure
iranienne est qu’un de ses alliés les plus proches est le pays chrétien
d’Arménie, avec qui il s’est allié contre l’état chiite d’Azerbaïdjan. Dans
le même sens réaliste, les iraniens ne se sont pas prononcés sur le
Cachemire, sur Xinjiang ou sur la Tchétchénie. Mais les iraniens, y compris avant la révolution de 1979, ont la tendance de mal calculer : en
1941 l’Iran fut envahie par la Russie et la Grande Bretagne parce que le
Sha d’alors ne su pas prédire l’invasion et pensa qu’il pourrait maintenir
ses liens avec l’Allemagne nazi. Quand le Premier Ministre nationaliste
Mosaddeq nationalisa le pétrole en 1951, il aurait pu obtenir un bon
accord avec les compagnies pétrolières occidentales. Cependant il joua
mal ses cartes et le résultat fut le coup d’état d’août 1953, dans lequel
il fut renversé et le sha restaura son pouvoir autocratique. L’avantage
de l’Iran dans la guerre de l’Iraq en 1982 est encore plus remarquable.
Les iraquiens étaient vaincus, Saddam clamait la paix et Jomeini était
d’accord dans un premier temps. Nonobstant, il fut persuadé plus tard
par la Garde Révolutionnaire de poursuivre le conflit. Il fut décidé que
les forces iraniennes pourraient avancer jusqu’aux villes chiites sacrées
de Najaf et Kerbala, au centre de l’Iraq, et continuer de là jusqu’à
Jérusalem. Ils continuèrent six ans de plus de guerre, pendant lesquelles
des centaines de milliers d’iraniens moururent, certains gazés par l’Iraq.
Au final, quand les iraniens prirent la décision amère de signer le compromis de paix proposé par les Nations Unies, ils obtinrent une paix bien
pire que celle qu’ils avaient obtenue en 1982. Le régime iranien le sait,
de même qu’il sait qu’ils ont compliqué les choses avec la crise des otages américains, qui n’apporta rien de positif.
Le régime de Ahmadinejad est plus nationaliste que religieux, mais il
est, sur base des deux idéologies, capable d’à nouveau se tromper dans
ses calculs. Il est très intéressant d’analyser la rhétorique d’Ahmadinejad
parce que le mot qu’il utilise le plus est izzat, un mot perse qui signifie
l’honneur. C’est le même que le président égyptien Naser utilisa en 1956
lorsqu’il nationalisa le Canal de Suez, Sharif en arabe. Ceci est le point
clé. Ce nationalisme, ce sentiment d’être victimes d’un manque de respect au niveau international, est ce qui motive la rhétorique iranienne et
les sentiments au sein de l’Iran même et qui donne au régime, peut-être
pas un appui majoritaire, mais bien un appui suffisant de la population
et de l’appareil d’État pour continuer. Sur ce point je crois qu’il est particulièrement important de reconnaître, et je souhaite le souligner, que
64­
SÉCURITÉ ET INSÉCURITÉ AU MOYEN-ORIENT
•
le régime iranien tombera difficilement bientôt: tout ce qui a été dit sur
un changement de régime et des groupes d’opposition qui appuient les
minorités est très dangereux et irresponsable. Ce régime a les armes, la
légitimité, l’appui et, ne l’oublions pas, est préparé pour tuer. Tandis que
l’opposition en Iran n’est pas préparée à mourir parce qu’ils ont déjà
connus trop de guerres.
Les implications pour le Moyen-Orient sont évidentes: ce régime ou un
changement post-Ahmadinejad, se maintiendra au pouvoir pendant
des années et continuera d’agir comme un état révolutionnaire. L’Iran
veut se convertir en une puissance régionale incontournable. Ce n’est
pas une puissance mondiale, mais la Chine ne l’est pas non plus. La
Chine est une puissance régionale essentielle et l’Iran croit, faussement bien entendu, être l’équivalent en Asie Occidentale de ce qu’est
la Chine en Asie Orientale. Les iraniens aussi sont optimistes parce
qu’ils croient que les américains sont impatients concernant l’Iraq. Je
crois que les iraniens pourraient, quand ils considèrent que c’est le
moment opportun, faire quelque chose de dramatique en Iraq. Il pourrait il y avoir une mutinerie dans l’armée irakienne ou dans la police,
où les iraniens ont beaucoup d’influence et de nombreux américains
pourraient mourir. J’espère me tromper, mais cela semble être une
possibilité réelle. Les iraniens ne vont pas abandonner leur influence
au Liban, en Palestine ou en Syrie, et c’est pourquoi nous devons être
réalistes avec l’Iran.
Les quarante années
qui suivirent juin
1967 sont révolues
et maintenant nous
devons faire face à
des groupes avec une
idéologie très différente
La dispute arabo-israélienne: un nouveau contexte
En tant que personne qui entra en contact avec le monde arabo-israélien en 1967, au moment de la guerre arabo-israélienne – j’ai passé mes
premiers examens universitaires le 5 juin 1967- je pense que tout ce qui
a suivi, la période des négociations, du socialisme arabe, des divisions
internes en Israël, etc. a atteint sa fin. Depuis 2000 approximativement nous nous trouvons dans une situation plus difficile. Les quarante
années qui suivirent juin 1967 sont révolues et maintenant nous devons
faire face à des groupes avec une idéologie très différente.
Arrivés à ce point, j’aimerais faire une réflexion personnelle. Ma recherche s’est centrée principalement en Iran et sur la péninsule arabique
– j’ai fait ma thèse de doctorat sur le Yémen- mais j’ai été récemment
au Liban et à Jérusalem. À Beirut j’ai rencontré un haut représentant du
Hezbollah, Sheikh Naim Qasim, le principal porte-parole du Hezbollah.
Récemment j’ai aussi rencontré à Jérusalem un homme qui m’a transmis
les idées du Hamas. Les deux étaient très différents des intellectuels et
politiques séculaires et occidentalisés auxquels nous sommes habitués.
Ils ont des opinions très claires, parlent de manière calme mais avec
détermination: ils ne cherchent pas la médiation de l’ONU, ou des conférences semi-officielles dans des hôtels européens. Un des commandants
militaires du Hezbollah m’a amené à la frontière israélienne pour observer le village de Metulla. Il était très calme quand il me dit “ Regarde, il
nous a fallu 23 ans pour les sortir d’ici et probablement qu’il nous faudra 23 autres années pour les sortir de là”. Je crois que réellement c’est
ainsi qu’ils pensent. Il se peut qu’ils n’y arrivent pas, mais c’est ce qu’ils
recherchent.
65­
Fred Halliday
•
Actuellement il y a une
plus grande intégration
des politiques au
Moyen-Orient qu’en
aucun autre moment
antérieur
À Jérusalem, un homme ayant des liens avec le Hamas vint me voir. Il disait
être un expert en hudna, le mot coranique pour “trêve”: c’est une manière
de dire qu’ils arrêteront de se battre, du moins temporairement, mais qu’ils
ne reconnaîtront pas Israël. Donc, le concept de hudna ne solutionne pas le
problème, parce que ce n’est pas une solution stratégique à long terme. Il se
montra clair et sûr: “nous avons les armes, nous avons l’argent, nous avons
les gens et nous avons tout le monde musulman derrière nous, donc nous
n‘allons pas nous rendre”. À nouveau, je le crois. Ceci et la prolifération
des mouvements islamiques, conservateurs mais populaires, dans le monde
arabe comme dans d’autres parties du monde, est un facteur important qui
marque une nouvelle réalité régionale.
Une nouvelle configuration régionale: la crise de la
Grande Asie occidentale
Nous nous concentrons maintenant sur le contexte plus large du MoyenOrient ou, comme je l’ai appelé dans mon ouvre académique, “la crise
de la Grande Asie occidentale”2. D’un côté, je ne crois pas que le sujet
des antiques républiques soviétiques soit tellement important. De fait,
il est très surprenant que tant la Transcaucasie (Arménie, Georgie,
Azerbaïdjan) et l’Asie centrale restent séparées du Moyen-Orient depuis
1991. D’un autre côté, ce qui représente un changement substantiel du
monde que j’ai connu durant vingt ou trente années depuis les années
1960, est la croissante intégration de l’Afghanistan et du Pakistan dans
l’équation du Moyen-Orient. Où ont acquis les iraniens et les libyens leur
technologie nucléaire? Il est bien connu que c’est des Pakistanais. Les
zones du Golfe au jour d’aujourd’hui, avec de grandes quantités d’argent et les craintes de l’Iran, peuvent se tourner vers la même source.
Actuellement il y a, d’une certaine manière, une plus grande intégration des
politiques au Moyen-Orient qu’en aucun autre moment antérieur. Les gens
parlent de la région dans un cadre où tout est relié. En certaines occasions,
les gens ont exagéré à quel point, concrètement la question israélo-arabe, a
affecté le Golfe ou d’autres conflits de la région. Quel rôle a eu la question
arabo-israélienne dans l’évolution de l’Iran, ou dans la guerre Iran-Iraq, oud
ans la guerre qui a secoué l’Algérie ou dans les guerres du soudan? Elle a
eu un rôle très réduit. Comme relier la question palestinienne à la question
kurde? Nous ne le pouvons. Mais maintenant, depuis la fin des années
1980, l’intégration de l’Afghanistan avec l’Iran dans le monde arabe, avec
Al Qaeda et avec d’autres jeunes militants qui proviennent de la région,
ou qui disent provenir de là, actifs dans les pays arabes, et l’émergence du
Pakistan en tant qu’acteur régional représentent un changement substantiel
dans la région. Tout ceci signifie que, tant au niveau des armes nucléaires et
de rivalité stratégique d’un côté, et au niveau du sentiment populaire d’un
autre, la région est plus intégrée.
Thèmes analytiques
Dans le contexte de ces trois tendances dans la région, il y a quelque chose
que j’aimerai mettre en relief, plus sou un aspect académique. Récemment
de nombreuses recherches ont té menées sur les relations extérieures des
états du Moyen-Orient – le monde arabe, Israël, la Turquie et l’Iran- certaines
66­
SÉCURITÉ ET INSÉCURITÉ AU MOYEN-ORIENT
•
par des historiens, d’autres par des spécialistes en relations extérieures, certaines en Israël d’autres dans des pays arabes et d’autres en occident3. Le plus
surprenant est que toutes, malgré les différences dans la perspectives théorique, politique ou nationale, sont arrivées à des conclusions très semblables:
que bien que dans le passé nous analysions les relations entre les états du
Moyen-Orient en termes de puissances extérieures – les puissances coloniales, la Guerre Froide- si nous retournons à l’information disponible depuis les
années 1950, les états régionaux ont joui d’un haut degré d’autonomie. Ils
ont fait en grande mesure ce qu’ils ont considéré opportun. Nous pouvons
apporter la preuve avec l’aspect le plus évident, les guerres: quand Israël attaqua les arabes en 1967, comme ce qu’ils firent après avec le Liban en 1982,
ils savaient bien sûr que les États-Unis ne s’opposeraient pas excessivement,
mais ils le firent pour des motifs propres. Quand les arabes attaquèrent Israël
en 1948 ou après 1973, ce ne fut pas parce que l’Union Soviétique ou les
Britanniques leur demandèrent de le faire. Quand Saddam attaque l’Iran ou
le Koweït, personne ne lui ordonna de le faire. Le Maroc et l’Algérie n’obéissent aux ordres de personne. Il faudrait chercher quiconque donnant des
ordres à la Libye. Ceci signifie que la capacité des puissances extérieures de
contrôler, ou mêmes imposer, est très limitée. J’aimerais penser que Bush ou
Clinton puisse trouver une solution au conflit arabo-israélien, mais je ne crois
pas que ni les palestiniens ni les israéliens l’accepteront, ou même que cela
puisse fonctionner.
Le rôle de l’Europe
Tout cela m’amène à la question de l’Europe. Je crois qu’en Europe nous
avons une tâche, au delà des autres, à accomplir: nous comporter. En
d’autres mots, nous devons maintenir nos systèmes démocratiques,
notre prospérité et l’état de droit pour donner un bon exemple au
Moyen-Orient, comme au reste du monde, y compris l’Asie orientale
et, si vous me le permettez, aux États-Unis. J’étais mercredi passé aux
portes de l’Audiencia Nacional (Cour suprême en Espagne), à Madrid,
pendant 16 heures avec CNN, attendant le verdict sur les attentats de
Madrid. J’ai été impressionné par la dignité, le sérieux, des tribunaux
espagnoles et la manière dont a été traité cette affaire. Ici, en Europe en
général et en Espagne en particulier, nous devrions être fiers et décidés:
il n’existe pas de Guantanamo espagnol4, personne en Espagne ne parle
de “islamo fascisme”, il n’y a pas eu une seule attaque envers des marocains dans ce pays depuis le 11 mars. Si nous comparons à ce qu’il s’est
passé aux États-Unis, ce qu’il s’est passé en Amérique est véritablement
malheureux: le niveau de discussion, de chauvinisme des politiques et la
manière dont se sont passées les choses. Je crois que l’Espagne devrait
se sentir très fière de ce qu’il s’est passé ce jour, je crois que c’est un
modèle de comment les pays européens devraient procéder. Ainsi donc,
en réponse au terrorisme et aux guerres qui y sont liées, la première
chose que nous devons faire c’est de prêcher par l’exemple.
Il existe, cependant, des limites à ce que l’Europe peut faire au MoyenOrient. Je le dis, non pour nier son passé colonial, dans lequel l’Espagne
aussi eut un rôle sanglant et hypocrite, de même que la France, l’Italie et
le Royaume Uni, ou pour démériter les intentions européennes, mais parce
que il faut être réalistes quant à la manière dont pense les gens dans la
région au jour d’aujourd’hui. Le registre des dernières années parlent par
67­
Fred Halliday
•
Il faudrait parler
avec le Hamas
parce que parler ne
signifie pas négocier,
ou reconnaître, et
beaucoup moins être
d’accord
eux-mêmes: nous avons dit aux israéliens de ne pas construire “le mur de
séparation” et ils le construirent; nous avions dit aux palestiniens de ne pas
voter pour le Hamas et ils l’ont élu; nous avions dit aux syriens de sortir du
Liban et ils ne l’ont pas encore abandonner complètement5. Nous avions
aussi dit aux iraniens d’arrêter le programme nucléaire et ils continuent.
Nous avions demandé aux États du Golfe de se démocratiser et il n’y a toujours aucun signal qu’ils soient en train de le faire. Nous avions demandé
aux marocains et aux algériens de solutionner le conflit au Sahara, et non
seulement ils ne l’ont pas fait mais ils ne semblent pas près de le faire. Pour
tout cela, je crois que l’Europe doit abaisser ses expectatives et être réaliste.
Cependant il y a des choses qui peuvent être faites, et qui devraient être
faites. Je le répète: le mieux que nous pouvons faire est de prêcher par
l’exemple. J’aimerais citer, surmontant la distance, le fameux télégramme
que George Kennan envoya depuis l’ambassade de Moscou à Washington
en 1946, qui terminait avec une phrase significative “nous devons contenir
le communisme, mais nous l’emporterons si nous vivons en accord avec nos
meilleures traditions, c’est ainsi que nous survivrons”. Finalement, la Guerre
Froide se termina parce que l’Europe occidentale réussit à construire un système démocratique et prospère, celui que voulaient les citoyens de l’Est de
l’Europe, et le résultat fut la paix pour la première fois en cent ans.
Cependant, il y a des choses qui peuvent être faites au Moyen-Orient, et qui
devraient être réalisées. En premier lieu, je mentionnerai les politiques de l’UE
en relation avec le Darfour. Il n’y a pas d’anges au Darfour. L’erreur est de
penser que le gouvernement soudanais est fait d’assassins et que les rebelles
sont des anges. L’unique manière de sortir de là est d’aboutir à un accord
entre eux et de leur offrir tout l’appui diplomatique et militaire possible.
En deuxième lieu, je suis pessimiste quant à l’implication de l’Afghanistan. Surtout parce que les pakistanais ont décidé en 2004-2005 d’aller à
l’offensive, lorsqu’ils virent que les américains étaient impatiens en Iraq.
Mais du à cela et à d’autres problèmes plus profonds, l’engagement de
l’OTAN-UE en Afghanistan pourrait échouer. Nonobstant, il est utile de
s’efforcer pour éviter en Irak, comme dans d’autres parties du monde,
d’impliquer les puissances régionales dans la recherche d’une solution.
Quant à ce qui concerne la question arabo-israélienne, nous devrions être
persistants, nous montrer engagés, indignés, directes mais modestes. Parce
que il y a peu de chose que l’Europe puisse faire au-delà de continuer à
parler avec les deux parties. Je crois qu’il faudrait parler avec le Hamas parce
que parler ne signifie pas négocier, ou reconnaître, et beaucoup moins
être d’accord. C’est une tâche des gouvernements de converser et maintenir un minimum de standards humanitaires. Mais aussi il faut maintenir
une distance critique et dire ce que l’on pense, spécialement en matière
des droits humains, et, en particulier, en relation aux aspects les plus basiques des droits humains, qui concernent la conduite des parties vers les
conflits armés. Ici je voudrais rendre hommage à ceux qui ont critiqué la
conduite des Forces de Défense d’Israël (IDF) au Liban et en Cisjordanie
et à ceux qui ont dénoncé énergiquement le lancement des missiles de
la part du Hezbollah contre des objectifs civiles en Israël, le lancement de
missiles depuis Gaza et d’autres parts contre des villes et des villages d’Israël
ou les attentats suicides, entre autres. La voix de l’Europe doit prévaloir.
Cependant, nous savons que ni les États-Unis ni les états européens ne peuvent influencer de manière significative le résultat.
68­
SÉCURITÉ ET INSÉCURITÉ AU MOYEN-ORIENT
•
Remarques finales
Le dernier point que j’aimerais souligner relève plus du genre professionnel et provient de mon travail académique. Après quarante ans
d’expérience dans l’enseignement dans plus d’une douzaine de pays au
Moyen-Orient je suis marqué par le peu d’opinions informées et indépendantes, le manque de capacité de ma génération et les suivantes
dans cette région. Combien de personnes diplômées dans toutes ces
universités d’Europe centrale maîtrisent l’arabe, le perse, le turc, l’hébreu
ou même le kurde? Combien peuvent émettre des jugements sensés
sur, par exemple, jusqu’à quel point va aller ce nouveau conflit entre
sunnites et chiites en Iraq? Jusqu’à quel point le Hezbollah est capable
d’agir indépendamment des syriens ou des iraniens? Jusqu’à quel point
nous pouvons nous engager dans un dialogue avec les partis islamistes?
Peu de personnes pourraient réaliser ce type de jugements essentiels de
qualité. Dans tout le monde que je connais, depuis San Francisco, en
traversant l’Europe, jusqu’aux universités du Moyen-Orient et d’Israël et
du monde arabe, il y moins de deux cent personnes dont les jugements
représentent une compréhension académique suffisante de ces matières. Ceci est un problème brûlant et un des motifs pour lequel le débat
est tellement symbolique. Pour cela, il fait partie de notre responsabilité
européenne de former pour fournir à ces gens, que ce soit par le journalisme, dans la diplomatie ou l’intelligence.
Notes
1. Pour une élaboration complète de ces idées, voir Irán, Potencia Emergente en Oriente Medio.
Implicaciones en la Estabilidad del Mediterráneo, numéro spécial de Cuadernos de Estrategia, no.137
Ministère de Défense, Madrid, Juillet 2007 Chapitre 1, Fred Halliday ‘Contexto Político: La Política
Interna Iraní y Efectos en su Política Exterior’ pp. 21-56.
2. The Middle East in International Relations, Cambridge: Cambridge University Press, 2005, Chapitre 5.
3. Entre autres: Anouhsiravan Ehteshami, Gerd Nonnemann, Michael Barnett. Frew Lawson, Gregory
Gause, Shibli Telhami, Katarina Dalacoura, Ray Hinnebusch, Efaim Karsh, Yezid Sayigh, Avi Shlaim,
David Styan, Mariam Panah, Jubin Goodarzi, Rory Miller, Amnon Aran, Karen Dawisha.
4. Il y eu un“Guantanamo espagnol”, la prison militaire en haut de la colline de Montjuic à Barcelone
où, au dix-neuvième siècle, des leaders nationalistes philippins et cubains, de même que des
anarchistes catalans, furent détenus de manière extrajudiciaire, interrogés, torturés et, en certaines
occasions, assassiné. Voir l’entrevue avec le professeur Benedict Anderson, La Vanguardia ‘Montjuïc
XIX, Guantánamo XXI’, 10 décembre 2007.
5. Un diplomate syrien m’a dit récemment “On a encore des cartes au Liban”. Tuer de mes amis est
une des choses qu’ils ont, et ils ont d’autres cartes.
69­
Fred Halliday
•
SÉCURITÉ ET INSÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE :
UNE PERSPECTIVE NOR-DAMÉRICAINE
Ian O. Lesser
Chercheur du German Marshall Fund of the United States, Washington
D
urant la prochaine décade, la Méditerranée sera l’élément clé en
matière de sécurité pour les deux rives de l’Atlantique, et encore
plus substantiellement dans les relations nord-sud. La présence
nord-américaine en Méditerranée, au niveau diplomatique, économique
et militaire est étendue. Cependant, malgré les deux cents ans d’engagement dans la région, la perspective américaine en Méditerranée continue
d’être distincte et sous-développée. L’UE et ses membres les plus importants ont articulés des stratégies explicites pour la Méditerranée et les
états des deux rives ont développé de manière satisfaisante le concept
de mer en tant qu’espace stratégique. Au contraire, Washington continue de diviser la région, intellectuellement et bureaucratiquement, avec
des lignes régionales rigides: l’Europe d’un côté, en ce compris l’Europe
du Sud, et le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de l’autre. Les aspects
et les complexités sous-régionales, en ce compris les Balkans ou le conflit
arabo-israélien sont abordés superficiellement, lorsqu’ils sont traités,
dans le contexte méditerranéen.
Washington continue
de diviser la région,
intellectuellement et
bureaucratiquement,
avec des lignes
régionales rigides:
l’Europe d’un côté et
le Moyen-Orient et
l’Afrique du Nord de
l’autre
Des aspects fonctionnels, singulièrement liés au contre-terrorisme ou la
sécurité énergétique prennent une importance particulière dans le débat
croissant sur la stratégie nord-américaine en Méditerranée. Non obstant,
Washington a conçu sa stratégie en se basant sur les relations bilatérales
et selon l’irruption de conflit dans le bassin méditerranéen plus que sur
une approche globale de la région en tant qu’ensemble. Est-il possible de la changer? Très probablement, oui. Les facteurs déterminants
comprennent l’évolution du scénario national de sécurité dans les pays
du sud de la Méditerranée et une nouvelle approche européenne de
la stratégie méditerranéenne. Dans le futur, le scénario de sécurité en
Méditerranée sera conformé par les tendances et perceptions déjà visibles, mais aussi par une série de shocks probables capables de remodeler
la perspective de la sécurité et l’insécurité tout au long de la région.
La suprématie de la sécurité intérieure
Traditionnellement, la sécurité sur la rive sud de la Méditerranée était
basée principalement sur la sécurité intérieure. Les gouvernements
des pays du Maghreb au Levant étaient confrontés à des menaces
continues contre leur légitimité et stabilité. Laissant de côté les défis
71­
•
Les programmes
de libéralisation
économique peuvent
être considérés comme
déstabilisateurs dans
le champ politique
et de la sécurité, du
moins, en absence de
nouvelles approches
substantielles envers
l’éducation et les
investissements
politiques habituels, les régimes doivent faire face à des problèmes de
sécurité interne qui vont de la violence et le terrorisme aux mouvements
séparatistes et le crime organisé. Après le 11 septembre, on a observé
une certaine convergence entre les positions du nord et du sud. Dans
les dernières décades, la préoccupation dans les pays du sud de la
Méditerranée pour la sécurité intérieure contrastait avec les opinions
prédominantes en Europe et en traversant l’Atlantique sur la sécurité, où
le débat autours de la sécurité était basé sur des dynamiques étatiques
et les crises régionales. À l’heure actuelle, la conscientisation de la sécurité est partagée entre le nord et le sud.
Certains aspects spécifiques du scénario de sécurité intérieure importants sont les suivants. En premier lieu, la tendance démographique
suscite de la préoccupation parmi les états européens du sud et affecte
fortement la perception de la sécurité en Europe. Les sociétés du nord
de l’Afrique et de l’Est s’opposent, en plus ou moins grande mesure, au
défi commun que leur pose la “bourse de jeunes” de leurs populations
ainsi que le développement économique insuffisant. En comparaison à la
situation en Europe (tout comme aux États-Unis), la population des pays
du sud de la Méditerranée est éminemment jeune. Ceux-ci sont chaque
fois plus nombreux, bien que le rythme de croissance de la population
ait ralenti ces dernières années. Avec la seule exception d’Israël – qui
ne se considère pas comme faisant partie du sud sous-développé – et
la Turquie, la région souffre d’une brèche croissante entre les nécessités
d’éducation et d’emploi nécessaires pour les populations jeunes et ce
que les sociétés peuvent offrir. Y compris des états comme la Tunisie et
le Maroc, qui ont progressé considérablement dans la modernisation et
les réformes économiques, continuent d’affronter des problèmes croissants de chômage parmi les jeunes et l’augmentation des expectatives
de ces jeunes, ce qui résulte en une combinaison explosive. Dans ces
conditions, les programmes de libéralisation économique encouragés
par l’UE et les États-Unis peuvent être considérés comme déstabilisateurs
dans le champ politique et de la sécurité, du moins, en absence de nouvelles approches substantielles envers l’éducation et les investissements
dans la région.
En deuxième lieu, cette tendance démographique dans le nord et le
sud de la Méditerranée favorise aussi la migration illégale et les problèmes de politiques publiques allant de la sécurité humaine à l’anxiété
culturelle. Le différentiel de développement entre le nord et le sud de la
Méditerranée est le plus saillant à l’échelle globale, juste après la brèche
entre la Corée du Nord et du Sud. De plus, les dynamiques migratoires
de la Méditerranée sont chaque fois plus le résultat des pressions d’un
sud lointain, en ce compris l’Afrique subsaharienne, le Moyen-Orient et
le sud de l’Asie. Quand les sociétés du nord ont adopté des politiques
migratoires et des contrôles frontaliers plus restrictifs, la circulation habituelle des immigrants s’est vue limitée. À mesure qu’augmente le risque,
les immigrants résidants en Europe doivent demeurer au nord, malgré
que les pressions générales pour la migration économique soient maintenues élevées. Des politiques plus dures provoquent, par conséquent,
l’effet involontaire de faire augmenter le nombre d’immigrants “illégaux” au nord, un fait visible également aux États-Unis. Cette tendance
a des implications de sécurité pour les vies qui se perdent dans les tentatives ratées de traverser la Méditerranée et par l’expansion des réseaux
72­
SÉCURITÉ ET INSÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE: UNE PERSPECTIVE NOR-DAMÉRICAINE
•
terroristes et criminels qui accompagnent la migration illégale. Dans un
sens plus large, la migration de ce calibre augmente l’anxiété culturelle –
la peur de la sécurité de l’identité propre – tant au nord qu’au sud et des
politiques xénophobes qui rendent difficiles les relations entre le nord et
le sud à long terme.
En troisième lieu, l’Islam politique reste une des principales menaces pour
les régimes actuels des pays du sud de la Méditerranée. Du Maroc au
Liban, les mouvements islamistes sont en compétition pour le pouvoir au
niveau de la politique électorale, avec divers degrés de réussite. Depuis
le point de vue des pays du nord de la Méditerranée, il n’est pas clair
que des mouvements comme le Parti de la Justice et du Développement
marocain ou les Frères Musulmans d’Égypte représentent un défi pour
la sécurité per se, bien que pour des gouvernements du sud fortement
sous pression, la menace soit suffisamment évidente. Plus problématique
fut la résurgence de la restructuration des réseaux islamistes violents
dans toute l’Afrique du nord, avec des répercussions en Europe. Il se
peut que l’Algérie ne soit pas au bord de l’effondrement sous la pression de la violence islamiste comme au milieu des années 1990. Non
obstant, les mouvements islamistes continuent de représenter un facteur
important de la stabilité de la Méditerranée, comme le démontrent les
actions de Al Qaeda pour le Maghreb Islamique en Algérie, le contrôle
du Hamas à Gaza et le pouvoir du Hezbollah au Liban. Un mouvement
de personnes relativement aisé dans la Méditerranée et la présence de
grandes communautés de citoyens de pays du sud de la Méditerranée
en Europe font du problème de l’islamisme radical et du terrorisme jihadiste un problème commun pour le nord et le sud.
L’Iraq sera également un facteur important de cette équation pour être
une cause célèbre pour les islamistes de la Méditerranée ainsi que pour
s’être converti en un camp d’entraînement des nouvelles générations
d’extrémistes. Un grand nombre de combattants étrangers en Iraq
provient du nord de l’Afrique, en ce compris l’Égypte. Avec le temps,
ces jihadistes expatriés retournent à leur pays où ils trouvent le moyen
d’accéder en Europe, où ils pourront centrer leurs efforts sur les ennemis
“proches”, les régimes établis et les objectifs occidentaux près de la maison. Une tendance similaire avait déjà été observée après le retour des
arabes d’Afghanistan de la lutte contre l’Union Soviétique. Les observateurs au nord de l’Afrique attribuent à ces vétérans afghans une partie
de la responsabilité de l’augmentation de l’agitation violente en Algérie,
en Égypte et en Tunisie à la fin des années 80 et au début des années
90. La portée et l’importance du facteur afghan au nord de l’Afrique
sont discutables, mais il serait imprudent d’assumer que les vétérans de
l’insurrection iraquienne n’auront pas un rôle important dans la sécurité
de la Méditerranée la prochaine décade.
Nationalisme et dynamiques inter-étatiques
Dans une certaine mesure, il est possible d’argumenter que
la Méditerranée est “plus” sûre actuellement qu’il y a dix ans. En
Méditerranée occidentale, les frictions entre le Maroc et l’Espagne pour
les enclaves de Ceuta et Melilla continuent sans être résolues, mais le
risque d’un affrontement ouvert est probablement plus faible qu’il y a
73­
Ian O. Lesser
•
le processus de paix
au Moyen-Orient
restent déterminants
pour la sécurité
en Méditerranée
et l’impossibilité
d’atteindre un accord
intégral limite un
dialogue multilatéral en
matière de sécurité et
la coopération
quelque temps. La tension occidentale avec la Libye et la progressive
réintégration de Tripoli dans la scène économique et politique internationale a éliminé certaines des sources de tensions dans la Méditerranée
centrale, même si le futur de la Libye et de ses relations extérieures à
long terme reste incertain. Dans la Méditerranée orientale, la distension
entre Athènes et Ankara a changé significativement en termes de stabilité régionale et de gestion de crises. La nouvelle tournure des relations,
appuyée par des liens économiques chaque fois plus étroits et par la
diplomatie bilatérale, a également éliminé un des principaux défis politiques pour Washington. La stabilité de l’Égée ne pose plus les mêmes
nécessités aux politiques nord-américains. Le problème de Chypre reste
en vigueur, faisant obstacle à la candidature d’adhésion à l’UE déjà compliquée. Mais peu sont ceux qui en Europe ou aux États-Unis craignent
un affrontement entre la Grèce et la Turquie pour Chypre. Chypre représente maintenant un problème politique plus que de sécurité depuis une
perspective nord-américaine et le centre de gravité de la diplomatie chypriote est passé de Washington à Bruxelles.
Le conflit israélo-palestinien et le processus de paix au Moyen-Orient
en général restent déterminants pour la sécurité en Méditerranée de
manière significative, et pas uniquement pour son influence sur l’opinion publique dans les pays du sud de la Méditerranée. Indirectement,
l’impossibilité d’atteindre un accord intégral limite un dialogue multilatéral en matière de sécurité et la coopération dans les cadres de l’UE,
de l’OTAN et régional. Le conflit a clairement une dimension méditerranéenne, spécialement pour le Liban et la Syrie. Non obstant, nous
pourrions dire que ici aussi le centre de gravité s’est déplacé vers l’est
en termes politiques et de sécurité. L’Iran est chaque fois plus important
pour les calculs de sécurité israélienne et Téhéran est, pour sa croissante
portée stratégique et son appui aux forces irrégulières, un acteur important dans le conflit du Moyen-Orient. De même, l’Arabie Saoudite et les
petits états du Golfe ont acquis plus de poids dans le futur du processus
de paix et leur participation est prise en compte, comme l’a démontré la
récente conférence d’Annapolis. Le conflit non résolu entre Israël et ses
voisins atteint l’Est, depuis la Méditerranée jusqu’au Golfe en ce compris
le Pakistan.
Le résultat de la sécurité en Méditerranée au niveau étatique et des
éclatements régionaux deviendra déterminant pour l’influence du nationalisme comme force politique au nord et au sud. L’essor du sentiment
nationaliste pourrait facilement impliquer une détérioration des relations
entre la Grèce et la Turquie. De même, il pourrait empirer des relations
déjà tendues entre le Maroc et l’Algérie pour le Sahara Occidental et
d’autres questions. Le nationalisme est le moteur de l’instabilité dans les
Balkans et autours de l’Adriatique et fait également partie de l’équation
méditerranéenne. Pendant la prochaine décade, la perspective de stabilité en Méditerranée deviendra déterminante pour la tension entre le
nationalisme et l’adhésion à la conception traditionnelle de la souveraineté nationale, et pour une tendance plus positive de l’intégration dans
un espace européen plus large et entre les pays du sud, avec l’exception
du commerce énergétique. Cette dernière dimension reste de manière
surprenante sous-développée dans la méditerranée, avec la persistance
des obstacles structurels et politiques pour le commerce, les investissements et la coopération régionale à de nombreux niveaux.
74­
SÉCURITÉ ET INSÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE: UNE PERSPECTIVE NOR-DAMÉRICAINE
•
De nouveaux acteurs, de nouvelles stratégies
Pour le débat enflammé sur l’unipolarité et ses alternatives il est bon
de mentionner que les régions clés dans la périphérie de l’Eurasie sont
hautement multipolaires. Ceci est spécialement le cas de la Mer Noire, la
Caspienne et l’Asie Centrale. C’est également le cas de la Méditerranée,
où un grand nombre d’acteurs, anciens et nouveaux, sont présents et
jouent, directement ou indirectement, un rôle dans la sécurité.
Au niveau euro-atlantique, la Méditerranée est une zone où le rôle des
américains et des européens reste relativement équilibré. En comparaison avec le Golfe, les états européens peuvent projeter un pouvoir
militaire en Méditerranée de manière très effective. En termes politiques
et économiques, l’UE est l’acteur principal dans la région. Des puissances comme la France, avec une longue histoire de relations, continuent
de se réinventer comme des partenaires économiques, politiques et dans
le champ de la défense au nord de l’Afrique. L’implication économique
nord-américaine au nord de l’Afrique est augmentée, essentiellement en
résultat du commerce énergétique avec l’Algérie, la relance des relations
avec la Libye et l’accord de libre commerce avec le Maroc. Non obstant,
l’Europe reste le partenaire commercial et investisseur clé au sud de la
Méditerranée. La Sixième Flote des États-Unis restera en Méditerranée
même lorsque la présence militaire américaine en Europe se réduira ou
se réorientera vers ailleurs. Mais un engagement américain continu en
matière de sécurité ne peut pas continuer à être pris pour acquis à tous
moments et à n’importe quelles circonstances. Concrètement, dans les
prochaines années il se peut qu’il y ait “trop peu” de présence américaine “pour le confort européen” dans les Balkans et en Afrique du Nord.
Les États-Unis ne déploient déjà plus leurs porte-avions en Méditerranée,
une chose qui aurait été impensable il y a une décade.
La Chine émerge
en tant qu’acteur
d’importance en
Méditerranée et l'Inde
pourrait acquérir
plus d’intérêt dans le
commerce et la sécurité
en Méditerranée
En même temps, de nouveaux acteurs externes apparaissent sur la
scène méditerranéenne. La Russie – de fait un vieil acteur – est revenu
dans la région après quasi vingt ans d’absence. La Russie est présente
toujours davantage en tant qu’investisseur, essentiellement dans le secteur énergétique, en tant que partenaire commercial et que fournisseur
de produits de défense à l’Algérie et la Syrie entre autres. Les russes
font maintenant partie du paysage méditerranéen comme touristes et
résidents. À la fin de 2007, l’Armée russe est revenue en Méditerranée
pour exercer sa force pour la première fois depuis le démembrement
de l’Union Soviétique. Cette implication russe renouvelée dans la vie
diplomatique, commerciale et de sécurité en Méditerranée pourrait
acquérir de nouvelles significations si les relations de la Russie et de
l’Occident continuent à se détériorer. Un retour au style de compétition
de la Guerre Froide, y compris à des niveaux bien inférieurs, pourrait
situer le centre de gravité dans le sud, dans la Mer Noire, les Balkans et
la Méditerranée Orientale, des zones qui pendant la première Guerre
Froide sont restées aux extrêmes.
La Chine émerge en tant qu’acteur d’importance en Méditerranée et
comme potentiel acteur en matière de sécurité. La rapide expansion
de l’investissement de la Chine en Afrique subsaharienne a éclipsé la
croissance réduite mais non moins remarquable de l’investissement
chinois au nord de l’Afrique. Ces investissements vont au-delà du sec-
75­
Ian O. Lesser
•
teur de l’énergie et comprennent des participations à grande échelle
dans l’industrie textile de la Tunisie et des installations portuaires en
Méditerranée. Historiquement, la Chine a développé un rôle prééminent pour l’Albanie comme allié de sa défense, comme partenaire dans
le programme nucléaire algérien et, ensemble avec la Corée du Nord,
comme fournisseur de technologie de missiles balistiques à la Syrie et
à la Libye. En regardant vers le futur, l’Inde, qui est déjà un allié dans la
défense à travers sa coopération avec Israël, pourrait acquérir plus d’intérêt dans le commerce et la sécurité en Méditerranée.
Plus d’une décade après le lancement du Partenariat Euro-méditerranéen
(Processus de Barcelone) les partenaires des deux rives de la Méditerranée
redéfinissent les principes d’un processus qui est vu comme problématique et non fonctionnel. Parmi les pays du sud de la Méditerranée on
voit s’affirmer le désir d’une association plus équitable, avec plus de voix
pour le sud lors de l’établissement des agendas politique, économique
et de sécurité. L’absence d’un partenaire intégré au sud et la persistance
d’un modèle de relations avec l’Europe qui est au centre et qui établit
des relations bilatérales avec chaque pays sont perçues comme parties
du problème. Barcelone fur lancé à un moment d’optimisme envers les
voies bilatérales et multilatérales du processus de paix du Moyen-Orient.
Avec les années, la persistance du conflit avec Israël est devenu le majeur
obstacle à la coopération multilatérale avec les partenaires du sud de la
Méditerranée dans les affaires politiques et de sécurité. De plus, l’aide et
les investissements européens au sud de la Méditerranée est chaque fois
plus conditionnée et liée à des réformes économiques et politiques et au
développement de projets durables susceptibles d’être financés par l’UE
– un défi actuellement pour les états du sud de la Méditerranée.
Pour l’Europe, l’expérience de Barcelone a également été frustrante. Le
Partenariat Euro-méditerranéen (PEM) souffre d’un manque permanent
de consensus entre les membres de l’UE parce que les nécessités de la
périphérie sud de l’UE entrent en concurrence avec l’élargissement et les
priorités de cohésion de l’Est. L’élaboration de la Politique Européenne
de Voisinage a encore plus compliqué cette situation parce que les États
Membres de l’UE se demandent quelle place occuperont les initiatives
méditerranéennes dans le cadre général d’une Europe élargie, à l’Est et
au Sud. Peut-elle continuer à fonctionner comme une initiative autonome ou est-ce qu’elle s’insèrera à l’intérieur d’une stratégie plus large
concernant le voisinage? Les États du sud de l’Europe continueront de
préférer une stratégie européenne spécifique et bien financée envers
la Méditerranée, construite autour de la notion d’une identité méditerranéenne. Cependant, cette approche pourrait ne pas être soutenable.
L’absence d’une dimension transatlantique impose aussi certaines limites
au PEM, notamment dans le contexte de la sécurité.
Les États-Unis ont été actifs dans le Dialogue Méditerranéen de l’OTAN,
lancé en 1994 et postérieurement élargi et renforcé. Mais y compris ici,
les États-Unis n’ont jamais été à l’avant-garde d’une initiative que promouvaient particulièrement les pays de l’Alliance du sud de l’Europe.
Tant que le Dialogue Méditerranéen continue d’avancer dans le sens
d’une coopération en matière de défense tangible et pratique avec les
sept partenaires méditerranéens (la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la
Tunisie, l’Égypte, Israël et la Jordanie) les États-Unis restent intéressés,
76­
SÉCURITÉ ET INSÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE: UNE PERSPECTIVE NOR-DAMÉRICAINE
•
jusqu’à ce qu’il puisse le voir accru. Il existe déjà des discussions informelles pour attirer la Libye dans le Dialogue, un pas que Washington
pourrait également appuyer.
Certaines des principales nouvelles idées liées à la sécurité et à la coopération en Méditerranée proviennent de la France, avec d’importantes
implications transatlantiques. La proposition du président Sarkozy en
2007 d’une Union Méditerranéenne fut perçue avec un certain scepticisme en Europe, en partie par crainte que cela puisse porter préjudice aux
initiatives de l’UE envers une région aux problématiques sensibles. Pour
certains, la proposition fut perçue comme une stratégie pour mettre de
côté la candidature turque à l’UE. Avec le temps, le concept a gagné du
terrain, jusqu’à une tentative de soutien espagnol et italien. Nettement,
la sécurité sera seulement une partie de cette Union, dont le noyau sera
formé d’une série de projets fonctionnels spécifiques dans des domaines
comme l’énergie, la sécurité et l’immigration. L’Union Méditerranéenne
a attiré l’attention des États-unis. Le “facteur Sarkozy” fait, sans aucun
doute, partie de l’explication. L’autre, étant le possible début de coopération avec Washington. Si la France retournait au commando militaire
intégré de l’OTAN, comme l’administration Sarkozy l’a laissé entrevoir,
la coopération transatlantique en Méditerranée se verrait directement
affectée. Pour ces motifs, la politique de dialogue franco-américain en
Méditerranée pourrait occuper une place prépondérante dans le futur
stratégique de la région pendant les prochaines années.
Au-delà des questions de stabilité interne, le développement, la lutte
contre le terrorisme, l’énergie et la sécurité maritime se situeront au
sommet de l’agenda dans les nouvelles approches en Méditerranée.
Le développement d’un réseau chaque fois plus alimenté d’oléoducs
et de gazoducs en Méditerranée occidentale, centrale et orientale et
dans l’Adriatique s’approche de la Méditerranée y compris les sources
énergétiques et des marchés éloignés. Cette émergence d’un marché
énergétique méditerranéen et des questions du trafic d’énergie accapare
une part importante de la politique extérieure en Turquie, en Grèce et en
Italie, entre autres pays de la région. La proposition d’un oléoduc depuis
l’Afrique occidental vers l’Algérie ajouterait une nouvelle dimension sud
à cette trame. Les préoccupations énergétiques font accroître l’attention à la sécurité maritime en méditerranée, en termes généraux, pour
inclure la sécurité des routes maritimes, les points de passage principaux
comme le canal de Suez, le détroit de Gibraltar et le Bosphore, ainsi que
les divers risques environnementaux. La tendance devrait aller vers une
plus grande transparence dans les affaires maritimes, y compris au détriment de la souveraineté nationale.
Potentiels secousses et événements transformateurs
Au-delà des discussions sur les tendances à long terme, les stratégies
prudentes devraient aussi tenir compte de la possibilité d’événements
transformateurs inattendus capables de produire des virages soudains
dans les scénarios de sécurité. Avec différentes influences régionales
et des acteurs multiples, la Méditerranée est particulièrement exposée
à des soubresauts, tant positifs que négatifs. Une liste qui illustre ces
shocks potentiels en Méditerranée comprendrait entre autres:
77­
Ian O. Lesser
•
Les conséquences
possibles d’une crise
prolongée pour
les abords de la
Méditerranée sont très
diverses
78­
•L’émergence d’une ou plusieurs puissances dotées de l’arme nucléaire
au Moyen-Orient serait un élément transformateur pour le scénario
stratégique. Un Iran nucléaire, ou quasi-nucléaire, et de nouveaux programmes dans d’autres pays pourraient déclencher une série d’effets
dans l’équilibre militaire et les perceptions stratégiques dans toute la
région, allant de la Caspienne à l’Égée, en Europe et au Maghreb.
La prolifération continue de missiles balistiques de portée transméditerranéenne met en évidence l’exposition du nord et du sud à des
dynamiques de prolifération tant en Méditerranée qu’en dehors.
•Un effondrement au Pakistan pourrait sembler un événement éloigné
vu depuis la Méditerranée. Cependant, le chaos résultant, ses effets
sur les réseaux terroristes et la possible perte de contrôle sur l’arsenal
nucléaire du pays pourraient avoir des implications spectaculaires pour
l’Europe et le sud de la Méditerranée.
•Une plus grande détérioration des relations entre une Russie chaque fois plus nationaliste et assertive et un “Occident” toujours plus
incertain pourrait raviver la crainte d’une escalade dans la compétition
relative aux affaires de sécurité énergétique, certains desquelles se
joueraient dans un scénario méditerranéen plus large. Dans ces conditions, les états du Maghreb et du Levant, y compris la Turquie, pourrait
se voir forcés d’avoir à prendre des choix gênants liés à leur défense
et débouchant sur des relations économiques difficiles entre l’est et
l’ouest.
•L’instabilité financière globale actuelle met en évidence que l’éventualité d’une crise économique sévère est plus que réelle. Les conséquences
possibles d’une crise prolongée pour les abords de la Méditerranée
sont très diverses. Des économies avec un haut taux de croissance
mais fragiles – la Turquie en est le cas paradigmatique mais il y en a
d’autres – pourraient devoir affronter de nouvelles crises économiques
propres. Les pays en voie de développement du Maghreb pourraient
voir se réduire drastiquement l’aide et les investissements. Les principaux exportateurs d’énergie comme la Libye et l’Algérie pourraient
voir la demande et les hauts prix du pétrole et du gaz ralentir, avec des
implications préoccupantes pour la cohésion et la stabilité nationales.
Des mouvements xénophobes et nationalistes en Europe pourraient
bénéficier de ces conditions et pourraient espérer que soit adopté une
position plus dure concernant les migrations et les relations nord-sud
en général. Les restrictions économiques peuvent aussi compliquer
sévèrement les relations transatlantiques, en limitant la possibilité
d’une politique plus concertée tant dans la Méditerranée que dans
d’autres zones. Finalement, une récession prolongée – y compris pire –
pourrait mener à une approche avec un rôle réduit du pouvoir et de la
présence nord-américaines, faisant que l’Europe prenne en charge plus
d’aspects de la sécurité de la périphérie du continent. Dans le pire des
cas, à la détérioration des relations de sécurité entre les états pourrait
suivre la détérioration des relations économiques, augmentant la possibilité de conflit régional – le modèle de l’entre-deux-guerres.
•De nouveaux actes de super terrorisme, suivant le modèle du 11 septembre, ou une campagne de tragédies, bien que moins meurtrière,
des attaques comme celles de Madrid, d’Istanbul ou de Casablanca
pourraient provoquer un plus grand degré de déstabilisation dans le
contexte méditerranéen. La “prochaine attaque” pourrait très bien
avoir lieu en Europe. Comme les attentats de Madrid et les plus récentes tentatives avortées en Italie et en Espagne le démontrent, le sud
SÉCURITÉ ET INSÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE: UNE PERSPECTIVE NOR-DAMÉRICAINE
•
de l’Europe n’est pas exempt. Il y a une possibilité importante que les
réseaux du nord de l’Afrique participent dans de nouvelles attaques de
ce type. Le résultat pourrait être une plus grande “sécurisation” des
relations nord-sud en Méditerranée, et un renforcement des perceptions sur la sécurité intérieure.
•Le démembrement de l’Iraq et l’émergence d’un état kurde indépendant au nord pourraient poser des problèmes énormes pour la Turquie
et ses partenaires internationaux. Ankara se trouve toujours face à de
sérieux problèmes de sécurité résultants de l’insurrection renouvelée
du PKK et du terrorisme urbain. La nature de la réaction turque pourrait avoir des implications à long terme sur l’orientation stratégique
de la Turquie, et sur l’habilité d’Ankara à agir dans d’autres sphères, y
compris en Méditerranée orientale.
A ce catalogue d’éventualités négatives, nous pourrions ajouter certains
événements potentiels d‘effets positifs qui ont également une capacité
transformatrice:
•Indubitablement, un accord israélo-palestinien et une solution durable
et intégrale pour l’établissement de deux états, auraient un effet transformateur sur le scénario de sécurité en Méditerranée. Évidemment,
d’autres rivalités régionales persisteraient, comme des défis internes.
Non obstant, un des principaux points de conflit aurait été éliminé,
même si les extrémistes continueraient de mettre en danger l’accord.
On pourrait également inclure un nouveau compromis clé avec la stabilité et le développement de l’état palestinien au sein d’une stratégie
plus large d’aide et d’investissements pour le sud de la Méditerranée.
Consolider et assurer un accord intégral pourrait, par sa nature, requérir une plus grande coordination transatlantique en Méditerranée
orientale.
•La tension entre Téhéran et Washington pourrait devenir une éventualité minime en 2008. Durant la prochaine décade, cependant, la
possibilité d’une rupture révolutionnaire dans le modèle des relations
entre l’Iran et l’Occident est assez réelle. A la différence de la distension croissante avec la Libye, la réintégration de l’Iran irait au delà de
la simple stabilisation. Cette série transformatrice pour la non prolifération, la sécurité énergétique et “la fin du conflit” dans les relations
entre Israël et ses voisins. Ces effets pourraient être sentis dans la
Méditerranée et dans le Golfe.
Observations générales et conclusions
Le contexte de sécurité de la Méditerranée évolue rapidement, à
cause des pressions internes des deux rives, des dynamiques régionales changeantes - positivement et négativement - et par l’émergence
de nouveaux acteurs et de nouvelles stratégies. Des questions comme
la religion ou l’identité, éléments traditionnellement importants dans
les affaires méditerranéennes, sont, une fois de plus, centrales. Les
shocks stratégiques, dont beaucoup proviennent d’en dehors de la
Méditerranée, vont développer probablement un rôle crucial dans l’évolution de la région à différents niveaux. Une fois de plus, bien que toutes
ces contingences ne soient pas négatives, elles peuvent avoir des conséquences déstabilisatrices importantes pour la région.
79­
Ian O. Lesser
•
La suprématie des
conditions intérieures
pour la sécurité dans
la région réclame
une plus grande
coordination dans les
approches européennes
et américaines
Face au futur, cette analyse suggère que les partenaires des deux rives
de la Méditerranée et de l’Atlantique se rencontrent autours des mêmes
questions. En premier lieu, les états méditerranéens, et spécialement les
états méditerranéens européens vont devoir considérer les bénéfices des
stratégies plus larges quant à la périphérie européenne, le voisinage élargi, en opposition à une stratégie forte envers la Méditerranée. L’identité
méditerranéenne est-elle importante en tant que principe organisateur
pour une stratégie ou une politique ou s’agit-t-il d’un anachronisme? La
proposition française d’une Union Méditerranéenne et une réactivation
notable du Dialogue 5+5 suggèrent que la notion d’une identité méditerranéenne unifiée n’a pas perdu en vigueur. Cela pourrait y compris
être un corollaire nécessaire pour une nouvelles ostpolitik dirigée par
l’Allemagne si l’Europe doit être un acteur de sécurité dans la périphérie.
En deuxième lieu, quel rôle peuvent jouer les États-Unis dans les nouvelles stratégies méditerranéennes? Cela dépendra en grande mesure de la
compétence des priorités des politiques et planification nord-américaines. Si la prochaine décade se définit par une compétition stratégique
plus intense entre les États-Unis et la Chine, il est peu probable que l’engagement nord-américaine avec la sécurité en Méditerranée s’étende.
Si la stabilité dans la périphérie sud de l’Europe est perçue comme un
facteur critique pour la sécurité transatlantique à l’ère des risques partagés, un plus grand engagement des États-Unis, bien que cela n’implique
pas nécessairement une plus grande présence, serait une priorité. A
n’importe quelle condition, la suprématie des conditions intérieures pour
la sécurité dans la région réclame une plus grande coordination dans les
approches européennes et américaines dans l’aide, les investissements et
les réformes au sud de la Méditerranée.
Enfin, les partenaires des deux rives de la Méditerranée se verront affectés par la globalisation de la sécurité régionale, particulièrement par les
liens florissants entre la sécurité en Afrique et en Eurasie et le scénario
stratégique en méditerranée. De nouvelles routes de transites et des
modèles d’immigration plus large font partie de cette équation, à côté
de l’augmentation de la portée des systèmes d’armement, et la croissante capacité des acteurs non méditerranéens à projeter leur pouvoir, tant
civil que militaire, dans la mer et son intérieure. La question permanente
de l’interdépendance des mondes de la Méditerranée et de l’Atlantique
(et du Pacifique) reste fondamentale pour les stratèges et politiques
actuellement.
80­
SÉCURITÉ ET INSÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE: UNE PERSPECTIVE NOR-DAMÉRICAINE
•
LES DÉFIS SÉCURITAIRES DANS LA MÉDITÉRRANÉE SUDORIENTALE : IMPLICATIONS POUR L’UE
Meliha Benli Altunisik
Professeur, Département des relations internationales.
Middle East Technical University, Ankara
L
a dimension sécuritaire en Méditerranée a évolué depuis la fin de la
Guerre Froide. De nouveaux défis ont surgi tandis que d’autres se
maintiennent tout en ayant pris une nouvelle tournure. En ce qui
concerne la portée géographique, cet article est centré sur la région sudorientale de la Méditerranée, y compris le Mashreq et le Golfe. Bien que
certains des aspects que nous analysons ici soient également pertinents
pour le Maghreb, la région de la Méditerranée orientale répond à des
dynamiques propres. Le débat vise à déterminer quelles sont les implications de ces défis pour l’UE. L’UE et la région sud de la Méditerranée
sont liées en raison de questions sécuritaires. Il est important d’identifier
ces défis à partir d’une perspective globale, sans prioriser les intérêts
européens. Dans ce contexte, je me propose d’identifier les sept défis
actuels dans la région méditerranéenne qui, à mon avis, continueront à
avoir une influence dans le futur.
Iran est clairement
devenu, dans les
dernières années,
une puissance
méditerranéenne
Une interconnexion croissante entre les différents
conflits de la région
Le conflit arabo-israélien, principal conflit dans la région pendant très
longtemps, est de plus en plus interconnecté avec les deux autres problèmes clés au Moyen-Orient : la crise iraquienne et la crise iranienne.
La connexion entre ces conflits se produit dans les deux directions. La
guerre d’Irak de 2003 a contribué à radicaliser encore plus la région
et a mis en avant les groupes les plus radicaux sur le front arabo-israélien. D’autre part, la présence des États-Unis en Irak et leur objectif de
transformer la région après le 11 septembre ont dilapidé la possibilité
pour les États-Unis d’exercer une pression sur Israël afin d’aboutir à la
paix. L’Administration Bush qui, pour commencer, ne semblait pas trop
intéressée à résoudre le conflit arabo-israélien s’est consacrée à l’Irak.
La crise d’Iran, d’autre part, exerce une grande influence sur le front
arabo-israélien. Iran est clairement devenu, dans les dernières années,
une puissance méditerranéenne. Ces conflits sont progressivement devenus des scénarios pour que des acteurs régionaux et extrarégionaux,
notamment les États-Unis, poursuivent leur lutte visant à imposer leur
vision de l’ordre régional. Le Liban est devenu un camp de bataille pour
cela et la guerre du Liban de l’été 2006 en constitue un exemple clair. La
persistance du conflit palestinien permet également au Président iranien
81­
•
Ahmadinejad de disposer d’une plateforme sur l’espace public arabe.
Le secret, connu de tous, de l’arsenal nucléaire israélien sert à l’Iran
pour justifier ses ambitions nucléaires. Ces liens tellement clairs entre
les différents conflits ont conduit, sans aucun doute, à l’expansion des
frontières de la Méditerranée au-delà de sa référence géographique, ce
qui complique encore plus les problèmes sécuritaires, les rendant moins
maniables. La solution au conflit arabo-israélien est devenue la question
la plus complexe, notamment tant que le reste des conflits perdurent.
Ceci pose des problèmes spécifiques aux États-Unis, étant donné qu’ils
ont construit une région méditerranéenne divisée par leurs politiques
depuis la fin de la Guerre Froide. D’autre part, l’UE a mis trop de temps
à développer des politiques dirigées aux pays du Golfe. C’est pourquoi,
l’inter-connectivité croissante des différents conflits de la zone présente
encore plus de limitations pour les politiques méditerranéennes.
Absence de cadres de sécurité régionale au sud
Cette zone constitue un cas difficile pour la construction régionale.
Et ce pour plusieurs raisons, toutes en relation avec les politiques des
acteurs extérieurs. Le conflit arabo-israélien et d’autres polarisations, la
consolidation de la norme de la souveraineté nationale au détriment de
la coopération régionale et les politiques d’exclusion, notamment des
acteurs régionaux, ont entravé la construction d’un régime de sécurité
régionale. Comme résultat de cela, la mentalité « addition zéro » continue à prévaloir en matière sécuritaire. Le Moyen-Orient, en général, a
opéré sous des principes réalistes, notamment le principe de l’équilibre
des pouvoirs. La confiance en l’équilibre de forces en relation avec les
aspects de sécurité régionale ont soutenu l’instabilité chronique et
le recours fréquent à des conflits de haute ou de basse intensité. Le
dilemme de la sécurité a caractérisé les relations au Moyen-Orient et a
évité une approche réellement sécuritaire pour la région. Le Partenariat
Euro-méditerranéen met l’accent sur la promotion du régionalisme pour
adresser les affaires d’intérêt commun pour la région. Cependant, finalement, cela doit être entrepris depuis l’intérieur de la région. Une des
opportunités a été représentée par le Sommet de pays voisins d’Irak,
qui a commencé avant la Guerre de 2003 à l’initiative de la Turquie.
Après l’établissement du gouvernement iraquien, l’Irak a également
joint cette initiative et participe aux rencontres qui réunissent les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères. Irak est en train de subir
des transformations d’une grande portée et fait face à des défis importants dans ce processus. Le résultat final de cette transformation aura
d’importantes répercussions non seulement pour l’Irak mais aussi pour
l’ensemble de la région. Les états de la zone se montrent réticents par
rapport à ce que cela signifie pour eux et essayent de développer des
mesures afin d’assurer leur influence et sauvegarder leur propres intérêts. D’autre part, l’Irak a besoin de temps et d’éviter toute intervention
afin de résoudre ses propres problèmes et avancer dans le processus
de construction de l’État. Les questions sécuritaires de tous ces acteurs
ne peuvent pas être adressées de façon indépendante, car elles sont
toutes liées. Autrement dit, ces acteurs constituent un complexe de
sécurité, défini par Barry Buzan comme un groupe d’états dont les préoccupations en matière de sécurité son tellement liées que la sécurité
nationale d’un des états ne peut pas être envisagée, d’une manière
82­
LES DÉFIS SÉCURITAIRES DANS LA MÉDITÉRRANÉE SUD-ORIENTALE : IMPLICATIONS POUR L’UE
•
réaliste, indépendamment des autres1. Ainsi, le nouveau scénario surgi
après la Guerre d’Irak de 2003 a établi une nouvelle sphère de sécurité
sous-régionale, dont le centre se situe en Irak. Les principaux acteurs
de ce nouveau scénario ne sont plus seulement les pays du Golfe, mais
aussi, maintenant, la Turquie, la Syrie et la Jordanie. Le Sommet de pays
voisins visait à aboutir à des accords sur une série de principes communs fondamentaux, tels que l’intégrité territoriale, la résolution de
disputes d’une manière pacifique, des mesures de confiance minimales
et l’établissement de mécanismes pour le dialogue. Pendant un certain
temps, leur effectivité a été entravée par la sensibilité de la Turquie par
rapport à l’autonomie turque au nord de l’Irak, les politiques exclusives
des États-Unis envers l’Iran ou la Syrie. Cependant, lors de la dernière
rencontre à Istanbul, il a été convenu, de façon générale, d’inclure
des acteurs externes, tels que les États-Unis ou l’UE. Si cette évolution
se maintient, elle pourrait être significative pour l’établissement d’un
régime de sécurité limité dans la région. La plus grande réussite de ce
régime serait la reconnaissance des droits de sécurité commune et le
refus du recours à la force militaire. Sous cette forme, il serait en mesure de constituer une pièce dans la construction d’un cadre de sécurité
intégral et institutionnalisé dans une région pour faire face aux défis de
la sécurité et de la stabilité politique.
Les politiques des ÉtatsUnis ont été fondées
sur le principe de
l’exclusion de certains
pays
La politique d’exclusion des États-Unis et l’unilatéralisme
Les politiques des États-Unis, le principal acteur extrarégional dans la
zone depuis la Seconde Guerre mondiale, ont été fondées sur le principe de l’exclusion de certains pays. Pendant les années de la Guerre
Froide, la bipolarité justifiait ces politiques et, parfois, les États-Unis ont
interprété erronément les dynamiques régionales dans le contexte de
leur lutte contre l’URSS. Par conséquent, les politiques des États-Unis
ont aliéné le nationalisme arabe et ont essayé d’exclure ces régimes et
ces mouvements des politiques régionales. Une fois la Guerre Froide
terminée, les États-Unis ont décidé d’établir un Nouvel ordre au MoyenOrient. Un élément important de cet ordre a été l’exclusion de deux
des principaux états du Golfe, l’Iran et l’Irak, de leur politique régionale. L’Administration Clinton a mis en marche sa « Dual Containment
Policy » à travers l’utilisation de divers outils, y compris l’embargo, l’usage de la force et les efforts diplomatiques pour obtenir le soutien des
autres acteurs. Les politiques d’exclusion ont continué et, en fait, se sont
étendues après le 11 septembre. À mesure que l’Administration Bush
redoublait ses efforts pour appliquer une politique plus ferme visant à la
création d’un « Nouveau Moyen-Orient », elle prêtait moins d’attention
au multilatéralisme. Les nouvelles pratiques des États-Unis avaient provoqué de nouvelles insécurités dans la région. Quand l’Administration Bush
avait comme objectifs déclarés l’Iran et la Syrie, ces régimes cherchaient
à faire échouer la politique des États-Unis au Moyen-Orient, notamment
en Irak. L’exclusion de certains des principaux acteurs régionaux a empêché le progrès vers l’établissement de la stabilité. D’autre part, le pouvoir
des États-Unis et son unilatéralisme sont devenus une force que les alliés
traditionnels des États-Unis dans la région doivent tenir en compte.
Ainsi, un des nouveaux défis aussi bien pour les acteurs régionaux que
pour les acteurs extrarégionaux, aujourd’hui, est comment gérer le pouvoir des États-Unis.
83­
Meliha Benli Altunisik
•
Divisions croissantes dans la région entre différents
groupes et acteurs non étatiques
La question de l’Islam
politique et comment
l’adresser est encore
un des principaux
défis pour les acteurs
régionaux et externes
Récemment, la politique régionale s’est caractérisée par la polarisation de
différents acteurs. Les divisions sont arrivées à un tel point que certains analystes ont commencé à parler d’une nouvelle Guerre Froide dans la région.
D’autre part, on constate une polarisation croissante entre les états plus prooccidentaux et ceux qui s’opposent au pouvoir des États-Unis et leur projet
de configurer la région selon leurs désirs. D’autre acteurs non étatiques,
tels que Hamas en Palestine, Hezbollah au Liban et certaines organisations
kurdes sont aussi devenus des acteurs de cette polarisation. Ces groupes
échappent au contrôle de l’État et, finalement, menacent les principes fondamentaux du système de l’État, tels que la territorialité ou le monopole du
contrôle et l’utilisation de la force. Finalement, une nouvelle division commence à surgir également entre Sunnites et Chiites, ce qui rend encore plus
difficile la résolution de la situation. Le pouvoir croissant des Chiites en Irak,
après la chute du régime de Saddam Hussein, et l’émergence d’Iran comme
acteur dans la politique régionale est cause d’un certain souci parmi les états
de majorité sunnite. Pour certains états ayant une minorité chiite significative,
la situation suppose un défi interne. Finalement, ce phénomène a également
des implications régionales, car certains pays ont une population chiite réduite qui pourrait se voir menacée. Ainsi, comme on a pu constater, la division
historique entre Chiites et Sunnites est étroitement liée avec la politique de
basse intensité. Cette menace, établie en termes sectaires, augmente l’instabilité dans la région, ainsi que dans les différents états à niveau interne.
La question de l’Islam politique
La question de l’Islam politique et comment l’adresser est encore un des principaux défis pour les acteurs régionaux et externes. L’Islam politique reste la
principale force politique dans la région. Cependant, au cours des dernières
années il a subi des altérations importantes. D’une part, l’Islam radical global, transcendant le niveau de l’État et agissant comme base d’une ummah
(communauté) islamique, a fait irruption. Avec cette idéologie et ces méthodes, il représente un défi important non seulement pour Occident, mais aussi
pour les Chiites, les musulmans séculaires et les états de la région. Il présente
également de nouveaux défis pour l’UE, en raison de ses liens potentiels avec
les communautés musulmanes en Europe. Malgré le nombre limité de recrutements, si nous tenons compte du volume des communautés musulmanes,
le phénomène met en évidence les problèmes de l’intégration dans ces pays.
L’Islam politique semble avoir évolué vers une ligne plus modérée : Dans les
dernières années, plusieurs partis islamistes ont surgi dans certains pays du
Moyen-Orient avec l’objectif « d’unir l’Islam avec l’élection et les libertés
individuelles de la démocratie et la modernité »2 . Il y a des partis islamistes
dans la région, comme le parti Justice et développement au Maroc, Hizb alWasat en Égypte et le Front d’action islamique en Jordanie qui ont renoncé
à la violence et ont accepté de travailler dans le respect du système actuel3.
Le développement de ce que l’on appelle le phénomène post-islamiste est
très important pour l’évolution politique du Moyen-Orient. Cependant, nous
ne savons pas encore trop pourquoi et comment certains mouvements islamistes sont en train d’évoluer ou à quel point cette évolution est génuine.
Cependant, les événements au sein de l’Islam politique sont étroitement
liés aux défis sécuritaires dans la région. La constante popularité des mou-
84­
LES DÉFIS SÉCURITAIRES DANS LA MÉDITÉRRANÉE SUD-ORIENTALE : IMPLICATIONS POUR L’UE
•
vements de l’Islam politique et l’évolution du post-islamisme ont conduit les
pouvoirs externes, comme l’UE, à envisager l’établissement de relations avec
les groupes islamistes non violents et se demandent comment le faire.
Le dilemme entre stabilité et démocratie
L’absence de gouvernements responsables, transparents et participatifs dans
la région menace non seulement les citoyens, mais aussi les états entre eux.
La promotion de la démocratie comme façon de faire face aux défis sécuritaires
fait également partie, dorénavant, des politiques des pouvoirs externes dans
les dernières années. L’UE a été la première à décider d’affronter les causes de
l’instabilité dans la région et sa propagation vers le nord, avec le lancement du
Processus de Barcelone en 1995. L’Administration Bush, suite aux attaques du
11 septembre, a également promu la démocratisation comme panacée pour
faire face au terrorisme, bien qu’en utilisant des instruments différents à ceux
de l’UE. Cependant, les politiques, aussi bien de l’UE que des États-Unis ont
été bientôt exposées au dilemme de la stabilité et de la démocratie. Même
ceux qui défendent que la démocratie est une condition préalable pour la stabilité dans la région dans le long terme craignent les périodes incontrôlées de
transition dans le court et le moyen terme. Après des années d’autoritarisme,
une certaine ouverture politique peut déclencher l’instabilité qui, à son tour,
représenterait un obstacle pour la démocratisation. Ce dilemme a enfermé la
réforme politique à l’intérieur d’un cercle vicieux. Le dilemme entre stabilité et
démocratie a eu également des effets sur la position des pouvoirs extérieurs
lesquels, finalement, se sont également penchés du côté de la stabilité. À son
tour, ceci a provoqué des réserves quant à la sincérité, le véritable engagement
et la consistance de leurs motivations dans la région.
Même ceux qui
défendent que la
démocratie est une
condition préalable
pour la stabilité dans
la région dans le long
terme craignent les
périodes incontrôlées
de transition dans
le court et le moyen
terme
Les civilisations comme unités d’analyse
Le risque de configurer les relations de la région avec le monde extérieur
en termes de clash of civilisations est un autre défi sécuritaire que la région
doit affronter. L’idée selon laquelle la culture et les identités religieuses sont
la source première de conflit après la Guerre Froide s’est traduite par l’accomplissement d’une prophétie après les attaques du 11 septembre. Nous
trouvons des défenseurs de cette idée des deux côtés. Dans ce contexte, il
est particulièrement important que les politiques méditerranéennes des institutions occidentales ne soient pas perçues comme antimusulmanes. Une
façon d’affronter ce défi a été la promotion de concepts comme le dialogue
des civilisations plutôt que leur confrontation. Par exemple, le Président du
Gouvernement espagnol, José Luis Rodríguez Zapatero, et le Premier ministre
de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan, ont lancé en novembre 2005 l’initiative
de l’Alliance des civilisations avec l’objectif de promouvoir le respect et le
dialogue entre les sociétés islamique et occidentale. Cependant, ces concepts
doivent être considérés uniquement comme l’autre face de la monnaie, car
ils opèrent au même niveau d’analyse : au niveau des civilisations. Ainsi,
qu’on mette l’accent sur l’alliance ou sur la confrontation, les deux idées
assument l’existence de civilisations monolithiques, fermées, qui sont en
relation entre elles. Cette approche devrait être problématisée et débattue
comme une manière pertinente de comprendre les problèmes historiques et
présents auxquels nous faisons face.
85­
Meliha Benli Altunisik
•
Notes
1. Barry Buzan, People, States and Fear. An Agenda for International Security Studies in the Post-Cold
War Era, New York – London: Longman, 1991, pp. 186-229.
2.Asef Bayat, ‘What is Post-Islamism?’ ISIM Review, No. 16, 2005, disponible sur http://www.isim.nl/
files/Review_16/Review_16-5.pdf
3. Pour compléter l’information sur ces partis et l’islamisme radical global, cf. Peter Mandaville, Global
Political Islam, NY : Routledge, 2007.
86­
LES DÉFIS SÉCURITAIRES DANS LA MÉDITÉRRANÉE SUD-ORIENTALE : IMPLICATIONS POUR L’UE
•
LIBERTÉS FONDAMENTALES
•
Libertés fondamentales et sécurité dans la
coopération euro-méditerranéenne :
Stratégies à long terme et spécifiques pour
chaque pays
Isabelle Werenfels
• PLAIDOYER POUR UN CODE ET UNE CHARTER DE L’ÉTHIQUE DES MÉDIAS EN MÉDITERRANÉE
Nadir Benseba
• GUERRE CONTRE LE TERRORISME : Y A-T- IL
DES SOLUTIONS POUR PRÉSERVER LES LIBERTÉS
FONDAMENTALES ?
Salam Kawakibi
87­
•
Libertés fondamentales et sécurité dans la
coopération euro-méditerranéenne : Stratégies
à long terme et spécifiques pour chaque pays
Isabelle Werenfels
Chercheuse, département du Moyen-Orient et Afrique,
Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP), Berlin
L
es libertés fondamentales sont essentielles pour la coopération euro-méditerranéenne, du moins, en théorie.1 Le droit des
« citoyens méditerranéens » à des libertés fondamentales est
envisagé dans deux cadres principaux de coopération du bassin méditerranéen : le Partenariat Euro-Méditerranéen (PEM ou Association de
Barcelone) et la Politique Européenne de Voisinage (PEV). La Déclaration
de Barcelone de 1995 souligne la nécessité de promouvoir les droits de
l’homme et la démocratie dans la région. L’article 2 des Accords d’Association reconnaissent que le respect des droits fondamentaux et des
principes démocratiques sont des éléments essentiels de l’Accord. De
même, les Plans d’Action dans le cadre de la PEV reconnaissent, bien
qu’avec une intensité différente en fonction du pays, des dispositions
spécifiques pour la promotion des libertés fondamentales entre les états
partenaires.
La sécurité nationale,
régionale et mondiale
est fortement liée à la
sécurité des citoyens et
à leurs droits
Un des motifs fondamentaux pour ceux qui insistent sur la réforme politique comme un des principaux piliers tant du Processus de Barcelone
que de la PEV est la conviction qu’un cercle de pays prospères et démocratiques autours de la Méditerranée est la meilleure garantie pour la
stabilité durable de la région et, par conséquent, pour la sécurité européenne. Cet argument remonte au philosophe allemand Emmanuel Kant
qui a dit, de manière résumée, que les démocraties ne s’attaquent pas
entre elles. De plus, la désintégration de l’empire soviétique, seulement
cinq ans avant la création du Processus de Barcelone, rendit manifeste
que la coercition et la privation de libertés politiques ne peut garantir
une sécurité durable et stable. De même, depuis le début de 2000, l’UE
a commencé doucement à réclamer aux pays partenaires un plus grand
respect des droits de l’homme avec la conviction qu’un meilleur respect
des droits de l’homme et des libertés politiques freinerait le désir des
jeunes arabes de migrer vers l’Europe et réduirait en partie des causes de l’Islam radical. Cette idée est liée au paradigme de la « sécurité
humaine », qui part de la prémisse que la sécurité nationale, régionale et
mondiale est fortement liée à la sécurité des citoyens et à leurs droits.
Dans la pratique, non obstant, les responsables politiques semblent
s’accorder à ce que développer les droits de l’homme et la démocratisation peut représenter une menace pour le maintien de la stabilité
et la sécurité. Ceci débouche sur une claire contradiction entre l’esprit
89­
•
L’évidence des
processus d’ouverture
politique montre
qu’il n’existe pas de
simple relation causale
entre les libertés
fondamentales et la
sécurité
et les objectifs de Barcelone et les politiques quotidiennes de l’Union
Européenne et la majorité de ses États membres, qui continue à maintenir le statut quo dans la région. Ceci est évident, par exemple, dans
les politiques européennes en relation avec les Frères Musulmans en
Égypte : la majorité des politiciens préfèrent soutenir le régime stable
de Mubarak que de promouvoir les libertés politiques qui, ils craignent,
pourraient amener les islamistes au pouvoir. Les politiciens, à tord ou à
raison, pensent que ce nouveau scénario pourrait mettre en danger les
intérêts européens en matière de sécurité, argument que le Président
français Sarkozy a précisément utilisé dans son discours du Nouvel An
de janvier 2008.
La première partie de cet article aborde la relation entre la sécurité et les
libertés fondamentales. Ensuite, il traite des options politiques existantes
pour favoriser ces libertés dans les pays partenaires en même temps que
soient promus les intérêts européens de sécurité. La raison pour laquelle
nous nous centrons sur les pays partenaires est parce que la relation
entre sécurité et libertés fondamentales est plus problématique dans
ces États qu’en Europe, ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas de tension entre les États européens : le débat enflammé sur la législation en
matière de lutte contre le terrorisme et son implication pour les libertés
fondamentales dans des pays comme l’Angleterre, la France ou l’Allemagne en atteste. Non obstant, la tension entre sécurité et libertés s’aborde
dans le cadre institutionnel d’un État de Droit avec des tribunaux indépendants, garantissant généralement que ne sont pas amoindries, du
moins sévèrement, les libertés politiques et les droits civils. Au contraire,
le débat ouvert dans les pays partenaires du sud tant en questions de
sécurité et de législation qu’en questions de libertés fondamentales
est limité et sa profondeur dépend de la situation de chacun, auquel il
convient d’ajouter de rares contrôles sur l’action exécutive.
Relations multiples entre libertés et sécurité
L’évidence empirique des processus d’ouverture politique montre qu’il
n’existe pas de simple relation causale entre les libertés fondamentales et la sécurité, du moins à court terme. Que l’extension des libertés
fondamentales crée une plus grande instabilité ou insécurité ou qu’elle
promeuve la stabilité dépendra des trois facteurs suivants : Le contexte,
le temps et le cadre temporel, et le séquençage des réformes. Mais
concrètement, le contexte social, économique et international dans
lequel prennent place les libertés fondamentales sera déterminant. Les
trois exemples suivants le soulignent très clairement :
En Algérie, en 1989, un grand nombre de droits politiques ont été
garantis pendant un moment de grande crise socio-économique
résultant de la baisse du prix du pétrole et de l’incapacité des élites postcoloniales à appliquer un projet d’industrialisation et de développement.
En même temps, la société algérienne était fortement divisée, par des
questions d’identité nationale, par des conflits entre les berbérophones, les francophones et les arabophones et pour une vision séculaire
de l’État faisant face aux visions islamistes. De plus, l’application des
libertés fondamentales fut menée d’un coup, sans disposer d’un cadre
institutionnel stable. C’est-à-dire, sans un appareil étatique fonctionnel
90­
•
LIBERTÉS FONDAMENTALES ET SÉCURITÉ DANS LA COOPÉRATION EURO-MÉDITERRANÉENNE :
STRATÉGIES À LONG TERME ET SPÉCIFIQUES POUR CHAQUE PAYS
et indépendant, au sens wébérien, qui l’appuierait. Dans ces circonstances particulières il n’est pas surprenant que la protestation radicale fut
d’une telle ampleur.
L’exemple de l’Irak après Saddam Hussein, pour utiliser un cas extérieur à la
région Méditerranéenne, démontre particulièrement qu’un certain niveau
de sécurité et de stabilité de l’État est une condition requise indispensable
pour rendre effective l’extension des libertés fondamentales, non seulement
en théorie mais également dans la pratique. En Irak une longue liste de
droits civils et politiques furent garantis avec un appareil étatique plongé
dans le chaos et, par conséquent, avec un État trop fragile et instable pour
garantir leur application. Dans ce cas, la soudaine expansion des libertés
fondamentales contribua à la déstabilisation et à l’insécurité.
Le défi se pose de
comment garantir les
libertés fondamentales
sans promouvoir, à
court terme, l’instabilité
dans les pays
partenaires du sud
Un troisième exemple peut être trouvé dans ce qu’on appelle les « démocraties tardives » du sud de l’Europe. Les trajectoires de l’Espagne, de la
Grèce et du Portugal démontrent que dans un contexte relativement sûr
et institutionnellement stable, l’extension des libertés fondamentales
et de la démocratisation non seulement ne déstabilisa pas l’État, mais
elle eut un effet positif sur sa stabilité et sécurité à long terme. Nous
ne devons pas omettre, cependant, que ces États avaient un stimulant
important pour réussir cette réforme : la perspective de l’intégration
européenne. Nous pouvons prévoir que la Turquie pourrait avoir un
développement similaire : la prévention de la déstabilisation dans un
contexte de libertés fondamentales en développement.
De ces exemples, comme d’autres qui existent dans la littérature sur les processus de transitions politiques vers la démocratie dans d’autres régions du
monde, nous devons tirer l’apprentissage que les effets pour encourager les
libertés politiques à court et à long terme sont différents. Tandis qu’à court
terme le développement de ces libertés peut produire des effets inattendus
et provoquer l’instabilité, à long terme il représente un facteur important
pour la réalisation de la stabilité et la sécurité. Par conséquent, le défi se
pose de comment garantir les libertés fondamentales sans promouvoir, à
court terme, l’instabilité dans les pays partenaires du sud.
Comment l’Europe peut-elle renforcer en même temps
les libertés fondamentales et la sécurité ?
Les difficultés et les limites des moyens de promotion de la démocratie et
des droits de l’homme au sud de la Méditerranée de la part de l’Europe
ont été amplement analysés par la littérature académique, spécialement
dans le contexte de l’évaluation du Processus de Barcelone et de ses
résultats. Parmi les facteurs qui ont réduit l’effectivité des politiques de
l’UE nous trouvons ceux qui prennent racines dans le cadre du Processus
de Barcelone même : par exemple, l’association avec des gouvernements
qui, pour des raisons évidentes, montrent peu d’intérêt à appliquer des
réformes qui pourraient miner les systèmes autoritaires en vigueur. De
plus, l’exécution du Processus de Barcelone redouble en inconsistances et tant les Etats membres que la Commission Européenne lancent
des signes et des politiques contradictoires. Ces problèmes affectent la
relation entre l’UE et ses États membres d’un côté, et les pays arabes
partenaires, de l’autre.
91­
Isabelle Werenfels
•
Cependant, ce serait une erreur d’appliquer la même formule pour la
promotion des libertés à tous les pays et présumer que les politiques et
instruments valides pour un pays peuvent fonctionner pour les autres. La
situation politique, économique et socioculturelle de chaque pays diffère
substantiellement dans toute la région, ainsi que les libertés politiques et
la sécurité. Un état comme la Libye, bien qu’elle jouisse d’un haut degré
de stabilité, ne respecte pas les éléments les plus élémentaires des libertés fondamentales. De plus, le pouvoir est intensément centralisé dans
les mains de certains. Au Liban, néanmoins, les droits civils et les libertés
politiques sont fortement étendus en comparaison à d’autres pays de la
région, mais la stabilité de l’État est basse et le pouvoir est réparti entre
divers groupes ethniques hostiles entre eux et dépend du soutien externe. Il est évident que les politiques européennes envers ces deux pays
requièrent des approches différentes.
Malgré la nécessité d’approches spécifiques pour chaque pays, il existe
des directrices générales pour les politiques européennes dans la région
qui devraient faire augmenter la crédibilité de l’UE dans la zone. De plus,
elles devraient avoir un effet positif à long terme pour la stabilité régionale, en même temps que de promouvoir les libertés fondamentales.
Il est nécessaire que les politiques européens tiennent compte des
sociétés des pays partenaires et qui leur transmettent l’idée que leurs
doits, demandes et désirs sont écoutés et défendus, et pas seulement ceux de leurs gouvernements. Ceci implique, par exemple, que
les politiques européens défendent la participation des opposants
non violents dans les processus politiques des pays partenaires. Ceci
requiert d’accepter l’inclusion de certains acteurs politiques, comme
les partis islamistes – qui peuvent ne pas partager la conception de la
société ou les valeurs européennes mais qui représentent une partie
substantielle de leurs sociétés- strictement sous la soumission à des
règles du jeu démocratique. Aussi, il est nécessaire que les gouvernements européens forment leur propre opinion de ces mouvements
et partis et ne s’approprient pas le discours qu’offrent les pays partenaires, intéressés à décréditer leur opposition, spécialement si elle est
islamiste. Une illustration de ceci est le mouvement tunisien interdit
Nahda : le gouvernement tunisien a qualifié ce mouvement d’organisation terroriste malgré que son agenda et son discours aillent dans la
même direction que les autres partis islamistes qui dans des pays voisins sont au Parlement ou y compris dans le gouvernement comme le
PJD (Parti de la Justice et du Développement) et le MSP (Mouvement
de la Société pour la Paix) algérien.
La crédibilité européenne est dégradée quand les libertés fondamentales
sont promues en tant que prétexte pour d’autres causes. Divers pays
membres de l’UE, par exemple, sont plus durs avec la Syrie quant à sa
situation des libertés fondamentales et de démocratisation, au moins
au niveau rhétorique, qu’avec des pays comme l’Algérie, la Libye ou la
Tunisie. Les motifs pour justifier cela ne sont pas la situation des libertés
fondamentales (la situation de la Libye en la matière est pire que la Syrie)
mais le contexte géostratégique est plus large : la Syrie est considérée
comme un écueil dans la région, tandis que la Libye et l’Algérie sont des
pays clefs pour l’Europe en matière de sécurité énergétique et de contrôle de la migration illégale. En d’autres mots, les libertés fondamentales
92­
•
LIBERTÉS FONDAMENTALES ET SÉCURITÉ DANS LA COOPÉRATION EURO-MÉDITERRANÉENNE :
STRATÉGIES À LONG TERME ET SPÉCIFIQUES POUR CHAQUE PAYS
sont utilisées comme prétexte, ou simplement nomées, pour libérer les
politiques de la pression exercée par les groupes internationaux de droits
de l’homme. La crédibilité de l’UE souffre, en plus, de ce que les pays
membres envoient des messages contradictoires aux politiques générales
de l’UE. Ceci fut le cas en France en des occasions répétées en relation
à l’abus des droits de l’homme au Maghreb. Finalement, l’UE dilapida sa
crédibilité après les élections palestiniennes de 2006. Après avoir prêché
la démocratie, avoir fait pression pour que des élections aient lieu avec
des observateurs et avoir fait l’éloge de son degré de liberté, l’UE refusa
de traiter avec le Hamas. À la vue de telles inconsistances et contradictions dans ses propres politiques, cela n’est pas surprenant que les
acteurs de la société civile dans les pays partenaires ne se fient ni aux
Nord-Américains ni aux Européens.
La crédibilité de l’UE
souffre de ce que
les pays membres
envoient des messages
contradictoires aux
politiques générales de
l’UE
Une coopération étroite avec les pays du sud de la Méditerranée dans la
« lutte contre le terrorisme » court le risque de provoquer l’effet indésiré
d’augmenter la radicalisation et d’être contre-productif. Si les États européens, par exemple, tolèrent l’abus des droits de l’homme en extradant
des terroristes, supposés ou prouvés, à des pays où avec certitude on les
torturera, il est transmis à la population des pays arabes exactement le
même message que celui qu’elle reçoit de son gouvernement : que ses
droits ne comptent pas. De la même manière, en fournissant des armes
en Libye, dont la situation des droits de l’homme est, au minimum, problématique ou en demandant à ces État qui luttent contre l’immigration
illégale sans garanties pour les immigrants de recevoir un traitement en
accord avec les standards internationaux des droits de l’homme, les États
européens envoient des messages douteux à la population arabe. Ces
messages abîment l’image de l’Europe parmi les jeunes arabes désillusionnés et pourraient augmenter leur radicalisation et hostilité contre
l’Occident.
Finalement, il faudrait mettre en question la position des gouvernements
des pays partenaires qui utilisent la menace terroriste pour justifier qu’ils
n’initient pas de réformes politiques ou pour réprimer les libertés existantes. L’exemple du Maroc démontre que la lutte contre le terrorisme
peut cohabiter avec un certain degré de liberté de la presse, un processus politique pluraliste et compétitif et, en comparaison avec les autres
pays de la région, une situation des droits de l’homme assez acceptable.
Une stratégie exclusivement bilatérale ou multi-bilatérale comme la PEV
ou le Dialogue Méditerranéen de l’OTAN offre de plus grandes opportunités pour encourager parallèlement les libertés fondamentales et
garantir la sécurité que le cadre multilatéral et régional du Processus de
Barcelone pour diverses raisons. En premier lieu le conflit israélo-palestinien acquiert une telle connotation émotionnelle qu’il éclipse et domine
toute discussion possible concernant la sécurité et les droits de l’homme
et empêche toute conclusion ou politique dans le cadre multilatéral de
Barcelone. En deuxième lieu, comme déjà mentionné plus haut, des
pays comme le Maroc et la Syrie présentent des problèmes distincts.
Le résultat de stratégies multilatérales pour leur faire face créée non
seulement des déclarations génériques et avec peu de force, quand il y
en a qui sont créé. L’échec d’approuver au consensus une définition du
terrorisme dans le sommet « Barcelone plus 10 » en novembre 2005 en
est un exemple.
93­
Isabelle Werenfels
•
Finalement, les chapitres de sécurité sont habituellement réservés et ceux
des libertés fondamentales, spécialement délicats. Par conséquent, les élites politiques et militaires des pays du sud de la Méditerranée se montrent
réticents à les aborder dans les grandes réunions : au plus petit est le cercle,
au plus il y a possibilités d’établir des méthodes de confiance. Celles-ci sont
importantes surtout que dans quelques pays partenaires persistent certaines
réactions, d’autre part compréhensible, anti-coloniales face à la pression
externe de respecter les libertés fondamentales. Des formats sous-régionaux
et semi institutionnalisés comme le 5+5 ont produit de plus grands résultats
tangibles en rapport à la coopération en matière de sécurité que le cadre du
Processus de Barcelone. En conséquence, il peut être plus productif de se
concentrer sur un format plus réduit et flexible pour construire des moyens
de confiances entre un petit groupe d’acteurs avec des besoins communs.
Un autre avantage des formats multilatéraux réduits est que les mécanismes
de pression ou de concurrence établis peuvent favoriser l’obtention de résultats tangibles.
Finalement, mais tout aussi important, les responsables de la politique extérieure européenne ont besoin d’être patients et de penser à long terme,
aussi pour appliquer une certaine modestie quant à la capacité européenne
d’influencer sur la situation intérieure des pays partenaires. Il est important
de tenir compte qu’un processus de réforme profonde implique la transformation simultanée du système de domination, du système de la culture
politique des sociétés et du système économique qui, généralement n’arrive
pas en un coup. La meilleure illustration est à trouver dans les siècles qui
furent parcourus depuis l’expansion des libertés fondamentales jusqu’à leur
traduction en des systèmes démocratiques consolidés.
Quels instruments politiques ?
Le Processus de Barcelone dispose de peu d’outils pour la promotion des
libertés fondamentales au-delà des instruments spécifiques : le dialogue
politique dans le premier panier, centré sur la coopération politique, du
Partenariat Euro-Méditerranéen et le soutien à la société civile dans le troisième, centré sur la coopération culturelle. Aucun des deux n’a donné de
résultats probants. Dans les cas où la situation politique s’est améliorée
pendant la dernière décennie, comme c’est le cas du Maroc, où le système
politique s’est libéralisé et la société civile s’est fortifiée depuis le début du
Processus de Barcelone, il est très difficile d’établir une corrélation entre
ces événements et les politiques de financements de l’UE. Il semble réaliste
d’assumer que le rôle qu’elles ont joué est très petit en comparaison au
développement des événements au niveau national et régional, comme la
guerre civile d’Algérie et les resultantes considerations stratégiques du roi
Hasan II ou la réforme que le jeune roi Mohamed VI, socialement moderniste, a impulsée après son arrivée au trône en 1999.
La PEV, pour sa part, dispose d’instruments potentiellement plus efficaces, comme les instruments de suivi et évaluation (connus sous le nom de
benchmarking) et la conditionnalité ex-post. Dans les Plans d’Action de la
Politique Européenne de Voisinage avec les pays du sud, par exemple, est
inclus une clause selon laquelle les droits de l’homme doivent être respectés
dans la lutte contre le terrorisme. Non obstant, les indicateurs qui vont être
94­
•
LIBERTÉS FONDAMENTALES ET SÉCURITÉ DANS LA COOPÉRATION EURO-MÉDITERRANÉENNE :
STRATÉGIES À LONG TERME ET SPÉCIFIQUES POUR CHAQUE PAYS
appliqués pour évaluer le progrès ne sont pas spécifié, comme pourrait être
comment renforcer les droits des détenus, entre autres. Finalement, elle
n’offre aucun incitant pour des réformes entreprises.
Les plans d’action de la PEV devraient se doter d’incitants pour les progrès réalisés dans des domaines déterminés. Les élites politiques dans
certains états partenaires seraient plus enclins à se soumettre aux réformes avec un incitant clair. C’est seulement si les élites des pays du sud de
la Méditerranée comprennent qu’elles peuvent aussi bénéficier, même
uniquement au niveau symbolique, d’un plus grand respect des libertés
fondamentales, que les demandes de l’UE rencontreront un écho dans les
pays partenaires. Le fait que l’UE ait fait entrevoir au Maroc la possibilité
d’obtenir un statut avancé en 2007 est symboliquement important pour
les élites arabes déjà qu’ils voient l’accomplissement des accords comme
les initiatives de réformes entreprises par le propre roi, entre autre l’Instance d’Équité et de Réconciliation. De plus, pour une meilleure étude
du développement, l’UE devrait insister auprès des pays partenaires sur la
nécessité d’une meilleure définition de quelques indicateurs spécifiques
pour évaluer le progrès et son inclusion dans les futurs plans d’action.
En rapport avec l’amélioration de la situation des droits de l’homme et
le respect des libertés fondamentales dans les pays partenaires méditerranéens il est nécessaire d’impliquer, spécialement, tous ceux qui ont
une relation avec le maintien de la sécurité. C’est-à-dire les membres de
l’appareil de sécurité et la police.
Il est nécessaire de promouvoir la sensibilisation sur les libertés fondamentales à travers un dialogue bilatéral ou multilatéral (l’UE plus un pays
partenaire) et des programmes d’échange entre membre des différents
appareils de sécurité. Quand les officiels de l’armée et de la police partagent
des expériences sur les problèmes liés à la sécurité et aux droits de l’homme
avec leurs homologues des pays du sud de la Méditerranée, ces derniers se
montrent plus réceptifs envers les discours normatifs des politiques européennes. Certains des thèmes qui devraient être traité sont : 1) Comment
les démocraties garantissent les libertés fondamentales et la sécurité et
quelles institutions et mécanismes sont employés pour résoudre les problèmes entre les deux ; 2) Comment est le code de conduite (directives) des
pays européens pour traiter avec l’opposition, les manifestants, etc. et comment sont élaborés ces directives ; 3) Les caractéristiques de la relation et de
la coopération entre les institutions militaires dans les pays européens.
L’instrument probablement le plus efficace pour sensibiliser et modifier
les conduites tant de l’armée que des élites politiques envers les libertés
fondamentales serait d’impliquer ces élites dans le mode opérationnel
d’un pays tiers.
Un Instrument à être exploré sont les missions d’observation électorale.
L’Institut Démocratique National des États-Unis par exemple, a formé
et impliqué des algériens (en ce compris des islamistes membres du
Parlement et du gouvernement de la coalition) et d’autres arabes dans
des missions d’observation électorale dans des pays qui menaient une
transition vers la démocratie. La perspective comparative concernant les
élections qui en découle peut faire ouvrir les yeux aux participants et leur
permettre d’identifier de nouvelles problématiques intrinsèques à leur
95­
Isabelle Werenfels
•
Il est nécessair
introduire le
respect des libertés
fondamentales
aussi depuis une
perspective indirecte
et d’une forme plus
pragmatique que
jusqu’à présent
propre processus électoral et leur offrir un incitant pour soulever de nouvelles demandes pour la célébration de processus plus démocratiques et
l’établissement d’une nouvelle législation dans leurs propres pays. L’UE
pourrait aussi instaurer un programme euro-méditerranéen pour l’observation d’élections dans des pays tiers.
Les missions multilatérales dans des pays tiers peuvent modifier la vision
dans des affaires comme les droits de l’homme et les libertés politiques
parmi le personnel de l’armée. Un bon exemple de ceci peut être trouvé
dans l’implication de l’armée turque dans la Présence Internationale
Temporelle dans la ville d’Hébron (TIPH), une mission civilo-militaire de
maintien de la paix établie dans le cadre du processus d’Oslo sous le leadership de la Norvège. Aux sources du travail contre les abus des droits
de l’homme à Hébron et à force de converser avec les activistes pour les
droits de l’homme israéliens et palestiniens, divers officiels turques se
sont remis en tête les politiques utilisées contre les opposants politiques
et les minorités ethniques en Turquie2.
Ces exemples démontrent que un des chemins à explorer se situe en
ce que les responsables européens de la politique extérieure conçoivent
des stratégies pour introduire le respect des libertés fondamentales aussi
depuis une perspective indirecte et d’une forme plus pragmatique que
jusqu’à présent.
Notes
1. Les libertés fondamentales sont définies ici conformément à la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme de l’ONU de 1948 qui inclut les libertés politiques et les droits (démocratiques) comme
la liberté d’association (Article 20) et la liberté de prendre part au gouvernement de son pays, soit
directement, soit à travers des représentants librement choisis (Article 21).
2. L’auteur de cet article fut la responsable de la délégation suisse du TIPH en 1999 et, en conséquence,
témoin privilégié de ces processus.
96­
•
LIBERTÉS FONDAMENTALES ET SÉCURITÉ DANS LA COOPÉRATION EURO-MÉDITERRANÉENNE :
STRATÉGIES À LONG TERME ET SPÉCIFIQUES POUR CHAQUE PAYS
Plaidoyer pour un code et une charter de l’éthique
des médias en Méditerranée
Nadir Benseba
Fédération Internationale de Journalistes, Alger
D
epuis le 11 septembre 2001, date de l’apparition officielle de
la mondialisation des actes terroristes, l’attention fut particulièrement portée sur le rôle des médias dans la lutte contre ce
phénomène. Quand ce n’est pas pour leur accorder une mauvaise note,
les médias sont carrément accusés de faire l’apologie des partisans du
désordre terroriste.
Avant d’entrer dans le vif de la problématique du rôle de la presse dans
la lutte contre le terrorisme, je désire vous faire part de quelques chiffres,
dont je suis sûr que certains disposent.
La FIJ souhaite
sensibiliser le
public et amener la
communauté des
États à permettre au
journaliste de mener sa
mission d’informer avec
objectivité
Pour rester dans l’année 2001, il y a eu 346 attentats avant l’attaque des
Twin Towers qui ont fait ensemble 3547 morts. Tandis qu’en 1998, il y a
eu 741 morts et 5952 blessés. L’INSI, International News Safety Institute,
créé par la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ), avance quant
à elle le chiffre de 100 journalistes assassinés durant le 1er semestre de
l’année 2007. Plus précisément, 85 journalistes et 17 autres assimilés
furent tués entre le 1er janvier et le 26 juin 2007. Comparé à l’année
dernière, et pour la même période, 68 journalistes ont été assassinés. Mais, l’année 2006 reste l’année la plus sombre pour les médias
puisqu’il y a eu 168 cas de professionnels de la presse ayant perdu la vie.
Enfin, depuis l’invasion en mars 2003 de l’Irak on compte 214 journalistes assassinés.
La Fédération Internationale des Journalistes, implantée dans plus de
114 pays et représentée par quelque 800 000 adhérents, ne cesse de
rappeler et d’insister sur cet état de fait macabre, pour plusieurs raisons
d’ailleurs. Car, parfois si l’assassinat des journalistes n’est pas l’œuvre
d’un groupe terroriste, il est mis sur le compte « d’un dérapage » de soldats enrôlés dans une action de « rétablissement de la paix ».
En mettant l’accent sur ce fait, la FIJ souhaite sensibiliser le public et
amener la communauté des États à s’entendre sur les conditions susceptibles de garantir la sécurité du journaliste, mais surtout de lui permettre
de mener sa mission d’informer avec objectivité. Je crois qu’à ce niveau
de lutte pour la sauvegarde des vies humaines une conjugaison des
efforts est plus que nécessaire.
97­
•
Il est nécessarie à
l’établissement d’un
code de l’exercice
de la profession
et d’une charte
éthique commune
aux journalistes
des deux rives de la
Méditerranée
La presse algérienne, qui s’est mobilisée en faveur de la lutte contre le
terrorisme islamiste, et qui a été accusée à l’époque de rentrer dans le
jeu des militaires, a fini par donner un exemple à suivre à ce titre. Entre
1993 et 1996, 116 journalistes algériens furent assassinés. En évoquant
ce chiffre, l’objectif n’est pas de tenter de vendre l’exemple algérien, loin
s’en faut. Surtout qu’au niveau structurel beaucoup de choses restent à
faire dans le champ médiatique algérien.
Mais aujourd’hui, et dans le cadre de la problématique qui nous intéresse, c’est-à-dire la construction d’un espace euro-méditerranéen
stable et sécurisé, je pense à l’établissement d’un code de l’exercice
de la profession et d’une charte éthique commune aux journalistes
des deux rives de la Méditerranée. Le but étant d’accomplir un travail
objectif, dans de meilleures conditions, mais toutefois sans compromettre l’action des autres acteurs intervenant dans le domaine dans la
lutte contre le terrorisme.
Cette initiative, une fois avalisée, répondra à un double objectif :
En premier lieu, fixer les droits et les devoirs du journaliste dans le contexte des missions affectées par l’organe employeur. Dans ce domaine,
des journalistes se heurtent souvent à des obstacles ou sont carrément
empêchés de travailler pour la simple raison qu’ils ignorent le dispositif
réglementaire du pays de destination.
En second lieu, rédiger une charte éthique pour éviter des dérapages tels
que l’Algérie a subis à titre d’exemple au début des années 90. A cette
époque, la presse de la rive nord de la Méditerranée a préféré se mettre
du côté des islamistes armés pour s’attaquer aux militaires algériens responsables, selon elle, des massacres des populations civiles.
Dans un registre strictement national, cette initiative amènera sans nul
doute des résultats quand à la consolidation des processus de démocratisation engagés dans les pays de la rive sud de la Méditerranée. Car
cette charte ou ce mécanisme, qui ne va concerner que le journaliste
dans un premier temps, va permettre une mise à niveau des législations
dans le but de couvrir les droits et devoirs des professionnels des médias.
Je ne vais pas vous apprendre que dans certains pays, à défaut de
l’établissement d’un statut de journaliste, on n’arrive pas à élaborer le
fichier national du journaliste ni d’ailleurs à distinguer un professionnel
des médias en tant que tel. Car le statut du journaliste, dans ses effets
sur le plan national, an tant que texte universel, prévoit la création de la
carte d’identité nationale du journaliste. Un document qui fixe les conditions et les critères de la pratique journalistique.
Cette idée a été largement abordée lors de la première réunion des syndicats de la Méditerranée affiliés à la FIJ tenue à Almeria en 2005. Une
idée rappelée avec force tout récemment à Malte lors d’une seconde
réunion organisée fin septembre 2007.
A cet effet, les délégués ont fait le constat que les déséquilibres entre
les pays du nord et ceux du sud ne se résorbent pas, le meilleur exemple
étant fourni par les politiques migratoires et d’adoption dans certains pays
98­
PLAIDOYER POUR UN CODE ET UNE CHARTER DE L’ÉTHIQUE DES MÉDIAS EN MÉDITERRANÉE
•
européens, des politiques restrictives qui présentent les réfugiés politiques
et les immigrants comme un danger et des fauteurs de troubles.
Les participants ont également fait le constat d’une dégradation de la
qualité de l’information dans de nombreux pays, du regain de la répression, du retour de la censure, des menaces de mort et des meurtres de
journalistes. De même, les médias continuent à se regrouper et tomber entre les mains de groupes industriels et financiers pour lesquels
l’information n’est qu’une source de profit comme une autre et un
moyen d’asseoir leur domination idéologique.
De trop nombreux
médias européens
se font les relais
complaisants des
politiques tournant
le dos aux principes
humanitaires les plus
élémentaires
99­
Nadir Benseba
•
De trop nombreux médias européens se font les relais complaisants des
politiques tournant le dos aux principes humanitaires les plus élémentaires.
L’établissement du dispositif réglementaire précité va certainement mettre
un frein à ce genre de pratique. Car, le rôle des journalistes est de traiter
l’information avec suffisamment de recul pour ne pas attiser la haine
et, au contraire, pour promouvoir une image digne de l’immigration,
n’ignorant pas ses dimensions culturelles, économiques et politiques. À ce
titre, les gouvernements doivent à leur tour montrer plus de solidarité avec
les pays qui sont confrontés aux problèmes migratoires.
GUERRE CONTRE LE TERRORISME : Y A-T- IL DES SOLUTIONS
POUR PRÉSERVER LES LIBERTÉS FONDAMENTALES?
Salam Kawakibi
Politologue, chercheur associé au CIDOB et représentant en Europe du
Centre Kawakibi pour les transitions démocratiques.
Coordinateur pour le monde arabe du projet Security Services Reform (SSR)
piloté par Arab Reform Initiative (ARI)
Dilemmes et contradictions
Les politiques capables de promouvoir la démocratie, la bonne gouvernance et les droits de l’homme, d’une part, et le renforcement de
la sécurité et de la stabilité d’autre part, dans la région euro-méditerranéenne semblent ne pas être encore conçues. Dans les meilleurs des
cas, elles existent dans les discours. Il est fort difficile d’essayer de
promouvoir les principes de l’État de droit et de la démocratie quand
les dirigeants trouvent leur aubaine dans la guerre contre le terrorisme.
Ils expliquent tous les maux de leurs sociétés, de leurs économies et
de leurs politiques par cette interminable guerre. Dans la plupart des
cas, ils comptent avec le soutien des hommes politiques démocrates du
Nord à travers plusieurs voies : les déclarations, les gestes et les accords
bilatéraux en matière sécuritaire.
D’un point de vue
théorique, le dilemme
entre le respect des
droits de l’homme
et la sauvegarde de
la sécurité et de la
stabilité ne devrait pas
exister
Par conséquent, d’un point de vue purement théorique, le dilemme entre
la promotion des principes et des pratiques démocratiques, le respect des
droits de l’homme et l’application des règles de la bonne gouvernance,
d’un côté, et la sauvegarde de la sécurité et de la stabilité ne devrait pas
exister. Cependant, cela reste dans le domaine des espérances car, sur le
terrain, la réalité est bien différente. Ce paradoxe n’est pas propre des
pays du Sud, il représente aussi et surtout un élément de contradiction
au sein même des pays du Nord, censés être les prometteurs de valeurs
universelles en ce qui concerne la démocratie et les droits de l’homme.
Il est probable que certains décideurs en Europe soient partagés entre le
respect des droits de l’homme et les « nécessités » sécuritaires dont ils
sont en charge. Ils arrivent, sans trop de peine, à dépasser ce sentiment
« humaniste » quand il s’agit de menaces « sérieuses ». Cette attitude,
même si elle reste limitée, provoque des dégâts au niveau sociétal et
éthique. Par contre, ces pays ont l’avantage de compter avec des institutions démocratiques pour le contrôle et la surveillance. Les parlements, la
presse, ainsi que les organisations non gouvernementales, jouent un rôle
primordial pour imposer le respect des principes des droits de l’homme,
sans pour autant œuvrer dans une complète liberté dans un monde sous
la pression des intérêts du marché et de l’industrie pétro-militaire. Ces
mêmes institutions peuvent exercer une pression importante et efficace
sur leurs systèmes politiques dans les affaires qui concernent leur propre
101­
•
population. En revanche, sont-elles aussi efficaces en ce qui concerne la
position (ou le manque de position) de leurs pays face aux actions des
dirigeants du Sud ? Un grand point d’interrogation.
Les victimes dans ce
cas sont les citoyens
du Sud qui se
retrouvent emprisonnés
dans la répression
« légitimée » par les
voisins du Nord
Effets secondaires ou effets majeurs ?
La lutte contre le terrorisme, des deux côtés de la Méditerranée, produit
des conséquences néfastes en matière du respect des libertés fondamentales et des droits de l’homme. Cependant, elle semble recueillir
l’adhésion unanime des dirigeants des deux rives. Les rencontres se
multiplient entre eux, sans pour autant remédier à ce phénomène dangereux d’actes violents et destructibles de la paix sociale. Du côté des
pays du Sud, cette lutte représente un prétexte d’une valeur inestimable.
Dès lors, avant ou à la suite de toute répression contre les revendications
pacifistes de leurs sociétés civiles, les régimes politiques de ces pays, dont
la démocratie fait défaut, se réfugient dans le registre d’un combat universel contre le terrorisme sous toutes ses formes réelles et inventées.
En adoptant cette stratégie peu crédible, les pouvoirs politiques et sécuritaires de ces mêmes pays pensent convaincre le Nord « exigeant »
en matière du respect des droits politiques individuels et collectifs.
Malheureusement, dans la majorité des cas, ils parviennent à leurs objectifs et les critiques, si critiques existent, disparaissent.
À cette attitude, qui spolie tous les droits des citoyens, s’ajoute une
réaction « molle », que l’on pourrait qualifier de complice d’une certaine
manière, de la part des gouvernements de certains pays du Nord qui
entretiennent des relations privilégiées avec ces régimes. Nous arrivons
même à entendre dire à certains dirigeants de ces pays démocratiques
que leurs homologues du Sud représentent une « culture » spécifique
qu’il faut respecter, qu’ils sont « admirés » par des millions de citoyens
dans leur pays mais aussi dans toute la région ou qu’ils sont le dernier
« rempart » contre le tsunami de l’islamisme politique. La panoplie des
explications et des légitimations est large. Elle arrive même à être mise à
jour au fur et à mesure que se développent des relations politiques, mais
surtout économiques, entre les pays démocratiques du Nord et les régimes autoritaires du Sud.
Les victimes dans ce cas sont les citoyens du Sud qui se retrouvent emprisonnés dans la répression « légitimée » par les voisins du Nord. Ils ne
sont pas dupes et ils sont bien informés malgré les apparences : leurs
régimes sont des bons élèves des partenariats, sous toutes ses formes,
signés avec les pays du Nord.
Articulation de la coopération : effet sur la promotion
de la démocratie ?
La coopération en matière de sécurité et défense est nécessaire et peut
être, dans la théorie, conçue sous plusieurs formes sans que l’une exclue
l’autre. Cependant, le contexte régional implique des distinctions et des
préférences. La majorité des pays du Sud maintient des relations perturbées avec les voisins limitrophes. Un accord régional avive les différences
102­
GUERRE CONTRE LE TERRORISME : Y A-T- IL DES SOLUTIONS POUR PRÉSERVER LES LIBERTÉS FONDAMENTALES?
•
et son respect reste à être prouvé. L’expérience est flagrante : plusieurs
accords entre les pays du Sud dans de différents domaines restent sans
exécution. Il en est de même pour les organisations régionales qui fonctionnent au ralenti.
Dans cette situation, le bilatéral est préféré par ces mêmes pays pour
cause de rivalités politiques et de manque de concertation avec les voisins. Ainsi, les dirigeants de ces pays considèrent qu’ils obtiendront plus
de profits à tous les niveaux s’ils limitent leurs négociations uniquement
au pays ou organisme du Nord sans passer par un accord impliquant
leurs « frères ennemis ». Une vision certainement limitée mais qui malheureusement fonctionne fort bien. Le plus déplorable est l’agrément
explicite ou implicite des pays du Nord de ce « jeu dangereux » au moins
pour l’avenir de la stabilité et de l’entente entre les pays du Sud.
Chez certains
conservateurs il y a
un stéréotype qui
fait la liaison entre la
démocratie occidentale
et la perte des valeurs
morales
Cette formule risque de privilégier les intérêts réciproques des pays
concernés sans pour autant s’attarder suffisamment sur la préservation
des droits fondamentaux dans l’espace euro-méditerranéen et notamment dans sa partie Sud. Les dirigeants, aussi bien du Nord que du Sud,
avanceront une multitude d’arguments pour échapper à une application
surveillée des principes universels des droits de l’homme, de la bonne
gouvernance et de la démocratie.
États-Unis et Union européenne, quelle démocratie ?
L’Occident perçoit la promotion des principes fondamentaux de la
liberté dans la région sous plusieurs formes. Leur convergence reste une
matière de débat et d’incertitude, affichant des priorités diverses et ayantrecours à des méthodes différentes, voire contradictoires. Pour la société
civile dans les pays du Sud, l’image de la démocratie à l’américaine est
embrouillée presque entièrement par les aventures musclées et sanguinaires en Irak, ainsi qu’en raison du soutien inconditionnel à la politique
israélienne et un appui légendaire aux régimes totalitaires qui violent
toute tentative de libéralisation politique au sein de leur société.
Aujourd’hui plus que par le passé, les sociétés civiles du Sud considèrent
avec suspicion, pour ne pas dire plus, la démocratie américaine. Alors
que les pratiques des Américains sont ce qu’elles sont dans la région,
rares sont les intellectuels qui ont encore le courage de souligner la
valeur des « principes » sur lesquels les États-Unis ont été construits.
Dans ce domaine, la comparaison avec l’Europe et sa version de la
démocratie tourne donc à son avantage. Cependant, le tableau n’est pas
dépourvu de critiques. Par exemple, la politique considérée suiviste de la
vieille Europe par rapport aux Américains, sur des questions aussi sensibles que la lutte contre le terrorisme ou le droit à la résistance nationale,
provoque de nombreuses critiques.
Chez certains conservateurs, même parmi les rangs des « démocrates » du Sud, il y a un stéréotype qui fait la liaison entre la démocratie
occidentale et la perte des valeurs morales. Pour les extrémistes, cette
démocratie n’a qu’un seul objectif : « le démantèlement des sociétés
et des peuples qui les appliquent ». Ce n’est donc pas un système de
103­
Salam Kawakibi
•
pluralisme, d’alternance et de séparation des pouvoirs. Cette image a
été promue dans ces milieux et un grand effort est nécessaire pour la
changer. Les régimes autoritaires profitent de ces « doutes » et les soutiennent, directement ou indirectement, en encourageant l’ancrage de
cette fausse idée dans les esprits pour se protéger de toute revendication
démocratique.
La perception de la politique étrangère européenne en Méditerranée est
variée parmi les acteurs des sociétés civiles du Sud. Certains sont portés
à dénoncer toute initiative comme l’expression d’un « néo-colonialisme »
qui cible « à priver notre pays de ses experts, de ses richesses et à stopper
le développement de la religion musulmane dans la région ». D’autres
expriment cette méfiance selon leurs catégories propres, en termes de
« croisades ». Cela n’empêche pas certains « libéraux » de croire à une
volonté européenne de promouvoir la démocratie dans leur région.
Un constat unanime : dans le processus du partenariat euro-méditerranéen, il faut « exiger » aux pays du Sud des réformes fondamentales dans
les mécanismes du pouvoir : un État de droit et une bonne gouvernance.
Il est important de souligner que les orientations de la politique européenne dans le bassin méditerranéen représentent pour l’opinion
publique, dans toutes ses variations, un poids capable d’équilibrer une
balance qui penche injustement à cause d’une politique américaine
partiale dans le conflit arabo-israélien. Le rôle européen dans la « résolution » de ce conflit en particulier et des problèmes politiques dans la
région en général est très attendu. Une idée, répandue chez certains
observateurs, stipule que cela aura des répercussions au sein même de
l’Europe. Les régimes « despotiques et corrompus » soutenus par l’Occident et un soutien à Israël de la part de ce même Occident susciteront, à
terme, des réactions au sein de la communauté musulmane en Europe.
Promotion des droits de l’homme et coopération en
matière de sécurité et de défense, quel défi ?
A partir du constat que la politique européenne actuelle est très liée au
dossier sécuritaire et, notamment, en ce qui concerne les mesures bilatérales ou multilatérales afin de combattre le terrorisme, la réponse à cette
question risque d’être confuse.
Il semble que la priorité est la lutte contre le terrorisme. Dès lors, la question des droits de l’homme passe à un deuxième plan, voire ne passe pas
du tout, dans l’échelle des priorités réelles. Dans le discours, la situation
est différente mais cela ne camoufle pas la réalité qui est souvent bien
loin des bonnes intentions.
Cependant, on peut constater que les échanges dans les domaines de
la sécurité et de la défense, comprennent des formations de tout genre.
Cela veut dire que les formations ne se limiteront pas aux seuls besoin
« techniques », elles doivent aider à résoudre certains problèmes d’ordre
« éthique » dans le comportement des services de sécurité. En revanche,
la susceptibilité des récepteurs d’une telle formation est ancrée dans la
culture des pays du Sud. Ce qui rend la tâche beaucoup plus difficile.
104­
GUERRE CONTRE LE TERRORISME : Y A-T- IL DES SOLUTIONS POUR PRÉSERVER LES LIBERTÉS FONDAMENTALES?
•
Avoir recours à des formations entreprises par des acteurs locaux semble
représenter une bonne issue. Cela impliquerait donc les sociétés civiles locales et leurs organismes spécialisés dans la défense des droits de
l’homme, la protection des détenus et la promotion de comportements
décents lors des interrogatoires.
À partir de ce constat, le rôle de la société civile est très important et il vaut
mieux que les instances européennes s’intéressent d’avantage à son
impact sans pour autant essayer d’influencer ou d’orienter son travail. Il
faut également savoir distinguer entre la société civile réelle active sur le
terrain et la fausse société civile active dans les cocktails des ambassades :
qui parle notre langue, boit de l’alcool et dont les femmes ne sont pas
voilées. Des critères qui n’aident pas à établir une relation de confiance
avec les acteurs impliqués sur le terrain. La panoplie doit être plus large,
tout en évitant aussi la société civile très gouvernementale qui se développe dans les pays du Sud à vitesse vertigineuse afin d’absorber les
subventions européennes.
La peur de l’Islam
politique est-elle
suffisante pour pousser
les pays du Nord à
accepter les « délits »
des droits de l’homme
au Sud ?
L’Islam politique, un nouveau défi ou un problème
imaginaire ?
La peur de l’Islam politique est-elle suffisante pour pousser les pays du
Nord à accepter les « délits » des droits de l’homme au Sud ? Y a-t-il
« un vrai danger islamiste » ? Une transition démocratique soutenue se
dirigera-elle nécessairement vers un système islamique fondamentaliste
refermant à son tour la porte à une vraie démocratie ? Rien ne laisse penser que les mouvements intégristes domineront les systèmes politiques
quand ceux-ci seront devenus démocratiques. Cependant, ce constat ne
peut pas cacher un net regain de la pratique démonstrative de la foi, ainsi
qu’une montée « violente » de l’expression religieuse dans les pratiques
sociales et culturelles. Cela pourrait expliquer l’anxiété des européens qui
craignent un développement de ce phénomène submergeant qui risque
d’atteindre les rives Nord de la Méditerranée. Il est évident que certains
dirigeants du Sud, en quête de légitimité, lâchent du lest par rapport à
l’omniprésence de la religion dans la vie de tous les jours sans pour autant
réduire leur vigilance sécuritaire à l’égard des revendications politiques
aussi bien des islamistes que des autres groupes.
Malheureusement, un nombre croissant de la population du Sud, y
compris les islamistes, considère que l’image de l’Europe est altérée par
certains comportements, tels que la réticence à admettre en son sein
certaines populations, pour des prétextes divers, mais en réalité parce
qu’elles sont non chrétiennes (cf. exemple de la Turquie), le refus de
reconnaître et d’appuyer un gouvernement « islamiste », pourtant démocratiquement élu (cf. exemple du Hamas palestinien), ou le manque de
vigueur dans la défense des idéaux, pourtant proclamés dans le domaine
de la démocratie et des droits de l'homme. Cela amène un grand intellectuel de la gauche démocrate à dire : « Ce ne sont pas seulement les
régimes despotiques qui avancent la menace islamiste pour protéger leur
pouvoir mais aussi les forces occidentales qui ne veulent pas exercer une
pression efficace en vue d’imposer ou d’inspirer la démocratie. Le risque,
d’après eux, est de laisser la place aux mouvements radicaux de l’Islam
politique ».
105­
Salam Kawakibi
•
Le terrorisme n’est
pas inné chez les
jeunes, ce n’est pas le
résultat d’une culture
quelconque, ni d’une
religion quelconque
La promotion des droits de l’homme dans les pays arabes est une action
très complexe. On y trouve non seulement le contrôle étroit des autorités
sur toute initiative de la société civile, mais également les oppositions
de la société locale à la culture universelle de ces droits. Les traditions,
les coutumes et les forces conservatrices, fortement enracinées dans
cette société, représentent une résistance aux valeurs universelles. La
connaissance des valeurs universelles des droits de l’homme, de leurs
mécanismes, concepts et définitions est presque inexistante, à l’exception de l’élite. Ainsi, l’élément religieux donne, à tort ou à raison, un alibi
pour que certains refusent certaines valeurs et certains concepts. S’ajoute
à cela, comme nous l’avons souligné supra, le rôle des autorités dans la diabolisation des termes comme : société civile et droits de l’homme. Dès lors,
le travail doit être minutieux et doit prendre en considération les cultures
locales en évitant – dans premier temps – d’irriter les sensibilités.
Conflits régionaux et leurs impacts
Parler de sécurité, de stabilité, de droits de l’homme et de démocratie
dans la région ne peut se faire sans étudier dans leur juste dimension les
conflits qui l’animent.
Le conflit arabo-israélien, même si la tendance est de le limiter, au moins
dans l’intitulé, à un conflit israélo-palestinien, reste le conflit majeur dans
la région. Ses retombées sont diverses et s’étalent à l’occupation des
territoires, la colonisation, l’emprisonnement de toute une population
derrière des murs de séparation, faisant revivre des mauvais souvenirs,
l’appauvrissement, la destruction systématique d’habitat, l’arrachage
d’oliviers, la démolition d’une identité et d’une société et le terrorisme.
J’ai bien choisi de clore avec le terrorisme pour essayer d’être explicite sur
ses racines. Le terrorisme, qui reste encore à définir, n’est pas inné chez
les jeunes, ce n’est pas le résultat d’une culture quelconque, ni d’une
religion quelconque, même si la déformation de celles-ci contribue directement ou indirectement à son développement.
Dès lors, tourner autour du pot et essayer de trouver des solutions partielles et injustes pour ce conflit ne fait qu’accentuer la crise, renforcer
la déception et alimenter le terrorisme. Des initiatives humanitaires de la
part des sociétés civiles européennes se heurtent à un traitement presque
cynique des autorités occupantes. Les réunions à l’échelle internationale
qui donnent l’impression de trouver la solution pour ce conflit ne cessent
d’échouer depuis Madrid en 1991. À savoir aussi que d’autres territoires
sont encore occupés par l’armée israélienne en Syrie et au Liban. Ainsi,
des millions de réfugiés palestiniens éparpillés dans les quatre coins du
monde sans que les « négociateurs » se soucient réellement de leur sort.
Le « chantier » irakien représente encore un terrain propice pour le développement de toute sorte de violence. À commencer par la violence de
l’occupation, de l’humiliation, des bavures et des dommages collatéraux,
et aboutissant à une résistance nationale et un terrorisme aveugle dont
les commanditaires semblent être des énigmes. Avec plus que quatre
millions de réfugiés irakiens dans les pays voisins et deux millions ou
plus de déplacés à l’intérieur même du pays, l’énorme crise humanitaire
qui semble échapper aux observateurs bienveillants risque de fournir la
106­
GUERRE CONTRE LE TERRORISME : Y A-T- IL DES SOLUTIONS POUR PRÉSERVER LES LIBERTÉS FONDAMENTALES?
•
Pour une population arabe très attachée aux symboles, ce conflit est
passible d’affecter toute la région et non pas seulement les pays directement concernés. Frustration, amertume, sentiment de révolte, sentiment
d’être trahi par la communauté internationale, sentiment d’injustice,etc.
Se sont des éléments qui ne facilitent pas la tâche des décideurs des
deux rives de la Méditerranée dans leur « lutte » contre le terrorisme.
Dans ce climat, les candidats aux actes violents contre des symboles ou
des personnes sont malheureusement nombreux. En aucun cas, la solution musclée ne peut être utile. Ainsi, il est fort important de combattre
également le terrorisme d’État dont les populations souffrent aussi bien
dans certains pays arabes que dans les territoires palestiniens occupés.
Pour promouvoir la démocratie parallèlement à la sécurité, il faut surtout
éviter de jouer le rôle du pompier pyromane en provoquant des conflits
imaginaires afin d’imposer un calendrier déformé du processus de changement dans la région. Ainsi, parier sur les oppositions exilées ne semble
pas donner ses fruits, comme nous l’avons constaté dans le cas irakien.
Ce sont les forces vives intérieures, avec tous leurs défauts, celles qui
sont capables d’entreprendre le changement. Et la création de nouveaux
monstres dans la région ne fait qu’ouvrir des nouvelles portes dans le
mur de la sécurité et de créer des zones de tension et de conflit qui
n’aboutiront pas à l’installation d’une stabilité tellement recherchée.
La création de
nouveaux monstres
dans la région ne fait
qu’ouvrir des nouvelles
portes dans le mur de
la sécurité et de créer
des zones de tension et
de conflit
107­
Salam Kawakibi
•
machine de la violence et du terrorisme. L’instabilité régionale est d’ores
et déjà assurée. Ce n’est donc pas la faute de l’autre. Tous les riverains
sont concernés. En évoquant la question des réfugiés irakiens en Syrie,
un haut responsable européen a considéré que ce problème ne concerne
que la Syrie. D’autres ont même insinué que la Syrie doit payer pour son
soutien aux rebelles irakiens. Nous sommes donc face à deux argumentations très dangereuses et dépourvues d’une vision quelconque. La crise
des réfugiés doit inquiéter tous les pays et notamment ceux de la rive
Nord. L’instabilité et le danger sécuritaire seront assurés en cas d’abandon ou de démission
COOPÉRATION CIVILE-MILITAIRE
DES MISSIONS HUMANITAIRES
• COOPERATION CIVILE-MILITAIRE DANS DES
OPÉRATIONS HUMANITAIRES
Benito Raggio
• COORDINATION CIVILE ET MILITAIRE DANS LA
GESTION DES CRISES DE L’UE
Radek Khol
• L’EXPÉRIENCE AFGHANE EN COOPÉRATION
CIVILE-MILITAIRE : UN EXEMPLE POUR LA
MÉDITERRANÉE?
Francisco José Gan Pampols
109­
•
COOPERATION CIVILE-MILITAIRE DANS DES OPÉRATIONS
HUMANITAIRES
Benito Raggio
Général de Division, Directeur Général de Politique de Défense.
Ministère de la Défense d’Espagne
Le thème de la coopération civile-militaire dans les opérations humanitaires dérive d’un autre plus général, objet de débat permanent, qu’est
la participation des Forces Armées dans les actions d’aide humanitaire et
dans les tâches de reconstruction.
De fait, fréquemment, certains acteurs de l’aide humanitaire expriment
des opinions contraires aux missions militaires humanitaires ou, plus
généralement, à la participation militaire dans des opérations d’aide
humanitaire, qui sont reflétées dans des articles de presse, dans des
séminaires et ateliers, et y compris dans des documents formels sur la
Coopération.
Les conflits actuels
se caractérisent par
une présence civile
spectaculaire et par
une implication élevée
des acteurs et de leur
participation dans le
conflit dans ses formes
les plus diverses
Il est certain que le nombre d’opérations humanitaires a augmenté de
manière spectaculaire, simultanément au nombre d’acteurs impliqués
dans celles-ci. Il en est ainsi parce que les conflits actuels se caractérisent par une présence civile spectaculaire et par une implication élevée
des acteurs et de leur participation dans le conflit dans ses formes les
plus diverses. Parmi ses acteurs se trouvent les Forces Armées, dans des
interventions qui vont de l’appui logistique jusqu’à la prestation directe
d’assistance. C’est-à-dire qu’ils interviennent au travers d’un appui flexible et ad hoc, en s’ajustant à tout moment aux nécessités.
Pour réussir à ce que cet accroissement du nombre d’acteurs en présence favorise l’action humanitaire, l’action coordonnée de tous ceux-ci
est indispensable. Et ceci est le domaine d’application de la coopération
civile-militaire. Toute opération militaire, indépendamment du genre,
comporte ou est associé à une composante civile. Cette composante
peut être minoritaire quand il s’agit de missions de combat, acquérir une
plus grande importance si nous parlons de missions de paix, et être clairement prépondérante dans des missions humanitaires. Logiquement, de
même que nous parlons de la composante militaire, nous pouvons citer
la politique ou la judiciaire, entre autres.
Transposant cette problématique à mes responsabilités en tant que
Directeur Général de Politique de la Défense, responsable de la coordination avec les autorités civiles, je peux confirmer que la coopération
au développement, domaine de l’Administration espagnole qui englobe
l’aide humanitaire, est en train d’expérimenter une croissance importan-
111­
•
te au sein de l’action extérieure de l’État, spécialement tant dans l’aide
humanitaire que la construction de la paix. Dans ce sens, le Ministre
de la Défense maintient une position de collaboration absolue avec la
coopération espagnole au développement, en évitant les duplications et
conjuguant les efforts vers un objectif qui doit être commun, déjà que les
deux organismes sont des parties de l’État qu’ils servent.
Et il ne pourrait pas en être autrement, puisque une des directrices de
la Politique de Défense, établie dans la Directive de Défense Nationale
(DDN) 01/2004, est d’“atteindre une coordination efficace entre les éléments civiles et militaires qui participent au actions à l’extérieur dans des
opérations d’aide humanitaire ou des opérations de paix ou de gestion
de crise”.
Comme conséquence logique de ce qui précède, cette participation des
Forces Armées dans des missions d’aide humanitaire et de reconstruction est expressément reconnue dans notre Loi Organique de la Défense
Nationale. Avec cela, ce texte légal ne fait rien de plus que de reconnaître le rôle des Forces Armées, en Espagne et dans notre environnement,
dans le champ de l’aide humanitaire. En conséquence, on peut affirmer
que les Forces Armées sont une composante importante et légitime
de l’action extérieure espagnole en matière d’aide humanitaire et de
construction de la paix.
Cette participation prend bien en compte le principe de la complémentarité, en évitant de dupliquer des capacités et des ressources avec celles
apportées par d’autres composantes, et appuie principalement la valeur
ajoutée que les Forces Armées peuvent apporter au moment d’apaiser la
souffrance humaine.
À aucune organisation, entité ou collectivité n’est assignée en exclusivité,
à travers aucune loi ou traité, la tâche d’apaiser toute cette souffrance.
Ceci est une tâche conjointe de tous ceux qui ont une quelconque capacité pour le faire, que ce soient des entités officielles ou des particuliers,
chacun dans la manière où il peut au mieux apporter sa contribution,
sans exclusions. Il existe dans le monde, malheureusement, assez de
souffrance pour absorber des centaines de fois l’aide que prestent tous
les acteurs de l’aide humanitaire: les organisations gouvernementales et
non gouvernementales, les forces armées, etc. On ne doit exclure aucun
acteur de cet effort parce que tous sont nécessaires. L’exclusion ne ferait
que tourner au préjudice des populations que l’on veut aider.
Les caractéristiques des forces militaires, leur fonctionnement et organisation conforme aux principes d’unité, de discipline et de hiérarchie,
leur capacité à se déployer de manière agile et ordonnée sur le terrain,
à concentrer des moyens spectaculaires en peu de temps ou à réaliser
des transports massifs, les situent dans les meilleures conditions possibles pour prester ce type de mission. C’est cette valeur ajoutée que
fournit les Forces Armées qui motive la création récente de l’Unité
Militaire d’Urgence.
Ainsi, en termes généraux, l’action extérieure espagnole est en train de
renforcer sa réponse face aux conflits et aux catastrophes humanitaires.
Ceci se reflète dans ce qui suit:
112­
COOPERATION CIVILE- MILITAIRE DANS DES OPÉRATIONS HUMANITAIRES
•
•Il s’est produit une grande augmentation dans le nombre d’opération de
la paix des Forces Armées et de sa composante humanitaire. On comptabilise 54 opération de paix (sans compter la possible mission au Tchad).
•De même, les actions et projets de la coopération espagnole au développement ont progressivement augmentées.
•En conséquence, il existe un rapprochement continu et une étroite
collaboration entre ces deux éléments: Sécurité et Coopération au
Développement.
Nous travaillons donc sur la base d’une “union” entre les concepts de
sécurité et de développement, ce qui est logique en tenant compte que,
dans le nouvel environnement géostratégique dans lequel nous évoluons, il est difficile de séparer sécurité et développement, parmi d’autres
facteurs, à l’heure de conquérir la paix. De fait, la propre stratégie de
sécurité de l’UE, approuvée en décembre 2003, faire ressortir l’interdépendance entre sécurité et développement comme un des facteurs clés
pour la protection de la stabilité.
Plus récemment, la déclaration finale du sommet de Riga de l’OTAN a
aussi envisager cette idée, qui fut exprimée dans le texte avec la réflexion
suivante, se référant à la situation de l’Afghanistan: “Sans sécurité il n’y
a pas de développement et sans développement il n’y a pas de sécurité”.
La collaboration
entre la défense et
la coopération au
développement doit
se construire peu à
peu, ce qui améliorera
sans aucun doute
l’efficacité de l’action
extérieure espagnole
en matière d’action
humanitaire et de
construction de la paix
Logiquement, pour la complémentarité effective entre ces deux champs
apparemment non liés et voire opposés, la sécurité et le développement,
il est nécessaire de trouver des espaces de collaboration. Cependant, ceci
n’est pas un processus qui puisse être maîtrisée du jour au lendemain. La
collaboration entre la défense et la coopération au développement doit
se construire peu à peu, pas à pas, ce qui améliorera sans aucun doute
l’efficacité de l’action extérieure espagnole en matière d’action humanitaire et de construction de la paix.
Dans ce sens, comme nous le commentions, le Ministre de la Défense est
en permanente collaboration avec le Ministère des Affaires Extérieures
et de la Coopération, et particulièrement avec la Secrétaire d’État de la
Coopération Internationale et avec l’Agence Espagnole de Coopération
Internationale pour le Développement, pour tout ce qui est relatif à la
coopération au développement.
Des nouveaux espaces de collaboration entre les deux départements
apparaissent, qui offrent une plus grande synergie et permettent d’améliorer la réponse institutionnelle espagnole face aux crises humanitaires
et dans la prévention des conflits. Certaines des options de collaboration
sont les suivantes:
•Elaboration conjointe de documents de coopération sur l’aide humanitaire et la participation militaire dans ce domaine (Stratégie sectorielle
quant à la prévention des conflits et la construction de la paix).
•Collaboration (transport –principalement aérien-, appui logistique,
sécurité) avec les opérations d’aide humanitaire d’urgence de l’Agence
Espagnole de Coopération Internationale pour le Développement
(AECID) (transport aérien, etc.). L’Armée de l’Air a cédé temporairement
l’usage d’un hangar dans la Base Aérienne de Torrejón pour l’emmagasinage de l’aide humanitaire, pour accélérer les envois urgents.
113­
Benito Raggio
•
Le qualificatif
d’humanitaire appliqué
à des interventions
militaires déterminées
n’est pas au goût de
tous, malgré que ce fut
l’ONU qui l’employa
pour la première fois
•Réalisation de cours sur des techniques de déminage humanitaire dans
le Centre International de Déminage au bénéfice des pays désignés par
la coopération espagnole au développement, entre autres.
•Coordination et collaboration sur le terrain, y compris malgré que cela
implique un effort supplémentaire aux tâches et missions des forces.
Un des exemples les plus remarquables de cette coordination efficace
est le Provincial Reconstruction Team (PRT) espagnol qui travaille à Qala i
Naw (Afghanistan) dans des tâches de sécurité et reconstruction, et qui
comprend une composante civile de la AECID et une autre militaire, travaillant les deux en coordination permanente.
La position espagnole est que notre présence en Afghanistan a pour
objectif d’aider à sortir ce pays de la situation critique dans laquelle il se
trouvait, et pour appuyer son développement. Face aux intentions que
semblaient avoir des visiteurs passés dans ce pays, l’Espagne n’a pas de
vocation de permanence, et elle s’est rendue là-bas à la demande des
autorités. Finalement, ce scénario ne permet pas, ainsi que l’ont prouvé
les diverses attaques réalisées contre le personnel des organisations
humanitaires, de dissocier la reconstruction de la sécurité. Ainsi l’ont
compris les Nations Unies dans leurs résolutions, qui autorisent l’emploi
de la force.
Logiquement, cette position de collaboration, qui comprend le respect
des Directrices d’Oslo et de Stockholm, cette dernière sur les principes
de bonne donation humanitaire, s’est construite en coordination avec les
forums multinationaux dans lesquels l’Espagne participe, dont les approches sur la coopération civile-militaire varient en fonction de chaque
organisation et de la mission concrète à développer.
Il y a deux exemples qui sont représentatifs de cette variété d’approches :
la mission des Nations Unies au Liban et l’opération d’assistance humanitaire lancée par l’OTAN en appui au Pakistan en 2006 à l’occasion du
tremblement de terre qui dévasta le Cachemire.
Avant d’aborder la mission des Nations Unies au Liban, je voudrais récapituler brièvement les antécédents de la situation actuelle :
Les opérations de paix sont apparues au sein de l’ONU en 1945. À partir
de ce moment jusqu’à la fin de la Guerre Froide, ces missions militaires n’incluaient pas dans leurs mandats des considérations d’action
humanitaire et elles avaient à peine des contacts avec le déploiement
humanitaire. À partir de la fin de la Guerre Froide, avec le nouveau
contexte international surgi de la disparition des blocs, les civiles devinrent la cible et furent convertis en victimes de nombreux conflits.
Ce nouveau scénario comprenait de nouvelles menaces (terrorisme,
crime organisé, état failli), qui maintenant reçoivent des états une réponse basée sur une approche plus intégratrice de leurs différentes capacités
et qui met plus l’accent sur les aspects civile-militaire et sur l’usage de
l’aide humanitaire comme outil de gestion des crises et des conflits. De
nouveau nous rencontrons la nécessité d’une coordination étroite entre
les deux camps.
114­
COOPERATION CIVILE- MILITAIRE DANS DES OPÉRATIONS HUMANITAIRES
•
L’ONU a affronté cette plus grande importance de l’humanitaire et l’apparition du militaire à côté de l’humanitaire avec diverses initiatives. Elle
commença avec la création du Département des affaires humanitaires
(DHA, 1991), ensuite transformée en Agence de coordination des affaires humanitaires (OCHA, 1997), en essayant d’assurer cette coordination
entre l’humanitaire et le militaire.
Dans ce sens, il faut se rappeler que le qualificatif d’humanitaire appliqué à
des interventions militaires déterminées n’est pas au goût de tous, malgré
que ce fut l’ONU qui l’employa pour la première fois, à considérer qu’elle
éliminait l’indispensable différenciation qui doit exister entre le militaire et
l’humanitaire sur le terrain. Cette vie en commun et coordination est plus
difficile au plus la situation est violente, en arrivant à la convenance qu’ils
agissent de manière séparée bien que complémentaire.
Concernant le degré de
participation des forces
militaires dans des
tâches humanitaires,
l’OCHA considère, que
celui-ci sera déterminé
par l’intensité de la
violence existante
Comme nous le savons, après la création de l’OCHA et les premières
opérations citées en Bosnie Herzégovine et au Rwanda, arriva le rapport Brahimi en 2000 et les directrices d’Oslo et des documents associés
depuis 2003 jusqu’à maintenant, qui ont précisé avec plus de détails
comment doivent se mener ce type d’opérations. Ainsi, les recommandations les plus importantes du rapport Brahimi se centre sur :
•La nécessité de créer des missions intégrées de caractère multifonctionnel (comprenant depuis la protection de civiles et l’assistance
humanitaire jusqu’au désarmement/ démobilisation/ réintégration) pour
faire face à de nouvelles menaces, obtenant une plus grande implication de l’ONU.
•Un mandat militaire plus robuste,
•Assurer la division des tâches et mandats parmi les divers acteurs, certains desquels (UE, ONG, OTAN, etc.) peuvent être extérieurs à l’ONU.
Ces recommandations furent élargies jusqu’à embrasser les aspects suivants :
•On demande plus d’autorité au Département de Maintien de la Paix
des Nations Unies (DPKO), de manière à pouvoir diriger les différents
acteurs.
•On doit toujours respecter le principe d’impartialité bien que pas nécessairement de neutralité, particulièrement si il y a de la violence (malgré
que ce soit un problème avec l’aide humanitaire)
•On recommande de donner un plus grand appui aux mandats, avec
l’engagement de la force si c’est nécessaire
•On recommande de faire un planning intégré : politique, militaire,
police civile, assistance électorale, aux réfugiés, etc. de même que pour
préparer des déploiements rapides, on call, de militaires, policiers, etc.
•On recommande de mettre toutes les ressources sous un unique mandat et de renforcer le lien entre des opérations humanitaires et des
opérations de paix avec la nomination d’un coordinateur résident ou
d’un coordinateur d’aide humanitaire comme second du Représentant
Spécial du Secrétaire Général (SRSG), aspect très critiqué par les ONGs.
Ces recommandations ont été appliquées depuis lors au Kosovo, ainsi
qu’en Haïti et Afghanistan entre autres.
115­
Benito Raggio
•
Dans l’ONU, la
coopération civilemilitaire se réfère
seulement à la
coordination entre
des éléments civiles
et militaires pour
accomplir leurs
objectifs respectifs
(dans l’OTAN elle
comprend aussi la
coopération)
Concernant le degré de participation des forces militaires dans des tâches
humanitaires, l’OCHA considère en gros, que celui-ci sera déterminé par
l’intensité de la violence existante. Ainsi, en temps de paix les forces militaires pourront servir à prêter de l’assistance directe, ce qui serait difficile
dans une mission d’imposition de la paix et impossible dans une situation
de combat, dans laquelle ils pourraient uniquement prêter un appui aux
infrastructures.
Le cadre suivant de l’OCHA reflète cette considération, en relation avec
la visibilité de ces forces et avec leur degré d’impartialité.
Diminution de la visibilité des tâches
Maintien de Imposition de
la paix
la paix
Assistance directe
Possible
Possible
Non
Assistance indirecte
Oui
Possible
Possible
Appui aux infrastructures
Oui
Oui
possible
Baisse dans l’impartialité des forces ------->
Missions des militaires
Paix
Combat
Non
Non
Possible
Comme nous l’avons indiqué, aux recommandations du rapport Brahimi
furent ajoutées récemment les Directrices d’Oslo sur l’usage de moyens
militaires et de défense civile (MCDA) au secours dans les désastres et
celles de Stockholm en 2003, sur les principes de bonne donation humanitaire, qui sont centrées sur les points suivants :
•OCHA coordonne toute l’assistance internationale, y compris l’assistance militaire
•L’usage des moyens militaires doivent être de dernier recours, limité
dans le temps, et doivent êtres substitués par de l’aide civile dès que
possible
•Les opérations doivent toujours conserver leur caractère civile
•Le personnel militaire participant doit se désarmer si cela est possible,
et ne pas participer à la distribution directe de l’aide
•On renforce le rôle primordial et de leadership des organisations civiles
dans l’aide humanitaire, particulièrement dans des conflits
Ces principes sont valides avec un caractère général. Leur application
devrait être évaluée au cas par cas et devrait s’accorder aux caractéristiques spécifiques de chaque urgence. Ceci est l’esprit de ces Directives,
ainsi que l’a exposé le propre directeur de l’OCHA dans le discours de
présentation d’une d’entre elles.
La mission au Liban est menée dans ce cadre. La résolution 1701 par
laquelle fut approuvée la mission de la UNIFIL renforcée établit parmi ses
missions celle d’élargir son assistance pour aider à assurer l’accès humanitaire à la population civile et le retour volontaire et dans des conditions
de sécurité des personnes déplacées. C’est dès lors une mission qui inclut
une composante d’aide humanitaire. Ainsi, parmi les tâches opérationnelles d’UNIFIL se trouve celle de « fournir protection et aide humanitaire
à la population civile ».
L’Espagne déploie 1.100 soldats des 11.500 effectifs de la mission, encadrés dans la brigade que nous dirigions.
116­
COOPERATION CIVILE- MILITAIRE DANS DES OPÉRATIONS HUMANITAIRES
•
La structure de coopération civile-militaire se matérialise dans deux organes différents :
•D’un côté le directeur des affaires civiles et politiques, au niveau du
Chef d’État Majeur (COS), dirige la structure des affaires civiles
•D’un autre côté, dépendant du COS, le J9 CIMIC.
Curieusement, dans l’ONU, la coopération civile-militaire (CIMIC) se
réfère seulement à la coordination entre des éléments civiles et militaires
pour accomplir leurs objectifs respectifs (dans l’OTAN elle comprend aussi
la coopération).
Notre appui humanitaire et de reconstruction au Liban est mené par
deux voies différentes. D’un côté, de la même façon que le reste de la
structure militaire de la UNIFIL, nous disposons d’un fond d’approximativement 700.000 euros pour QIP (Quick Impact Project) à réaliser
dans notre zone, qui comprend divers domaines (accès aux services de
base, -éducation, santé, sanitaires-, éducation civile, droits de l’homme,
politique du genre, etc.). Ces projets ont pour finalité de promouvoir la
confiance de la population civile dans la mission et d’aider à créer une
bonne image de UNIFIL. Ces QIPs sont coordonnés et approuvés dans le
Project Review Committee dont font partie le Chef de Civil Affairs (civile)
et de J9 CIMIC (militaire), avec d’autres représentants comme le Chef
des services administratifs (civile), responsable des finances et le Chef des
ingénieurs (civile). Ainsi on assure la coordination et l’unité des efforts.
II faut souligné que ce système de QIPs est également utilisé par l’ONU,
qui assigne à l’UNIFIL un budget annuel de quelques 500 000 $ pour
effectuer des projets de réhabilitation d’infrastructures (routes, eau,
électricité).
D’autres activités d’appui direct à la population civile sont les activités de
sensibilisation sur les mines ou des tâches d’assistance médicale et vétérinaire, en utilisant la capacité excédante des unités sanitaires, dont la
principale mission est l’appui à la Force.
D’un autre côté, la coopération espagnole avec le Liban, engagée pour
la période 2006-2008 au travers de AECID, est de 41 millions d’euros.
Elle va être réalisée à travers un fond fiduciaire dans lequel l’Espagne est
représenté en la personne de notre Ambassade à Beyrouth. Le fonds est
présidé par les ministres des Finances et de l’Economie du Liban. L’organe
de gestion est le programme de l’ONU pour le Développement (PNUD).
Ensuite on souligne les points les plus importants :
•Comparant les chiffres cités antérieurement à caractère annuel
(700.000 euros utilisés par les Forces Armées face à 41 millions utilisés
par les agences civiles), on observe que l’aide canalisée par des moyens
civiles est cinquante huit fois supérieure à celle canalisée au travers des
militaires. 41 millions face à 700.000. Ceci met en lumière où est mis
l’emphase quant à l’aide humanitaire.
•En plus, les deux aides sont complémentaires. L’aide civile s’engage
dans des grands projets et à moyen/long terme, tandis que l’aide militaire se centre sur des projets immédiats.
117­
Benito Raggio
•
Finalement, à tout ce qui a déjà été dit, il faut ajouter les coûts de la
contribution du Ministère dans la stabilisation du Sud du Liban :
•Les bourses de coopération militaire (Cours de formation pour l’accès
au Commandant et État Major des Forces Armées, pour deux officiels
des LAF, ainsi que 6 bourses pour un cours d’espagnol, dans l’école de
langues des Forces Armées espagnoles).
•Les projets spéciaux comme l’enseignement de l’Espagnole (au Liban)
et les cours de déminage offerts au personnel des Forces Armées libanaises (Cours du 19 Février au 16 mars, pour 25 élèves).
Une fois passé en revue le cas de l’ONU, nous allons voir le cas de
l’OTAN. Pour cette organisation, le Kosovo marqua un tournant dans
sa stratégie sur le terrain de l’assistance humanitaire. En tant que
conséquence de son évolution conceptuelle, dans le Guide de Planning
général de 2006, l’OTAN se reconnaît comme un acteur dans les champs
de l’aide humanitaire et de l’assistance aux désastres, comme dans les
champs de coopération dans le domaine de la sécurité.
L’intervention au Pakistan dans le cadre de l’OTAN est un exemple de
l’emploi de moyens éminemment militaires pour venir à bout rapidement
d’une crise humanitaire. Elle met aussi en évidence que nous nous rendons
là où cela était nécessaire. Dans ce cas, tant le Gouvernement du Pakistan
que les Nations Unies sollicitèrent l’aide directe de l’OTAN pour que, avec
ses forces et moyens militaires, elle pallie à la crise humanitaire provoquée
par le tremblement de terre qui dévasta le Cachemire en octobre 2005.
D’une part, les Nations Unies demandèrent publiquement et avec intensité que l’OTAN coordonne l’opération d’aide humanitaire. Pour cela,
l’OTAN constitua un pont aérien avec des moyens militaires de transport
vers Islamabad et coordonna le flux de l’aide humanitaire. Grâce à cela,
la plus grande partie du matériel humanitaire et de campagne facilité par
les pays donateurs et par le bureau du Haut Commissaire des Nations
Unies pour les Réfugiés, fut transféré au Pakistan avant que n’arrive le
dur hiver de l’Himalaya.
D’autre part, sur demande directe du Gouvernement du Pakistan à l’OTAN,
fut envoyé la NATO Response Force avec d’importantes composantes
d’ingénieurs, d’hélicoptères de transport et des hôpitaux de campagne.
Certaines aides bilatérales choisirent de recourir à l’appui multilatéral de
l’opération de l’OTAN du aux énormes difficultés des rigueurs météorologiques et les caractéristiques abruptes du terrain affecté. Ceci fut le cas de «
l’équipe d’aide et de réponse aux désastres » (DART) du Canada.
Répondant à cette demande, les ambassadeurs permanents devant l’OTAN
des pays membres de l’Alliance (c’est-à-dire, tous les pays de l’OTAN à
l’unanimité) s’accordèrent pour réaliser une opération d’aide humanitaire
à travers l’activation et le déploiement d’une partie de la Force de Réaction
rapide de l’OTAN, que l’Espagne dirigeait à ce moment.
L’opération dura à peine 90 jours. Durant ce temps, furent réalisés, en
aide directe à la population, les travaux et réparations qui furent expressément sollicités par les autorités pakistanaises, parce qu’elles étaient les
plus urgentes et nécessaires. Ainsi, et à titre d’exemple, les ingénieurs :
118­
COOPERATION CIVILE- MILITAIRE DANS DES OPÉRATIONS HUMANITAIRES
•
•Reconstruirent deux écoles dans la zone de Bagh,
•Habilitèrent 13 magasins-écoles en tant qu’installations provisoires,
•Reconstruirent le centre de santé de Arja,
•Réhabilitèrent 55 kilomètres de routes et chemins forestiers
•Mirent en marche un système de purification d’eau pour la fourniture
quotidienne de 8.000 personnes
•Les médecines, en plus de soigner le contingent espagnol, soignèrent
le personnel pakistanais et de l’OTAN, fournissant des médicaments et
des aliments pour enfants et collaborèrent à la réouverture du centre
de santé de Arja.
Toutes ces actions contribuèrent de manière notable à pallier à la souffrance d’une population connaissant d’énormes difficultés même pour
survivre. Ce fut perçu de la sorte par eux et ça s’est manifesté clairement
pendant la présence du contingent espagnol dans ces terres dévastées.
L’UE est la seule
organisation qui
dispose effectivement
de cette composante
civile, indispensable
pour atteindre une
approche intégrée des
crises
Il faut aussi souligner que le coordination avec les ONGs déployées dans
la zone fut constante et que les forces militaires réalisèrent les travaux
que ces organisations ne pouvaient pas avoir menées par elles seules, du
au manque de moyens techniques et de matériel lourd.
Au point de vue économique, le coût final de l’opération atteint les 20,3
millions d’euros, desquels furent reçu des remboursements de la part de
l’OTAN qui s’élèvent à quelques 2,6 millions d’euros.
Bien que nous n’analyserons pas le troisième acteur, l’UE, nous dirons
que sa philosophie est la même que l’espagnole, en postulant l’intégration de composantes militaires et civiles en une mission unique. L’UE est
la seule organisation qui dispose effectivement de cette composante
civile, indispensable pour atteindre une approche intégrée des crises
(comprehensive approach) en mettant en action tous les acteurs nécessaires pour cela : policiers, judiciaires, militaires, etc.
L’Espagne suit le chemin décrit ci-dessus sur la scène mondiale. Dans
des aspects légaux, la DDN et la Loi Organique 5/2005 comprennent la
participation dans des missions humanitaires parmi les actions possibles
de ses forces armées. Dans l’aspect des expériences, l’Espagne a été
pionnière dans des missions comme celle du Pakistan, étant donné la composante militaire d’une mission de l’UE comme celle de la RD du Congo.
Finalement, l’Espagne a réalisé un pas en avant dans la participation de
forces militaires dans les désastres avec la création de la UME, un outil de
grande capacité pour agir tant de manière interne qu’extérieurement.
Il est évident que les capacités civiles et militaires dans le contexte de crises et d’aide humanitaire sont en beaucoup de cas complémentaires. La
clé réside dans la volonté politique d’agir au bénéfice des victimes. Il est
aussi évident qu’une grande coordination est absolument nécessaire.
Il est indispensable que, dans la collaboration entre civiles et militaires,
on ne puisse prétendre assumer le protagoniste exclusif de la gestion des
crises humanitaires et que l’on veuille exclure les militaires. Ce qu’il reste
à faire dans ce domaine, et qui malheureusement est encore beaucoup,
est de surmonter largement les capacités actuelles et possiblement les
futures, ce pour quoi il faudra continuer à travailler pour tous.
119­
Benito Raggio
•
COORDINATION CIVILE ET MILITAIRE DANS LA GESTION
DES CRISES DE L’UE
Radek Khol
Secrétariat général du Conseil de l’UE,
Direction générale E. Affaires extérieures et politico-militaires.
Direction IX (Gestion civile des crises)
Introduction
Cet article analyse les enjeux internes de la consolidation des mécanismes de gestion civile des crises de l’UE. Parvenir à assurer l’équilibre
entre les compétences civiles et militaires, élément essentiel pour une
action extérieure européenne effective, constitue un des principaux
aspects de ces défis. Un scénario nouveau de sécurité dynamique exige
l’utilisation d’un large éventail d’instruments à disposition de l’UE et
leur emploi de la manière la plus coordonnée possible. Les interactions
civile-militaires deviennent de plus en plus indispensables au cours des
opérations de l’UE. La coopération civile-militaire (CIMIC) et la coordination civile-militaire (CMCO), sont particulièrement importants et il
s’avère nécessaire de clarifier leurs différences. La CIMIC, fondée sur la
coopération opérationnelle et tactique entre différents acteurs sur le
terrain, est hors de la portée de cette étude. La CMCO se trouve encore
en processus de construction et la coordination inter-piliers constitue
peut-être sa principale dimension. Cependant, cette dimension pourrait
également être appliquée à certains domaines prioritaires tels que la protection civile ou la réponse face aux catastrophes. Étant donné que l’UE
n’a pas encore entrepris une opération civile-militaire réellement mixte
–à l’exception limitée de l’opération de soutien à la Mission de l’Union
africaine au Soudan (MUAS) – cet article aborde fondamentalement
la coordination entre les activités civiles et militaires dans les domaines
stratégique et de la planification.
Les opinions exprimées dans cet article reflètent la position personnelle
de l’auteur et ne sont pas forcément
celles du Secretariat général du
Conseil
121­
•
L’importance de la CMCO a été reconnue et mise en évidence dans différents documents stratégiques et primordiaux de l’UE. La Stratégie de
sécurité européenne, dans sa définition des menaces, établit « qu’aucune
des nouvelles menaces est uniquement militaire et que, par conséquent,
la façon de les adresser ne saurait être exclusivement militaire non plus.
Chaque menace exige une combinaison d’instruments ». Une réponse
plus cohérente, regroupant les différents instruments et compétences
dans un agenda unique s’avère donc nécessaire1. De même, l’Objectif
global civil 2008 enjoint à « assurer une coopération et une coordination
étroites avec les milieux militaires pendant toutes les phases de l’opé-
L’armée participe de
plus en plus à des
missions éclectiques
en développant des
activités qui ne sont
pas exclusivement
« militaires »
ration. Les missions de gestion civile doivent être en mesure de recourir
aux compétences militaires nécessaires qui permettent leur exécution »2.
Parallèlement, l’absence d’une conception stratégique de l’UE, qui illustre
la manière d’équilibrer les actifs militaires et civils au sein de l’UE ou le rôle
que l’UE souhaite jouer dans la gestion des crises, devrait être envisagée.
Différences entre la Coopération Civile-Militaire
(CIMIC) et la Coordination Civile-Militaire (CMCO)
Les concepts de Coopération Civile-Militaire et de Coordination CivileMilitaire doivent être clairement différenciés, malgré leur encadrement
commun, au sein des activités de l’UE, dans les opérations de gestion
des crises, qu’elles soient directives ou de soutien.
L’armée participe de plus en plus à des missions éclectiques en développant des activités qui ne sont pas exclusivement « militaires ». La CIMIC
surgit de la perspective militaire fondée sur la protection de la force et
la nécessité de coopérer avec les autorités locales et civiles pour atteindre un objectif concret inscrit dans une opération militaire complexe.
Deux sortes d’interactions sont possibles. Tout d’abord, les opérations
de gestion des crises dépendent partiellement des institutions civiles
et de la population pour obtenir les ressources, l’information et même
la sécurité. Deuxièmement, les forces militaires collaborent aussi avec
d’autres organisations internationales et non-gouvernementales. Il s’agit
donc d’une fonction de soutien militaire orientée vers l’extérieur. Par
conséquent, la CIMIC est aussi un élément important des opérations de
gestion des crises dirigées par l’UE dans le but de promouvoir l’efficacité
de ces opérations. La CIMIC est fondée sur des relations civile-militaires
définies en termes généraux, qui couvrent aussi d’autres aires telles que
la planification des situations d’émergence civile ou l’assistance militaire
lors des situations d’émergence humanitaire. Dans ce domaine, la CIMIC
vise le soutien réciproque et les objectifs communs, fondés sur la transparence et la communication.
L’UE a adopté sa propre conception de CIMIC pour les opérations de gestion des crises dirigées par l’UE à l’occasion du Comité militaire de l’UE
(CMUE) du 18 mars 20023. Le Comité prévoyait l’établissement de structures permanentes de CIMIC et l’incorporation des structures de CIMIC
aux opérations spécifiques dirigées par l’UE. D’autre part, la conception
intégrale de l’UE, orientée vers la gestion des crises et construite sur un
large choix d’instruments, civils et militaires, est mise en relief.
L’UE, en contraste avec d’autres organisations internationales et régionales telles que l’OTAN ou l’OSCE, a déclaré, nonobstant, sa volonté ferme
de développer les compétences de gestion des crises dans les domaines
civil et militaire. Outre le concept de CIMIC, définissant la coopération
avec les acteurs externes dans le cadre des opérations dirigées par l’UE,
la définition d’un autre concept, la CMCO, a du être développée pour
désigner la coordination interne également.
« La CMCO, dans le cadre de la Politique extérieure et de sécurité commune (PESC) et de la Politique européenne de sécurité et de défense
(PESD), aborde la nécessité d’une coordination effective des démarches
122­
COORDINATION CIVILE ET MILITAIRE DANS LA GESTION DES CRISES DE L’UE
•
des acteurs principaux de l’UE, impliqués dans la planification et la mise
en œuvre subséquente de la réponse de l’UE à la crise »4. Ainsi conçue, sa
portée est différente de celle de la CIMIC et elle est dirigée par les organes
de décision de l’UE, en particulier par le Comité politique et de sécurité et
par le Secrétaire-Général/Haut Représentant (SG/HR). La principale fonction interne de la CMCO est de faciliter à l’UE la planification et la mise en
œuvre efficaces pour répondre aux crises. Son objectif est d’encourager
et d’assurer la coordination des actions de l’UE dans toutes les phases de
l’opération. La CMCO va au-delà des affaires traitées au niveau opérationnel et tactique par la CIMIC et tient compte des caractéristiques uniques
de l’UE dans les domaines politique et stratégique. La CMCO devrait être
utilisée comme un instrument au sein d’un cadre institutionnel unique de
l’UE, aussi bien au niveau intra-pilier qu’au niveau inter-pilier. Cette approche permettrait de renforcer la faiblesse de la division traditionnelle de la
structure de l’UE en piliers puisque ces derniers, gouvernés par différents
principes, seraient impliqués dans les activités de gestion des crises de l’UE.
L’idée principale est d’offrir une réponse cohérente face à une situation de
crise particulière et d’établir une culture de coordination quotidienne dans
toutes les phases de la gestion des crises de l’UE.
Cette culture de
coordination repose
sur une coopération
continue et sur des
objectifs politiques
partagés
La CMCO en tant que culture de coordination
La CMCO, dans le contexte de la PESC/PESD, et d’après la définition du
Conseil du mois de novembre 2003, souligne, au sommet de la liste de
priorités, la nécessité d’établir une culture de coordination, plutôt que
de mettre l’accent sur les détails des structures et les processus5. L’objectif doit être de promouvoir et d’assurer la coordination des actions de
l’UE tout au long du cycle de l’opération. Cette culture de coordination
repose sur une coopération continue et sur des objectifs politiques partagés et son principal fondement est un travail de préparation minutieux
qui comprend d’importants services du Secrétariat du Conseil et de la
Commission. Le travail en coopération étroite est également essentiel lors
de la phase de « routine » de la gestion des crises de l’UE6 . La culture de
la CMCO devrait, par conséquent, être conçue en partant des activités
de l’UE et répondre aux crises dans les plus brefs délais. Elle devrait aussi
couvrir les phases d’approche, de planification et de mise en place de
l’opération au lieu d’être « improvisée » au dernier moment 7.
Les différentes perceptions nationales des relations civile-militaires des
États membres de l’UE (le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne ou les
Pays nordiques) rendent encore plus difficile la création d’un modèle
commun visant la coordination civile-militaire dans le domaine de l’UE.
L’affectation du personnel militaire –DGE Direction générale VIII et État
major de la UE (EMUE)– et du personnel civil –DGE Direction générale IX
et Planification et conduite des opérations civiles (CPCC)8 – à la Direction
générale E du Secrétariat du Conseil, siégeant à l’immeuble Kortenbergh,
est favorable à l’établissement des contacts de travail individuels, malgré la
persistance de différentes cultures institutionnelles. Le personnel militaire
de l’UE était quelque peu isolé, ce qui créait une culture militaire commune et reproduisait les structures militaires déjà connues. Le Secrétariat du
Conseil affiche également un certain déséquilibre entre les membres civils
et militaires, la dimension civile ayant souffert un manque de personnel
123­
Radek Khol
•
malgré des missions de plus en plus nombreuses et d’envergure accrue.
Le scénario des efforts pour la gestion des crises de l’UE fut conçu par le
personnel militaire, alors que la contribution du personnel civil a été postérieure et n’a pas modifié substantiellement la planification stratégique.
Les différences
fondamentales entre
le personnel civile et
militaire concernant
l’approche de la
population locale
demeurent une réalité
aujourd’hui
Les directrices formelles pour la coordination interne sont moins efficaces
que les rencontres informelles à des niveaux inférieurs axés sur la recherche de solutions pratiques et sur l’élaboration de documents. Les processus et les règles doivent assurer la poursuite de ces pratiques et renforcer
les mécanismes permettant la transmission de l’information cruciale aux
organismes pertinents de l’UE. Ces contacts entre le personnel devraient
être soutenus par l’établissement de points de contact formels.
Les sujets concernant le commandement et le contrôle abordent des
questions sensibles puisque la chaîne militaire de commandement des
opérations de l’UE est différente et indépendante de la chaîne civile. Les
Représentants spéciaux de l’UE sont des représentants politiques de l’UE
détachés sur le terrain, mais n’ont pas d’autorité en termes de coordination sur les Forces Commanders de l’UE, qui informent le CMUE et reçoivent des instructions politiques du Comité politique et de sécurité (COPS).
Évidemment, le maintien de cette chaîne de commandement, inaltérable
et indépendante du domaine civil, intéresse les forces armées.
Les différences fondamentales entre le personnel civile et militaire
concernant l’approche de la population locale demeurent une réalité aujourd’hui. Le personnel militaire est entraîné pour maintenir un
contact minimal et réside dans des bases militaires tandis que le personnel civil de l’UE interagit constamment aves les autorités locales et continuera, en général, à se mêler à la population civile.
L’analyse des différents types de sélection de personnel accroît cette
complexité. Dans le domaine militaire, les manœuvres de déploiement à
l’extérieur sont perçues par les soldats de la plupart des États membres
comme l’activité primordiale de leur activité. Les soldats professionnels
se déplacent volontiers, motivés par la perspective d’incitations professionnelles reliées au service à l’extérieur. Dans le domaine civil, par
contre, la norme est toujours la volonté. Par conséquent, les incitations
fiscales pour déplacer ces experts, des structures nationales à l’étranger,
sont limitées (il s’agit de fonctionnaires typiques de l’Administration de
l’État ou des autorités locales) et peu spécialisées9.
Processus de Gestion des Crises (PGC)
L’UE a développé son PGC, défini sur le document « Procedures for coherent, comprehensive EU crisis management » du mois de juillet 2003»10.
Ce document est considéré comme un document vivant présentant un
organigramme du PGC devant être révisé à la lumière des événements
dans des domaines tels que la coordination civile-militaire. Malgré l’appel
réitéré à la nécessité de coordination et de planification coordonnée entre
le Secrétariat du Conseil et la Commission, mentionnant l’éventuel établissement d’équipes simultanées, le processus résultant est encore loin d’être
cohérent. Il serait peut-être mieux décrit comme un processus parallèle
ayant plusieurs points de connexion que comme une approche strictement
124­
COORDINATION CIVILE ET MILITAIRE DANS LA GESTION DES CRISES DE L’UE
•
coordonnée, en particulier au cours de la phase de routine et d’escalade
de la crise, en incluant la préparation du Concept de gestion des crises.
Le rôle primordial du COPS est d’assurer l’action coordonnée de l’UE. II
est conseillé par le Comité d’affaires civiles dans la Gestion des crises (CIVCOM) et par le CMUE lors des processus de prise de décision concernant
le lancement des opérations. Postérieurement, il pourra être utilisé comme
point d’information principal pour les acteurs de l’UE sur le terrain.
L’innovation des processus dans le domaine de la CMCO réside dans
la création d’une Équipe pour la coordination de la réponse à la crise
(CRCT) et des dispositifs ad hoc, sans pouvoir de décision, composés par
des officiers de haut rang appartenant au Secrétariat du Conseil et à la
Commission. Le CRCT devrait intervenir dans la préparation du Concept
de gestion des crises (CGC).
En ce qui concerne le personnel, le CRCT doit assurer la cohérence
entre les options stratégiques militaires et les options civiles, les différentes Conceptions d’opérations (CONOPSes) et les Plans d’opérations
(OPLANS). De même, le CRCT devrait encourager la cohérence totale
entre les aspects civils et militaires de l’action de l’UE lors de leur mise
en place. Mais le rôle du CRCT a été, en fait, essentiellement réduit à
la coordination entre le Conseil et la Commission au niveau des hauts
fonctionnaires. Son activité, au cours de la planification des opérations
dans le cadre de la PESD a été plutôt limitée, bien que son activité se
soit renforcée pendant l’Exercice de gestion des crises (CME) 02. Normalement, cet Exercice consistait en une rencontre des représentants de la
Commission, le cabinet, le Secrétariat du Conseil –DG E, l’EMUE, le Service juridique et le Centre de situation (SITCEN). Des rapports de travail
réguliers entre le Secrétariat du Conseil et la Commission ont eu lieu au
niveau des Desk Officers pendant l’établissement du détachement.
Sur le terrain, le Représentant spécial de l’UE (RSUE) joue un rôle essentiel dans le domaine du CMCO, en supervisant la plupart des activités de
l’aire d’opérations. Le RSUE doit en outre se coordonner avec le Force
Commander de l’UE, le Responsable de la mission de police et les autres
Responsables de mission des différentes opérations civiles de l’UE.
La dernière innovation du processus de gestion des crises de la PESD,
ayant également un impact direct sur l’aire de CMCO a été mise en
évidence par le document « Draft EU Concept for Comprehensive Planning », au mois de novembre 200511. Elle défend que l’inclusion du Plan
intégral par la CMCO de l’UE, implique de conjuguer les efforts tout en
respectant l’intégrité de chaque acteur, son expérience particulière et la
contribution de l’UE à la gestion du conflit.
La CMCO sur le terrain était aussi présente dans le nouveau document
« Civil-Military Coordination Framework paper of possible solutions for
the management of EU Crisis Management Operations », de mai 200612.
Ce document propose une liste de mesures pratiques pour aider à promouvoir la CMCO sur le terrain, en abordant des sujets tels que l’établissement d’une stratégie claire et des activités bien définies par les acteurs
de l’UE sur le terrain, le soutien croisé et la synchronisation des activités
sur le terrain, la nécessité d’une stratégie pour les médias et l’information ainsi que des aspects de formation et d’information coordonnée.
125­
Radek Khol
•
Rôle de la cellule civile-militaire
La cohérence des
structures civiles et
militaires de la PESD
devrait être améliorée,
en envisageant tous les
outils disponibles de la
PESD
La cellule civile-militaire (Civ/Mil) est apparue insérée dans le paquet
d’engagements relatifs à la controverse de 2003, alors que l’établissement de quartiers opérationnels autonomes était l’aspect le plus discuté13. La décision de mettre en place une cellule de planification civilemilitaire à l’UE fut adoptée par le Conseil européen au mois de décembre 2003. Un renforcement de la compétence de l’EMUE pour donner
des recommandations hâtives, évaluer la situation et planifier stratégiquement l’action a été proposée en établissant, au sein de l’EMUE, une
cellule dotée de composants civils et militaires. Le Conseil prévoyait cinq
fonctions principales pour cette cellule14 :
•Unifier le travail des différents États de l’UE concernant l’anticipation
des crises, en incluant la prévention de conflits et la stabilisation postérieure au conflit ;
•Porter assistance à la planification et à la coordination des opérations
civiles ;
•Développer l’expérience de la gestion de l’interface civile-militaire ;
•Développer une planification stratégique avancée pour les opérations
conjointes civiles et militaires ;
•Renforcer les sièges centraux nationaux désignés pour l’opération
autonome de l’UE.
Les négociations portant sur la composition et les modalités du Centre
d’opérations se sont poursuivies pendant un an encore, et ont abouti à
l’élaboration d’un document conceptuel final qui définissait les termes
de référence spécifiques de la cellule civile-militaire en vue de leur adoption au mois de décembre 2004 et reportait la création graduelle d’une
cellule civile-militaire jusqu’à l’année 200515.
La cellule civile-militaire s’inscrit dans les structures du Conseil, sous
l’égide du Secrétaire Général/Haut Représentant (SG/HR). Une partie de
l’EMUE est insérée dans la dimension militaire de la PESD, ce qui possiblement limite son rôle comme instrument puissant de coordination.
La cohérence des structures civiles et militaires de la PESD devrait être
améliorée, en envisageant tous les outils disponibles de la PESD et en
informant le CIVCOM ainsi que le CMUE. En matière de CMCO, son rôle
peut être décisif puisque, pour l’instant, elle est l’interlocuteur naturel de
la CMCO. La cellule civile-militaire dispose désormais de tout son personnel. Elle a aussi un deuxième Directeur militaire (le Général Manione
est entré en fonctions en automne 2007 à la fin du mandat du Général
Brauss), ainsi qu’un second Sous-directeur civil. La cellule est formée
par une Branche de planification stratégique et un noyau permanent
essentiel comme Centre d’opérations. La Branche de planification stratégique est particulièrement importante pour la CMCO. Elle compte 17
membres, y compris sept planificateurs militaires et sept planificateurs
civils. Parmi les planificateurs civils, deux officiers de la Commission agissent comme officiers de liaison, expérimentés en matière d’assistance
humanitaire et réponse aux désastres et dans la gestion d’assistance
pour la reconstruction, respectivement. Ce contact permanent avec la
Commission, son expérience et la connaissance des opérations humanitaires, témoigne d’une innovation institutionnelle importante. La cellule
civile-militaire est dotée d’un plan de contingence stratégique, qui conju-
126­
COORDINATION CIVILE ET MILITAIRE DANS LA GESTION DES CRISES DE L’UE
•
gue les perspectives des différents acteurs de l’UE des deux piliers, les
États membres, ainsi que les dimensions civile et militaire. Dans le cadre
du plan stratégique de réponse aux crises, la cellule civile-militaire porte
assistance aux planificateurs politico-militaires en tenant compte des
éventuels points de rencontre entre les aspects civil et militaire et leur
éventuel soutien réciproque16.
Et ce qui est encore plus important, la cellule civile-militaire devrait
contribuer à la planification stratégique de réponse aux crises lors des
opérations conjointes civiles et militaires en développant des options
stratégiques qui comprennent les deux dimensions. Cet aspect est
particulièrement intéressant puisque, jusqu’à présent, aucune véritable
opération civile-militaire de l’UE n’a été déployée malgré la nécessité
de ces opérations. Deuxièmement, si la cellule civile-militaire parvient à
perfectionner son rôle dans le domaine du développement des doctrines
et des conceptions, le contact civil et militaire pourrait être renforcé dans
des domaines tels que la Réforme du secteur sécuritaire ou le désarmement, la démobilisation et la réintégration, des domaines dans lesquels
l’expérience et la connaissance civile et militaire sont étroitement liées,
ainsi que dans l’assistance aux opérations de gestion civile expérimentée
des crises dans des aires telle que la logistique, les communications et
les systèmes d’information et de planification. La cellule civile-militaire
jouit également d’une bonne position institutionnelle lui permettant
d’intégrer les rapports des leçons dérivées des opérations civiles et militaires entreprises parallèlement sur un même territoire, comme c’est le
cas, actuellement, en Bosnie. Ces mêmes leçons extraites conjointement
peuvent être appliquées à d’autres exercices de l’UE.
La cellule civile-militaire
devrait contribuer
à la planification
stratégique de réponse
aux crises lors des
opérations conjointes
civiles et militaires
en développant des
options stratégiques
qui comprennent les
deux dimensions
D’une manière générale, la cellule civile-militaire doit avoir confiance
dans sa capacité pour convaincre et regrouper les personnes, introduire l’habitude de travailler en équipe et renforcer la retro alimentation
entre les structures de la Commission et le Secrétariat du Conseil. La
cellule civile-militaire pourra entreprendre également des actions de
sensibilisation concernant les affaires liées à la CMCO en présentant
des rapports auprès des différents programmes de formation. Un des
avantages de la cellule civile-militaire est qu’il ne s’agit ni de fonds de
gestion ni d’opérations en cours (bien qu’elle puisse fournir de l’assistance aux opérations en cours) et que, par conséquent, elle est libre
d’intérêts directs dans les opérations spécifiques de l’UE. Elle peut donc
mieux cibler l’obtention d’une vision générale des instruments civils et
militaires disponibles pour une mission conjointe ou des liens plus solides entre les missions existantes séparément dans un même territoire.
La cellule civile-militaire est actuellement dénommée Branche de planification stratégique et elle est dotée de personnel ayant une trajectoire
solide en matière de planification et une connaissance approfondie du
contexte institutionnel de l’UE.
Formation civile-militaire conjointe
Il existe deux programmes de formation axés sur les sujets CMCO.
L’un deux a été développé par la Commission entre les années 20012007 et l’autre par le Conseil à partir de l’année 2004. Le personnel
(diplomatique, civil et militaire) des États membres de l’UE travaillant
127­
Radek Khol
•
comme haut fonctionnaires auprès des délégations nationales des différents pays à Bruxelles et à des postes décisionnels aux capitales, les
officiers de toutes les institutions de l’UE et le personnel de l’ensemble des missions dirigées par l’UE constituent leur public potentiel. La
formation conjointe civile et militaire s’avère très nécessaire, puisqu’il
n’existe aucun mécanisme systématisé au sein des programmes de
formation nationale.
Le Projet de Formation de la CE concernant les Aspects civils de la gestion des crises a fonctionné pendant plusieurs années (2001-2007), dirigé par le Groupe de formation de l’UE. Des cours spéciaux sur la CMCO
ont été donnés tout au long de ces dernières années.
La formation de l’UE en matière de PESD a été approuvée par le Comité
politique et de sécurité (COPS) en décembre 2004 dans l’objectif de
développer des programmes européens de formation multi-annuels sur
la PESD, en regroupant différents acteurs (États membres et leurs institutions de formation, l’Ordre européen de sécurité et défense, l’Ordre de
police européenne, le Programme diplomatique européen, la Commission). Le domaine civile-militaire est considéré comme un aspect important en ce qui concerne la formation à tous les niveaux –stratégique,
opérationnel, pour le personnel diplomatique national, civil et militaire
des États membres, pays en voies d’adhésion et candidats, fonctionnaires des institutions de l’UE. Il est envisagé comme une partie importante
du bloc général de formation de la PESD et comme une spécialisation
nécessaire pour la mise en place d’une fonction particulière, mais il n’est
pas nécessairement relié à une mission spécifique. Axé sur la connaissance et les habiletés pour participer aux opérations civile-militaires de
la PESD, il aborde les instruments civils ainsi que les militaires, en portant
une attention particulière à la CMCO. La coordination civile-militaire et
la coordination entre les différents piliers a été envisagée comme une
exigence particulière de la formation de l’UE, fondée sur l’expérience de
l’opération Althea17.
Les sujets CMCO ont été insérées dans le curriculum des cours pilote de
la PESD de 2004-2005, mis en place dans le cadre de l’Ordre européen
de sécurité et défense. Le cours pilote de CMCO, dirigé par la Folke Bernadotte Academy de Suède et encadré dans les activités du Groupe de
formation de l’UE, s’est déroulé du 19 au 27 septembre 2005. Il a été
articulé sur le cours de CMCO à la PESD réalisé dans le cadre du Projet
de formation de la CE pour les Aspects civils de la gestion des crises18.
Exercices de gestion des crises de l’UE avec des instruments
civils et militaires et leur coordination
L’UE a mis en place quatre CME au cours de la période 2002-2007, dont
deux ont été particulièrement importants pour le CMCO (ils ont eu lieu
en 2002 et 2004 respectivement). Ces exercices ont permis de développer et de tester les processus de gestion des crises dans une situation
donnée alors qu’aucune opération n’avait été mise en œuvre dans l’UE
ou l’avait été de manière très limitée. Ils aident à comprendre les difficultés, les différents points de vue et les processus nécessaires pour les
missions civiles et militaires.
128­
COORDINATION CIVILE ET MILITAIRE DANS LA GESTION DES CRISES DE L’UE
•
Ce premier Exercice de gestion des crises de l’UE (CME 02), mis en place
du 22 au 28 mai 2002, a été axé sur l’essai et l’évaluation des processus
et des structures pour la gestion des crises de l’UE19. Le décor a été l’île
fictive « Atlantia » et l’exercice s’est encadré dans le domaine stratégique
politico-militaire, en particulier le COPS et les instances désignées pour son
soutien. L’évaluation du CME 02 a affiché des résultats généraux positifs
dans les processus, les concepts et les structures de la gestion des crises
mais a identifié également des faiblesses importantes dans le domaine de
la coordination interne de l’UE, concernant aussi bien la clarification de
compétences des instances du premier et deuxième pilier que l’intégration
des instruments civils et militaires20. L’expérience du CME 02, par conséquent, a eu une influence significative sur les progrès des mécanismes de
la CMCO, qu’il convenait de renforcer, comme a souligné le Rapport de la
Présidence espagnole de la PESD, présenté au Conseil Européen de Séville.
Le CME 04 s’est tenu du 18 au 27 mai 2004 et a été marqué par la
volonté d’aller plus loin dans les essais de gestion des crises de l’UE et
de perfectionner les processus de CMCO. Tout cela dans le cadre d’une
opération indépendante dirigée par l’UE sans recourir aux instruments
et aux compétences de l’OTAN. Jusqu’à présent, le scénario du CME
04 a été le plus ambitieux, en exigeant le déploiement d’un contingent
d’instruments civils et militaires européens, aussi bien à l’échelle de la
Communauté que des États membres, en incluant la force militaire, un
composant policier, de l’État de droit et de l’administration civile. Un
scénario aussi exigeant insérait également certains aspects de coordination civile-militaire.
Ces exercices ont
permis de développer
et de tester les
processus de gestion
des crises dans une
situation donnée alors
qu’aucune opération
n’avait été mise en
œuvre dans l’UE ou
l’avait été de manière
très limitée
Le scénario du CME 06 combinait les instruments militaires et civils
nécessaires pour une réaction rapide. La cellule militaire en tant que
responsable du plan intégral constitue la principale nouveauté. Malheureusement, en raison des circonstances politiques externes, le CME 06 a
du être annulé et remplacé par un Exercice d’étude plus limité, EST 06,
orienté vers la réaction rapide. De même, le CME 05 a du être remplacé
par l’EST 05, axé sur la stratégie d’opérations européennes de gestion de
crise vers l’ONU et à partir de celle-ci.
Les opérations réelles sont actuellement plus importantes pour l’évolution de la CMCO que les exercices, puisqu’elles mettent à l’épreuve les
structures et les normes de l’UE reliées à des questions concrètes et font
pression pour l’établissement de solutions ad hoc ou de changements
flexibles des processus de gestion des crises.
La CMCO dans la pratique : La participation de l’UE
dans la gestion des crises en Bosnie-Herzégovine,
Aceh, le Congo et la Guinée-Bissau
La présence de l’UE en Bosnie-Herzégovine a été fortement consolidée
grâce à la réalisation de différentes opérations parallèles qui utilisaient
différents instruments de l’UE –la Mission de la police de l’Union européenne (EUPM), les Forces de l’Union européenne (EUFOR), la Mission
d’observation de l’Union européenne (EUMM) et le Représentant spécial
de l’UE, entre autres. L’implication de l’UE a été particulièrement importante pendant plus d’une décennie.
129­
Radek Khol
•
Ces opérations ont été planifiées et mises en œuvre non pas comme
une opération conjointe de l’UE, mais comme des actions indépendantes ayant des commandements, des chaînes de commandement et
des autorités auxquelles informer différentes. La pratique sur le terrain
témoigne d’une application limitée de la CMCO. Plutôt qu’à une coordination complète, elle s’est limitée à un simple échange d’information
et à la tenue de rencontres régulières entre les responsables des missions
sur le terrain. Certaines leçons apprises de la EUPM ont été introduites
pour l’opération Althea et son Unité de police intégrée, bien de manière
sectorielle exclusivement. La CMCO s’est limitée, par conséquent, à la
phase de planification et d’opérativité initiale. Certaines leçons issues de
l’expérience en Bosnie ont été identifiées à la fin de l’année 2006. Elles
ont-elles ont été favorables à une coordination renforcée à Bruxelles, et
dans une moindre mesure, sur le terrain. Elles ont été axées sur des pratiques de coordination triangulaire (RSUE, EUPM, EUFOR) en insérant des
révisions des missions, la prise de conscience de la situation et l’échange
d’information, le suivi des médias ainsi que l’importance de la coordination pour le RSUE.
Cependant, le processus d’identification et d’apprentissage n’a pas été
mis en place de manière conjointe, mais par l’intermédiaire d’un ensemble de processus parallèles pour chaque mission. La planification du suivi
de la mission en Bosnie pourrait bénéficier de l’expérience des commandants militaires et de la police et les utiliser comme conseillers du RSUE.
Le succès des opérations civiles de l’UE à Aceh a permis de consolider des
meilleurs résultats dans la pratique de la CMCO. Cependant, des progrès
importants sont encore possibles dans les activités de la PESD à la République démocratique du Congo (RDC) ou en ce qui concerne le soutien
de l’UE à l’Union africaine à Darfour. De nombreuses expectatives ont été
générées à la suite de la mission européenne à Aceh. Dans ce cas, une
mission civile d’observation a été assistée par des ressources logistiques
militaires et par l’expérience militaire au cours du processus de supervision de l’opération de désarmement, repli des rebelles et retrait des unités
de police militaire indonésiennes non locales. La Mission d’observation de
l’UE à Aceh a été conçue comme une opération civile mais, dans la pratique, elle est apparue comme une mission mixte dans laquelle participait,
dans sa phase de planification, la cellule civile-militaire avec ses ressources
et ses compétences pour combiner les officiers du Conseil et ceux de la
Commission. Par conséquent, la cellule civile-militaire s’est complètement
impliquée dans une mission de recherche.
Dans la RDC, la Réforme du Secteur de la sécurité constitue une activité
primordiale de la mission de conseil et d’assistance de l’UE, dénommée
« Réforme du secteur de la sécurité de l’Union à la République démocratique du Congo (EUSEC RD Congo)», engagée au mois de mai 2005.
Bien que conçue comme une mission civile et financée grâce à la ligne
budgétaire de la PESC, elle est fondée sur l’expérience militaire et son
chef de mission est un général français à la retraite qui informe le SG/HR
par l’intermédiaire du RSUE. C’est le même cas que la mission de police
EUPOL KINSHASA, mise en œuvre au printemps 2005. La présence de
l’UE a été complétée par l’opération militaire EUFOR Congo, déployée
au cours des élections dans la RDC, pendant les mois de juillet à novembre 2006.
130­
COORDINATION CIVILE ET MILITAIRE DANS LA GESTION DES CRISES DE L’UE
•
Perspectives du futur renforcement de la CMCO dans
la gestion des crises de l’UE
Les réflexions de la CMCO concernent également le domaine du développement des compétences civiles et militaires. Il existe une liaison entre l’Objectif général civil 2008 (OGC 2008) et l’Objectif général 2010 (OG 2010) de
manière informelle et par la voie de l’adaptation de certaines de ses approches. La cohérence institutionnelle devrait être assurée au niveau du COPS,
et un travail dur est entrepris afin d’obtenir également cette cohérence aux
instances inférieures. Cependant, ces deux processus ne sont pas reliés formellement, leurs chronogrammes et leurs spécifications sont différents et ils
sont gérés par des comités divers. Alors que l’OG 2010 est la suite de l’Objectif général européen (OGE), OCG 2008 est un processus nouveau inspiré
du modèle de l’Objectif général militaire, malgré la persistance de différences
importantes dans le type de compétences nécessaires concernant les dimensions civile et militaire ainsi que leur disponibilité. La dimension militaire fonctionne en général avec des unités et des compétences techniques, toutes
deux disponibles à la réserve, tandis que la dimension civile met en place des
compétences humaines avec un personnel hautement qualifié (experts civils)
ou de petites unités (police), lesquelles, en général, ne se trouvent pas en
état de réserve. L’OGC 2008 prévoit des missions de gestion civile des crises,
déployées conjointement ou en étroite coopération avec les opérations militaires, en tirant parti des compétences militaires et en assurant une étroite
coopération et coordination avec les efforts militaires dans toutes les phases
de l’opération21.
Le pas suivant devrait
être la planification
d’une opération de l’UE
réellement conjointe,
en franchissant la
distance institutionnelle
des différents outils
civils et militaires
disponibles pour la
prévention des conflits
L’Objectif général civil 2010 (OGC 2010), accordé au mois de novembre
2007, établissait comme aspect important l’étude des synergies entre les
processus de l’OGC et de l’OG 2010. Vers la fin du cycle OGC 2010 un
inventaire des compétences militaires et civiles de la PESD ainsi que des compétences disponibles de la CE devrait être dressé. L’OGC 2010 identifie de
manière explicite les domaines qui doivent être analysés, ainsi que la sécurité
sur le terrain, la formation, la logistique et les synergies importantes22.
La situation réelle des nombreuses missions de l’UE aux Balkans occidentaux
offre une opportunité exceptionnelle pour préparer un modèle pont pour la
Bosnie, basé sur une approche intégrale défendue par les trois présidences
de l’UE en 2005-2006 et qui a été élaborée grâce au document de planification intégrale correspondant. D’importantes leçons peuvent être tirées du
post-EUPM et du post-EUFOR pour une future mission réellement conjointe.
Les affaires de la CMCO sont prises en considération, en particulier, lorsque
la réalité pousse de plus en plus l’UE vers des activités de gestion des crises
complexes et bénéficie d’un large éventail d’instruments civils et militaires mis
à sa disposition. Cette énergie sera probablement soutenue, grâce au développement de nouvelles opérations parallèles de l’UE (aussi bien civiles que
militaires) en Afrique et aux Balkans, entre autres. Le pas suivant devrait être
la planification d’une opération de l’UE réellement conjointe, en franchissant
la distance institutionnelle des différents outils civils et militaires disponibles
pour la prévention des conflits, la gestion des crises et la stabilisation postérieure au conflit. La valeur ajoutée de l’utilisation combinée de ces outils à
disposition d’une présence unifiée de l’UE dans un territoire donné peut être
facilement perçue. La mission de l’UE en Bosnie pourrait être un candidat
évident pour cette nouvelle approche.
131­
Radek Khol
•
Le processus de
perfectionnement
des compétences de
l’UE implique de relier
encore davantage les
processus de l’Objectif
général civil 2008/2010
et l’Objectif global
2010
Le second aspect des perfectionnements de la CMCO est relié aux nouveaux
développements institutionnels représentés par exemple, par la cellule civilemilitaire qui pourrait devenir un interlocuteur naturel en matière de CMCO
au sein des structures de l’UE. En outre, le processus de perfectionnement
des compétences de l’UE implique de relier encore davantage les processus
de l’Objectif général civil 2008/2010 et l’Objectif global 2010.
Un troisième point de progrès au sein de la CMCO est la prolifération de
contacts et l’échange d’information entre l’UE (à Bruxelles comme sur le
terrain) et de différents acteurs externes moins complexes –tels que les ONG,
les États tiers, les médias, etc. Cette tâche pourrait contribuer de manière
significative au perfectionnement des missions de la PESD sur le terrain, mais
l’établissement des modèles de base pour ces interactions, sans aucune autorité, peut cependant s’avérer difficile. Tous prêchent des idées de coordination, mais personne ne veut être soumis á la coordination. En outre, certains
acteurs, comme les ONG, se montrent très réticents face à la coordination
des efforts entrepris lorsque ces efforts sont réalisés par des institutions internationales telles que l’UE. Par conséquent, l’échange d’information pourrait
être le premier pas de ce long changement.
Finalement, la partie la plus cruciale de la construction d’une coordination
civile-militaire bien structurée dans un cadre institutionnel aussi complexe
que l’UE, réside peut être dans la poursuite du même processus. La culture
de la CMCO devra être nourrie aussi bien intra-piliers qu’inter piliers, par
des formations continuées adressées aux fonctionnaires de Bruxelles, dans
les capitales européennes et au personnel des missions établi sur le terrain.
Les institutions européennes devront, en particulier, promouvoir cette culture
de CMCO, même sans compter sur des forces extérieures puissantes, qui
pourraient être établies par le Haut représentant de l’Union pour les Affaires
étrangères et la politique de sécurité et un Service d’action extérieure unifié,
tel que prévoit le Traité de Lisbonne de l’UE (Traité pour la Réforme de l’UE).
L’impact du nouveau Traité de Réforme de l’UE pourrait être, cependant,
beaucoup plus limité étant donné l’écart entre la dimension militaire de la
PESD, recueilli actuellement sur les protocoles convenus lors des dernières
négociations.
132­
COORDINATION CIVILE ET MILITAIRE DANS LA GESTION DES CRISES DE L’UE
•
Notes
1. A secure Europe in a better world. European Security Strategy, adopté par les Chefs d´État et de
Gouvernement le 12 décembre 2003, p.12 et pp.18-19.
2. Civilian Headline Goal 2008, Council Doc.15863/04, 7 décembre 2004, para. 6
3. CIMIC Concept for EU-led Crisis Management Operations, Council Doc.7106/02, 18 mars 2002
4. Civil-Military Coordination (CMCO), Council Doc. 14457/03, 7 novembre 2003, para.1.
5. Civil-Military Coordination (CMCO), Council Doc. 14457/03, 7 novembre 2003.
6. Council Doc. 14457/03, para. 2-5.
7. Pour une information élargie cf Renata Dwan, Civilian Tasks and Capabilities in EU Operations,
présenté au Berlin Expert Seminar on Tasks and Capabilities, 18-19 mai 2004, esp.pp.15-18.
8. Créé pendant l’été 2007.
9. Renata Dwan, op.cit., pp.9-12.
10. Suggestions for procedures for coherent, comprehensive EU crisis management, Council.
Doc.11127/03, 3 juillet 2003.
11. Cf. Draft EU Concept for Comprehensive Planning, Council doc. 13983/05, 3 novembre 2005.
12. Cf. Civil-Military Coordination: Framework paper of possible solutions for the management of EU
Crisis Management Operations, Council doc.8926/06, 2 May 2006.
13. Gerrard Quille et al., An Action Plan for European Defence. Implementing the Security Strategy,
étude conjointe avec ISIS Europe et CeMiSS, mai 2005, chapitre 3.3.
14. Rapport de la Présidence italienne European defence: NATO/EU Consultation, Planning and
Operations, décembre 2003, http://ue.eu.int/uedocs/cmsUpload/ 78414%20-%20EU-NATO%20
Consultation,%20Planning%20and%20Operations.pdf.
15. European defence: NATO/EU Consultation, Planning and Operations, décember 2004, Council
Doc. 13990/1/04 REV 1, 7 décembre 2004.
16. European Defence: NATO/EU Consultation, Planning and Operations, décembre 2004, Council
Doc. 13990/04, 7 décembre 2004.
17. Implementation of the EU Training Concept in ESDP – Analysis of Training requirements in the field
of ESDP, Council. Doc.7774/1/05 REV 1, 12 avril 2005.
18. Narrative Report on the ESDP Pilot Course on Civil-Military Coordination, Folke Bernadotte Academy, Sandöverken, 19-27 septembre 2004.
19. CME 02- First EU crisis management exercise, EU Press Release 9005/02, 17 mai 2002.
20. Catriona Gourlay,‘Putting ESDP to Test‘, European Security Review, No.13 (juillet 2002), pp.1-2.
21. Cf .Civilian Headline Goal 2008, Council Doc.15863/04, 7 décembre 2004, para.6.
22. New Civilian Headline Goal 2010, Council Doc.14823/07, 9 novembre 2007, para.11.
133­
Radek Khol
•
L’EXPÉRIENCE AFGHANE EN COOPÉRATION CIVILE-MILITAIRE :
UN EXEMPLE POUR LA MÉDITERRANÉE?
Francisco José Gan Pampols
Colonel de l’Armée de Terre, Forces Armées Espagnoles
Présentation
Depuis les premières interventions nationales dans des opérations audelà de nos frontières, beaucoup de choses ont évolué, tant au niveau
des procédés que des moyens utilisés. Non obstant, le changement
le plus significatif est à situer dans le champ des mentalités, lorsque
nous nous demandons pourquoi sont réalisées ces opérations d’appui
à la paix et d’aide humanitaire, comment se développent-elles, quels
interlocuteurs existent ou comment s’évalue le succès ou l’échec de ces
opérations. Nous avons vécu des situations de conflit dans lesquelles
l’ensemble de l’opération d’appui à la paix s’est focalisé sur les belligérants, sur leur facette la plus proche de la confrontation belliqueuse. Nos
efforts se sont concentrés en les séparer, les contenir, les désarmer et les
redéployer.
Pour réussir nous
devons agir de
manière simultanée et
systématique sur une
diversité d’objectifs qui
échappent à l’analyse
purement militaire du
problème
L’expérience nous a enseigné que pour réussir, depuis le début-même
des opérations nous devons agir de manière simultanée et systématique sur une diversité d’objectifs qui échappent à l’analyse purement
militaire du problème. Ainsi, nous devons localiser et attirer les leaders
informels, les réseaux de formation de l’opinion publique en dehors
des canaux officiels, les experts autochtones en développement. En fin,
toute personne qui puisse transmettre à une société en crise la valeur
de la sécurité, condition sine qua non associée au développement, à la
reconstruction et à la qualité de la vie.
Les guerres ont souvent pour conséquence que les sociétés perdent
l’espérance en un futur meilleur, que les “faiseurs” de paix doivent
reconstruire et, en premier lieu redonner l’espérance en un futur meilleur
bien qu’au prix d’un énorme sacrifice présent, la sécurité est une valeur
dominante uniquement lorsqu’on l’associe à un précurseur d’autres éléments de grande valeur, réelle ou symbolique, pour les citoyens.
À partir de l’expérience en diverses réalités géographiques nous pouvons
améliorer notre action en d’autres scénarios géographiques. Ainsi donc,
la mise en marche d’une coopération civile-militaire en missions humanitaires en Méditerranée peut apprendre, et beaucoup, de ce qui fut déjà
réalisé dans des pays comme l’Afghanistan.
135­
•
Origine de l’expérience à transmettre
L’Afghanistan aujourd’hui
La communauté
internationale opta
pour promouvoir
un grand accord sur
l’Afghanistan qui
rendrait viable, et
soutenable, son future
démocratique
Afin de ne pas entrer dans une analyse historique prolongée dans le temps,
nous nous centrerons sur les trente dernières années, époque de violence
généralisée qui va depuis l’invasion soviétique de 1979, la guerre civile ultérieure, la guerre des talibans et leur assaut au pouvoir et la situation qui se
produisit après la défaite du régime taliban aux mains de la Coalition à la
fin de 2001. Dans le cadre de cet article, nous allons nous concentrer sur
la situation réelle d’un État qui a mené au long d’une période de temps
immergé dans une spirale de démembrement, de destruction, et dans de
nombreux cas, qui fut oublié de ceux qui auraient pu et ne voulurent pas
intervenir dans les moments critiques.
Cet Afghanistan que j’ai connu est tourmenté par un sous-développement
chronique, une structure formelle du pouvoir quasi inexistante en dehors de
la capitale, Kaboul, une population ethniquement très diverse, des réseaux
de pouvoir et d’influence d’origine tribale – en ce compris de clan - qui
échappent au contrôle politique, une industrie ou agriculture nationale quasi-inexistante. C’est, au risque de paraître pessimiste, un État qui est au point
de se convertir en un État failli, et s’il ne l’est pas encore c’est grâce au grand
appui que la communauté internationale a apporté au pouvoir légalement
constitué qui gouverne actuellement le pays. La corruption, la méconnaissance, l’inefficacité, le manque de préparation et la violence sont quelques
uns des maux qui empêchent le plus directement le développement d’une
Administration digne de ce nom.
Malgré que dans certains Départements, si non dans tous, il soit possible de
rencontrer une certaine capacité pour planifier et programmer des actions, le
problème survient lorsque ces actions doivent être menées dans la pratique
sur un espace qui n’est pas contrôlé. La décentralisation nécessaire ne se
produit pas parce qu’il n’existe pas de certitude que les projets puissent être
développés au-delà des zones où le contrôle des forces internationales est
pleinement effectif. Cela amène à une paralysie de facto qui ne s’atténue
que lorsque des mouvements de force sur le terrain se produisent, et que
ceux-ci sont de plus grande consistance et permanence que de simples exhibitions de force. Entre-temps, une armée et une police ont pu être créées à
marches forcées, et elles peuvent assumer de manière autonome les tâches
de sécurité et d’ordre intérieur. En résumé, trop de travail qui n’a pu être
réalisé en si peu de temps, avec de rares forces et sans un programme à long
terme de création et de validation des structures étatiques.
La communauté internationale et ses accords
Ayant terminé victorieusement la campagne militaire de la Coalition contre
Al Qaeda et le régime taliban qui lui apportait son soutien, la communauté
internationale opta pour promouvoir un grand accord sur l’Afghanistan qui
rendrait viable, et soutenable, son future démocratique. Dans un premier
temps la Conférence de Bonn eut lieu et ultérieurement la Conférence de
Londres, où fut établie l’architecture de l’aide internationale, ses objectifs et
ses systèmes de contrôle. Parallèlement, à la fin 2001 et au début de 2002,
136­
L’EXPÉRIENCE AFGHANE EN COOPÉRATION CIVILE-MILITAIRE: UN EXEMPLE POUR LA MÉDITERRANÉE?
•
la Force Internationale pour la Sécurité et l’Assistance en Afghanistan (ISAF
en ses sigles anglais) fut créée et s’établit initialement à Kaboul pour, à la
fin 2005, et protégée par le Mandat du Conseil de Sécurité des Nations
Unies (CSNU) s’étendre sous le parapluie de l’OTAN à la totalité du territoire
afghan. La Force Multinationale que constitue l'ISAF se déploie en quatre
noyaux de niveau régional (Mazar et Shariff, Herat, Kandahar et Bagram)
en plus de la capitale, Kaboul, et totalise quelques 35.000 effectifs auxquels
s’ajoutent ceux de la Coalition en un nombre de quelques 15.000.
Une nouvelle conception de l’appui et de la paix et l’aide
humanitaire
En regardant en direction d'un possible futur afghan, nous percevons que les
Équipes de Reconstruction Provinciale (PRT, en ses sigles anglais) continueront de constituer le lien principal pour l’expansion de l'ISAF. Le concept de
PRT, qui est encore relativement récent, a reçu certaines critiques durant les
premières phases de déploiement militaire international en Afghanistan, mais
au fur et à mesure de son évolution, il fut reconnu comme un instrument
hautement bénéfique pour aider le gouvernement afghan à augmenter sa
présence effective et son influence dans les différentes provinces. Il s'agit
d’équipes conjointes de civiles et de militaires de différentes tailles et compositions, sous la direction souveraine des pays qui apportent leurs membres,
qui se déploient dans la majorité des capitales provinciales. Les PRT apportent
une alternative réelle et crédible à une présence internationale de maintient
–imposition- de la paix avec pleine capacité, qui ne semble pas être possible
d’appliquer en Afghanistan et qui n’est pas non plus prévue dans le mandat
de l’ISAF. Les PRT actuels sont sous la direction de l’Allemagne, de l’Espagne, des États-Unis, des Pays-Bas, de l’Italie, de la Lituanie, de la Norvège,
du Royaume Uni et de la Turquie, respectivement. Les autres pays Alliés et
Associés réalisent d’importants apports de personnel civil et militaire.
Les PRT ont démontré
être aussi une forme
nouvelle de réunir
les acteurs civils et
militaires dans la tâche
complexe de fournir
de l’aide extérieure
pour la reconstruction
nationale
Les PRT que dirige l’ISAF ont contribués à d’innombrables projets de reconstruction, ont joué les intermédiaires entre des bandes s’affrontant, ont
collaboré dans le processus de désarmement des différentes milices afghanes,
ont appuyé le développement d’une force nationale de police et de l’armée
afghane et ont aidé en général à l’amélioration de l’environnement de sécurité à travers leurs contacts avec les autorités locales et la population de la zone.
Les PRT ont démontré être aussi une forme nouvelle de réunir les acteurs
civils et militaires dans la tâche complexe de fournir de l’aide extérieure pour
la reconstruction nationale. Leurs compositions, qui se basent sur la logique
de la stabilisation et la reconstruction, représentent deux faces de la même
pièce. Comme le souligne le Pacte pour l'Afghanistan, "la sécurité continue
d'être une condition requise préalable essentielle pour pouvoir obtenir la
stabilité et le développement de l'Afghanistan, mais on ne peut pas obtenir la sécurité uniquement avec des moyens militaires". Malgré le fait que
les PRT soient toujours sous la responsabilité de différentes nations leaders
et qu'elles s'adaptent aux particularités de chaque région, l'idée se répand
qu'une meilleure coordination serait désirable - et pas seulement dans le
domaine militaire - pour partager les efforts communs et harmoniser les activités respectives avec les priorités régionales et nationales du gouvernement
afghan. De même, il serait conseillé d'élaborer des directrices communes plus
détaillées pour tous les PRT.
137­
Francisco José Gan Pampols
•
En tous cas, le concept PRT s'est révélé être un outil efficace, opportun,
faisable et durable. Avec un profil de force soigneusement mesuré, il est
capable de pénétrer dans le territoire où l'on ne peut garantir l'emploi
d'autres organisations, s'imbriquer dans la société civile et l'Administration locale, faire écho des problèmes réels de la population à laquelle ils
viennent en aide et guider l'action du gouvernement à travers le monitorage des Plans de Développement Provinciaux (PDP) et les différents
Plans sectoriels réalisés par les Départements au niveau provincial.
La réalité du modèle espagnol du PRT en Afghanistan
À l'heure actuelle, il est indéniable que ce qui maintient la capacité réelle
de transformer la société et la population sur lesquelles se fonde le PRT
espagnol de Qala e Naw réside en l'initiative nationale, particulièrement
l'effort de notre Gouvernement, et la volonté politique de maintenir
les forces militaires sur le terrain, tandis que les niveaux conseillés de
gouvernement effectif (possibilité de gouvernement) et de suffisance
économique (développement et reconstruction) n'ont pas été atteints.
Mais il n'est pas moins sûr que la capacité de transformation se voit
souvent mise en difficulté à différents degrés par la réalité de la société
à laquelle elle s'applique, particulièrement, par une administration locale
incapable de comprendre les objectifs à court, moyen et long terme de
l'effort qui se réalise, techniquement incompétente, et hautement corrompue. Ceci signifie que le spectre sur lequel il faut agir si on prétend
atteindre le but désiré d'abandonner un pays viable une fois garantie sa
survie est très large: il comprend des tâches formatives, de contrôle et
de vérification, de supervision des dépenses et ses aires d'application,
entre autres.
Il s'agit, en somme, de créer un pays partant de l'interprétation de la
volonté de ses gouvernants légitimement élus, rassemblant au plus haut
point ses nationaux pour qu'ils adoptent les standards de vie en commun qui correspondent à un certain modèle de démocratie "atténuée"
compatible avec son modus vivendi, et procurant légitimité aux premiers
devant les seconds. C’est une tâche énorme qui en certaines occasions
dépasse les capacités limitées sur le terrain de la communauté internationale.
La réalité vécue est celle de l'effort national en solitaire parce qu'il n'y
a toujours pas de présence effective des organisations internationales
et des ONGs dans la province de Badghis. L'acquisition de compromis
bilatéraux pallie en partie ce qui est une absence retentissante: un plan
intégral pour l'ensemble de l'Afghanistan avec des standards à atteindre
dans des plans concrets. Bien qu'il soit louable de vouloir créer un oasis
de progrès, il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un grain de sable dans
un désert de nécessités pressantes. D'un autre côté, il faut continuer
et augmenter la lutte contre l'ignorance, la corruption et le laisseraller, il faut former des techniciens à tous les niveaux et contrôler les
Départements à Kaboul et dans les provinces, et tout ceci en évitant la
pose coloniale, l'imposition ou l'orgueil. Il est nécessaire de consulter, de
créer des synergies et de conjuguer les volontés, d'impulser depuis derrière et depuis en bas, de manière subtile, de persuader.
138­
L’EXPÉRIENCE AFGHANE EN COOPÉRATION CIVILE-MILITAIRE: UN EXEMPLE POUR LA MÉDITERRANÉE?
•
Vers une évolution possible
Le présent de l'Afghanistan est traversé par de terribles problèmes dont les
solutions ne se trouvent pas toujours à l'intérieur de ses limites géographiques. La vaste et complexe frontière avec le Pakistan, la diversité ethnique et
le fanatisme taliban, en plus de l'extrême pauvreté de l'ensemble, sont les
éléments les plus significatifs d'une équation à résolution complexe. D'un
autre côté, la société afghane -tribale, fragmentée et sans une réelle opinion
publique- commence à être contraire à la présence des forces internationales,
tant de la Coalition que de l'ISAF. Il convient de signaler que c'est à certaines
occasions le propre gouvernement afghan, avec son incapacité à se connecter à sa population, le principal responsable de la perception erronée de la
société concernant la mission des forces internationales. Tout ceci sans pour
autant cesser d'assumer la responsabilité internationale pour les occasions
qui, bien qu'étant justifiées du point de vue du légitime usage de la force,
sont énormément couteuses pour l'image de la justice et de l'impartialité qui
préside l'action des forces de l'ISAF et de la Coalition.
C'est à certaines
occasions le propre
gouvernement
afghan le principal
responsable de la
perception erronée de
la société concernant
la mission des forces
internationales
Pour tracer un schéma évolutif désirable il est nécessaire de considérer les
éléments essentiels du problème: la population, la sécurité, la situation économique et la présence internationale.
En premier lieu, il y a une manifeste nécessité de gagner la volonté de la
population à tout prix. Il n'existe pas de futur adéquat pour l'Afghanistan
sans l'avis favorable de l'ensemble de son système social. De la même manière, il ne sera possible d'obtenir l'établissement et la pacification du pays sans
éradiquer la menace talibane, extrême qui ne peut être atteint uniquement
au moyen de l'usage de la force. Au-delà de ce qui peut ne pas plaire à une
conception démocratique de la vie en commun, il faut être réalistes et obtenir grâce à des approximations successives que ce soit la propres société qui
induise le changement des mentalités et dans les actes de ceux qui les supportent. Il faut intégrer le monde taliban dans la structure de l'État afghan
pour que les expériences coloniales passées ne se répètent pas, avec les
résultats que nous connaissons. Ceci n'empêche pas que soit toujours exercé
de la part du gouvernement afghan et de la communauté internationale
qu'il appuie (soutienne) l'usage légitime de la force nécessaire pour contenir,
isoler et éliminer les menaces qui affectent de forme essentielle la survie du
fragile modèle qui est en train de s'implémenter.
En deuxième lieu, il est nécessaire de continuer à agir à travers des fonds
solidaires en bénéfice du développement et de la reconstruction du pays. Le
peuple afghan doit percevoir que ses conditions générales de vie s'améliorent au fur et à mesure qu'il s'implique de manière directe et active dans la
création et le maintien du climat de sécurité indispensable pour permettre le
développement et la reconstruction.
En troisième et dernier lieu, il est nécessaire que la société afghane
commence la création normalisée d'élites capables d'assumer les responsabilités politiques et de gouvernement qu'un État requiert pour son
fonctionnement normal. Également, il doit percevoir que la présence
internationale a un horizon défini et limité de telle manière que la suffisance économique, politique et administrative aille de paire avec le repli
des forces internationales.
139­
Francisco José Gan Pampols
•
RÉFORME DU SECTEUR DE LA
SÉCURITÉ
• Mettre en risque la confiance : la réforme
du secteur de la sécurité dans la région
arabe
Arnold Luethold
•
LE LOURD SILENCE ET DES VOIX ÉMERGENTES :
VIGILANCE DÉMOCRATIQUE SUR LE SECTEUR DE LA SÉCURITÉ ET LE RÔLE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE EN TURQUIE
Volkan Aytar
• L’UE ET SA POLITIQUE ORIENTÉE VERS LA RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ : UN NOUVEL EXEMPLE DE DIVISION CONCEPTUELLE-CONTEXTUELLE ?
Gemma Collantes Celador
141­
•
METTRE EN RISQUE LA CONFIANCE : LA RÉFORME DU
SECTEUR DE LA SÉCURITÉ DANS LA RÉGION ARABE
Arnold Luethold
Responsable de la division pour l’Afrique et le Moyen-Orient,
Centre pour le Contrôle Démocratique des Forces Armées (DCAF), Genève
P
lutôt qu’un effort technique, la réforme du secteur de la sécurité
représente un processus politique et social complexe. La seule
réorganisation et restructuration des forces de sécurité ne provoquera
pas l’apparition d’acteurs compétents en matière de sécurité et de justice
dans la région arabe. Le résultat ne sera pas obtenu, non plus, uniquement
à travers la formation ou l’équipement. Le surgissement d’organisations
de sécurité et de justice légitimes et effectives dépend d’une large série
d’efforts interconnectés et qui se renforcent mutuellement. Les organisations
de sécurité et de justice ne peuvent pas jouer un rôle important si elles ne
comptent pas avec les capacités techniques ou l’équipement approprié,
mais leur pouvoir réel émane de la confiance et du soutien populaire.
Et ce, de son côté, exige un processus politique approprié contribuant à
développer et a renforcer la légitimité de ces organisations.
Le surgissement
d’organisations de
sécurité et de justice
légitimes et effectives
dépend d’une
large série d’efforts
interconnectés et
qui se renforcent
mutuellement
Ainsi, dans le langage de l’OCDE, « la réforme du secteur de la sécurité » implique la mise en place d’une gouvernance effective, un système
de supervision et de transparence, pour que les forces de sécurité et
les autorités politiques, qui contrôlent et supervisent celles-ci, puissent
opérer conformément aux règles démocratiques et dans le cadre d’un
État de droit1. C’est ainsi que le secteur de la sécurité bénéficiera de
la légitimité aux yeux des citoyens. Ces mesures ont des conséquences
pratiques pour l’aide internationale, et l’une des plus importantes serait
peut-être le fait que la réforme du secteur de la sécurité ne peut pas être
dissociée de la démocratisation.
Cependant, le gros de l’aide technique destinée à ce que l’on appelle la
réforme du secteur de la sécurité dans la région arabe ne représente pas
la réforme de la sécurité, telle que définie par les ministres de développement de l’OCDE. Celle-ci décrit plutôt un groupe d’activités à partir
desquelles les forces sélectionnées reçoivent équipement et formation.
Trop souvent, cette aide est conditionnée d’avantage par des intérêts
externes de sécurité, généralement les intérêts sécuritaires des donateurs, que par les intérêts des sociétés des pays qui perçoivent cette
aide. La sécurité externe typique comprend l’obtention de soutien et
la participation dans la lutte contre le terrorisme, dirigée par Occident,
la protection de l’extraction et du transport des ressources naturelles,
la promotion et la protection des intérêts commerciaux, la lutte contre
l’immigration illégale et le trafic de drogues ou le maintien de certains
143­
•
groupes ou personnes au pouvoir et la contention de l’influence d’acteurs non désirés. Au niveau militaire, l’interopérabilité de forces et de
systèmes se présente également comme un important catalyseur de
réformes techniques.
Travailler pour une
réforme durable, qui
bénéficierait toutes les
parties, devrait passer
par mettre d’avantage
l’accent sur les
nécessité de sécurité
des citoyens
Dans la région arabe, la plupart des activités cataloguées comme « aide
à la réforme du secteur de la sécurité » son axées autour de la défense
et la sécurité des forces de sécurité (forces armées, police, services
d’intelligence, etc.) en tant que bénéficiaires, et rarement autour du
secteur de sécurité dans son ensemble, lequel comprendrait également
les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, ainsi que d’autres acteurs
de contrôle moins formels (par exemple, les organisations de la société
civile et les médias). L’aide internationale se développe en général à
travers les relations entre forces de sécurité, y compris l’armée, la police
et les officiers des services d’intelligence. Ceci entraîne un intérêt limité
dans le cadre institutionnel et légal plus large, ainsi qu’une tendance à
« sécuriser » les aspects civils. Si bien cette approche peut conduire à la
transformation de l’appareil sécuritaire, en général elle ne parvient pas
à avoir un impact sur les attentes normatives de la réforme du secteur
de la sécurité, lequel comprendrait normalement une plus grande transparence et responsabilité des organisations de sécurité et justice et une
légitimité démocratique accrue.
Les possibilités de maintenir ces réformes dans des sociétés qui perçoivent un maigre bénéfice direct de celles-ci sont réduites et, dans certains
cas, comme dans les territoires palestiniens, pratiquement inexistantes.
Travailler pour une réforme durable, qui bénéficierait toutes les parties,
devrait passer par mettre d’avantage l’accent sur les nécessité de sécurité des citoyens, y compris leur désir pour que des forces de sécurité
professionnelles soient contrôlées efficacement pour l’Exécutif et rendent des comptes au Parlement et pour que le pouvoir judiciaire et les
organisations de la société civile puissent exercer également un certain
contrôle informel sur ces forces. Beaucoup de citoyens de la région
arabe considèrent que les principaux objectifs de la réforme doivent être
la réduction de la corruption et le népotisme et un plus grand respect
des Droits de l’Homme, notamment au sein de l’appareil sécuritaire.
Comprendre l’appropriation de la réforme du secteur de la sécurité
est un point important. Cet aspect est en relation avec la question de
l’inclusion politique et sociale dans la formulation de politiques et le
processus de prise de décisions dans les sociétés : Quelle est la vision de
la réforme ? Cette vision adresse-t-elle les nécessités de sécurité de tous
les citoyens ou uniquement de certains ? Les citoyens soutiennent-ils la
vision, les objectifs et les stratégies et ont-ils la possibilité d’influencer
les décisions ? Qui est-ce qui définit quels sont les problèmes que la
réforme doit adresser ? La prise de décisions suit-elle la voie appropriée
ou est-ce que certains groupes ont plus de pouvoir pour influencer les
résultats ? Les acteurs externes imposent-ils leur vision de la réforme ou
participent-ils plutôt à un processus de réforme authentique reflétant le
désir des citoyens ?
Par exemple, l’initiative occidentale de former et d’équiper la Garde
présidentielle et les Forces de la Sécurité nationale dans les territoires
palestiniens pour contrecarrer le Gouvernement de Hamas a eu quatre
144­
METTRE EN RISQUE LA CONFIANCE : LA RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ DANS LA RÉGION ARABE
•
résultats importants : (1) L’établissement d’une nouvelle organisation
de sécurité hors de tout contrôle gouvernemental ou parlementaire,
ce qui s’oppose aux objectifs de la réforme du secteur de la sécurité,
notamment un secteur de la sécurité démocratiquement responsable
et légitime. (2) L’exacerbation de la tension entre Hamas et Fatah.
Beaucoup considèrent que les affrontements sanglants de 2007, qui
ont abouti à la prise de contrôle de la Bande de Gaza par Hamas, sont
la conséquence directe de cette politique. (3) Le processus institutionnel
approprié a été reléguée, notamment en ce qui concerne la distribution
de ressources, le contrôle stratégique et opérationnel et les procédures
de responsabilité qui ont conduit à la dissolution progressive des
institutions. Par conséquent, ceci a accéléré la décomposition du
contrôle central et la fragmentation du pouvoir politique. (4) Finalement,
elle a également miné la crédibilité en ce qui concerne l’engagement
des donateurs. Lors d’une enquête réalisée en 2007, le conseil et
l’assistance en matière de gouvernance du secteur de la sécurité fournis
par les États-Unis et Canada n’inspiraient pas de la confiance à 84%
des Palestiniens, dans le même domaine, 69% n’avait pas confiance en
Europe2.
Du point de vue du développement, la réforme du secteur de la sécurité,
bâtie sur une conception dure de la sécurité, sans tenir compte de
l’importance du développement politique pour aboutir à une stabilité
à long terme, fait partie du problème et non pas de la solution. Des
groupes sociaux différents peuvent ne pas être d’accord sur l’orientation
de leurs politiques, mais ces différences doivent être acceptées et
discutées comme faisant partie du processus de négociation politique,
contribuant à préparer le consensus et l’engagement nécessaire pour
aboutir à des solutions durables.
Différents pays occidentaux, par exemple, ont offert leur soutien aux
partis politiques libanais qui demandaient le désarmement de Hezbollah,
apparemment comme mesure pour renforcer l’État. De son côté,
Hezbollah a insisté sur le fait que les institutions de l’État, auxquelles
les groupes armés libanais devaient rendre les armes, n’étaient pas
suffisamment développées et n’avaient pas de légitimité. Des doutes
sur le fait que le désarmement pourrait concerner uniquement certains
des groupes armés libanais ont également surgi. Par conséquent,
Hezbollah a défendu l’idée qu’il était nécessaire de donner la priorité au
développement institutionnel plutôt qu’au désarmement. Ceci illustre
bien comment plusieurs acteurs libanais percevaient de différente façon
les menaces et la séquence nécessaire de la réforme. A moins que ces
différences ne soient reconnues et adressées de manière appropriée, la
réforme du secteur de la sécurité aura des difficultés pour avancer.
En raison de l’incertitude en termes de résultats, dans la pratique, souvent, le processus démocratique ne constitue pas une des principales
priorités. Des parlements plus autoritaires, comme l’Assemblée nationale
de Kuwait, peuvent ajourner ou refuser la ratification de traités internationaux. Ainsi, en raison de ce qui leur convient le mieux et afin de
préserver leurs propres intérêts, certains pays donateurs préfèrent voir la
réforme du secteur de la sécurité dans les pays arabes dans les mains de
l’Exécutif et exprimer leur soutien aux mécanismes de supervision et de
contrôle sans proposer une mesure concrète quelconque.
145­
Arnold Luethold
•
Dans le long terme,
aussi bien les pays
récepteurs que les
pays donateurs
bénéficieront de cette
insistance renforcée sur
le développement de la
gouvernance
Cependant, le succès de la réforme du secteur de la sécurité dépend de
son acceptation dans la société en général. Lorsque les valeurs sociales, les
intérêts et le pouvoir sont impliqués, les aspects de procédure, comme la
représentation et la participation des acteurs impliqués, sont importants et
ce serait une erreur de croire que la réforme peut être isolée de la politique.
Dans le long terme, aussi bien les pays récepteurs que les pays donateurs
bénéficieront de cette insistance renforcée sur le développement de la
gouvernance, puisqu’une plus grande responsabilité envers les nécessités des citoyens conduira a une durabilité accrue. Dans la région arabe,
cette politique d’aide doit porter une attention particulière à:
•Promouvoir l’inclusion politique et sociale dans le monde arabe, sans
exception, en encourageant la participation des acteurs impliqués de
manière générale dans la discussion sur les cadres légal et normatif,
ainsi que dans les débats politiques ;
•Soutenir et contribuer au développement du dialogue de la politique
de sécurité nationale dans le but de faciliter le consensus par rapport à
une vision de la sécurité partagée par la société ;
•Promouvoir le processus de prise de décisions de la réforme du secteur
de la sécurité à travers le processus institutionnel habituel ;
•Promouvoir et contribuer au développement d’institutions de contrôle
effectif et de supervision dans le but de rapprocher la sécurité et la
justice aux citoyens ;
•Renforcer la transparence et la responsabilité en ce qui concerne la
gouvernance et la réforme du secteur de la sécurité en contribuant
au développement d’une culture de la transparence et du respect des
Droits de l’Homme en promouvant la légitimité des acteurs nationaux ;
•Promouvoir et encourager le développement de capacités de supervision informelles permettant aux organisations de la société civile et
aux médias de participer aux débats nationaux sur la sécurité ;
Bien que certaines agences donatrices aient incorporé des politiques
sur ces sujets, leur implantation est encore peu systématique, lente,
infra-dotée et souvent inconsistante avec les politiques et les pratiques
d’autres agences gouvernementales du même pays. Afin que la réforme
du secteur de la sécurité puisse avancer dans la région arabe, les donateurs doivent reconsidérer leur disposition à prendre des risques et à
faire d’avantage confiance aux citoyens arabes.
Notes
1. Voir OECD DAC Handbook on Security System Reform, Supporting Security and Justice (OECD,
2007), p. 23f.
2. Roland Friedrich, Arnold Luethold, Luigi de Martino, Government Change and Security Sector
Governance: Palestinian Public Perceptions, Summary Report, 3 août 2007, (Genève: DCAF-IUED),
pp. 25-26. Disponible sur: http://www.dcaf.ch/mena/Palestine_Sec_ Perceptions.pdf.
146­
METTRE EN RISQUE LA CONFIANCE : LA RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ DANS LA RÉGION ARABE
•
Le lourd silence et des voix émergentes : vigilance
démocratique sur le secteur de la sécurité
et le rôle de la société civile en Turquie
Volkan Aytar
Program Officer. Programme démocratización
Turkish Economic and Social Studies Foundation (TESEV), Istanbul
E
n tant qu’héritière d’un empire mondial en désintégration, la
République de Turquie s’est constituée entre une combinaison
de nouveaux espoirs et de craintes longitudinales. Confrontée au
double impact de la progression des nationalismes ethniques et à des
dynamiques, règles et applications de la diplomatie mondiale changeantes, les élites étatiques réformistes de la dernière période ottomane ont
dû avancer entre l’équilibre des nécessités d’un nouvel ordre mondial
émergent et en voie de la consolidation et le maintien de ce qui restait
d’un empire autrefois glorieux.
Le bagage de l’Histoire : Négociation entre l’État et la
société en matière de sécurité et de droits
On peut affirmer que les mouvements constants de la population, fondamentalement de groupes musulmans éloignés des États-nations chrétiens
récemment établis, vers le noyau d’un empire en déclin ont contribué au
développement d’une nouvelle typologie de négociation entre l’État
et les citoyens de l’empire. Cette négociation est fondée sur la loyauté
envers un appareil étatique protectif et sur la soumission passive à ses
règles. De cette relation surgissait un échange de droits et libertés contre
défense et sécurité.
Instituée sur cette négociation, et exposée à l’intrusion hostile, la
nouvelle république a essayé de maintenir sa cohésion territoriale
et son homogénéité à travers une combinaison de mandat administratif/coercitif et de socialisation politique massive. Conscients de la
nécessité d’encourager la loyauté dans un pays peuplé d’immigrants
et de groupes belligérants, la nouvelle élite républicaine a poussé la
négociation précédente vers un nouveau niveau supérieur, au moyen
de l’institutionnalisation de la citoyenneté républicaine comme une
application concrète de l’échange de droits et libertés contre défense
et sécurité.
En analysant ce processus à partir d’un point de vue différent, mais lié,
Aydın révèle que « le fait que la démographie de l’Empire ottoman/
République de Turquie soit configurée par des vagues migratoires complexes, entrelacées et successives, ainsi que par ses traumas résultants,
147­
•
La Turquie est devenue
membre de l’OTAN
avec une armée
forte et socialement
populaire
constitue un des principaux facteurs qui expliquent l’asymétrie entre
l’État et le citoyen »1. Aydın souligne également que « la relation entre
le citoyen et l’État est déterminée par une perception duale de l’expectative par rapport à la ‘crainte’ et la nécessité de ‘sécurité’, tandis que
l’État est perçu et conceptualisé comme un corps représentant le rôle
d’un patriarche »2. Dans la mentalité populaire turque, la valeur des
droits de la citoyenneté n’est pas encore établie au même niveau que
les perceptions bureaucratiques prolongées. Les attitudes longitudinales sont encore au service du modèle asymétrique d’État tout-puissant
et de citoyen passif3. Ainsi, la place spécifique de la citoyenneté a été
strictement définie en fonction des nécessités et des attentes de l’État,
et les droits des citoyens ont été « garantis » du haut vers le bas.
Sécuritisation de l’État et de la société
Une relation déséquilibrée entre l’État et la société s’est superposée aux
développements géopolitiques et de politique interne qui ont exacerbé
encore plus l’érosion des droits des citoyens et a établi les conditions
propices pour une relation asymétrique entre civils et militaires, en mettant l’accent en particulier sur le discours de la sécurité de l’État. Cela a
« sécurisé » effectivement l’État et l’ensemble de la société. Aidée par
un contexte international permissif, marqué notamment par la Guerre
froide (où « l’autoritarisme » pro-occidental était préféré au « totalitarisme » soviétique et où les droits des citoyens pouvaient être facilement
abandonnés ou réduits au profit de la sécurité de l’État ou celle de ses
alliés), la Turquie est devenue membre de l’OTAN avec une armée forte
et socialement populaire. Dans ce sens là, la relation et l’impact prolongé
des Forces armées turques (Türk Silahlı Kuvvetleri – TSK) a joué un rôle
majeur.
Dans son rôle auto-assigné de « protecteur de la République », le
TSK a exercé un pouvoir considérable dans la définition des limites
strictes des nécessités de l’État en matière de sécurité et défense,
perçus comme étant « naturellement » par-dessus la politique et, par
conséquent, comme des affaires de nature « supérieure » que les gouvernements élus, et encore moins les citoyens, ne pouvaient débattre
ou modifier. En revenant sur l’idée d’Aydın de séparation entre l’État
et le gouvernement, le premier se trouve dans le domaine de l’armée
et des élites bureaucratiques qui établissent l’agenda en matière de
sécurité et défense. Le deuxième se trouve sous l’autorité d’hommes
politiques civils « peu fiables » (et majoritairement corrompus) qui doivent être dirigés pour apposer leur signature sur des décisions qui ont
déjà été prises.
Dans ce contexte, l’expérience avec la démocratie à multiples partis a subi
un revers avec les interventions militaires (les coups d’État, manifestes ou
échoués de 1960, 1971 et 1980 ainsi que le coup « postmoderne » de
1997) et avec la mobilisation constante d’un discours politique dominant
de sécurité et défense. Ce discours, adopté en grande mesure par une
partie importante des masses, et à peine mis en question au sein du
système d’états mondial, laissait peu d’espace au développement d’une
véritable conscience citoyenne.
148­
•
LE LOURD SILENCE et DES VOIX ÉMERGENTES : VIGILANCE DÉMOCRATIQUE SUR LE SECTEUR DE LA SÉCURITÉ ET
LE RÔLE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE EN TURQUIE
Terrain mouvant : Un contexte changeant en matière
de droits et de sécurité
Avec la fin de la Guerre Froide, dans la deuxième moitié des années
quatre-vingt, et à travers l’expérience turque de démocratie pluraliste la
plus récente depuis 1980, le scénario de sécurité et défense, ainsi que le
discours et l’implantation des droits des citoyens ont changé significativement. Tout d’abord, la Turquie a perdu sa position antérieure de bastion
contre le pacte communiste et s’est vue submergée dans un monde de
plus en plus chaotique et complexe et dans un contexte régional marqué
par le malaise social et les violents conflits enflammés dans les sud-est et
l’est d’Anatolie.
Deuxièmement, à nouveau sur le plan international, la séparation classique entre défense et sécurité ou entre sécurité extérieure et intérieure
s’est rapidement évanouie. Troisièmement, depuis les attaques du 11
septembre 2001, le terrorisme international a progressivement adopté un
visage plus menaçant, ce qui, avec l’invasion d’Irak par les Alliés, a donné
une dimension encore plus complexe et chaotique aux conceptions, perceptions et solutions aux problèmes sécuritaires.
Le modèle
d’organisation politique
de Turquie, centré sur
l’État, a entravé d’une
manière importante le
développement de la
société
Quatrièmement, en Turquie, le double impact des demandes sociales
croissantes pour une démocratisation plus poussée et la mise du pays
sur l’incorporation à l’Union européenne ont conduit à de nombreuses
réformes démocratiques et changements, y compris des changements
législatifs significatifs et dans les pratiques administratives, ainsi qu’à
l’ouverture du discours de la citoyenneté démocratique. La mise de l’incorporation de Turquie à l’Union européenne a bénéficié d’une volonté
politique constante, ainsi que de la progression de demandes sociales
pour une démocratisation plus poussée.
Le développement de la société civile depuis 1980
On peut dire que le modèle d’organisation politique de Turquie, centré
sur l’État, a entravé d’une manière importante le développement de la
société. Dans ce sens, le rôle des coups d’état militaires mérite une attention spéciale. Ünlü affirme que « avec le coup d’état du 27 mai 1960 et le
‘mémorandum’ de l’armée du 12 mars 1971 (muhtıra), le coup d’état du
12 septembre 1980 –qui a entraîné le dysfonctionnement des organisations, fondations et associations de la société civile et des structures de la
démocratie les plus institutionnalisées et organisées, comme les médias et
le Parlement– a continué à se faire sentir à travers son effet sur la société
civile et la Constitution de 1982 »4. Avec le coup d’état du 12 septembre,
toutes les ONG et les partis politiques ont été abrogés et leurs propriétés
confisquées. Au total, 23.667 organisations ont été clôturées.5
Avec le coup d’état, le dynamisme social et organisationnel, datant des
années soixante, s’est interrompu brusquement. On pourrait affirmer
que l’objectif principal de la junte a été d’atomiser la société à travers la
politique de « l’antipolitique », en faisant taire le débat social et les discussions ainsi que les voix diverses de la société. Finalement, le coup du
12 septembre a conduit à un des niveaux les plus élevés de sécuritisation
de l’État et de la société.
149­
Volkan Aytar
•
Malgré le prix élevé qui a été payé, le coup du 12 septembre a ouvert
la voie à un nouveau dynamisme social. Dès le début des années quatre-vingt, des organisations regroupant les victimes du coup d’état ont
été constituées. Ünlü cite parmi ces organisations l’Association d’aide
aux familles des prisonniers (Tutuklu Hükümlü Aileleri Yardımlaşma
Derneği TAYAD), constituée en 1984, l’Association d’aide à la Fédération
de familles de prisonniers (Tutuklu Aileleri Dayanışma Dernekleri
Federasyonu, TUHAD-FED) et l’Association de soutien aux familles des
prisonniers (Tutuklu Aileleriyle Yardımlaşma Derneği, TAYDER)6.
Une autre organisation importante qui a surgi, l’Association des droits de
l’homme, (Insan Hakları Derneği, IHD), a fait preuve d’une grande visibilité, continuité et impact par rapport à d’autres organisations précédentes
ayant moins d’influence, à l’exception des Mères du samedi (Cumartesi
Anneleri), un groupe informel d’activistes regroupant les victimes du coup
d’état, les familles des disparus, les prisonniers politiques et autres personnes
concernées. Les Mères du samedi sont devenues un symbole avec leurs manifestations les samedis face à l’institut de Galatasaray à Beyoğlu, Istanbul.
Tandis que leurs manifestations de proteste étaient souvent dissoutes
violemment par la force, son style créatif et coloriste, rappelant parfois
les Mères de la Plaza de Mayo à Buenos Aires, Argentine, est devenu un
modèle à suivre par des groupes similaires, y compris certains groupes
d’idéologie contraire. Des femmes musulmanes, couvertes avec leur
foulard, des féministes, des gays et des lesbiennes, des activistes d’extrême gauche et des Kurdes, même certains groupes nationalistes ont
joint le type d’activisme des Mères du samedi pour attirer l’attention sur
leurs revendications. Même un groupe dénommé les Mères du vendredi
(Cuma Anneleri), regroupant les familles nationalistes des membres des
forces de sécurité turques morts ou blessés dans la lutte contre le séparatisme du Parti des travailleurs du Kurdistan (Partiya Karkêren Kurdistan,
PKK), s’est lancé dans la rue brièvement de cette façon.
Plus tard, l’établissement de l’Association pour les droits de l’homme et la
solidarité avec les oppressés (Insan Hakları ve Mazlumlar için Dayanışma
Derneği, Mazlum-Der) a introduit une diversité salutaire au panorama de la
défense des droits de l’homme. Tandis que l’IHD se situait vers la gauche,
le Mazlum-Der était connu par sa proximité aux sensibilités « religieuses ».
Malgré leurs différences, l’IHD et le Mazlu-Der se sont mis d’accord pour
coopérer à de nombreuses affaires afin de faire face aux abus contre les
droits des citoyens. Étant donné que cette tradition de coopération était
significativement limitée en Turquie, le travail de l’IHD et de Mazlum-DER
s’est présenté comme une initiative absolument novatrice. En fait, le discours de l’État et des moyens de communication officialistes a qualifié ces
deux organisations de « dangereuses », en les accusant même d’être des
fronts légaux pour le séparatisme et les activités insidieuses.
La « parenthèse » Susurluk : Un défi pour l’obscur
appareil de « sécurité »
Un accident de circulation près du district de Susurluk, à Balıkesir, le 3
novembre 1996, a marqué le début d’un dynamisme civil inouï dans l’histoire de la République. Lors de cet accident, le chef de la police Hüseyin
150­
•
LE LOURD SILENCE et DES VOIX ÉMERGENTES : VIGILANCE DÉMOCRATIQUE SUR LE SECTEUR DE LA SÉCURITÉ ET
LE RÔLE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE EN TURQUIE
Kocadağ, un criminel de l’extrême droite condamné qui avait fuit, Abdullah
Çatlı, et sa fiancée ont été assassinés. Le député Sedat Bucal, du parti
de centre gauche Parti de la juste voie (Doğru Yol Partisi, DYP), partenaire à l’époque de la coalition au gouvernement, a été blessé. Dans cet
« étrange accident », on a découvert que Çatlı –qui avait été condamné
par l’assassinat de onze activistes du parti d’extrême gauche, Parti du travail turc (Türkiye İşçi Partisi, TİP) avant le coup d’état militaire- portait un
passeport diplomatique issu sous un nom faux et qu’il voyageait avec le
chef de la police en service actif et avec un député kurde (de la coalition
au Gouvernement) connu pour avoir participé à des activités antiterroristes
dans le sud-est de l’Anatolie contre le PKK en tant que chef (ağa) tribal progouvernemental et leader de la garde du village (köy korucusu), une force
de sécurité paramilitaire créée par l’État au début des années quatre-vingt7.
L’accident a commencé à révéler les réseaux et les connexions de ce que
l’on a désigné à partir de ce moment comme « l’État profond » (derin
devlet), des groupes et des personnes impliqués dans des activités obscures partiellement soutenues par des factions au sein de la bureaucratie
de l’État et de l’appareil de sécurité. Ces réseaux ont été impliqués, supposément, dans l’exercice d’une « guerre informelle » –illustrée par les
morts extra judiciaires et une série d’assassinats– contre des militants
de l’Armée secrète arménienne pour la libération d’Arménie (ASALA),
notamment active vers la fin des années soixante-dix et au début des
années quatre-vingt, provoquant la mort et blessant maints diplomates turcs en Europe, aux États-Unis et dans d’autres pays pour forcer la
Turquie à accepter le « génocide arménien » de 1915.
L’accident de Susurluk
a déclenché le
dynamisme civil de la
société cherchant à
dévoiler les obscurs
réseaux au sein de
l’État et de l’appareil de
sécurité
« L’État profond » et ses divers opératifs auraient été également impliqués dans la lutte « informelle » contre des supposés militants et
sympathisants du PKK, seigneurs de la drogue kurdes, leaders tribaux
antiétatiques et chefs de la mafia suspects de financer le PKK. Certaines
formations de cet « État profond » auraient travaillé également en
collaboration avec l’obscure Police de l’intelligence et l’Organisation antiterroriste (Jandarma İstihbarat ve Terörle Mücadele Teşkilatı, JİTEM), dont
l’existence a été démentie avec véhémence par le Gouvernement et l’armée8. JİTEM a été suspecte d’avoir employé des méthodes « sales » dans
la lutte contre les militants et les sympathisants du PKK.
L’accident de Susurluk a déclenché le dynamisme civil de la société cherchant
à dévoiler les obscurs réseaux au sein de l’État et de l’appareil de sécurité et
de protester contre la passivité et le silence de la coalition gouvernementale
qui tentait de minimiser la magnitude de l’accident. L’activisme post-Susurluk
a surgi comme un important défi de la société civile face au pouvoir sans
contrôle du secteur de la sécurité en Turquie et a marqué le début d’une
vague de revendications réclamant la nécessité d’une vigilance civile et
démocratique accrue et l’établissement de mécanismes de surveillance sur
le secteur de la sécurité. La campagne « une minute d’obscurité pour l’avènement de la lumière permanente » a été soutenue par un nombre élevé de
citoyens qui ont intégré des protestations de différent signe.
Cependant, le dynamisme post-Susurluk s’est bientôt centré uniquement contre le Gouvernement Refahyol9, suspect d’avoir mené une
campagne « insidieuse » pour miner les racines séculaires du régime. En
fait, Refahyol s’est vu forcé à abandonner le pouvoir suite à ce que l’on
151­
Volkan Aytar
•
Ces changements
formels et législatifs,
ainsi que le processus
d’adhésion à l’UE,
ont été correspondus
par la demande
sociale généralisée
pour avancer vers la
démocratisation
pourrait désigner comme le coup d’état militaire « postmoderne » du 28
février 1997. En détournant l’attention des obscurs réseaux de l’État et
de l’appareil de sécurité, la bureaucratie civile et militaire a réussi à étouffer les voix critiques et a obtenu le soutien populaire pour protéger le
régime d’un gouvernement très critiqué, quoique, cependant, élu. Tandis
que les ONG proches à l’Islam ont été l’objet d’une sécuritisation poussée, les organisations séculières et de gauche ont été divisées ou mises
en opposition des organisations proches à l’Islam.
L’avènement d’une nouvelle voie ? Les contributions
de la société civile depuis l’an 2000
Cependant, l’évènement Susurluk avait injecté une dose salutaire de
« méfiance » parmi les citoyens, de telle façon que l’État et les forces
de sécurité ont perdu leur image immaculée d’autrefois et, par conséquent, leur statut hégémonique. Tandis que certains ont conduit cette
méfiance au point de produire et de diffuser plusieurs « théories de la
conspiration » –lesquelles, en général, enquêtaient, diabolisaient et criminalisaient certains individus et groupes, au lieu de soutenir une politique
consistante de transparence et de contrôle démocratique. Certaines personnes ont cru que ces obscurs et scabreux personnages ont réellement
existé au sein de l’État et des forces de sécurité. Tandis que le dynamisme
post-Susurluk était étouffé et redirigé vers le soutien au régime contre
« l’infiltration islamiste », son influence a encore été importante dans la
définition des évènements depuis 2000, notamment dans le contexte de
réformes légales, administratives et sociales très importantes, unies au
processus d’intégration de Turquie dans l’Union européenne.
Sur le plan informel, suite à la réforme constitutionnelle d’octobre 2001,
la Grande assemblée nationale de Turquie (Türkiye Büyük Millet Meclisi –
TBMM) a adopté huit « paquets d’harmonisation communautaire » entre
février 2002 et mai 2004. Les huit paquets comprenaient des réformes
importantes de la législation renforçant les droits des citoyens par rapport
aux structures étatiques antérieures centrées sur la sécurité. Malgré de graves déficiences lors de son implantation, notamment en raison de l’impact
longitudinal des modes institutionnels, bureaucratiques et idéologiques
demeurant dans une pensée autoritaire et centrée sur l’État, les huit paquets
impliquaient un changement profond dans le système légal turc, dans les
dynamiques politiques et sociales, dans les promesses réelles, dans le limitations potentielles et la durabilité substantielle et temporaire de ce qui sera
à l’épreuve au cours des prochaines décennies. Cependant, la signification
réelle des paquets de réformes doit également être évaluée en relation avec
le nouveau dynamisme de la nouvelle société civile à partir de 2000.
Le « discours des droits » en hausse : une nouvelle dispute
de la société civile et ses divergences
Si nous analysons les huit paquets, nous constatons une importante et
significative transformation vers la démocratisation, une amélioration
dans le domaine des droits des citoyens sur les structures administratives
de l’État très sécurisées et une plus grande harmonie dans les relations
civile-militaires (RCM) turques, alignées avec les standards démocratiques
152­
•
LE LOURD SILENCE et DES VOIX ÉMERGENTES : VIGILANCE DÉMOCRATIQUE SUR LE SECTEUR DE LA SÉCURITÉ ET
LE RÔLE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE EN TURQUIE
universels. En général, ces paquets et d’autres mesures législatives
assimilées prises pour leur application impliquent un tournant vers un
plus grand équilibre dans la protection des droits de l’homme et la
provision de sécurité.
Nous pouvons également affirmer que ces changements formels et
législatifs, ainsi que le processus d’adhésion à l’UE, ont été correspondus par
la demande sociale généralisée pour avancer vers la démocratisation, avec
un passé important en Turquie. Les réformes formelles dans la législation ont
également ouvert la voie à une transformation importante dans le « discours
des droits », à travers lequel les citoyens mettaient en question, de plus
en plus, les conceptions, les réglementations et les pratiques centrées sur
l’État et commençaient à réclamer leurs droits inaliénables. Ce discours des
droits de l’homme s’est renforcé a tel point que, même les forces anti-UE
et anti-démocratisation ont commencé à utiliser les méthodes de la société
civile –accompagnées de méthodes intimidatrices comprenant des attaques
physiques et verbaux, et faisant appel au service de la « vieille garde »,
entre autres–, afin de promouvoir leur agenda, en lançant des campagnes
de demandes et en utilisant des techniques de relations publiques, entre
autres. Malgré le fait que leur point de vue et la plupart de leurs méthodes
sont clairement antidémocratiques et autoritaires, ces forces semblent,
cependant, confier dans les opportunités d’une nouvelle atmosphère de
pluralisme et de permissivité en essayant de lutter pour l’hégémonie du pays
dans un sens, peut-être, gramscien.
Les ONG ont fait
de grands efforts
programmatiques
pour encourager la
discussion de l’agenda
de vigilance civile et
démocratique sur le
secteur de la sécurité
Dans ce nouveau contexte, les ONG ont fait de grands efforts
programmatiques pour encourager la discussion de l’agenda de vigilance
civile et démocratique sur le secteur de la sécurité. Tandis qu’il semblait
que certaines ONG pro-étatiques, comme le Centre d’études stratégiques
eurasiatiques (Avrasya Stratejik Araştırmalar Merkezi, ASAM) réalisaient
des activités propres d’un think tank afin d’aider le régime à « gérer » un
discours de plus en plus énergique de « civilianisation » (sivilleşme) et les
demandes de l’UE pour une mise en conformité plus poussée des RCM
truques avec les standards européens, avec le moindre « préjudice »
possible, certaines ONG libérales, comme le TESEV, ont adopté une
position plus civique et critique afin non seulement de transformer les
RCM mais aussi de contribuer positivement à l’agenda de contrôle civil et
démocratique du secteur de la sécurité.
À la fin de 2004, l’ASAM s’est associé avec l’Istanbul Policy Center
(İstanbul Politikalar Merkezi, İPM) et le Centre for European Security Studies
(CESS) à Gröningen, Hollande, pour réaliser un projet sur la Gouvernance
et l’armée. L’ASAM s’est retiré du projet en avril 2005, sous prétexte que
le rapport final critiquait injustement l’État turc et que ses propositions
n’étaient pas alignées avec les intérêts nationaux de Turquie10. Malgré
le fait que les trois organisations ont continué à coopérer, il semble que
leurs divergences ont éclipsé l’agenda de vigilance civile et démocratique
du secteur de la sécurité.
L’objectif principal du projet « Gouvernance et armée » du CESS et de
l’İPM était de démontrer comment le processus d’adhésion de Turquie
à l’UE, la mise en conformité des RCM avec les standards de l’UE
seraient progressivement inéluctables et que les Forces armées turques
devraient arriver à la « conviction » que leurs intérêts sont mieux servis
153­
Volkan Aytar
•
en s’intégrant au processus, plutôt qu’en s’isolant et en présentant
résistance face à celui-ci. Dans ce sens, l’inclusion De l’ASM, tout
comme son repli du projet, est symbolique compte tenu que ce think
tank est proche à l’Establishment du secteur sécuritaire en général et du
TSK en particulier.
En comparaison avec le projet de CESS-İPM-[ASAM], mettant
l’accent exclusivement sur les RCM, le projet du TESEV « Horizons
démocratiques dans le secteur de la sécurité », en partenariat avec
le Centre for the Democratic Control of Armed Forces (DCAF) est un
effort multidisciplinaire ayant comme point de départ le concept de
Réforme du secteur de la sécurité (SSR) dans son ensemble et l’agenda
de vigilance civile et démocratique du secteur de la sécurité. Le TESEV
et le DCAF ne font pas seulement une critique de la problématique des
RCM, mais focalisent surtout sur l’assistance aux réformes de toutes
les institutions du secteur de la sécurité, depuis le TSK jusqu’aux forces
de la police, la gendarmerie et les gardes du village, depuis la sécurité
privée aux organisations d’intelligence. Il se différencie également du
projet du CESS-İPM-[ASAM], car celui du TESEV et du DCAF élargit
son public objectif et inclut les membres du Parlement, les moyens de
communication et la société civile en général11. Dans ce sens, l’objectif
de leur projet est de contribuer à mettre en marche et soutenir les
efforts civils de construction de capacités.
Conclusions
En Turquie il a toujours été difficile de débattre en matière de sécurité
et de faire avancer l’agenda de vigilance civile et démocratique du
secteur de la sécurité. Compte tenu des discussions précédentes
sur la « sainteté » de l’État et la « négociation » entre l’État et la
société en relation avec l’équilibre entre sécurité et droits, le fait même
d’adresser ce thème était considéré come une « trahison nationale ».
Historiquement, les associations des droits de l’homme ont fait face à
de nombreuses pressions et difficultés, même au stigmate social, et ont
dû lutter contre les accusations d’avoir un « agenda caché » visant à
démoraliser les forces de sécurité turques et à miner les racines séculaires
et républicaines du régime.
Malgré les progrès positifs vers le dynamisme de la société civile depuis
1996, et avec une force renouvelé depuis 2000, les ONG continuent à
faire face à des mesures administratives, des affaires judiciaires et des
attaques nationalistes, entre autres. Tandis qu’à partir de 2000 le discours
sur la démocratisation a pris un élan considérable, les évènements de
2005, comme le scandale Şemdinli (révélant la persistance de formations
et de réseaux de « l’État profond », notamment au sud-est d’Anatolie),
la modification de « re-sécurisation » de la Loi anti-terroriste et les
réactions violentes des nationalistes sont suffisamment alarmantes pour
mettre en relief le fait que la vague de démocratisation et l’agenda de
vigilance civile et démocratique sur le secteur de la sécurité sont des
contributions nécessaires pour la transformation non seulement de la
législation et des pratiques administratives, mais aussi de la mentalité
qui demeure encore et qui perçoit l’État comme un élément « sacré » et
considère inévitable la négociation entre sécurité et droits.
154­
•
LE LOURD SILENCE et DES VOIX ÉMERGENTES : VIGILANCE DÉMOCRATIQUE SUR LE SECTEUR DE LA SÉCURITÉ ET
LE RÔLE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE EN TURQUIE
Notes
1. Cf. S. Aydın, “Amacımız Devletin Bekası”: Demokratikleşme Sürecinde Devlet ve Yurttaşlar, TESEV
Publications: Istanbul, 2005, p.8. Pour un résumé en anglais, cf. : http://www.tesev.org.tr/eng/events/
ndemoc_axis_state.php.
2. Aydın, ibid, p. 8.
3. Cependant, il faut considérer que ce puissant modèle mental éclipse en grande mesure la richesse des
réalités sociales de Turquie. Aydın, par exemple, se manifeste contre ces « suppositions simplistes qui
plaignent les citoyens sans défense contre un État oppressif », en montrant que « dans une réalité
très complexe, les mentalités construites administrativement sont très intériorisées, fonctionnalisées et
opérationnalisées par les citoyens ». Aydın, ibid, p. 8.
4. F. Ünlü, “Non Governmental Organisations”, in Ü. Cizre (ed.) Almanac Turkey 2005: Security Sector and
Democratic Oversight, DCAF-TESEV Series in Security Sector Studies, TESEV Publications: Istanbul, 2006,
p. 190.
5. Ünlü offre ci-dessous des données illustrant l’impact social du coup militaire du 12 septembre 1980 :
« Nombre de personnes registrées : 1.683.000. Nombre de jugements et personnes jugées : 230.000
personnes au cours de 210.000 jugements. Nombre de peines de mort dictées et exécutées : 517
personnes ont été condamnées à mort, 50 exécutées. Nombre de personnes dont la citoyenneté a
été révoquée : 14.000. Nombre de morts certifiées dues à la torture : 171 personnes ». D’autre part,
les journaux n’ont pas pu être publiés pendant 300 jours et de nombreux cas de torture et de morts
suspects se sont produits. F. Ünlü, “Non Governmental Organisations”, in Ü. Cizre (ed.) Almanac Turkey
2005: Security Sector and Democratic Oversight, DCAF-TESEV Series in Security Sector Studies, TESEV
Publications: Istanbul, 2006, p. 190.
Cf. <http://www.memursen.org.tr/haberioku.asp?kategori=1&id=173>.
6. Aydın, ibid, p. 191.
7. Pour un document et discussion sur le système de la garde du village, cf. E. Bese « Temporary Village
Guards » in Ü. Cizre (ed.) Almanac Turkey 2005: Security Sector and Democratic Oversight, DCAFTESEV Series in Security Sector Studies, TESEV Publications: Istanbul, 2006, pp. 138-147.
8. Pour une discussion sur ce sujet, voir E. Bese, “Intelligence Activities of the Gendarmerie Corps (JİTEMJİT),” in Ü. Cizre (ed.) Almanac Turkey 2005: Security Sector and Democratic Oversight, DCAF-TESEV
Series in Security Sector Studies, TESEV Publications: Istanbul, 2006, pp. 172-189.
9. Nom composé pour faire référence à la coalition gouvernementale du parti proche à l’Islam, Parti du
bienêtre (Refah Partisi, RP) et le parti de centre droite Parti de la juste voie (Doğru Yol Partisi, DYP).
10. Cf. URL : http://www.cess.org/publications/harmoniepapers/pdfs/HarmoniePaper19.pdf.
11. Pour plus de détails sur le projet du TESEV-DCAF, cf.
URL : http://www.tesev.org.tr/eng/events/democ_hor.php. Pour une comparaison des deux projets, cf. F.
Ünlü, “Non Governmental Organisations,” in Ü. Cizre (ed.) Almanac Turkey 2005: Security Sector and
Democratic Oversight, DCAF-TESEV Series in Security Sector Studies, TESEV Publications: Istanbul, 2006,
pp. 193-198.
155­
Volkan Aytar
•
L’UE ET SA POLITIQUE ORIENTÉE VERS LA RÉFORME
DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ : UN NOUVEL EXEMPLE
DE DIVISION CONCEPTUELLE-CONTEXTUELLE ?
Gemma Collantes Celador
Chercheuse postdoctorale.
Institut Barcelona d’Estudis Internacionals (IBEI)
L
e concept de la Réforme du secteur de la sécurité (SSR, en anglais),
apparu publiquement pour la première fois avec le gouvernement travailliste du Royaume-Uni, à la suite de sa victoire électorale en 1997,
est relativement récent1. Le discours, très souvent cité, de l’ancien Secrétaire
d’état pour le Développement international du Royaume-Uni, Clare Short,
au Royal College of Defence Studies de Londres en 1998, est devenu un
symbole du rôle primordial que le Royaume-Uni a joué dans ce concept, et
témoigne clairement son caractère de nouveauté. Short a fait appel à « une
association entre la communauté de développement et l’armée » pour
aborder les « questions reliées de sécurité, développement et prévention de
conflits »2. Sa déclaration différenciait effectivement l’assistance militaire et la
coopération en matière de défense –souvent mentionnée comme « ancienne diplomatie de défense »– caractéristique de l’époque du colonialisme
européen et de la Guerre Froide. Autrement dit, l’assistance technique avait
pour objectif le renforcement des forces armées et de sécurité des pays alliés
sans envisager la dimension de gouvernance, y compris la responsabilité
démocratique de ces forces3.
La SSR problèmes
pressants, qui vont
de la réduction
de la pauvreté au
développement durable
Une version plus résumée de ce
Le développement de la SSR, en tant que domaine d’étude et de
pratique, a été influencé par de nombreuses tendances. Celles-ci comprennent le réexamen des concepts de sécurité reliés à la Guerre Froide
au profit de définitions fondées sur les citoyens, en vigueur depuis la fin
des années quatre-vingt en Afrique, en Asie, en Amérique Latine; sur les
« nouvelles guerres» des années quatre-vingt-dix, d’après la terminologie
de Mary Kaldor; et plus récemment, sur les conséquences du 11 septembre 20014. Par conséquent, la SSR est actuellement reliée à de nombreux
problèmes pressants, qui vont de la réduction de la pauvreté au développement durable, à la gouvernance et à l’atténuation/règlement de
conflits5. La SSR a élargi sa portée, en passant de l’approche initiale, plus
limitée au secteur de la défense, à l’inclusion d’autres agents de sécurité
ainsi que de nouveaux aspects concernant la justice, le désarmement, la
démobilisation et la réintégration (DDR) ; et la prolifération des armes
légères et de petit calibre.
chapitre a été insérée dans le
document EuroMeSco du mois de
janvier 2008 (nº 66) portant sur les
leçons des processus des réformes
policières entreprises en Turquie et à
la Palestine dans le développement
de la SSR de l’UE en Méditerranée.
Une grande partie de ce document
procède des entretiens tenus à
Bruxelles avec des professionnels
et des experts de l’UE (y compris les
représentants des États membres) au
mois d’avril 2007. Pour des raisons
de confidentialité, ni leurs noms ni
leurs postes ne sont révélés. L’auteur
assume toute la responsabilité de
la teneur de ce document ainsi que
toute erreur ou omission.
157­
•
En raison des changements de la portée du SSR, ce concept occupe une
position prééminente dans l’agenda politique des principaux acteurs
internationaux, parmi lesquels les États particuliers (tels que le RoyaumeUni ou la Hollande) qui ont développé des politiques spéciales ou des
approches gouvernementales exhaustives pour la SSR ou pour les institutions internationales comme l’OCDE, l’ONU et l’UE. L’ONU et l’UE sont
allées un peu plus loin ces dernières années en produisant des concepts
politiques en l’institutionnalisant leurs efforts dans ce domaine, en
recherchant une cohérence, exhaustivité et coordination renforcées. La
Banque Mondiale, elle-même, a succombé, bien que plus timidement
que d’autres institutions, à la nécessité d’incorporer des politiques reliées
à la sécurité.
Ce chapitre est axé sur l’étude des réponses institutionnelles face au
caractère multidimensionnel de la SSR. Il présentera une analyse des
efforts de l’UE pour perfectionner son action dans ce domaine, en se
centrant sur deux documents récents de conception politique. L’accent
sera mis sur les synergies et sur les caractéristiques principales des documents, en utilisant l’exemple de l’assistance à la police pour illustrer la
disposition de l’Union à s’engager activement dans le domaine de la
SSR. Dans ce sens, l’article s’aligne avec les académiciens qui signalent
«l’existence d’une division ‘conceptuelle-contextuelle’ entre les objectifs
déclarés de la SSR et sa mise en œuvre réelle »6.
Les concepts de l’UE de SSR : Quoi, où et quand ?
Il existe deux documents sur la SSR, le Concept de l’UE pour le soutien de
la PESD à la réforme du secteur de la sécurité de 2005 (ci-après ‘Concept
de SSR du Conseil’) et le Concept de la Communauté européenne pour le
soutien à la réforme du secteur de la sécurité de 2006 (ci-après ‘Concept
de SSR de la Commission’). Comme nous expliquerons par la suite dans
ce chapitre, ces documents ont été regroupés sous un cadre politique
commun en 2006. Ces deux concepts de SSR sont basés sur différents
documents de référence de l’UE, y compris la Stratégie européenne de
sécurité, qui défend une Union préparée pour entreprendre des missions très variées. En outre, la réforme du secteur de sécurité, avec une
approche élargie de la construction institutionnelle, est mentionnée dans
le document sur la stratégie comme une des approches possibles pour
répondre aux objectifs de l’UE, en incluant la prévention et/ou le règlement de conflits violents, la lutte contre le terrorisme et la fragilité des
États. Le document Objectif global civil 2008, approuvé par le Conseil
européen de décembre 2004, expose un message similaire. Ce document fait un appel pour avancer dans des missions comme la Mission
Petersberg afin d’inclure, entre autres, le soutien à la SSR et au DDR7.
Les concepts de SSR du Conseil et de la Commission ont aussi profité
des efforts préalables dans ce domaine. Par exemple, à niveau stratégique, en 2004 la Commission européenne ainsi qu’un certain nombre
d’États membres de l’UE se sont largement engagés dans le développement des directrices de la Réforme du système de la sécurité et de
Gouvernance du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE,
en raison, en partie, de leur condition de membres de ce comité. Au
niveau opérationnel, l’Union, par le biais des mécanismes du Conseil,
ainsi que de la Commission, s’est déjà engagée pour un ensemble d’années à la mise en œuvre de différents aspects de la SSR. La Commission,
158­
•
L’UE ET SA POLITIQUE ORIENTÉE VERS LA RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ :
UN NOUVEL EXEMPLE DE DIVISION CONCEPTUELLE-CONTEXTUELLE ?
par exemple, a offert son soutien en matière de SSR à plus de 70 pays,
grâce à ses programmes géographiques et thématiques, de l’Est de l’Europe au Nord et au Sud du Caucase et en Asie Centrale, aux Balkans
Occidentaux, en Afrique, aux Caraïbes et au Pacifique, dans les pays
du Sud de la Méditerranée, au Moyen-Orient, en Amérique Latine et
en Asie. Le soutien offert jusqu’à présent a échoué en ce qui concerne
la réforme de l’application de la loi, la justice et les institutions de l’État
qui travaillent dans le domaine de la gestion et du contrôle des agents
de sécurité. D’autres activités ont été directement reliées au respect des
droits de l’homme qui, d’après les propos de la Commission, «s’étend
aussi au secteur de la sécurité et, par conséquent, touche indirectement
la réforme du secteur de la sécurité »8. De plus, l’objectif de certaines
des activités de la Commission était de renforcer une approche régionale
de la sécurité, dont « l’impact est aussi positif sur les efforts de la SSR à
l’échelle nationale »9.
L’évidence de
l’implication du Conseil
et de la Commission
dans les activités reliées
à la SSR semble illustrer
que l’UE ne fait pas son
début dans ce domaine
Le Conseil s’est plutôt centré sur le déploiement de missions civiles et
militaires dans le cadre de la PESD, en commençant en janvier 2003 avec
la Mission de police de l’Union européenne en Bosnie et Herzégovine.
Cependant, jusqu’à l’année 2005, ces missions ne devaient pas aborder
la SSR dans son ensemble, mais des aspects particuliers du secteur de
sécurité tels que les aspects purement militaires, les relations civile-militaires, la réforme politique, l’État de droit et la gestion des frontières10.
La mission de conseil et d’aide de l’UE pour la réforme de la sécurité à
la République démocratique du Congo (RDC) a rompu ce schéma. Cette
mission s’est engagée avec la réintégration et la réforme de l’armée, le
conseil aux autorités de sécurité en matière de bonne gouvernance et, à
certaines occasions, avec les aspects concernant la réforme de la police
et des douanes, ce qui a produit un chevauchement avec les Missions de
police de l’UE à Kinshasa (avril 2005-juin 2007)11. Une nouvelle mission
de SSR pour la Guinée Bissau est en cours de préparation et son déploiement est prévu pour le printemps 2008.
L’évidence existante de l’implication du Conseil et de la Commission dans
les activités reliées à la SSR semble illustrer que l’UE ne fait pas son début
dans ce domaine. Cependant, certains critiques soutiennent que les
activités opérationnelles insérées dans les documents du Conseil et de la
Commission, comme preuve de leur expérience, exigent une évaluation
critique approfondie puisqu’un grand nombre ont été qualifiées à
nouveau pour intégrer la SSR12. Laissant de côté cette affaire, ce qui
différence ces deux documents de l’UE sur la SSR c’est leur emphase à
doter l’Union d’une approche intégrale nouvelle jusqu’à présent. D’après
un représentant du Conseil, « le concept de SSR n’est pas ‘nouveau’ en
soi […] de nombreux États membres avaient déjà appliqué partiellement
le processus de SSR […] la seule nouveauté dans cette idée est que le
travail concernant la SSR doit être intégral »13. Pour parvenir à cette
exhaustivité, les deux concepts de SSR ont tenté de poser les bases
pour une coordination satisfaisante entre les piliers de l’UE, tout en
assurant « une compréhension commune de la SSR entre les 27 États
membres »14.
Les concepts de SSR du Conseil et de la Commission adoptent en grande
mesure les directrices CAD de l’OCDE comme point de départ, en définissant le secteur de la sécurité comme15:
159­
Gemma Collantes Celador
•
Un système qui comprend:
•Les acteurs principaux de sécurité: les forces armées, la police, la gendarmerie, les forces paramilitaires, les gardes présidentiels, les services
d’intelligence et de sécurité (civils et militaires), les garde-côtiers, les
garde-frontières, les autorités douanières, les unités de sécurité à la
réserve ou locales, (forces de défense civile, gardes nationaux, milices).
•Les corps de gestion et de contrôle de la sécurité : l’Exécutif, les organes de consultation de sécurité, les législateurs et les comités spéciaux
législatifs, les ministères de défense, intérieur et affaires étrangères,
les autorités coutumières et traditionnelles, les organes de gestion
financière, (ministères de finances, bureaux budgétaires, unités d’audit
financier et de planification) et les organisations de la société civile
(conseil de révision civile et commissions de plaintes publiques).
•Les institutions judiciaires et de respect de la loi : pouvoir judiciaire, ministres de justice, prisons, enquête criminelle et services de
procédure, commissions des droits de l’homme et défenseurs du peuple, systèmes judiciaires coutumiers et traditionnels.
• Les forces de sécurité non réglementaires, avec lesquelles les donneurs
ne travaillent pas habituellement : armées de libération, guérillas, unités de gardes du corps privées; compagnies de sécurité privée, milices
des partis politiques16.
Les deux documents soulignent l’importance d’assurer et/ou de renforcer
la responsabilité, l’efficacité et l’efficience du secteur de sécurité lorsque
nous affrontons les nécessités de sécurité internes et externes, le contrôle civil des acteurs de sécurité, la protection des normes démocratiques
et les principes de bonne gouvernance, les droits de l’homme, la transparence et l’État de droit. Ils reconnaissent également l’importance de
l’appropriation locale et des approches personnalisées pouvant assurer
que l’aide de l’UE en matière de SSR est la plus adéquate pour les nécessités de la population locale, du pays et de la région.
L’Afrique semble avoir été présente dans l’esprit des fonctionnaires du
Conseil et de la Commission chargés du processus d’établir l’ébauche
des deux documents de SSR et ce pour des raisons différentes : (1) des
facteurs historiques, en particulier dans des pays comme le RoyaumeUni ou la France; (2) l’existence de liens forts entre l’Afrique et l’UE et
sa proximité à l’Union ; (3) les problèmes pressants reliés aux conflits
qui frappent ce continent et leurs effets sur l’UE sous forme de trafic de
personnes et de drogues ainsi que d’immigration illégale. Cela ne signifie
pourtant pas que les deux concepts aient été crées pour être appliqués
en Afrique seulement. Bien au contraire, l’intention était de créer un
outil global pouvant être utilisé par l’UE dans différents contextes du
monde entier. En fait, lorsque nous les regroupons, les deux documents
identifient un nombre de scénarios possibles pour les actions de l’UE
concernant le processus SSR, qui vont d’une situation immédiate de
post-conflit à un scénario dans lequel les pays sont soumis à des processus de démocratisation à long terme dans des contextes relativement
stables. Les deux documents de la SSR reconnaissent que tout le contexte
présente son propre ensemble de nécessités et sa combinaison d’actions
du Conseil et de la Commission. Dans ce contexte, les pays du sud de la
Méditerranée et les Balkans occidentaux sont deux autres régions idoines
pour recevoir l’aide de l’UE en matière de SSR17. Ces deux régions font
160­
•
L’UE ET SA POLITIQUE ORIENTÉE VERS LA RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ :
UN NOUVEL EXEMPLE DE DIVISION CONCEPTUELLE-CONTEXTUELLE ?
appel à l’UE car, étant donné qu’elles sont comprises dans les politiques
d’élargissement et de voisinage de l’Union, l’état de leur sécurité est en
ligne avec les nécessités de sécurité interne de l’UE.
Les concepts de l’UE en matière de SSR : Comment et par
qui ?
Les deux concepts de SSR reprennent la proposition de l’OCDE d’établir
une approche intégrale et multisectorielle visant la recherche d’ancrages
entre les acteurs de la sécurité locale lors de la réalisation des activités
de réforme. Et cela plutôt que se centrer sur un seul acteur, ou sur un
nombre très réduit, souvent indépendants entre eux, selon la tendance
des actions précédentes des donneurs. Cette recherche d’exhaustivité va
plus loin dans le cas de l’UE, si nous tenons compte que le document du
Conseil fait appel à l’intégration des activités de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) dans le cadre de la SSR.
Le DDR semble pouvoir constituer un pilier important de la SSR et il
est considéré comme un élément clé pour le règlement de conflits
et la stabilité interne. Dans ces cas, la SSR exige des activités du type
DDR. Cependant, la SSR va plus loin que le DDR et doit être considéré
comme le concept primaire; le DDR devrait être abordé séparément,
bien que de manière consistante avec le concept de SSR, en tenant
compte que la Commission est particulièrement active dans le domaine de la réintégration18.
Le DDR semble pouvoir
constituer un pilier
important de la SSR et
il est considéré comme
un élément clé pour le
règlement de conflits
Cependant, la SSR va
plus loin que le DDR
et doit être considéré
comme le concept
primaire
L’importance de cette relation a été soulignée également dans le Concept
de DDR de 2006, qui a mis en évidence que le processus de DDR
« devrait être considéré comme un aspect de la Réforme du secteur de
la sécurité et établir son point de départ lors de l’évaluation des futures nécessités et structures de l’ensemble du système de sécurité, tout
en reconnaissant quels aspects du DDR se maintiennent en dehors de
la SSR »19. L’UE s’est impliquée dans des activités de DDR pendant très
longtemps, en particulier à travers des actions de la Commission et des
programmes bilatéraux des États membres. Ces antécédents ont été renforcés en 2005 avec la Mission d’observation d’Aceh, en Indonésie, dans
le cadre de la PESD, déployée pour surveiller le désarmement des membres des anciens mouvements de résistance (GAM) et le retrait progressif
des troupes gouvernementales indonésiennes.
Les documents du Conseil et de la Commission en matière de SSR précisent également l’aide que l’UE peut fournir dans des domaines concrets,
en incluant la réforme militaire, la réforme policière, la justice et l’État de
droit, le secteur des frontières et des douanes, la réforme financière et
monétaire du secteur de la sécurité, le fonctionnement du gouvernement
et la division de responsabilités. Dans le cas de la réforme policière, par
exemple, le document du Conseil spécifie que l’UE peut, entre autres,
offrir son aide dans les domaines suivants:
•conseil en matière de nécessités policières ;
•définition des objectifs d’une stratégie de politique policière intégrale
et stratégique, complètement intégrée dans les objectifs du secteur de
Justice/État de droit ;
161­
Gemma Collantes Celador
•
Le document Objectif
global civil 2008 a doté
l’UE des directrices
pour le renforcement
des compétences de
gestion civile des crises
•développement d’une méthodologie pour atteindre ces objectifs, y
compris les facteurs critiques et de succès ainsi que leur calcul ;
•organisation du secteur policier, y compris le contrôle et l’inspection
budgétaire ;
•administration, transparence et responsabilité, ainsi que contrôle politique ;
•formation du secteur policier dans les principes de l’action policière
moderne et de la gestion de la police, y compris le respect des droits
de l’homme, la législation internationale et en matière de genre ;
•guide et encadrement des forces policières dans leurs travaux quotidiens pendant la période de transition ;
•placement d’experts au ministère national de l’intérieur pour observer
et aider les autorités locales dans les aspects reliés aux affaires internes
de la SSR ;
•lancement de campagnes de sensibilisation pour assurer la confiance
et la coopération de la communauté20.
Pour effectuer cette assistance à la police, le Conseil dispose de mécanismes très variés développés depuis la fin des années quatre-vingt-dix.
En 2000, au Sommet de Santa Maria da Feira, les États membres de
l’UE ont approuvé l’action policière comme aire prioritaire, outre l’État
de droit, l’administration civile et la protection civile. Il a été conclu également que pour 2003, les États membres de l’UE devraient contribuer
volontairement avec 5000 officiers de police au maximum, destinés à
des missions internationales au sein des opérations de prévention de
conflits et de gestion des crises très variées, dont 1000 seraient prêts
à être déployés en 30 jours si nécessaire. Depuis lors, ces objectifs
policiers ont été respectés et élargis. De même, le document Objectif
global civil 2008 a doté l’UE des directrices pour le renforcement des
compétences de gestion civile des crises, aussi bien en matière de capacités que dans les possibles contextes pour leur déploiement 21. Cela
a permis de progresser dans la contribution des États membres, par
exemple, de spécialistes dans les domaines de police des frontières, de
crimes sexuels et violents, de trafic de personnes, du crime organisé et
des droits de l’homme, ainsi que dans le développement des Équipes
civiles de réponse, des Unités policières intégrées et des Unités policières constituées. Ces progrès sont parachevés actuellement avec un
nouvel Objectif global civil 2010, adopté pendant la Présidence portugaise de l’UE, entre les mois de juillet et décembre 2007. S’appuyant
sur l’idée que les engagements établis dans l’Objectif global civil 2008
n’ont pas été accomplis, ce nouveau document confère plus de poids
aux questions de qualité qu’au nombre de capacités 22. La construction des capacités de gestion civile des crises de l’UE s’est déroulée
jusqu’à présent de manière similaire –et engagée précédemment– à la
construction des capacités de gestion militaire des crises.
Le processus mis en place pour spécifier le rôle de l’UE dans l’assistance
policière a été accompagné également de la création d’un certain nombre de structures et de plans, y compris le Comité pour les aspects civils
de la gestion des crises, l’Unité policière au Secrétariat du Conseil et le
Plan d’action policière pour encourager la consistance au sein de l’UE
ainsi qu’avec d’autres acteurs externes23.Plus récemment, le Conseil de
Ministres de l’UE a approuvé la réorganisation du Secrétariat du Conseil
pour mieux aborder les nécessités des opérations civiles de la PESD, y
162­
•
L’UE ET SA POLITIQUE ORIENTÉE VERS LA RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ :
UN NOUVEL EXEMPLE DE DIVISION CONCEPTUELLE-CONTEXTUELLE ?
compris les opérations policières. Le résultat final –l’établissement d’une
Capacité civile de planification et de conduite des opérations (CPCC,
d’après ses sigles en anglais)– complétera la « nouvelle » direction de
gestion civile des crises (DGE IX) au Secrétariat du Conseil. Ce dernier,
développera sa restructuration en abordant la partie politico-civile (polciv) de la gestion des crises, comme la préparation du concept de gestion
des crises24. Il continuera également à gérer les aspects horizontaux reliés
à la PESD civile, y compris les concepts, les capacités et la formation25. Il
convient de souligner qu’aucune de ces capacités et structures n’a été
créée au service des activités de la SSR, mais de la gestion des crises en
général. Cependant, avec le consentement des États membres, il a été
possible de les appliquer aussi à des missions de ce genre.
En ce qui concerne la Commission, celle-ci peut contribuer directement à
la promotion des aspects de gouvernance de la réforme/assistance de
la police, y compris le contrôle démocratique et la surveillance civile,
les relations policières-judiciaires, l’indépendance de la politisation,
l’assistance de la société civile, un usage efficace des ressources publiques, le respect des droits de l’homme et la construction des capacités
des organisations régionales et/ou sous-régionales qui abordent la
dimension régionale de la SSR, y compris les aspects policiers. Il existe
en fait, plusieurs instruments policiers et financiers communautaires
bien établis qui ont déjà été utilisés et qui pourraient l’être à nouveau dans le futur. Ils incluent des instruments à court terme (tels que
l’Instrument de stabilité, administré par la DG Relations Extérieures)
et les instruments inclus dans la Coopération économique et pour le
développement, la Politique européenne de voisinage et association,
l’Instrument d’aide à la préadhésion, le processus d’Élargissement (y
compris les programmes de soutien à la collaboration entre autorités
- twinning programmes-), et les politiques de Démocratie et droits de
l’homme, prévention des conflits et gestion des crises26. En outre, la
dimension externe des politiques reliées au domaine liberté, sécurité
et justice existe également.
Cependant, comme reprend le document de la Commission, les outils
à sa disposition pourraient être utilisés de manière plus efficace. La SSR,
par exemple (comprenant l’assistance/réforme policière) devrait être
prioritaire sous les politiques et instruments financiers mentionnés, et
intégrée clairement dans les Documents stratégiques des pays régionaux et dans les Plans d’action programmés par les instruments. Cette
dernière proposition exige, partiellement au moins, une bonne communication entre les documents de stratégie bilatérale des États membres.
D’autres propositions à envisager incluent travailler pour une politique
effective et intégrale et dans la programmation d’un dialogue avec les
parties impliquées dans les pays partenaires, en introduisant des standards internationaux de SSR, en assurant une planification coordonnée
(comme celle qui s’est engagée grâce aux missions de recueil de données
du Conseil et de la Commission), l’expansion et le perfectionnement des
connaissances des experts, la conception d’une formation spécifique
en matière de SSR, et une meilleure coopération avec les partenaires
internationaux 27. Pour sa part, le document du Conseil sur le processus
SSR, suggère que la SSR doit être appropriée localement et que les plans
nationaux de développement dans des domaines tels que la réduction de
la pauvreté devraient être envisagés également28.
163­
Gemma Collantes Celador
•
Il existe un certain
scepticisme au
sujet de la viabilité
de la recherche
d’exhaustivité et de
cohérence de l’UE dans
ses activités de SSR
Les auteurs du document du Conseil sur la SSR sont conscients du fait que
la réforme du secteur de la sécurité est un processus horizontal comprenant des éléments qui ne sauraient être abordés en utilisant seulement les
instruments de gestion des crises. Par conséquent, le document fait appel
à la complémentarité avec d’autres secteurs extérieurs de l’action de l’UE.
Le Secrétariat du Conseil général et la Commission devraient continuer
à travailler en collaboration étroite, dans toutes les situations, aussi bien
pour assurer une division claire et fonctionnelle des responsabilités que
pour garantir une cohérence et efficacité maximales des efforts généraux
entrepris par l’UE. Il est probable que le document sur le concept de SSR
de la Communauté soit rédigé sur les mêmes prémisses29.
Et, c’est ainsi, effectivement. Le document sur le processus SSR de la
Commission plaide pour la cohérence non seulement au sein des missions de la PESD, mais aussi en ce qui concerne les activités de certains
États membres de l’UE. Il mentionne aussi la nécessité d’une meilleure
coopération à l’échelle multilatérale pour assurer des niveaux plus élevés
de synergie et pour éviter les duplications non nécessaires, dans le cadre
de l’ONU, ainsi qu’avec des États-tiers, d’autres organisations internationales et ONG. Un exemple de cette recherche de coordination est le
travail entrepris par la Commission dans le cadre du CAD, de l’OCDE, pour
développer, avec d’autres États membres de l’UE et d’autres donneurs
bilatéraux et multilatéraux, le manuel conjoint du donneur sur la mise en
œuvre du processus SSR de 200730. Ce document offre aux donneurs un
ensemble de directrices communes dans des domaines tels que la méthodologie de valorisation en matière de SSR, la conception des programmes,
la gestion et l’évaluation et le développement d’approches intégrales qui
permettent une meilleure gestion et des liens renforcés entre le développement, la sécurité, les politiques et la pratique dans le domaine de la
justice. L’objectif final de ce manuel du donneur est d’obtenir des niveaux
plus élevés d’efficacité, cohérence, durabilité et adéquation aux besoins
des citoyens dans l’application des Directrices de la réforme du système de
sécurité et de gouvernance du CAD, de l’OCDE31 .
Concepts de la SSR de l’UE : Problèmes
Il existe un certain scepticisme au sujet de la viabilité de la recherche
d’exhaustivité et de cohérence de l’UE dans ses activités de SSR. Cela
a créé certains problèmes qui sont apparus progressivement pendant
la phase de formulation de la politique, et qui laissent planer le doute
sur sa mise en œuvre. L’UE n’a pas unifié les documents du Conseil
et de la Commission d’après un concept de SSR général, comme on
prétendait initialement. Le document du Conseil mentionne ainsi que
« l’union de ces deux tendances doit être envisagée dans le cadre
d’une conception élargie pour la SSR » 32. Cette union a été considérée
nécessaire initialement puisque, comme spécifie le titre, les documents
du Conseil ainsi que ceux de la Commission sur la SSR ont été rédigés
pour montrer que chaque institution pouvait contribuer à un processus
de SSR, et le document de la Commission a donc été présenté sous
forme de « Communication »33. Cependant, cette idée originale d’unifier
les deux concepts sous un cadre commun a été rejetée en juin 2006. Ce
cadre régulateur commun met en évidence la nécessité d’adopter une
164­
•
L’UE ET SA POLITIQUE ORIENTÉE VERS LA RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ :
UN NOUVEL EXEMPLE DE DIVISION CONCEPTUELLE-CONTEXTUELLE ?
approche intégrale, multisectorielle, pour la SSR pouvant être transformée
graduellement en actions opérationnelles pour la Communauté et la
PESD par les Présidences postérieures et par la Commission.
Plusieurs raisons expliquent ce changement de plans. Un haut rang du
Conseil expliquait que « pour les forains, un seul concept commun aurait
été plus avantageux mais plus couteux en termes de temps et l’Autriche
souhaitait parachever cette tâche avant la fin de sa Présidence »34. La
rédaction des deux concepts de la SSR s’est prolongée pendant huit
mois. Le document de la Commission a été le plus long à rédiger puisque
tous les pays et tous les bureaux thématiques ont du être consultés.
C’est pourquoi, d’après ce fonctionnaire du Conseil, le développement
d’un document commun sur la base de ces deux documents aurait été
trop long à un moment où la Présidence autrichienne était résolue à
terminer avec le processus engagé par le Royaume-Uni. Un fonctionnaire
de la Commission, cependant, a présenté une explication différente pour
expliquer ce changement de plans :
En raison de la quantité d’instruments politiques utilisés pour soutenir
la SSR et la différente nature des programmes communautaires et des
activités de la PESD, nous n’avons pas considéré nécessaire de les réviser
et de rédiger un document unique. Nous nous sommes alors centrés sur
leur application et sur la manière d’obtenir une cohérence renforcée dans
des situations telles que la RDC, le Kosovo, l’Afghanistan, etc.35
Bien que ce point de vue puisse paraître raisonnable, le fait est que
l’absence d’un document unique sur la SSR renforce l’opinion de
nombreux académiciens et professionnels d’après laquelle la coordination
et la collaboration entre le Conseil et la Commission n’est pas l’adéquate.
En ce qui concerne la coopération interne au sein de l’UE, il est nécessaire
d’ajouter à l’équation institutionnelle précédente la nécessité de coopérer
avec les politiques nationales des États membres actifs dans le domaine de
la SSR, et d’assurer de meilleures relations civile-militaires, deux domaines
dans lesquels trop de questions demeurent ouvertes. Certains des défis que
l’UE doit confronter dans sa relation avec les États membres sont résumés de
manière éloquente par un fonctionnaire du Conseil, qui a souligné que:
La SSR est encore très jeune. Elle a la possibilité de devenir quelque chose de
« beau » si nous sommes capables de la gérer de manière cohérente, si les
États membres sont prêts à coopérer, s’ils sont prêts à apporter les capacités
nécessaires à l’UE […] ce qui pour l’instant n’est pas très évident […] pour
le moment les États membres ne sont pas transparents avec l’UE quant à
leur action en matière de programmes de SSR dans les différents pays36.
La rédaction du Concept DDR en 2006 présente l’image opposée. Les
différents acteurs impliqués reliés à l’UE (y compris les États membres)
étaient préparés, selon les propos d’un fonctionnaire de la Commission,
pour «rompre la structure institutionnelle existante pour reconnaître le
lien entre sécurité et développement » qui permettrait à la Commission
et au Conseil de travailler conjointement dans la rédaction d’un concept
unique37. Le champ d’action plus étroit, le nombre inférieur d’acteurs
de l’UE impliqués et la diminution des emplacements de l’action de l’UE
pourraient expliquer cette histoire de « succès ».
165­
Gemma Collantes Celador
•
Les documents du
Conseil et de la
Commission sur
le processus SSR
représentent un
important pas en avant
dans le développement
de l’identité extérieure
de l’UE
Les problèmes de coopération interne ont pu être contrecarrés par le succès de la mise en place des documents de la SSR. Dans ce sens, certaines
initiatives positives peuvent déjà être signalées. Par exemple, le développement des missions de recueil de données conjointes de la Commission,
du Conseil et des États membres, la campagne de sensibilisation d’EuropeAid entre différentes Directions Générales et Délégations de la CE pour
accélérer le processus de partage de l’information de bonnes pratiques,
et la participation de la Commission dans la rédaction du manuel de
SSR 2007 du DAC, de l’OCDE. Cependant, ces mouvements constituent
uniquement des pas timides si l’UE doit faire face aux sceptiques qui
continuent à voir les documents de la SSR comme un autre « tigre en
papier » qui se perdra et sera oublié dans la montagne de documents
produits par l’UE38. En fait, l’UE doit aborder un ensemble de défis potentiels. Parmi ceux-ci, un travail approfondi dans le développement des
approches régionales de la SSR (tel que demandent les deux concepts de
SSR) et des points de référence (benchmarks) pour mesurer la mise en
œuvre des activités de la SSR, la dépendance de l’efficacité de la SSR, des
plans de coopération effectifs, comprenant les multiples acteurs externes
pouvant être rencontrés sur le terrain (depuis les donneurs bilatéraux
aux organisations internationales et ONG), et les coûteuses implications
politiques, économiques et de capital humain des approches intégrales.
Trouver des solutions à ces défis est essentiel si nous considérons que
l’application efficace d’une politique de SSR cohérente exige tenir en
compte des aspects tels que la planification, le budget, les ressources
humaines et financières ainsi que la coopération et la concurrence entre
les acteurs principaux.
Conclusions
Damien Helly (de Saferworld) commenta en 2006 que la SSR deviendrait
dans un futur immédiat le composant essentiel des politiques de l’UE
de mise en œuvre de la défense, de la sécurité, du développement, de
la gestion des crises et de la prévention des conflits de l’UE, puisqu’elle
représentait « un outil formidable pour mener à bien des initiatives innovatrices dans le monde entier » et dans différents contextes 39. Il a aussi
approfondi dans l’analyse des raisons qui font de l’UE un candidat idéal
comme défenseur de la SSR, y compris son statut de donneur, sa présence flexible et constante dans de nombreux pays et la variété d’outils
(politiques, de développement et de sécurité) dont elle dispose40.
Malgré les critiques, les documents du Conseil et de la Commission
sur le processus SSR représentent un important pas en avant dans le
développement de l’identité extérieure de l’UE. L’approche décrite dans
ces documents, soulignée par les principes d’adhésion aux normes
démocratiques et aux principes acceptés internationalement des droits
de l’homme et de l’État de droit, de respect des processus de réforme
appropriée nationale et régionale et la coordination avec d’autres domaines d’action de l’UE, fondée sur les processus de réforme sensible avec
les questions de genre et multisectorielles, permettront à l’Union de
répondre de manière plus effective à une variété de défis, y compris les
conflits violents, la pauvreté, la fragilité de l’État et le terrorisme, pour
mentionner uniquement quelques uns.
166­
•
L’UE ET SA POLITIQUE ORIENTÉE VERS LA RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ :
UN NOUVEL EXEMPLE DE DIVISION CONCEPTUELLE-CONTEXTUELLE ?
Cependant, pour que ces engagements se transforment en résultats
tangibles et pour pouvoir bénéficier de leur force, l’UE a besoin d’envisager un ensemble d’affaires notables, telles que le renforcement de la
coordination interne entre les membres de la famille de l’UE, ainsi que
de manière externe, des acteurs très variés et le coût de cet effort. Le
processus ne s’est pas bien engagé comme illustre la rédaction du cadre
de la politique commune d’un concept unique de SSR. Cependant, étant
donné que cette nouvelle politique de l’UE se trouve encore en phase
d’application, il est encore trop tôt pour prédire son déroulement.
Notes
1. Différents acteurs utilisent indistinctement des variations de ce terme. Alors que la communauté
de développement opte pour la « réforme du secteur de la sécurité », le Comité d’aide au
développement (CAD) de l’OCDE préfère le terme « réforme du système de sécurité » et le
Programme de développement de l’ONU (PNUD) adopte l’expression « réforme de la justice et du
secteur de la sécurité ». Gouvernance du secteur de la sécurité et transformation du secteur de
la sécurité (souvent cités dans les discours africains) sont d’autres alternatives. Ce chapitre a opté
pour le terme « Réforme du secteur de la sécurité » car il est le plus utilisé parmi les académiciens
et les professionnels. Pour une explication plus détaillée de la terminologie. Cf. Michael Brzoska,
Development Donors and the Concept of Security Sector Reform, Occasional Paper nº 4, Genève:
Geneva Centre for the Democratic Control of Armed Forces (DCAF), 2003.
2. Nicole Ball et Dylan Hendrickson, Trends in Security Sector Reform (SSR): Policy, Practice and
Research, Ottawa: International Development Research Centre (IDRC), 2006, p. 10.
3. Andrew Cottey et Anthony Forster (2004), cités par Heiner Hänggi et Fred Tanner, “Promoting
Security Sector Governance in the EU’s Neighbourhood”, Chaillot Paper nº. 80, Paris: Institute for
Security Studies, juillet 2005, p. 20.
4. Pour une étude plus approfondie de l’évolution et des éléments clé de la SSR, cf. Jane Chanaa,
Security Sector Reform : Issues, Challenges and Prospects, Adelphi Paper no. 344, Oxford: Oxford
University Press & International Institute for Strategic Studies, février 2002.
5. Ball y Hendrickson, Trends in SSR, op. cit., p. 3.
6. Eric Scheye et Gordon Peake, “To Arrest Insecurity: Time for a Revised Security Sector Reform
Agenda”, Conflict, Security & Development, vol. 5, nº. 3, décembre 2005, p. 295.
7. Council of the EU, A Secure Europe in a Better World: European Security Strategy, Bruxelles, 12
décembre 2003, p. 12; Council of the EU, Civilian Headline Goal 2008, Document nº. 15863/04, 7
décembre 2004.
8. Pour de plus amples informations cf. European Commission, Communication from the Commission
to the Council and the European Parliament: a Concept for European Community Support for
Security Sector Reform, Document nº. COM(2006) 253final, Bruxelles, 25 mai 2006, p. 6.
9. Ibid.
10. Pour une liste des missions en cours et achevées de la PESD, veuillez consulter le site web du
Conseil de l’UE, http://www.consilium.europa.eu/cms3_fo/showPage.asp?id=268&lang=en.
11. Entretiens avec des fonctionnaires du Conseil et de la Commission, Bruxelles, avril 2007,
International Crisis Group, Security Sector Reform in the Congo, Africa Report nº 104, 13 février
2007.
12. Cf. par exemple, Andrew Sherriff, “Security Sector Reform and EU Norm Implementation” in David
M. Law (ed.), Intergovernmental Organisations and Security Sector Reform, Münster: Lit Verlag and
DCAF, 2007, p. 94.
13. Entretiens avec un fonctionnaire du Conseil, Bruxelles, avril 2007. Un des exemples utilisés pour
illustrer cette approche intégrale et exhaustive est le fait que le Conseil se soit impliqué dans l’élaboration de l’ébauche du document de la SSR du Conseil. Le processus a été dirigé par une cellule
civilo-militaire au sein du personnel militaire de l’UE. D’après les propos d’un autre fonctionnaire du
Conseil la « SSR est un autre outil pour unifier tous les mécanismes et éléments existants. La même
fonction peut être accomplie au moyen d’autres initiatives, y compris l’Approche intégrale à la coopération civile-militaire, développée par l’UE». Entretien, Bruxelles, avril 2007.
14. Entretien avec un fonctionnaire du Conseil, Bruxelles, avril 2007.
167­
Gemma Collantes Celador
•
15. Pour un débat sur les différences entre la définition de la SSR de l’UE et celle du CAD, de l’OCDE,
cf. la contribution de Willem van Eekelen’s en David Spence et Philipp Fluri (eds.), The European
Union and Security Sector Reform, London : John Harper Publishing, 2008.
16. Souligné dans l’original. Council of the EU, EU Concept for ESDP Support to Security Sector Reform
(SSR), Document nº. 12566/4/05 REV 4, Bruxelles, 13 octobre 2005, pp. 5, 7-8.
17. Entretiens avec des fonctionnaires du Conseil et de la Commission, Bruxelles, avril 2007. Les
Balkans Occidentaux ont reçu de l’aide reliée à la SSR pendant plus d’une décade, bien que pas de
manière intégrale et exhaustive.
18. Council of the EU, EU Concept for ESDP Support to SSR, op. cit., p. 7.
19. Council of the EU et European Commission, EU Concept for Support to Disarmament,
Demobilisation and Reintegration (DDR), Document nº. 16387/06, Bruxelles. Approuvé par le
Conseil de l’UE le 11 décembre 2006 et par la Commission Européenne le 14 décembre 2006, p.
12.
20. Council of the EU, EU Concept for ESDP Support to SSR, op. cit., p. 14. Il semble intéressant
de comparer et de contraster cette liste de fonctions d’aide policière avec les deux concepts
génériques, préparés par l’Unité de police du Secrétariat du Conseil il y a quelques années, sur des
missions de remplacement (policier) et de renforcement. Ces deux concepts génériques abordent
des thèmes généraux (administration, organisation, etc.) Les missions de remplacement policier
sont composées par des officiers de la police armés ayant du pouvoir policier exécutif (couvrir le
vide du respect de la loi). Les missions de renforcement policier sont formées par des officiers de
la police désarmés avec des fonctions d’éducation et formation, aide, conseil et observation de la
police locale (par exemple, construction de capacités). Au moment de rédiger cet article, l’auteur
n’avait pas eu accès à ces documents sur ces concepts génériques. Michael Merlingen et Rasa
Ostrauskaite, “ESDP Police Missions: Meaning, Context and Operational Challenges”, European
Foreign Affairs Review, vol.10, nº. 2, été 2005, p. 222.
21. Council of the EU, Civilian Headline Goal 2008, op. cit.; Gustav Lindstrom, The Headline Goal,
Section on ESDP, Paris: Institute for Security Studies 2007, pp. 5-6; Council of the EU, Civilian
Capabilities Improvement Conference – Ministerial Declaration, Document nº. 14713/05 (Presse
306), Bruxelles, 21 novembre 2005, p. 2.
22. Council of the EU, Civilian Headline Goal 2010, Document nº. 14823/07, Bruxelles, 9 novembre
2007.
23. Annika Hansen, “Security and Defence: The EU Police Mission in Bosnia-Herzegovina”, in Walter
Carlsnaes et al. (eds.), Contemporary European Foreign Policy, London & Thousand Oaks, CA:
Sage Publishers, 2004, pp. 173-185; European Council, Presidency Conclusions, Document nº.
SN200/00, Santa Maria da Feira, 19-20 juin 2000.
24. Par exemple, la Capacité civile de planification et de conduite des opérations contribuera à mettre
en œuvre la coopération civilo-militaire effective (civ-mil) pendant la phase de planification des
missions grâce à sa participation à la capacité de planification conjointe civile et militaire dans la
Cellule Civ-Mil, au sein du personnel militaire de l’UE.
25. Entretien avec un fonctionnaire du Conseil, Bruxelles, avril 2007; “EU Continues to Improve its
ESDP Structures in Order to Reinforce its Role as a Global Player”, ESDP Newsletter, Issue 4, juillet
2007, p. 6
26. Entretiens avec des fonctionnaires de la Commission, Bruxelles, avril 2007; European Commission,
A Concept for European Community Support for Security Sector Reform, op. cit., pp. 6-7, 9.
Par exemple, les pays bénéficiaires de l’assistance de la Commission sous les instruments de
préadhésion sont appuyés en vue de la réalisation des réformes dans leurs systèmes légaux, ainsi
que dans les systèmes policiers, de procédure, judiciaire, pénitencier, de douanes, et de gestion de
frontières.
27. European Commission, A Concept for European Community Support for Security Sector Reform,
op. cit., pp. 10-12; Interviews with Commission and Council officials, Bruxelles, avril 2007.
28. Council of the EU, EU Concept for ESDP Support to SSR, op. cit., p. 5.
29. Ibid, p. 4.
30. Entretien avec un fonctionnaire de la Commission, Bruxelles, avril 2007.
31. OECD DAC, Handbook on Security System Reform: Supporting Security and Justice, Paris, 2007,
Foreword.
32. Council of the EU, EU Concept for ESDP Support to SSR, op. cit., p. 21.
33. Ce point a été souligné par un fonctionnaire du Conseil pendant un entretien, Bruxelles, Avril 2007
34. Entretien, Bruxelles, avril 2007.
35. Entretien, Bruxelles, avril 2007.
36. Entretien, Bruxelles, avril 2007.
37. Entretien avec un fonctionnaire de la Commission, Bruxelles, avril 2007.
38. L’existence de ce scepticisme a été mentionnée dans plusieurs entretiens tenus à Bruxelles au mois
d’avril 2007.
39. Damien Helly, “Security Sector Reform: From Concept to Practice”, European Security Review, nº.
31, décembre 2006, p. 12.
40. Damien Helly, “Developing an EU Strategy for Security Sector Reform”, European Security Review,
nº 28, février 2006, p. 7. Pour d’autres documents sur les avantages comparatifs de l’UE en
matière de SSR cf. Saferworld, Developing a Common Security Sector Reform Strategy for the EU,
document basé sur un séminaire d’experts organisé par la Présidence du Royaume Uni de l’UE,
Commission Européenne, Saferworld and International Alert, janvier 2006.
168­
•
L’UE ET SA POLITIQUE ORIENTÉE VERS LA RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ :
UN NOUVEL EXEMPLE DE DIVISION CONCEPTUELLE-CONTEXTUELLE ?
CONCLUSIONS
• LA SÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE EN 2007 :
UNE RÉFLEXION AUTOUR DU CONCEPT DE SÉCURITÉ
HUMAINE
Eduard Soler i Lecha
Avec les contributions de :
Ángeles Espinosa, El País;
Rosa Massagué, El Periódico;
Rosa Meneses, El Mundo
•
169­
LA SÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE EN 2007 : UNE RÉFLEXION
AUTOUR DU CONCEPT DE SÉCURITÉ HUMAINE
Eduard Soler i Lecha
Coordinateur du Programme méditerranéen de la Fondation CIDOB
Avec les contributions de :
Ángeles Espinosa, El País; Rosa Massagué, El Periódico;
Rosa Meneses, El Mundo
L
es relations euro-méditerranéennes se caractérisent, dès l’origine, par des tentatives constantes de revitalisation. C’est-à-dire
par des moments où des acteurs aussi bien publics que privés
réitèrent que la Méditerranée constitue un pari de futur, une matière
recalée et un défi incontournable. Cependant, ces louables tentatives de
réactivation des relations euro-méditerranéennes, visant à avancer vers
une paix, une liberté et une prospérité partagées, ont souvent échoué
à cause des divers conflits régionaux ou en raison d’une volonté politique insuffisante.
Une des questions essentielles en 2007 a été représentée par la volonté
du nouveau Président français, Nicolas Sarkozy, de réactiver les relations
entre les pays européens et leur partenaires méditerranéens. Les premières propositions de France n’ont laissé indifférents ni le Nord ni le Sud
de la Méditerranée et, comme on a affirmé à partir de ce moment, le
mérite principal de l’initiative de Sarkozy a été de réactiver le débat sur
les questions méditerranéennes.
Une des questions
essentielles en 2007
a été représentée
par la volonté du
nouveau Président
français de réactiver
les relations entre
les pays européens
et leur partenaires
méditerranéens
Il s’agit d’un débat urgent. Tout en constatant que les dernières années
ont été témoins de progrès importants en matière de stabilisation
macro-économique des pays partenaires et que certains de ces pays
commencent à attirer des investissements extérieurs significatifs, dans
d’autres domaines la situation est bien moins prometteuse. Une bonne
partie des objectifs que les pays européens et leurs partenaires méditerranéens se sont donnés en 1995 est loin d’être accomplie. Jusqu’à
quand peut-on attendre pour en faire une réalité ?
Pendant 2007, les questions de sécurité ont été particulièrement importantes en Méditerranée bien que, malheureusement, on ne puisse
affirmer qu’il y ait eu des progrès substantiels. Le terrorisme a continué à
s’abattre au Maghreb, les relations entre l’Algérie et le Maroc ne se sont
pas améliorées, le conflit du Sahara Occidental et les différents conflits
au Proche Orient n’ont pas trouvé de solution. Dans les abords de la
Méditerranée la situation n’est pas meilleure : l’Iraq, l’Iran ou Darfour
sont toujours des foyers d’instabilité et leurs effets peuvent se faire sentir
dans le bassin méditerranéen. D’autre part, l’ancien rêve d’adopter une
Charte pour la paix et la stabilité en Méditerranée ne semble pas pouvoir
se matérialisé à court ou moyen terme.
171­
•
Comme nous avons exprimé, les objectifs de paix, liberté et prospérité
sont toujours en vigueur et tous les efforts dans ce sens sont nécessaires.
L’Espagne, et très spécialement Barcelone, sont depuis des décennies un
cadre pour la réflexion et le débat sur des questions méditerranéennes. En matière de sécurité, la Fondation CIDOB et le Ministère de la
Défense animent, depuis 2002, des séminaires de sécurité et défense en
Méditerranée offrant un lieu de rencontre entre civils et militaires, entre
représentants gouvernementaux et experts et entre citoyens de la rive
nord et de la rive sud de la Méditerranée.
Comme il en découle de la lecture de cette publication, ces séminaires
sont l’occasion d’adresser certaines des questions les plus pertinentes
en matière de sécurité en Méditerranée. Régulièrement, nous analysons
les progrès réalisés au sein des différentes initiatives de coopération,
comme le Processus de Barcelone, le Dialogue méditerranéen de l’OTAN
ou l’Initiative 5+5 dans le domaine de la Défense. Tel qu’il en découle
des contributions faites lors de ce séminaire, les progrès se produisent,
surtout, dans les domaines plus techniques et dans les cadres ayant
moins de visibilité politique. Il s’agit d’une logique de petits pas, mais qui
n’oublie pas qu’il convient de maintenir les cadres de dialogue politique
au plus haut niveau ni la nécessité d’une réflexion globale.
Cette édition du séminaire a également organisé une table ronde de haut
niveau afin d’analyser, à partir de perspectives régionales différentes, les
cadres pour la sécurité et l’insécurité en Méditerranée. À partir des interventions reprises dans cette publication, on constate, encore une fois, la
complexité des menaces, la nécessité d’intégrer dans le débat des perspectives différentes et la coexistence d’anciens conflits, avec des acteurs
connus, et de nouveaux conflits, avec de nouveaux protagonistes.
La sixième édition du séminaire de sécurité et défense en Méditerranée a
consacré de même une partie de son temps à une réflexion conceptuelle,
mais présentant des implications pratiques évidentes. Une nouvelle manière de comprendre la sécurité a pénétré aussi bien les sphères académiques
que certaines administrations publiques : il s’agit de la doctrine de la sécurité humaine. Dans le bassin méditerranéen, et notamment dans les pays
de la rive sud de la Méditerranée, différents risques en matière de sécurité
se posent non seulement aux états mais aussi à tous les citoyens.
Dans ce domaine aussi, l’Espagne et notamment la Fondation CIDOB
ont fait un effort considérable afin d’encourager une réflexion dans ce
sens-là. Le séminaire de sécurité et défense en Méditerranée a constitué
une nouvelle occasion pour approfondir dans un débat qui se traduit ou
devrait se traduire clairement dans le domaine des politiques publiques,
y compris la politique de sécurité et défense.
Les discussions sur la notion de sécurité humaine sont caractérisées
par l’étendue des thèmes qu’elles englobent ou peuvent englober. Ce
séminaire, à travers ses groupes de travail, a été axé autour de trois
questions particulièrement pertinentes. La publication que le lecteur a
dans ses mains reprend les contributions des orateurs, mais ces conclusions visent à résumer, à partir des contributions de trois rapporteurs,
certaines idées générales sur les débats qui ce sont déroulés au sein de
ces groupes de travail.
172­
LA SÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE EN 2007 : UNE RÉFLEXION AUTOUR DU CONCEPT DE SÉCURITÉ HUMAINE
•
Le groupe qui a adressé la question des libertés fondamentales a affirmé
que dans le nord de la Méditerranée il y a une confusion entre les Droits
de l’Homme et les intérêts nationaux, entre les valeurs défendues et le
comportement des responsables politiques. En ce qui concerne la promotion des libertés fondamentales, il existe en outre des différences entre
l’UE et les États-Unis, bien que les deux instrumentalisent cette question. Il
n’est donc pas surprenant que différents acteurs de la rive sud observent
les deux puissances avec une certaine prévention. Beaucoup considèrent
que la nouvelle lutte antiterroriste surgie à la suite du 11-S a accentué
l’insécurité entre le nord et le sud, le résultat étant que les libertés fondamentales sont victimes de la lutte contre l’insécurité.
Selon plusieurs analystes, le premier objectif des responsables politiques
européens est la sécurité, et ce n’est qu’après que se situe la démocratie.
Un exemple de ceci serait le traitement donné par les États-Unis et les
pays européens au mouvement Hamas, vainqueur aux élections législatives palestiniennes de 2006 qui se sont réalisées démocratiquement. De
leur part, les régimes autoritaires utilisent la lutte antiterroriste comme
monnaie d’échange avec Occident. Le soutien à certains régimes, dans
le but de freiner les islamistes, constitue un bon exemple de cela.
Les restrictions des
libertés en Europe
seraient à même de
miner la légitimité que
les Européens avaient
eue jusqu’à présent
L’UE a-t-elle la légitimité nécessaire pour promouvoir un plus grand
respect des Droits de l’Homme ? Les restrictions des libertés en Europe,
à la traîne de la politique antiterroriste des États-Unis, telles que l’information sur les voyageurs ou les fichiers d’ADN et d’autres violations
évidentes des Droits de l’Homme, comme la délocalisation de la torture,
seraient à même de miner la légitimité que les Européens avaient eue
jusqu’à présent.
Différents membres de ce groupe de travail ont affirmé que l’Europe
doit être crédible, non pas à l’égard des gouvernements mais à l’égard
des populations et, par conséquent, elle doit soutenir la société civile.
Existe-t-il une politique extérieure européenne cohérente ? Avec qui
l’UE doit-elle dialoguer ? La démocratisation de la zone a été ajournée
plusieurs décennies en raison de la guerre d’Iraq, tandis que la situation
en Iran ne constitue pas la meilleure voie pour contribuer à la sécurité en
Méditerranée.
Le Processus de Barcelone, malgré ses maints défauts, est perçu comme
la meilleure garantie de stabilité et de progrès pour la démocratie en
Méditerranée, bien qu’il soit nécessaire d’adresser ce qu’il faut faire pour
renforcer la sécurité dans le domaine des libertés fondamentales. Les
instruments existants, comme la Politique européenne de voisinage ou le
Dialogue méditerranéen (OTAN) ne sont pas suffisamment efficaces dans
ce domaine spécifique. Les plans d’action du premier de ces instruments
sont trop généraux et ses appâts insuffisants, tandis que le deuxième ne
s’occupe pas des thèmes liés aux libertés.
Un instrument plus utile pourrait être constitué par des cadres multilatéraux limités et flexibles, permettant la coopération au niveau
opérationnel entre agences de sécurité et coopération entre civils et militaires. Mais pour cela, une des conclusions des discussions de ce groupe
a été qu’il sera nécessaire que les forces de sécurité, notamment au sud,
intériorisent une vocation de service à l’État et au citoyen.
173­
Eduard Soler i Lecha
•
Le deuxième groupe de travail a adressé la coopération civile-militaire.
Un point particulièrement important quand il s’agit de proposer des
actions concrètes répondant à la logique de sécurité humaine et à la
vocation de service dont on a parlée dans le groupe précédent.
Les Forces armées
espagnoles ont fait un
effort considérable en
matière de coopération
civile-militaires lors des
missions humanitaires
et d’aide au
développement qu’elles
ont mises en œuvre
Comme il été mis en évidence dans ce groupe de travail, les Forces
armées espagnoles ont fait un effort considérable en matière de coopération civile-militaires lors des missions humanitaires et d’aide au
développement qu’elles ont mises en œuvre. Le militaires espagnols
ont fait preuve de disponibilité pour travailler aux ordres d’organisations civiles.
En prenant l’exemple de l’expérience en Afghanistan, où l’Armée dirige
l’équipe de reconstruction provinciale (PRT) de Badghis, ce groupe de
travail a mis en relief le capital que la capacité de réponse militaire
dans le domaine du transport et des infrastructures représente, tout
en soulignant sa complémentarité avec le composant civil. En fait, des
représentants militaires ont reconnu que le plus grand succès de leur
travail est de faire éventuellement disparaître le composant militaire
des PRT, preuve définitive de l’amélioration de la situation de sécurité.
Cependant, ces progrès ne doivent pas nous faire passer sous silence
que, dans la pratique, cette coopération doit faire face à certaines frictions, voire même à des intérêts opposés, avec les Organisations non
gouvernementales.
Le groupe a également révisé le contexte européen de cette coopération, ce qui a mis de relief qu’il existe encore des différences importantes
sur la façon de l’adresser. D’une part, certains membre de l’UE favorisent
la coexistence d’une aide militaire et une aide civile clairement séparées,
tandis que d’autres défendent une interaction profonde entre les deux.
Et ce, uni au cadre confus pour mettre en œuvre une action humanitaire
préventive, met en relief la nécessité de continuer à travailler afin de
définir les conditions d’action de l’UE.
Tous ont été d’accord sur le fait que tant que les conflits civils augmentent et tant que les gouvernements utilisent les Forces armées comme
instrument de leur projection extérieure, il sera nécessaire d’améliorer
la coordination et la coopération des ONG avec les Armées dans ce
domaine de l’aide humanitaire. Éventuellement, il faudra établir de
nouveaux mécanismes pour que l’effort soit plus effectif, pour mieux
utiliser l’argent des contribuables, et pou renforcer l’efficacité de l’aide
aux populations que l’on souhaite viser, aussi bien en Afghanistan qu’au
Liban ou dans les Balkans.
La toile de fond du débat a été constituée par la conviction « qu’il n’y a
pas de sécurité sans développement, ni développement sans sécurité ».
Il s’agit des deux faces de la même monnaie. Il faut se libérer de la crainte afin de reconstruire un pays –et pour cela les moyens et l’expérience
des militaires sont nécessaires mais pas suffisants– et, en même temps,
le développement contribue à sortir des situations de conflit.
Le troisième groupe a adressé la réforme du secteur de la sécurité (RSS),
une question très importante dans beaucoup de zones géographiques,
mais à laquelle on ne prête pas, encore, trop d’attention lorsqu’on adres-
174­
LA SÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE EN 2007 : UNE RÉFLEXION AUTOUR DU CONCEPT DE SÉCURITÉ HUMAINE
•
se les problèmes de sécurité et de réforme politique en Méditerranée. Le
groupe a tout d’abord débattu les concepts utilisés dans ce domaine, en
soulignant l’existence d’une fracture entre sa définition et la pratique.
Les discussions ont souligné la nécessité d’établir des approches cohérentes et régionales. Une des conclusions considère qu’une plus grande
coordination entre les organismes de l’Union européenne en matière de
politiques de RSS en Méditerranée est nécessaire. Cependant, quand
la nécessité de promouvoir les synergies avec l’OTAN a été mentionnée, certains participants ont exprimé leur opposition et leurs doutes à
l’égard du rôle de l’Alliance atlantique comme acteur aussi bien dans
l’espace méditerranéen qu’en ce qui concerne la réforme du secteur de
la sécurité.
La Turquie est un pays méditerranéen où ces questions ont un poids
important et on débat souvent si, d’une part, ce pays peut constituer un
modèle pour la Méditerranée ou pas et, d’autre part, sur la nécessité de
réformer son secteur de la sécurité. Comme il a été signalé dans la discussion, le pays fait face à plusieurs problèmes, notamment les suivants :
les problèmes de l’Armée pour accepter qu’elle se trouve sous l’autorité
des civils ; la dualité entre juridiction militaire et civile, qui produit des
situations d’impunité ; la nécessité d’une réforme de la Police et de
l’Intelligence ; le rôle du Conseil national de sécurité et sa nouvelle fonction ; les problèmes d’autoritarisme des militaires et leur propension à
freiner les processus de réforme et l’utilisation des Forces armées dans la
lutte contre le terrorisme et contre l’insurrection kurde.
La dimension du
concept des forces de
sécurité comme un
service que l’État offre
à la population devrait
permettre aux citoyens
d’évaluer les Forces
armées et d’être en
mesure de réclamer
un fonctionnement
éthique de celles-ci
Dans ce dernier point, les participants ont convenu d’affirmer que
« l’action militaire n’est pas suffisante pour combattre le terrorisme »,
partageant ce que les autres groupes avaient exprimé. Une des idées
les plus remarquables exposées pendant le débat a été la dimension
du concept des forces de sécurité comme un service que l’État offre à
la population. Cela devrait permettre aux citoyens d’évaluer les Forces
armées et d’être en mesure de réclamer un fonctionnement éthique de
celles-ci, sur la base du principe de bonne gouvernance. Quand la sécurité est considérée comme un service (à l’instar des services de santé, par
exemple), les citoyens ont la faculté de l’évaluer.
Ainsi, il a été conclu qu’il est nécessaire de développer un protocole de
transparence et de bonnes pratiques lequel, cependant, doit être préparer pour chaque pays et chaque cas spécifique, afin de trouver des
solutions locales. Dans ce sens-là, on a considéré que les expériences de
pays con le Congo, les Balkans ou d’autre états fragiles ne sont pas valables pour la région méditerranéenne, où nous ne faisons pas face à des
états échoués mais à des états autocratiques.
Les participants ont considéré que travailler sur la réforme du secteur
de la sécurité équivaut également à travailler sur la construction d’institutions de l’État, l’indépendance de la Justice et du Parlement et le
développement de la société civile. La sécurité est un concept que va
au-delà du domaine militaire et qui met en jeu, par conséquent, tout
un éventail de secteurs, comme les parlements, les gouvernements et la
société civile. Ainsi, aussi bien au Proche Orient qu’en Afrique du Nord,
il y aura une sécurité accrue et meilleure si on travaille à la construction
d’institutions démocratiques.
175­
Eduard Soler i Lecha
•
Il reste un long chemin
à parcourir, au cours
duquel il faudra
approfondir la réflexion
au niveau académique
et politique
Parfois, renforcer la sécurité et accepter les Forces armées comme colonne vertébrale des États aboutit à la « promotion de l’autoritarisme ». La
confusion entre la démocratisation des Forces armées et la réforme du
secteur de la sécurité, comprise comme la réélaboration d’objectifs et
de rôles des Forces de sécurité et la preuve d’une plus grande transparence de la part de l’institution, nous conduit de nouveau au débat sur
un contrôle renforcé des Forces armées. Cependant, dans certains pays
arabes, ce processus rencontre des résistances par crainte d’être perçus
comme plus faibles par leurs ennemis extérieurs.
Un thème controversé qui a fait sauter les alarmes parmi les participants
a été le cas des compagnies privées de sécurité et leur contribution à la
réforme du secteur de la sécurité. La plupart des participants du groupe
de débat a exprimé sa préoccupation face à l’option de donner à ces
compagnies privées de sécurité un rôle dans la réforme du secteur de la
sécurité, ce qui a été considéré comme « néfaste ». Tous pensaient au
rôle de compagnies des États-Unis, comme Blackwater, qui ont perpétré
des massacres de civils en Iraq en toute impunité.
Aucun des débats ouverts lors de ce séminaire et repris dans cette publication ne peut apporter des recettes miraculeuses pour renforcer la sécurité
en Méditerranée et la façon de le faire sans que cela ait un impact négatif
sur la sécurité individuelle des citoyens des deux rives. Il reste donc un
long chemin à parcourir, au cours duquel il faudra approfondir la réflexion
au niveau académique et politique. Ces séminaires de sécurité et défense
en Méditerranée continueront au service de cet objectif.
176­
LA SÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE EN 2007 : UNE RÉFLEXION AUTOUR DU CONCEPT DE SÉCURITÉ HUMAINE
•
RAPPORT
• III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION
MASSIVE EN MÉDITERRANNÉE 2007 : AU-DELÀ
DE LA MENACE NUCLÉAIRE
Jesús A. Núñez Villaverde et Balder Hageraats
177­
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE
EN MÉDITERRANÉE 2007 : AU-DELÀ DE LA MENACE
NUCLÉAIRE
Jesús A. Núñez Villaverde
Codirecteur de l’Institut d’Études des Conflits
et de l’Action Humanitaire (IECAH), Madrid
Balder Hageraats
Chercheur de l'IECAH
Introduction
Comme suite de l’effort promu par la Fondation CIDOB, ce troisième
rapport sur Les armes de destruction massive en Méditerranée en 2007 :
au-delà de la menace nucléaire essaye de répondre à l’intérêt suscité
en son sein, depuis déjà de nombreuses années, par les questions de
sécurité et de défense en Méditerranée. De même que dans les deux cas
précédents- Les armes de destruction massive en Méditerranée 2005 :
état de la question et perspectives et Les armes de destruction massive en
Méditerranée 2006 : une menace omnidirectionnelle- le présent rapport
rentre dans le cadre de la série annuelle des Séminaires Internationaux de
Sécurité et de Défense en Méditerranée, organisés depuis 2002 par cette
Fondation, en collaboration avec le Ministère de la Défense espagnol.
En poursuivant selon la décision adoptée à la clôture de la troisième
de ces rencontres, ces pages prétendent offrir, tant à ceux qui participent directement à ses sessions qu’à la grande communauté nationale
et internationale de sécurité intéressée par les affaires de la région, un
document qui facilite l’analyse d’un des problèmes les plus cuisants de
l’agenda international de sécurité. En même temps, il aspire à promouvoir le débat et la réflexion due à la menace que représente les arsenaux
et les programmes nucléaires, chimiques, biologiques et de missiles déjà
existants, ainsi que les essais inquiétants des différents acteurs étatiques
et non étatiques pour accéder aux armes de destruction massive (ADM).
Dans ce but, les pages qui suivent cherchent à consolider un effort qui
permet de compter sur des élément d’appui aux décisions politiques et
d’améliorer la connaissance d’une question qui influence, de manière aussi
puissante que négative, sur l’image d’une Méditerranée caractérisée, hier
et aujourd’hui, par son haut niveau d’instabilité. Si, d’un côté, des conflits
violents sont toujours ouverts aussi empoisonnés que l’arabo-israélien ou
l’iraquien, d’un autre côté, il existe différents foyers de tension qui rendent
difficile d’imaginer à moyen terme que puisse s’accomplir l’objectif proclamé
par le Processus de Barcelone de créer un espace euro-méditerranéen de
paix et de prospérité partagée. Au contraire, les principaux signaux qu’émet
la zone montrent une détérioration généralisée, non tant dans le sens NordSud que le plus complexe Sud-Sud, dans lequel d’idée d’accorder une zone
libre d’armes de destruction massive ne fait que s’éloigner à l’horizon.
179­
•
Pendant le laps de
temps écoulé depuis
la présentation du
rapport précédent la
préoccupation pour
les ADM dans la zone
méditerranéenne a
continué à augmenter
Pendant le laps de temps écoulé depuis la présentation du rapport précédent (décembre 2006) la préoccupation pour les ADM dans la zone
méditerranéenne- entendue depuis une perspective de sécurité comme
l’espace qui comprend tant l’Union européenne (UE), les Balkans et la
Russie, que le Maghreb, le Proche Orient et le Moyen-Orient, au Sud et
à l’Est- a continué à augmenter. Quand la résolution de la crise occasionnée par la nucléarisation de la Corée du Nord paraît déjà sur la bonne
voie, l’attention mondiale a été centrée au long de ces mois sur l’évolution du programme nucléaire iranien et sur les efforts de la communauté
internationale pour éviter que sa continuation ne débouche sur la détention d’une capacité militaire qui est vue comme déstabilisatrice. Dans ce
sens sont représentés, d’un côté, l’Organisme International de l’Énergie
Atomique (OIEA) et l’Union européenne, surtout au travers du groupe
de pays mené par le Royaume Uni, la France et l’Allemagne- tentant
d’explorer toutes les voies possibles de dialogue et de négociation- et,
d’un autre, le Conseil de Sécurité de l’ONU et des pays comme les ÉtatsUnis et Israël, qui sont arrivé à approuver des sanctions contre le régime
iranien et qui ont augmenté de manière significative leurs messages belliqueux, comme mécanisme de dissuasion, jusqu’alors sans succès.
Tout ceci se passe dans le cadre d’un improbable processus de non prolifération d’ADM, quand, depuis la perspective de la sécurité régionale,
la tension reste élevée et, dans certains cas, même plus haute qu’un an
auparavant. Comme le montre nettement le désastre de la situation en
Iraq, soumis à un conflit qui reste sans issue claire et dans lequel aucun des
acteurs s’affrontant n’a la capacité suffisante pour imposer son agenda. Il
convient de dire la même chose du conflit qui oppose les Israéliens à leurs
voisins arabes. À la césure brutale produite sur la scène israélo-palestinienne, avec l’ajout de la fracture interne palestinienne entre le Mouvement de
Résistance Islamique (Hamas) et l’Autorité Palestinienne contrôlée par le
Fatah, s’ajoute le front libanais, dans lequel on n’a pas su panser les blessures après le choc de l’été 2006 entre le Parti de Dieu libanais (Hezbollah) et
les Forces Israéliennes de Défense (IDF). Le Liban est aujourd’hui à nouveau
au bord de l’abîme, dans une image qui rappelle celle qui donna naissance
à sa longue et tragique guerre civile. Tandis que la Syrie épuise ses options
au Liban, en tentant d’éviter la perte d’un fief qui a toujours été considéré
comme le sien, et en même temps, en essayant d’échapper à la forte pression qui est sentie depuis Washington et, encore plus, depuis Tel Aviv.
Bien qu’à un degré très différent, le Maghreb ne peut pas non plus se
considérer comme une région stable. D’un côté le conflit qui affecte le
Sahara Occidental reste sans perspective de solution – bien que, au moins,
les conversations directes ont reprises entre les parties opposées-, ce qui
continue à bloquer toute possible avancée dans l’intégration régionale de la
région (avec l’Union du Maghreb Arabe (UMA) totalement paralysée). D’un
autre côté, la menace terroriste se développe en affectant non seulement
l’Algérie ou le Maroc mais la totalité de la région- et y compris au-delà,
jusqu’à contaminer le Sahel- avec l’augmentation de la crainte qu’inspirent
des deux côtés de la Méditerranée Occidentale des organisations comme Al
Qaeda pour le Maghreb Islamique récemment créée.
Pour ce qui concerne les structures de dialogue et de création de la confiance initiées il y a déjà des années –tant celles impulsées il y a plus d’une
décade par l’Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN), dans le cadre
180­
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
du Dialogue OTAN Méditerranée, et par l’Union européenne, à travers le
Processus de Barcelone, comme celle d’ordre sous-régional, avec le groupe
5+5 comme la plus significative- l’équilibre obtenu n’est pas excessivement
optimiste. Aucune d’elles ni séparées ni dans l’ensemble n’ont réussi à réduire les énormes brèches d’inégalité et le haut degré d’instabilité qui affectent
l’ensemble de la région. Elles n’ont pas non plus servi à éliminer la méfiance
réciproque que dans de larges cercles de l’opinion des deux côtés s’est installée avec le temps. Elles n’ont pas non plus permis, bien qu’en aucun cas
il ne faille rejeter la responsabilité principale sur ces instances, la réforme
nécessaire des systèmes qui résistent à promouvoir dans leurs territoires
respectifs l’urgence des sociétés ouvertes et pleinement développées dans
le milieu social, politique et économique. Pour ce qui concerne l’effort européen, et tandis que la Politique Européenne de Voisinage (PEV) prend corps,
une diffuse initiative française commence à poindre à l’horizon, l’Union
Méditerranéenne, qui n’a toujours pas réussi à passer des paroles aux actes
mais qui montre, en définitive, qu’on n’a toujours pas réussi à trouver la formule adéquate pour gérer les affaires euro-méditerranéennes.
Avec toute la
transcendance
que peut avoir un
hypothétique Iran
nucléaire, son entrée
dans le club ne
serait qu’un ajout
dans un panorama
déjà hautement
déstabilisateur
À côté de certains changements concernant la situation de l’année passée,
on constate immédiatement que d’autres facteurs et variables restent pratiquement inchangés douze mois plus tard. C’est pour cela que, au lieu de
répéter l’analyse de ces pays et thèmes qui, en leurs traits essentiels, n’ont
pas modifié leur profil sur le terrain des ADM, ou qui l’ont seulement fait
ponctuellement, nous avons opté pour renvoyer le lecteur aux deux rapports
précédents, en ajoutant uniquement dans celui-ci (Partie IV) les mises à jour
qu’il fallait faire à partir des données et évaluations effectuées alors. De
cette manière, et avec l’intention déjà annoncée dans le point de départ de
cette série en 2005 de couvrir successivement les divers thèmes qui composent l’agenda des ADM et qui jusqu’à aujourd’hui n’ont pu être étudiés, il
fut décidé pour cette troisième version de 1) réviser à nouveau la nature de
la menace nucléaire (Partie I), avec une attention spéciale aux facteurs qui
stimulent la prolifération globale croissante dans ce domaine et à la crise
autour du programme nucléaire iranien et à ses répercussions sur la sécurité
régionale ; 2) réaliser une étude régionale détaillée (Partie II) ; et 3) examiner
la situation sur le terrain des missiles associés aux ADM (Partie III). Le rapport
est complété par quelques annexes (Partie V) qui reprennent la liste des acronymes utilisés au long du texte, une chronologie détaillée du programme
nucléaire iranien cette dernière année et des références bibliographiques et
des sites Internet d’intérêt pour le thème analysé.
Comme toile de fond pour l’analyse reprise ici, il convient de résumer le
panorama général avec un ton de trouble croissant. Dans un scénario de
l’importance que le Maghreb, le Proche et Moyen-Orient ont pour la sécurité internationale, la prolifération des armes de destruction massive est un
fait incontournable. Avec toute la transcendance que peut avoir un hypothétique Iran nucléaire, son entrée dans le club ne serait qu’un ajout dans
un panorama déjà hautement déstabilisateur, tant pour les foyers de conflit
qui sont déjà ouverts comme pour le chemin sur lequel sont impliqués divers
acteurs étatiques (et probablement certains non étatique) pour se doter de
ces dispositifs. En plus de cela, on n’a pas pu aboutir à un modèle de gestion
de la sécurité régionale qui évite les deux poids deux mesures, qui génère un
climat de confiance mutuelle pour rompre la spirale relative à l’armement et
qui fait, idéalement, de la Méditerranée une région dans laquelle les différences peuvent se résoudre par des moyens pacifiques.
181­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
La menace nucléaire: une pluie incessante
2007 s’est terminé sans
qu’aucune initiative
régionale consistante
sur le terrain de la
prolifération nucléaire
n’ait pu être mise en
marche
Bien que soumise aux va-et-vient de l’agenda médiatique, avec de
surprenantes apparitions à la une des journaux et des disparitions également étonnantes, la menace nucléaire est une des constantes les plus
solides de notre monde, depuis sa tragique irruption à Hiroshima et
Nagasaki il y a maintenant déjà soixante ans. Ce n’est pas seulement,
comme parfois le ferait penser l’approche dogmatique de certains, une
hypothèse restreinte à la possibilité qu’un acteur non étatique (un group
terroriste, pour être plus précis) s’approprie du matériel radioactif ou une
arme déjà opérationnelle (volée, achetée ou transférée directement par
ses propriétaires), mais, surtout, une réalité dérivée du risque que représente les 27 000 armes nucléaires accumulées par l’ensemble exclusif de
pays qui les détiennent et des intentions de ceux qui désirent les imiter.
La situation actuelle est loin d’être apaisante tant que a) il n’y a pas de
signes que ceux qui la possèdent pensent sérieusement à y renoncer, y
compris certains de ceux qui prétendent les convertir en armes de combat; b) les mécanismes de contrôle sont dépassés par un développement
technologique qui offre plus d’option à la prolifération; et c) des pays
très différents (et, potentiellement, des acteurs non étatiques) succombent à la tentation d’imiter les puissances nucléaires. Si nous ajoutons à
ce panorama général le processus dans lequel s’est lancé l’Iran, on aura
une idée juste de la gravité de la menace que représentent des armes
capables d’annihiler quelconque vestige de vie humaine sur la planète.
Prolifération nucléaire, l’inquiétude permanente
Une fois de plus, et en tant que signal de frustration à peine voilée, il
faut rappeler ici que 2007 s’est terminé sans qu’aucune initiative régionale consistante sur le terrain de la prolifération nucléaire n’ait pu être
mise en marche. La Méditerranée reste une zone excessivement militarisée, tant sur le terrain conventionnel que celui des armes de destruction
massives, et où se maintient une course permanente à l’armement, en ce
compris accélérée maintenant après l’annonce récente de Washington
de réarmer ses partenaires de la région, à commencer par Israël1. Dans
ces conditions il est illusoire d’imaginer à l’agenda régional des initiatives
telles que la Zone Libre d’Armes Nucléaires (ZLAN), tant de fois mise sur
la table des différents cadres internationaux et tant de fois abandonnées
devant le manque de volonté pour explorer cette voie.
Les tendances militaristes qui dominent la région, loin d’augmenter la
sécurité de l’ensemble, restent de manière obsessive centrées sur un
réarmement global qui dérive uniquement sur l’insécurité de chacun. La
confrontation israélo-arabe est, à la différence, le facteur qui contribue
le plus directement à cette dynamique, servant ainsi de justification pour
couvrir d’autres intérêts pour augmenter les capacités sécuritaires contre
les menaces internes et celles provenant des autres voisins.
Un élément additionnel qu’il est intéressant de souligner dans ce sens de
préoccupation est l’effet multiplicateur que l’exemple de l’Iran commence
déjà à inciter. Traditionnellement référence fut faite à la position israélienne,
clairement prolifératrice et en marge de n’importe quelle régulation interna-
182­
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
tionale, sert d’argument à ses voisins pour essayer de justifier leurs intentions
plus ou moins réelles de se doter également de capacités chimiques, biologiques ou nucléaires - dans cet ordre-, pour pouvoir compenser la nette
supériorité d’un pays qui n’a toujours pas réussi à se faire accepter dans
la région. Sans que ce facteur n’ait perdu de vigueur, c’est maintenant le
programme iranien qui dans une plus grande mesure accélère avec force la
voie prolifératrice dans le monde arabe… et jusqu’en Turquie. Dans sa très
claire recherche de leadership régional, le régime chiite de l’Iran provoque
une crainte croissante parmi ses voisins (musulmans, mais majoritairement
sunnites, et non seulement arabes, mais aussi turcs), qui n’accepteront pas
passivement que Téhéran se dote d’un moyen de dissuasion si puissant. En
conséquence, on commence à entrevoir dans la région des prises de positions favorables au développement de l’énergie nucléaire qui ouvrent une
porte à de plus grandes déstabilisations dans le futur.
Vu aujourd’hui, cela
donne l’impression que
personne ne défend
sincèrement le régime
de non prolifération
nucléaire
Sur un plan plus général, un autre des facteurs qui contribuent le plus à
expliquer cette pulsion d’armement est le maintient d’une “guerre contre
la terreur”, que Washington s’entête à promouvoir malgré l’évidence de
ses effets contreproductifs, non seulement dans cette région mais sur
l’ensemble de la planète. Dans cette perspective et en ce qui concerne
la prolifération d’ADM, il est incontestable d’observer que l’orientation
principale se tourne clairement vers la contre prolifération – en misant sur
le renfort propre et allié des moyens militaires nécessaires pour détruire
les capacités ou les programmes des adversaires2-, au détriment de la
non prolifération – avec une sensation croissante de méfiance quant aux
possibilités de cadres aussi importants que le Traité de Non Prolifération
(TNP) et une critique constante du travail d’inspection de l’OIEA. Cette
tendance déstabilisatrice s’accroît encore plus lorsqu’on constate que
de nouvelles puissances nucléaires doivent suivre le comportement des
États-Unis et réévaluent aussi leur propre stratégie nucléaire, dans le but
de faire de ces armes des instruments à l’usage de combat.
Un dernier élément d’inquiétude en lien avec ce sujet est celui qui affecte
la propre santé du régime en vigueur de non prolifération. Il semble bien
éloigné maintenant le moment où fut décidé la vigueur indéfinie du
TNP (1995) et que fut établi un agenda, qui alors semblait réaliste, pour
rendre plus efficace un instrument qu’il faut tout de même qualifier de
grand succès historique3. Après cet événement marquant, qui semblait
inaugurer une nouvelle étape dans le but de libérer le monde un jour des
armes nucléaires, tout a changé rapidement avec l’irruption de l’inde et
du Pakistan dans le club à partir du printemps 1998, le néfaste 11-S, la
crise de la Corée du Nord (se retirant du TNP et faisant explosé son premier engin à l’automne 2006) et la crise ouverte avec l’Iran.
Vu aujourd’hui, cela donne l’impression que personne ne défend sincèrement le régime de non prolifération nucléaire. Ceux qui ne le font pas,
manifestement, sont ceux qui ont toujours été en marge de ses stipulations
(Israël, l’Inde et le Pakistan). Les cinq pays qui sont reconnus formellement
en tant que puissances nucléaires ne semblent pas non plus miser dessus
et utilisent le TNP de manière sélective, pour condamner certaines puissances prolifératrices (tandis qu’elles en appuient d’autres) en oubliant trop
facilement leurs propres obligations de ne pas faciliter le transfert de ces
matériaux à leurs partenaires et, surtout, d’exécuter l’ordre de réduire et
d’éliminer leurs propres arsenaux4. Laissant de côté les pays qui se consi-
183­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
dèrent ainsi en dehors de cette compétence, et qui se limitent passivement
à figurer comme signataires qui ne gardent pas d’aspiration de leadership
régional et/ou qui ne se sentent pas menacer par d’autres, il reste un grand
nombre de puissances locales et régionales (parmi lesquelles l’Iran semble
aujourd’hui le cas le plus figuratif) qui voient l’arme nucléaire comme un
recours désirable (voire indispensable) pour leurs calculs stratégiques.
En peu de mots “la demande d’armes nucléaires ne diminuera pas tant
que les états qui l’ont déjà continuent d’en faire étalage comme emblèmes propres d’une grande puissance” 5. Sur la base du comportement
de ceux qui la possèdent, ceux qui ne veulent pas accepter le statu quo
actuel prétendront sans force (ou sans motivation suffisamment puissante) augmenter leur poids international, se défendre d’une menace proche
ou compenser la supériorité d’un voisin ayant les engins nucléaires.
Dans la mesure où ce modèle de comportement se consolide, la nécessité de doter le TNP de plus de contenu perd du souffle parce qu’il ne sert
les intérêts de presque aucun acteur important ou de ceux qui aspirent
en faire partie. Pour modifier cette tendance il serait nécessaire, surtout,
de compter sur des acteurs vraiment convaincus des avantages que comporterait un monde libre d’armes nucléaires, dans lequel la recherche de
sécurité propre ne se base pas sur l’accumulation de plus et de meilleures
armes. De la même manière il faudrait “dissiper la perception que rendre
l’armement nucléaire illégal est un objectif utopique”6.
Dans une revue un minimum réaliste du panorama actuel – et en
reconnaissant que seuls les États-Unis ont la capacité pour assumer un
objectif d’une telle nature -, nous voyons que, dans la pratique, la principale puissance nucléaire au monde (après celle d’autres qui se cachent
dans une politique de pure suivisme) ne veut ni ne peut le faire. Comme
le démontre sa propre attitude, il semble évident qu’ils préfèrent miser
sur renforcer encore plus leur muscle militaire et que, en conséquence, ils
ne se sentent limités par aucun traité – que ce soit le Traité sur les Missiles
Anti-balistiques (ABM), le TNP ou le Traité jamais ratifié d’Interdiction
Complète des essais Nucléaires (CTBT, en ces sigles anglais) –quand sont
en jeux leurs intérêts nationaux. Mais, même s’ils désiraient le faire, ils ne
le pourraient pas après avoir gaspillé un indiscutable capital politique dans
des épisodes aussi négatifs que la manipulation d’arguments pour lancer
une invasion très critiquée contre l’Iraq (il ne faut pas oublier le faux débat
sur les supposées ADM du régime dictatorial de Saddam Hussein). Arrivés
à ce point, qui peut se fier aujourd’hui en Washington en tant que non
proliférateur et comme défenseur du TNP, de l’OIEA et, en général, de la
légalité internationale dans le domaine de non prolifération? Quel autre
acteur ou instance a la capacité pour mener ce processus?
Le problème découlant de cette situation n’est pas tant qu’il continue à
affaiblir encore plu le régime de non prolifération nucléaire mais que, en
plus, surgissent de nouveaux pays qui se posent ouvertement la question
de la nécessité de réviser leurs positions traditionnellement antinucléaires.
Que la Corée du Sud et, encore plus symbolique et important, le Japon
entrent dans cette dynamique devrait servir comme coup de heurtoir pour
éviter une chute dans l’abîme dont nous nous approchons dangereusement. Si s’impose le “sauve (et se défend) qui peut”, nous ne pourrons
pas empêcher que se multiplient les risques que ces armes arrivent aux
184­
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
mains indésirables et que, à un quelconque funeste moment, quelqu’un
considère que cela vaut la peine de les utiliser pour atteindre ses objectifs.
A ce qui vient d’être dit il faut ajouter la complication dérivée de
l’essor prévisible de l’énergie nucléaire en tant que voie de sortie
dans un contexte sensibilisé de manière croissante par le processus de
changement climatique dérivé, en grande mesure, de l’utilisation de
combustibles fossiles comme des moteurs de l’économie mondiale (bien
que peut-être pèse plus l’idée que ces derniers vont s’épuiser). Sans
que les problèmes de sécurité ne soient résolus dans le traitement de ce
type de matériels énergétiques – depuis le simple fait que les centrales
nucléaires puissent être vues comme des objectifs préférés pour des
groupes violents de tout type, jusqu’à ce que soit mis en avant le propre
manque de sécurité technique de ces installations et pour la radioactivité
résiduelle des matériaux déjà utilisés et stockés – l’utilisation de l’énergie
nucléaire est, à nouveau, présenté comme la meilleur manière de respecter le Protocole de Kyoto. Si ce courant d’opinions s’impose, et il y
a assez d’indications que c’est le cas7, il est facile d’imaginer qu’en peu
d’années le nombre de 442 réacteurs nucléaires actifs aujourd’hui sur la
planète semblera petit.
Si nous ne créons
pas un régime de
non prolifération
plus efficace nous
ne pourrons pas être
surpris que notre
sécurité, de tous, soit
encore plus précaire
dans un futur immédiat
Ceci signifie que, aux vues des intérêts géoéconomiques et des avancées
technologiques déjà en marche, il y aura beaucoup plus de difficultés pour
contrôler et réguler l’usage et le transfert d’un matériel aussi sensible. Le
développement de cet imparable processus ne va pas attendre – de fait ce
n’est pas ce qui se passe- qu’il existe des cadres de régulation qui éliminent
tous les problèmes de sécurité prévisibles dès à présent. Si nous ne créons
pas un régime de non prolifération plus efficace, si nous ne dotons pas
l’OIEA de plus de capacité intrusive dans ses inspections, si, en définitive,
nous ne cherchons pas de mécanismes multilatéraux de gestion adaptés à
une réalité qu’il est déjà impossible d’inverser, nous ne pourrons pas être
surpris que notre sécurité, celle de tous, soit encore plus précaire dans un
futur immédiat.
Évaluation de la crise autours du programme nucléaire iranien et
ses répercussions sur la sécurité régionale
Dans notre rapport de 2006 nous affirmions que “une grande partie de la
discussion sur la crise iranienne et sa possible prolifération nucléaire vient
des obstacles que représentent un nombre considérable de suppositions,
converties de manière erronée en faits insoupçonnables de connaissance
communément acceptée”. Un an plus tard, nous pouvons partir du même
fondement8, mais avec une différence importante et alarmante dans un
scénario aussi volatil que le Moyen-Orient : le constant échange d’accusations entre les acteurs principaux, l’évidence que l’Iran suit son programme
nucléaire (y compris l’enrichissement d’uranium), le manque de canaux
effectifs de dialogue, le climat de méfiance absolue…, configurent une
situation hautement explosive, dans laquelle les options militaires ne sont
pas écartées.
Nous nous trouvons à un point où l’accomplissement d’une prophétie
semble inévitable –l’accès iranien aux armes nucléaires-, tandis que toutes
les voies de sortie de la crise par la voie des négociations ne seront pas
185­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
épuisées. Nous serions donc, faussement, dans une situation dans laquelle
certains semblent obligés à frapper – une fois qu’ils auront constaté l’inefficacité des pressions et des sanctions-, et les autres poussés à ne pas
rétrocéder- comme unique moyen d’atteindre leur objectif de leadership
régional. Un événement de ce genre ne voudrait pas voir que le régime
iranien utilise son programme nucléaire comme un atout de négociation,
pour atteindre la reconnaissance du rôle de leadership régional convoité,
en même temps comme instrument pour obtenir des garanties de sécurité
interne face à ceux qui désirent la chute iranienne. Il ne faudrait pas non
plus comprendre que ceux qui menacent d’intervention militaire ne sont
pas, au jour d’aujourd’hui, en conditions pour passer des discours aux
faits, non seulement par manque de volonté mais par simple manque de
moyens pour mener un plan d’attaque avec des chances de succès.
Si à cela on ajoute qu’il ne faut pas plus de trois à cinq ans, selon les
sources consultées, pour que l’Iran soit en conditions d’enrichir de l’uranium à grande échelle9, nous pouvons conclure qu’il reste du temps
– bien que chaque partie puisse reconduire le processus vers une solution satisfaisante... ou au désastre.
Evolution du “Cas Iran” en 2007
L’année 2007 a commencé de la même manière qu’avait terminé l’antérieure: une augmentation graduelle des tensions quant aux activités
nucléaires iraniennes, avec l’OIEA essayant d’agir en tant qu’intermédiaire honnête entre les États-Unis et l’Iran. Comme suite à la Résolution
1696 (le 31 juillet 2006) du Conseil de Sécurité de l’ONU, le 23 décembre 2006 le Conseil approuva à l’unanimité la Résolution 1737, qui
inaugurait la séquence de sanctions internationales au régime iranien.
Dans son texte10, et après avoir confirmer le manque de volonté des
autorités iraniennes pour arrêter les activités d’enrichissement d’uranium
et de traitement du matériel nucléaire, l’idée fut admise de leur concéder 60 jours pour qu’ils cessent tout action dans ce domaine, comme
condition préalable pour commencer des négociations qui permettent
de résoudre la crise engendrée par leurs manquements antérieurs.
Simultanément, elle imposait des sanctions à des individus et des organismes iraniens liés au programme nucléaire.
Dans un climat dans lequel se font déjà entendre ouvertement des allusions à la nécessité d’utiliser la force pour éviter ce qui est considéré
comme totalement inacceptable (la maîtrise iranienne de tout le cycle
nucléaire), les installations de Natanz ont attiré une grande partie de
l’attention internationale au début de cette année. L’objectif principal
de ce cas-ci était de fouiller pour trouver quelle part de vérité il y avait
dans les annonces du régime iranien, et du propre président Mahmud
Ahmadineyad, sur l’entrée en fonction d’une cascade jusque 3.000
centrifugeuses (comme démarche préalable à l’installation de quelques
54.000, objectif final pour atteindre une production à grande échelle).
Bien que ce début d’année ait pu faire penser que la distance avant
d’entrer dans l’étape décisive de la crise se réduisait, les mois suivants
commencèrent à faire place à une nouvelle dynamique: tandis que le
président Ahmadineyad et son gouvernement continuaient avec leur
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•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
rhétorique conflictuelle, l’attitude des États-Unis et de l’Union européenne semblait perdre en intensité, y compris malgré que ce premier
trimestre se vu compliqué, le 23 mars, avec la capture iranienne de
15 marins britanniques dans des eaux du Golfe Persique11. En marge
d’autres questions mineures, il y a deux raisons principales qui expliquent
ce changement dans le comportement occidental: le manque d’effectivité de la stratégie suivie jusqu’à présent et la croissante faiblesse des
États-Unis sur la scène internationale.
Pour ce qui concerne les États-Unis, il semble chaque fois plus indéniable
que la politique récente de la Maison Blanche ajoute à l’idée de retenue
(“containment”) de l’administration antérieure, l’idée que le régime ne tombera que sous la pression directe et par la force. Quant à l’Union européenne,
sa propre faiblesse en tant qu’acteur extérieur, et surtout le sentiment que
toutes ses possibles offres et propositions sont subordonnées au dernier mot
de Washington, leur enlève du pouvoir de persuasion et d’opérationnalité
aux yeux du régime iranien, peu importe les efforts réalisés.
Jouant sur une
rhétorique extrémiste
les dirigeants iraniens
semblent être sûrs de
leur position actuelle
Tant Mohamed Jatami, avant, comme avec Ahmadineyad, maintenant,
-sans oublié que le véritable pourvoir du régime reste de manière inaltérable dans les mains du Leader Suprême de la Révolution, Ali Jamenei
–l’Iran a suivi une évolution croissante stratégiquement, jusqu’à se
convertir en une puissance régionale de plus en plus sûre de son destin.
La faiblesse relative de sa politique extérieure est plus liée à la complexité
de son environnement politique interne qu’à n’importe quelle possible
pression venant de l’extérieure. Mais rien de cela ne l’a pas empêché à
maintenir le cap d’une priorité comme celle de se convertir en un pays
nucléaire, définie il y a déjà plus de vingt ans.
Tandis que les États-Unis et l’UE ont participé à un jeu dans lequel ils
n’ont jamais obtenu un accord basique et ils ont mis en avant les indiscutables fractures du propre Conseil de Sécurité – au sein duquel la
Russie et la Chine ont servi de frein pro-iranien aux requêtes de ceux qui
désiraient adopter des positions plus fortes-, Téhéran a su manier savamment ses bases. Jouant sur une rhétorique extrémiste – malgré qu’il faille
reconnaître que son discours sur le programme nucléaire reste, en tous
cas, relativement consistent-, accompagné d’actions plus conciliatricescomme le fruit d’un calcul réaliste de la relation de forces sur la scène
international et des fractures déjà mentionnée-, les dirigeants iraniens
semblent être sûrs de leur position actuelle. Ceci fait que sa recherche de
reconnaissance internationale et de garanties quant à sa sécurité interne
se manifeste comme une position de force et non de faiblesse.
La seconde des raisons exposées plus haut- la faiblesse des États-Unis – est
directement liée au plus grand poids de l’Iran. Dans un jeu dans lequel les
deux camps (Iran et États-Unis/Israël) cherchent à asseoir leur hégémonie
territoriale, le succès de l’un signifie, invariablement, l’échec pour l’autre,
et dans ce sens le développement des événements récents a clairement
bénéficié à Téhéran. L’échec israélien au Liban, montrant les limites du
pouvoir militaire traditionnel, la montée des chiites et des partis politiques
islamistes dans la région et, manifestement, la grave situation en Iraq et
en Palestine a contribué à ce résultat. L’Iran se sent, pourtant, fortifié dans
la même mesure que se vérifie que les États-Unis et ses partenaires israéliens n’arrivent pas à imposer leur agenda dans la région.
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Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
Un effet additionnel de cette perte notoire de crédibilité de l’actuelle administration américaine, tant à l’intérieur qu’au niveau international, est que
les alternatives disponibles pour Washington se réduisent encore plus pour
agir contre son rival dans la région. Sans l’appui des principaux pays européens, des autres puissances des régimes de la région – aucun d’eux garantis
aujourd’hui, sauf des exceptions comme les britanniques, l’Arabie Saoudite
ou la Jordanie – et avec des relations difficiles avec l’OIEA12, les possibilités
pour faire face à la montée iranienne dans la région sont chaque fois moindres13. Au contraire, il est chaque jour plus irréfutable que la communauté
internationale – en compris bien entendu les États-Unis- a besoin de la collaboration iranienne pour faire face aux défis régionaux de sécurité. Dans la
recherche de solutions pour l’Iraq, dans la conformation d’un cadre régional
de sécurité dans le Golfe Persique et dans la lutte contre le terrorisme international, Téhéran devient en fin de comptes un partenaire inéluctable.
Tout ceci, en synthèse, confère aux autorités iraniennes une grande marge
de manoeuvre pour continuer plus avant avec son agenda et, appliqué à
ce cas, pour continuer son programme nucléaire sans trop d’interférences
externes. Ajoutés à l’argument réitéré sans fin que son objectif est, strictement, de doter le pays de sources énergétiques alternatives à celles qu’il
a déjà grâce à sa richesse en pétrole et en gaz, des activités qui laissent
la porte ouverte aux développement militaires futurs restent sur le fil du
rasoir. Dans ce sens, le président Ahmadineyad a annoncé, en mars 2007,
que l’Iran avait commencé la construction d’une nouvelle installation
nucléaire (avec une capacité de 360Mw) à Darkhovin et, le mois suivant,
il ajouta que les installations à Natanz avaient déjà la capacité de produire
de l’uranium enrichi à niveau industriel14.
L’approbation à l’unanimité de la résolution 1747, de la part du Conseil de
Sécurité de l’ONU, le 24 mars15, n’a même pas semblé modifier sa trajectoire dans aucun sens perceptible. Dans celle-ci il fut à nouveau exigé que
l’Iran cesse toutes ses activités d’enrichissement et de reproduction dans un
délai de maximum 60 jours et les sanctions ont été élargies à de nouveaux
acteurs (la banque d’Etat Sepah et les dirigeants du Corps de Gardes de la
Révolution Islamique), en même temps que lui fut imposé un embargo sur
les armes et que furent fermées les voies d’accès aux crédits à l’exportation
de biens iraniens. D’autre part, elle offre à l’Iran de suspendre les sanctions
si Téhéran suspend ses activités d’enrichissement et de reproduction. Si
avant cette date l’unique geste conciliateur iranien avait été la proposition
annoncée de la bouche de son principal négociateur d’alors, Ali Lariyani16,
d’établir un moratoire de 30 jours pour suspendre simultanément les sanctions et les activités nucléaires, après cette nouvelle résolution aucun geste
substantiel ne fut perçu qui permette de débloquer le processus et le plan
diplomatique.
Face à cette position iranienne, encore aujourd’hui la communauté internationale continue de croire formellement dans l’option diplomatique pour
résoudre la crise, autant que Washington prétend convaincre les autres
membres du Conseil de Sécurité de l’ONU de la nécessité d’approuver
une nouvelle Résolution. Au milieu de messages qui ne cachent pas leur
bellicisme, d’autres acteurs comme la Russie essayent de mettre les atouts
dans leur jeu, tachant de ne pas se brouiller avec leurs clients iraniens17 et
de maintenir leur image formelle de défenseur de la légalité internationale.
Ainsi une troisième vague de sanctions fut rejetée, prévue pour durer plus
188­
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III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
que les précédentes, et, bien plus, le lancement d’une attaque militaire
pour les conditions minimales actuellement (novembre 2007).
Il faudrait conclure qu’on n’a toujours pas réussi à agencer adéquatement
les pièces pour arriver à débloquer la crise dans un futur immédiat. Depuis
l’extérieur de fortes résistances se manifestent (quand ce n’est pas un rejet
authentique, comme c’est le cas de Washington, Tel Aviv et y compris Riad)
pour accepter comme irrémédiable que l’Iran se soit converti déjà en leader
régional. Pour consolider cette position, Téhéran peut croire qu’il a besoin
de l’accès à l’énergie nucléaire (civile et, probablement, militaire) et ceci est
précisément ce qu’il essaye d’éviter maintenant, en lui imposant l’interdiction
de l’enrichissement d’uranium (activité, comme c’est bien connu, permise à
n’importe quel signataire du TNP, comme c’est le cas de l’Iran). Il s’agit, qu’on
le veuille ou non, d’une stratégie fragile dans la mesure où on prétend imposer à l’Iran de renoncer à quelque chose qui est parfaitement légal. Créer une
exception à la norme générale 18 et, de plus, vouloir la fixer comme condition
préalable à toute négociation ne semblent pas être des bases suffisamment
consistantes pour mobiliser la communauté internationale (et encore moins
l’Iran) au-delà de là où les équilibres de pouvoir actuels le permet.
Depuis l’extérieur,
de fortes résistances
se manifestent pour
accepter comme
irrémédiable que l’Iran
se soit converti déjà en
leader régional
Une esquisse chronologique des événements les plus importants de la
période analysée ici (d’octobre 2006 à octobre 2007) peut être consultée en Annexe V.2.
Contamination de climat de sécurité nucléaire
On comprend aisément les préoccupations qu’un possible arsenal
nucléaire iranien provoque dans un pays comme Israël, qui jusqu’à
maintenant se félicite du monopole nucléaire dans la région. Mais aussi
pour les autres voisin régionaux et pour la communauté internationale
dans son ensemble cela présente un problème non des moindres, dérivé
du processus généralisé de prolifération mondiale et du cas particulier
iranien: il existe aujourd’hui une plus grande insécurité nucléaire par
manque de contrôle étatique. De fait, la plus grande menace qu’il faut
imaginer de nos jours, si finalement l’Iran acquiert un arsenal militaire,
ne serait pas son usage volontaire de la part du régime (trop conscient
des règles du jeu sur ce terrain et du véritable rôle des armes nucléaires
en tant qu’élément dissuasif par excellence et comme signe de prestige),
mais la possibilité que survienne un cataclysme par accident ou à cause
de l’accès de groupes terroristes à ces armes.
Déjà dans le rapport de 2006 nous avions conclu que ce qui se passe dans
la région peut déclencher l’apparition de nouveaux réseaux illicites qui trafiquent avec ces matériaux (l’exemple du pakistanais Abdel Qadeer Khan
est encore plus récent) ou qui facilitent l’accès d’acteurs non étatiques
à ce genre d’armes. De même nous affirmions que “il est important de
souligner que ce dernier ne serait pas imputable directement au régime
iranien; au contraire, il est improbable que n’importe quel État soit intéressé à partager son “trésor national avec des acteurs difficiles de contrôler.
La raison de cet hypothétique croissance serait bien plus les imperfections
des systèmes actuels de non prolifération et de contre prolifération- insuffisamment dotés pour éviter l’émergence de nouveaux États nucléaires et,
encore plus, pour assurer la transparence, la sécurité et le maintient des
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Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
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arsenaux existants et des matériaux plus sensibles de la technologie appliquée à ce domaine.” Un an plus tard, il semble important de rappeler
que nous n’avons pas de meilleurs outils pour éviter que cette hypothèse
puisse se convertir en une sombre réalité.
L’Iran ne ressent pas la nécessité de l’approbation occidentale pour
continuer son chemin vers l’énergie nucléaire. Mais, du à la frustration
dont il souffre pour ne pas être respecté et reconnu en tant qu’acteur
avec qui il faut nécessairement compter, au moins, pour gérer les affaires
régionales, il sera difficilement disposé à collaborer avec la communauté
internationale pour un problème qui nous affecte tous. En même temps,
par effet combiné des réticences iraniennes et des attaques de certains
pays importants, l’OIEA rencontre des difficultés croissantes pour accomplir ses tâches d’inspection sur le terrain. De cette façon, les essais pour
développer plus et de meilleurs canaux de coopération augmentent la
transparence autour des arsenaux et programmes nucléaires et, dans le
cas qui nous occupe, en lien avec l’Iran et son programme nucléaire.
Dans cette ambiance de méfiance et de désintérêt dans la coopération
internationale, tout programme nucléaire – civil ou militaire, iranien
ou n’importe quel autre – passe par être considéré, par définition,
comme une menace pour la sécurité. Et ceci est le cas non tant par
crainte de déchaînement d’une guerre entre états, mais pour les possibles accidents ou convoitises privées impossibles de contrôler ou gérer.
Le secrétisme absolu, l’intention d’esquiver les règles et le manque de
transparence, combinés à la volonté explicite d’obtenir des avantages
par tous les moyens, alimentent les trafics illicites et rendent difficile l’indispensable travail d’inspection que, par exemple, le TNP recommande à
l’OIEA. Dans le cas iranien, ce problème est encore plus grave à cause de
son caractère peu démocratique (par rapport à la possibilité de contrôle
public sur ce que décident et font les différentes instances de pouvoir) et
de la complexité interne d’un pays dans lequel il est difficile d’arriver à
concilier les agendas des acteurs avec des orientations qui ne convergent
pas toujours. La lutte permanente pour prévaloir sur un autre ne rend
pas facile d’ajuster les orientations émanant de la hiérarchie religieuse,
avec celle de certains personnages politiques ou avec la classe militaire. Il
faut imaginer, par conséquent, que les divergences qui sont perçues sur
un plan général se déplacent aussi au programme nucléaire, ce qui augmente la crainte du degré de contrôle qui peut être exercé en la matière.
Le fait que, étant donnée les conditions dans lesquelles il faut imaginer
que s’est développé ce programme, l’Iran dépend toujours plus de fournisseurs peu ou pas recommandables pour continuer son programme
n’est pas fait pour apaiser les inquiétudes. D’autre part, on ne peut pas
non plus dire que ses sources officielles (des entreprises russes et le gouvernement chinois, principalement) soient un modèle de transparence.
Tant pour les pays voisins que pour les autres, ces faits constituent une préoccupation qui devraient mener à une réévaluation globale de leur politique
envers Téhéran. Sous de nombreux aspects, le “cas Iran” n’est pas très
différent des autres défis de sécurité de nos jours, en ce que la pensée géostratégique du siècle passé est en train de perdre de sa vigueur rapidement.
Au lieu de l’effort dédié quasi exclusivement à contenir le pouvoir militaire
d’un possible rival, il semble bien plus conseillé de s’occuper de créer un
190­
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III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
environnement régional et global de sécurité, qui mette en jeu une vision à
long terme des capacités très diverses et multilatérales. Bien que ce soit une
répétition de ce qui a déjà été dit antérieurement, en ce qui concerne l’Iran,
une voie alternative pour réduire la menace que peu représenter sa dérive
actuelle serait celle de lui offrir des garanties de sécurité interne (comme
cela semble avoir été le cas pour la Corée du Nord) et l’acceptation de son
importance comme acteur principal dans la région. Sauf que nous pensons
que le statu quo régional puisse se maintenir indéfiniment, nettement favorable aux intérêts occidentaux, qui prétendent maintenir le contrôle de la
région sans tenir compte de Téhéran.
L’impact dans la région
Des pays à majorité
sunnite de la région ne
semblent pas disposés
à accepter passivement
la consolidation du
leadership d’un régime
chiite
En ce qui concerne les ADM, l’incertitude quant aux véritables ambitions
et à la portée réelle du programme nucléaire iranien est le principal facteur perturbateur du climat de sécurité régional au jour d’aujourd’hui.
Israël se sent chaque fois moins sûr de sa propre position – en partie à
cause de la situation dans les Territoires Palestiniens et au Liban, mais particulièrement à cause de la possibilité de perdre son monopole nucléaire
dans la région. Ces derniers temps il s’est intéressé à faire comprendre
qu’il n’admettrait pas la nucléarisation de l’Iran et, avec les États-Unis,
c’est l’acteur le plus enclin à lancer un coup de force pour l’éviter.
Pour sa part, l’Arabie Saoudite et, en bonne mesure, le reste des pays à
majorité sunnite de la région ne semblent pas disposés à accepter passivement la consolidation du leadership d’un régime chiite. Certains d’entre
eux diffusent des rumeurs sur de supposées décisions de mise en marche
de leurs propres programmes nucléaires, dirigés vers Téhéran (dans un
objectif, vain, de paralyser leur programme) et, surtout, à Washington
(pour essayer de provoquer une réaction américaine effective qui freine
ce qui est aussi considéré comme inacceptable). D’autres préfèrent activer
directement leurs propres alliés en Iran et dans certains endroits où se fait
sentir son influence, pour créer des problèmes au régime iranien et, de
cette manière, le forcer à réévaluer son agenda de domination.
Il est probable que ce soit la Turquie et l’Egypte les deux pays qui peuvent
envisager la situation, bien qu’ils le nient publiquement, avec le moins
d’inquiétude. Si finalement Téhéran fait ce qui est considéré comme le
plus prévisible (arriver à dominer le cycle nucléaire) ils verraient leur désir
s’accomplir, bien que d’une voie détournée, de mettre fin à la longue
période de monopole israélien. Bien que dans le fond ce ne soit une
bonne nouvelle pour aucun des deux, ni le gouvernement turque actuel
– qui semble être en plein processus de réévaluation de ses relations stratégiques avec Tel Aviv (et avec Washington), qui leur ont causé plusieurs
problèmes avec le monde arabe-, ni le gouvernement égyptien sont ceux
qui vont le plus s’inquiéter à court et à moyen terme de la montée perse.
De fait, il y a des indices que l’Egypte pourrait être en train d’appuyer en
secret Téhéran, avec l’idée de créer un contrepoids face à Israël19, Bien
qu’il semble difficile d’imaginer qu’il soit disposer à renoncer à sa campagne en faveur de la création d’une zone libre des armes nucléaires en
Méditerranée, pour s’embarquer dans un programme nucléaire qui finisse
par lui conférer la possession de ce type d’armement.
191­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
La perception de ce processus même par d’autres pays extérieurs à la
région varie énormément. Tandis que pour son voisin pakistanais le processus ne cause pas de notable inquiétude (les liens de collaboration
en matière nucléaire entre les deux pays sont bien connus depuis des
années), pour la Russie l’impact parait supportable. Ce n’est pas par
hasard que Moscou est le constructeur du principal projet nucléaire iranien
(la centrale de Bushehr) et un fournisseur important d’armes (y compris un
système moderne de missiles antiaériens destiné à protéger précisément
cette centrale). Parmi ses calculs pour récupérer l’influence perdue ces
quinze dernières années on trouve la création de plus de problèmes aux
États-Unis – s’embourbant et à la limite de ses capacités dans les scénarios iraquiens et afghans-, en même temps qu’elle travaille à maintenir le
processus sous un certain contrôle (elle n’arrête pas de fournir le combustible promis pour la centrale iranienne et insiste sur la future obligation
iranienne de renvoyer en retour à la Russie le matériel nucléaire déjà utilisé
dans cette centrale). Dans ce jeu dangereux, Moscou comprend qu’il peut
améliorer ses options pour ouvrir de nouveaux espaces à une zone de
commerce dans laquelle elle est bien située, augmenter sa présence dans
une région d’importance particulière géoéconomique comme le MoyenOrient et provoquer une modification du statu quo, au moins dans le
cadre régional, qui peut lui être rentable dans le futur.
La perception américaine est très différente. Ce que l’Iran prétend remettre en questions, de manière frontale, est un cadre régional contrôlé par
Washington depuis des décennies. Un contrôle qui s’est basé sur une
présence directe et sur un appui à des régimes qui ont accepté leur subordination presque sans aucune discussion. Ce qui était également le cas
iranien, jusqu’au déchaînement de la révolution en 1979. Depuis lors, la
dérive des nouveaux responsables politiques iraniens a avancé progressivement vers une remise en question directe de certains des régimes de la
région et du leadership des États-Unis. A côté d’autres décisions, le programme nucléaire suppose, si il arrive à son terme, la consolidation de l’Iran
en tant que leader régional, et par conséquent, l’émergence d’un nouveau
jeu, avec de nouvelles règles, qui puissent laisser Washington, Tel Aviv et
Riad, à côté d’autres, dans une situation beaucoup moins confortable.
Tous, en définitive, se préoccupent pour les répercussions du possible
désordre d’un processus qui atteint des niveaux de tension encore plus
hauts, dans la mesure où l’Iran continue d’avancer vers la maîtrise complète du cycle nucléaire, tandis que la communauté internationale ne trouve
pas de méthode efficace pour le freiner et que les débats se succèdent
sur de possibles plans d’attaque contre le territoire iranien. Tout ceci sans
oublier que, dans ce climat de transparence nulle, il puisse se produire un
accident ou un détournement de matériel nucléaire dans des mains moins
disposées à accepter les règles du jeu nucléaire toujours complexes.
Des pointes d’espoir
Même en étant conscients de la gravité de la crise, nous comprenons
qu’elle n’a pas encore atteint un point de non retour, par ce qu’il faut
supposer que, si réellement il existe une volonté politique dans les deux
camps, il est toujours possible d’accommoder les intérêts en jeu pour
atteindre un accord sans nécessité d’arriver à des solutions de force brute.
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III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
Actuellement on peut voir un certain optimisme, pas réellement fondé,
sur l’effectivité de la diplomatie après le succès apparent en Corée du
Nord quant à son programme nucléaire. Ce serait une erreur de penser
que ce qui s’est passé là-bas pourrait être automatiquement applicable à
la situation que pose l’Iran, étant donné que la situation des deux pays,
tant interne qu’externe, est simplement incomparable. Cependant, la possibilité de profiter des éléments que le cas coréen a mis en avant pointe à
l’horizon comme moteur de recherche de solution.
Le premier de ceux-ci est en lien avec la faiblesse structurelle de l’économie iranienne. Bien que l’Iran soit, manifestement, un pays beaucoup plus
prospère économiquement que la Corée du Nord, elle doit faire face à une
crise économique qui affecte un pourcentage important de la population,
ce qui provoque des critique et un mal être croissant contre le régime. De
même cela génère des situations aussi paradoxales que le fait que, malgré
qu’il soit un producteur de pétrole et de gaz à niveau mondial, il continue
à faire preuve d’une importante dépendance de l’extérieur en produits
raffinés et distillés. En résumé, et bien qu’au niveau de la conjoncture les
prix mondiaux de ces produits semblent lui être favorable, il sait qu’il n’a
pas assez avec ses propres potentiels financiers et technologiques pour
faire face aux demandes d’un plus grand bien-être de sa population et
pour exploiter pleinement ses immenses richesses pétrolières et gazières.
Le pays a besoin d’investissements étrangers et de collaboration technologique à un degré bien plus haut qu’actuellement. C’est dans ce plan que
peuvent être imaginées de grandes possibilités pour trouver un accord qui
satisfasse les intérêts des parties s’affrontant aujourd’hui.
Si réellement il existe
une volonté politique
dans les deux camps,
il est toujours possible
d’accommoder les
intérêts en jeu pour
atteindre un accord sans
nécessité d’arriver à des
solutions de force brute
Le deuxième élément à considérer après l’expérience coréenne est l’importance qu’a pour la résolution de la crise l’implication d’autres acteurs
régionaux avec des intérêts sur le sujet et avec des canaux de communication directs avec l’Iran. La Chine, en plus d’être un partenaire industriel de
l’Iran, a déjà fait savoir sa préoccupation au sujet du programme iranien.
La Russie a en ses mains des éléments très substantiels pour faire pencher
la balance dans un sens ou un autre, et même le Pakistan aurait beaucoup
à apporter à une stratégie de résolution pacifique du problème. Sur ces
bases, les États-Unis et l’UE devraient réorienter leurs efforts pour créer
une dynamique multilatérale qui rendraient possible une coordination
entre ces pays, comme alternative à l’actuelle réévaluation suivant les discours et les actions antagonistes de Washington et de Téhéran.
Les Armes chimiques et biologiques: une base stratégique
au XXIème Siècle?
Jusqu’à un certain point il semble logique qu’une attention médiatique
et investigatrice significative soit dédiée au thème des armes chimiques
et biologiques – la vision d’un groupe terroriste international employant,
par exemple, du gaz sarin dans un centre métropolitain est un des
soucis de tout responsable politique et des responsables de la sécurité
nationale et internationale. Cependant, d’un point de vue stratégique,
et sans dévaloriser d’un iota son potentiel destructeur, il faut reconnaître qu’elles ont perdu une grande part de leur valeur historique en tant
qu’armes d’usage possible dans le champ de bataille et sur le terrain de
la dissuasion, comme celui qui est supposé pour les ADM dans les calculs
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Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
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d’affrontement entre les acteurs nationaux. De fait, bien que de nombreux pays de la Méditerranée continuent de maintenir des arsenaux
chimiques et biologiques- et vraisemblablement continuent d’investiguer
dans ces domaines (voir Tableau 2), l’idée s’impose que leur existence et
leur possible usage pendant une hypothétique guerre leurs crée beaucoup plus de dangers que d’avantages.
En d’autres mots, il n’existe pas de fondement cohérent pour maintenir
ces armes. De ceci découle que, au lieu de continuer à insister sur l’immoralité de son usage, il serait beaucoup plus profitable que la communauté
internationale prête plus d’attention au débat sur la logique de leur existence. Aucun gouvernement national en méditerranée ne bénéficie
aujourd’hui de l’existence d’arsenaux de ce genre et ce seul facteur, par lui
seul, présente une claire opportunité d’arriver à sa complète élimination.
Le cadre international actuel dans ce domaine est défini par la
Convention des Armes chimiques (CWC, en ses sigles anglais) et la
Convention des Armes Biologiques et Toxiques (BTWC), qui aspirent à
l’éradication mondiale de ces genres d’armes. Bien que les deux aient
réussi à maintenir un rythme soutenu d’application (le Tableau 4 reprend
les résultats les plus remarquables), cependant, dans la pratique des
facteurs qui rendent difficile leur mise en œuvre existent encore et des
risques perdurent que filtre le risque de sa prolifération. Il faut souligner,
entre autres, le risque découlant des prévisions reprises dans leurs textes
respectifs, qui créent une zone d’ombres sur ce que signifie « arsenaux »
et « capacités »20. Un deuxième problème provient du fait que, en
marge de l’importance intrinsèque de ce thème, d’autres priorités ou
d’autres agendas de négociation internationale s’établissent qui finissent
par provoquer des résultats très différents de ceux originalement poursuis par ces Conventions (cédant la place dans des aspects déterminés
et au contraire certaines réussites dans d’autres domaines). De même,
la contamination permanente du thème nucléaire rend difficile la réalisation de plus d’avancées en la matière. La vision traditionnelle de ces
engins comme les “armes nucléaires des pauvres” provoque de facto
une plus grande résistance au désarmement, de la part de ceux qui veulent continuer à maintenir une certaine idée de l’équilibre, illusoire en
tous cas, face aux puissances nucléaires qu’ils perçoivent comme menaçantes (le cas israélo-arabe est, certainement le plus évident). Un dernier
élément à considérer dans le même sens est le mauvais exemple que des
puissances comme les États-Unis ou la Russie transmettent au reste de la
communauté internationale avec leur comportement21.
Tout ceci, en résumé, se traduit par ce que, malgré les apparences, il y
a toujours beaucoup de pays qui ne sont pas disposés à payer le prix
diplomatique ou économique nécessaire pour atteindre un monde libre
d’armes chimiques ou biologiques.
Prolifération chimique et biologique en Méditerranée
Pour ce qui concerne la région, et comme on le peut le voir dans le
tableau 2, la situation par pays est variée, tant en ce qui concerne son
degré d’accomplissement des deux Conventions (voir Tableau 5) que son
propre effort proliférateur dans ces mêmes domaines (voir Tableau 2).
194­
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III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
Dans les armes chimiques, la Libye, la Syrie et l’Iran ont des programmes
connus, bien que dans le cas libyen il faut souligner la coopération avec
les États-Unis et le Royaume Uni pour démanteler ses capacités depuis
trois ans. De plus, il semble probable que tant l’Egypte22 que Israël aient
encore quelque programme militaire en marche dans ce terrain, tandis
que se maintiennent les doutes sur le comportement de l’Algérie et de
l’Arabie Saoudite. Israël a bien signé la CWC, mais sans arriver encore à
la ratifier, tandis que l’Egypte, l’Iraq23, le Liban et la Libye ne l’ont même
pas signé.
Pour ce qui concerne les armes biologiques, il n’existe aucun pays qui
admette avoir des arsenaux actifs, bien que nombreux sont ceux qui
figuraient traditionnellement comme pays ayant développé des programmes dans ce domaine (depuis l’Egypte et l’Iran, en passant par
l’Algérie, Israël et la Syrie). La majorité ont signé et ratifié la BTWC, mais
certains ne sont pas arrivés à cette dernière étape (comme l’Egypte et la
Syrie) et d’autres n’ont même pas apposé leur signature (comme Israël
et la Mauritanie).
Dans le panorama
international actuel il y
a des raisons évidentes
de relations publiques
pour éviter d’apparaître
comme un pays qui
a opté pour entrer
ouvertement dans le
jeu biologique
Dans le panorama international actuel il y a des raisons évidentes de
relations publiques pour éviter d’apparaître comme un pays qui a opté
pour entrer ouvertement dans le jeu biologique. Cependant, il y a divers
pays en Méditerranée qui au minimum maintiennent leur intérêt pour
explorer les possibilités des ces armes. La Convention pour son interdiction laisse la porte ouverte à l’investigation et au développement civile et
pacifique de techniques associées à son usage, ce qui rend possible une
déviation vers des fins militaires, étant donné qu’il n’y a aucune provision
spécifique qui permette de détecter, contrôler ou vérifier si ce pas a été
finalement franchi. De plus, les installations nécessaires pour l’investigation et la production de possibles armes biologiques sont apparemment
moins complexes et, dès lors, plus faciles à cacher ou déguiser que, par
exemple, d’autres dédiées au développement de capacités nucléaires.
Au jour d’aujourd’hui, les trois pays qui apparaissent liés de manière
récurrente à de possibles programmes de production de ces armes sont
l’Iran, Israël et la Syrie.
La menace des armes chimiques et biologiques
Une des raisons qui explique la préoccupation continue quant à la prolifération des armes biologiques est celle que suscite la possibilité, aussi
lointaine qu’elle puisse paraître maintenant, que de futures avancées
technologiques finissent par convertir en réalité les théories actuelles de
contrôle sur les fonctions basiques de l’être humain, à partir des options
qu’ouvre l’ingénierie génétique. À cela s’ajoute celle qui émane du
possible transfert de capacités entre les États et des groupes non gouvernementaux (terroristes, plus spécialement). Au contraire de ce qui se
passe avec les armes nucléaires, pour les armes biologiques il est très difficile d’identifier avec précision son origine, comme produit de quelque
laboratoire spécifique de quelque pays concret. Cette circonstance rend
potentiellement plus réelle l’hypothèse d’un transfert de ce type, depuis
un État national (avec ou sans consentement explicite du gouvernement)
à un groupe violent, au pouvoir d’échapper à l’accusation de culpabilité
et, donc, à la représaille prévisible.
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Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
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Bien qu’il ne faille pas laisser de côté le panorama sombre que dessinent certains développements possibles de la technologie appliquée à
ce domaine, actuellement ses possibilités ressortent plus du monde de
la science fiction que de ce que nous analysons ici. En synthèse, il est
très probable que l’usage des armes biologiques et chimiques réelles
qui existent aujourd’hui ajoute un avantage tactique substantiel à son
propriétaire et, sur un plan stratégique, les deux restent éclipsées par les
armes nucléaires. D’un autre côté, y compris à petite échelle son usage
est abondamment complexe, comme il fut mis en lumière avec des
échecs réitérés de la secte Aum Shinrikyo (Vérité Suprême)24, dans son
essai de semer la panique et la destruction dans le cadre de son agenda
de violence développée au Japon, bien qu’elle avait plus qu’assez de ressources financières et techniques pour faire avancer ses plans.
Comme nous l’avons déjà signalé antérieurement, les armes chimiques
ont beaucoup d’aspects en commun avec les biologiques, spécialement
en ce qui concerne son “usage dual” et la “traçabilité” pour identifier l’origine de sa fabrication et, donc, la responsabilité ultime de son
usage. De même ils partagent une mauvaise image, qui alimente encore
plus le secrétisme et le manque de transparence qu’ont d’autres catégories d’armement, compliquant ainsi autant la possibilité de scrutin
publique sur celles-ci comme la nécessaire réponse de la communauté
internationale pour atteindre son contrôle et, encore mieux, sa disparition. En tous cas, bien que les armes chimiques soient plus étendues
que d’autres ADM, fondamentalement pour des raisons techniques
(elles sont à la portée de beaucoup plus d’acteurs avec une technologie
et des ressources économiques moyennes), son usage militaire reste un
exercice hautement compliqué et, en conséquence, très improbable (en
marge de ce qui est considéré comme réellement décisif, comme c’est le
cas avec les armes nucléaires, pour le cours d’un conflit violent).
Bien que l’impact de l’usage d’armes chimiques et biologiques puisse être
très grave, tant en termes de victimes directes que ses effets psychologiques au sein de la population affectée, d’un point de vue étatique il y a
aujourd’hui peu de raisons stratégiques pour investir de grands moyens
dans ces programmes. Son efficacité tactique – tenant compte de la complexité de son usage et du risque résultant pour les propres troupes –est
très réduite, surtout en comparaison avec des alternatives conventionnelles. Son importance stratégique n’est pas non plus grande, comme l’ont
démontrés les différentes guerres dans lesquelles elles ont été utilisées (ni
la première Guerre Mondiale ni celle dans laquelle se sont affronté l’Iraq et
l’Iran dans les années 80 n’arrivèrent à changer la dynamique du conflit).
Enfin, son effet dissuasif est minime ou inexistant.
Par conséquent, l’idée que ces armes soient une alternative peu chère aux
armes nucléaires n’est tenable en aucun cas: tandis qu’elles fonctionnent
comme un outil de dissuasion absolue en terme de conflit étatique, les
armes chimiques et biologiques ont été simplement une alternative de plus
dans le champ de bataille. Dans un monde globalisé, dans lequel la pression
de l’opinion publique et d’autres acteurs est chaque fois plus décisive pour
résoudre avec succès n’importe quel conflit violent, le coût d’utiliser ces
armes dans un conflit “chaud” va toujours surmonter n’importe quel bénéfice potentiel en relation avec l’ennemi direct. Cet argument vaut aussi – et
de manière encore plus convaincante – à l’échelle domestique, comme l’a
196­
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
montré, par exemple, l’essai raté de Saddam Hussein pour contrôler sa propre population kurde avec l’emploi massif d’armes chimiques en 1988.
Au contraire, les acteurs non étatiques, pour qui l’opinion publique a
moins ou aucune importance, peuvent voir des bénéfices à l’usage de
ce type d’armes, tant dans des situations de combat – par exemple,
hypothétiquement, dans un nouvel affrontement entre le Hezbollah et
Israël – comme pour des attaques terroristes. Même ainsi, l’argument
déjà mentionné pour le cas des armes nucléaires est d’application, il
est pourtant difficile d’imaginer un scénario dans lequel il y ait des gouvernement disposés à offrir ces possibilités tactiques à des groupes en
dehors de son propre contrôle (dans le cas du Hezbollah, par exemple,
il faut conclure que l’usage des armes chimiques de la part de la milice
chiite causerait un dommage immense à la Syrie et/ou à l’Iran).
Il est difficile d’imaginer
un scénario dans
lequel il y ait des
gouvernement disposés
à offrir ces possibilités
tactiques à des groupes
en dehors de son
propre contrôle
Dans le cas d’activités terroristes à échelle internationale, il n’est pas
facile d’imaginer qu’il y ait un État – bien que peut-être il puise il y avoir
des éléments au sein de l’appareil gouvernemental – disposé à assumer
le coût de se voir impliqué directement dans une attaque de ce genre.
Malgré qu’il soit certain, comme nous l’argumentions plus haut, que la
possibilité de vérifier l’origine de ces armes n’est pas aussi immédiate
que dans le cas des armes nucléaires, il est improbable qu’il y ait un
gouvernement actuel –le régime des talibans en Afghanistan étant une
claire exception – disposé à investir de sérieux moyens seulement pour
fournir à des groupes terroristes quelque chose qui entraîne autant de
risques pour la sécurité national de ce même état.
En parallèle, le risque de perdre le contrôle du processus continue à
augmenter aussi, résultant d’une avancée technologique imparable
qui facilite précisément que des groupes terroristes puissent arriver à
envisager son usage dans des cas déterminés. De fait, il semble qu’au
plus faible sont ses avantages dans le champ de bataille classique, au
plus son attrait est grand pour les terroristes. L’apparition de la “terreur
radiologique”, par exemple, montre clairement combien les armes développées au travers de programmes gouvernementaux peuvent finir par
être utilisées par des groupes en dehors du contrôle étatique25.
En définitive, malgré que l’importance stratégique des armes nucléaires restent un facteur décisif dans les calculs actuels de sécurité et de
défense mondiale et, dès lors, il est difficile d’imaginer un monde libre
de ces outils de destruction massive, il y a de réelles possibilités d’arriver
à mobiliser la volonté politique de la communauté internationale pour
éliminer ces types d’armes au sein de la catégorie des ADM. Parmi les
principales raisons pour se faire il faut souligner que :
•Elles sont difficiles à manier sur le champ de bataille
•D’un point de vue stratégique, elles ne garantissent pas la survie de l’État
•Elles ont un impact relativement mineur pendant la guerre
•Le coût politique/diplomatique de son usage est très élevé, et en
contraste avec les armes nucléaires, elles n’ont pas un caractère dissuasif suffisant pour prévenir l’éclatement d’une guerre.
•Le risque d’accident ou l’accès à des groupes non gouvernementaux
est très élevé et, dès lors, les risques augmentent pour le propriétaire
originel des armes de souffrir d’une représaille.
197­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
Ébauche d’une sortie encourageante
La possibilité d’obtenir des armes chimiques et biologiques, dans un
processus à portée mondiale qui aurait une grande importance en
Méditerranée, est aujourd’hui une option réaliste. Et le moteur d’une
étape de ces dimensions n’est pas tellement la peur que provoquent ces
armes, mais bien au contraire, le manque de crainte: les bénéfices stratégiques pour tout propriétaire de maintenir ces arsenaux ne seraient pas
suffisants pour justifier les coûts qu’il faudrait supporter si les puissances
régionales et la communauté internationale augmentent la pression derrière cet objectif. Pour la communauté internationale, l’importance de
les éliminer du scénario méditerranéen serait principalement véhiculée
par la crainte que représente un terrorisme international capable d’obtenir ces armes. Pour l’ensemble de la région en elle-même, l’élimination
de ces types d’ADM contribuerait de manière considérable à l’amélioration du climat de confiance et de coopération, aujourd’hui faiblement
développées.
D’autre part, les programmes d’investigation dans ces domaines présentent une plus grande complexité, non seulement parce qu’ils affectent
des activités de nature strictement civile et commerciale, orientés vers
un usage pacifique des avancées atteintes, mais aussi parce que certains
acteurs signalés dans la zone – comme Israël et l’Iran par exemple –veulent maintenir de manière permanente la possibilité de rentrer de nouveau
dans le jeu dans le cas où se produisent des avancées technologiques
qui comprennent des avantages pour leurs stratégies respectives ou,
encore plus préoccupant, si ils détectent que le contraire acquiert certains
avantages dans ce domaine. Même ainsi, il est faisable d’améliorer la coopération dans ce domaine, au moins en ce qui concerne l’augmentation
de la transparence et de la coopération des activités reliées.
Les bases sur lesquelles peuvent se fonder un processus de désarmement
total de ces armes sont déjà établies par l’ensemble de normes et règles
accordées sur ces thèmes pendant la dernière décennie26. A ceci il faut
ajouter ce qui est repris dans la Sixième Conférence de Révision de la
BTWC, célébrée en 200627, assumant qu’il s’agit d’accords relativement
modestes, mais avec une claire orientation d’espoir.
À un niveau plus général, cependant, le grand défi pour la communauté
internationale serait de profiter du fait que ces armes n’aient déjà plus la
même importance stratégique que dans des périodes antérieures pour
établir un authentique consensus international quant à sa complète
éradication. Menée par les principaux pays occidentaux, la communauté
internationale devrait être disposée à payer un prix élevé, tant économiquement que diplomatiquement, pour atteindre l’objectif final en
vainquant les véritables résistances qui se manifestent encore chez différents acteurs internationaux. En marge d’autres problèmes de sécurité
internationale, il serait hautement conseillé d’éviter que le haut niveau
de désaccord dans d’autres terrains (comme ce qui affecte l’Iran) finisse
par bloquer les possibilités de sortie qu’on aperçoit maintenant dans la
sphère chimique et biologique. Pour cela il serait également nécessaire
que l’antagonisme actuel entre les États-Unis et l’Iran, par exemple, ne
se portage à pratiquement toutes les conférences multilatérales. Comme
malheureusement c’est ce qui se passe dernièrement.
198­
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
Contre cette aspiration joue le fait que, à l’instant même, on n’octroie
pas la priorité nécessaire, et dès lors, on court le risque que la fenêtre
actuelle d’opportunité finisse par se fermer à court terme si d’autres
dynamiques continuent à alimenter la tension. Étant donné que l’usage
étatique de ces armes est chaque fois moins probable, les pays qui sont
encore impliqués dans la prolifération chimique ou biologique ne le font
pas par nécessité absolue, mais parce qu’ils ne perçoivent pas de raisons et stimulants suffisants pour arrêter de le faire. Pour provoquer un
tournant en lien avec ce sujet, il faut que la communauté internationale
assume l’objectif en tant que priorité à son agenda, répète qu’il y aura
des coûts diplomatiques pour ceux qui ne coopèrent pas et offre des
stimulants importants pour qu’il y ait un intérêt à s’impliquer dans le
processus de désarmement. Les mécanismes pour y arriver existent déjà;
ce qu’il faut maintenant c’est ne pas laisser passer l’opportunité.
En plus de signer les deux Conventions et d’exécuter l’obligation de
détruire les arsenaux et fermer ls programmes, d’autres pas nécessaires pour consolider un processus avec de réelles possibilités de réussite
sont: a) atteindre l’adhésion universelle à ces Convention; b) éliminer
les zones grises qui cachent des prétentions d’échapper à la lettre et à
l’esprit des ces normes; c) améliorer les mécanismes de contrôle et d’inspection pour éviter que des acteurs non étatiques intéressés à avoir ces
matériaux puissent réussir à les posséder; et d) renforcer la législation
nationale des signataires, avec la création d’autorités nationales qui servent de point de liaison et de collaboration internationale pour éviter les
usages indésirables des arsenaux ou des programmes qui existent encore
ou qui puissent être conçus.
Missiles: le quatrième type d’arme de destruction massive
A la différence de ce qui se passe avec les armes chimiques ou biologiques,
et malgré qu’ils soient fréquemment oubliés dans certaines analyses d’urgence, les programmes militaires de missiles sont des pièces clés de toute
stratégie d’ADM. Ce qui importe avec ce vecteur de lancement primordial,
mais pas unique28 est, en fonction de ses différentes portées, la capacité de
projection de pouvoir octroyé à ceux qui les possèdent. Ils accumulent un
pouvoir significatif avec des charges conventionnelles, mais ils acquièrent
leur valeur stratégique maximum lorsqu’ils transportent une tête nucléaire,
chimique ou biologique. C’est pour ce motif que les programmes de missiles génèrent tant d’inquiétude dans l’agenda de sécurité méditerranéen,
bien qu’il est connu que, tant au niveau international que régional, les tentatives de limiter leur prolifération sont faibles si pas inexistantes.
Dans le cadre défini par la “guerre préventive” émanant de Washington
des concepts déjà employés pendant la Guerre Froide, comme celui
d’attaques “préventives” ont à nouveau joué un rôle principal. Dans
une tentative forcée de cette approche préoccupante, qui permettrait
de devancer une menace hypothétique en lançant un coup avant que
celle-ci ne vienne à se matérialiser, Israël l’a déjà utilisé, par exemple en
2003, dans son attaque à un supposé camp terroriste en Syrie. Un autre
élément à prendre en considération pour comprendre l’importance internationale croissante concédés à ces artefacts est le lent développement
du système de défense stratégique américain (connu populairement
199­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
comme bouclier antimissiles), qui accélère encore plus la tentative
d’autres acteurs pour obtenir l’amélioration de ces engins pour augmenter leur portée et capacité de charge et pour surpasser les possibles
systèmes antimissiles conçus pour les détruire.
On perçoit une
inquiétude croissante
face à l’intérêt
manifeste pour
s’approprier ces armes
et pour les ostensibles
difficultés pour
mettre le holà à sa
prolifération
Dans un processus jusqu’à aujourd’hui imparable on perçoit une inquiétude croissante face à l’intérêt manifeste pour s’approprier ces armes et
pour les ostensibles difficultés pour mettre le holà à sa prolifération. En
définitive, tout programme d’ADM requiert un développement parallèle
de systèmes de livraison, parmi lesquels les missiles – principalement balistiques, mais chaque fois plus les célèbres missiles de croisière – restent
les plus représentatifs. Tandis que à échelle planétaire des pays comme le
Pakistan, l’Inde, la Chine et le Japon sont en plein processus d’actualisation de leurs capacités de missiles de croisière d’attaque à terre (LACM,
dans ses sigles anglais), dans la Méditerranée le monopole d’Israël dans
cette catégorie d’armes est très ouvertement menacé par des programmes similaires en Iran. Téhéran n’essaye pas seulement de pourvoir à ses
propres nécessités, mais a déjà commencé à renforcer ses alliés, comme
ça a été vérifié récemment avec la fourniture d’une nouvelle génération
de missiles, y compris d’avions non pilotés, au groupe libanais Hezbollah.
Malgré qu’avec la globalisation et les nouvelles technologies les possibilités de diffusion de connaissance et d’information offrent de nouvelles
possibilités pour le développement de nouveaux genres d’armes, les programmes de missiles restent encore une aire à portée d’un groupe choisi
de pays. Le développement des LACM iraniens, par exemple, dépend
quasi pour la totalité du débit d’information et de matériaux reçu de
sources russes, chinoises, nord coréennes, allemandes et françaises. Y
compris Israël, qui a une importante capacité propre pour la recherche
et la production de missiles, a un programme de missiles balistiques de
portée moyenne, avec le Jéricho -3 avec la version plus récente29, qui
est basé sur les connaissances transférées depuis l’entreprise française
Dassault (dans le cas de Jéricho – 1) et du gouvernement américain (en
ce qui concerne Jéricho – 2; qui est similaire au MGM – 31 Pershing).
Dans les autres cas qu’il faut mentionner dans la région, les missiles qu’il
peut il y avoir dans les arsenaux militaires sont le résultat de l’acquisition
directe d’un producteur étranger.
Le fait que cette dépendance du marché international pour le développement de missiles na pas mené à de meilleurs systèmes de contrôle,
pour éviter sa prolifération, a comme origine la manière avec laquelle on
a voulu comprendre la propre nature de ces armes. Traditionnellement
on a préféré les voir comme des armes conventionnelles, de telle
manière que leur emmagasinage et fabrication n’ont pas reçu l’attention publique ni diplomatique qui a été octroyé à d’autres modalités
d’armes non conventionnelles. Dans ce sens il n’y a pas eu un grand
effort pour définir mieux les zones d’ombres qui ont permis le trafic
régulier de matériel (des parties et des sous composants) et des systèmes
complets au long des décennies. Ici comme dans d’autres terrains, se
sont entremêlés des intérêts commerciaux avec des politiques, orientés
vers le renforcement de régimes alliés, tandis qu’on tâchait de fermer
la porte aux autres. En d’autres mots, au lieu d’obéir à un sincère élan
de non prolifération, on a agit à l’excès avec des critères sélectifs, moins
préoccupés par le risque intrinsèque que suppose la prolifération de ces
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•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
systèmes d’armes que pour éviter qu’elles ne tombent dans des mains
non fiables pour les intérêts du producteur ou du vendeur.
En tous cas, ces dernières années il y a eu diverses tentatives pour renforcer le régime de non prolifération pour des missiles et leurs technologies
associées. Cette dynamique fut impulsée, du moins en partie, par la
conviction que les missiles sont des éléments essentiels de la prolifération
des ADM. Mais ce fut l’accélération notoire dans la diffusion des nouvelles
technologies appliquées à ce domaine après la fin de la Guerre Froide et,
surtout, la préoccupation des programmes nucléaires de pays comme la
Corée du Nord et de l’Iran, qui ont provoqué cette nouvelle orientation30.
Le résultat le plus visible jusqu’à aujourd’hui de cette volonté, en 1999, fut
la mise en marche du régime de Contrôle de la Technologie des Missiles
(MTCR, dans ses sigles anglais), dans lequel s’additionne les efforts de
34 pays pour éviter la diffusion incontrôlée de ces engins et la technologie associée (le Tableau 6 reprend la liste de ses membres et ses objectifs
principaux). En novembre 2002 le travail réalisé dans ce cadre permit
l’approbation du Code de Conduite de La Haye contre la Prolifération de
Missiles Balistiques, qui intègre 119 membres et qui établit des restrictions
similaires au MLTCR, bien que plus larges et moins strictes. Curieusement,
bien que le MCTR serve autant pour les missiles de croisière que pour les
balistiques, le Code de Conduite de 2002 ne mentionne pas ceux de croisière, ce qui, volontairement ou non, a contribuer à conférer une certaine
légitimité à l’acquisition de LACM ces dernières années31.
Israël a le programme
de missiles le
plus avancé de
toute la région
méditerranéenne
excepté la France
Capacités en missiles israéliennes
Israël (voir le Tableau 3) a le programme de missiles le plus avancé de
toute la région méditerranéenne – excepté la France – basé en grande
mesure sur la collaboration étroite qu’elle maintient avec les États-Unis
– pour le transfert de moyens, de technologie et d’armes-, mais sans
oublier qu’elle possède déjà une grande capacité propre en tant que
producteur et exportateur. Les deux éléments centraux de son programme sont les missiles Jéricho déjà mentionnés et les sous-marins équipés
de missiles de croisière (SLCM) Popeye Turbo et Harpoon, avec la capacité de transporter des têtes nucléaires, ce qui lui confère, dès lors, une
capacité de “deuxième coup”.
À l’image de ce qui se passe pour son programme nucléaire, le secrétisme est aussi une marque d’identité dans tout ce qui affecte son
programme de missiles et au volume et aux caractéristiques de son
arsenal. En se basant dès lors sur des estimations, il semble exister un
large consensus sur l’existence de quelques 50 Jéricho 2, avec une
portée entre 1.500 et 4.000 kms. On suppose aussi que le Jéricho
3 est déjà opérationnel et que sa portée atteindrait les 7.800km, il
aurait sous son champ d’action tous les objectifs stratégiques possibles
convoités par Israël.
En plus, en intime coopération avec les États-Unis, Israël a développé le
Arrow, capable – du moins en théorie – de détruire des missiles balistiques du type Scud ou des similaires en plein vol, ce qui le convertit en
un des programmes antimissiles les plus avancés de la planète.
201­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
Après Israël, le
programme iranien
de missiles est, sans
aucun doute, le plus
remarquable de la
région
De manière similaire à ce qui se fait en Iran, l’objectif principal du programme de missiles et nucléaire d’Israël reste la défense de son intégrité
territoriale. Cela explique que ces systèmes d’armes sont principalement
pensés pour répondre à des nécessités de défense et pas tellement d’attaque. En tous cas, et à la différence de ce que l’Iran a fait du moins
jusque maintenant, Israël a démontré avoir une interprétation particulière de ce que signifie la défense de son intégrité territoriale, comme
elle l’a démontré en différentes occasions dans lesquelles elle a lancé des
opérations préventives ou “préemptives” contre certains de ses voisins.
Capacités en missiles iraniennes
Après Israël, le programme iranien de missiles est, sans aucun doute,
le plus remarquable de la région (voir Tableau 3). Son effort continu
– économique, technologique et politique – est le résultat de sa propre expérience historique (comme accumulée après son affrontement
avec l’Iraq entre 1980 et 1988), de son ardeur pour renforcer ses
capacités de leadership régional et de la volonté de garantir sa sécurité territoriale. Ses calculs actuels semblent considérer comme très
improbable une guerre ouverte déclenchée par ses principaux rivaux
militaires – en première instance Israël et les États-Unis-, spécialement
après l’échec israélien au Liban et la difficile situation de Washington
en Iraq et en Afghanistan. Au contraire, ce qu’ils perçoivent comme la
menace la plus probable est une attaque “préemptive” contre ses installations militaires ou énergétiques.
En conséquence, une étape indispensable pour faire face à cette hypothèse est de développer une capacité de défense efficace et, en même
temps, de représaille contre ceux qui pourraient arriver à l’attaquer. Sur ce
point, et étant donné la supériorité aérienne reconnue de ses opposants,
les missiles se convertissent en un instrument de grande importance. Bien
que la possibilité de compter sur des moyens de représaille ne garantisse
pas totalement la propre sécurité, au moins un armement nucléaire, sert
pour compliquer les plans de toute attaquant potentiel. Peut-être sur
base de cette explication pouvons nous comprendre la récente acquisition
iranienne à la Corée du Nord de 18 missiles BM25, avec ses lanceurs mobiles qui, avec leurs 2.500km de portée, peuvent menacer tout pays de la
région, y compris certains d’Europe continentale.
Le noyau du programme iranien est formé de la série Shahab, avec le
Shahab – 3 comme la version opérationnelle la plus avancée. Sa dernière
version (Shahab 3ER) a une portée de 2000 Km, ce qui signifie qu’il peut
atteindre Ankara, Alexandrie ou Sanaa sans avoir besoin de lance missiles
mobiles. De fait, il existe des rapports non confirmés qui laissent comprendre que l’Iran est en train d’investir dans la construction de silos pour ses
missiles, au lieu d’opter pour les traditionnelles plateformes mobiles32.
En mars 2006, l’Iran révéla qu’il avait déjà le missile balistique de portée moyenne Fajr -3 (MIRV), c’est-à-dire, avec la capacité de surmonter
certains systèmes de défenses antimissiles. Il faut interpréter le développement de cette nouvelle arme comme une réponse aux récents
programmes israéliens et américains, spécialement au bouclier antimissiles déjà mentionné.
202­
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
Pour conclure que, de la même manière qu’Israël essaye de justifier sa
position par ces engins, l’Iran prétend expliquer tous ses mouvements
dans ce domaine pour des raisons défensives. Dans la pratique, les deux
pays ont des moyens pour se défendre de ses adversaires, mais aussi
pour les attaquer si cela était sa volonté à un moment déterminé. Une
course à l’armement imparable est ainsi alimentée qui augmente l’instabilité du Moyen-Orient et qui ne semble pas avoir de fin à court terme.
D’autres capacités en missiles dans la Méditerranée
La revue de la région de ce point de vue montre que s’accumulent
de considérables, et très variées, arsenaux de missiles et que, devant
l’inexistence ou l’inefficience des mécanismes contre sa prolifération (la
Turquie est l’unique membre de la zone qui soit intégré dans le MTCR),
divers programmes sont en marche pour les améliorer. En plus de ceux
déjà analysés séparément, il faut souligner parmi les pays les plus actifs
sur ce plan la Syrie, l’Egypte et l’Arabie Saoudite (voir le Tableau 3), non
seulement pour leurs programmes relativement avancés mais particulièrement pour les liens qui se sont établis avec le programmes d’Israël et
de l’Iran.
La revue de la
région montre que
s’accumulent de
considérables, et très
variées, arsenaux de
missiles
La Syrie semble coopérer avec la Corée du Nord et l’Iran pour le développement de son Scud-B de courte portée. Selon Israël, elle a réalisé
un essai en février de cette année, bien que ceci n’ait pas été confirmé
par des sources indépendantes33. De même, il y a des indices que la
Syrie a compté sur l’appui iranien pour améliorer ses missiles de courte
portée en provenance de Chine DF-11 et DF-15. D’autres transferts
détectés seraient ceux du missile russe de plus petite portée FROG-7 et
le Misagh-1, une copie iranienne d’une copie chinoise du missile portable terre air américain FIM-92 Stinger. D’un autre côté, elle serait aussi
en train de développer de nouvelles capacités pour ses missiles Scud en
essayant d’acquérir le Iskander-E (SS-X-26) russe34.
Si c’est le cas, la Syrie aurait aujourd’hui la capacité de frapper en tout
point sur le territoire israélien, ce qui permettrait de continuer se stratégie duelle: dissuader Israël (ou hypothétiquement, les États-Unis) d’une
attaque et rester une menace pour Tel Aviv, dans son ardeur de devenir
un acteur important dans le panorama du Proche Orient.
Il ne semble pas exagéré à ce niveau de lier le programme syrien de missiles avec le Hezbollah et sa lutte contre Israël. De fait, la Syrie a laissé
entendre qu’elle a appris du conflit récent entre Israël et son allié libanais, et qu’elle réforme ses tactiques pour mieux faire face à un rival qui,
militairement, reste très supérieur. Comme l’a démontré le conflit entre
le Hezbollah et les IDF israéliens pendant l’été 2006, les missiles peuvent
contribuer de manière décisive à rééquilibrer une situation de départ
d’indiscutable infériorité militaire, et de là que la Syrie- aussi très inférieure à son rival israélien – semble augmenter son intérêt pour se doter
de plus de capacités de missiles. En tous cas, il ne convient pas d’analyser le cas syrien comme si il était uniquement présenté en fonction de ce
que Israël signifie, mais il faut comprendre que Damas a aussi la logique
de préoccupation pour garantir la survie du régime et pour tenter de
rester vu comme un acteur important de la région.
203­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
Tandis que des
avancées substantielles
ont été réalisées dans
le domaine de la
non prolifération, les
preuves se multiplient
de l’intérêt notable
et généralisé pour se
réarmer
La situation de l’Egypte est évidemment très différente, mais étant
donné ses ressources économiques et technologiques elle a aussi la
possibilité d’être un acteur significatif dans le domaine des missiles
balistiques. Cette option a été jouée pendant des décennies à travers
sa coopération avec la Corée du Nord, principalement pour développer
ses missiles Scud-B et Scud –C, se basant sur les missiles nord coréens
Hwasong 5 et 6. Cependant, l’intense pression des États-Unis semble
avoir fait de l’effet et au jour d’aujourd’hui tout indique que cette voie
de collaboration s’est fermée, bien que l’Egypte continue des développements propres dans ce domaine
Malgré qu’il n’y ait pas d’indication qu’un changement immédiat ou
radical ne se produise dans se stratégie, il est clair que l’Egypte maintienne son intention d’être un acteur important parmi le scénario
méditerranéen. Conscient de compter sur un arsenal de missiles adéquat
est une pièce centrale pour y aspirer, il est prévisible qu’elle maintienne
ouvertes ses options pour améliorer ses capacités dans ce domaine, probablement de la main de partenaires moins problématiques aux yeux de
Washington.
En de nombreux aspects, la situation de l’Arabie Saoudite est semblable à celle de l’Egypte: elle doit équilibrer ses aspirations régionales et
d’autodéfense avec sa délicate relation avec Washington. Loin de pouvoir compter sur des moyens propres qui garantissent sa sécurité dans
un environnement aussi tendu que celui du Moyen-Orient, Riad a opté
depuis des décennies pour se réfugier sous le parapluie de protection
que lui offre le leader mondial. En tous cas, c’est un des principaux
acheteurs d’armes de la planète et, dans la mesure où elle aspire aussi
à être vue comme un référent régional, son intérêt a été croissant pour
acquérir et développer ses propres plans d’armement en marge de son
protecteur historique. Dans ce sens, ses importants moyens économiques lui permettent d’explorer de nouvelles voies qui le mènent, à côté
de son intérêt notoire pour entrer dans le champ nucléaire, de se doter
de plus et de meilleurs missiles balistiques et de croisière. Il n’y a pas,
au-delà des arsenaux déjà connus (voir Tableau 3), de données concrètes sur ces plans, mais il faut imaginer que la préoccupation croissante
inspirée par l’émergence de l’Iran en tant que nouveau leader régional
et la perception que l’appui américain puisse s’affaiblir à court terme,
stimule la réaction saoudienne.
Cette revue de la situation régionale et le comportement de certains des
pays le plus importants dans ce domaine, ne peuvent que s’achever par
un signe de préoccupation. Tandis que des avancées substantielles ont
été réalisées dans le domaine de la non prolifération, les preuves se multiplient de l’intérêt notable et généralisé pour se réarmer, devant ce qui
est perçu comme un scénario en décomposition et avec la probabilité
croissante de nouveaux éclatements de violence. Dans cette dynamique
autiste, dans laquelle chacun doit se préoccuper uniquement de soimême, la sortie habituelle est celle d’augmenter les capacités militaires,
en croyant que, de cette manière, la sécurité propre augmente aussi. Un
chemin erroné dans lequel les pays de la région sont depuis longtemps,
sans avoir appris à cheminer vers d’autres voies.
204­
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
Données et nouvelles réalités35
Analyses de pays
Le tableau 1 reflète une vision générale des nouvelles et év´nements en
2006 et 2007.
Tableau 1: Nouvelles sélectionnées 2006/2007
2006
2007
Arabie
Saoudite
Rumeurs quant au début d’un possible programme nucléaire en 2003
S’est déclaré intéresser par un programme nucléaire civil en décembre Spéculations quant à un intérêt à accélérer son programme nucléaire
2006.
Egypte
Signe avec les États-Unis un accord de coopération pour éviter le Plan pour construire un réacteur nucléaire de1.000Mw à Al-Dabah (en
trafic nucléaire dans ses eaux.
10 ans), et trois autres réacteurs de 600Mw (pour 2020).
Iran
Le “cas Iran” est transféré au Conseil de Sécurité.
Continue à refuser la suspension de ses activités d’enrichissement
d’uranium.
Etend ses capacités de missiles jusqu’à atteindre les 550 unités
Construit les 95% du réacteur de Bushehr, malgré que sa finalisation soit
retardée par des problèmes financiers supposés.
Suspension de 22 projets d’aide nucléaire technique à l’Iran comme conséquences des sanctions du Conseil de Sécurité.
Plans d’atteindre les 54.000 centrifugeuses, bien que pour le moment
on estime qu’il y en ait 3.000 installées.
Israël
Continue de baser une grande partie de sa politique nucléaire sur
la menace que suppose d’Iran.
Le premier ministre, Ehud Olmert, affirme dans une interview que
Israël est une “puissance nucléaire”
Améliore le SPYDER, adopte le Iron Dome, essaye le Arrow; tous des systèmes de défense antimissiles.
Bombardement des installations syriennes qui font prétendument partie
d’un programme nucléaire secret.
Libye
Signe des accords avec les États-Unis, la Russie et la France en
Maintient sa politique de renon aux ADM.
lien avec la production d’énergie nucléaire civile.
Syrie
Réclame la signature du TNP de la part d’Israël.
Cherche l’appui étranger pour substituer les Scud-B.
Turquie
Washington congèle les activités américaines de trois organisations
gouvernementales syriennes qu’il accuse de prolifératrices d’ADM.
L’agence nucléaire turque annonce la première installation nucléaire civile
turque entre 2012 et 2015, et des plans pour en construire deux de plus.
Au plan national, et en comptant qu’un an n’est pas beaucoup de temps
pour que se produisent des changements radicaux dans un domaine
comme celui des ADM, la situation des pays de la région se synthétise
dans les pages suivantes.
Algérie
L’Algérie dispose d’un réacteur nucléaire de 15Mw (Al Salam), qui doit
probablement être réévalué à 40Mw. Est membre de la Convention
des Armes Chimiques, mais sans intégrer la Convention des Armes
Biologiques et Toxiques.
Arabie Saoudite
Bien qu’il n’y ait pas eu de nouvelles concrètes sur de possibles développements de programmes d’ADM pendant la dernière année, les
messages de Riad augmentent sur l’opportunité d’un programme
nucléaire pour augmenter son niveau de sécurité nationale (conscients
de la faiblesse structurelle de ses moyens militaires et de son excessive,
et de plus en plus gênante, dépendance du parapluie que lui fournit
205­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
Washington). Pour ce qu’on en sache, n’a pas de capacité propre pour
arriver à produire ses propres armes, bien qu’il soit probable que- à travers le financement de programmes nucléaires dans d’autres pays- elle
ait reçu de l’information sur la technologie nécessaire pour cela et sur les
possibles voies d’accès pour l’importation de composantes ou d’armes,
si à un moment telle décision serait prise.
A la fin de 2006 furent diffusés diverses déclarations de personnes
éminentes du royaume sur l’intérêt national de mettre en marche un
programme nucléaire civil. Bien que sans arriver à établir une connexion
directe avec le problème iranien, il semblait évident que les rumeurs
essayaient de montrer, au moins, l’anxiété que le développement de son
voisin chiite provoqua par ceux qui se perçoivent eux-mêmes comme le
principal référent du monde sunnite.
En décembre 2006, les membres du Conseil de Coopération du Golfe
– qui comprend l’Arabie Saoudite- maintinrent des réunions avec une
équipe de l’OIEA sur de possibles plans de développement d’un programme nucléaire civil conjoint. Il faut aussi se rappeler que des canaux
de communication sur ce thème sont toujours ouverts avec la Russie, le
Pakistan et y compris la Corée du Nord36.
Égypte
L’intention de l’Égypte de récupérer son programme nucléaire est chaque fois plus fondée. Le ministre de l’Électricité et de l’Énergie, Hasan
Younes, affirma en mars 2007 que le pays était en train de former du
personnel, de préparer les infrastructures basiques et chercher des
lieux pour le projet, dont l’objectif est d’établir 10 centrales nucléaires
génératrices d’électricité dans le pays. En même temps, il déclara qu’il
y avait des plans pour construire une centrale nucléaire de 1.000Mw à
Al-Dabah, et vraisemblablement trois autres centrales de 600Mw. On
estime que la première sera prête dans une dizaine d’années, et les trois
autres avant 2020. Jusqu’à présent, l’Égypte n’a pas manifesté son intérêt à s’embarquer dans un programme d’enrichissement d’uranium.
La communauté internationale n’a pas reçu négativement la décision
égyptienne de reprendre son programme nucléaire. Les États-Unis, la
France et Israël ne le considèrent pas comme une menace à la prolifération, tant qu’elle ne poursuive pas d’enrichissement d’uranium, et la
Russie, la Chine, les États-Unis ont déjà manifesté leur intérêt à s’impliquer dans le projet.
Younes a insisté sur le bon accueil que les plans égyptiens ont dans
la communauté internationale, avec 8 billions de livres égyptiennes
(quelques 1.000 millions d’euros) investis dans le secteur énergétique
pendant l’année fiscale 2006-2007. La Banque Mondiale, pour sa part,
déclara en mars 2007 sa disponibilité pour financer tout programme
nucléaire égyptien qui soit pacifique, et la Russie et l’Égypte sont arrivées à un accord de principe de collaborer dans ce domaine. En tous
cas, l’OIEA a déjà affirmé qu’il fallait à l’Égypte au minimum dix ans pour
pouvoir disposer de capacité nucléaire.
206­
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
Pendant ce temps, le régime égyptien continue d’actualiser ses capacités
antimissiles, au travers de contrat avec Raytheon Co. De même, cette
fois-ci avec Boeing, elle est en processus d’augmenter ses systèmes de
SM-1, SHORAD et Skygard “Aumoun”.
Iran
En marge du programme nucléaire, qui attire toute l’attention mondiale,
l’Iran a essayer avec succès le missile antiaérien sophistiqué de courte
portée Tor-M1 – qui dispose de 29 unités acquises auprès de la Russie-,
et le missile de croisière SSN4 (Raad)- qui atteint des objectifs situés à
300km de distance, peut porter des têtes de guerre jusqu’à 500kg de
poids et voler à basse altitude, en évitant de cette manière les radars et
les moyens de type électronique.
Il affirma aussi avoir essayer un lance-roquettes, en insistant en tous cas
que son objectif ultime n’est pas de lancer des missiles, mais des satellites commerciaux en orbite37. Le Pentagone affirma, au contraire, que
ce lancement est l’étape antérieure pour que l’Iran développe un Missile
Balistique intercontinental (ICBM), avec capacité d’atteindre la côte
américaine, et estime qu’il sera près pour 2015. Apparemment38 l’Iran a
réussi à convertir un de ses missiles Shahab-3 en un lanceur de satellites.
Ceci suppose de passer de véhicules lanceurs d’une seule étape (comme
le Shahab-3) à un autre de deux ou trois étapes (technologiquement
plus complexe). Si ceci est confirmé, et il existent de nombreux signes
que cela est le cas, Téhéran aurait réussi un sérieux coup de théâtre
puisque, en définitive, l’unique différence entre un lanceur de satellites
et un ICBM est, simplement, le genre de charge qui est installé à bord.
Israël
La position d’Israël reste dans la même ligne que dans les années antérieures, bien que avec un rôle, si c’est possible, plus actif qu’avant. La
déclaration –ou vraisemblablement, le lapsus – du Premier Ministre,
Ehud Olmert, en décembre passé – reconnaissant que Israël est une
puissance nucléaire – n’a pas changé ni sa traditionnelle politique d’ambiguïté calculée, ni le comportement de ses voisins.
En septembre 2007 des documents furent diffusés39 qui indiqueraient
que le pays cherchait à se réserver une position d’exception dans le régime international de non prolifération, tandis qu’elle continue à renforcer
ses liens avec des fournisseurs de technologies et de matériaux nucléaires. Dans le même mois, Israël a attaqué des installations en territoire
syrien qui, selon ce qu’il a finalement reconnu informellement quelques
semaines après, avait pour objectif de freiner son programme nucléaire
supposé. Cette action, en plus d’être un avertissement pour ses adversaires régionaux, peut être interprété comme une nouvelle approche
israélienne pour renforcer sur la scène internationale son profile comme
un acteur engagé dans la lutte contre la prolifération; tout ceci en marge
de ce qui parait improbable que la Syrie soit en train de développer un
programme nucléaire de grande portée.
207­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
La position d’Israël
reste dans la même
ligne que dans les
années antérieures,
bien que avec un rôle,
si c’est possible, plus
actif qu’avant
En général, Israël, qui combine ses propres capacités avec le soutien
qu’il reçoit d’autres pays, reste basé sur la politique de développement
de son arsenal nucléaire dans sa propension de compter sur un élément
radical de dissuasion, et une punition hypothétique, comme un dernier
recours face à de possibles scénarios de destruction de l’État dans ses
affrontements régionaux, et, chaque fois plus, dans sa perception de ce
qu’il considère aujourd’hui comme sa principale menace : l’Iran. Ainsi
s’explique, par exemple, que l’effort principal dans sa recherche se centre sur le développement de systèmes de protection contre missiles et no
sur le développement de nouveaux missiles de plus grande portée. Dans
ce sens, en novembre 2006, Israël annonça m’amélioration du SPYDER,
un système de protection antiaérienne qui peut intercepter maintenant
des menaces de moyenne portée et, en février 2007, approuva le système de défense contre des missiles de courte portée Iron Dome dont
on estime qu’il sera terminé en 24 mois. Le même mois il essaya avec
succès (en utilisant des simulation du missile balistique iranien Shahab –
3) le système de défense antiaérienne Arrow, capable d’intercepter des
missiles à une altitude bien supérieure à celle de systèmes antérieurs, ce
qui permet un deuxième essai dans le cas où le premier échoue. Dans
son ensemble ces trois systèmes sont pensés pour défendre Israël de
menaces aussi différentes que celle que représentent que les fusées rudimentaires palestiniennes Qassam ou les iraniennes Zelzal, pour laquelle il
faut augmenter le nombre de systèmes antimissiles Arrow 2 avec l’idée
de les déployer dans tout le pays40.
Sur le plan diplomatique, Israël a signé cette année la Convention des
Nations Unies pour la Répression des Actes de Terrorisme Nucléaire et,
sur le plan purement militaire, le département de Défense des États-Unis
a prorogé pour cinq autres années son appui au système israélien de
défense déjà mentionné Arrow.
Comme point additionnel de cette stratégie de défense, en mars 2007,
la Force Aérienne Israélienne (FAI) présenta une nouvelle version de son
véhicule aérien non piloté, le Heron, avec une autonomie de 30 heures
à une vitesse de 225 kilomètres par heure et une altitude de 10.000
mètres, ce qui lui fournit une portée de 6.700 kilomètres et, dès lors,
la possibilité de couvrir la totalité du territoire d’Iran et le reste de ses
voisins de Moyen-Orient. Pour le moment, l FAI a déjà reçu 8 Heron et
l’Inde a signé un accord pour en acquérir 50 autres.
De même, le 20 mars 2007, Israël mena des exercices militaires en réaction à une hypothétique attaque simultanée de missiles contre divers
points du pays. Dans l’opération furent impliqués la police et toutes les
forces de sécurité et de secours, y compris des soldats, des pompiers,
des ambulances, des fonctionnaires gouvernementaux et du personnel
sanitaire. L’opération avait pour objectif central de montrer les leçons
apprises dans la confrontation violente qui eut lieu l’été 2006 entre le
Hezbollah et les forces israéliennes.
Libye
Libye maintient sa politique de renon aux ADM. Dans ce sens, l’Organisation pour l’interdiction des Armes Chimiques étendit le terme limite, à
208­
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
l’enrichissement libyen, pour la destruction de l’arsenal d’armes chimiques de Catégorie 141, jusqu’au 31 décembre 2010. De même, l’OPAQ
s’est installé en Libye pour détruire les armes de Catégorie 242 aussitôt
que possible et, en tous cas, pas plus tard que le 30 décembre 2011.
En contraste avec ce processus, cependant, en juin 2007 la Libye refusa
de respecter l’accord, malgré qu’elle fût parvenue à un accord avec les
États-Unis pour détruire son arsenal. Il semble évident qu’il n’y a pas de
volonté libyenne de ne pas respecter ce qui est établi, mais plutôt des
raisons ponctuelles de nature économique.
D’un autre côté en avril 2007, le ministre des Affaires Extérieures affirma
que l’Agence de l’Énergie Atomique russe coopérait avec la Libye pour
le développement de l’usage pacifique de n’énergie nucléaire, particulièrement à des fins médicales.
Maroc
Le Maroc fait partie du TNP et ses agissements dans ce domaine se
limitent à une récente demande pour construire un petit réacteur de
recherche nucléaire, avec l’autorisation du gouvernement des États-Unis,
et l’annonce de son intérêt à commencer la construction d’une centrale
nucléaire, comme expliqué plus haut.
On ne lui connaît pas non plus d’arsenaux d’armes chimiques et biologiques. D’autre part, il figure comme État signataire de la BTWC et a aussi
signé mais pas ratifié la CWC.
Syrie
Tandis que la Syrie continue d’insister, d’un côté, qu’elle n’est pas impliquée dans un programme nucléaire et qu’elle n’a aucune intention de se
convertir en une puissance nucléaire, d’un autre côté, elle insiste qu’elle
pourrait se voir obligée de suivre ce chemin comme unique alternative
pour faire face au haut niveau de consommation national d’énergie (à
un rythme qui augmente de 10% chaque année) et à la chute de ses
limites de réserves pétrolifères.
A côté des problèmes dérivants de l’existence supposée d’un programme nucléaire, la Syrie se trouve en un moment encore plus délicat en
conséquence à sa détention d’armes chimiques. Si cet arsenal a été créé
à son moment pour des raisons de sécurité nationale ; maintenant sa
simple détention constitue un facteur de conflit dans la mesure où ses
ennemis se sentent menacé par cela ; il semble évident que l’abandon
de ces programmes aiderait au régime et au pays à améliorer sa sécurité ; cependant, il est difficile d’imaginer qu’une telle décision arrive à
se produire après l’effort réalisé au fil des années.
D’un point de vue analytique, il semblerait prudent que Damas réexamine ses priorités et évalue si le maintien de son arsenal chimique
compense le risque de subir des attaques de plus grande quantité de ce
qu’elle a subi le 6 septembre 2007 passé et les coûts43.
209­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
En ce qui concerne le développement des missiles, la presse israélienne
affirma en janvier 2007 que la Syrie avait essayé le Scud D, un missile
balistique de courte portée (700 kilomètres) qui aurait dan son rayon
d’action tout point du territoire israélien. Aussi, selon des sources de l’intelligentsia, la Syrie serait en train de développer des nouvelles capacités
pour le reste de son arsenal de missiles Scud en essayant d’acquérir le
Iskander-E (SS-X-26) russe.
A côté des problèmes
dérivants de l’existence
supposée d’un
programme nucléaire,
la Syrie se trouve en un
moment encore plus
délicat en conséquence
à sa détention d’armes
chimiques
Turquie
La Turquie annonça cette année ces plans pour la construction de trois
installations pour la génération d’énergie nucléaire, avec une capacité
totale de 5.000 Mw, pour un coût global de quelques 5.400 millions
d’euros et qui devraient être opérationnels entre 2012 et 2015.
Malgré que la crainte croissante générée par le programme nucléaire
iranien ait contaminé le débat national sur la nécessité de réagir à ce qui
est perçu comme une menace, il n’y a aucune preuve que Ankara ait
décidé de mettre en marche n’importe que type de programme nucléaire militaire.
Tableaux
Tableau 2: Situation globale des pays méditerranéens en ADM
Pays
Biologiques
Chimiques
Nucléaires
Arabie Saoudite
Aucune
Aucune?
Recherche
Oui
Algérie
Recherche
Développement?
Recherche
Non
Egypte
Développement?
Réserves
Recherche
Oui
Iran
Développement
Déploiement
Développement
Oui
Israël
Capacité de production
Capacité de production
Déploiement
Oui
Jordanie
Aucune
Aucune
Aucune
Non
Non
Liban
Aucune
Aucune
Aucune
Libye
Terminé
Terminé
Terminé
Oui
Maroc
Aucune
Aucune
Aucune
Non
Non
Mauritanie
Aucune
Aucune
Aucune
Syrie
Développement?
Déploiement
Recherche
Oui
Tunisie
Aucune
Aucune
Aucune
Non
Turquie
Aucune
Aucune
Aucune
Oui
Yémen
Aucune
Aucune?
Aucune
Oui
Légende :
- Capacité de Production: Capable de produire des ADM, sans avoir produit des quantités significatives.
- Déploiement : Armes nucléaires, chimiques ou biologiques intégrées dans leurs forces armées et opérationnelles.
- En Développement: Activités pour développer leur capacité de production.
- Recherche : Activité à double usage (civiles, bien que possible d’être utilisées à des fins militaires)
- Terminé : Production dans le passé. A démantelé l programme et ses munitions.
- ? rapports ou données non concluantes
Sources : Center for Nonproliferation Studies (CNS), Jaffee Center for Strategic Studies) JCSS
210­
Missiles Balistiques
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
Tableau 3: Programmes de missiles sélectionnés
Pays
Missile
Quantité
Portée (Km)
Charge (Kg)
Shahab-1 (Shehab-1, Hwasong-5, Scud-B)
200-300
320
1.000
Shahab-2 (Shehab2, Hwasong-6, Scud-C)
100-150
500
1.000
Shahab-3 (Shehab-3, Nodong)
25-100
1.000
1.000
Shahab-4
1-2 prototype
2.000
1.000
10.000
1.000
Irán
Shahab-5 (ICBM)
Tor-M1
29
Courte portée
-
SSN4 (Raad)
1
300
500
130
450
Jéricho I (SRBM)
~50
500-650
450-500
Jéricho II (MRBM)
~50
Lance (SRBM)
Israël
Syrie
1.500
1.000
Jéricho III (IRBM) en développement
4.800
inconnu
Popeye (SLCM)
200-350
200
Harpoon (SLCM)
120
200-220
SS-21 (Scarab)
200
70
160
Scud-B (SS-1C, R-17 Elbrus)
200
300
1.000
Scud-C (Hwasŏng-6)
60-120
500-600
1.000
700
1.000
2.200
2.000
Scud-D? (Nodong 1)
Arabie Saoudite
DF3-A/CSS-2
50-120
- ?: Rapport ou données non concluantes
Sources: GlobalSecurity.org, fas.org, SIPRI
Tableau 4: Résumé du cadre de la BTWC et de la CWC
Convention
Année
Résultats ressortis
BTWC
1972
Actuellement 158 pays (avec 16 en plus dont la ratification est pendante) ont signé le compromis pour interdire le
développement, la production et l’emmagasinage d’armes biologiques et toxiques.
1ª CR
1980
Réaffirmation du compromis des membres.
2ª CR
1986
Début des systèmes de vérification et des mesures de création de confiance.
3ª CR
1991
Expansion des mesures de création de confiance.
4ª CR
1996
Nouveaux protocoles de vérification.
5ª CR
2001
Sans déclaration finale à cause du veto des États-Unis. Accord sur des réunions annuelles pour renforcer la convention quant à ses mécanisme d’action en matière de sécurité, réponses internationales contre son possible usage
illégal et altérations liées, renfort des institutions pour la détection et réaction et un code de conduite pour la communauté scientifique.
6ª CR
2006
Récupération de la “dynamique positive”, perdue après l’échec de la 5ème CR. Accord sur les étapes suivantes à
discuter- bien que non négocier- divers aspects de la Convention.
CWC
1993
182 membres, engagés à interdire le développement, la production et l’emmagasinage d’armes chimique, et à
coopérer avec des mécanismes de vérification et de contrôle.
1ª CR
2003
Evaluation des mécanismes existants et réaffirmation de la volonté politique à travers deux documents finaux:
Déclaration Politique et Document de Révision.
2ª CR
2008
-
Légende :
BTWC: Convention sur l’interdiction du développement, production et emmagasinage d’armes biologiques et toxiques sur leur destruction
CR: Conférence de Révision.
CWC: Convention sur l’interdiction du développement, la production, l’emmagasinement et l’usage d’armes chimique sur leur destruction.
Sources: www.opbw.org; www.opcw.org
211­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
Tableau 5 : Participation des pays méditerranéens à la BTWC et la CWC
1972
1973
1974
1975
1979
1982
1984
1993
Arabie Saoudite SIN RAT
SIN
Algérie*
SIN
Egypte*
SIN
Iran*
SIN
1995
1996
1997
1998
2000
2001
2002
2004
DEP
SIN RAT
SPF
RAT
SIN
Israël*
DEP
SIN
Jordanie
SIN
RAT
Liban
SIN
RAT
SPF
DEP**
SPF
Libye
APR
Maroc*
SIN
SIN
SIN
Mauritanie*
DEP
DEP
RAT
SIN
Syrie*
SIN
Tunisie*
SIN
Turquie*
SIN
Yémen
SIN
2007
DEP
DEP
SPF
SPF
RAT
RAT
RAT
SIN
DEP
SIN
DEP
SIN
DEP
Autres acteurs méditerranéens
États-Unis*
SIN
RAT
France*
SIN
APR
Royaume Uni*
SIN
RAT
SIN
SIN
DEP
DEP
DEP
Légende :
* = Membre de la Conférence sur le Désarmement de l’ONU
** = Déposé comme instrument d’adhésion.
SIN – Signé; RAT – Ratifié; APR – Approuvé; DEP – Déposé; SPF – Sans Participation Formelle.
BTWC: Convention sur l’interdiction du développement, production et emmagasinage des armes biologiques et toxiques et sur leur destruction
CWC: Convention sur l’interdiction du développement, production, emmagasinage et usage d’armes chimiques et sur leur destruction
Sources: www.opbw.org; www.opcw.org
Tableau 6 : Données basiques du MTCR
212­
Membres
Allemagne, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Bulgarie, Brésil, Canada, Danemark, Espagne, ÉtatsUnis, Fédération Russe, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Italie, Japon, Luxembourg,
Norvège, Nouvelle Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Royaume Uni, République Tchèque, République
de Corée, Afrique du Su, Suisse, Suède, Turquie et Ukraine.
Objectifs
Limiter la diffusion de technologie et systèmes – missiles avec un minimum de 500kg de charge et
300km de portée de véhicules aériens non pilotés (UAV) utilisés comme vecteurs de lancement des armes
nucléaires.
Coopération et transparence dans le commerce lié.
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
Annexes
Liste d’acronymes
ABM
Traité sur les Missiles Anti-Balistiques.
ADM
Armes de Destruction Massive
BTWC Convention d’Armes biologiques et Toxiques (Biological and
Toxins Weapons Convention).
CTBT
Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires
(Comprehensive Test Ban Treaty).
CWC
Convention des Armes Chimiques (Chemical Weapons
Convention).
ICBM Missile Balistique Intercontinental (Intercontinental Ballistic
Missile).
IDF
Forces Israéliennes de Défense (Israeli Defense Forces).
IRBM Missile Balistique de Portée Intermédiaire (Intermediate-Range
Ballistic Missile).
LACM Missile de Croisière d’Attaque à Terre (Land Attack Cruise
Missiles).
MIRV Véhicule de Réentrée Multiple et Indépendante (Multiple
Independently Targetable Re-entry Vehicle).
MLRS Système de Lance-roquette Multiple (Multiple Launch Rocket
System).
MRBM Missile Balistique de Portée Moyenne (Médium-Range Ballistic
Missile).
MTCR Régime de Contrôle de Technologie des Missiles (Missile
Technology Control Regime).
OIEA
Organisme International de l’Énergie Atomique.
ONU
Organisation des Nations Unies.
OPAQ Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques
OTAN Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.
PEV
Politique Européenne de Voisinage.
SLBM Misile Balistiqe Lancé depuis Sous-marin (Submarine-Launched
Ballistic Missile).
SLCM Misile de croisière Lancé depuis Sous-marin (SubmarineLaunched Cruise Missile).
SRBM Missile balistique de Courte Portée (Short-Range Ballistic
Missile).
SSBN
Sous-marin Nucléaire doté de Missiles Balistiques (Ballistic
Missile Submarine).
TNP
Traité de Non-prolifération des armes nucléaires
UE
Union Européenne
UMA
Union du Magreb Arabe.
UVA
Véhicle aérien non habité (Unmanned Aerial Vehicle).
ZLANZone libre d’Armes Nucléaires.
213­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
Chronologie du programme nucléaire d’Iran (octobre 2006/octobre
2007)
28/10/2006. L’Iran confirma qu’elle a mis en fonctionnement une
deuxième cascade de centrifugeuses pour l’enrichissement d’uranium. .
23/11/2006. Mohamed El Baradei dit qu’il reste encore diverses questions pendantes avant de pouvoir dire qu’il n’existe pas d’activités
nucléaires « non déclarées » en Iran.
23/12/2006. La Résolution 1737 du Conseil de Sécurité de l’ONU est
approuvée à l’unanimité. Elle impose des sanctions contre l’Iran après
qu’il n’ait pas arrêté son enrichissement d’uranium comme l’exigeait la
Résolution 1696.
06/02/2007. L’Iran continuait l’installation de 3.000 centrifugeuses à
Natanz, contre l’ultimatum du conseil de Sécurité de l’ONU. L’objectif
final est l’installation de 54.000 centrifugeuses.
10/02/2007. L’OIEA suspend la moitié de ses projets d’assistance technique à l’Iran. C’est une réaction contre le manque de coopération de
Téhéran et dépend de l’approbation du comité de l’organisme.
22/02/2007. L’OIEA publiait son rapport pour le Conseil de Sécurité
sur les activités nucléaires de l’Iran. Il soutient que Téhéran a accéléré
l’enrichissement d’uranium au lieu de respecter l’ultimatum du conseil.
Il contient aussi de l’information sur la construction continue d’installations nucléaires, les activités sur les installations de Natanz et l’expansion
du nombre de centrifugeuses.
06/03/2007. le chef de l’agence atomique iranienne, Gholam Reza
Aghazadeh, déclara que l’Iran a commencé la construction d’une nouvelle installation nucléaire à Darkhovin. Elle aura une capacité de 360
Mw.
09/03/2007. Le comité de l’OIEA approuva la suspension de 22 projets
d’assistance nucléaire à l’Iran. Cela fait partie de l’imposition de sanctions de la part du Conseil de Sécurité de l’ONU.
21/03/2007. La construction du réacteur nucléaire à Bushehr semble
être arrêté après le retrait de techniciens et d’ingénieurs de la part de
la Russie. La Russie allègue qu’il y a un retard dans les payements de la
part de Téhéran.
24/03/2007. La Résolution 1747 est adopté unanimement au Conseil de
Sécurité de l’ONU. Elle impose des sanctions contre l’Iran y compris en
commerce d’armes et des moyens financiers.
09/03/2007. Le président Mahmud Ahmadineyad annonça que l’Iran a
la capacité de produire du combustible nucléaire à niveau industriel.
23/04/2007. Des officiels russes déclarèrent que, par manque de fonds
iraniens pour faire face aux payements pendants, le réacteur de Bushehr
ne pourra pas être opérationnel avant l’été 2008.
214­
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
15/05/2007. L’Iran refusa le « plan suisse » pour arrêter son enrichissement d’uranium en échange d’une suspension des sanctions de l’ONU
envers le pays.
25/07/2007. L’Iran avertit qu’il considérait des « sanctions illégales » - en
menaçant de se retirer du TNP- la suite des sanctions de l’Onu en réaction contre son programme nucléaire.
27/08/2007. L’OIEA publia un document élaboré pour l’Iran sur la coopération entre l’organisme et Téhéran.
02/09/2007. Mahmud Ahmadineyad annonça que l’Iran a atteint des
objectifs importants pour son programme nucléaire et a 3.000 centrifugeuses opérationnelles pour l’enrichissement d’uranium.
11/10/2007. L’Iran dit qu’elle a remis de l’information sur ses centrifugeuses lors d’une réunion avec l’OIEA. De plus elle exprime son espoir
sur la viabilité d’un plan suisse pour faciliter le dialogue entre l’Iran et la
communauté internationale.
215­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
Sources des tableaux et autres sites liés d’intérêt
216­
•
Sigle
Nom
Site Web
ACA
Arms Control Organization
www.armscontrol.org
OPBW
Biological and Toxin
Weapons Convention
www.opbw.org
CNS
Center for Non proliferation
Studies
http://cns.miis.edu
CDI
Center for Defense Informationwww.cdi.org
CTBTO
Preparatory Commission for
the Comprehensive NuclearTest-Ban Treaty Organization
www.ctbto.org
FAS
Federation of American
Scientists
www.fas.org
Global Security.org
www.globalsecurity.org
OIEA
Organisme International
de l'Énergie Atomique
www.iaea.org
IMF
International Monetary Fund
www.imf.org
ISIS
Institute for Science and
International Security
www.isis-online.org
NTI
Nuclear Threat Initiative
www.nti.org
OPAQ
Organisation for the
Prohibition of Chemical
Weapons
www.opcw.org
SIPRI
Stockholm International
Peace Research Institute
www.sipri.org
The
Bulletin of
Bulletin the Atomic Scientists
www.thebulletin.org
UNTD
http://untreaty.un.org
United Nations Treaty
Database
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
Notes
1. Pour un premier aperçu sur le sujet, Jesús A. Núñez, “Vente d’armes, stabilité et démocratie au
Moyen-Orient”, El Pais, 9 août 2007
2. Si en 1981 Israël a accompli cette tâche, en détruisant ce qui aurait été le premier réacteur nucléaire iraquien Osirak, maintenant (le 6 septembre de cette année) tout indique que leurs avions de
combat ont fait de même en territoire syrien.
3. Obtenir que cinq puissances nucléaires s’engagent à réduire, voir éliminer, leurs arsenaux et que le
reste des 188 signataires renoncent à acquérir une capacité si extraordinaire que le nucléaire.
4. La Grande Bretagne est l’unique membre de ce groupe exclusif qui a osé, du moins en termes
théoriques, développer une vision qui pose la question du renon aux arsenaux qu’elle possède.
5. Ainsi l’analyse avec précision George Perkovich dans “The End of the Nonproliferation regime?”,
Current History, novembre 2006.
6. Commission sur les Armes e Destruction Massive (2007): les armes d la terreur; libérant le monde
des armes nucléaires, chimiques et biologiques, UNESCO Etxea/Association pour les Nations Unies
en Espagne.
7. Il suffit de signaler, dans la région, la décision que le Maroc a fait connaître en mars de construire
une centrale nucléaire (dont le contrat comprend, pour le moment, des entreprises russes, américaines et françaises) ou l’accord signé par le Liban avec les États-Unis, également en mars, pour
reprendre le développement des activités nucléaires à des fins pacifiques.
8. Dans le cadre d’une rencontre des pays membres de l’OIEA, son directeur, l’égyptien Mohamed El
Baradei, assura que malgré les quatre années utilisées à inspecter les ambitions nucléaires de l’Iran,
son organisation est incapable d’assurer de manière irréfutable que le programme nucléaire iranien
soit de nature pacifique. USA Today, 5 mars 2007.
9. Ce point ne serait, dans le pire des cas, pas plus qu’une étape intermédiaire, bien qu’importante,
du processus pour acquérir une capacité militaire opérationnelle sur le terrain nucléaire des années
plus tard.
10. http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/N06/681/45/PDF/N0668145.pdf?OpenElement
11. Ils furent libérés treize jours après leur détention, comme un “cadeau de Paque” dans les termes
du propre président Ahmadineyad, qui n’a pas hésité à mener cette courte crise pour récupérer
le rôle principal face à ses rivaux internes, très critiques avec sa gestion et encore plus devant les
mauvais résultats des alliés du président aux élections municipales de décembre passé.
12. Le 7 juillet 2007, Mohamed El Baradei avertit- selon la BBC – contre « les nouveaux fous qui veulent bombarder l’Iran”, http://news.bbc.co.uk/2/hi/programmes/nuclear_detectives/6707457.stm
13. Ainsi semble le montrer l’impact minime des sanctions probables jusqu’à présent au sein du
Conseil de Sécurité de l’ONU.
14. Malgré que tout indique que la quantité de centrifugeuses installées n’est pas encore celle nécessaire pour atteindre ce point et que, au contraire, les problèmes techniques se succèdent pour
atteindre un rendement optimal de celles déjà connectées.
15. http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/N07/281/43/PDF/N0728143.pdf?OpenElement
16. Après plusieurs essais infructueux de démission, il abandonna finalement son rôle le 20 octobre
2007 et fut substituer par Saeed Jlili, jusqu’alors vice ministre des affaires extérieures pour l’Europe
et l’Amérique.
17. Il est intéressant d’observer le jeu de Moscou, en tant que principal fournisseur du réacteur de
Buhsher, pour ne pas perdre l’équilibre, conservant ses liens avec Téhéran mais, dans la pratique,
repoussant à plusieurs reprises le calendrier d’entrée de l’ensemble de l’oeuvre et, spécialement, le
combustible nucléaire pour débuter la production.
18. Qui, de fait, fonctionna pendant la période 2003-05, quand l’Iran répondit positivement à la
demande de l’Allemagne, la France et la Grande Bretagne pour entrer dans les négociations.
19. D. Dassa Kaye & F.M. Wehrey (2007): “A Nuclear Iran: The Reactions of Neighbours”, Survival, 49
(2), pp.111-118.
20. Il reste difficile de distinguer entre les raisons scientifiques et les activités militaires, comme le
démontre clairement les ambiguïtés du General Purpose Criterion de la CWC, selon lequel sont
interdits tous les produits “chimiques toxiques et leurs précurseurs, exceptés ceux dédiés à des
buts non interdits par cette Convention, toujours en genre et quantités consistantes avec de tels
objectifs”.
21. Il suffit de se souvenir que, sur le terrain des armes chimiques, les deux accumulaient, au moment
de l’entrée en vigueur de la CWC (1997), 98% de celles qui existaient au niveau mondial.
Aujourd’hui (2007), avec l’horizon du compromis acquis que en avril 2012 il ne doit plus exister
aucune arme chimique, les États-Unis ont détruit seulement 40% de leur arsenal et la Russie uniquement 20%.
22. L’Egypte a un clair profile proliférateur dans ce domaine. Il est suffisamment prouvé qu’il utilise des
bombes de gaz mostaza durant la guerre du Yémen, entre 1963 et 1967. Il semble aussi probable
que, juste avant la Guerre du Yom Kippour (1973), elle ait transféré des armes chimiques à la Syrie.
23. C’est un pays qui a eu des arsenaux et des programmes de développement dans ce domaine et qui
les a utilisés dans le contexte de sa guerre contre l’Iran (1980-1988) et contre sa propre population
kurde. Dans l’actualité (novembre 2007) il négociait avec l’Organisation pour l’Interdiction des
Armes Chimiques (OPAQ) son intégration dans le processus international.
217­
Jesús A. Núñez Villaverde y Balder Hageraats
•
24. Après dix tentatives ratées, son unique attaque “réussie” fut celle effectuée en juillet 1995, en
utilisant du gaz sarin dans le métro de Tokyo.
25. J. Acton, M. Brooke Rogers & P. D. Zimmerman (2007): “Beyond the Dirty Bomb: Re-thinking
Radiological Terror”, Survival, 49(3), pp.151-168.
26. Pour un résumé actuel de la situation voir Graham S. Pearson (2006): “The Importance of
Implementation of the General Purpose Criterion of the Chemical Weapons Convention”, Kemijau
Industri, 55(10), 413-422, http://knjiznica.irb.hr/hrv/kui/vol55/broj10/413.pdf. Ainsi que Nicholas A.
Sims (2007): “The Future of Biological Disarmament: New Hope After the Sixth Review Conference
of the Biological Weapons Convention”, The Non Proliferation review, 14(2), http://cns.miis.edu/
pubs/npr/vol14/142toc.htm
27. http://www.opbw.org/rev_cons/6rc/6rc_press.htm
28. Il faut aussi inclure dans ce chapitre différents types d’avions de combat, des véhicules aériens non
pilotés (UAV, dans ses sigles anglais), des véhicules spatiaux et des vecteurs terrestres aussi classiques que les célèbres « sac à dos nucléaires » ou les mines nucléaires.
29. Probablement opérationnel depuis 2005.
30. C’est une donnée choquante qui ne semble pas avoir beaucoup de préoccupation pour la combinaison de missiles avec des armes chimiques ou biologiques, bien que ce fut cette combinaison
exactement celle qui causa l’augmentation de l’intérêt pour la prolifération des missiles à échelle
mondiale après les attaques de l’Iraq contre Israël avec des missiles Scud, en 2003. Sans fondement clair pour cela, la vision qui associe les armes biologiques et chimiques au terrorisme semble
s’imposer, tandis que les missiles tendent à être lié presque en exclusivité avec les armes nucléaires.
31. Ainsi le comprend, avec une vision critique et préoccupée Dennis M. Gormley, dans « Missile
Defence Myopia: Lessons from the Iraq War,” Survival, vol. 45, no. 4 (Winter, 2003-04), pp. 61-86.
32. Comme le reprend Uzi Rubin dans “The global range of Iran’s ballistic missile program”, Jerusalem
Issue Brief V. 5, N. 26, 20 juin 2006, Jerusalem Center for Public Affairs.
33. “Israeli media says Syria has tested Scud,” Agence France Presse, 2 février 2007.
34. Selon le Nuclear Threat Initiative (www.nti.org).
35. Les auteurs désirent reconnaître la contribution de Júlia Viladomat dans l’élaboration de cette partie du rapport.
36. Les contacts avec ces deux derniers pays semblent être une conséquence d’opérations financières
réalisées pendant la décennie précédente.
37. Il est probable qu’il s’agisse d’un Taepodong-2 nord coréen, auquel on a simplement changé la
peinture extérieure et le drapeau, mais dans ce cas cela montrerait le niveau de collaboration avec
la Corée du Nord (et avec le Pakistan) et la volonté de faire un saut dans ces dimensions de la part
du régime iranien.
38. Aviation Week &Space Technology, 26 janvier 2007.
39.George Jahn, Israel Seeks Exemption From Atomic Rules, Associated Press, 25 septembre 2007.
40. Actuellement il existe deux séries déployées, une au sud et un autre au nord. La troisième série
pourrait se déployer près du complexe nucléaire de Dimona.
41. Armes basées sur des substances chimiques “schedule 1” (calendrier 1). Sont désignées comme
« haut risque », et comprennent le sarin et le VX.
42. Armes basées sur des substances chimiques de “non-schedule 1” (non calendrier 1). Elles sont
conçues comme « risque significatif », et comprend le phosgène.
43. Comme elle le matérialisa le 4 janvier 2007, quand Washington décida de congeler les actifs
américains de 3 organisations gouvernementales syriennes, accusées de prolifératrices d’armes de
destruction massive.
218­
•
III RAPPORT SUR LES ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE EN MÉDITERRANÉE 2007 :
AU-DELÀ DE LA MENACE NUCLÉAIRE
PROGRAMME DU SÉMINAIRE
L
L’initiative d’organiser ce séminaire de façon conjointe date
de l’année 2002. Depuis, et avec une périodicité annuelle,
le Ministère de la Défense et la Fondation CIDOB ont réuni
à Barcelone les principaux experts, du domaine académique et
gouvernemental, civiles et militaires, impliqués dans l'étude et la
pratique de la sécurité et la défense en Méditerranée.
Cette rencontre vise, tout d’abord, à renforcer la transparence et
la connaissance en relation avec le développement et la mise en
oeuvre des différentes initiatives dans le domaine de la sécurité.
Deuxièmement, il s'agit d'encourager des espaces de relation et
de connaissance mutuelle entre des personnalités d'origines et de
disciplines différentes. Troisièmement, nous visons à contribuer
au débat politique et académique sur la sécurité et la défense en
Méditerranée.
Dans cette édition le Séminaire donne une attention particulière
aux scénarios de sécurité en Méditerranée ainsi que des aspects
liées à la sécurité humaine (libertés fondamentales, coopération
civil-militaire et reforme du secteur de la sécurité).
219­
•
LUNDI, 5 NOVEMBRE 2007
16:00INAUGURATION
Paroles de bienvenue :
Narcís Serra, Président de la Fondation CIDOB
Inaugural conferences :
José Antonio Alonso, Ministre de la Défense de l’Espagne
João Mira Gomes, Secrétaire d’Etat à la Défense et aux
Affaires de la mer, Portugal
Pause café
18:00BALANCE DES INITIATIVES DE COOPÉRATION
La PESC et la PESD en Méditerranée
Martín Ortega, Professeur de droit international,
Universidad Complutense, Madrid
Le Processus de Barcelone et la Politique Européenne de
Voisinage
Eduard Soler, Coordinateur du Programme Méditerranée,
Fondation CIDOB, Barcelone
Coopération en Méditerranée Occidentale : 5+5
Mario Rino Me, Amiral, Président 5+5, Ministre de la
Défense de l’Italie
Le dialogue méditerranéen de l’OTAN et initiative de
coopération d’Istanbul
Alberto Bin, Chef d’Affaires Régionales et Dialogue
Méditerranéenne de l’OTAN
Débat
Modérateur :
Luis M. Cuesta Civís, Secrétaire Général de la Politique de
Défense, Ministère espagnol de la Défense
Dîner
Orateur invité : Général Félix Sanz, Chef d'État-Major des
Forces Armées Espagnoles
220­
PROGRAMA DEL SEMINARIO
•
MARDI, NOVEMBER 6, 2007
10:00TABLE RONDE : SCÉNARIOS DE SÉCURITÉ (OU INSÉCURITÉ)
EN MÉDITERRANÉE
Alvaro de Vasconcelos, Directeur, Institut d’Études sur la
Sécurité de l’Union Européenne (ISS-EU), Paris
Khadija Mohsen-Finan, Chargé de recherche, Institut
Français de Relations Internationales (IFRI), Paris
Shlomo Ben-Ami, Vice-Président, Centro Internacional
Toledo para la Paz, Madrid
Fred Halliday, Professeur de Relations Internationales,
Institut Barcelona d'Estudis Internacionals (IBEI) et London
School of Economics (LSE)
Ian O. Lesser, Chargé de recherche, German Marshall Fund
of the United States
Meliha Altunisik, Professeure de Relations
Internationales , Middle East Technical University (METU),
Ankara
Débat
Modérateur :
Haizam Amirah Fernández, chargé de recherche,
Méditerranée et Monde Arabe, Real Instituto Elcano,
Madrid
Déjeuner
15:00COMITÉS DE TRAVAIL SUR LA SÉCURITÉ HUMAINE
COMITÉ A :
LIBERTES FONDAMENTALES ET SÉCURITÉ EN MÉDITERRANÉE
Président :
Jean-François Coustillière, contre-amiral, Chef de cabinet, JFC Conseil
Orateurs :
Isabelle Werenfels, Stiftung Wissenschaft und Politik
(SWP), Berlin
Nadir Benseba, Fédération Internationale de Journalistes,
Alger
Salam Kawakibi, Kawakibi Centre for Democratic
Transition, Paris
Reporter :
Rosa Massagué, El Periódico de Catalunya
221­
PROGRAMA DEL SEMINARIO
•
COMITÉ B :
COOPÉRATION CIVIL-MILITAIRE DANS LE CADRE DES
MISSIONS HUMANITAIRES
Président :
Hans Gunter Brauch, Président de l’AFES-PRESS, chercheur
à l’Institut pour l’environnement et la sécurité humaine
(UNU-EHS)
Orateurs :
Benito Raggio, Général de Division, Directeur Général de
politique de défense, Ministère espagnol de la Défense
Radek Khol, SG Conseil de l’UE, DGE IX
Francisco Javier Gan Pampols, Coronel des Forces
Armées espagnoles
Reporter :
Ángeles Espinosa, El País
COMITÉ C :
RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ
Président :
Yahia Zoubir, Professeur de Relations Internationales,
Euromed Marseille école de management
Orateurs :
Arnold Luethold, Centre for the Democratic Control of
Armed Forces (DCAF), Genève
Volkan Aytar, Turkish Economic and Social Studies
Foundation (TESEV), Istanbul
Gemma Collantes, chercheuse postdoctorale, Institut
Barcelona de Relacions Internacionals (IBEI), Barcelone
Reporter :
Rosa Meneses, El Mundo
Pause café
18:00CLÔTURE
Présentation du rapport 2007 sur les Armes de Destruction
Massive
Jesús Núñez Villaverde, Directeur, Instituto de Estudios
sobre Conflictos y Acción Humanitaria (IECAH), Madrid
Rapport des comités de travail : Rosa Massagué, El Periódico de
Catalunya; Ángeles Espinosa, El País; Rosa Meneses, El
Mundo
Conclusions finales
Celia Abenza, Directrice Générale des Relations
Institutionnelles, Ministère espagnol de la Défense
19:00COCKTAIL
222­
•

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