La place de l`homme dans la mondialisation et la situation de l`Europe

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La place de l`homme dans la mondialisation et la situation de l`Europe
La place de l'homme dans la mondialisation
et la situation de l'Europe
A. Approche du phénomène de la mondialisation
Bibliographie
Rouet, Mgr Albert, Faut-il avoir peur de la mondialisation ? Enjeux spirituels et
mission de l'Eglise, Paris, Desclée de Brower, 2000
Justice et Paix France, Maîtriser la Mondialisation, Paris, Centurion-Cerf, 1999
Passet, René L'Illusion Néo-libérale, Paris, Fayard, 2000
Eloge du Mondialisme par un « anti » présumé, Paris, Fayard, 2001
Edgar Morin, Anne Brigitte Kern Terre Patrie Seuil mai 1993
Erik Orsenna Voyage au pays du Coton Fayard 2006
1. La mondialisation
a.. Sens général du mot "mondialisation"
C'est un processus par lequel tous les aspects de notre vie se règlent à l'échelle
de la planète : ce que je fais est influencé par le reste du monde et a des
conséquences pour le reste du monde. La manière dont je fais mes achats peut
aider un petit cultivateur d'Amérique du sud, ou lui nuire... Une parole
maladroite du pape en Allemagne peut entraîner la mort d’une religieuse en
Somalie.
b. Qui gouverne le monde globalisé ?
1. Les grandes institutions mondiales
En 1944 les pays qui avaient gagné la guerre mondiale ont organisé ce qu'on a
appelé « les Institutions de Bretton Woods » pour aider les pays ruinés par les
destructions.
Ce sont :
•
La Banque mondiale
•
Le Fonds Monétaire International (FMI)
•
En 1947, le GATT a été institué. Il est devenu l'Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) pour garantir la liberté du commerce et gérer les
conflits.
Ces institutions sont devenues très puissantes, sous l'autorité (en théorie) du G7.
2. Le G 7
Ce sont les 7 pays les plus industrialisés :
les USA, le Canada, l'Angleterre, l'Allemagne, la France, l'Italie et le Japon.
La Russie est invitée à certaines rencontres : on parle alors de G 8.
3. Les multinationales
Ce sont des sociétés commerciales qui ont des implantations partout dans le
monde, surtout là où la main d'œuvre est bon marché. Elles font la loi avec leur
argent. Beaucoup sont originaires des Etats-Unis.
c. les causes de la mondialisation :
- la guerre : depuis Sarajevo en 1917, les guerres mondiales …jusqu’au
Kosovo en 1999
- les idées :
les religions universalistes, l’humanisme des Lumières, la révolution française,
la théorie de Darwin, le fascisme et les racismes, la musique de Beethoven, le
message de Hugo et de Tolstoï, la pensée de Karl Marx s’adressent à toute
l’humanité. Le socialisme se veut internationaliste. Le progrès semble être une
grande loi de l’évolution et de l’histoire humaine…Il y a une aspiration à une
unité pacifique et fraternelle de l’humanité.
Il se produit aujourd’hui une mondialisation et une contemporanéisation de
toutes les religions, croyances, légendes etc. Les nord américains (j’étais auprès
d’eux, pour d’autres raisons, dans les relais en Amazonie), se font initier aux
plantes psychotropes par des « shamans » nord américains qui font du business
en transposant les rites traditionnels pour leurs compatriotes. Le phénomène du
New Age est syncrétiste, donc mondialiste. C’est le Web des religions, on peut
zaper à loisir et faire son choix, son choix du moment.
- l’économie
Depuis la crise de 1929, on sait que l’économie mondiale est de plus en plus un
tout inter-dépendant : chacune des parties est devenue dépendante du tout et,
réciproquement, le tout subit les perturbations et aléas qui affectent les parties.
Nous y reviendrons plus loin.
- l’informatique : Internet, correspondrait à ce que Teilhard de Chardin, en
1950 appelait la noosphère…
- La rapidité des échanges : Comme l’écrit Erik Orsenna dans Voyage au
pays du Coton Fayard 2006 : « La mondialisation qui annule l’espace, veut
aussi tuer le temps. »
-
-
d. effets : ébauche d’une conscience planétaire :
persistance d’une menace nucléaire globale. Ex récent : l’Inde et le Pakistan,
tout récemment : la Corée du Nord !
formation d’une conscience planétaire : écologie depuis la conférence de Rio
en 1992 ; ACAT ; les grandes ONG, relais des anciens ordres religieux ?
développement de la mondialisation civilisationnelle : standardisation des
mœurs, usages, consommation, nourriture (fast food), voyage, tourisme.
Contre courants qui sacralisent la nation et l’ethnie, rétablissant clôtures et
rejets. Ambivalences : balkanisation et globalisation 1) homogénéisation,
dégradation, perte des diversités 2) rencontres, nouvelles synthèses,
nouvelles diversités.
Formation d’un folklore planétaire : les derviches tourneurs sont allés
partout, les chanteurs de l’île Taquile, sur le Titicaca connaissent toutes les
capitales.
Télé-participation planétaire : Tsunami, cyclones, coulées de lave ou de
boue, famines, tueries, révolutions de palais, jeux et championnats
mondiaux…l’information se fait en temps réel.
La terre vue du ciel : images par satellites… global mind
e. Les conséquences de la mondialisation
1. Conséquences positives
Un meilleur accès aux produits et à la culture des autres pays : vins chiliens
Une meilleure information :tsunamis…
Des progrès rapides dans les soins de santé
L'action de la concurrence qui fait baisser certains prix : Chine
2. Conséquences négatives
Elles sont dues à l'idéologie néo-libérale qui gouverne le monde, plus qu'à la
mondialisation elle-même.
•
L'uniformisation des cultures
•
La compétition à outrance
•
L'exclusion des personnes et des pays qui ne sont pas compétitifs
•
La domination de l'argent et la spéculation boursière
•
La destruction de l'environnement
•
L'écrasement des pays pauvres par leur dette extérieure = dette éternelle
•
Etc.
2. Les crises planétaires :
a. dérèglement démographique mondial
En 1800 1 milliard d’humains, 6 milliards aujourd’hui, 10 prévus en 2050.
- Faut-il limiter les naissances de manière brutale ? Certains programmes sont
très agressifs (souvent financés par des fondations américaines). Dans la
selva (forêt amazonienne péruvienne) j’ai lu sur le tableau vert d’un centre de
santé : « ligatures de trompes, inscrivez-vous ! »…
- Il y a le problème des migrations. On ne peut pas prêcher le libéralisme,
laisser les produits et les capitaux circuler par la planète entière et empêcher
les êtres humains de quitter leur pays pour migrer… Problème des
occupations d’églises par les sans papiers…
b. dérèglement économique mondial :
- désordre dans le cours des matières premières
- caractère artificiel et précaire des régulations monétaires (intervention des
banques centrales pour réguler le cours des changes, empêcher par exemple
la chute d’une monnaie)
- incapacité à trouver des régulations économiques aux problèmes monétaires
(les dettes extérieures des pays en voie de développement atteignent 100
milliards de USD) et des régulations monétaires aux problèmes économiques
(laisser ou rétablir la liberté du prix du pain, du riz etc.) lesquels sont en
même temps des problèmes sociaux et politiques
Ce point est très important en A.L. : poids de la dette extérieure et vulnérabilité
aux dérégulations, injustice des échanges économiques internationaux.
- gangrène des mafias qui se généralise sur tous les continents
Au Pérou, Équateur, Bolivie, Colombie, importance des mafias de narcotrafiquants, mais aussi trafics d’organes, d’enfants !
- Question de la sécurité alimentaire.
fragilité devant les perturbations non strictement économiques (fermeture des
frontières, blocus, guerres)
- concurrence sur le marché mondial qui entraîne la spécialisation des
économies locales ou nationales.
- Marchandisation de toutes choses : l’eau, la mer, le soleil, les organes du
corps humain, le sang, le sperme, l’ovule, le tissu fœtal… déperdissement du
don, du gratuit, de l’offre, du service rendu, quasi disparition du non
monétaire, érosion des valeurs autres que l’appât du gain, l’intérêt financier,
la soif de richesse.
- Dérèglement des rythmes humains pour favoriser la productivité
Crise de la répartition : des ressources et du travail. La cause n’en serait-elle
pas une perception erronée de la nature et du rôle de l’argent ?
c. crise écologique
- catastrophes locales : Seveso, Bhopal, Three Mile Island, Tchernobyl,
assèchement de la mer d’Aral, pollution du lac Baïkal, villes à la limite de
l’asphyxie : Mexico, Athènes. Pollution du Rhin etc.
C’est malheureux à dire mais les pauvres sont souvent les plus pollueurs…
phénomène non perçu par les pays riches, prétentieux, qui s’imaginent pouvoir
tout, et donc être responsables de tout… mais une ville comme Lima, avec les
deux tiers de bidon ville est un casse tête écologique (problèmes d’eau potable et
d’eaux usées dans un pays où il ne pleut jamais… problèmes des ordures, de
l’air pollué par des voitures en très mauvais état etc.). Haïti, actuellement est
dans une situation limite, dans une vulnérabilité extrême face au danger
d’épidémie.
- problèmes généraux : contamination des eaux, empoisonnement des sols,
pluies acides, stockage de déchets nocifs. CO2, effet de serre, trous dans la
couche d’ozone
La mondialisation entraîne une perception de plus en plus aiguë de la
responsabilité de l’homme devant la planète.
Méditation du récit de la Genèse : La situation infernale dans laquelle l’homme
sombre, se trouve-t-elle à l’origine ou au terme ? On voit que la relation à la
création, à Dieu et à soi-même doit être retrouvée.
Prométhée est-il une figure christique ou sa caricature ? Comme le sont ses
dieux en comparaison du Père de Jésus ?…. Comment penser un homme
harmonieusement placé dans l’Univers et dont le désir ne serait pas de devenir
Dieu au sens de la toute puissance technique ( atomique, informatique ou
génétique) ? Un homme appelé à participer à la divinité, à la vie de la Trinité,
sans pour cela devoir échapper à sa condition humaine, limitée. La limite
physique n’est pas un obstacle à l’être Dieu, puisque Dieu, se faisant humain,
apprend à l’homme à devenir humain pour être divinisé. Cet homme, qui voulant
se faire « Dieu », s’est fait tyran, est devenu inhumain et est entré en conflit avec
sa femme, ses enfants, et la création (le travail est devenu pénible, la création
n’étant pas respectée).
d.. Crise de l’information
Internet, Medias, Publicité….
1° La communication assure une information instantanée des évènements mais à
sa source, elle reste facilement sélective et orientable, pour des raisons de
rentabilité financière d’ailleurs plus que pour des raisons idéologiques
(audimat)
2° Plus grave peut-être, au plan psycho social : On ne sait plus où est la réalité,
où est la limite de l’apparaître, du jeu, du virtuel. To be or not to be
« médiatique »… Les jeux sur Internet, avec connexion directe, attaques,
avertissements etc. augmentent la confusion.
e. Manipulations génétiques. Apprentis sorciers ?
a) Problème de justice : Elles sont le monopole des riches qui détiennent ensuite
les brevets des semences etc. (En A.L. expérience personnelle à propos des
plantes médicinales). N’y a-t-il pas là une confiscation de la nature au profit de
quelques uns, dans la mesure où les paysans ne disposent plus de leurs propres
semences et sont obligés de les acheter à des monopoles ?
b) Question de bio-éthique : ce qui est techniquement possible doit-il être tenté
ou appliqué ? Peut-on faire de la recherche, quel type de recherche sur les
cellules embryonnaires (utilisation des embryons surnuméraires) ? OGM et
conséquences sur les pays pauvres : manipulations au service de qui ?
B. Les critiques à la mondialisation ?
1. La mondialisation en accusation
a. La parole est à l’accusation : La misère n’a pas décru :
Les chiffres sont préoccupants.
Ramonet, Monde Diplomatique n° janvier 1999 :
Les disparités sont criantes à l’intérieur des pays soit disant développés, comme
entre les pays développés et les autres :
« Il y a aux USA 32 millions de personnes dont l’espérance de vie est inférieure
à soixante ans, 40 millions sans couvertures médicale, 45 millions vivant au
dessous du seuil de pauvreté et 52 millions d’illettrés… Au sein de l’opulente
Union Européenne, il y a 50 millions de pauvres et 18 millions de chômeurs.
A l’échelle du monde, la pauvreté est la règle et l’aisance l’exception. Les
inégalités sont devenues l’une des caractéristiques de notre temps. Et elles
s’aggravent, éloignant toujours plus les riches des pauvres. Les deux cent vint
cinq plus grosses fortunes du monde représentent un total de plus de 1 000
milliards de dollars, soit l’équivalent du revenu annuel de 47% de la population
mondiale (2,5 milliards de personnes). Des individus sont désormais plus riches
que des États, le patrimoine des quinze personnes les plus fortunées dépasse le
PIB total de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne… »
b. La parole est à la défense : Ne pas se tromper d’accusé :
Dans un article paru dans LE MONDE | 19.05.06, Amartya Sen fait remarquer
que dans un jugement, il ne suffit pas que la justice soit rendue, il faut encore
qu’elle apparaisse comme telle. Et, dans le cas de la mondialisation, il souligne
plusieurs confusions.
1. La mondialisation, une réussite
« Il y a de bonnes raisons de penser que la globalisation économique est un
excellent objectif d'ensemble et qu'en outre elle contribue grandement à la
prospérité du monde. Dans le même temps, nul ne niera qu'il est difficile de
convaincre ses détracteurs - de leur "faire percevoir" - qu'elle constitue un
bienfait évident pour tous, y compris pour les plus pauvres. Beaucoup de gens,
en particulier dans les pays les moins riches du globe, ont du mal, en toute
bonne foi, à considérer que la globalisation leur est bénéfique : cette divergence
d'opinion constitue un défi de taille.
Bien sûr, il n'est pas bien compliqué d'affirmer que les réussites de la
globalisation sautent aux yeux en maints endroits de la planète. Il y a quelques
siècles, le monde était dominé par une pauvreté omniprésente et les vies
humaines étaient "cruelles, brutales et courtes", sauf dans de rares poches de
prospérité. La pénurie a été surmontée en grande partie grâce à l'extension des
relations économiques et à la diffusion de la technologie moderne.
On a peine à croire que la meilleure façon d'améliorer le sort des pauvres à
travers le monde soit de les priver des grands avantages que procurent les
technologies contemporaines, de l'efficacité prouvée du commerce et des
échanges internationaux, ou encore des bienfaits tant sociaux qu'économiques
de la vie dans une société ouverte.
Les populations de pays très défavorisés revendiquent les fruits de la
technologie moderne (comme l'utilisation de nouveaux médicaments, pour
traiter le sida par exemple) ; elles recherchent un accès plus large aux marchés
des pays riches pour un large éventail de biens - depuis le sucre jusqu'aux
textiles ; et elles réclament une meilleure écoute et plus d'attention du reste du
monde. S'il existe un scepticisme vis-à-vis des résultats de la globalisation, ce
n'est pas parce que l'humanité souffrante veut se recroqueviller dans sa
coquille ; loin de là.
2. Dans la pratique, quels sont les principaux problèmes ?
D'abord, comment mettre à profit les atouts que constituent les liens
économiques, le progrès technique et une configuration politique favorable, de
manière à ce que les défavorisés et les "perdants" reçoivent l'attention qu'ils
méritent ? Les questions de redistribution, qui prédominent dans la rhétorique
des pro comme des antiglobalisation, appellent une clarification.
En effet, cette question centrale a souffert, selon moi, de certaines affirmations
plutôt floues. Par exemple, il est souvent avancé que les pauvres vont en
s'appauvrissant. Dans les faits, ce n'est en aucun cas la norme, même si c'est vrai
ici ou là. En fait, tout dépend des indicateurs de prospérité choisis ; les
conclusions qui en résultent ne sont pas univoques.
De plus, la responsabilité des échecs n'est pas uniquement imputable à la nature
des relations internationales. Ces échecs sont souvent liés bien davantage à des
facteurs locaux, comme le manque d'intérêt pour l'éducation primaire et la
santé publique, ou l'excès de bureaucratie. Avec de bonnes politiques locales éducation, santé, réforme de la propriété et accès au crédit, dont le micro crédit
pour les moins aisés -, l'ensemble du système économique s'améliore.
D'un autre côté, les partisans de la globalisation contemporaine se disent
convaincus que, en règle générale, elle enrichit les pauvres plutôt qu'elle ne les
appauvrit (comme cela est souvent avancé). Elle ne peut donc être injuste.
Puisque les pauvres en bénéficient également, où est le problème ? Si cet enjeu
était reconnu comme pertinent, le débat dans son ensemble consisterait alors à
déterminer quel camp détient la bonne réponse à une question principalement
empirique : les pauvres s'appauvrissent-ils ou s'enrichissent-ils ?
Mais est-ce la bonne question à poser ? Selon moi, absolument pas. Même si les
pauvres devaient devenir un peu plus riches, cela n'impliquerait pas qu'ils
reçoivent une part juste des bénéfices de la globalisation. Il n'est guère plus
pertinent de se demander si l'inégalité internationale diminue ou augmente avec
chaque avancée de la globalisation.
Il n'est pas nécessaire, pour se rebeller contre l'effroyable pauvreté et les
stupéfiantes inégalités qui caractérisent le monde contemporain, ou pour
protester contre le partage injuste des bénéfices de la coopération mondiale, de
montrer que les inégalités sont importantes et qu'elles vont, de surcroît, en
s'aggravant.
Les questions centrales ont trop souvent été masquées par des débats intenses
sur des questions annexes (auxquelles les deux parties ont contribué). Lorsque la
coopération génère des bénéfices, de nombreuses répartitions sont possibles qui
avantagent chaque partie par rapport à une situation de non-coopération. Par
conséquent, il est nécessaire de se demander si cette distribution des gains
est juste ou acceptable, et non pas uniquement s'il existe des gains pour
toutes les parties (ce qui peut être le cas dans de nombreuses configurations).
Comme l'a avancé le mathématicien et théoricien des jeux J. F. Nash il y a plus
d'un demi-siècle (dans un article de référence, "The Bargaining Problem", publié
dans Econometrica en 1950, qui faisait partie des écrits qui lui ont valu le prix
Nobel), la question centrale n'est pas de savoir si un arrangement particulier vaut
mieux pour tous que pas d'arrangement du tout (avec plusieurs alternatives
possibles), mais si les divisions spécifiques qui en résultent sont justes, étant
donné les arrangements alternatifs possibles.
Je peux essayer d'illustrer cet argument avec une analogie. Pour dire d'un
arrangement familial particulièrement inégal et sexiste qu'il est injuste, il n'est
pas nécessaire de montrer que les femmes s'en seraient mieux sorties en
l'absence totale de famille. Ce n'est pas le sujet : le point de discorde se situe au
niveau du partage des avantages à l'intérieur du système familial, à savoir si ce
partage est inégal au vu des arrangements institutionnels existants.
La problématique sur laquelle la plupart des débats sur la globalisation se sont
concentrés (savoir si les pauvres tirent également profit de l'ordre économique
institué) est inadéquate - c'est en définitive une mauvaise question.
Au lieu de cela, on doit s'interroger sur la possibilité de réaliser un
arrangement plus juste, qui distribue de manière moins inégale les chances
sociales, économiques et politiques, et, le cas échéant, sur les arrangements
internationaux et nationaux à travers lesquels un tel résultat peut être
atteint.
C'est à ce niveau que se situent les véritables enjeux, et cela exige un ensemble
de réformes institutionnelles - de la réforme des lois de propriété industrielle
à la démocratisation de la gouvernance des institutions financières
internationales.
3. L’accusation elle-même est mise en cause : les
altermondialistes sont eux-mêmes mondialisés !
C'est pourquoi les manifestants du mouvement dit "antimondialiste", qui
cherchent un meilleur arrangement pour les perdants de l'économie mondiale, ne
peuvent pas être raisonnablement considérés comme réellement opposés à la
mondialisation, contrairement à leur propre rhétorique (j'ai débattu ce point et
d'autres questions connexes dans Identity and Violence : The Illusion of Destiny,
W. W. Norton, 2006, chap. 7). Et c'est aussi pourquoi il n'y a pas de véritable
contradiction dans le fait que les mouvements dits "antimondialisation" font à
présent partie des événements les plus mondialisés du monde contemporain.
La globalisation a été conduite, sur les trois derniers millénaires, par des
engagements intellectuels au-delà des frontières, impliquant la diffusion des
langues, de la littérature, de la musique ainsi que des mathématiques, des
sciences et de l'ingénierie. La haute valeur éthique de la confrontation
transfrontière actuelle enrichit cette longue tradition universelle.
Traduit de l'anglais par François Briatte.
2. Où sont les vrais enjeux ?
Avec l'OMC, le monde sera plus juste, par Noëlle Lenoir et Jean-Marie Metzger
LE MONDE | 23.05.06 | 13h53 • Mis à jour le 23.05.06 | 13h53
En septembre 2003, à Cancun, les altermondialistes ont crié victoire et célébré
"l'échec des négociations de Doha". Ils ont commis une double erreur
d'appréciation : à l'égard de l'OMC, en balayant l'idée que cette organisation doit
et peut réguler la globalisation ; à l'égard des pays en développement - qu'ils
prétendent défendre -, en occultant le fait que ceux-ci risquent d'être les grands
perdants. Car le programme de Doha est fait pour aider au développement les
pays les plus démunis de la planète.
A l'heure où nous sommes, ces négociations ne sont pas au mieux de leur
forme. Jamais la nécessité d'une impulsion politique ne s'est fait à ce point
sentir. Au-delà des ambitions et des postures défensives, les Etats doivent tout
faire pour aboutir à un accord. Il y va de leur intérêt autant que de l'intérêt d'une
solidarité altruiste.
L'intérêt de chacun, c'est de libéraliser les échanges tout en établissant des
règles pour les encadrer : les pays qui l'ont fait ont toujours eu de meilleures
performances de croissance que ceux qui se sont abrités derrière des protections.
La solidarité, c'est reconnaître que tous les pays n'ont pas la même capacité à
exporter et qu'il faut créer les conditions pour les y aider. Pour ce faire, il faut
tracer de nouvelles routes commerciales Sud-Sud, en complément de la route
Sud-Nord héritière de l'ère coloniale. Encore faut-il que ce devoir de solidarité
soit partagé entre les pays du Nord et les pays émergents à la croissance effrénée
comme le Brésil, la Chine et l'Inde.
Les négociations du Programme de Doha pour le développement sont
confrontées au test du réalisme politique. Le choix est entre une absence de
résultat - dont les pays de l'OCDE se sortiraient mieux que les autres -, et un
résultat, certes en deçà des ambitions initiales, mais représentant un progrès réel.
Nul n'imagine que le Programme de Doha apportera la touche finale au long
processus de libéralisation des échanges et de création de règles multilatérales
qui a débuté au lendemain de la seconde guerre mondiale. Dans les domaines
traditionnels comme celui des réductions tarifaires, les pays en développement
mettront encore du temps à finaliser l'abaissement de leurs tarifs au niveau de
ceux des pays plus riches ; ces derniers, de leur côté, devront éliminer
définitivement leurs pics tarifaires et la progressivité des droits (qui cantonne les
pays en développement dans l'exportation de produits primaires).
C'est toutefois au regard de la cohérence des politiques que des efforts majeurs
restent à faire. Il ne sert à rien d'éliminer les obstacles aux frontières si, derrière
celles-ci, demeurent des obstacles à l'investissement ou à la concurrence. Il ne
sert à rien de baisser les droits de douane si la manipulation des taux de
change vient annuler les bénéfices que peuvent en retirer exportateurs et
importateurs. Rappelons-nous que, lors de la conclusion du cycle de
l'Uruguay à Genève, en 1993, une déclaration sur la "cohérence dans
l'élaboration des politiques économiques au niveau mondial" avait été
adoptée. Elle n'a jamais été opérationnelle. Il serait temps d'y remédier, par
exemple en mettant en place, avec le FMI, des mécanismes qui
permettraient d'assurer la bonne évaluation des monnaies au regard des
courants d'échange.
La mondialisation nous invite également à garantir la cohérence entre
politiques commerciales et sociales. Il ne s'agit pas de régler la délicate
question du différentiel de rémunération des salariés dans les pays en
développement, appelé par certains "dumping social" et par d'autres "avantage
comparatif". Mais il est temps de donner une portée concrète aux
engagements pris, au sein de l'Organisation internationale du travail (OIT),
par les trois partenaires du dialogue social : gouvernements-patronats-syndicats.
C'est le cas des déclarations de 1998 sur les "principes et droits fondamentaux
au travail". Au lieu de réclamer, comme le font nombre d'ONG, une extension
des compétences de l'OMC, il vaut mieux donner à l'OIT les moyens,
juridiques et politiques, d'appliquer et de faire respecter ces droits sans
qu'un autre corpus de règles puisse y faire obstacle. Celles élaborées par
l'OIT sont le fruit du dialogue social au plan international. Cela justifie
d'autant plus de lui permettre de décider de sanctions, y compris commerciales,
sans que celles-ci puissent risquer d'être contestées à l'OMC. Une telle
exception, qui existe concernant les sanctions économiques et commerciales
décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU, devrait pouvoir exister pour les
autres institutions à vocation universelle.
Ce qui est valable en termes de politique sociale l'est également en termes de
politique environnementale, même si, dans ce domaine, un cadre regroupant
les accords multilatéraux existants reste à créer.
Ce "chantier de cohérence" pourrait constituer l'ébauche au niveau global d'un
véritable mécanisme juridictionnel de sanction des engagements pris par les
États vis-à-vis de la communauté internationale. Aux côtés de la Cour
pénale internationale serait ainsi érigée une manière de Cour internationale
civile, dont chaque institution se verrait constituée en chambre spécialisée,
chargée d'appliquer, dans son domaine, un droit universel cohérent. Le
chantier est vaste. Cependant l'OMC, première institution à être dotée d'un
vrai système juridictionnel opérationnel, qui, quoique perfectible, a
démontré son efficacité sur des différends concrets (subventions
américaines à l'exportation, procédures antidumping, politiques sucrières
de l'Union européenne ou cotonnières des États-Unis), pourrait avoir un
rôle moteur et d'exemple en la matière.
Encore faudrait-il que sa crédibilité reste totale. Les ministres des 149 pays
- développés comme en développement - membres de l'OMC en sont les
garants. Réunis à l'OCDE, avec Pascal Lamy, le 24 mai, ils devront en
mesurer l'enjeu : le multilatéralisme, en tant qu'assurance mondiale "paix
stabilité".
Noëlle Lenoir est ancien ministre, ancien membre du Conseil constitutionnel.
Jean-Marie Metzger est directeur des échanges de l'OCDE.
3. Quel développement ?
- Meta-développement
Le développement économique n’est pas une fin en soi. Les finalités du
développement relèvent d’autres impératifs, éthiques et religieux. Peut-on
proposer la notion de méta-développement, c’est à dire un au-delà du
développement auquel le développement économique doit contribuer et surtout
pas empêcher ?
C. L’homme dans la mondialisation Pour une pensée globale
Il s’agit d’entrer dans une intelligence globale, dans une démarche de Sagesse et
pas seulement de connaissances spécialisées. Il s’agit de penser l’homme et tout
l’homme, l’homme en humanité, l’homme responsable du cosmos et de l’avenir
de l’histoire.
Il y a un profond aveuglement sur la nature même de ce que doit être une
connaissance pertinente. Selon le dogme régnant, la pertinence croît avec la
spécialisation et avec l’abstraction.
C’est faux. « Il faut recomposer le tout », écrit Marcel Mauss
1. la pensée en miettes détachées
La pensée qui compartimente, découpe, isole, permet aux spécialistes et
experts d’être très performants dans leurs compartiments et de coopérer
efficacement dans des secteurs de connaissance non complexes, notamment
ceux concernant le fonctionnement des machines artificielles ; mais la logique à
laquelle ils obéissent étend sur la société et les relations humaines les
contraintes et les mécanismes inhumains de la machine artificielle, et leur vision
déterministe, mécaniste, quantitative et formaliste ignore, occulte ou dissout
tout ce qui est subjectif, affectif, libre, créateur.
Il y a un certain renfermement de la philosophie sur elle-même. Les philosophes
dédaignent d’étudier les problèmes concrets de leurs contemporains. Les
scientifiques dénient aux non scientifiques l’aptitude, le droit, la capacité de
penser leurs découvertes et leurs théories…
2. La fausse rationalité. Restaurer la rationalité contre la
rationalisation.
- Une rationalité abstraite et unidimentionnelle… entraîne des catastrophes dans
les secteurs écologiques, économiques et sociaux
- La vraie rationalité connaît les limites de la logique, du déterminisme, du
mécanisme ; elle sait que l’esprit humain ne saurait être omniscient, que la
réalité comporte du mystère. Elle négocie avec l’irrationalité, l’obscur,
l’irrationalisable. Elle connaît l’importance du symbolique et du langage des
mythes, de la poésie et des religions…
3. Penser le contexte et le complexe :
le contexte : penser en termes planétaires la politique, l’économie, la
démographie, l’écologie, la sauvegarde des trésors biologiques et culturels
régionaux –Amazonie…le complexe : 1° une pensée écologisée, considérant le contexte et l’ensemble de
l’environnement 2° une pensée qui conçoive l’écologie de l’action et soit
capable d’une stratégie qui permette de modifier, voire d’annuler l’action
entreprise 3° une pensée qui connaisse sont inachèvement et négocie avec
l’incertitude, notamment dans l’action car il n’y a d’action que dans l’incertain.
Penser global/agir local, penser local/agir global
restaurer la pensée LA SAGESSE cf la prière du roi Salomon pour recevoir la
Sagesse de Dieu.
la pensée semble une activité ancillaire de la science, de la philosophie, alors
que sciences et philosophie sont vouées à penser l’homme, la vie, le monde, le
réel et que cette pensée devrait rétroagir sur les consciences et orienter le vivre.
Pour cela il faudrait réformer l’enseignement et réaliser une révolution mentale
semblable à la révolution copernicienne.
4. Caractéristiques de la quête spirituelle du 21ème siècle :
(Paul Guetny : « Actualité religieuse Hors série n°7 Mars 1996)
La quête spirituelle du 21ème siècle comportera plusieurs versants :
- expérimental : recherche d’une pratique, méditative ou autre,
- sapientiel : souci de donner à sa vie un sens, une saveur, un goût (sagesse
vient du latin sapere : goûter), afin qu’elle ne soit ni « insensée », ni
« insipide »
- esthétique : désir de faire de son existence un poème, un chant, une danse
- éthique : effort pour « jouer juste » dans le domaine de l’action, pour que la
mélodie des « œuvres » soit à la hauteur de « l’instrument » qu’est l’homme
- métaphysique : recherche d’une dimension ultime du réel, de ce en quoi (ou
en qui) réside la vérité de l’être
La spiritualité du 21ème siècle s’exercera à une quadruple réconciliation :
- avec le corps qu’il ne s’agira plus de mater par un ascétisme aveugle, mais
d’apprivoiser et de « spiritualiser »
- avec le cosmos, qu’il ne s’agira plus de dominer sauvagement et de dépecer,
mais de respecter et « d’écouter » ;
- avec autrui, qu’il ne s’agira plus de considérer comme une menace, un
ennemi, mais comme le prochain, le frère.
- Réconciliation, enfin, avec la Source, qu’il ne s’agira plus de considérer
comme le déversoir de nos phantasmes et de nos peurs, mais de reconnaître
comme le Tout Autre qui nous désoriente, et nous invite à déménager de nos
certitudes pour accepter l’errance de la quête.
La spiritualité du 21ème siècle, sera multiculturelle… Il y a là certes des dangers
(éclectisme, trivialité, superficialité, désorientation, relativisme…) mais « une
religion qui s’enferme étouffe et meurt ». Et « qui ne connaît que sa religion ne
la connaît même pas » (Raimon Panikkar). L’inter-religieux est nécessaire à
l’auto compréhension du mystère chrétien.
« -J’ai peur
- De quoi ?
- De perdre la foi
- Si tu as peur, tu n’as pas la foi ! »
Pour conclure, en guise de bouquet : « La plus courte distance entre deux cœurs
passe par les étoiles » (proverbe espagnol)
IV. L’Europe
Quand l’Europe affronte le doute existentiel
« Nous sommes le continent du doute, du doute métaphysique, du doute de
nous-mêmes », disait Jacques Delors aux dominicains de Bruxelles. De fait,
l’Europe n’est pas seulement « un continent sans contenu » suivant le jeu de mot
de Ortega y Gasset, mais aussi le continent du doute, de la mort de Dieu, de
l’agonie des idéologies et du supplice de Prométhée .Mais « comment identifier
un doute avec certitude ? » demandait le regretté Raymond Devos. La foi n’est
jamais ce que l’on croit et le doute non plus. Que doute il y ait, il suffit de
regarder nos journaux pour le constater mais je préfère ce doute à l’exaltation
qui conduisait Hegel à reconnaître en Napoléon l’Esprit de l’Europe à cheval !.
Comme français, c’est par-delà le non, mortifère, du référendum que mon
espérance doit s’incarner mais n’est-ce pas au bord d’un tombeau que surgit la
foi chrétienne ? N’est-ce pas après l’échec de la croix que s’éprouve la
Résurrection ? Les disciples d’Emmaüs n’étaient-ils pas plus près du messie
quand ils ont exprimé leur désespoir que lorsqu’ils étaient encore partisans ?
Certes je n’ai pas une foi théologale dans les institutions européennes, mais il y
a plus dans ce doute qui constitue l’Europe que dans une certitude qui s’affirme
à coup de sacrifices humains. Ce doute introduit à la « tâche infinie » dont
parlait le philosophe martyr Patocka.
Le doute est plus que l’auto-affirmation
Après la phase de l’auto-affirmation violente, l’entrée dans le doute n’est-elle
pas le commencement positif d’une maturation ? « Il y a plus dans la question
que dans la réponse » écrivait Emmanuel Lévinas.
« Il ne s’agit plus, pour l’Europe, disait Vaclav Havel, ni de gouverner le monde,
ni même de lui donner des leçons. La seule mission pertinente qui puisse être la
sienne, est d’être le mieux elle-même, c'est-à-dire ressusciter et projeter dans sa
vie ses meilleures traditions spirituelles et ainsi, contribuer à créer un nouveau
mode de coexistence au niveau mondial.»
« Être le mieux elle-même », la question est bien là : qui suis-je ? Qu’est-ce que
l’Europe et où va-t-elle, d’où vient-elle ? Les questions s’éveillent les unes les
autres et sont cette tâche philosophique typiquement européenne qu’identifiait
Husserl et qui s’étend jusqu’à l’universel. Le doute européen peut-il être distinct
du doute humain quand l’homme ose penser en utilisant sa raison ? Assumer ce
doute, c’est devenir plus européen.
Un déficit de pensée
Mais l’Europe, en sa tête, son gouvernement et ses institutions, n’ose pas encore
penser vraiment. Née d’un pragmatisme à l’égard de l’énergie, du charbon et de
l’acier, elle a relégué les questions du sens et de l’identité au second plan. Elles
lui reviennent avec la force du refoulé. Aujourd’hui encore si une question
éthique est posée qui est convoqué ? L’ensemble des experts juridiques.
Autrement dit on déploie le parapluie, on cherche à se protéger et la question
n’est pas vraiment posée. On invite les sophistes. Les philosophes et moins
encore les théologiens ne sont pas convoqués.
Quelle est ma perception de l’Europe ?
L’Europe doute d’elle-même. Doutait-elle dans la phase triomphaliste et
coloniale ? Il est des certitudes erronées qu’il est bon d’avoir abandonnées.
L’Europe est difficile. Mais a-t-elle donc jamais été facile ? Est-il si loin le
temps des guerres mondiales initiées sur son propre sol ?
Ces deux perceptions manifestent en creux un possible auquel les peuples
aspirent sans oser y croire vraiment, un chemin qu’ils entrevoient nécessaire
mais comme difficile à parcourir.
L’élargissement risque de conduire à une certaine dilution. L’euroscepticisme
atteint des sommets. Certes. L’apaisement de l’après-guerre a cédé la place aux
contraintes de la vie commune et la gestion du quotidien ne fait plus rêver.
Aujourd’hui l’administration risque de devenir le bouc émissaire. Il faut donc
une nouvelle lucidité. La maturité consiste à ne pas se contenter d’être velléitaire
et à aller jusqu’au bout de ses projets.
L’Europe est peut être la seule entité si vaste qui se soit constituée sans le
stimulus de la présence d’un ennemi commun. Sa réalisation est progressive.
Tout d’abord l’affrontement s’est changé en collaboration et en mise en
commun des diversités. Nous entrons dans une culture différente où le futur
devient plus déterminant que le passé. Il nous faut passer à une mémoire du
futur. Le message de l’Europe est celui d’une promesse, celle de l’audace du
dialogue comme condition d’avenir. En formant une communauté à partir
d’ennemis réconciliés, nous apprenons la paix.
Des patries à la filiatrie
Comme le disait Edgar Morin : « Nos mémoires historiques européennes n’ont
en commun que la division et la guerre. Elles n’ont d’héritage commun que leurs
inimitiés mutuelles. Notre communauté de destin n’émerge nullement de notre
passé, qui la contredit. Elle émerge à peine de notre présent parce que c’est notre
futur qui nous l’impose. Or, jamais jusqu’à présent, ne s’est créée une
conscience ou un sentiment de destin commun à partir du futur, c’est à dire du
non-advenu ».
Il serait intéressant de demander à Edgar Morin sur quoi il fonde son espérance.
Mais peu importe cela, si nous sommes d’accord. Le renversement est très fort :
il s’agit moins d’opposer des « patries », en célébrant nos dates historiques
autour de monuments aux morts. Il s’agit de créer une « filiatrie », un espace
interculturel de frères heureux de se rencontrer.
Comme chrétiens, à nous de montrer comment cette fraternité ne peut être
orpheline et comment la devise européenne « unis dans la diversité », suppose
un certain « Esprit » ! A la Pentecôte, ils ne parlaient pas une langue unique
mais ils se comprenaient. C’était Dieu, le premier, qui invitait à « l’unité dans la
diversité » !
***
Les Européens dans un mortel pas de deux, par Eric
Dacheux
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« L’attention sociale »
Sous la direction du Professeur Marc Maesschalck
– Séminaire de 3e cycle 2005-2006 –
Synthèse de la séance du 18 avril 2006
Par Claire Marie Monnet
I. Rappel du cadre général
a- Formellement, le séminaire constitue une partie de « l’épistémologie
politique et
théorie de la norme », développée dans le cadre du Centre de Philosophie du
Droit, de l’Université de Louvain. Il est dirigé par le professeur Marc
Maesschalck. La visée de fond du séminaire s’inscrit dans un souci de
thématiser l’attention sociale, étant acquis qu’elle est souvent sollicitée mais
rarement thématisée.
b- L’intérêt de parler d’attention sociale est d’élaborer des questions qui
permettent la mise en œuvre de deux enjeux, sans les opposer : une
capacitation ( dont le gain est immédiat) ; une auto-capacitation (dont le gain,
lui, est médiat). Faire attention, c’est donc « produire la capacité de… »
c- En toile de fond, la perspective est celle d’une théorie critique des actes
sociaux.. La théorie critique permet, précisément, de saisir la distinction entre
capacitation et auto-capacitation, et de penser leur articulation, plus que
leur opposition. L’attention est liée à ces deux questions différentes : le gain
immédiat en termes de capacitation dans une situation donnée, et le gain
médiat en termes d’auto-capacitation par la création d’une autre situation (
pouvoir produire sa propre capacitation).
Ainsi, l’enjeu du séminaire est d’interroger les actes sociaux par l’attention.
II. Synthèse des interventions
La séance du 18 avril 2006 est riche de l’intervention de Katia… et de Antoon
Braeckman (KUL) dont les recherches s’orientent sur le cosmopolitisme et
s’insèrent en philosophie politique et en philosophie de l’action. Le premier
exposé, en français, ( Katia…) est élaboré à partir de la pensée de Richard
Rorty. Le second exposé, en anglais, s’inspire de Beck et de Gauchet.
1. Intervention de Katia
a- Problématique
L’intervention de Katia se veut un « plaidoyer pour un changement de
vocabulaire », s’inspirant de la réflexion du philosophe américain Richard Rorty
( né en 1931). L’attention sociale dont il est question est une attention
linguistique. Une communauté, dans la description qu’elle fait d’elle-même, se
donne des buts communs. Ce plaidoyer pour un changement de vocabulaire
repose sur le primat de la dynamique de la conversation sur la logique de
l’argumentation. Cette dynamique conversationnelle se rattache à la
communauté démocratique, progressiste et pluraliste. L’espace public
démocratique est celui dans lequel les « nous » entrent en débat. L’image de la
conversation dit l’impossibilité structurelle d’une décision définitive. Les
convictions et métaphores données peuvent être remises en question. L’enjeu est
donc de permettre l’émergence de nouvelles descriptions ou de redescriptions.
En toile de fond, l’approche est pragmatiste et toujours contextuelle.
b- Progression de l’analyse
* Il s’agit donc premièrement de rendre compte du mode descriptif lui-même, en
montrant comment les descriptions, dans les communautés démocratiques
libérales occidentales, forgent un « Nous », et se donnent des buts communs,
jusqu’à rendre possible la transformation de ces espaces collectifs. Le point de
départ de Rorty consiste à penser qu’il est primordial d’éviter la souffrance. De
là naît la nécessité d’élargir le « nous », en changeant le vocabulaire de
l’identification et en diluant la densité.
* Le but est donc de rendre possible un climat politico-moral ouvert, sans se
référer à des normes universelles ou trans-culturelles. Les normes sont toujours,
pour Rorty, liées à une communauté. Dans cette circularité réside
l’ethnocentrisme rortien. La visée est anti-représentationnaliste. Le jeu de
langage est ce par quoi est défini l’espace logique communautaire mais le
vocabulaire donné n’est pas définitif. Il participe, au contraire, à son propre
changement.
* Différents éléments composent une telle approche : la solidarité du « nous » ;
l’ouverture linguistique, comme contre-pied du myopisme ; les limites de la
solidarité posant la question de l’exclusion. Nous sommes à l’opposé d’un
réalisme moral dans lequel la communauté est pensée comme finalisée, sans
possibilité de changer. C’est donc ouvrir une brèche dans l’espace logique, tout
en tenant compte d’un potentiel, qui est aussi à venir.
* La question est alors d’identifier les sources de nouvelles métaphores et les
acteurs du changement de vocabulaire. Si Rorty s’interroge sur la figure du
génie créatif, l’ « ironiste libérale », il lui reproche un manque de pragmatisme
qui ne peut s’accorder au domaine publique et demeure de l’ordre du privé. Les
clubs constituent, eux, des lieux d’identification alternatifs, sorte d’asiles, où se
développent de nouvelles métaphores, en opposition avec celles qui sont de mise
dans l’espace logique dominant. Là se joue une « mise en capacitation », par
l’émergence d’un discours alternatif rendu possible.
c-Conclusions provisoires
* Le changement de vocabulaire est de l’ordre du nécessaire. Le « Nous » y est
perçu comme un « projet », un processus d’apprentissage, une mise en capacité.
* L’attention sociale joue à l’intérieur de cet espace logique mais aussi à ses
frontières, comme un réel possible à venir. Si Rorty ne sort pas de l’espace
logique, il se veut attentif aux frontières en raison même d’un potentiel à venir.
* En maintenant cette tension, Rorty ne tombe pas lui-même sous le coup de
l’accusation qu’il porte au réalisme moral. Il ne critique pas l’espace logique
dominant, mais il accorde aussi une place prépondérante aux clubs des exclus.
• Par là, les deux aspects de l’attention sociale sont présents : un
discours à l’intérieur de l’espace logique et un discours qui ouvre, en
permettant de nouvelles descriptions. De là provient la dynamique.
2. Intervention de Toon Braeckman
a- Problématique
La question posée consiste à penser les conditions de base politiques et
structurelles pour envisager une communauté. Mais le contexte n’est pas neutre.
La question s’inscrit de fait dans l’horizon démocratique au-delà des limites de
l’Etat-Nation (globalisation) qui concentrait jusque lors les potentialités
démocratiques. Il y a, en effet, un triple constat au point de départ de la réflexion
de Toon Braeckman : la démocratie implique un « nous » préalablement
constitué, au moins une certaine identité politique ; or ce « nous », autrement dit
les communautés politiques, naissent au sein de l’Etat-Nation ; or, aujourd’hui,
l’Etat-Nation est sous grande pression : les institutions internationales ou supranationales, minent la souveraineté et l’auto-détermination des communautés
nationales.
Assumer ce triple constat, c’est donc s’interroger sur ce qui fait communauté,
tout au moins ce qui confère une identité sociale ; sur les causes et les moyens
d’une solidarité mutuelle ; et sur ce qui rend compte de la perception
d’appartenance à une même communauté. Mais c’est inscrivant ces questions
sur une toile de fond, celle de l’Etat-Nation. Aussi est-ce s’interroger sur qui
constitue une société, et comment s’insère dans ce schème l’Etat-Nation ?
Quelles sont les causes de son déclin et de sa disparition ? Au-delà de ses
limites, quel avenir pour la démocratie ?
Pour ce faire, Toon Braeckman choisit de croiser deux lectures divergentes :
celle du sociologue Ulrich Beck (théorie sociale et politique) et l’approche
philosophique et historique de Marcel Gauchet. L’un et l’autre rendent compte,
précisément, de l’implosion de l’Etat-Nation. Mais ils divergent par la méthode
et par des points de vue différents sur l’avenir de la démocratie, sur cet au-delà
de l’Etat-Nation. Au terme, c’est une divergence de vues quant au pouvoir et
aux politiques en général.
b- Progression de l’analyse
*T. Braeckman établit une typologie - selon trois axes - des éléments constitutifs
d’une société : la première approche consiste à dire qu’une société repose
fondamentalement sur des valeurs et des normes communes (que sous-tendent
une histoire commune, une langue partagée, une même culture et religion ; une
seconde approche pose le pouvoir comme constitutif de la société, ce pouvoir
étant entendu comme force productive ( théories du contrat social, dans son
versant abolutisé- Hobbes-, dans son versant républicain- Rousseau) ou le
pouvoir comme représentation ( Lefort, Gauchet), au terme, le pouvoir comme
discipline sociétale ( Foucault) ; la troisième approche tend à montrer que c’est
le jeu des antagonismes qui constitue une société, donc un rapport conflictuel
avec d’autres sociétés (Carl Schmitt). De cette typologie découle la
compréhension de la réalité complexe qu’est l’Etat-Nation : ce serait une
construction historique, la synthèse de ces différentes perspectives (une origine
historique, géographique et culturelle commune ; liée à une structure de
pouvoir ; qui inclut une référence à d’autres Etats-Nations, amis ou ennemis). La
question posée est donc de mesurer l’incidence de la disparition de l’Etat-Nation
en termes de constitution d’une société. Comment penser les communautés
politiques modernes sans Etat-Nation, ainsi que leur organisation démocratique
et leur légitimité ?
* Toon Braeckman renforce d’abord l’analyse en allant aux causes de la
disparition de l’Etat-Nation, chez Beck, puis chez Gauchet.
- La lecture de Beck consiste à dire que l’étendue de l’action sociale
individuelle excède largement les limites de l’Etat-Nation, en raison de la
globalisation. Nous sommes donc dans un processus d’individualisation, au sein
même du processus de globalisation. Ce processus n’est pas volontaire mais il
est de l’ordre d’une nécessité. Il constitue les effets collatéraux de la première
modernisation. L’Etat-Nation tend, en effet, à s’effondrer à cause du processus
par lequel la modernisation prend conscience d’elle-même (« reflexive
modernization »). Réfléchie et assumée, il s’agit désormais de regarder les effets
secondaires de la modernisation ( à titre d’exemple, la crise actuelle écologique
qui résulte de l’industrialisation). Ce retour réflexif implique une nécessité
inhérente : remanier les institutions majeures de la modernité. Dans le processus
de globalisation, la question est de savoir si l’Etat-Nation est encore une forme
légitime et appropriée pour offrir des réponses face au développement
économique mondial, aux nouveaux systèmes de communication, aux flux de
population, aux risques environnementaux, à l’idée même de frontières. Face à
ces enjeux liés à la globalisation, l’Etat-Nation n’est-il pas une idée obsolète ?
Les règles du jeu ont changé. Il s’agit alors de chercher, pour garantir les droits
et les libertés individuels au sein d’un ordre devenu mondial, de nouvelles
institutions adaptées à la nouvelle condition cosmopolitique (un nouveau jeu
politique, des « méta-politiques »).
- Pour Gauchet, l’analyse est de type historique. Une formule résume le
processus : il s’agit de « la sortie de la religion ». Un tel processus comporte
plusieurs étapes caractéristiques qui annoncent la sortie complète et définitive de
la religion - du 17e siècle, avec Hobbes jusqu’aux années 1900 – Dans ce
processus, l’État est le principal instrument. Cette sortie définitive s’accomplit,
de manière ultime, selon Gauchet, dans les années 1970, et correspond à un état
de bien-être social. La dimension légale devient dominante, en faveur de
l’individu et de ses droits subjectifs. Il en résulte une société mercantile,
fortement dominée par la compétition des intérêts individuels. Dès lors, la
politique devient un simple instrument pour que se rencontrent besoins et
intérêts individuels. La sphère publique est comme éclipsée des préoccupations
et le politique, en tant que tel, également (processus de privatisation). Les
« facteurs de transcendance collectifs » perdent tout crédit. Cela concerne, non
seulement les religions et leurs variantes idéologiques, mais aussi et surtout
l’Etat-Nation. Le processus de sortie de la religion s’achevant, l’État -étant son
principal instrument- passe à l’arrière-plan.
*La question alors devient pleinement pertinente qui, à partir de Beck et de
Gauchet, tend à définir les éléments constitutifs des communautés politiques, audelà des communautés nationales. Après le versant de la déconstruction, il s’agit
donc d’envisager la reconstruction.
L’idée dominante chez Beck est que l’individu a dépassé les limites de l’EtatNation.
La
question
est
de
savoir
comment
des
libertés
individuelles « flottantes » peuvent constituer des communautés politiques.
L’axe est double : d’une part, la conscience d’un danger collectif (comme le
risque écologique) ; d’autre part, il n’y a pas de gouvernement sur les gens mais
une gestion des affaires (Saint-Simon. Il s’agit d’un nouveau type d’autorité
politique et de structure de pouvoir qui suppose un nouvel ordre cosmopolitique,
en tenant compte de l’acquis des Etats-Nations ( « It does not seek to rule over
the ruled but to rule over the unruled »)
Chez Marcel Gauchet, la reconstruction passe par la conscience que la
disparition de l’Etat-Nation est exagérée. Deux piliers fondateurs demeurent : la
souveraineté nationale et sa dynamique socio-historique. La disparition de
l’Etat-nation est un effet d’optique, de l’ordre d’une illusion. L’argument phare
de Gauchet consiste à dire que les individus, ardents défenseurs de leurs droits
subjectifs, sont les premiers à poser l’Etat-Nation comme condition de
possibilité de ces droits (en termes de reconnaissance, de légitimité). Eu égard
au cosmopolitisme, Gauchet puise dans l’histoire une distinction récente entre
nation et civilisation. Contrairement aux deux siècles passés, la civilisation se
développe aujourd’hui hors de la nation. La nation est de l’ordre du politique et
du particulier, alors que la civilisation est de l’ordre moral et participe de
l’universel. Il est possible dès lors de penser des cultures nationales qui
s’insèrent dans une civilisation par définition plus vaste et vouée à une certaine
universalisation. Il n’y aurait donc pas interférence : l’Europe, en ce sens, est un
projet de civilisation et non un projet politique ( elle n’est donc pas de l’ordre de
l’Etat-Nation).
c- Conclusions
* La question de fond est donc de savoir si les politiques sont des éléments
constitutifs- ou non- d’une société ? La fin de l’Etat-Nation annonce-t-elle la fin
du politique ou une nouvelle forme de politique ? (coordination, représentation
ou gouvernement de communautés pré-existantes : tel est l’enjeu du débat entre
Beck et Gauchet)
*Pour Beck, c’est la fin d’une certaine conception du politique. Nous
retiendrons que l’Etat est une unité d’organisation, de gouvernement et de
coopération auquel s’ajoute des formes non-institutionnelles ( « subpolitics »).
Le cosmopolitisme ne renvoie pas à un Etat mondial, il est sous-tendu par une
société civile globale ( qui devrait décrit en termes de « world risk society »).
* La thèse de Gauchet est celle de l’éclipse du politique, comme conséquence de
la sortie de la religion et de l’émergence de l’individuel, renvoyant dans l’ombre
le politique, sans pour autant le disqualifier complètement (garant du
développement des droits individuels et des libertés). Au terme, il est garant,
dans un monde nécessairement pluriel, de la non-uniformisation qui guette une
civilisation universelle.
III. Débat
Ces deux interventions sont suivies par un débat.
1. Questions autour de l’intervention de Katia
a- A quel moment un individu forme-t-il un club ? Qu’advient-il des exclus
quand ils arrivent à se constituer en club et forment un nouveau langage ? Ce
nouveau langage est-il complètement inclus ou doit-il rester minoritaire pour
rester en tension ?
Premièrement, un individu peut-il être à lui seul un club ? Dans Contingences,
ironie et solidarités, Rorty présente des individus, non pas seulement des
groupes. Il y a un rôle très grand des individus, les « poètes » qui peuvent
changer les choses, en inventant de nouveaux mots. Mais ce génie créatif est un
danger car il manque de pragmatisme. Il est motivé par le désir de se re-écrire
lui-même. Au terme, tout ce qui concerne l’individu doit rester dans la sphère
privée. Ce sont bien des individus qui entrent dans la sphère publique, mais en
tant qu’ils sont porteurs de questions communautaires. Ainsi, Rorty distingue en
l’homme une part privée et une part publique. La question de fond se rapporte
au fait que les convictions personnelles ne le sont jamais totalement. Un écho de
la part des autres est toujours attendu. La question est donc de savoir comment
des réponses différentes peuvent influencer au terme le vocabulaire commun.
C’est se demander comment un vocabulaire séparatiste peut devenir
majoritaire.
Deuxièmement, il s’agit de prendre en compte le facteur-temps. Le facteurtemps joue parce que le club permet de constituer une sorte d’asile et les forces
augmentent avec le temps. L’exemple du féminisme illustre ce travail constructif
du temps :
- des individus isolés, des cas exceptionnels, quand elles se sont
rassemblées, ont développé un vocabulaire, échangé des perspectives et
construit une autre identité qui n’est pas prescrit par le vocabulaire
majoritaire. Le temps fortifie le vocabulaire qu’il véhicule, qui acquiert
par là une grande force de convictions.
- Le facteur- temps joue aussi du côté de la communauté majoritaire. Celleci est de moins en moins choquée par la minorité.
Enfin, il faut que la communauté soit assez en sécurité, assez riche afin de
pouvoir être tolérante à l’égard de formes de vie différentes. Plus encore, le
critère ultime est peut-être de pouvoir imaginer que son propre enfant pourrait,
un jour, adhérer à ce « club » de déviants.
b-
Est-ce le même langage qui est repris par la majorité après la période séparatiste ?
Il y a une assimilation, car le langage utilisé pour se séparer est de l’ordre d’un proto-vocabulaire. Il n’est de ce fait pas toujours adapté.
C’est après une redescription, une nouvelle définition qu’on arrive à un langage plus stable. De plus, il n’y a aucune garantie, aucun critère
nécessaire pour établir un vocabulaire séparatiste. Les réponses sont toujours pragmatiques. Ce n’est pas une analyse. Il s’agit plutôt de
s’interroger : « que peut-on apprendre ? »
c- Comment articuler le génie créatif, la métaphore, le vocabulaire ? Que crée le génie ? A t-on besoin de créer, d’inventer pour
parler et pour exprimer de nouvelles formes dans l’espace logique ? Les métaphores et les objets culturels peuvent-ils être ramenés à des
questions de langage et de vocabulaire ?
Rorty projette un peu sa propre expérience. Il imagine que tous lisent autant que lui ! Cela remonte à l’enfance de Rorty. Selon lui, les
sources de métaphores sont toujours des sources littéraires. Or, la société, telle qu’elle est, et selon la richesse de ses différents courants et
disciplines contient beaucoup de ressources pour élaborer de nouvelles conceptions. En ce sens, la métaphore est plus qu’une figure
littéraire : elle peut être d’ordre artistique et culturel.
d- N’y a-t-il pas une vision trop optimiste, une sorte de confiance naïve qui espère du
changement de vocabulaire un changement de société, vers plus de justice, de moralité et d’équité ?
Nous avons besoin et nous pouvons avoir confiance dans les convictions libérales présentes. Mais, si personne ne se sent responsable de ces
convictions-là, ce sera la fin de la démocratie (un peu comme pour Sartre).
2. Questions autour de l’intervention de Toon Braeckmann
a- Vous avez mis en évidence l’ambiguïté de la position de Gauchet. Il
constate une éclipse du politique mais c’est la spécificité même de nos
démocraties libérales. Gauchet est toujours en train de nous dire « revenons au
politique » mais il ne faut pas revenir sur le fait que le primat du politique est
dépassé…
Le politique et le pouvoir sont, pour Gauchet, de l’ordre du transnational. Que
faire pour intégrer l’éclipse du politique ? Comment formuler les questions ? On
peut se le demander. L’enjeu est bien la régularisation du problème.
b- Par rapport à la nation, dans les textes des années 90, se pose la
question de frontières…
C’est le problème de l’immigration qui ne peut se résoudre qu’avec des
frontières. Mais on ne peut lui accorder un statut de droit dans les démocraties.
C’est l’ambiguïté de Gauchet.
III. UNE REVOLUTION MENTALE
A/ Se relier (religion ? )
1. retrouver la relation passé/présent/futur
- Les sociétés traditionnelles vivaient leur présent et leur futur sous les
commandements du passé.
- Les sociétés dites en voie de développement vivaient encore récemment sous
la demande du futur tout en essayant de sauvegarder leur passé identitaire et
d’aménager tant bien que mal le présent
- Les sociétés riches vivaient sous la commande à la fois du présent et du futur
et voyaient, avec joie puis mélancolie, s’enfuir leur passé.
Le futur était hypertrophié. La crise du futur provoque, dans les sociétés
occidentales, l’hypertrophie du présent et des ressourcements dans le passé…
fondamentalismes, recherches identitaires…
La relation vivante passé/présent/futur se trouve desséchée, atrophiée ou
bloquée. Notre préoccupation de l’avenir nous conduit parfois à mettre entre
parenthèses le présent. Il nous faut donc trouver une revitalisation de cette
relation qui respecte les trois instances sans en hypertrophier aucune. Comme
disait saint Augustin : « Il y a trois temps : le présent du passé, le présent du
présent, le présent du futur ».
Toute la Bible est une lecture, relecture, anticipation prophétique. La
bénédiction du repas dans le rituel juif permet de relier le présent au passé de
l’Alliance et au futur de la promesse. De relier aussi au donateur. Les aliments
sont fruits de la terre et du travail des hommes, d’une terre qui a été reçue
(promise et conquise). Ils sont offerts et le repas partagé anticipe le festin
eschatologique. Dans le même mouvement, dans l’Eucharistie on fait mémoire,
une mémoire qui actualise un geste passé et qui anticipe ce qui vient !
L’exemple des chinois construisant la muraille de Chine est aussi un
enseignement. Pour ne pas se décourager il ont procédé en revenant en arrière:
ils construisaient une tour, puis une tour distante d’une unité et à partir de la plus
éloignée, montaient le mur joignant les deux. Chaque unité était symbole,
sacrement de la totalité de l’œuvre et donnait à l’avance quelque chose de la
satisfaction de la perfection, celle de l’achèvement. Chaque maillon ou échelon,
par la construction d’un pilier et le travail de retour en arrière pour relier ce
présent au passé, formait la chaîne d’une histoire qui échappait au vertige d’une
immensité désespérante, sorte de « faux infini » à la Hegel, pure durée sans
intensité de sens. De même, il faudrait que notre vie soit ainsi habitée d’une
multitude d’événements et d’actions significatifs de la totalité de notre vie et de
nos aspirations. C’est ainsi d’ailleurs qu’est constitué l’Evangile : une
succession de récits ayant leur propre signification et leur propre plénitude de
sens (hologramme !).
« C’est poétiquement que l’homme habite la terre » (Hölderlin). Les religieux
doivent être ces poètes, ces fous, ces fantasques, qui, dans un monde de béton
font des bulles pour l’aérer !
2. La relation intérieur / extérieur
Extraversion : voyages, exploration , recherche scientifique. Technique
Introversion : réflexion, méditation, recherche intérieure. Mystique
Vivre ces deux vocations
3. Méta-développement
Le développement n’est pas « inscrit » génétiquement
Quel projet ? Quelle finalité ?
Méta-développement, car le développement n’est pas la croissance, il suppose
des seuils, des sauts qualitatifs et une finalité, un projet
1. définir ou du moins préciser le concept de développement (exposé de B.
Fulcrand op, Cuzco)
« La crise du développement ne correspond pas seulement aux moyens
employés ; elle est aussi en rapport avec la nature et avec les objectifs du
développement. Beaucoup parlent du « développement » mais peu le définissent.
La notion de développement repose sur l’évidence de la notion biologique dont
elle provient par extrapolation et, par analogie, elle s’applique naïvement aux
aspects socio-économiques. Il y a dans cette notion, l’idée de quelque chose qui
serait contenu, comme en germe, et qui devrait devenir à la fois la même
(gardant son identité) et devenir autre et meilleure, qui devrait croître, mais sans
cesser d’être la même.
« Développer » s’oppose à « envelopper » ; le développement évoque la
manifestation, l’apparition de ce qui était contenu, caché, implicite -Aristote
dirait « en puissance »-. Ainsi nous parlons du développement d’une idée ou
d’un thème ou, en zootechnie, du développement d’un embryon comme résultat
d’une série de processus ordinairement différenciés qui transforment un zygote
unicellulaire en un animal.
Le développement, au sens correct du mot, implique par conséquent que l’on
prenne en compte le potentiel qui est contenu dans le germe, la capacité réelle
d’être ou de devenir et ce qui, précisément, doit être développé. Mais le
développement biologique est la réalisation d’un programme inscrit
génétiquement, rigidement contrôlé et non pas l’invention ou la construction
inédite d’un futur inédit. De cette manière l’apparente évidence de
développement que l’on trouve dans le simple processus de croissance cache
l’opacité des finalités, l’absence absolue d’un plan de construction et le caractère
incertain de l’aventure du dit développement.
Malheureusement, en espagnol (comme en français), le mot « développement »
a perdu sa force en acquérant ou en se limitant au sens d’une extension
principalement quantitative et en oubliant –reprenant l’image du développement
animal- la dynamique de la différenciation, la formation des organes, la
croissance différenciée, les mécanismes de régulation de la croissance pré et
post natale, bref les facteurs génétiques et physiologiques qui influent et
finalement déterminent le développement animal.
Parce qu’on n’a pas conservé sa valeur sémantique originale, on observe les
conséquences de ce que l’on appelle habituellement « développement » sur les
pays « sous-développés », constatant un processus très différent et même
contraire à ce que le terme devrait impliquer. Au lieu de permettre que
s’expriment les particularités et qu’elles se renforcent ; au lieu qu’apparaissent
des traits singuliers, on aperçoit une uniformisation des modèles de
développement qui invitent à « imiter » en dépit de situations très diverses, ce
qui entraîne un processus de destructuration interne, et même d’involution.
L’« être plus » que suppose le développement dégénère en « être comme », en
« être à la manière de… ». Le mimétisme technologique a beaucoup freiné le
développement de notre pays.
La seconde idée que je voudrais exposer est que la pratique du développement,
la sensibilisation à sa problématique, ont fait surgir une question sur sa
signification pour les hommes, acteurs ou sujets du développement, signification
exprimée dans un projet commun nécessairement porteur, implicitement ou
explicitement, d’un modèle de société et donc d’une certaine idée de l’homme et
de certaines options fondamentales. Il se peut que certains pensent que la
question n’est qu’une diversion philosophique futile distrayant d’une action dont
l’urgence est connue de tous. Cependant, il est possible que la cause de la crise
du développement et des errances du sous-développement résident justement
dans le refus de formuler cette question.
Si nous éludons l’incertitude du développement, c’est parce qu’on a eu, ou que
l’on a encore, une confiance aveugle dans la science et dans la technique comme
garanties du progrès social et humain permettant l’émancipation des
contingences matérielles, garantissant la rationalité qui est, comme nous le
savons tous, l’attribut insigne de l’homme. Dans le fond, l’idée maîtresse du
développement consisterait à croire que le développement socio-économique,
appuyé par le développement scientifique et technique, assure, par lui-même, le
progrès humain. Et cela est un mythe ! Le développement n’est pas le résultat
d’un simple processus, il est un projet, c’est à dire un futur que nous devons,
nous être humains, construire ensemble, inventer, créer. Le développement nous
renvoie à nous-mêmes ; en ce sens nous devrions parler d’auto-développement,
le préfixe « auto » faisant comprendre que le développement implique
nécessairement l’homme et la société, en même temps qu’il doit partir de nos
possibilités réelles. »
2° Ma perception du développement, comme ancien directeur du Centre
Bartolomé de Las Casas à Cusco, l’une des plus grosses ONG du Pérou :
Le développement suppose un centre nerveux. Un lieu de mémoire, d’analyse,
de réflexion, qui construit son propre langage, ses propres schémas de pensée,
concepts etc. qui se constitue comme un réseau d’information et de relations.
Dans cette optique, le CBC s’est constitué comme un centre de réflexion et
d’action dans les Andes. Dans ce contexte, sa politique globale s'inscrit dans les
convictions suivantes :
- Penser le développement humain non pas seulement comme une solution à
des problèmes socio-économique et politiques immédiats mais comme à une
pratique à long terme de participation des population marginalisées à la
recherche d’une définition de leur propre développement.
- Penser le développement non seulement comme une question locale mais
comme un problème régional et même mondial.
- Penser le développement comme le renforcement des relations et des flux
d’échanges entre les personnes, les connaissances, les investissement… pour
lutter contre l’isolement géographique.
- Penser le développement non seulement en des termes de « mécanique
sociale » mais comme la création des conditions viables d’accès des
populations marginalisées à tous les instruments de pensée et de
connaissance qui caractérisent les sociétés contemporaines qui se définissent
par leur capacité d’auto-développement et de grande participation
démocratique.
- Penser le développement non seulement comme l’introduction de
financements de coopération ou d’investissement ni comme seulement le
transfert de technologies mais comme un problème de culture et
d’organisation sociale.
- Penser le développement non pas seulement en des termes de formation
professionnelle des acteurs sociaux qui seront appelés par la suite à constituer
les meneurs de la société péruvienne d’aujourd’hui et de demain, mais aussi
penser le développement en des termes « critiques », à la manière de fr.
Bartolomé de Las Casas, ainsi qu’il en a été dès le début au CBC (1973), en
particulier la lucidité face aux formes de développement sélectives et
discriminatoires, imposées en général de manière non démocratique ou
depuis l’extérieur du pays.
- Pour tout cela, il est une nécessité impérieuse pour le CBC de disposer du
maximum d’information sur la région (historique et contemporaine, écrite ou
informatisée). En conséquence, il est normal que le CBC partage cette
information, par le biais de la bibliothèque (60 000 volumes), de ses banques
informatisées de données, de son éditorial (300 livres édités à ce jour), de son
serveur internet (visitez le site !).
- Il découle également de ce qui vient d’être précisé que la formation de
ressources humaines et le renforcement des institutions représentent pour le
CBC une stratégie clé dans son effort pour parvenir à l’intégration de la
population andine dans les processus économiques et politiques, en faisant
face aux défis que représente la globalisation des problèmes sociaux.
C/ Entrer dans une intelligence globale. Accueillir la Sagesse
Il y a un profond aveuglement sur la nature même de ce que doit être une
connaissance pertinente. Selon le dogme régnant, la pertinence croît avec la
spécialisation et avec l’abstraction. Or un minimum de connaissance de ce
qu’est la connaissance nous apprend que le plus important est la
contextualisation.
« Il faut recomposer le tout » Marcel Mauss
1. la pensée en miettes détachées
La pensée qui compartimente, découpe, isole, permet aux spécialistes et experts
d’être très performants dans leurs compartiments et de coopérer efficacement
dans des secteurs de connaissance non complexes, notamment ceux concernant
le fonctionnement des machines artificielles ; mais la logique à laquelle ils
obéissent étend sur la société et les relations humaines les contraintes et les
mécanismes inhumains de la machine artificielle, et leur vision déterministe,
mécaniste, quantitative et formaliste ignore, occulte ou dissout tout ce qui est
subjectif, affectif, libre, créateur.
Il y a un certain renfermement de la philosophie sur elle-même. Les philosophes
dédaignent d’étudier les problèmes concrets de leurs contemporains. Les
scientifiques dénient aux non scientifiques l’aptitude, le droit, la capacité de
penser leurs découvertes et leur théories…
2. La fausse rationalité. Restaurer la rationalité contre la
rationalisation.
- Rationalité abstraite et unidimentionnelle… catastrophes manifestes dans les
secteurs écologiques, économiques,
- La vraie rationalité connaît les limites de la logique, du déterminisme, du
mécanisme ; elle sait que l’esprit humain ne saurait être omniscient, que la
réalité comporte du mystère. Elle négocie avec l’irrationalité, l’obscur,
l’irrationalisable. Mythes, magie, religions…
3. Penser le contexte et le complexe :
- le contexte : penser en termes planétaires la politique, l’économie, la
démographie, l’écologie, la sauvegarde des trésors biologiques et culturels
régionaux –Amazonie…- le complexe : 1° une pensée écologisée, considérant le contexte et l’ensemble
de l’environnement 2° une pensée qui conçoive l’écologie de l’action et soit
capable d’une stratégie qui permette de modifier, voire d’annuler l’action
entreprise 3° une pensée qui connaisse sont inachèvement et négocie avec
l’incertitude, notamment dans l’action car il n’y a d’action que dans
l’incertain.
Penser global/agir local, penser local/agir global
- restaurer la pensée LA SAGESSE cf la prière du roi Salomon pour recevoir
la Sagesse de Dieu.
la pensée semble une activité ancillaire de la science, de la philosophie, alors
que sciences et philosophie sont vouées à penser l’homme, la vie, le monde, le
réel et que cette pensée devrait rétroagir sur les consciences et orienter le vivre.
Pour cela il faudrait réformer l’enseignement et réaliser une révolution mentale
semblable à la révolution copernicienne.
D/ Caractéristiques de la quête spirituelle du 21ème siècle :
(Paul Guetny : « Actualité religieuse Hors série n°7 Mars 1996)
La quête spirituelle du 21ème siècle comportera plusieurs versants :
- expérimental : recherche d’une pratique, méditative ou autre,
- sapientiel : souci de donner à sa vie un sens, une saveur, un goût (sagesse
vient du latin sapere : goûter), afin qu’elle ne soit ni « insensée », ni
« insipide »
- esthétique : désir de faire de son existence un poème, un chant, une danse
- éthique : effort pour « jouer juste » dans le domaine de l’action, pour que la
mélodie des « œuvres » soit à la hauteur de l’ »instrument » qu’est l’homme
- métaphysique : recherche d’une dimension ultime du réel, de ce en quoi (ou
en qui) réside la vérité de l’être
La spiritualité du 21ème siècle s’exercera à une quadruple réconciliation :
- avec le corps qu’il ne s’agira plus de mater par un ascétisme aveugle, mais
d’apprivoiser et de « spiritualiser »
- avec le cosmos, qu’il ne s’agira plus de dominer sauvagement et de dépecer,
mais de respecter et d’ »écouter » ;
- avec autrui, qu’il ne s’agira plus de considérer comme une menace, un
ennemi, mais comme le prochain, le frère.
- Réconciliation, enfin, avec la Source, qu’il ne s’agira plus de considérer
comme le déversoir de nos phantasmes et de nos peurs, mais de reconnaître
comme le Tout Autre qui nous désoriente, et nous invite à déménager de nos
certitudes pour accepter l’errance de la quête.
La spiritualité du 21ème siècle, sera multiculturelle… Il y a là certes des dangers
(éclectisme, trivialité, superficialité, désorientation, relativisme…) mais « une
religion qui s’enferme étouffe et meurt ». Et « qui ne connaît que sa religion ne
la connaît même pas » (Raimon Panikkar). L’interreligieux est nécessaire à
l’auto compréhension du mystère chrétien.
« -J’ai peur
- De quoi ?
- De perdre la foi
- Si tu as peur, tu n’as pas la foi ! »
Pour conclure, en guise de bouquet : « La plus courte distance entre deux cœurs
passe par les étoiles » (proverbe espagnol)
TEXTE : la prière du roi Salomon pour avoir la Sagesse.
Quand l’Europe affronte le doute existentiel
Mondialisation et Europe
Le rejet du Traité constitutionnel par la France, – au-delà du problème de la
politique intérieure, qui a été déterminant, – est aussi étroitement lié à la
question de la mondialisation. On peut en effet considérer que pour la majorité
du non, c’est un non de gauche, au nom du social, et un non manipulé de fait par
l’extrême gauche.
Quel rapport entre ce non et la mondialisation.
CEE et 6 membres : croissance forte, économie relativement fermée
consensus sur le partage, la réduction des inégalités, le développement des droits
sociaux… Les traités construits sur l’économie, c’est-à-dire le marché et la
concurrence, ne sont pas menaçants…
Mondialisation et 25 membres : ouverture, croissance faible, idéologie
néolibérale dominante ; déconstruction, précarité, inquiétude très répandue sur
l’avenir. Concurrence entre entreprises
concurrence entre États, cercle
vicieux pervers.
Nécessité d’un processus proprement politique fondé sur un projet de société
partagé, signifiant une maîtrise de l’économie en fonction du bien commun, par
une souveraineté partagée plutôt que la fuite dans l’illusion d’une souveraineté
nationale.
Actuellement, pas de consensus politique possible ; de fait le non a renforcé la
tendance néolibérale, c’est-à-dire la perspective défendue par la GB, et a
renforcé les tendances eurosceptiques dans nombre de pays d’Europe centrale, à
commencer par la Pologne, mais aussi la République tchèque et la Slovaquie.
De ce point de vue, nombre d’éléments de l’ESE me paraissent particulièrement
pertinents, à la fois dans leur force critique et dans leur dynamique
propositionnelle.
Il est de la responsabilité de la société civile de se mobiliser en vue d’un
véritable projet de société européen au niveau national (les décideurs en dernière
instance sont les gouvernements) et en réseaux transnationaux.
fr. Michel Van Aerde op, Directeur général d’Espaces Europe
« Nous sommes le continent du doute, du doute métaphysique, du doute de
nous-mêmes », disait Jacques Delors aux dominicains de Bruxelles. De fait,
l’Europe n’est pas seulement « un continent sans contenu » suivant le jeu de mot
de Ortega y Gasset, mais aussi le continent du doute, de la mort de Dieu, de
l’agonie des idéologies et du supplice de Prométhée .Mais « comment identifier
un doute avec certitude ? » demandait le regretté Raymond Devos. La foi n’est
jamais ce que l’on croit et le doute non plus. Que doute il y ait, il suffit de
regarder nos journaux pour le constater mais je préfère ce doute à l’exaltation
qui conduisait Hegel à reconnaître en Napoléon l’Esprit de l’Europe à cheval !.
Comme français, c’est par-delà le non, mortifère, du référendum que mon
espérance doit s’incarner mais n’est-ce pas au bord d’un tombeau que surgit la
foi chrétienne ? N’est-ce pas après l’échec de la croix que s’éprouve la
Résurrection ? Les disciples d’Emmaüs n’étaient-ils pas plus près du messie
quand ils ont exprimé leur désespoir que lorsqu’ils étaient encore partisans ?
Certes je n’ai pas une foi théologale dans les institutions européennes, mais il y
a plus dans ce doute qui constitue l’Europe que dans une certitude qui s’affirme
à coup de sacrifices humains. Ce doute introduit à la « tâche infinie » dont
parlait le philosophe martyr Patocka.
Après la phase de l’auto-affirmation violente, l’entrée dans le doute n’est-elle
pas le commencement positif d’une maturation ? « Il y a plus dans la question
que dans la réponse » écrivait Emmanuel Lévinas.
« Il ne s’agit plus, pour l’Europe, disait Vaclav Havel, ni de gouverner le monde,
ni même de lui donner des leçons. La seule mission pertinente qui puisse être la
sienne, est d’être le mieux elle-même, c'est-à-dire ressusciter et projeter dans sa
vie ses meilleures traditions spirituelles et ainsi, contribuer à créer un nouveau
mode de coexistence au niveau mondial.»
« Etre le mieux elle-même », la question est bien là : qui suis-je ? Qu’est-ce que
l’Europe et où va-t-elle, d’où vient-elle ? Les questions s’éveillent les unes les
autres et sont cette tâche philosophique typiquement européenne qu’identifiait
Husserl et qui s’étend jusqu’à l’universel. Le doute européen peut-il être distinct
du doute humain quand l’homme ose penser en utilisant sa raison ? Assumer ce
doute, c’est devenir plus européen.
Mais l’Europe, en sa tête, son gouvernement et ses institutions, n’ose pas encore
penser vraiment. Née d’un pragmatisme à l’égard de l’énergie, du charbon et de
l’acier, elle a relégué les questions du sens et de l’identité au second plan. Elles
lui reviennent avec la force du refoulé. Aujourd’hui encore si une question
éthique est posée qui est convoqué ? L’ensemble des experts juridiques.
Autrement dit on déploie le parapluie, on cherche à se protéger et la question
n’est pas vraiment posée. On invite les sophistes. Les philosophes et moins
encore les théologiens ne sont pas convoqués.
Quelle est ma perception de l’Europe ?
L’Europe doute d’elle-même. Doutait-elle dans la phase triomphaliste et
coloniale ? Il est des certitudes erronées qu’il est bon d’avoir abandonnées.
L’Europe est difficile. Mais a-t-elle donc jamais été facile ? Est-il si loin le
temps des guerres mondiales initiées sur son propre sol ?
Ces deux perceptions manifestent en creux un possible auquel les peuples
aspirent sans oser y croire vraiment, un chemin qu’ils entrevoient nécessaire
mais comme difficile à parcourir.
L’élargissement risque de conduire à une certaine dilution. L’euroscepticisme
atteint des sommets. Certes. L’apaisement de l’après-guerre a cédé la place aux
contraintes de la vie commune et la gestion du quotidien ne fait plus rêver.
Aujourd’hui l’administration risque de devenir le bouc émissaire. Il faut donc
une nouvelle lucidité. La maturité consiste à ne pas se contenter d’être velléitaire
et à aller jusqu’au bout de ses projets.
L’Europe est peut être la seule entité si vaste qui se soit constituée sans le
stimulus de la présence d’un ennemi commun. Sa réalisation est progressive.
Tout d’abord l’affrontement s’est changé en collaboration et en mise en
commun des diversités. Nous entrons dans une culture différente où le futur
devient plus déterminant que le passé. Il nous faut passer à une mémoire du
futur. Le message de l’Europe est celui d’une promesse, celle de l’audace du
dialogue comme condition d’avenir. En formant une communauté à partir
d’ennemis réconciliés, nous apprenons la paix.
Comme le disait Edgar Morin : « Nos mémoires historiques européennes n’ont
en commun que la division et la guerre. Elles n’ont d’héritage commun que leurs
inimitiés mutuelles. Notre communauté de destin n’émerge nullement de notre
passé, qui la contredit. Elle émerge à peine de notre présent parce que c’est notre
futur qui nous l’impose. Or, jamais jusqu’à présent, ne s’est créée une
conscience ou un sentiment de destin commun à partir du futur, c’est à dire du
non-advenu ».
Il serait intéressant de demander à Edgar Morin sur quoi il fonde son espérance.
Mais peu importe cela, si nous sommes d’accord. Le renversement est très fort :
il s’agit moins d’opposer des « patries », en célébrant nos dates historiques
autour de monuments aux morts. Il s’agit de créer une « filiatrie », un espace
interculturel de frères heureux de se rencontrer.
Comme chrétiens, à nous de montrer comment cette fraternité ne peut être
orpheline et comment la devise européenne « unis dans la diversité », suppose
un certain « Esprit » ! A la Pentecôte, ils ne parlaient pas une langue unique
mais ils se comprenaient. C’était Dieu, le premier, qui invitait à « l’unité dans la
diversité » !
Mondialisation et doctrine sociale de l’Église
Fr. Ignace Berten
Introduction
La mondialisation est un phénomène historique de longue durée : elle trouve ses
racines dans le capitalisme marchand qui naît dans nos pays au Moyen Âge. Elle
prend un essor majeur à partir du XIXe s. avec le développement du capitalisme
industriel. Elle reçoit le visage que nous connaissons par la mise en place du
capitalisme de marché multinational à partir des années 70.
Phénomène global qui résulte du développement rapide et nouveau des
techniques de production et de distribution, d’une part, des techniques
d’information et de communication, d’autre part, les deux domaines techniques
étant fortement liés. Mais il résulte aussi des décisions politiques de
libéralisation des marchés, d’ouverture des frontières, de dérégulations ou plutôt
de substitution de nouvelles règles à celles qui avaient cours (l’interdiction de
droits de douane, par exemple, est une dérégulation, mais est en même temps
une nouvelle règle contraignante. Ce phénomène est de plus marqué par une
financiarisation de l’économie, la finance acquérant une certaine autonomie par
rapport à la sphère productive, avec tous les risques que cela entraîne (bulles
spéculatives). En outre, la mondialisation est accompagnée d’un mouvement
croissant, entamé chez nous depuis longtemps, de monétarisation de tous les
biens et services.
Il ne s’agit pas seulement d’une internationalisation de l’économie (phénomène
largement présent au tournant des 19e et 20e s.), mais d’une interdépendance
s’imposant de façon beaucoup plus large dans tous les domaines.
Effets ambivalents :
- pour la première fois, possibilité de donner corps à l’unité de l’humanité
- le développement des échanges peut être bénéfique
- du fait de la mondialisation, pays émergents
- mais le TM n’existe plus (concurrence Sud – Sud)
- augmentation des écarts
- décrochage de l’Afrique noire, sauf AS.
L’ESE : ouverture sur le monde
1891 Rerum novarum coup de tonnerre dans l’Église catholique. Depuis 60 ans
des voix se sont élevées pour la défense des ouvriers critiques de la hiérarchie
et de la majorité des milieux chrétiens.
Trois motifs : l’indignation ; faire pièce au socialisme (propriété privée) ;
reconquérir la classe ouvrière. Du point de vue mondialisation : sociétés
industrielles, mais deux affirmations fondamentales : il y a un lien étroit
nécessaire entre économie et morale ; l’État a une responsabilité fondamentale
pour assurer la justice ; les conséquences du capitalisme industriel sont
moralement inacceptables.
Affirmations de principe et jugement de situation : ces éléments se retrouvent
tout au long des documents, et valent pour la mondialisation en tant que telle.
Quadragesimo anno, 1931 : le processus économique conduisant à la
concentration du pouvoir et des richesses n’est pas un processus naturel, mais
bien l’effet d’un système qui est humain, et dans ce système les biens publics ne
peuvent être assurés par la concurrence ; Jean-Paul II reprendra et développera
ce thème à partir de la question des biens non solvables.
Jean XXIII : Mater et magistra (1961) et Pacem in terris (1963) ouvrent
explicitement la perspective mondiale dans l’approche des questions. Le bien
commun universel doit être l’objectif éthique de l’économie ; les Droits de
l’homme, tels que définis par les NU en 1948, sont une référence commune
(première reconnaissance) ; une autorité publique de compétence universelle est
nécessaire.
Vatican II, avec Gaudium et spes (1965) invite à une attitude positive vis-à-vis
du monde et de la société, à une reconnaissance de l’autonomie des réalités
terrestres et de la démarche scientifique, à la responsabilité des laïques dans le
discernement politique et éthique, à la collaboration loyale des chrétiens avec les
hommes et femmes d’autres convictions.
Le tournant de Populorum Progressio
Avec Populorum progressio, en 1967, Paul VI, pour la première fois, aborde de
front la question de la mondialisation, même si le terme n’apparaît pas encore :
la question du développement est au centre de la préoccupation, et cela à partir
d’une analyse sérieuse du fonctionnement de l’économie mondiale ; dans ce
cadre, s’appuyant sur le P. Lebret, Paul VI propose, avec une double formule :
« tout homme et tout l’homme » et « tout l’homme et tous les hommes », un
développement et un humanisme intégraux : le développement doit être
solidaire, universel et viser toutes les dimensions humaines, pas seulement
économiques. Ce texte, dont on va fêter le 40e anniversaire est proprement
prophétique.
Dans Octogesima adveniens (1971), Paul VI approfondit son approche : il
insiste fortement sur le fait que l’Église n’a pas la solution aux grands problèmes
de la société et en appelle donc au débat en société ; il reconnaît qu’il y a une
légitime pluralité des options sociales, économiques et politiques parmi les
chrétiens, tout en affirmant que la référence première pour ceux-ci n’est pas la
nature ou le droit naturel (à la différence de Rerum novarum et des documents
suivants), mais bien l’Évangile confronté à la réalité.
L’expression ‘mondialisation’ apparaît à de multiples reprises chez JeanPaul II : il traite explicitement de ce thème à travers plusieurs encycliques et
dans de multiples interventions. Il y a surtout Sollicitudo rei socialis (1987) et
Centesimus annus (1991).
Plusieurs apports significatifs de Jean-Paul II sont à souligner. D’abord, jamais
comme auparavant, la valorisation des droits de l’homme, et cela dès sa
première encyclique Redemptor hominis. Ensuite, du point de vue économique,
d’une part, il y a la reconnaissance explicite de ce que le marché est un
régulateur fondamental de l’économie, le profit étant un indicateur pertinent,
mais en posant de façon très ferme des limites au marché. Quant au capitalisme,
le jugement est tout à la fois nuancé et sévère : oui à une économie de
l’entreprise, du marché, de la propriété privée, non à une société ou l’économie
et donc le marché n’est pas fermement encadré d’un point de vue juridique et
politique, de sorte que l’économie soit réellement au service de l’homme. JeanPaul II affirme ainsi « On peut parler à juste titre de lutte contre un système
économique entendu comme méthode pour assurer la primauté absolue du
capital, de la propriété des instruments du production et de la terre sur la liberté
et la dignité du travail de l’homme » (Centesimus annus 35). On peut
difficilement être plus clair.
De façon plus précise, c’est le marché qui demande à être encadré et limité. En
effet le marché ne peut répondre qu’aux besoins solvables. Or beaucoup de gens
ont des besoins essentiels en termes d’alimentation, de logement, de santé,
d’éducation, etc., mais ils n’ont pas les ressources pour acheter au prix du
marché ces biens indispensables à la dignité humaine : de ce point de vue le
marché est discriminant et excluant, et il doit être équilibré par d’autres
processus de type public. De plus, le marché ne peut garantir la préservation ou
le développements de biens publics fondamentaux : l’environnement, les
infrastructures de base accessibles à tous, l’aménagement urbain, la culture, la
sécurité, etc. La privatisation de la production et de la distribution de ces biens,
tendance lourde à l’heure actuelle, conduit aussi à des situations marginalisantes
et excluantes et détruit le tissu de la société.
Jean-Paul II ne met donc pas en cause le principe du capitalisme libéral, mais
bien le capitalisme libéral réel (comme on parlait du socialisme réel, dénoncé
d’ailleurs par lui comme capitalisme d’État).
Il est intéressant à cet égard de relever une réflexion du Pr. Angelo Petroni
(Directeur de l’École supérieure d’administration publique à Rome) : « Au
cours des trente dernières années, le magistère de l’Église a toujours montré une
préférence pour une vision de la personne et de la société plus proche de la
conception défendue par les partis socialistes que celle des partis conservateurs.
La valorisation du système de sécurité sociale comme unique expression d’une
politique publique moralement légitime ; l’exigence de politiques fortement
redistributives comme manière quasi exclusive de donner réalité au précepte de
la charité envers le prochain ; l’adhésion à un tiersmondisme qui – tout comme
dans le modèle socialiste originaire – attribue la pauvreté du monde non
développé au développement du monde riche ; la critique du modèle
‘consumériste’ typique du capitalisme avancé, et la promotion de consommation
limitée et en même temps socialisée : il suffira de signaler ces quatre éléments
pour manifester le phénomène1. »
Jean-Paul II propose par ailleurs une relecture intéressante en termes éthiques du
thème économico-politique de l’interdépendance en termes de solidarité et de
responsabilité.
Comme ses prédécesseurs, Jean-Paul II en appelle à une véritable gouvernance
mondiale, c’est-à-dire a des autorités réellement responsables et compétences
capables d’assurer l’encadrement juridique et politique du marché, de façon à
contenir sa violence par rapport aux plus faibles.
Il faut cependant reconnaître que dans le concret, Jean-Paul II a souvent été très
discret pour dénoncer les méfaits du capitalisme mis en œuvre en Amérique
latine par exemple à l’époque des pouvoirs militaires, par crainte d’une
déstabilisation qui ouvrirait la porte au communisme… D’où ses positions pour
le moins réticentes tant au sujet des communautés de base que de la théologie de
la libération (position cependant plus nuancée à l’époque que celle du cardinal
Ratzinger).
Par apport à Jean XXIII et à Paul VI, Jean-Paul II est par ailleurs beaucoup plus
réservé sur la question du pluralisme de la société et sur les possibilités ouvertes
par la collaboration de toutes bonnes volontés, au sens en tout cas d’une
convergence possible sur les valeurs éthiques au fondement de la société, car il
émet un doute radical quant au développpemnt possible d’une éthique si elle ne
se réfère pas explicitement à Dieu.
Benoît XVI ne s’est encore guère exprimé dans le domaine de l’enseignement
social de l’Église, et donc de la mondialisation. Mais les principes exprimés
dans sa première encyclique Deus caritas est sont certainement très
intéressants : réaffirmation de la distinction entre l’État et l’Église (ce qui n’a
pas toujours été la théorie soutenue par l’Église), reconnaissance de l’autonomie
des réalités terrestres, et responsabilité fondamentale de l’État à ce sujet :
« L’ordre juste de la société et de l’État est le devoir essentiel du politique. Un
État qui ne serait pas dirigé selon la justice se réduirait à une grande bande de
vauriens, comme l’a dit un jour saint Augustin » (n° 28). Et c’est dans ce cadre
d’un État juste que, du point de vue social, la charité trouve sa place nécessaire.
1
Angelo M. PETRONI, « Le radici, la Chisesa e il socialismo », Il Sole 24 Ore, 9 juillet 2004.
L’enseignement
perspectives
•
social
de
l’Église :
bilan
et
L’enseignement social de l’Église, – au sens restreint où je l’ai ici traité, c’est-àdire les interventions des papes depuis la fin du XIXe s., textes qui sont les plus
officiels, – présente des éléments de continuité, d’approfondissement et
d’élargissement progressif. Il est aussi lié, cela va de soi, à la situation du
moment où chacun des textes est publié. Chacun de ces documents est aussi
marqué par la personnalité du pape, par les experts qui ont contribué à sa
rédaction, par les préoccupations du Saint-Siège à ce moment, par des traits
idéologiques, etc. Il n’y a donc pas une doctrine cohérente : il y a évolution, et
dans certains cas des contradictions. Une lecture critique est donc nécessaire, en
évitant toute absolutisation et toute canonisation. Cela dit, le parcours présente
quelques grandes lignes de force qui sont une source féconde et stimulante
d’inspiration et d’orientation éthique, et qui présente une réelle pertinence pour
le présent.
Ce sont ces lignes de force que je voudrais ici dégager, en en montrant
précisément la pertinence et l’actualité en référence à la situation présente.
Il ne faut pas attendre de cet enseignement des solutions politiques ou
économiques, même si parfois certains textes ont tendance à le faire. Ce n’est
pas le rôle de l’Église, et certainement pas dans son instance romaine centrale. À
l’occasion certaines conférences épiscopales ou l’un ou l’autre évêque sont
intervenus ou interviennent avec force et conviction dans telle ou telle situation.
Ces prises de positions sont davantage de la responsabilité des Églises locales
que de celle de Rome, en raison de la diversité des situations et des contextes.
On peut citer positivement les grandes lettres des évêques américains sur
l’économie ou sur la dissuasion nucléaire (et ils ont été à ce sujet plus clairs et
courageux que les évêques français). Ces interventions sont parfois prophétiques
et vraiment évangéliques, en assumant des risques considérables (qu’on pense à
Mgr Romero au Salvador). Parfois aussi, ces interventions sont l’expression
d’options idéologiques très marquées et contestables...
Déclarant explicitement ne pas détenir les solutions techniques aux défis posés
par l’exigence de justice et de dignité, l’Église reconnaît aujourd’hui (il n’en a
pas toujours été ainsi) qu’il y a un pluralisme légitime du point de vue des
options politiques, y compris parmi les chrétiens. Elle invite dès lors à un
dialogue entre chrétiens de convictions politiques différentes dans la
reconnaissance et le respect de la sincérité éthique de l’autre.
Pas de solutions techniques donc, mais une expression forte de dénonciation des
situations inhumaines, l’appel au changement, et la proposition ou l’affirmation
de principes fondamentaux à partir desquels penser les changements nécessaires,
en dessinant les orientations ou les objectifs sociétaux vers lesquels il faut
tendre.
o
La sollicitude
Au point de départ, il est bon de revenir sur le mot utilisé par Jean-Paul II, la
sollicitude. Bien que ce mot soit un peu difficile en français, – un peu désuet,
parce qu’il évoque facilement une attitude de condescendance, comme le mot
pitié, – je crois qu’il est cependant le meilleur. Il s’agit de la compassion devant
l’autre souffrant, du fait de se sentir personnellement concerné par l’autre en
étant porté par le souci actif de ce qu’il vit pour lui venir en aide. L’événement
déclencheur de l’enseignement social de l’Église est l’inhumanité de la
condition imposée aux ouvriers dans les usines à l’époque du premier
capitalisme industriel. Le mépris total de la dignité humaine de ce prolétariat
soulevait chez certains la protestation et la révolte. Les premiers socialistes et
Marx étaient de ceux-là. C’est bien le cœur qui est touché et qui suscite une
réaction profondément humaniste et de solidarité. Cette émotion pousse à
l’intervention, à l’action.
Si on lit les évangiles, il apparaît clairement que la compassion et la sollicitude
sont ce qui met Jésus en mouvement : la souffrance de la maladie, de la
marginalisation, du mépris subis, de l’enfermement dans la culpabilité. Jésus
entend le cri élevé par tous ces gens, ce cri que beaucoup n’entendent pas, ne
veulent pas entendre, ou même qu’ils cherchent à faire taire. Et la tradition
biblique, depuis l’Exode, dit que c’est Dieu lui-même qui entend le cri de son
peuple, le cri de l’humanité. Cela conduit Jésus a agir pour soulager cette
souffrance, pour restaurer la dignité bafouée, pour réintégrer au sein de la
communauté.
Il est clair que de Léon XIII à Jean-Paul II, l’émotion est un élément
déclencheur, l’émotion provoquée par la souffrance du monde du travail, la
souffrance des populations les plus pauvres, la souffrance de ceux qui sont
privés de liberté ou des droits humains les plus fondamentaux. Ce sentiment de
fond est profondément évangélique.
Par leurs interventions, les papes ne cessent de poser une question à l’Église,
c’est-à-dire à tous les croyants qui se revendiquent de l’Église catholique, mais
aussi pour les papes plus récents à tous les autres chrétiens et aux hommes et
femmes de bonne volonté : êtes-vous suffisamment sensibles à ce que vivent ces
catégories sociales ou ces populations en souffrance ? Êtes-vous prêts à agir, à
vous mobiliser collectivement et politiquement pour changer les choses ?
Qu’ensuite, par prudence ou calcul politique, par idéologie, par souci des
intérêts institutionnels de l’Église, la plupart des papes se montrent souvent trop
réservés et manquent de clarté dans les circonstances concrètes, c’est un fait.
Mais cela n’enlève rien à la pertinence de leur interpellation.
o
La dimension éthique de l’économie
Il n’y a pas d’antinomie entre économie et éthique, ni frontière étanche entre les
deux. La pratique économique (comme la recherche scientifique ou la mise en
oeuvre technique) ne peut être considérée comme une sphère de l’action
humaine qui serait régie par des lois naturelles de type plus ou moins physique,
– comme la loi de l’attraction universelle, par exemple, – loi qui s’imposerait à
tous en dehors de toute considération morale.
La concentration de la richesse et du pouvoir, les processus objectifs d’exclusion
et de marginalisation ne sont pas l’effet de lois naturelles, mais bien
d’institutions économiques et politiques proprement humaines. Cela ne signifie
pas que tout soit possible : il n’y a pas de développement économique sans
investissement, et il n’y a pas d’investissement sans profit, par exemple. Il y a
des contraintes objectives. Mais il y a aussi des décisions humaines à caractère
politique. La mondialisation actuelle, dans son fonctionnement et la forme
qu’elle a prise, est tout autant la conséquence du développement des
technologiques nouvelles de la communication et de l’information, des
nouvelles techniques de production et de l’industrie financière, que des
décisions proprement politiques d’ouverture des frontières au marché, de
changement de régulations, de mesures favorables au développement du marché
financier.
Il y a donc responsabilité politique sur les conséquences de cette mondialisation,
responsabilité qui présente une dimension proprement morale.
Dans la mesure où c’est l’homme qui est en cause dans sa dignité, le combat
pour la justice fait partie intégrante de l’évangélisation, et le croyant ne peut se
soustraire à ses responsabilités morales dans le champ économique et politique.
o
La personne humaine
Il y a une constante à travers tous les documents sociaux de l’Église : le critère
est la personne humaine, sa dignité. La manière de fonder ce principe varie au
cours du temps et selon la sensibilité des différents papes. Pour Léon XIII et
Pie XI, la référence est essentiellement le droit naturel (Léon XIII parlait à ce
sujet de philosophie chrétienne) ; Jean XXIII puis Paul VI se sont appuyé
principalement sur les droits de l’homme tels qu’ils sont définis dans les grands
instruments internationaux, à commencer par la Déclaration des Nations unies.
Jean-Paul II s’appuie plus directement sur les fondements bibliques et
théologiques. L’approche de Jean XXIII et de Paul VI a l’avantage d’offrir une
référence commune aux croyants et aux non-croyants. C’est important au niveau
de l’argumentation. La référence biblico-théologique est intéressante comme
apport de sens, mais elle est plus faible comme argument.
La personne est une valeur qui transcende le droit, valeur qui est reconnue par
nombre de constitutions. C’est le cas du projet de Constitution européenne qui
se réfère dès les toutes premières lignes de son préambule aux « droits
inviolables et inaliénables de la personne humaine ». Le concept même de
personne vient de la tradition chrétienne. Mais que sont les droits inaliénables et
inviolables de la personne humaine ? Le préambule de la Charte des droits
fondamentaux déclare de son côté que « l’Union se fonde sur les valeurs
indivisibles et universelles de la dignité humaine ». Et la Charte décline ces
valeurs : liberté, égalité, solidarité, et dans ses différents chapitres, elle les
explicite par un certain nombre de droits.
Mais l’idée qu’on se fait de la dignité humaine, et donc de la personne, varie
profondément au cours du temps. L’esclavage comme institution sociale et
économique était admis autrefois, l’homosexualité était fermement condamnée
par la société... Ce qui était acceptable et normal à une certaine époque ne l’est
plus aujourd’hui, et ce qui était condamné devient acceptable.
Comment définit-on la dignité humaine ? D’abord de façon négative, sans doute,
en refusant ce qui apparaît comme contraire à cette dignité. Mais cette
perception négative varie selon les époques, et dans le présent, il y a des
perceptions assez différentes : qu’on pense à des questions comme l’avortement
ou l’euthanasie. Et du point de vue social : quelles sont les conditions
économiques minimales, quant au revenu et à l’accès aux biens essentiels, pour
une vie dans la dignité ? Et de plus, qui doit être pleinement reconnu comme
sujet de ces droits : les citoyens ou toute personne quel que soit sont statut
juridique ?
La personne et sa dignité ne peuvent assurer la fonction de référence fondatrice
de droit dans une société de plus en plus plurielle que par l’élaboration de
consensus qui cherchent à accorder, d’une part, des exigences en tension,
comme la liberté et l’égalité, et d’autre part, des conceptions différentes de ce
qu’est la dignité humaine. Il s’agit toujours de compromis. De ce point de vue,
l’Église a vraiment de la difficulté à entrer dans une dynamique politique de
consensus en raison de sa conception souvent très intransigeante de la vérité,
avec la difficulté à reconnaître que nous sommes tous, y compris en Église, en
recherche de vérité. La question, pour la société, est celle des moyens qu’on se
donne pour élaborer ces compromis et donc les normes acceptées en commun, à
partir d’un véritable débat politique.
o
Tout l’homme et tous les hommes
Si la personne est le critère de la qualité éthique d’une société, l’objectif de tout
développement doit être tout l’homme et tous les hommes, selon l’expression du
P. Lebret reprise par Paul VI. Cela vaut tout aussi bien dans les pays pauvres du
Sud que dans les pays dits développés. Il s’agit ainsi de viser à un humanisme
plénier et intégral. La véritable richesse des nations n’est pas seulement
économique.
Le PIB est un indicateur très partiel de développement. Calculé en moyenne par
habitant, il masque toute une série de phénomènes. Le PIB/hab peut être
relativement élevé, mais correspondre à une situation où la richesse est
fortement concentrée et les écarts économiques très importants. De plus, le PIB
englobe toutes les opérations engendrant un produit monétaire : un accident
augmente le PIB parce qu’il donne lieu à des dépenses de santé, à la réparation
ou au remplacement de la voiture, ou encore les atteintes portées à
l’environnement engendrent des frais supplémentaires d’assainissement des
eaux ou de réhabilitation de terrains : ces phénomènes effectivement
destructeurs interviennent positivement dans le PIB. Et surtout, le PIB ne dit rien
sur la qualité de la vie : la santé, l’éducation, le logement, l’accès à l’eau potable
ou aux services, etc. De ce point de vue, les critères développés par le PNUD
offrent déjà une image un peu plus correcte.
Le critère éthique du développement est tout l’homme et tous les hommes.
Tout l’homme d’abord. La société de consommation réduit plus ou moins
largement les citoyens à n’être que des clients pour les entreprises : le directeur
d’une grande chaîne de télévision en France déclarait dernièrement que
l’objectif réel de l’ensemble des programmes était d’être un support pour la
publicité. Déclaration cynique, un peu exagérée sans doute, mais significative
d’une société de consommation. On constate que dans tous nos pays, les
ressources publiques pour la santé, l’éducation ou la culture ne cessent de se
réduire. Jusqu’où la croissance telle qu’elle est conçue et mise en œuvre
contribue-t-elle à un véritable développement de l’humain ?
Tous les hommes : une société peut être riche, mais engendrer une proportion
élevée d’exclus. Aux États-Unis, 24,7% des Noirs sont pauvres, 15,7% de la
population (45,8 millions de personnes) n’a aucune assurance sociale, et c’est le
cas de 32,7% des Hispaniques... Et tous ces chiffres ont augmenté au cours des
quatre dernières années. Mais les États-Unis connaissent un taux de croissance
bien plus élevé qu’en Europe. Croissance pour qui ? Est-ce vraiment un
développement humain ?
Au niveau mondial, le taux de pauvreté a un peu diminué, en raison de la
croissance en Chine et en Inde, poids lourd de la démographie. Mais en Afrique
noire, la pauvreté n’a cessé d’augmenter. La raison principale du manque de
croissance et de développement n’est pas tant la dépendance et la politique du
Nord (qui ont leur rôle bien sûr), que l’absence d’institutions politiques
efficientes dans ces pays mêmes. Mais on peut se demander si, au niveau de la
coopération, l’Europe investit vraiment et prioritairement dans l’appui aux
réformes administratives et institutionnelles indispensables en Afrique.
o
La destination universelle des biens
La destination universelle des biens, sans cesse réaffirmée par l’Église, est un
principe fondamental mais très difficile quant à son application concrète.
L’Église a d’abord absolutisé la propriété privée comme droit naturel premier et
inviolable. Elle a ensuite relativisé ce droit en le subordonnant au principe de la
destination universelle des biens. Négativement, ce principe signifie que les
droits que confère la propriété ne sont pas illimités quant à l’usage du bien
possédé. La propriété a une fonction sociale : une entreprise produit des biens
qui sont supposés être utiles2 et elle fournit de l’emploi. De plus en plus, on parle
2
Un fonds d’investissement lancé aux États-Unis il y quelques années s’appelle « Vice fund » (cf.
www.vicefund.com) qui déclare explicitement investir prioritairement dans des entreprises qui ne correspondant
aussi de la responsabilité sociale des entreprises : par rapport au lieu de leur
implantation, concernant l’environnement, etc. Cette expression manifeste une
certaine conscience de ce que la propriété des moyens de production implique
d’autres responsabilités que de tendre au maximum de profit. Cette
responsabilité plus large, en relation tant avec les travailleurs qu’avec
l’environnement social, est cependant en forte tension avec le pouvoir accru des
actionnaires dans une économie de plus en plus financiarisée : ces actionnaires
sont de moins en moins directement impliqués personnellement dans les
entreprises (fonds de pension et fonds d’investissements) et les dividendes sont
leur unique critère.
La question de la destination universelle des biens se pose aujourd’hui de façon
très concrète à propos de l’eau, qu’on voudrait pouvoir déclarer bien public
mondial contre la tendance à la privatisation. Celle-ci, en tout cas dans les pays
pauvres, conduit le plus souvent à rendre l’eau potable inaccessible pour les
pauvres en raison de l’augmentation du coût, outre le fait que l’eau se trouve
alors souvent détournée au profit de l’industrie ou de l’agriculture industrielle,
en créant la pénurie pour la population avoisinante.
o
Le bien commun
Jusqu’il n’y a pas si longtemps, le bien commun paraissait être un concept très
marqué catho. C’est Thomas d’Aquin, s’appuyant sur Aristote, qui est le premier
à élaborer la notion de bien commun, qui a depuis lors eu une place assez
importante dans la réflexion morale de l’Église. On constate cependant
qu’aujourd’hui ce terme prend place assez fréquente dans le discours politique et
économique. Il est utilisé dans des sens divers : un bien commun est un bien qui
n’est la propriété individuelle ou collective de personne, et donc accessible à
tous, comme l’océan ou l’air qu’on respire. On utilise aussi le terme à propos
d’Internet : l’information circule et est accessible à tous (du moins à tous les
internautes, ce qui ne représente que 2% de la population mondiale !)...
Jean XXIII est le premier à avoir proposé une définition du bien commun du
point de vue de l’enseignement de l’Église. En fait, il réoriente assez
fondamentalement la perspective thomiste. Pour Thomas d’Aquin, le bien
commun est d’abord le bien du tout (de la nation, de l’Église) auquel doit être
soumis, et éventuellement sacrifié, le bien particulier des individus. Jean XXIII,
suivi par le Concile Vatican II et les papes depuis lors, rééquilibre cette notion à
partir de la personne ; ensuite on ajoutera aussi les groupes humains. Le bien
commun n’est pas un bien particulier : il est défini comme l’ensemble des
conditions sociales qui permet à toutes les personnes et à tous les groupes qui
constituent la société d’accéder à leur propre accomplissement le plus positif.
pas au « political correct » : armes, alcool et tabac, parce que ce sont les entreprises qui rapportent le plus grand
profit. Le cynisme total. Il se fait que cependant ce fonds ne rapporte pas autant que prévu...
Le bien commun se situe à différents niveaux : celui du pays (ou celui de la
région), celui d’un ensemble comme l’Union européenne, celui du monde. Dans
l’Union, le repli sur le national est aujourd’hui très marqué, et il y a une forte
tendance à opposer l’intérêt national à l’intérêt communautaire et à faire
prévaloir le premier sur le second. Intérêt national et intérêt communautaire sont
un aspect du bien commun, mais ne recouvrent pas toute l’étendue des
exigences du bien commun : l’intérêt est, en effet, surtout compris en termes
économiques ou politiques. Les débats actuels portant sur le budget européen
sont très significatifs à cet égard : la volonté des pays les plus riches de l’Union
de réduire ce budget, et donc leur propre participation, est clairement un refus de
prise en compte des nécessités engendrées par l’élargissement et des besoins des
nouveaux pays membres. De même, les difficiles débats au sujet de l’agriculture
dans le cadre de l’OMC manifestent la difficulté qu’il y a à prendre en compte
l’intérêt général et le bien commun universel.
Si on en accepte la définition proposée par l’Église, le critère du bien commun
offre un principe fondamental de discernement du caractère moral ou non de
l’organisation d’une société, y compris le système mondial. Le bien commun, en
tant que tel, n’offre aucune solution et il n’est pas non plus un paramètre concret
à partir duquel déduire immédiatement un ordre juridique ou social. Il est bien
plutôt une clé de lecture qui permet de questionner le fonctionnement réel de la
société.
Exemple : une grande enquête européenne montre que, dans quasi tous les pays
européens, les deux obstacles principaux conduisant les femmes à ne pas mettre
au monde les enfants qu’elles désireraient avoir sont l’insécurité économique et
l’insécurité affective. Il y a lieu de se demander si une société où se vit ce
double sentiment d’insécurité de façon aussi répandue, est une société
effectivement orientée par le bien commun, ce bien commun en l’occurrence
étant tout à la fois la confiance des femmes et des couples concernés à propos de
leur propre avenir et l’ouverture à la société sur son avenir quand elle n’assure
pas le renouvellement des générations.
o
Le choix prioritaire des pauvres
Dans la mise en œuvre de la clé d’interprétation et de discernement que
constitue le bien commun, pour le chrétien (qui n’en a cependant pas le
monopole), il y a lieu de faire intervenir un critère spécifique d’inspiration
directement évangélique : le choix prioritaire des pauvres (ou l’option
préférentielle des pauvres, si l’on préfère). À ce sujet, il est intéressant de relever
une expression du préambule de la Constitution européenne. L’Union entend
agir « pour le bien de tous ses habitants, y compris les plus fragiles et les plus
démunis ».
Le choix prioritaire des pauvres est une option éthique fondamentale. C’est bien
un choix ou une option. Il s’agit de la volonté consciente de regarder l’ensemble
de la réalité sociale à partir d’un point de vue particulier : celui des pauvres, des
plus faibles, des moins bien lotis. On ne s’interroge pas d’abord sur l’équilibre
d’un fonctionnement d’ensemble, d’un système. On se demande : le système
étant ce qu’il est, avec ses règles de fonctionnement, ses normes, son ensemble
législatif, qu’advient-il des plus fragiles et des plus démunis ? Et on se pose
aussi cette question concernant tout nouveau projet législatif ou réglementaire,
qu’il soit national, européen ou mondial. Cette question, à partir de ce point de
vue particulier délibérément choisi, doit être posée à de multiples niveaux : le
fonctionnement mondial du commerce et les normes de l’OMC, les procédures
et règles imposées par le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale,
l’architecture interne de la Constitution européenne, le débat sur la future
directive Services (directive Bolkenstein), le budget européen ou les budgets
nationaux, les systèmes de privatisation des retraites, etc.
Ce regard particulier met en lumière les multiples contradictions entre les belles
intentions déclarées dans les engagements pris par les États au niveau
international, dans la Constitution européenne, dans les programmes des partis,
et les politiques effectivement menées.
Ici encore, ce regard à partir des pauvres n’offre pas de solution concrète et,
quels que soient les rapports de force, il ne permet pas de trouver les solutions
idéales, qui n’existent pas. Mais il doit permettre d’agir en vue d’améliorer les
choses dans un sens plus favorable aux plus défavorisés, et d’arriver ainsi à des
compromis plus satisfaisants de ce point de vue.
o
Le marché et ses limites
Dans tous les pays où on a essayé de l’introduire, l’économie planifiée de façon
centrale par l’État a conduit à l’échec économique, tout en portant gravement
atteinte aux libertés. La cause principale de l’effondrement de l’URSS et du
système communiste réside sans doute là, les oppositions internes n’ayant pu
aboutir positivement et en venir à bout du système que parce que celui-ci était
gravement fragilisé de l’intérieur par son inefficacité.
Nous sommes ainsi dans un monde où un seul système fonctionne, qui est libéral
capitaliste ou un capitalisme de marché. Ce système est-il l’idéal ? Non, et JeanPaul II le dit clairement. Mais, du point de vue de l’efficacité économique, on
n’a rien trouvé de mieux que le marché à l’heure actuelle. Les altermondialistes
ont certainement raison de critiquer le système tel qu’il fonctionne, et en ce sens
ils provoquent positivement au débat politique, mais jusqu’à présent ils n’ont
proposé aucune alternative globale crédible.
Il y a donc reconnaissance du rôle majeur du marché et donc aussi de la
nécessité du profit, mais cette reconnaissance est critique. Oui à une économie
de marché, non à une société de marché : refus d’une société qui soit de part en
part régie par le marché (ce qui est l’objectif des néolibéraux). Le marché peut
assurer de la meilleure manière la production et la distribution de nombre de
biens, à l’avantage de tous. Mais il est incapable d’assurer l’offre de biens non
solvables, qui sont pourtant essentiels pour assurer la dignité de tous ceux dont
les ressources monétaires sont trop faibles pour avoir accès à ces biens ; il est
incapable d’offrir des services de base à caractère universel, c’est-à-dire
accessibles et de qualité égale pour tous (poste, eau potable, etc.) ; il est
incapable d’assurer la sauvegarde ou la promotion de biens publics comme
l’environnement, la qualité des sols ou de l’eau des rivières, la beauté et la
propreté de tous les espaces publics, le même niveau de sécurité pour tous les
citoyens, etc. De plus, le marché laissé à lui-même creuse les écarts et développe
ainsi des sociétés de plus en plus discriminantes. Fondamentalement, le marché
est incapable d’assurer par lui-même le bien commun.
Le marché demande donc à être régulé et équilibré par des procédures qui font
appel à d’autres moyens et d’autres principes.
o
L’État et les instances publiques
Étant donné les limites du marché en ce qui concerne les biens non solvables, les
biens publics et plus généralement le critère du bien commun, l’Église insiste
constamment sur la responsabilité de l’État. L’État doit tout à la fois établir le
cadre juridique du fonctionnement du marché et prendre en charge directement
ou indirectement la protection, la production et la distribution des biens et
services indispensables au bien commun et que le marché ne peut assurer. C’est
ainsi à l’État qu’il revient d’assurer à tous les ressources nécessaires pour
répondre aux besoins vitaux et d’assurer un accès équitable pour tous aux
services publics, et plus généralement, pour les moins bien nantis. De plus, il
revient à l’État d’être le garant du respect de la dignité humaine et plus
généralement des droits de l’homme. La loi doit donc jouer un rôle déterminant
dans la défense de la justice et de la dignité humaine
De ce point de vue, il est évident que l’Union européenne aujourd’hui manque
d’État. Certes, elle ne doit pas devenir elle-même un État ou un super-État. Mais
l’Union ayant été instituée d’abord dans la perspective d’un marché unique, ce
qui est quasi accompli à l’échelle des vingt-cinq maintenant, la fonction
d’équilibrage qui devrait revenir aux pouvoirs publics n’est pratiquement plus
assurée. Les traités et le projet de Constitution sont ainsi marqués d’un
déséquilibre interne ou d’une asymétrie entre le domaine de l’économique défini
par le marché et la concurrence, d’une part, le domaine du social et du fiscal (qui
conditionne le social), d’autre part. Le premier, en effet, est normatif et soumis
au vote à la majorité qualifiée, et garanti par des procédures judiciaires, tandis
que le second, pour l’essentiel et à l’exception de quelques normes du droit du
travail, est de l’ordre de la coordination libre et soumis à l’unanimité (très
difficile à obtenir à vingt-cinq). De ce fait, le social et donc l’objectif de bien
commun demeurent fragiles et trop souvent perdants face au marché, malgré la
belle déclaration de principe du préambule de la Constitution : « y compris les
plus fragiles et les plus démunis ».
Par ailleurs, depuis Jean XXIII, l’Église ne cesse d’en appeler à l’instauration
d’une autorité publique de compétence universelle, qui ait la capacité d’assurer à
la fois la paix mondiale et la justice dans les rapports internationaux. Quant à la
paix, au niveau des nations, l’État a acquis le monopole de la violence légitime,
afin de maintenir l’ordre et l’État de droit : les conflits ne peuvent plus être
réglés par les individus ou les groupes particuliers en faisant appel à la force,
l’État étant le législateur, le médiateur des conflits et le juge. À sa création par la
CECA, à l’origine de l’Union européenne a été instituée précisément pour
assurer cette fonction de paix. La question est de savoir comment et avec quels
moyens cet exemple européen pourrait, d’une façon ou l’autre, être transposé au
niveau mondial. En théorie et en droit, en ce qui concerne la paix, c’est la
fonction du Conseil de sécurité des Nations unies. Mais on voit bien que
l’instrument reste d’une efficacité limitée. Quant à la justice dans les relations
internationales, il n’y a pas de véritable instance mondiale.
Quant à la justice, le système international souffre du même déséquilibre et plus
marqué encore que celui qui caractérise les traités européens. Dans le domaine
du commerce, l’OMC impose des normes en fonction du marché et s’appuie sur
une instance de sanction, l’Organe de règlement des différends, tandis que les
autres instances dans le domaine du travail (OIT), de la santé (OMS), de
l’alimentation (FAO), du développement (PNUD), de l’environnement (PNUE)
ne sont que des instances incitatives sans normes obligatoires ni sanctions. Ici
aussi, et clairement, manque une autorité publique de compétence universelle.
o
La subsidiarité
L’enseignement social de l’Église souligne constamment le rôle de l’État, mais
tout en même temps, et de façon aussi constante et insistante, il met en avant le
principe de subsidiarité. L’État a des responsabilités propres et importantes,
mais limitées. Il ne peut chercher à tout gérer. Si on veut éviter le totalitarisme
ou la bureaucratisation conduisant à la corruption et à l’inefficacité sociale et
économique, il est indispensable de reconnaître et de soutenir l’autonomie et la
responsabilité des organisations intermédiaires à partir de la famille et à tous les
niveaux de la société civile. Le premier domaine dans lequel l’Église a insisté
sur la liberté et l’autonomie de l’organisation associative est celui du travail :
syndicats et instances patronales, corporatisme éventuellement, à condition qu’il
soit totalement indépendant de l’État. Parler de subsidiarité, c’est dire toute
l’importance de la vie associative comme contribution au dynamisme de la
société, cette vie associative complètement réprimée tant dans les sociétés sous
régime communiste que dans celles soumises à l’idéologie de la sécurité
nationale (régimes militaires en Amérique latine, par exemple). La subsidiarité
est ainsi une condition fondamentale de l’exercice de la liberté.
La subsidiarité, depuis le Traité de Maastricht sur l’Union européenne, est l’un
des principes fondamentaux de l’institution européenne, subsidiarité pensée
d’abord dans la relation entre l’Union et chacun des États. Mais dans l’esprit des
traités, ce principe devrait être mis en œuvre non seulement au niveau du
fonctionnement de l’Union, mais dans la vie et l’organisation juridique de tous
les États membres.
On peut dire sans doute que la perspective de démocratie participative, c’est-àdire le « dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations
représentatives et la société civile » (art. I-47), de même que « le dialogue
ouvert, transparent et régulier » avec les Églises, les associations et
communautés religieuses et les organisations philosophiques et non
confessionnelles (art. I-52), sont une expression et une mise en œuvre de la
subsidiarité. Il en va de même au niveau international dans les institutions
comme le Conseil de l’Europe ou la Commission de droits de l’homme des
Nations unies où des ONG accréditées ont un statut consultatif.
o
La mondialisation et l’interdépendance
La mondialisation est une possibilité et une chance : pour la première fois dans
l’histoire le fait que l’humanité est une peut prendre forme concrète, dans une
interdépendance de tous vis-à-vis de tous. Cette interdépendance s’impose
même si, au stade présent de la mondialisation, de nombreuses populations sont
refoulées aux marges du système économique et politique : ces populations ne
vivent pourtant pas en vase clos, leur présent et leur destinée sont aussi
déterminés plus ou moins largement par l’ensemble des relations tissées par la
mondialisation ou la globalisation dans les termes anglo-saxons.
Cette interdépendance est un fait : toute action économique ou politique a des
répercussions sur l’ensemble, très limitées ou fortes selon les circonstances. Il en
est ainsi de la politique étrangère, de l’action des entreprises, de l’utilisation de
l’énergie, de la façon de traiter de la différence, de l’influence des idéologies,
etc.
Jean-Paul II déclare avec raison que l’interdépendance est aussi une catégorie
morale : le fait est en même temps une responsabilité. Le problème est que trop
souvent cette responsabilité n’est pas assumée, par aveuglement, par refus au
nom de l’intérêt propre ou par cynisme. L’intérêt national pour l’accès aux
matières premières passe avant le sort des populations qu’on veut ignorer, la
recherche du moindre coût de production des produits de consommation veut
ignorer l’exploitation impitoyable des travailleurs dans les ateliers du Sud, le
bien-être d’aujourd’hui veut ignorer le bien-être des générations futures quant
aux menaces environnementales liées à notre activité industrielle et à notre
mode de consommation.
L’interdépendance ne peut être vraiment catégorie morale, comme elle devrait
l’être, que par volonté politique. De ce point de vue, il est évident que le monde
associatif, le monde des ONG porte une responsabilité particulière, en
s’appuyant sur les études les plus objectives possibles, pour sensibiliser les
opinions publiques et faire pression sur les autorités politiques.
o
Vérité, justice, solidarité et liberté
Jean XXIII, dans Pacem in terris, a mis en avant quatre vertus de l’engagement
en société : vérité, justice, solidarité et liberté. Il me semble que ces quatre mots
signifient bien les exigences morales fondamentales de toute vie en société, à
quelque niveau que ce soit, à partir des relations interpersonnelles jusqu’aux
relations commerciales et politiques internationales.
Vérité : vérité d’abord de l’être humain, de la personne humaine, de sa dignité et
de ses droits. Vérité aussi dans la cohérence entre les engagements pris, les
discours et déclarations publiques et la pratique réelle. On parle de coopération,
mais trop souvent, dans les faits, les pays pauvres contribuent à enrichir les pays
plus riches plus que ceux-ci ne contribuent réellement pour eux à une sortie de la
pauvreté. On parle de démocratie et d’étendre la démocratie dans le monde, mais
on s’appuie sur des régimes totalitaires au nom de l’intérêt national. On peut
multiplier les exemples.
Justice : le marché est censé être libre, c’est-à-dire être l’expression de l’accord
entre les parties pour le plus grand avantage de tous. Quand il y a grande
inégalité, il n’y a pas de liberté. Les contrats deviennent de fait des contrats
léonins, contrats abusifs qui concentrent tous les avantages d’un seul côté. Un
exemple typique est l’Accord multilatéral sur les investissements (AMI) que les
États-Unis principalement ont cherché à obtenir et imposer il y a quelques
années et qui a pu heureusement être rejeté. Ce contrat prévoyait, par exemple,
que si un État voulait imposer de nouvelles normes environnementales (et on
sait que dans la plupart des pays pauvres, il n’y a actuellement quasi pas de
normes), cet État devrait dédommager les entreprises étrangères du coût entraîné
par l’application de ces normes ; ou encore qu’en cas de grève, l’État serait
obligé de combler le manque à gagner de l’entreprise...
Solidarité : la question de la solidarité se pose à tous les niveaux, entre riches et
pauvres au sein de l’État (question de la fiscalité), entre régions riches et régions
plus pauvres dans un même pays (Belgique, Allemagne, Espagne, Italie...), entre
pays plus riches et pays plus pauvres dans l’Union européenne, entre pays riches
du Nord et pays pauvres du Sud, mais aussi plus récemment entre pays
émergents ou nouvellement industrialisés du Sud (Brésil, Inde, Chine...) et pays
pauvres et en décrochage du Sud (Afrique). L’individualisme de la culture
contemporaine et la valorisation de l’intérêt national ou régional sont un
obstacle important à la solidarité.
Liberté : des idéologues peuvent planifier une société meilleure et chercher à
l’imposer par la force en exaltant le pouvoir de l’État, jusqu’au totalitarisme
prenant appui sur la force militaire ou policière. Mais il n’y a pas de véritable
développement sans participation, responsabilité et créativité des citoyens, et la
liberté est condition de la participation. Cette liberté est tout autant nécessaire
pour favoriser la créativité individuelle que la créativité collective des
entreprises ou des associations. Par ailleurs, en ce temps marqué par le
terrorisme, la peur qu’il engendre, le besoin de sécurité, les libertés risquent
d’être de plus en plus sacrifiées au profit d’une société de contrôle, avec le
soupçon porté sur tout mouvement de contestation.
Il faut cependant être conscient de ce que entre justice, solidarité et liberté il y a
des tensions : si on absolutise un des termes, on le fait au détriment des deux
autres. La question difficile est de déterminer dans les situations concrètes le
meilleur équilibre, ce qui est toujours un compromis. Ce compromis est pour
une part lié à la culture : par culture, certains pays sont plus sensibles à la liberté
(États-Unis, par exemple), d’autre à la justice et la solidarité, et par là à une
certaine égalité (les pays scandinaves). Cela signifie sans doute que l’équilibre
possible et désirable dépend en partie de la culture. Reconnaître cela ne justifie
pas pour autant toutes les atteintes à la justice et à la solidarité, ou à la liberté.
o
Le dialogue interconvictionnel
Il y a un point sur lequel l’enseignement social de l’Église ne présente
certainement pas une continuité, allant de la négation pratique, à l’ouverture puis
à l’hésitation, c’est l’attitude à avoir vis-à-vis des autres convictions.
Léon XIII et Pie XI cherchent à reconstituer en Europe une société chrétienne et
à reconquérir le terrain perdu : l’Action catholique fortement appuyée, en est
l’un des instruments, de même que les partis et syndicats catholiques. La
conviction est que seule l’Église et sa doctrine sont capables de sauver la
société, de faire régner la justice. Jean XXIII et Paul VI prennent une tout autre
option : ils invitent au dialogue et à la collaboration sur la base de la référence
commune des droits de l’homme, et s’adressent donc directement à tout homme
de bonne volonté. Jean-Paul II effectue un recentrage. Sans doute, invite-t-il au
dialogue, mais un dialogue fondamentalement soupçonneux (bien que ce ne soit
jamais dit ainsi), car sans reconnaissance de Dieu comme principe premier à la
base de toute société, la morale tant personnelle que collective perd tout
fondement. Autrement dit, oui au dialogue... mais sur quelle base de confiance
le fonder, si nous n’avons aucun principe fondateur commun ? Benoît XVI, à la
lecture des écrits et interventions du cardinal Ratzinger, semble bien se situer
dans la même ligne.
Je pense que la conception de l’éthique qui ne peut avoir d’autre fondement que
la reconnaissance de Dieu comme source et principe, conduit à une impasse
politique et repose sur une erreur théologique. Du point de vue théologique,
c’est-à-dire comme croyant, le témoignage biblique et celui de la tradition nous
disent que tout homme, toute femme est image de Dieu ; cela signifie qu’il y a
en l’homme, par nature pourrait-on dire, un reflet de Dieu. Ce reflet, c’est le
témoignage de la conscience, l’ouverture fondamentale au bien et à la vérité,
ouverture qui peut de fait être obscurcie, aussi bien chez l’incroyant que chez le
croyant. Autrement dit, je puis comme croyant croire que Dieu est source et
fondement de sens et de morale ; je ne suis pas conduit pour autant à affirmer
que ce fondement doit être reconnu comme tel par tous pour qu’il agisse et
s’exprime dans l’expérience humaine.
Mais cette affirmation de la nécessité de la reconnaissance explicite et publique
de Dieu comme fondement de la société en tant que réalité morale conduit aussi
à une impasse politique. En effet, sur quelle base s’engager dans le dialogue
politique en vue d’une société plus morale, plus juste, si on ne croit pas
sincèrement que les partenaires de ce dialogue politique qui ne partagent pas la
foi en Dieu peuvent aussi s’appuyer sur un expérience profonde du sens et de la
recherche du bien humain ? Et si on ne croit pas à cette source vivante chez
l’autre, ne se trouve-t-on pas condamné à désespérer de la société dès lors que,
comme chrétiens clairement engagés dans la foi, nous sommes minoritaires ?
Etape 1 : Dans un souci du Bien commun, réaffirmer le primat de la
personne, créée à l'
image de Dieu
A. Doctrine sociale de l'
Eglise et sagesse des peuples
La doctrine sociale de l'Eglise n'est pas à isoler de l'effort global de l'humanité
pour promouvoir une vie plus digne sur la planète. C'est pourquoi, dans ce
dossier, sont expliqués les différents thèmes et sont présentés les documents
faisant autorité, qu'ils aient une origine magistérielle ou non. Stimulée par la
réflexion des peuples, comme par le message prophétique qu'elle détient,
l'Eglise élabore progressivement des principes et les retient alors que les modes
passent et que certaines régressions sociales aveuglent parfois (nazisme,
communisme, libéralisme)...
B. Homogénéité de l'
enseignement de l'
Eglise dans l'
histoire ?
Dans les documents de la hiérarchie ecclésiale, il faut reconnaître qu'il y a une
certaine hétérogénéité. On pourrait même constituer un bêtisier qui ne
manquerait pas de valeur pédagogique... Toute parole émanant d'une autorité,
fût-elle ecclésiale n'est pas "parole d'évangile" pour autant...
On trouve ainsi, par exemple : Pie VI sur les Droits de l'Homme :
« Quoi de plus contraire aux droits du Dieu créateur (...) que cette liberté de
penser et d'agir que l'Assemblée Nationale accorde à l'homme social comme
un droit imprescriptible de la nature. » Quot aliquantum (10 mars 1791)
et encore : Grégoire XVI
« Cette maxime absurde et erronée ou plutôt ce délire que l'on puisse assurer et
garantir à chacun la liberté de conscience ». Mirari Vos (15 août 1832)
Ou même : Pie IX Syllabus (1864) n° 78 contre la liberté de culte.
C. Prises de position prophétiques
Les contre-exemples ne peuvent faire passer au second plan les innombrables
textes engagés et lucides sur des sujets brûlants. Depuis le Nouveau Testament,
plus encore dans le Nouveau, les orientations sont claires et déterminées. Les
prophètes n'ont jamais manqué. Que l'on pense par exemple à Las Casas et, à la
même époque à fr. Francisco Vitoria dont nous présentons quelques extraits
significatifs.
D. La doctrine sociale de l'
Eglise en est à ses débuts
Avant 1870, avec la perte des Etats Pontificaux, le pape n'a guère d'autorité en
matière sociale. La « doctrine sociale de l'Eglise » ne commence véritablement à
émerger qu'avec Rerum Novarum du pape Léon XIII en 1893 (y fera écho
Sanctesimus annus de Jean Paul II en 1993).
Au plan théorique, on trouve les racines chez saint Augustin, elles sont
développées ensuite particulièrement par saint Thomas d'Aquin.
E. Trois principes président à la pensée sociale de l'
Eglise
1. Le souci du Bien Commun
On peut l'appeler le principe de solidarité : chacun doit contribuer au bien
commun de la société (refus de l'individualisme social et politique).
Nous sommes tous des individus mais il existe un Bien Commun qui dépasse le
bien de chacun. Ce bien commun n'est pas une fin en soi, il doit être redistribué.
Le but premier de la politique est de veiller à ce que chacun contribue au bien
commun et en profite par une juste distribution.
2. le primat de la personne, créée à l'image de Dieu
Voici la clé de la doctrine sociale : "La juste conception de la personne humaine,
de sa valeur unique, dans la mesure où l'homme est sur la terre la seule créature
que Dieu ait voulu pour elle-même" (Gaudium et Spes, 24).
Il y a une primauté des personnes sur les structures. Le système, l'organisation,
l'Etat etc. ne sont pas des absolus.
Cependant, l'individu est un être de relation. La personne est à considérer
comme être social et dans toutes ses composantes. Elle est orientée à un absolu
qui relativise l'intérêt du groupe comme tel. (principe qui s'oppose au
totalitarisme). La société n'est pas une ruche... la personne, comme partie ne
peut être sacrifiée au bien du tout. Ex : S'il faut une mission suicide, on ne peut
pas désigner des gens, il faut des volontaires... (cf. « la personne et le Bien
Commun » de Jacques Maritain).
« Seul le christianisme affirme ; à la fois, indissolublement, pour l'homme une
destinée transcendante et pour l'humanité une destinée commune. De cette
destinée
l'histoire
du
monde
est
la
préparation. »
(H. de Lubac Catholicisme)
3. le principe de subsidiarité
tout ce que l'échelon inférieur peut faire, doit être géré à ce niveau.
Ni l'Etat, ni la société ne doivent se substituer à l'initiative et à la responsabilité
des personnes et des communautés intermédiaires, au niveau où elles peuvent
agir.
F. Exhortation Apostolique post-synodale : Ecclesia in america
de Jean-Paul II à Mexico, le 22 janvier 1999 (extraits)
...Ce dévouement constant envers les pauvres et les déshérités se retrouve dans
le Magistère social de l'Église, qui ne se lasse pas d'inviter la communauté
chrétienne à s'employer à ce que soit surmontée toute forme d'exploitation et
d'oppression. Il s'agit, en effet, non seulement de soulager les besoins les plus
graves et les plus urgents par le moyen d'actions individuelles ou sporadiques,
mais de faire ressortir les racines du mal, proposant des interventions qui
donnent aux structures sociales, politiques et économiques une configuration
plus juste et plus solidaire.
1. Respect croissant des droits humains
19. Dans le domaine civil, mais avec des implications morales immédiates, on
doit signaler, parmi les aspects positifs de l'Amérique d'aujourd'hui, la mise en
place croissante dans tout le continent de systèmes politiques démocratiques et
la réduction progressive des régimes dictatoriaux. L'Église considère avec
sympathie cette évolution, dans la mesure où cela favorise un respect toujours
plus évident des droits de chacun, y compris ceux de l'accusé et du coupable, à
l'égard desquels il n'est pas légitime de recourir à des méthodes de détention et
d'investigation, que l'on pense ici particulièrement à la torture, préjudiciables à
la dignité humaine. « L'État de droit est, en effet, la condition nécessaire pour
établir une vraie démocratie ».
En outre, l'existence d'un État de droit implique chez les citoyens, et plus
encore dans la classe dirigeante, la conviction que la liberté ne peut être
séparée de la vérité. En effet, « les graves problèmes qui menacent la dignité
de la personne humaine, la famille, le mariage, l'éducation, l'économie et les
conditions de travail, la qualité de la vie et la vie elle-même, soulèvent la
question du droit ». Les Pères synodaux ont souligné avec raison que « les
droits fondamentaux de la personne humaine sont inscrits dans la nature
elle-même, qu'ils sont voulus par Dieu et que par conséquent ils
demandent à être universellement acceptés et observés. Aucune autorité
humaine ne peut les transgresser en faisant appel à la majorité ou au
consensus politique, sous prétexte que de cette manière le pluralisme et la
démocratie sont respectés. C'est pourquoi l'Église doit s'engager à former
et à accompagner les laïcs qui ont une fonction dans le domaine législatif,
dans le gouvernement et dans l'administration de la justice, afin que les
lois expriment toujours des principes et des valeurs morales qui soient
conformes à une saine anthropologie et qui tiennent compte du bien
commun ».
2. Le phénomène de la mondialisation
20. La tendance à la mondialisation, caractéristique du monde contemporain,
est un phénomène qui, tout en n'étant pas exclusivement américain, est plus
perceptible et a de plus grandes répercussions en Amérique. Il s'agit d'un
processus qui s'impose en raison du fait qu'il y a une plus grande
communication entre les diverses parties du monde, ce qui abolit pratiquement
les distances, avec des effets évidents dans des domaines très différents.
Les conséquences sur le plan éthique peuvent être positives ou négatives. On
assiste en réalité à une mondialisation économique qui s'accompagne de
certaines conséquences positives comme le phénomène de l'efficacité et de
l'accroissement de la productivité, et qui, avec le développement des
relations entre les divers pays dans le domaine économique, peut
renforcer le processus d'unité entre les peuples et améliorer le service
rendu à la famille humaine. Si cependant la mondialisation est régie par
les seules lois du marché appliquées selon l'intérêt des puissants, les
conséquences ne peuvent être que négatives.
Tels sont, par exemple, l'attribution d'une valeur absolue à l'économie, le
chômage, la diminution et la détérioration de certains services publics, la
destruction de l'environnement et de la nature, l'augmentation des
différences entre les riches et les pauvres, la concurrence injuste qui place
les nations pauvres dans une situation d'infériorité toujours plus
marquée. Bien que l'Église estime les valeurs positives que comporte la
mondialisation, elle en considère avec inquiétude les aspects négatifs.
Et que dire de la mondialisation culturelle produite par la puissance des
moyens de communication sociale ? Ces derniers imposent partout de
nouvelles échelles de valeur, souvent arbitraires et au fond matérialistes,
face auxquelles il est difficile de maintenir une solide adhésion aux valeurs
de l'Évangile.
...
3. Le poids de la dette extérieure
22. Les Pères synodaux ont manifesté leur préoccupation pour la dette
extérieure qui afflige de nombreuses nations américaines, exprimant leur
solidarité avec elles. Ils attirent avec force l'attention de l'opinion publique sur
la complexité de la question, reconnaissant que « la dette est souvent le fruit de
la corruption et de la mauvaise administration ». Dans l'esprit de la réflexion
synodale, cette reconnaissance ne prétend pas concentrer sur un seul pôle les
responsabilités d'un phénomène extrêmement complexe dans son origine et
dans ses solutions.
En effet, parmi les causes qui ont contribué à la formation d'une dette
extérieure écrasante, il faut signaler non seulement les intérêts élevés, fruit de
politiques financières spéculatives, mais aussi l'irresponsabilité de certains
gouvernants qui, en contractant une dette, n'ont pas réfléchi suffisamment aux
possibilités réelles de l'éteindre, avec comme circonstance aggravante que des
sommes considérables obtenues grâce aux prêts internationaux vont parfois
enrichir des individus, au lieu de servir à soutenir les changements nécessaires
au développement du pays.
D'autre part, il serait injuste de faire peser les conséquences de ces décisions
irresponsables sur ceux qui ne les ont pas prises. La gravité de la situation est
encore plus compréhensible si l'on tient compte du fait que « déjà le seul
paiement des intérêts constitue pour l'économie des pays pauvres un poids qui
enlève aux autorités la disponibilité de l'argent nécessaire pour le
développement social, l'éducation, la santé et l'institution d'un fonds pour créer
du travail ».
4. La préoccupation pour l'écologie
25 « Et Dieu vit que cela était bon » (Gn 1, 25). Ces paroles, que nous lisons
dans le premier chapitre du livre de la Genèse, indiquent le sens de l'œuvre que
Dieu a réalisée. Le Créateur confie à l'homme, couronnement de tout le
processus de la création, la garde de la terre (cf. Gn 2, 15). De là découlent
pour toute personne des obligations concrètes en ce qui concerne l'écologie.
Pour les accomplir, il faut s'ouvrir à une perspective spirituelle et éthique qui
triomphe des attitudes et « des styles de vie égoïstes conduisant à l'épuisement
des ressources naturelles ».
Dans ce domaine, aujourd'hui si actuel, l'intervention des croyants est plus
importante que jamais. La collaboration de tous les hommes de bonne volonté
avec les instances législatives et gouvernementales est nécessaire pour arriver
à une protection efficace de l'environnement, considéré comme un don de
Dieu.
Il y a encore tant d'abus et de dommages écologiques dans de nombreuses
régions américaines ! Il suffit de penser à l'émission incontrôlée de gaz nocifs
ou au phénomène dramatique des incendies de forêt, que provoquent parfois
intentionnellement des personnes poussées par des intérêts égoïstes. Ces
dévastations peuvent conduire à une réelle désertification dans beaucoup de
zones de l'Amérique avec ses inévitables conséquences de famine et de misère.
Le problème se pose, avec une intensité spéciale, dans la forêt amazonienne,
territoire immense qui concerne divers pays, du Brésil au Guyana, au
Suriname, au Venezuela, à la Colombie, à l'Équateur, au Pérou et à la Bolivie.
C'est l'un des espaces naturels les plus appréciés dans le monde pour sa
diversité biologique, ce qui le rend vital pour l'équilibre environnemental de
toute la planète.
...
À ce sujet, cependant, il est très important, surtout dans une société pluraliste,
d'avoir une juste vision des rapports entre la communauté politique et l'Église,
et de faire une claire distinction entre les actions que les fidèles,
individuellement ou en groupe, accomplissent en leur nom propre, comme
citoyens, guidés par leur conscience chrétienne, et les actions qu'ils
accomplissent au nom de l'Église en communion avec leurs Pasteurs. L'Église
qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond en aucune
manière avec la communauté politique et n'est liée à aucun système politique,
est en même temps le signe et la garantie du caractère transcendant de la
personne humaine.
... En s'appuyant sur l'Évangile, il faut promouvoir une culture de la solidarité
qui encourage les initiatives opportunes en vue de soutenir les pauvres et les
marginaux, et particulièrement les réfugiés, qui se voient contraints
d'abandonner leurs villages et leurs terres pour échapper à la violence. L'Église
en Amérique doit stimuler les organismes internationaux du continent, pour
que s'établisse un ordre économique dans lequel ne domine pas seulement le
critère du profit, mais encore ceux de la recherche du bien commun national et
international, de la distribution équitable des biens et de la promotion intégrale
des peuples.
5. Mondialisation de la solidarité
55. Le phénomène complexe de la mondialisation, comme je l'ai rappelé
précédemment, est l'une des caractéristiques du monde actuel que l'on trouve
particulièrement en Amérique. Dans cette réalité multiforme, l'aspect
économique revêt une grande importance. Par sa doctrine sociale, l'Église
offre une contribution valable à la problématique de l'économie actuelle
mondialisée. Sa position morale en cette matière « s'appuie sur les trois
pierres angulaires fondamentales de la dignité humaine, de la solidarité et
de la subsidiarité ».
L'économie mondialisée doit être analysée à la lumière des principes de la
justice sociale, en respectant l'option préférentielle pour les pauvres, qui
doivent être mis en mesure de se défendre dans une économie mondialisée, et
les exigences du bien commun international. En réalité, « la doctrine sociale
de l'Église est la position morale qui vise à stimuler les gouvernements, les
institutions et les organisations privées, afin qu'ils préparent un avenir
conforme à la dignité de toute personne. Dans cette perspective, on peut
envisager les questions qui se rapportent à la dette extérieure, à la
corruption politique intérieure et à la discrimination aussi bien à
l'intérieur des nations qu'entre elles ».
L'Église en Amérique est appelée non seulement à promouvoir une plus
grande union entre les nations, contribuant ainsi à créer une authentique
culture mondialisée de la solidarité, mais encore à collaborer par tous les
moyens légitimes à la réduction des effets négatifs de la mondialisation, tels
que la domination des plus forts sur les plus faibles, spécialement dans le
domaine économique, et la perte des valeurs des cultures locales en faveur
d'une uniformisation mal comprise.
6. Péchés sociaux qui crient vers le ciel
56. À la lumière de la doctrine sociale de l'Église, on évalue aussi plus
clairement la gravité des « péchés sociaux qui crient vers le ciel, parce
qu'ils engendrent la violence, brisent la paix et l'harmonie entre les
communautés d'un même pays, entre les pays et entre les diverses régions
du continent ». Parmi eux on doit rappeler « le commerce de la drogue, le
recyclage des bénéfices illicites, la corruption dans quelque domaine que
ce soit, la violence terroriste, la course aux armements, la discrimination
raciale, les inégalités entre les groupes sociaux, la destruction irraisonnée
de la nature ».
Ces péchés manifestent une crise profonde due à la perte du sens de Dieu et à
l'absence des principes moraux qui doivent guider la vie de tout homme. Sans
références morales, on tombe dans la soif illimitée de la richesse et du pouvoir,
qui obscurcit toute vision évangélique de la réalité sociale.
Assez souvent, cela conduit certaines instances publiques à négliger la
situation sociale. Dans de nombreux pays américains domine toujours plus un
système connu comme « néolibéralisme » ; ce système, faisant référence à une
conception économique de l'homme, considère le profit et les lois du marché
comme des paramètres absolus au détriment de la dignité et du respect de la
personne et du peuple. Il a parfois évolué vers une justification idéologique de
certaines attitudes et de certaines façons de faire dans le domaine social et
politique qui provoquent l'exclusion des plus faibles. En réalité, les pauvres
sont toujours plus nombreux, victimes de politiques déterminées et de
structures souvent injustes.
...
7. La dette extérieure
Dans la perspective du grand Jubilé de l'An 2000, maintenant tout proche, et
me souvenant de la signification sociale que les jubilés revêtaient dans
l'Ancien Testament, j'ai écrit : « Dans l'esprit du Livre du Lévitique (25, 8-12),
les chrétiens devront se faire la voix de tous les pauvres du monde, proposant
que le Jubilé soit un moment favorable pour penser, entre autres, à une
réduction importante, sinon à un effacement total, de la dette
internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations ».
8. La course aux armements
62. La course aux armements est un élément qui paralyse gravement le
progrès de nombreux pays en Amérique. Une voix prophétique doit s'élever
des Églises particulières d'Amérique pour dénoncer le réarmement et aussi le
scandaleux commerce des armes de guerre qui absorbe des sommes d'argent
considérables que l'on devrait au contraire destiner à combattre la misère et à
promouvoir le développement.
9. La problématique des immigrés
... L'Église a conscience des problèmes créés par cette situation et elle s'efforce
d'exercer le plus possible son action pastorale parmi ces immigrés, pour
faciliter leur établissement dans le territoire et pour susciter en même temps un
comportement d'accueil de la part des populations locales, dans la conviction
que l'ouverture réciproque entraînera un enrichissement pour tous.
Pour approfondir
•
http ://www.jesuites.com/compagnons/questions/social/index.html
•
Voici un texte très actuel, préfigurant les Droits de l'Homme : ces
principes ont été énoncés par fr. Francisco de Vitoria (1483-1546)
dominicain espagnol :
1 - Los hombres no nacen esclavos sino libres.
2 - Por derecho humano nadie es superior a otro.
2 -El niño no existe por razón de otros, sino por razón de sí mismo.
4 - Es mejor renunciar al propio derecho que violentar el ajeno.
5 - Es lícito al hombre la propiedad privada, pero nadie es propietario que no
deba a veces compartir sus cosas... y en extrema necesidad, todas las cosas son
comunes.
6 - Los dementes perpetuos que ni tienen ni hay esperanza de que tengan el
uso de razón, pueden ser dueños. Tienen derechos.
7 - Al condenado a muerte le es lícito huir porque la libertad,se equipara a la
vida.
8 - Si el juez, no guardando el orden, obtuviese a fuerza de tormentos la
confesión del reo, no podría condenarlo porque obrando así no es juez.
9 - No se puede dar muerte a una persona que no no ha sido juzgada y
condenada.
10 - Toda nación tiene derecho a gobernarse a si misma y puede aceptar el
régimen político que quiera aunque no sea el mejor.
11 - Todo el poder del rey viene de la nación porque ésta es libre desde el
principio.
12 - El orbe entero que en cierta manera constituye una república, tiene poder
de dar leyes justas y convenientes a la humanidad.
13 - Ninguna guerra es justa si consta que se sostiene con mayor mal que bien
y utilidad de la nación, por más títulos y razones que haya para guerra justa.
14 - Si al súbdito le consta la injusticia de la guerra, no puede ir a ella, ni aun
por mandato del príncipe.
15 - No es el hombre lobo para el hombre sino hombre.
Traduction française :
1 - Les hommes ne naissent pas esclaves mais libres.
2 - En raison des droits de l'homme, personne n'est supérieur à autrui.
3 - L'existence de l'enfant ne se justifie pas en référence à un autre, mais par
référence à lui-même.
4 - Il vaut mieux renoncer à ses propres droits que de faire violence à ceux
d'autrui.
5 - Il est permis à l'homme de posséder quelque chose en propre, mais cette
propriété n'exclue pas parfois le devoir de partager ce qui est à soi...et en cas
d'extrême nécessité, tous les biens appartiennent à tous.
6 - Les déments incurables pour lesquels il n'y a pas d'espoir qu'ils puissent
recouvrer la raison, peuvent posséder quelque chose et ont des droits.
7 - Il est légitime que le condamné à mort s'enfuie car la liberté vaut la vie.
8 - Si le juge, ne respectant pas l'ordre des choses, obtenait par la torture une
confession du coupable, il ne pourrait pas le condamner car en agissant ainsi il
n'est pas un juge.
9 - On ne peut pas mettre à mort à une personne qui n'a pas été jugée et
condamnée.
10 -Toute nation a droit de se gouverner elle-même et peut adopter le régime
politique qu'elle veut, même si ce n'est pas le meilleur.
11 - Tout le pouvoir du roi vient de la nation car celle-ci est libre en son
principe.
12 - Le monde entier qui, de certaine manière constitue une république, a
pouvoir d'émettre des lois justes et appropriées pour toute l'humanité.
13 - Aucune guerre n'est juste s'il apparaît qu'elle entraîne plus de mal que de
bien et d'utilité pour la nation, quels que soient les titres et raisons invoqués
pour parler de guerre juste.
14 - Si le sujet est convaincu de l'injustice de la guerre, il n'y peut aller, pas
même par ordre du prince.
15 - L'homme n'est pas un loup pour l'homme mais un homme.
Ces textes sont considérés comme la base du droit international
E. Les chrétiens et la Mondialisation
1. Passifs ?
Le découragement est une tentation devant la magnitude des problèmes. Mais
dans l'Evangile, le Christ propose l'action discrète de Dieu pour contribuer là où
on est à la construction de la communauté humaine. Car c'est cela la vraie
mondialisation.
Le Chrétien, dit le Pape, avance courageusement sur les chemins du monde en
essayant de suivre les pas de Dieu et de collaborer avec lui afin que puisse naître
un horizon dans lequel « amour et vérité se rencontrent, justice et paix
s'embrassent. »
De nombreux aspects de la mondialisation néo-libérale ne sont pas en accord
avec l'Evangile. Mais d'autres aspects peuvent nous aider dans notre tâche
d'évangélisation ; par exemple la rapidité des communications et les facilités de
formation.
2. A quoi sommes-nous appelés ?
•
à l'observation de la législation du travail
•
à la pratique du commerce équitable
•
aux placements éthiques
•
au dialogue international, interracial, inter-religieux.
•
etc.
... A suggérer des alternatives
•
Notre mode de vie comme tel s'oppose-t-il à la pensée néolibérale (solidarités, attitudes de consommation, intérêt pour les exclus
économiques...)
•
Fréquenter les lieux d'accueil et de dialogue ;
•
Vivre et réfléchir en intégrant la dimension mondiale, universelle
(catholique !) des questions.
3. Une théologie de la mondialisation ?
Dès la genèse, l'unité de l'humanité est affirmée. Tous les humains sont reliés à
ce couple symbolique et premier que sont Adam et Eve. Et, au terme de
l'histoire, nous sommes tous conviés à vivre dans "une terre nouvelle et des
cieux nouveaux", comme une humanité réconciliée : réconciliation de l'homme
avec l'homme, avec la nature et avec Dieu. Alors toutes barrières seront abolies.
Comme le dit saint Paul "Il n'y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme
libre, ni l'homme ni la femme" (Ga 3, 28).
Dieu se révèle comme celui qui libère : "Je suis le Seigneur ton Dieu qui t'a fait
sortir du pays d'Egypte". Il y va du visage de l'homme et du visage de Dieu.
Cette mondialisation là est très différente de celle du marché néo libéral quand il
réalise l'exclusion des plus faible (cf. La dénonciation de Jean Paul II dans son
exhortation Ecclesia in America 1998 !
4. la mondialisation des religions ?
L'Eglise n'a plus la place privilégiée qu'elle occupait sous l'Ancien Régime ou au
temps des colonies (encore que !). La mondialisation provoque une rencontre de
croyants de religions d'origines très lointaines qui n'ont pas encore pris
l'habitude de dialoguer entre eux.
Le dialogue `inter religieux' devient une nécessité pour la paix.
L'Eucharistie a une dimension universelle, elle réalise la communion entre
toutes les Eglises locales.
F.
« La mondialisation qui annule l’espace, veut aussi tuer le temps. »
L’auteur est parfois nostalgique : « Le renchérissement du prix de l’énergie (…)
redonnera de la réalité à l’espace et ressuscitera le temps ».
« Subventions ouvertes ou déguisées, manipulations monétaires ou douanières,
batailles de normes, contrats préférentiels… » : les mensonges et les inégalités
sont clairement dénoncées, tout comme l’hypocrisie, mais pas sur le ton de
l’indignation, plutôt sur celui de la dérision, avec un brin de tendresse pour ceux
qui triment : « l’actionnaire et le consommateur se sont alliés pour étrangler le
producteur.

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