UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL THÈSE

Transcripción

UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL THÈSE
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
L’INFLUENCE DE LA CONFIANCE SUR LES PROCESSUS D’APPRENTISSAGE
DANS UNE ÉQUIPE DE TRAVAIL
THÈSE
PRÉSENTÉE COMME EXIGENCE PARTIELLE
DU DOCTORAT EN ADMINISTRATION
PAR
Mme LOURDES ADRIANA DIAZ-BERRIO DÖRING
DÉCEMBRE 2003
1
REMERCIEMENTS
Cette thèse n’aurait pas pu être réalisée sans l’intervention de plusieurs personnes qui
ont contribué d’une manière directe ou indirecte à ce que ce projet aboutisse.
Je remercie mes co-directeurs de recherche Madame Ann Langley Ph.D. Directrice du
Programme du doctorat en Administration à HEC Montréal et Monsieur Roland Foucher Ph.
D., professeur à l’Université du Québec à Montréal. Je remercie Madame Langley notamment
pour son orientation toujours respectueuse, son travail minutieux et attentif et ses réflexions
précises et pertinentes. Elle a compris ma perspective tout en orientant le cheminement de
cette recherche. Je remercie particulièrement Mr Roland Foucher Ph.D., pour son soutien et
l’intérêt qu’il a porté à mon travail qui se sont manifestés par le temps qu’il a consacré avec
patience et persévérance à la discussion et la lecture des différentes versions de cette
recherche. Ses apports ont amélioré la qualité, la cohérence et la profondeur de mon travail. Je
remercie aussi Mr Richard Déry Ph.D. pour son suivi dans la première phase de la recherche
et Mme Céline Bareil Ph.D., membre du Comité de phase III, pour ses commentaires
judicieux et opportuns. Tous les deux sont professeurs, en administration à HEC Montréal. Je
remercie aussi Mr Jorge Niosi Ph.D. et Mr Gilles Simard Ph.D.
Je remercie Mme Micheline Charron qui avec sa sagesse et son expérience, a été une
ressource toujours inspirante. Je remercie mes compagnons au doctorat qui m’ont encouragée
par leur présence et leur exemple de travail soutenu. Je ne donnerai pas leurs noms de peur
d’en oublier quelques un mais je les apprécie profondément. Un remerciement tout particulier
s’adresse à Mme Amparo Jimenez, professeure à l’Université du Québec à Montréal qui a
toujours été disponible pour moi en tant qu’amie et chercheuse rigoureuse. Valérie Lehman
pour son amitié sincère et pour sa confiance et tous mes autres amis à Montréal qui m’ont
accompagnée et encouragée, Cécile Bécotte, Claude Alain, Suzanne et François Larivière,
Nicole Lafontaine et Guy Chagnon, Chantale Coulombe et Sylvie Latraversse.
Pour le soutien économique je remercie: Au Mexique, l’Ambassade Mexicaine, le
Consejo Nacional de Ciencia y Tecnologia (CONACYT) et le Departement « Producción
Económica » de l’Université Universidad Autonoma Metropolitana Xochimilco (UAM-X.);
Au Québec, le Programme des bourses du Ministère de l’Éducation, le Programme du
Doctorat en Administration et la Chaire en Gestion des Compétences de l’Université du
Québec à Montréal et le Doctorat en Administration de HEC de Montréal.
Je veux remercier toutes les personnes impliquées dans le cas étudié qui m’ont ouvert
une perspective nouvelle et fascinante pour moi, qui ont généreusement donné de leur temps
pour les entrevues et qui ont accepté que j’observe leur travail.
Je remercie ma famille pour le soutien, l’encouragement et l’exemple qu’elle a
toujours su me donner. Arturo Lara pour son apport économique et sa présence au près de nos
enfants. Finalement je remercie tout spécialement Natalia et Esteban Lara Diaz-Berrio pour
leur compréhension et patience et pour tout ce qu’ils m’apprennent et me partagent à chaque
jour.
2
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES FIGURES…..…………………………………………….……………...12
LISTE DES TABLEAUX…………………………………………………………….13
RÉSUMÉ……..………………………………………………………………………14
CHAPITRE I
PROBLÉMATIQUE…….…………………………………………………..………..16
1.1. Introduction……………………………………………………………………...16
1.2. Contenu du document…………………………………………………………...18
1.3. Contributions de la recherche…………………………………………………...20
1.3.1. Par rapport à la littérature..……………………………………………….21
1.3.2. Par rapport à la théorie ...………………………………………………...21
1.3.3. Pour son application pratique...…………………………………………..21
CHAPITRE II
RECENSION DES ÉCRITS……………………………………………………….... 23
2.1. Recension des écrits sur l’apprentissage………..……………………………… 23
2.1.1. Les typologies de la littérature sur l’apprentissage et diversité des
problématiques abordées………………………………………………...23
2.1.2. Le concept de Situated Learning ou « apprentissage situé »….…………27
2.1.3. L’apprentissage dans les équipes…..……………………………….…... 28
2.2. Recension des écrits sur la confiance....…………………………………………33
2.2.1. Des définitions de la confiance...……...…………………………………33
2.2.2. Ses fonctions...…………………………………………………………...38
2.2.3. Ses bases…………………………………………………………………39
2.2.4. Sa dynamique …………………………………………………………..40
2.2.5. La méfiance et sa dynamique…...………………………………………..41
3
2.2.6. La confiance en soi..…………………………………………………..…42
2.3. Recension des écrits sur la sécurité psychologique et la confiance dans une
équipe de travail………….……………………………………………………..43
2.3.1. Définitions..……………………………………………………………...45
2.3.2. Comportements qui produisent et renforcent la sécurité dans l’équipe…46
2.3.3. Les liens entre la sécurité et l’apprentissage des membres de l’équipe…48
2.3.4. L’apprentissage en équipe et la confiance………………………….…...49
2.4. Proposition d’un cadre conceptuel préliminaire……………………………….. 52
2.4.1. Les assises théoriques du concept d’apprentissage………………...…….52
2.4.2. Le concept d’apprentissage………………………………………………54
2.4.3. Le concept d’interdépendance……………………………………………54
2.4.4. Le concept de confiance………………………………………………….55
2.4.5. Le concept de méfiance..………………………………………………..56
2.4.6. Les relations entre ces concepts…………………………………………59
CHAPITRE III
MÉTHODOLOGIE………………………………………………………………… 63
3.1. Notre choix méthodologique…………………………………………………... 63
3.2. Notre choix du cas………………………………………………………………65
3.2.1. Les conditions d’accès au terrain...…………………………………..…..65
3.2.2. Les caractéristiques de l’équipe………………………………………….66
3.2.3. La nature de la tâche….………………………………………………….69
3.2.4. La durée de la tâche…...…………………………………………………70
3.2.5. Les possibilités de réalisations des apprentissages……………………....70
3.3. Les sources de l’information..………………………………………………….. 71
3.3.1. L’observation…………………………………………………………….71
3.3.2. La prise de notes…………………………………………………………73
3.3.3. Les entrevues…………………………………………………………….75
3.4. L’analyse de l’information…..……………………………………………….….76
4
3.4.1. La stratégie d’analyse……...……………………………………………...76
3.4.2. La description……………………………………………………………..77
3.4.3. La réduction des données et la construction de codes d’analyse…………77
3.5. La validité de la recherche….………………...………………………………....78
3.5.1. L’engagement prolongé………………………………………………….78
3.5.2. La persistance de l’observation…………………………………………..81
3.5.3. La triangulation..…………………………………………………………81
3.5.4. La discussion avec des personnes qui ont fourni de l’information...…….81
3.5.5. Les sources supplémentaires de validation de la recherche….……….….81
CHAPITRE IV
ANALYSE DU POINT DE DÉPART……………………………………………….84
4.1. Introduction……………………………………………………………….……..84
4.2. Description………………………………………………………………………86
4.2.1. La formation de l’équipe de travail...……………………………………86
4.2.2. Le groupe québécois …………………………………………………….88
4.2.3. Le groupe mexicain………………………………………………………94
4.2.4. La pièce et le processus de son écriture………………………………….97
4.3. Analyse……………………………………………………………………….…98
4.3.1. Le sous groupe québécois…..…………………………………………….99
4.3.2. La compagnie mexicaine…...…………………………………………..101
4.3.3. La formation de l’équipe………………………………………………...102
4.3.4. Les aspects prometteurs………...……………………………………….104
4.3.5. Les risques auxquels ce montage est exposé…………………….……...108
4.4. Conclusion……………………………………………………………………..116
5
CHAPITRE V
ANALYSE DE L’ÉTAPE 1…..…………………………………………………….119
5.1. Introduction...…………………………………………………………………..119
5.2. Définition des étapes…………...…………………………………………..…..119
5.3. Description d’une journée représentative de la première étape .…...……..…….12
5.3.1. La préparation au travail…..……………………………………………..13
5.3.2. Le travail dans l’avant midi……..……………………………………….14
5.3.3. La scène de Pierre et de sa mère……..…………………………………..15
5.3.4. La scène de Jean et de Marie Laure en voiture…………………………..16
5.3.5. La pause du dîner..……….………………………………………………17
5.3.6. Le travail en après-midi……...…………………………………………..18
5.3.7. La fin de la journée...…………..……………………………………...…19
5.4. Analyse de la journée décrite et d’autres faits importants de cette étape.……...130
5.4.1. Les stratégies de direction du metteur en scène……………...………....132
5.4.2. L’intégration de l’équipe...………………………………………….…..134
5.5. Types d’apprentissages...………………………………………………………137
5.5.1. Les apprentissages des acteurs reliés à la mémorisation du texte………138
5.5.2. Les apprentissages des acteurs reliés au sens du texte………..….…….139
5.5.3. Les apprentissages reliés à la dynamique de l’équipe…………….…….140
5.6. Les façons de réaliser ces apprentissages…………………………………...…141
5.6.1. Comment les acteurs apprennent en lien avec le texte…..……………..143
5.6.2. Comment les acteurs apprennent avec la construction du sens…...……144
5.6.3. Comment les membres de l’équipe apprennent sur sa dynamique.....…147
5.7. Les liens entre la confiance et l’apprentissage…………………………………151
5.8. Les risques propres à cette étape...……………………………………………..155
5.8.1. Les risques par rapport aux ajustements au cours de cette étape…..…...156
5.8.2. Les différents ajustements qui impliquent des apprentissages…...……..157
5.9. Les aspects prometteurs de cette étape…...………………...…………………..165
5.9.1. Une pression de temps relativement faible………...…………………..166
6
5.9.2. Un niveau d’interdépendance pas encore très élevée……………….…167
5.10. Conclusions…………………………………………………………………167
CHAPITRE VI
ANALYSE DE L’ÉTAPE 2...………………………………………………………166
6.1. Introduction……………………………………………………………………167
6.2. Description d’une journée représentative de la deuxième étape …………….. 167
6.2.1. La préparation au travail………………………………………………..168
6.2.2. L’improvisation………………………………………………………….167
6.2.3. Les notes ………...……………………………………………………...168
6.2.4. La scène de la mère et Pierre…..………………………………………..169
6.2.5. La fin de la journée…...…………………………………………………170
6.3. Analyse de la journée décrite et d’autres événements importants……………..172
6.3.1. Le changement d’espace de travail et de ses implications………………175
6.3.2. Les apprentissages que les membres de cette équipe réalisent………….175
6.3.3. Les manières de réaliser ces apprentissages……………………………..178
6.3.4. Les aspects prometteurs….…………………………………………….. 186
6.3.5. Les aspects de risque…....……………………………………………….193
6.4. Conclusion……………………………………………………………………..201
CHAPITRE VII
ANALYSE DE L’ÉTAPE 3……………………………………………………….. 205
7.1. Introduction……………………………………………………………………205
7.2. Description d’une journée représentative de la troisième étape….……………205
7.2.1. La préparation au travail…..……………………………………………204
7.2.2. La répétition de la dernière scène….…………………………………....205
7.2.3. La répétition générale..………………………………………………….206
7.3. Analyse de la journée décrite et d’autres événements importants ….…………209
7
7.3.1. Les apprentissages que les acteurs réalisent…..……………………..211
7.3.2. Les manières de réaliser ces apprentissages ………………..………..211
7.3.3. Les aspects prometteurs….…………………………………………..214
7.3.4. Les aspects de risque..………………………………………………..218
7.4. Conclusion……………………………………………………………………..237
CHAPITRE VIII
LE POINT D’ARRIVÉE. LA FIN DU MONTAGE ET LES ÉVÉNEMENTS
POSTÉRIEURS………….. ………………………………………………………..240
8.1. Introduction……………………………………………………………………240
8.2. Description…………………………………………………………………….240
8.2.1. Le soir de la Première….……………………………………………….240
8.2.2. Les activités organisées par l’équipe….………………………………..242
8.2.3. La suite du projet……………………………………………………….243
8.3. Conclusion...…………………………………………………………………..244
CHAPITRE IX
LE CADRE CONCEPTUEL PRÉLIMINAIRE ET L’ANALYSE DE L’INFLUENCE
DE LA CONFIANCE SUR LES APPRENTISSAGES DE CETTE ÉQUIPE……..245
9.1. Introduction…………………………………………………………………….245
9.2. Le concept d’interdépendance…………………………………………………245
9.3. Les dimensions de l’évolution d’un groupe……………………………………247
9.3.1. La dimension affective………………………………………………….247
9.3.2. La dimension du pouvoir……………………………………………….248
9.3.3. La dimension de la tâche………………………………………………. 248
9.3.4. L’intérêt du modèle……………………………………………………..249
9.4. Les types d’apprentissages et leurs liens avec la confiance……………………249
9.4.1. La classification des apprentissages……………………………………. 249
8
9.4.2. Les apprentissages reliés à la mémorisation du texte..…………………..249
9.4.3. Les apprentissages reliés à la construction du sens des scènes..………...252
9.4.4. Les apprentissages reliés à la dynamique de l’équipe…….……………..257
9.4.5. Les apprentissages reliés à la construction de l’unité de la pièce……….261
9.5. La pertinence du cadre conceptuel préliminaire..……………………………...264
9.6. Conclusion..………………………………………………………………….. 265
CHAPITRE X
PROPOSITION D’UN NOUVEAU CADRE CONCEPTUEL INCLUANT DE
NOUVEAUX ÉLÉMENTS…………..………………………………………….….266
10.1. Introduction………………………………………………………………….. 266
10.2. La pression du temps………………………………………………………....266
10.2.1. L’apport de Gersick…..……………………………………………...267
10.2.2. La pression du temps au cours la première étape…….………..……..269
10.2.3. La pression du temps au cours de la deuxième étape…………….…..270
10.2.4. La pression du temps au cours de la troisième étape……………...…272
10.2.5. Analyse des effets de la pression du temps sur l’apprentissage……..273
10.3. Le comportement du leader...…………………………………………………279
10.3.1. L’influence du comportement du leader.…………………………….279
10.3.2. Les perceptions du comportements du leader…..……..……………..280
10.3.3. Le leader vu comme « un centre de gravité »………………… ….…281
10.3.4. La capacité du leader d’exprimer son approbation………………..…282
10.3.5. L’ouverture à l’exploration de nouvelles options de jeu………….…283
10.3.6. Le respect des différences des acteurs..……………………………...283
10.3.7. L’attitude du leader face aux erreurs..……………………………….285
10.4. Les comportements des autres membres de l’équipe………………….……...287
10.5. L’intégration de l’équipe……………………………………………………...293
10.6. Les leçons que nous avons tirées de l’étude de ce cas……………………… 296
9
10.6.1. Les leçons sur l’apprentissage des membre de l’équipe...………..….296
10.6.2. Les leçons sur la dynamique de la confiance, ses bases, sa fragilité...297
10.7. Conclusion…………………………………………………………………....303
CHAPITRE XI
CONCLUSIONS………………………………………………. …………………...305
11.1. Introduction………………………………………………………………. ….305
11.2. Les phases de la recherche...……………………………………………….…305
11.2.1. Le point de départ….…………………………………………………305
11.2.2. Les difficultés rencontrées et les solutions proposées…………..……306
11.3. La démarche d’analyse suivie...………………………………………………307
11.4. Les apprentissages réalisés à travers la recherche ….……………………...…309
11.4.1. L’influence de la confiance sur l’apprentissage..…….………………309
11.4.2. Les apprentissages sur la dynamique de la confiance………………..310
11.4.3. Les aspects paradoxaux de la confiance……………………………...312
11.4.4. Les éléments qui dépendent du contexte……………………………..313
11.5. L’applicabilité de cette recherche à d’autres cas…………………………….. 314
11.5.1. Les aspects particuliers à ce cas…….………………………………..315
11.5.2. Les aspects de ce cas qui peuvent se retrouver dans d’autres cas……317
11.5.3. Les cas où il est improbable d’appliquer les leçons tirées de ce cas…318
11.6. Les limites de la recherche….………………………………………………...322
11.7. Réflexion finale……………………………………………………………….323
ANEXE ……………………………………………………………………………..325
BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………..327
10
LISTE DES FIGURES
Figure
Page
2.1
Le cadre conceptuel préliminaire……………………………..62
4.1
Relations entre les membres au point de départ……………. .114
5.1
Relations entre les membres à la fin de l’étape1 ….…………136
6.1
Relations entre les membres à la fin de l’étape 2…………….199
7.1
Relations entre les membres à la fin de l’étape 3…………….215
10.1 Le nouveau cadre conceptuel …..…………………………...292
11
LISTE DES TABLEAUX
Tableau
Page
4.1.
Les aspects prometteurs et de risque au point de départ………115
6.1
Les aspects prometteurs et de risque de l’étape deux…………...200
7.1
Les caractéristiques des trois étapes………..……………………233
7.2
Le processus d’intégration de l’équipe dans les trois étapes...…..235
7.3
Les apprentissages dans les trois étapes…………………………236
9.1
Les liens entre la confiance et l’apprentissage..…………………263
12
Résumé
Le but de cette recherche a été de savoir si la confiance influençait l’apprentissage des
membres d’une équipe de travail et si cette influence variait selon le degré d’interdépendance
qui se produit entre ces personnes en fonction de la tâche à réaliser.
Pour atteindre ce but nous avons réalisée une revue de la littérature dans les deux
domaines, celui de l’apprentissage organisationnel et celui de la confiance dans les
organisations. Cette revue s’est avérée très enrichissante mais nous avons constaté un manque
dans le sens que peu d’auteurs traitent du lien entre apprentissage et confiance. Un des auteurs
qui se penchent sur ce sujet est Edmondson (1999, 2002) qui explique les différences entre les
équipes qui apprennent et celle qui ne le font pas. La revue de la littérature nous a permis de
comprendre que les individus apprennent dans l’interaction et dans le contexte d’une pratique.
Sur le plan de la confiance nous avons décidé d’analyser fondamentalement la confiance
interpersonnelle et la confiance dans une équipe, nous servant du concept de sécurité
psychologique.
La théorie qui nous a semblée la plus adéquate à partir de cette considération est la
théorie de l’«Apprentissage Situé», (Duguid et Brown, 1998; Lave et Wenger, 1991; Gherardi
et coll., 1996) en regard des caractéristique suivantes: 1) Elle conçoit la personne qui apprend
dans une dimension plus ample que d’autres théories de l’apprentissage qui contemplent
presque exclusivement le plan intellectuel, alors que cette théorie considère la personne dans
ses dimensions cognitives, émotives, culturelles, corporelles et relationnelles; 2)
L’apprentissage se réalise dans le contexte d’une pratique donnée; 3) et à travers l’interaction
des personnes engagés dans le contexte de cette pratique.
Le choix du cas que nous avons étudié a répondu à cette conception de
l’apprentissage met l’interaction au premier plan, c’est pourquoi nous avons suivi une équipe
qui devait monter une pièce de théâtre et où les apprentissages étaient observables,
l’interaction était constante et le degré d’interdépendance était élevé. Suivant une
méthodologie qualitative la cueillette des données a été faite principalement à partir de
l’observation de type ethnographique pour être analysée selon une méthodologie inspirée de la
« Théorie Ancrée » (Grounded Theory) (Strauss et Corbin, 1990).
Notre démarche d’analyse des données a été de distinguer trois étapes différentes du
processus, observant des changements concernant l’intensité de l’interdépendance, les
apprentissages réalisés par les membres de l’équipe, les divers moyens de les réaliser et
l’influence de la confiance sur ces manières d’apprendre.
Parmi les résultats atteints se trouve le fait que l’influence de la confiance sur
l’apprentissage varie selon les types d’apprentissages, et selon d’autres éléments qui ont été
déterminants dans ce cas et qui se retrouvent souvent dans d’autres équipes de travail dans les
organisations: la pression du temps, le comportement du leader et l’intégration de l’équipe.
13
CHAPITRE I
PROBLÉMATIQUE
Concerted Action
Concerted Action.
I think the greatest success is the collective success.
I often get visual pictures- Like a bowl of soup.
It depends on the ingredients that go into the soupthat gives it taste.
You see what everyone has to offer- that makes the
best soup. It makes it taste good.
(Cité par Glide well et coll.,1998)
1.1. Introduction
Certains apprentissages réalisés par les organisations se produisent dans les équipes
de travail. Pour cette raison, des auteurs tels que Crossan, Lane et White (1999), Moreland,
Argote et Krsihnan (1998), Argote (1999), Lave et Wenger (1991), Weick et Roberts, (1993)
se sont attardés à comprendre les caractéristiques de l’interaction qui au sein des équipes
pourraient donner lieu à des apprentissages divers.
Les caractéristiques de cette interaction (Johnson et Johnson, 1998) dépendent de la
nature des tâches à accomplir et du degré d’interdépendance qui existe entre les membres de
14
l’équipe. Par ailleurs, les processus d'apprentissage peuvent être influencés positivement ou
négativement par différents facteurs qui jouent sur l’interaction interpersonnelle (Edmonson,
1999; 2002).
Imaginons la situation de deux équipes de travail, l' équipe « A » et l'équipe « B ».
Dans les deux cas, les personnes ont un certain potentiel similaire de créativité, d'imagination
et de capacité d'apprendre; elles sont curieuses, elles ont énormément de questions à poser,
elles ont des inquiétudes, l'envie de connaître, de savoir. Pour le leader de l'équipe A, la
« discipline » est très importante et commettre des erreurs est grave. Ce leader impose, à partir
de sa vision, des normes de conduite, il exige des manières « correctes » de répondre, d'agir, il
sait d’avance quelles sont les réponses «acceptables», il établit des critères rigides
d'évaluation du travail. Supposons qu'il applique des pénalités diverses lorsque les membres
de son équipe ne répondent pas exactement à ses attentes, mais aussi que son comportement
soit imprévisible et explosif et que, de plus, parfois, ses propos soient humiliants envers ceux
qui ne respectent pas ses règles. Il expose les « erreurs » des uns, devant les autres, pour leur
« donner l'exemple ». Il peut contrôler par la peur qu'il inspire. Les personnes s'adapteront,
obéiront, car elles auront peur et s'efforceront de répondre comme le leader l'attend. Elles se
conformeront le plus possible à sa volonté. Le leader lui, sera satisfait de son « bon travail »
lorsqu' il se fera à sa manière.
Dans l’équipe B, le leader pense que la créativité et la participation sont importantes,
il propose des activités pour encourager les personnes à s’exprimer, pour qu’elles puissent
proposer des manières de travailler. Mais ce leader ne demande aucune discipline dans le
groupe où le désordre et la confusion commencent à régner. Les membres de l'équipe ne le
perçoivent pas comme une autorité; faute de limites, ils sont dans une grande insécurité. Ils
ressentent un manque flagrant de clarté et de direction.
Dans ces deux cas, paradoxalement, les leaders croient bien agir pour favoriser
l'apprentissage; mais dans les deux, nous aboutissons à des difficultés pour faire confiance et
pour apprendre. Quels sont les problèmes inhérents à l’un et l’autre des exemples? Est-ce
efficace de punir les erreurs pour montrer les manières de travailler? Est-ce préférable de
donner une grande liberté aux personnes pour qu'elles puissent s'exprimer? Ces exemples sont
donnés afin d’illustrer l’entrée en jeu d’une série de facteurs touchant la réussite en termes
d'apprentissage au sein d’une équipe de travail. Parmi les facteurs qui influencent ainsi les
15
possibilités de l'apprentissage, nous porterons plus particulièrement notre attention sur la
confiance. Pour ce faire, il est pertinent de comprendre comment cette confiance émerge et
quels éléments contribuent à sa consolidation. Nous tenterons de comprendre les raisons par
lesquelles elle coexiste avec la méfiance.
Par conséquent, dans la présente recherche, il sera question aussi de considérer
l’équilibre entre la confiance et la méfiance comme un des facteurs de la réussite dans
l’apprentissage (Lewicki, McAllister et Bies, 1998; Deutsch, 1960). Selon la littérature, cet
équilibre peut encourager, faciliter, limiter ou empêcher l’apprentissage dans les équipes de
travail (Golembiewski et Mc Conkie, 1975; Meyerson, Weick et Kramer, 1996). À cet égard,
nous postulons que plus le travail d'une équipe requiert un degré élevé d'interdépendance,
plus la confiance prend une place importante en tant qu’enjeu clef (Sheppard et Sherman,
1998).
Notre recherche propose de répondre à la question suivante: comment la confiance
influence-t-elle les apprentissages des membres d'une équipe de travail lors de la réalisation
d’une tâche donnée?
Pour répondre à cette question, nous recourons à une étude de cas ethnographique
d'une équipe qui, à cause de la tâche qu’elle doit accomplir, représente un exemple
d'une interdépendance élevée et même extrême; la tâche en question est le montage
d'une pièce de théâtre. Il s’agit d’un cas extrême aussi en raison de la présence
d'autres éléments reliés à la confiance: le risque et la vulnérabilité. La confiance,
ici, peut être perçue comme un moyen de compenser ces risques et cet état de
vulnérabilité lequel prend des proportions considérables à cause de l’exposition des
acteurs à la vue d'un public.
1.2. Contenu du document
Comme point de départ, nous réalisons une recension des écrits portant sur les
principaux concepts en lien avec la réflexion proposée: d’une part, l'apprentissage et, en
particulier, celui qui a lieu dans les équipes, d’autre part, la confiance selon ses dimensions de
16
confiance en soi, de confiance dans les relations interpersonnelles et de confiance dans une
équipe, ce qui nous ramène à la notion de sécurité psychologique d'une équipe. Ayant analysé
les concepts clefs tels que l’apprentissage, la confiance et l’interdépendance, nous élaborons
un cadre théorique préliminaire où sont suggérées les principales relations entre eux. Par la
suite, nous expliquons la méthodologie choisie et sa pertinence en regard du cas analysé. Nous
étudions une équipe de travail précise pour comprendre l’évolution de son processus en termes
des apprentissages que les membres de cette équipe réalisent, des moyens qu’ils se donnent
pour atteindre ces apprentissages et des liens entre ces apprentissages et la confiance qui existe
entre les membres de cette équipe, formée par des artistes qui montent une pièce de théâtre.
Leur tâche implique une interaction interpersonnelle constante et intense et une évolution de
leur travail rapide et visible.
Notre démarche d’analyse nous permet de distinguer des changements dans les
manières de travailler, dans l’intégration de l’équipe et dans les résultats obtenus en termes de
la tâche à réaliser. Pour une meilleure compréhension du cas, nous présenterons au lecteur un
chapitre explicatif sur la formation de l’équipe de travail en remontant aux relations qui en
sont à son origine. Ensuite, nous analyserons le processus du montage de cette pièce en
distinguant trois étapes différentes, chacune étant
l’objet d’un chapitre. Ces étapes se
distinguent par la présence de nouveaux éléments qui interviennent progressivement de
manière de plus en plus importante, comme dans le cas de la pression du temps et du niveau
d’interdépendance que le travail demande. Ainsi nous comparerons la progression et les
changements de l’apprentissage, de la confiance et de la relation entre les deux. Pour que le
lecteur comprenne mieux ce qui caractérise chacune des étapes, nous décrirons les activités
principales d’une journée représentative de chacune d’elles.
En donnant un exemple d’une journée de travail de cette étape, la description vise à
fournir une idée plus précise des tâches de l’équipe à ce moment. Nous observons aussi
l’évolution des relations entre ses membres; par conséquent, notre attention porte aussi sur les
échanges en dehors des séances de répétition. Nous considérons les interactions avant le début
du travail, pendant les pauses, ou après la journée de travail parce que ces interactions
influencent également le travail de l’équipe. Dans ces chapitres nous identifions des aspects
prometteurs et des aspects de risque. Les premiers sont des facteurs que nous estimons
17
favorables à la réalisation de la tâche et des apprentissages nécessaires et les deuxièmes sont
les défis à relever pour que ceci soit possible.
Dans la dernière partie, dédiée à la discussion des résultats, nous proposons deux
chapitres. Le premier traite des liens entre l’apprentissage et la confiance. Il se base sur
l’analyse des trois étapes de travail, qui correspondent, la première au début du processus, la
deuxième à sa continuation et à la troisième à la conclusion de ce montage et il se structure en
fonction de trois aspects qui attirent notre attention: les différents apprentissages réalisés par
les membres de cette équipe, les moyens par lesquels ils réussissent à le faire et le rôle que la
confiance joue dans ces apprentissage. Le deuxième chapitre de discussion introduit de
nouveaux éléments qui nous ont semblé essentiels pour la compréhension du lien entre
apprentissage et confiance et propose un nouveau cadre conceptuel qui tient compte de ces
aspects qui n’avaient pas été pris en compte dès le début mais qui sont se sont avérés
fondamentaux après l’analyse.
Finalement, dans nos conclusions, nous réfléchissons sur l’applicabilité des résultats
de cette recherche à d’autres cas de travail en équipe où des caractéristiques semblables
pourraient se présenter.
1.3. Contributions de la recherche
Cette recherche apporte différentes contributions à plusieurs égards. Sans prétendre
répondre à toutes les questions suscitées par notre sujet qui est très riche, nous offrons, sur un
terrain relativement peu exploré par la littérature, un éclairage nouveau aux plans théorique,
méthodologique et vraisemblablement aussi pratique.
1.3.1. Par rapport à la littérature
À la lumière de notre recension des écrits, nous pensons que notre recherche vient
combler un manque parce que, si nous avons trouvé un grand nombre de textes sur la
confiance et un autre ensemble important de travaux sur l'apprentissage dans un contexte
18
organisationnel, nous n’avons repéré, en revanche, que peu de textes analysant le lien entre les
deux, soit l'apprentissage dans un contexte organisationnel et la confiance. Nous estimons que
l'importance de ce sujet mérite qu'on lui porte davantage attention. Malgré quelques apports
nouveaux, nous notons, que déjà en 1975, ce besoin avait été souligné: « Overall limitations
of existing research notwithstanding, trust seems to have profound effects on learning and
development whether in interpersonal encounters, in groups or in large organizations »
(Golembiewski et McConkie, 1975). De plus, tant pour la problématique de la confiance que
pour celle de l'apprentissage, nous constatons l'existence d'un nombre relativement réduit
d’études empiriques par rapport à la pléthore d’approches théoriques écrites. Notre propre
recherche comporte tant une partie théorique qu’une autre empirique, toutes les deux jugées
importantes.
1.3.2. Par rapport à la théorie
La notion d' « apprentissage situé » et le corps théorique qui lui est associé, ont été
employés pour analyser certains aspects de l'apprentissage, cependant parmi les textes que
nous avons lus nous n’avons trouvé aucun qui explicitement traite la question de la confiance
et de son rôle dans l’apprentissage. Cette lacune a attiré notre attention particulièrement parce
que l’approche de l’ « apprentissage situé » considère que l'interaction joue un rôle central
pour produire de nouveaux apprentissages, tant chez les personnes qui ont peu d’expérience,
comme chez celles qui connaissent déjà bien leur travail. Il nous semble clair que certaines
caractéristiques de l’interaction peuvent dépendre de la confiance existante dans les relations
interpersonnelles.
Du point de vue méthodologique, cette étude qualitative repose sur un cadre
conceptuel préliminaire inspiré de la littérature, pour adopter ensuite
une approche de
« théorisation ancrée » afin de faire ressortir les différents types d'apprentissages se produisant
chez les membres de l’équipe de travail étudiée et de mettre en évidence certains des liens qui
existent entre l’apprentissage et la confiance. L'analyse des données permettra, entre autres,
d'identifier des sources de la confiance fréquemment mentionnées dans la littérature, mais
19
aussi d'autres sources qui pourraient ressortir à la suite de l’analyse des données même si elles
n’ont pas encore été rapportées dans la littérature.
En fait, l’originalité de notre étude provient, en partie, de la prise en compte de
l’aspect dynamique des concepts étudiés et, d’un autre côté, de l’accent sur les liens entre la
confiance et l’apprentissage. Pettigrew (1990, p.271) signale que, pour entreprendre une
analyse temporelle, il est indispensable de cerner la signification du temps: « Time sets a
frame of reference for what changes are seen and how those changes are explained ».
L'élément temporel, ici, joue sur trois plans au moins. D’abord, les observations des
interactions en face à face, en temps réel, permettent de rendre compte de la manière dont se
réalise l'apprentissage dans l'interaction et de l'influence de la confiance dans les relations
entre les membres de l’équipe. Deuxièmement, considérant que cette équipe est soumise à
une pression due à l’échéancier du montage de la pièce, nous explorerons le rôle de cette
pression sur les apprentissages à réaliser. Le temps est également l’un des facteurs qui agit sur
le degré d'interdépendance des membres du groupe. Pour nous, ces aspects influencent
l'importance que la confiance peut avoir, mais ils seront expliqués plus en détail par la suite.
1.3.3. Pour son application pratique
Pour ce qui est de l’utilité de notre étude dans la pratique, nous pensons qu'il est
possible de faire un rapprochement entre des situations d'apprentissage en équipe dans des
contextes organisationnels et le cas que nous avons analysé. D'un côté, la démarche que nous
proposerons pourrait être reprise, c'est-à-dire qu’à partir d'une analyse de la tâche, il serait
possible d'identifier les apprentissages concrets entrant en jeu dans la réalisation de cette tâche
précise et, par conséquent, de comprendre quel est le degré d’interdépendance. Une fois cet
aspect défini, il sera plus clair de noter en quoi la confiance influence pareils apprentissages.
D'un autre côté, notre cadre théorique est assez adaptable pour étudier des situations de travail
en équipe indépendamment de la nature de leur tâche ou de l'importance du degré
d'interdépendance car l’essentiel dans ce cadre théorique a trait aux relations entre les
concepts. Ces relations nous semblent avoir une certaine validité explicative, en général,
quelle que soit la situation propre à chaque équipe.
20
Ainsi, l'étude de ce cas devrait nous permettre de tirer des leçons sur les façons de
favoriser l'apprentissage, utiles pour d’autres équipes similaires au sein desquelles la
réalisation des tâches impliquerait une interdépendance importante.
21
CHAPITRE II
RECENSION DES ÉCRITS
2.1. Recension des écrits sur l'apprentissage
La littérature ici passée en revue inclut premièrement quelques textes sur
l’apprentissage organisationnel. Deuxièmement, nous présentons des travaux sur la
problématique de la confiance; les concepts de confiance en soi et de sécurité psychologique
ainsi que de la confiance au sein d’une équipe de travail.
2.1.1. Les typologies de la littérature sur l'apprentissage et diversité des problématiques
abordées
La littérature sur l’apprentissage organisationnel, parue durant les dernières années,
est de plus en plus abondante et variée. Cependant, il est fréquent que les auteurs proposent
des définitions divergentes de l’apprentissage et de la personne, en tant que sujet de cet
apprentissage. Naturellement, les questions soulevées par eux ne sont pas les mêmes. Elles
changent selon les points de vue adoptés. Dans cette diversité, un grand nombre de chercheurs
ont analysé différents aspects du phénomène de l’apprentissage en contexte organisationnel.
Argyris et Schön (1978) ont distingué plusieurs types d'apprentissages qui supposent
la capacité d'identifier des erreurs et de les corriger: le single-loop learning, le dooble-loop
learning et le deutero learning, chacun des trois opérant à différents niveaux. Le premier type
d'apprentissage, est surtout adaptatif, porte sur les activités et les comportements; le deuxième,
agissant plus en profondeur, peut mener à prendre conscience des cadres de référence en vertu
22
desquels nous agissons. Il suppose une remise en question du système et répond au besoin de
comprendre l'origine des erreurs agissant sur les compétences spécifiques à l'organisation et à
ses routines (Dodgson,1993). Quant au troisième type d'apprentissage signalé par Argyris et
Schön (1978), il conduit à la possibilité d'apprendre sur notre façon d'apprendre (« learning
about learning ») et implique que nous soyons capables de reconnaître nos erreurs et de les
corriger au niveau du contexte organisationnel et des systèmes de croyances sur lesquels ce
contexte se fonde. Le deutero learning peut aboutir à la formulation de nouvelles stratégies
d'apprentissage. Une autre contribution importante de ces auteurs porte sur la tendance des
individus à adopter des comportements défensifs sans s’en rendre compte, malgré le fait que
ces comportements ont pour conséquence de limiter leur capacité d'apprendre.
D’autres auteurs ont fait des apports de grande valeur pour comprendre comment
l’apprentissage se produit.
Par exemple, Nonaka et Takeuchi (1995)
ont proposé une
explication du processus de création de la connaissance dans l’organisation, à partir des
concepts de connaissance tacite et explicite et de leurs possibles transformations. Dixon
(1994), d’un autre côté, décrit son idée du cycle d’apprentissage où les individus construisent
des cartes mentales qu’ils modifient selon leurs expériences.
Les études, dans leur ensemble, ont tendance à être fragmentées dans leurs
orientations. Easterby-Smith (1997) explique qu’en effet, les conceptions et les préoccupations
sur lesquelles se fondent les différentes perspectives varient considérablement à cause de leurs
disciplines de référence. Ce sont aussi des manières différentes de poser les questions qui
influencent les résultats des réflexions. Selon Cook et Brown (1999) il est nécessaire de
distinguer entre la connaissance que l’on possède et l’action de connaître, à savoir celle qui
permet une interaction entre le sujet qui connaît et le monde. Spender (1994, 1996) signale que
les difficultés proviennent aussi de l’erreur qui consiste à ne pas identifier des types de
connaissance de nature différente.
Cette multiplicité d’approches risque de donner l’impression qu’une partie de la
connaissance sur l’apprentissage
dans
le contexte organisationnel est difficilement
cumulative (Tsang,1997) parce qu’il y a peu de cadres théoriques communs, ce qui rend
difficile le regroupement du travail réalisé.
Pour avoir une vue d’ensemble, nous pouvons nous référer à des typologies ou des
recensions des écrits sur le sujet de l’apprentissage organisationnel comme en ont réalisé
23
Shrivastava (1983), Huber (1991), Dodgson (1993), Miller (1996) et Leavy (1998), qui situent
le concept d’apprentissage dans le champ de la stratégie exclusivement.
Parmi les différentes typologies de l’apprentissage étudiés, nous avons surtout retenu
celle de Miller (1996), car l’un de ses avantages est d’offrir des points de repère assez clairs.
Miller classe les apports sur l’apprentissage organisationnel à l’aide d’un schéma de quatre
pôles situés sur deux axes. Le premier axe regroupe les perspectives de l'apprentissage en
fonction de deux dimensions: volontarisme versus déterminisme, alors que le second
incorpore les aspects: méthode versus émergence. De plus, le premier axe classe les auteurs
selon le degré de déterminisme qui joue sur l’apprentissage, que les restrictions soient dues à
des facteurs cognitifs, politiques ou relatifs à des limites de ressources; le second, lui, fait état,
d’une part des visions de l’apprentissage où les décideurs sont conçus comme des acteurs
rationnels, capables d’agir à partir d'une analyse de l’information sur les coûts et les
opportunités, tandis que de l’autre coté, il situe les perspectives qui expliquent l’apprentissage
comme une activité plus spontanée et intuitive, tenant compte aussi des instincts et des
impressions. À partir de cette dernière grille, Miller construit six catégories elles-mêmes
subdivisées en deux : l’apprentissage méthodique, qui comprend trois types d’apprentissages
soit analytique (Andrews, 1971; Ansoff, 1965), expérimental (March et Simon, 1958) et
structurel (Nelson et Winter, 1982), et l’apprentissage émergent également composé de trois
types: synthétique (Miller, 1990; Mintzberg, 1989), interactif (Cohen, March et Olsen, 1972)
et institutionnel (Selznick, 1957).
Sans reprendre ici toutes les explications que l’auteur offre pour différencier chaque
catégorie, nous énumérons certaines caractéristiques qui nous semblent utiles pour distinguer
ces types d’apprentissages.
L’apprentissage analytique se produit à travers l’évaluation d’informations, surtout
quantitatives, à l’interne et à l’externe de l’organisation. Ce courant, représenté entre autres
par Ackoff (1971), met l’emphase sur la logique déductive, le calcul et l’optimisation. Les
résultats de cet apprentissage peuvent, à un moment donné, être intégrés à des plans détaillés,
à des programmes et à des routines.
L’apprentissage synthétique, lui, permet de rassembler des informations diverses et de
les faire converger en se débarrassant des détails superflus (Prahalad et Hamel, 1990). L’une
de ses particularités est de concevoir l’organisation comme une configuration dynamique où
24
les cercles vicieux, les opportunités émergentes et les changements signalant des défis majeurs
sont des phénomènes qui peuvent être relativement bien compris (Senge, 1990).
De son côté, l’apprentissage expérimental est plus spontané (Huber, 1991; Quinn,
1980) et se produit plus fréquemment lorsque l’organisation cherche à faire des améliorations
qui se traduisent par des adaptations ou des renouvellements; cependant il donne lieu à des
connaissances locales, fragmentées et plus difficiles à intégrer que celles qui résultent des
autres modes d’apprentissage.
L’apprentissage interactif est la catégorie qui intègre la vision de l’«apprentissage
situé». Nous l’aborderons plus en détail dans la section ainsi intitulée, l’interaction étant au
cœur de cette conceptualisation de l’apprentissage. Il s’agit, selon Miller, d’un type
d’apprentissage plus inductif et intuitif qui se produit en contact avec la pratique; il correspond
à « l’apprentissage sur le tas » (learning-by-doing), souvent associé à l’apprentissage des
individus ou d’un département, lorsqu’ils travaillent en fonction d’objectifs locaux (Cyert et
March, 1963; March et Olsen, 1976). Enfin ce dernier type d’apprentissage repose, en bonne
mesure, sur l’échange de l’information et sur les processus de négociation. Il peut contribuer à
la collaboration entre les personnes engagées dans le processus et influencer leurs manières
de penser.
L’apprentissage structurel, tacite et explicite, est principalement transmis à travers les
routines (Nelson et Winter, 1982), lesquelles sont un des résultats de l’apprentissage
analytique : celles-ci codifient les manières de réaliser les tâches. Elles servent aussi à
contrôler l’information que les personnes reçoivent et influencent l’interprétation que les
cadres feront de cette information. Malheureusement, elles sont susceptibles de conduire à
l’inertie, à une vision limitée (« tunnel vision ») et à la rigidité, car elles renforcent les
habitudes et la répétition et limitent les possibilités de vivre de nouvelles expériences.
L’apprentissage institutionnel est un processus organisationnel inductif et émergent
d’adoption de valeurs, d’idéologies et de pratiques qui se diffusent amplement à travers les
rôles modèles, les rituels, les procédures spéciales, le vocabulaire employé (Scott, 1995;
Clegg, 1989).
La typologie proposée par Miller nous permet d’avoir des références pour situer la
conception de l’apprentissage que nous avons adoptée par rapport à des conceptions distinctes
de l’apprentissage. En outre, elle nous aide à comprendre la nature de ces différences, par
25
exemple, à propos des sujets de l’apprentissage. Les auteurs qui ont pour point de départ
théorique l'apprentissage analytique, voient ceux-ci comme fondamentalement rationnels et
capables d’interpréter l’information objectivement, ce qui n’est pas le cas dans
« l’apprentissage situé ».
Les différentes catégories proposées par Miller associent les types d’apprentissage à
des dimensions telles que l’individu, le groupe, l’organisation ou les relations
interorganisationnelles. Par exemple, l’apprentissage institutionnel tend à se produire dans
l’ensemble de l’organisation, comparativement à l’apprentissage interactif qui semble plus
naturellement rattaché à la dimension du groupe ou du département. Cela ne signifie pas que
ce dernier apprentissage ne peut pas influencer l’organisation, mais, lorsque cette influence se
produit, elle commence à partir du groupe et se transmet vers le reste de l’organisation, tandis
que, dans l’apprentissage institutionnel, on observe un mouvement inverse.
Cette comparaison entre les différentes perspectives de l’apprentissage nous a permis
d’identifier des particularités, des limites, et des avantages de la conception que nous avons
décidé d’adopter et qui nous semble réunir les caractéristiques les plus appropriées pour
répondre à notre question de recherche. La typologie ici présentée nous rappelle le caractère
relatif de la conception de l’«apprentissage situé», une option d’aborder l’apprentissage, parmi
d’autres qui, évidemment, ont aussi leurs qualités. Nous expliquerons sur quels critères nous
nous sommes basée pour choisir ce courant théorique.
2.1.2 Le concept de situated learning ou « apprentissage situé »
Pour bâtir le cadre théorique de notre recherche, nous avons porté notre attention
principalement sur un ensemble de textes qui partagent la notion du situated learning ou
« apprentissage situé ». Cette perspective est adoptée par une série d’auteurs apparentés au
plan
théorique : Duguid et Brown, 1998, 1991; Chaiklin et Lave, 1993; Araujo, 1998;
Gherardi, Nicolini et Odella, 1996; Lave, 1993; Lave et Wengner, 1991; Nicolini, Davide et
Meznar, 1995; Nicolini et Meznar, 1995; Easterby-Smith, Snell et Gherardi, 1998; Gherardi,
1999. Leurs textes s’appuient, à la base, sur une notion commune de l’apprentissage, même
s’ils abordent des problématiques variées. Selon Cook et Brown (1999), il est nécessaire de
26
distinguer entre la connaissance, que l’on possède, et l’action de connaître, à savoir ce qui
permet une interaction entre le sujet connaissant et le monde. Comparée à d’autres
perspectives théoriques, celle-ci implique une conception plus large de la personne qui
apprend, et cela rejoint notre idée de l’apprentissage.
De notre point de vue, la personne apprend en fonction non seulement de ses capacités
intellectuelles mais aussi, dans un sens plus global, des caractéristiques personnelles telles
que son émotivité et ses intuitions, son corps et sa capacité créative, de même que sa
dimension sociale, laquelle implique son appartenance ou ses appartenances à une ou à
plusieurs communautés définies par une pratique.
Lave et Wenger (1991, p.53) définissent l’apprentissage en fonction des habiletés qu’il
permet et ils insistent sur l’importance du contexte relationnel où il a lieu: « Learning implies
becoming able to be involved in new activities, to perform new tasks and functions, to master
new understandings. Activities, tasks, functions and understandings do not exist in isolation,
they are part of a broader systems of relations in which they have meaning ».
Une autre définition de l'apprentissage souligne l’importance de l’interaction:
« Learning, in short, takes place among and through other people » (Gherardi et coll., 1998).
L'apprentissage résulte alors de la combinaison de l'observation, de la communication verbale
et non verbale, ainsi que de l'activité physique.
Nous désirons insister sur la dimension sociale de l'apprentissage. Dans la perspective
de l' « apprentissage situé », le langage occupe une place centrale, intimement associé au
déroulement d'une pratique située dans un contexte défini. Le langage est même un des
moyens de modifier cette pratique à travers des actions comme demander, discuter, proposer
ou soutenir des façons nouvelles d'agir par rapport à cette pratique. C'est pourquoi notre
premier choix de définition nous semble devoir être complété par la suivante: « Learning is
not conceived as a way of coming to know the world, but as a way of becoming part of the
social world » (Gherardi,Nicolini et Odella,1998, p.276). Bien qu’un peu générale, cette
seconde définition présente à nos yeux l'avantage de privilégier l'importance des relations qui
se tissent à travers la pratique (Lave et Wenger,1991). Le but de l'apprentissage, mis en relief
par cette perspective, est l'appartenance au monde et non pas seulement sa compréhension.
27
2.1.3. L’apprentissage dans les équipes
Après avoir parcouru la littérature sur l’apprentissage en équipe dans un cadre
organisationnel, nous avons distingué principalement deux types de textes. Les premiers
renvoient à des travaux empiriques, dont le contenu théorique est prédominant, comme on le
verra dans les exemples donnés. Le deuxième groupe de textes se distingue parce que les
auteurs concernés étudient en profondeur un cas empirique et construisent, à partir des
résultats de leur analyse, des explications théoriques probablement applicables à d’autres cas.
2.1.3.1. Contributions conceptuelles
Crossan, Lane et White (1999) expliquent le rôle que l’apprentissage joue dans le
renouvellement stratégique et suggèrent un cadre théorique nouveau. Selon eux, peu de
modèles intègrent les dimensions de l’apprentissage individuel, groupal et organisationnel. Ils
expliquent l’articulation entre ces trois dimensions à partir des processus sociaux et
psychologiques. Ils les nomment: développer l’intuition (intuiting en anglais), interpréter,
intégrer et institutionnaliser. Ce qui nous semble attirant dans leur article est la place
qu’occupe la construction des compréhensions partagées et l’ajustement mutuel. Le dialogue
et l’action conjointe sont ici des éléments clefs. Par conséquent, il apparaît possible d’établir
des rapprochements entre cette perspective et celle de l’ « apprentissage situé », car même si
les termes employés ne sont pas pareils, nous retrouvons, au cœur de la discussion, des
éléments similaires, vus, ici aussi, comme fondamentaux.
Weick et Roberts (1993) accordent une importance particulière au rôle du dialogue
dans le travail et l’apprentissage en équipe et explorent le concept de collective mind repris par
Klimoski et Mohammed (1994), qui se penchent notamment sur la question du sens partagé et
soulignent le caractère social de l’apprentissage. L’interprétation, qui suppose la construction
de compréhensions partagées, précède l’apprentissage et l’action. Ces auteurs soulignent
l’importance de la capacité de se mettre d’accord, mais aussi celle d’être en désaccord et
d’exprimer les différences d’opinion.
Une autre explication de l’apprentissage dans un contexte organisationnel est celle
d’Argote (2000). Pour elle, l’apprentissage en équipe implique un processus implicite ou
28
explicite, à travers lequel les membres d’une équipe: 1) partagent, 2) engendrent, 3) évaluent,
et 4) combinent les connaissances.
Ces apports sont importants car ils mettent l’accent sur l’importance de la
communication et du dialogue pour l’apprentissage, ils parlent de l’apprentissage comme
phénomène relié intimement à l’interaction sociale des individus, à l’idée d’une création du
sens qui se produit dans un échange. Ce sont des éléments qui reviennent dans la conception
de « l’apprentissage situé ».
2.1.3.2. Contributions empiriques
Les textes suivants contribuent à mieux expliquer certains aspects concrets de
l’apprentissage en équipe. Ils donnent aussi des exemples de pratiques collectives qui
favorisent l’apprentissage. Par exemple, le fait de « raconter des histoires » (story telling) pour
construire du sens et transmettre des leçons tirées des expériences de travail, sont des pratiques
présentes aussi dans le cas que nous étudions. Nous avons choisi ces textes principalement
parce qu’ils illustrent certaines facettes de l’interdépendance même si ces auteurs ne
mentionnent pas ce terme.
Un
exemple pertinent de ce type de
techniciens qui réparent des machines
travaux est celui de Orr (1990) sur des
à photocopier.
Ces employés partagent un type
d’apprentissage social adapté au contexte précis où s’inscrit leur pratique. En effet, si le
service d’entretien des machines présente des difficultés sur le plan technique évidemment, il
comporte d’autres défis simultanément comme ceux de la relation entre les employés qui
assurent le service de réparation et les usagers de ces machines. Les usagers ont recours aux
techniciens non seulement lorsque les machines tombent en panne mais aussi parce que,
comme clients, ils n’ont pas toujours
nécessairement une compréhension suffisante du
fonctionnement des machines ni des manuels qui devraient le leur expliquer. Et pour que le
client soit satisfait du service, il doit pouvoir se sentir en contrôle, comme disent les
techniciens: « Don’t fix the machine; fix the customer! ».
La logique du partage de l’information est aussi basée sur le fait que l’entretien des
machines est assuré par plusieurs techniciens offrant leurs services à tour de rôle. Cette
29
situation produit l’interdépendance entre les techniciens affectés au service d'une même
photocopieuse. En effet, l’alternance du travail des techniciens sur une même machine les rend
interdépendants mais leur donne, du même coup, la possibilité d'échanger sur des
interprétations plus variées de la problématique de cette machine précise, au départ et par la
suite, de leur pratique en général. Ainsi s’accroît leur compréhension de la problématique
globale à laquelle ils font face et se raffine leur capacité de répondre plus aisément aux
nombreux facteurs imprévisibles liés à l’insertion des machines dans des contextes sociaux
variés. Certains types de pannes sont usuels et assez connus; en revanche, d’autres failles sont
rares et peu fréquentes. Les techniciens doivent être capables de résoudre les unes aussi bien
que les autres, mais, au départ, il leur faut faire un diagnostic juste. Ce sont les expériences
racontées et entendues qui donnent parfois accès à un apprentissage venant spontanément
combler des manques que leur formation purement technique ne pouvait pas prévoir, par
exemple pour élaborer correctement ces diagnostics.
Le fait que les techniciens établissent des contacts divers entre eux les rend capables
de savoir lequel parmi eux détient l’information requise à un moment donné. Cette possibilité
fait contrepoids aux éventuelles situations d’imprévisibilité et d’ambiguïté qui se présentent
souvent dans leur travail. Orr ne mentionne pas le terme d’interdépendance mais pourtant elle
contribue à expliquer la nécessité chez les techniciens de« conter » leurs expériences aux
collègues, donnant lieu ainsi à une culture commune.
Un autre cas illustratif de l’apprentissage en équipe, fournit par Cook et Yanow
(1993), est celui d’une entreprise de fabrication de flûtes, reconnues dans le monde pour leur
excellente qualité. Au centre de leur réflexion se trouve le concept de culture
organisationnelle,
basé sur la création d’un sens partagé
intersubjectivement par les
personnes engagées dans une même pratique. Cette culture s’exprime par leur langage et leurs
actions. Dans le texte de ces auteurs, le concept d’interdépendance n’est pas explicitement
introduit, mais il est tout de même très présent. En effet, une interdépendance élevée est sousjacente dans leur description des caractéristiques du processus de fabrication de ces flûtes tant
renommées; les membres de l’atelier interviennent à plusieurs, selon des étapes déterminées,
pour fabriquer une seule flûte, et personne ne fabrique une flûte entière. Le résultat du travail
de l’un devient la base pour le travail de l’autre et dans ce passage des flûtes, d’une personne à
l’autre, chacun réalise une sorte de « contrôle de qualité », inscrit implicitement, dans le
30
processus même de la fabrication. Les personnes qui travaillent ensemble ont appris à
s’adapter à l’équipe et à développer une connaissance tacite et explicite de leur pratique
portant, entre autres, sur les ajustements nécessaires pour être capables, à chaque étape, de
« sentir » et de « voir » si les flûtes sont conformes aux standards de qualité bien connus de
tous, malgré que chacune des flûtes soit une pièce unique, ressemblant aux autres, sans jamais
être identique.
Leurs connaissances tacites et explicites permettent un travail d’une grande finesse et
d’une précision extrême. Les auteurs soulignent que leur capacité de répondre à ces exigences
n’a pas été acquise individuellement par les membres de cet atelier. Leur connaissance est non
seulement créée collectivement, elle est aussi possédée de la même manière. Elle se manifeste
dans l’interaction qui a lieu en fonction de la fabrication des flûtes. L’intégration des apprentis
se fait en fonction de la pratique et des positions où ils peuvent se rendre compte de leurs
erreurs et les corriger grâce à l’échange verbal et non verbal qu’ils ont avec des personnes
plus expérimentées.
Ce texte nous donne un exemple d’une communauté de pratique même si les auteurs
ne se servent pas de ce terme mais ils donnent un excellent exemple d’apprentissage incorporé
dans un contexte où les résultats dépendront, en bonne mesure, de l’efficacité des interactions
entre les différents travailleurs engagés dans cette pratique.
À partir d’une réflexion inspirée par ces textes, il est possible d’identifier que
l’interdépendance se manifeste de manières différentes, selon les tâches effectuées et les types
d’apprentissages qui se produisent au cours de la pratique propre à chaque équipe et de
comparer des exemples. Dans le cas des techniciens, vu que différentes personnes sont
responsables des mêmes machines, à des moments différents, il leur faut mettre en mots leurs
expériences pour pouvoir les partager sous forme d’ « histoires ». Il y a un côté anecdotique
dans leurs récits, car l’information ne concerne pas uniquement l’aspect technique des
machines mais aussi les relations entre celles-ci et leurs utilisateurs et probablement aussi des
relations entre les techniciens et les usagers.
Il est possible d’établir une ressemblance entre l’exemple des techniciens responsables
de la réparation de machines à photocopier et les experts de la fabrication des flûtes dans le
sens que, dans ces deux cas, l’intervention de plusieurs personnes est requise, soit pour
assurer la continuité du service sur une machine ou pour fabriquer une flûte. Les
31
connaissances de ces personnes, de manière interdépendante, jouent un rôle précis,
correspondant à différentes parties d’un même processus. Cependant notons une grande
différence entre ces deux exemples: tandis que les techniciens partagent leurs expériences à
travers d’ « histoires », (c’est à dire en discutant et échangeant ensemble sur le travail) sur les
expériences qu’ils ont avec leurs clients et les solutions qu’ils apportent aux divers problèmes
qu’ils envisagent en lien avec une même machine mais à différents moments, les fabricants de
flûtes, eux, travaillent ensemble, sur une seule
flûte, mais au même moment, donc
la
connaissance se transmet, d’une personne à une autre, surtout de manière tacite. Ainsi, il
semblerait plus important pour les fabricants de flûtes de
« sentir », de « voir » et de
« percevoir » que de raconter et d’écouter comme dans le cas des techniciens. Ce que nous
notons est qu’à chaque fois, la transmission des connaissances se produit d’une manière
cohérente en regard d’un contexte propre à chaque pratique et prend donc la forme qui
correspond le mieux aux besoins d’apprentissage que cette pratique requiert.
Aucun des deux textes cités ne mentionne la confiance. Cependant, elle nous apparaît
comme un élément qui joue favorablement sur les différents types d’apprentissage. Dans le
premier, il est clair que, pour pouvoir parler de ses expériences, la personne a besoin de
s’ouvrir, de se livrer aux autres; elle le fera d’autant mieux si elle se sait respectée, si elle se
sait entendue, si elle estime que l’information qu’elle partagera favorise la collaboration. Ce
genre de comportements et de croyances dépend, selon nous, au moins en partie, du degré de
confiance existant dans les relations entre les techniciens.
Dans l’autre texte, on voit des apprentis
formés au contact de personnes plus
expérimentées dans le métier. Les moins expérimentés ont besoin de se sentir autorisés à
observer, à toucher ou à poser des questions pour pouvoir apprendre. Pour ces apprentis, c’est
important aussi de savoir qu’il y a une disponibilité de la part des personnes plus anciennes
dans cette pratique pour accepter de faire face à leur manque d’expérience et aux risques des
erreurs qu’ils sont susceptibles de commettre. Nous croyons que ce contact entre personnes
ayant des niveaux de connaissances différents demande un certain degré de confiance de part
et d’autre tant pour transmettre l’expérience que pour la recevoir.
Les exemples tirés de ces textes ont une grande valeur, à nos yeux car, dans l'équipe
de travail que nous avons observée, comme nous le verrons par la suite, ces deux manières
d'apprendre sont présentes. Le metteur en scène raconte souvent des « histoires », afin d’
32
expliquer aux acteurs ses attentes par rapport au sens d'une scène, ou encore pour clarifier la
logique d'un personnage dans une situation précise. Mais l'apprentissage tacite est également
une composante fondamentale du processus, puisque le metteur en scène se sert de son propre
corps pour expliquer avec plus d’exactitude le sens qu’il donne aux actions des personnages
dans la logique du contexte de chaque scène. L’apprentissage tacite pour les acteurs passe
beaucoup par le fait qu’ils sont souvent dans un état d'observation et d'écoute d'eux-mêmes, du
travail des autres et des indications du metteur en scène et ils apprennent en jouant. Cela
signifie que, dans le cas étudié, nous voyons comment l’apprentissage se produit au contact de
la pratique. Les acteurs, même quand ils ont une assez longue expérience du théâtre, se
retrouvent toujours, à chaque nouveau montage, dans une position où il est nécessaire de
réaliser de nouveaux apprentissages.
2.2. Recension des écrits sur la confiance
2.2.1. Des définitions de la confiance
Récemment, le sujet de la confiance dans les organisations et dans les relations
interorganisationnelles a été plus amplement traité par un plus grand nombre d’auteurs, mais
l’intérêt porté à la confiance n’est pas nouveau. Il y a plus d’une trentaine d’années, Deutsch
(1962) et Zand (1972) ont fait des apports importants et, plus tard, Williamson (1985) a
élaboré, dans le champ de l’économie, une théorie des coûts de transaction où l’opportunisme
apparaît comme l’une des préoccupations principales: faire confiance signifie alors d’accepter
de s’exposer au risque d’opportunisme.
Après avoir analysé les possibles définitions de la confiance, une partie des textes sur
cette problématique peut être regroupée selon les trois aspects suivants: les fonctions de la
confiance; ses sources ou ses bases; sa dynamique, à savoir ce qui touche à son émergence et
ses changements au cours de l’évolution des relations. Nous compléterons notre étude de ces
trois aspects par une réflexion sur le concept de méfiance.
33
Pour commencer par le plus simple, nous avons examiné la définition que donne le
dictionnaire Larousse (2001) du mot « confiance »: « Sentiment de sécurité d’une personne
qui se fie à quelqu’un ou à quelque chose ». Un des problèmes posés par cette définition
consiste dans l'emploi du verbe « se fier » qui, en fait, signifie « faire confiance », ce qui rend
l'explication incomplète selon nous. Pour définir l’expression « Avoir confiance en soi », le
dictionnaire indique: « Être assuré de ses possibilités » (Larouse, 2001).
Dans le cadre des sciences de la gestion plus spécifiquement, la confiance a été
analysée selon trois points de vue différents:
a) celui de la personne qui fait confiance à une autre (Sitkin, Burt et Camerer 1998;
Mcknight et Chevrany 1998);
b) celui de la personne à qui on fait confiance (traitée par Barber (1983), Butler (1991),
Lyons et Métha (1997), Holmes et Rempel, (1989) et Gabarro, (1978). La langue anglaise
employant deux mots différents pour distinguer deux positions : celle du « trustor », la
personne qui fait confiance, et « trustee », la personne en qui on a confiance;
c) celui d’une relation où deux personnes se font confiance mutuellement (Gambetta,
1988; Granovetter, 1985; Koening, 1999).
Bellemare et Brian (1999) parlent également d’une confiance interpersonnelle située
explicitement dans le contexte de l’organisation, où la notion de pouvoir est très clairement
présente.
Il convient également de spécifier deux autres concepts essentiels: d) la confiance en
soi, et e) la notion de sécurité psychologique qui inclut la confiance, présente dans l’ensemble
des relations entre les membres d’une équipe de travail. La confiance en soi est importante
dans le cadre de cette recherche parce que même si notre attention porte surtout sur les
relations interpersonnelles et la dimension de l’équipe, la confiance en soi est en lien avec la
perception que chaque individu a de lui même, de ses habiletés, de ses compétences, de ses
faiblesses. Cette confiance peut influencer sa manière d’établir des relations avec les autres,
de travailler et d’apprendre. Le concept de sécurité psychologique concerne le niveau de
l’équipe, la relation entre ce concept et l’apprentissage sera analysée plus en détail par la suite
en raison de son influence sur l’apprentissage. Nous étudierons ces perspectives à tour de rôle
ci-après.
34
2.2.1.1. La confiance dans la perspective de la personne qui fait confiance à une autre
Dans la perspective de la personne qui fait confiance à une autre: « Accepted
vulnerability to another’s possible but non expected ill will (or lack of good will) toward one"
(Baier, 1986, p. 235) apparaît comme une définition assez compatible avec notre point de vue.
Selon cette position, la notion de propension à faire confiance est au centre de la
réflexion et conditionne le degré jusqu’où la personne fait effectivement confiance. Mais faitelle confiance selon sa volonté uniquement ou selon sa capacité qui ne dépend pas seulement
de sa volonté mais aussi de ses possibilités? Boon et Holmes (1991) suggèrent que c’est
davantage une question de capacité qu’une décision prise volontairement. Cette question n’a
pas une seule réponse possible. En effet, les avis varient. Cependant, que ce soit une question
de volonté exclusivement ou plutôt de capacité à faire confiance, la propension en cause sera
déterminée par des éléments tels que les traits de la personnalité, l’histoire familiale, les
expériences passées, les croyances et les conditions du contexte. Ces caractéristiques
influenceront la perception et l’interprétation de la personne concernant un ensemble de
facteurs décisifs: les risques de faire confiance, sa propre vulnérabilité, les conditions de sa
situation. Les plus susceptibles de contribuer à rendre les personnes enclines à faire confiance,
selon Johnson (1996), sont le degré de familiarité et de prévisibilité relative d’une situation
donnée dont elles connaissent, au moins en partie « les règles du jeu ».
Selon McKnight et al. (1998), la disposition à faire confiance est basée sur un
ensemble de facteurs relatifs à: 1) la personnalité, 2) l’ institutionnel, 3) la cognition.
La possibilité de faire confiance dépendra des perceptions de chacun. On comprend
que, dans une même équipe, certains membres fassent confiance à la même personne plus
facilement que d'autres; par exemple, au leader de cette équipe (Shoorman et coll., 1996).
2.2.1.2. La confiance dans la perspective de la personne à qui on fait confiance
35
Selon la perspective de la personne à qui on fait confiance, l’élément déterminant est
celui des caractéristiques de la personne à qui faire confiance et du degré de fiabilité
qu’inspirent aux autres ses comportements.
Les conditions qui rendent une personne fiable peuvent se regrouper en
trois
catégories: i) celles qui touchent aux habiletés et aux compétences de la personne; ii) celles
qui concernent ses intentions; iii) celles qui renvoient à ses qualités morales. Whitener et coll.
(1998), de leur côté, dressent une liste assez exhaustive des facteurs influençant la perception
que les employés ont de la fiabilité de leurs supérieurs: 1) Behavorial consistency; 2)
Behavorial integrity, comportement qui implique de dire la vérité et de tenir ses promesses; 3)
Sharing delegation of control; 4) Communication (acuracy, explanations and openess; 5)
Demonstration of concern. comportement qui montre que l'on se soucie de l'autre, par
exemple en manifestant de la considération et de la sensibilité pour les besoins et les intérêts
des employés, en agissant dans un sens qui protège leurs intérêts et en évitant de les exploiter
dans le but d'obtenir un bénéfice personnel.
Ces trois types de conditions sont importantes, elles ne sont pas substituables entre
elles, c’est-à-dire qu’une des trois, seule en l’absence des deux autres, n’est pas suffisante
(Meyer et coll. 1995).
Au plan des compétences, la personne à qui on fait confiance doit être perçue comme
capable d'assumer les tâches susceptibles de lui être confiées. Son aptitude à les réaliser
efficacement
peut être prouvée de différentes manières, soit parce qu’on la connaît
personnellement, ou de réputation ou à travers des « signes visibles » (tels que ses diplômes
ou des travaux accomplis au préalable). Mais, parfois, les personnes peuvent faire confiance à
quelqu’un en se basant principalement sur ses intuitions lors d’une première rencontre. La
décision de faire confiance est alors surtout basée sur une impression causée par l’apparence
physique de l’autre.
Au plan de ses intentions, pour inspirer confiance, une personne doit démontrer sa
bonne volonté, ne pas chercher à faire du mal aux personnes qui lui font confiance. Il lui faut
donc adopter
certains principes moraux, comme l’intégrité, le sens de la justice, la
disponibilité. Des listes de ces qualités ont été élaborées, discutées et employées par plusieurs
auteurs (Gabarro, 1978, Jennings 1971, Buttler, 1991); elles comprennent parfois jusqu'à neuf
36
conditions (discrétion, intégrité, sens de la justice, ouverture, cohérence, réceptivité,
disponibilité, respect des promesses, loyauté).
Sitkin et Roth (1993) donnent une définition de la confiance qui tient compte des
aspects ici mentionnés: « Trust is a belief in a person’s competence to perform a specific task
under specific circunstances ».
Nous reviendrons un peu sur ces aspects lorsque nous toucherons à la question des
bases de la confiance.
2.2.1.3. Définition de la confiance interpersonnelle
La confiance dans une relation entre deux personnes, fait l’objet de prises de positions
assez variées et parfois divergentes. Apparemment, il va de soi que la confiance y soit
mutuelle et réciproque, mais, en réfléchissant davantage, il apparaît qu’il serait indispensable
de préciser le type de relation dont il s’agit avant de soutenir cette affirmation. Il se peut que
les personnes concernées se trouvent dans des positions inégales, comme dans la relation
superviseur/supervisé, où les rapports ne sont pas sur un même pied d’égalité (Aebacher,
2000).
Un des principaux paramètres pour évaluer le type de relation est celui de la
dépendance. Plusieurs cas sont possibles: que les deux personnes soient peu dépendantes l’une
de l’autre, qu’une personne soit plus dépendante que l’autre, qu’elles soient interdépendantes
c'est à dire chacune dépendante de l'autre, selon une proportion variant de faible à
extrêmement élevée. Selon Boon et Holmes (1991), plus l’interdépendance sera élevée, plus la
confiance sera un enjeu central dans la relation. Sheppard et Sherman (1998) proposent un
modèle où sont examinées ces possibilités et expliquées leurs conséquences en termes de
risques associés.
Les trois perspectives qui donnent lieu à ces définitions, peuvent devenir
complémentaires. Elles enrichissent notre notion de confiance lorsque nous tenons compte de
l’apport de chacune. Notre position, inspirée de Nooteboom (2002), est que cette notion se
comprend plus exactement en tenant compte de certaines limites, fixées selon les quatre
aspects suivants: 1) quelqu’un fait confiance à quelqu’un d’autre 2) pour réaliser quelque
37
chose, 3) en fonction des conditions liées au contexte de l’action, ce qui inclut 4) la
dynamique de l’interaction. C’est surtout la considération du contexte qui est fondamentale car
le contexte influence fortement les possibilités de faire confiance, déterminé qu’il est par des
structures et des normes économiques, sociales et organisationnelles (Granovetter, 1985).
Gambetta met également en lumière le fait que la confiance dépend non pas uniquement de la
prédisposition à faire confiance, mais aussi beaucoup des circonstances objectives qui
conditionnent les risques associés à la décision de faire confiance dans chaque situation.
Les quatre éléments mentionnés ci-haut, reviennent dans la formulation du concept de
« confiance optimale »: « Knowing whom to trust, how much to trust them and with respect to
what matters » (Wicks et coll.,1999, p.103). Ce concept de « confiance optimal » repose sur la
croyance qu'il est possible de savoir avec certitude à qui faire confiance et jusqu'à quel point.
Cette possibilité pourrait nous séduire...intellectuellement pour un moment, suggérant un
monde (conçu par des économistes peut-être? ) où, hypothétiquement, l’on parviendrait à
calculer exactement quel est le « bon » degré de confiance à faire. Mais Gambetta (1988),
adoptant une position plus humble et considérablement plus réaliste, nous a déjà averti que, le
besoin de faire confiance est une option qui implique des risques parce que nous manquons
d'informations complètes ou « parfaites ». La présence de l'incertitude étant inévitable, c'est
d'ailleurs cette inévitabilité de l’incertitude qui rend la confiance nécessaire. Cet auteur
explique:
«The condition of ignorance or uncertainty about other people's
behaviour is central to the notion of trust. It is related to the limits of our
capacity ever to achieve a full knowledge of others, their motives, their
responses to endogenous as well as exogenous changes. Trust is a tentative and
intrinsically fragile response to our ignorance, a way of coping with 'the limits
of our foresight', hardly ever located at the top end of the probability
distribution » (Gambetta, 1988, p.218).
2.2.2. Ses fonctions
38
Sur le thème des fonctions de la confiance, nombre d’auteurs s’entendent pour
admettre
que la présence de la confiance est déterminante dans les relations sociales
(Dasgputa, 1988; Sabel, 1993;
Tyler et Kramer, 1996; Leane et Von Buren III, 1999;
Harrisson, 1999). Sabel (1993) estime que la confiance est un élément constitutif de toutes les
relations sociales; d’après Dasgputa (1988), sa présence ou son absence influence ce qui peut
être fait. Leana et Von Burren III (1999) expliquent qu’elle contribue à la stabilité des
relations. Une autre série d’auteurs (Luhman, 1980; Gambetta, 1988; Jones et Georges,1998;
Barber; 1983) la considèrent comme un moyen de mieux vivre des situations reliées à
l’incertitude en général où entrent en jeu le comportement de l’autre, le risque,
la
vulnérabilité, la complexité. Aux yeux de Heimer (1976), elle constitue un moyen pour les
acteurs sociaux de faire face à l’incertitude et à la vulnérabilité. Jones et Georges (1998) ont
une conception semblable, mais eux portent davantage leur attention sur les possibilités de
gestion de l’incertitude et du risque ainsi que les gains issus de la collaboration qu’encourage
la confiance.
2.2.3. Ses bases
Le thème des bases de la confiance a été abordé à plusieurs reprises (Lewicki et
Bunker, 1996; McAllister,1995; Nooteboom, 2002). Zucker (1986) va jusqu'à parler d’un
« mode de production de la confiance ». Selon elle, la confiance en général est basée sur des
règles sociales « justes » et des « droits » acceptés par chacun des participants à un échange.
Elle indique que la confiance repose sur trois bases: 1) les échanges réalisés par le passé, 2) les
caractéristiques des personnes impliquées dans cette relation 3) et les structures sociales.
Elle distingue donc les sources de confiance suivantes:
a) le processus où la confiance se fonde sur l'expérience des échanges passés;
b) la personne, ce qui signifie que la confiance se base sur des similarités entre
les
personnes participant à cette relation, comme un bagage culturel semblable et donc
partagé.
c) les institutions où la confiance est liée à des mécanismes formels comme ceux qui
s’inscrivent dans le cadre d'une profession.
39
Les échanges passés, selon Dagsputa (1988) et Boon et Holmes (1991), jouent aussi
un rôle, permettant de parler de réciprocité dans les relations. C’est également à travers
l’expérience des échanges passés que se bâtit la réputation, qui influence les décisions de faire
ou de ne pas confiance. (Lorentz,1996 ; Orléans,1994 et Williamson, 1993).
McAllister (1995) distingue deux types de bases de la confiance: i) cognitives et ii)
émotives. Les premières tiennent à ce que l’on sait de la personne à qui l’on pense faire
confiance, concernant ses compétences et sa capacité d’agir conformément aux attentes de la
personne qui s'est fiée à elle. De telles bases impliquent des jugements portant sur des
« signaux visibles » qui attestent la compétence (Beaudry, 1994) à savoir des diplômes,
l’appartenance à un ordre professionnel, des accomplissements antérieurs. Les bases émotives,
quant à elles, dépendent des liens émotifs entre les personnes et permettent de savoir qu’il
existe une véritable préoccupation pour le bien-être de l’autre personne.
2.2.4. Sa dynamique
Un ensemble d’auteurs (Hardin, 1995; Holmes et Rempel, 1989; Worshel, 1986; Tyler
et Kramer,1999; Rempel, Holmes et Zanna, 1985) proposent différentes manières d’expliquer
les changements que subit la confiance. Bellemare et Brian (1999) identifient des facteurs qui
jouent sur ces modifications; ils mentionnent par exemple les mouvements des acteurs
sociaux, les enjeux, les luttes de pouvoir, les développements techniques.
La perspective de Lewicki et Bunker (1999) nous semble particulièrement éclairante:
selon eux, l’évolution de la confiance s’explique par les changements du degré d’importance
des bases de cette confiance. Ils nourrissent une réflexion sur les bases de la confiance qu’ils
intègrent à l’analyse de sa possible évolution. Au début d'une relation, la confiance sera basée
sur un calcul des risques associés à la décision de faire confiance et des pertes qui pourraient
résulter du fait de ne pas faire confiance, calcul réalisé à partir de certaines informations
disponibles. Par la suite, la confiance va progressivement s’appuyer sur une connaissance plus
stable au fur et a mesure que les gens en arrivent à se connaître mieux. Dans une étape plus
avancée de la relation, la confiance peut commencer à reposer sur l’apparition d’une empathie
entre les deux personnes et une identification au plan de leurs aspirations, buts et valeurs. Plus
40
la relation évolue dans cette direction, plus cette dernière identification peut être forte. Un
élément
central pour que cette dynamique se produise consiste dans l’existence d’une
communication régulière. Selon l'évolution de la relation, on assiste à une sorte de recadrage
de la confiance.
Whorchel (1986), Tyler et Kramer (1999), Rempel, Holmes et Zanna (1985),
affirment que la construction de la confiance peut être lente et qu’elle vise à réduire en partie
l’incertitude. D’après Jones et Georges (1998), et Barber (1983), la confiance se construit en
tenant compte des dimensions morales, cognitives et émotives des personnes qui sont en
relation. Cependant, Meyerson, Weick et Kramer (1996), de même que Jones et Georges
(1998) s’interrogent sur le phénomène de la confiance paradoxalement présente dès le début
de certaines relations entre des personnes qui ne se connaissent pas encore directement (sauf
pour quelques références provenant de la réputation). En pareil cas, disent les auteurs, la
disposition ou la propension à faire confiance, joue un rôle explicatif important en plus de
celui des exigences de la tâche, qui supposent, dans certains cas particuliers, un besoin
relativement urgent de faire confiance.
Dans ce même questionnement sur la dynamique de la confiance s’inscrivent des
réflexions enrichissantes sur la fragilité et la perte de la confiance (Baier, 1986; Karpik, 1996;
Nooteboom et Berger, 1997).
2.2.5. La méfiance et sa dynamique
Parmi les auteurs qui ont réfléchi à la méfiance, les avis sont partagés, ce qui suscite
des discussions fréquentes. Certains soutiennent que la confiance et la méfiance sont des
contraires, alors que d'autres les perçoivent comme deux phénomènes complémentaires
pouvant coexister simultanément. Golembiewski et McConkie (1975) remettent en question la
vision de la confiance comme essentiellement « bonne », alors que la méfiance est perçue
comme « mauvaise ».
Naturellement, il est plus courant de trouver d’abord des arguments en faveur des
bénéfices d’une conception positive de la confiance, par exemple dans le travail de Mattos
41
Janzack (1999) où la confiance dans les cadres moyens contribue à la création et à la
transmission des connaissances dans les organisations.
Et pour citer un auteur traitant des désavantages de la méfiance dans un cas où la
méfiance apparaît comme «mauvaise», rappelons que Zand (1972) affirme que la présence de
méfiance nuit à l’apprentissage, aux sentiments d’appartenance, à la satisfaction face à la
capacité de résolution de problèmes. Selon Kramer, Brewer et Hanna (1996), la méfiance dans
les rapports risque d’attirer davantage de méfiance, en vertu d’un effet d’autorenforcement.
Weick (1988) cite le cas connu aux États Unis d’un incendie de forêt où les pompiers qui
devaient combattre le feu ont périt dans une situation où s’ils avaient, à ce moment précis, fait
plus confiance à leur supérieur et suivi ses ordres, ils auraient augmenté leurs chances de
survivre mais les ordres qui leur ont été données leur semblaient illogiques et ne leur
inspiraient pas confiance: ils devaient lâcher leurs outils pour être plus légers, pouvoir courir
et se mettre à l’abri mais cet ordre, incompris, en ce moment, pour eux, n’a pas été suivi et
cela a eu des conséquences dramatiques. La plupart parmi eux ont péri alors que
probablement, ils auraient survécu, s’ils avaient obéit ces indications. Il s’agissait d’une
situation extrême où un manque de confiance a fait, pour ces hommes, la différence entre la
vie et la mort.
L'argumentation de Golembiewski et McConkie (1975) comporte cependant des
éléments intéressants pour comprendre le fonctionnement dynamique de la méfiance. La
possibilité de faire confiance est influencée par la perception subjective de la réalité, mais elle
varie aussi selon la disposition des personnes à faire confiance. Celles qui ont tendance à être
plus méfiantes ont une perception plus élevée du risque relationnel, elles ont plus de difficulté
à s’ouvrir aux autres et, quand elles le font, elles ont tendance à établir une plus grande
distance dans leurs relations.
Une des manières de réduire la proximité consiste à limiter la fréquence de la
communication et à en appauvrir sa qualité. Selon ces auteurs, la communication des
personnes méfiantes semblerait plus évasive, ambiguë, teintée d’agressivité et portée sur les
plaintes. Ces personnes auraient aussi plus de difficulté à accepter les situations
d’interdépendance. Évaluant leurs habilités à influencer les autres comme faibles, elles ont
tendance à se sentir facilement contrôlées. Cet ensemble de perceptions les mène à décider de
prendre moins de risques dans leurs relations, se rendant ainsi prisonnières d’un cercle qui se
42
répète: « As sender becomes defensive, or hostile, or non-communicative, clearly he also joins
receiver in inducing low trust. This is the essence of spiral reinforcement » (Golembiewski et
McConkie,1975, p.139).
Étant donné leurs comportements envers les autres, les personnes méfiantes, d'un côté,
se trouvent coupées d’une partie de l’information, et de l'autre, elles jugent relativement peu
crédible l’information qu’elles reçoivent. Pareilles personnes ont tendance à adopter des
stratégies pour maintenir une façade sous laquelle cacher leur vulnérabilité et préfèrent se
sentir en contrôle. Leurs comportements défensifs exigent d’elles de détourner une partie de
leur attention et les rendent moins dignes de confiance aux yeux des autres, qui peuvent
percevoir chez elles un certain manque d’honnêteté dû à leurs craintes de mettre à découvert
leur fragilité.
Si jamais ces personnes se décident à prendre des risques pour faire confiance et s’il
arrive que les conséquences de leur décision ne leur soient pas tellement favorables en
fonction de leurs attentes, elles ressortiront de cette expérience renforcées dans leurs
croyances en faveur de la méfiance. Cette explication du fonctionnement auto-renforcateur des
comportements de méfiance selon un enchaînement causal situe la confiance comme une
attitude qui exclut la méfiance; mais pour d’autres auteurs, les personnes ne sont pas
uniquement méfiantes ou confiantes, elles peuvent être en même temps, méfiantes pour
certaines choses dans certaines conditions, et confiantes dans des situations différentes et pour
d’autres choses. Luhman, (1979), Lewicki et Mcallister, (1998) défendent l’idée que la
méfiance ne devrait pas être considérée négativement. D’après eux, la méfiance n’est pas le
contraire de la confiance, mais plutôt son complément puisque les deux coexistent.
Barber (1983), Deutsch (1973) et Hardin (1993) insistent même sur des aspects
positifs de la méfiance, dans certaines situations évidemment. Selon eux, la présence de la
méfiance nous rend, en règle générale, plus éveillés et prudents. Par ailleurs, la méfiance
remplit aussi des fonctions utiles comme celle de réduire l'incertitude ou de protéger contre
des possibles excès de confiance qui risqueraient d'exposer la personne à des abus de
confiance (Berman et Jones 1999).
Ce que nous retenons après avoir pris en considération les apports des auteurs
mentionnés peut être résumé de la manière suivante:
43
1) La confiance n’est pas une question abstraite; au contraire, elle peut être mieux comprise
quand nous connaissons le contexte précis où elle apparaît. Ainsi, il est important de savoir
quelles sont ses limites en répondant aux questions: qui fait confiance à qui? pour faire quoi?
et dans quelles circonstances?
2) La confiance dans les relations interpersonnelles dépend des perceptions et de
la
subjectivité des deux sujets, lesquels ont simultanément pour rôles de faire confiance à l’autre
et d’être digne de la confiance de l’autre.
3) La confiance et la méfiance peuvent coexister dans une même relation puisque les relations
ont plusieurs facettes.
4) Les deux aspects sont dynamiques; ils sont influencés par le temps, les enjeux des relations,
les comportements et le sens qui est construit dans l’interaction.
5) Dans la logique des dynamiques de la confiance et de la méfiance, il y a des mécanismes
d’auto renforcement qui peuvent contribuer à les faire augmenter dans le temps.
6) Ces mécanismes d’auto renforcement, cependant, n’impliquent pas qu’il ne puisse pas y
avoir des changements, parfois brusques ou inattendus comme la perte de la confiance en
quelqu’un par suite d’une action perçue comme un abus de confiance ou comme une trahison;
la méfiance, elle aussi, comme nous l’indiquent les résultats de cette recherche, peut être
modifiée à la suite d’une communication qui clarifie des malentendus ou lorsque certains
conflits sont réglés de manière positive.
2.2.6. La confiance en soi
Nous analysons ici le concept de confiance en soi parce que nous estimons qu'il s'agit
d' un élément qui influence la confiance dans les relations interpersonnelles. Lorsqu’une
personne a confiance en elle, il est plus probable que sa prédisposition à faire confiance soit
élevée et que les personnes avec qui elle entre en relation la perçoivent comme une personne
qui est digne de confiance. Reprenons les propos de Nooteboom sur cette relation entre
confiance en soi et la confiance interpersonnelle: « We allow for an effect of self-confidence
an agent who is confident of his or her own value will be more trusting than one who is
difident: the agent will perceive a smaller probability of loss » (Nooteboom, 1997, p.320).
44
La confiance en soi fait partie du concept de soi. L’Écuyer (1994) suggère une
définition. Dans sa version la plus simple, le concept de soi renvoie à la façon dont la
personne se perçoit à différents points de vue, à savoir ses traits personnels, incluant ses
caractéristiques corporelles, de même que sa conception de ses rôles et de ses valeurs.
Cependant, la perception de soi repose sur un système dynamique, multidimensionnel et
complexe qui a la capacité de se modifier en fonction des besoins d’adaptation. Ce système
inclut des aspects divers:
- l’aspect émotionnel ou affectif, qui est probablement l’une des composantes les plus
importantes
- l’aspect social, qui renvoie au fait que l’auto perception
se produit dans un contexte
relationnel,
- l’aspect cognitif.
La confiance en soi présente ces mêmes composantes émotives, sociales et cognitives.
Dans la réflexion de Solomon et Flores (2001) sur la confiance en soi, nous retrouvons
certains de ces éléments. Ces auteurs expliquent, par exemple, l’aspect dynamique de la
confiance en soi, qu’ils considèrent comme une habileté acquise dans un apprentissage, à
travers le temps, dans les relations aux autres et aussi dans la relation à soi.
La première relation déterminante est celle que le bébé a avec la personne qui prend
soin de lui, généralement sa mère (Erikson,1965). C’est la capacité de cette personne de
répondre avec amour à l’ensemble des besoins du nouveau-né qui va créer chez le nourrisson
sa perception du monde. Ainsi, il le ressentira, soit comme un endroit où il peut se sentir en
sécurité, donnant naissance chez lui au sentiment de « confiance de base », soit, au contraire,
comme un endroit où il doit se méfier, car son environnement comporte
des aspects
menaçants.
La confiance en soi est le résultat de la confiance que l’on se fait à soi-même, par
rapport à son corps, à son langage corporel, à ses impulsions, à ses émotions, à sa capacité
d’auto contrôle, à ses humeurs, à son intelligence et à sa sensibilité. Nous nous faisons
confiance pour savoir que nous sommes capables d’agir d’une certaine manière dans une
certaine circonstance. Selon Solomon et Flores (2001), la confiance en soi n’implique
aucunement de ne pas avoir des peurs ou de ressentir de l’anxiété, car la confiance est
45
justement l’une des possibles réponses à ces incertitudes. D’après eux, faire confiance à notre
propre corps est la forme première de la confiance de base.
Cette réflexion convient à notre idée de la confiance en soi, mais, pour qu’elle soit
plus complète, nous ajouterions que la confiance en soi implique aussi de faire confiance à ses
intuitions (Goldberg, 1994) et que le niveau de confiance en soi change en fonction des
conditions du contexte dans lequel nous nous situons.
2.3. Recension des écrits sur la sécurité psychologique et la confiance dans une
équipe de travail
2.3.1. Définition du concept de sécurité psychologique
Tel que nous l’avions expliqué, la confiance interpersonnelle se produit dans un
contexte donné. Dans le cadre de la présente recherche, ce contexte se définit par l’équipe de
travail. Selon les situations, le contexte est défini par les autres instances dans lesquelles cette
équipe est inscrite, comme le département et l’organisation. Par ailleurs, cette équipe possède
des caractéristiques qui résultent du comportement de ses membres et qui la rendent plus ou
moins adéquate pour l’émergence et l’approfondissement de la confiance. Ces caractéristiques
peuvent s'avérer propices ou non à l’émergence, à l’évolution et probablement à la
consolidation de la confiance. Le concept de sécurité psychologique, proposé par Edmonson
(1999, p.354), inclut celui de confiance. Voici sa définition:
« it describes a team climate characterized by interpersonal trust and mutual respect in
which people are confortable being themselves », elle ajoute que les croyances seront, la
plupart du temps, tacites. Cette définition implique la présence de la confiance
interpersonnelle au sein de l’équipe mais ce concept va encore plus loin, en supposant que le
respect entre les membres existe et leur permet d’être eux-mêmes.
2.3.2. Comportements qui produisent et renforcent la sécurité psychologique dans l’équipe
46
Edmondson (2002) estime que la sécurité psychologique a des effets très marquants
sur les possibilités d’apprentissage d’une équipe de travail, dans un contexte organisationnel.
Un degré élevé de sécurité psychologique favorable à l’apprentissage permet aux membres
d’une équipe d’éprouver une sécurité suffisante pour prendre les risques associés à leur
apprentissage.
La sécurité psychologique dans une équipe donnée peut être favorisée par l’évitement
de certains comportements de la part de chaque membre au profit d’autres plus adéquats.
Parmi les comportements à éviter se trouvent ceux qui risquent de provoquer des sentiments
de honte, de rejet ou d’inaptitude (De Gaulejac, 1995). Ces comportements sont variés et
incluent toutes formes de manque de respect, depuis la manière de communiquer, l’expression
de critiques excessives ou blessantes, des conduites trop autoritaires ou injustes jusqu'à une
intolérance excessive aux erreurs.
Par contre, les comportements favorables à la création d’une sécurité psychologique
sont ceux qui démontrent que l’interaction entre les membres de l’équipe se fait dans le
respect de l’autre et que la possibilité d’entretenir une communication authentique existe. Ces
comportements reposent sur des valeurs qui ne sont pas toujours mentionnées explicitement et
sur une connaissance tacite acquise dans la pratique et dans l’interaction reliée à une cette
pratique.
Selon Edmondson, un élément qui influence fortement la sécurité psychologique est le
type de leadership exercé au sein de l’équipe, qu’il soit assuré par une ou plusieurs personnes,
formellement ou de façon informelle. Whitner et coll. (1998, p.516) décrivent quels sont les
comportements qui rendent le leader digne de confiance; ceux-ci ont été mentionnés dans la
partie qui traite de la définition de la confiance, au regard de la personne à qui l’on fait
confiance. Il est important que les actes du leader soient cohérents avec son discours: « Five
categories of behavior capture the variety of factors that influence employees perceptions of
managerial thurstworthiness: 1) Behavorial consistency, 2) Behavorial integrity, 3) Sharing
and delegation of control, 4) Communication (e.g. accuracy, explanations and openness), and,
demonstration of concern ».
Richard (1995) compare trois types de leadership, l’autocratique, le démocratique et le
laisser-faire, le deuxième provoquant, selon lui, des réactions dans le groupe, décrites par la
suite, comme étant préférables à celles que déclenchent les deux autres types de leadership:
47
Il y a eu des échanges plus spontanés et plus égalitaires, émissions de
suggestions, meilleure qualité du travail, motivation accrue pour la tâche et pour les
compagnons. La créativité est plus grande. Rapports entre les membres : demande
d’attention et d’approbation entre les membres, félicitations mutuelles, dépendance de
certains camarades, sentiments d’appartenance, coopération, communication entre les
membres, peu de compétition, suggestions mutuelles portant sur l’action.
Nous pensons que les réactions énumérées sont favorables à l’émergence de la
confiance. Cependant, nous voulons revenir sur les conséquences pratiques et symboliques
d’un des comportements du leader, en particulier celui qui touche à l’un des enjeux les plus
délicats: sa disponibilité à partager et à déléguer le contrôle. Le contrôle peut être, au moins,
de trois types: 1) un contrôle simple qui est direct et personnel, 2) un contrôle technologique
qui émerge à partir des contraintes imposées par la technologie employée et 3) un contrôle
plus impersonnel, de type bureaucratique (Baker, 1993). Sur le plan pratique, le partage du
contrôle ou les actions qui constituent des formes de
délégation du pouvoir ont pour
conséquence que les employés, ayant alors un certain pouvoir sur la prise des décisions qui
les concernent directement, sont en mesure de protéger leurs propres intérêts, du moins dans
une certaine limite. En outre, sur le plan symbolique, un partage du contrôle signifie, pour les
employés, que leurs opinions peuvent être écoutées et prises en considération, ce qui
représente une sorte de marque de reconnaissance à leur égard (Whitner et coll.,1998).
Lorsque le leader adopte une attitude de soutien, l’esprit d’initiative des employés au travail
s’en trouve renforcé. (Costigan et coll., 1998). Quand il n’adopte pas des réponses défensives
face aux questions et aux défis, les membres de son équipe peuvent trouver que
l’environnement leur donne de la sécurité.
2.3.3. Le lien entre la sécurité psychologique et l’apprentissage des membres de l’équipe
Selon les résultats des recherches d’Edmondson, dans les cas où la sécurité
psychologique existe, les membres d’une équipe peuvent se permettre d’être relativement
vulnérables, ce qui se traduit par des comportements comme
le relâchement de
leurs
48
défenses, donc une ouverture accrue à l’expérience de l’échange avec les autres. Par exemple,
il sera possible de croire que le fait de commettre une erreur ne risque pas de provoquer le
rejet de ses co-équipiers envers la personne qui a commis la faute ou l’erreur. Cette sécurité
psychologique offre l’occasion aux membres de l’équipe de se concentrer davantage sur leur
apprentissage, vu qu’ils ne sont pas obligés de se préoccuper continuellement des possibles
réactions des autres membres de l’équipe. Nous faisons allusion ici à des réactions
embarrassantes du style critiquer durement, désapprouver ou réprimander l’autre.
La tranquillité que les membres de l’équipe peuvent ressentir, par rapport à
l’éventualité de ces situations menaçantes, est fondamentale. Elle se traduit par une plus
grande
liberté d’acceptation des risques associés à des comportements favorables à
l’apprentissage: solliciter une rétroaction (feedback), partager de l’information, demander de
l’aide, parler ouvertement de ses erreurs, admettre l’existence de problèmes et discuter de
leurs solutions, oser essayer de choses nouvelles (experimenting). Tous ces comportements
sont propices à l’apprentissage, mais, ils placent les personnes face à des risques tel que celui
de « perdre la face », dans le sens de se mettre à découvert devant autrui, montrant leurs
aspects
qu’elles préfèrent
cacher, de peur de sembler incompétentes, ignorantes,
dépendantes, insuffisantes. Mais lorsque nous sommes capables de ne pas porter des
jugements négatifs, c’est en reconnaissant nos incapacités, notre ignorance de certaines
choses, nos besoins d’aide ou nos limites que nous accédons à la conscience du fait qu’il y a
des choses que nous avons besoin d’apprendre (Edmondson, 1999; 2000).
Cette sécurité psychologique sera essentielle à une intégration des différents apports
des membres d'une équipe: « Individuals with different points of view are able to sythesize the
diverse perspectives as a result of the high level of trust and respect they have for others points
of view », écrit Edmonson. Cette révision des concepts de confiance en soi et de sécurité
psychologique nous fournit des éléments supplémentaires pour enrichir notre compréhension
de la confiance. Il est fort probable qu’il existe un lien entre confiance en soi et confiance
interpersonnelle parce que les personnes ayant une confiance en elles relativement forte sont
aussi perçues par leur entourage comme étant plus dignes de la confiance d’autrui. En toute
logique également, les personnes qui ont plus facilement confiance en elles, auront aussi une
plus grande disposition à faire confiance aux autres. D’un autre côté, lorsque les relations
entre des personnes se situent dans le cadre d’une dynamique de groupe, si cette dynamique se
49
produit dans un contexte où règne la sécurité psychologique, la confiance aura plus de chances
de naître et de se consolider rapidement.
2.3.4. L'apprentissage en équipe et la confiance
À l’issue de notre recherche bibliographique, nous avons trouvé qu'un nombre
relativement important de textes analysait divers thèmes en lien avec l'apprentissage des
équipes en contexte organisationnel. D'un autre côté, nous avons aussi découvert une
littérature assez abondante sur la problématique de la confiance. Souvent, il y est question de
son influence sur la collaboration. Gambetta (1988) par exemple se demande si la confiance
serait une condition nécessaire à la collaboration ou bien, à l’opposé, un de ses résultats. Par
ailleurs, nous avons trouvé peu de textes qui étudiaient le rôle que la confiance peut jouer dans
le processus d'apprentissage des équipes en contexte organisationnel. Nous voulons reprendre
Edmondson qui a abordé sérieusement ce sujet.
2.3.4.1. Une étude sur le lien entre apprentissage et sécurité psychologique dans les équipes
Edmondson (1999) analyse certaines conditions favorables à l’apprentissage dans une
équipe de travail. L’objectif de son étude est de clarifier comment s'établissent les liens entre
la sécurité psychologique et l’efficacité de l’équipe. Elle approfondit sa réflexion en
introduisant, au cœur de son analyse, le concept de sécurité psychologique (qui inclut celui de
la confiance interpersonnelle) afin de comprendre les conditions dans lesquelles les membres
d’une équipe peuvent prendre certains risques associés à l’apprentissage. Voici la définition de
la sécurité psychologique que donne Edmondson (1999, p.354): « Team psychological safety
is definied as a shared belief that the team is safe for interpersonal risk taking. For the most
part, this belief tends to be tacit –taken for granted and not given direct attention either by
individuals or by the team as a whole.(…) Team psychological safety involves but goes
beyond interpersonal trust; it describes team climate characterized by interpersonal trust and
mutual respect in which people are confortable being temselves».
Sa conception de
50
l’apprentissage au sein d'une équipe est celle d’un processus de réflexion et d’action
caractérisé par des comportements précis, lesquels se traduisent par des actions comme poser
des questions, solliciter une rétroaction, faire des expériences, réfléchir sur les résultats, et
discuter sur les erreurs et les résultats inattendus.
En outre, la recherche d’Edmondson (1999) teste une série d’hypothèses dans sa partie
empirique, réalisée auprès de différentes équipes de travail en milieu organisationnel. Ses
entrevues et ses observations font l'objet d'une analyse qualitative, tandis qu'une analyse
quantitative sert à traiter l'information obtenue par voie de questionnaires. À partir des
résultats obtenus, une classification des différentes équipes de travail est proposée; celle-ci les
situe comme « élevées » ou « faibles » quant à leurs comportements d’apprentissage. Parmi
les équipes classifiées « élevées », l’insécurité est réduite grâce à leur accès à l’information et
au style de leadership. Le leader soutient ses membres et évite d’être trop autoritaire, se
montrant capable lui-même de prendre des risques, si cela est nécessaire pour pouvoir
apprendre.
La première force de cette recherche est d’étudier des équipes dans des organisations
et non pas dans un contexte expérimental comme le serait celui d'un laboratoire. Son second
point fort réside dans l’emploi des méthodes quantitative et qualitative afin de mieux traiter
l'information.
Nous lui adressons cependant une critique touchant la pertinence de comparer entre
elles des équipes très différentes, puisque leurs tâches concernaient aussi bien les ventes que la
gestion, la production et l’élaboration de projets. Nous supposons, par ailleurs, que
l’interdépendance était présente dans chaque équipe mais nous ignorons si elle l’était de façon
également importante dans chacune. Cette question nous semble mériter une attention
particulière dans la mesure où nous croyons que le degré d’influence de la sécurité
psychologique sur l’apprentissage dans une équipe peut varier en fonction du degré
d’interdépendance dans cette équipe. La comparaison des résultats obtenus pour chaque
équipe pourrait être limitée dans le sens qu'une part des différences s'expliquerait non
seulement en fonction de la sécurité psychologique, mais aussi par la diversité des tâches et
des fonctionnements, trop dissemblables d’une équipe à l’autre.
51
Néanmoins, l’étude en question apporte beaucoup de lumière sur la relation entre
l’apprentissage en équipe et la confiance même si nous savons que le concept de sécurité
psychologique est plus large que celui de confiance interpersonnelle.
2.3.4.2. Une recherche pour expliquer certaines différences entre les équipes qui apprennent et
celles qui ne réussissent pas à apprendre
Edmondson réalise en 2002 une deuxième étude sur la relation entre l’apprentissage
en équipe et la confiance, dont l'échantillonnage se compose de douze équipes de travail
œuvrant dans des entreprises manufacturières. Cette recherche répond à la demande d'une
compagnie de produits alimentaires voulant avoir plus d’information sur l’efficacité du travail
de ses équipes. Pour le chercheur, l’objectif était d’expliquer pourquoi, dans un même
contexte organisationnel, certaines équipes sont capables d’apprendre et de changer, alors que
d’autres restent aux prises avec les mêmes comportements, sans pouvoir les modifier. Les
premières équipes sont plus disposées à réfléchir et à s’engager dans de nouvelles avenues qui
servent les buts de l’organisation, alors que les deuxièmes, au contraire, ne parviennent ni à
réfléchir sur leur fonctionnement, ni à changer. Au plus, elles démontrent une certaine
capacité de réflexion, mais ne réussissent pas à changer; en somme, elles apprennent peu ou
pas du tout. L’auteur explique que la cause de ces différences tient au fait que les membres des
équipes en difficulté d'apprentissage perçoivent le risque interpersonnel comme étant plus
élevé, ce qui se traduit par un besoin plus important de s’auto -protéger et limite les
possibilités de discuter ouvertement des problématiques.
Du point de vue théorique, l’étude d'Edmondson (2002) repose sur la conception que
l’organisation apprend à travers les actions et les interactions entre les membres de ses
équipes, considérées dans leurs apports entre eux ou avec des personnes n'appartenant pas à
l'équipe. D’après l'auteure, l'apprentissage se produit lorsqu'on partage l'information, quand
l’équipe obtient des rétroactions, réfléchit sur des accomplissements concernant des objectifs
précis, telle la qualité de ses services, et peut faire des changements pour améliorer son travail.
L'apprentissage réalisé se mesurera à la capacité de l'équipe à recadrer une situation, à acquérir
de nouvelles habiletés et à résoudre des problèmes ambigus.
52
La méthodologie de cette recherche a un aspect qualitatif, une partie des données
provient de l’observation directe des réunions de travail et des entrevues réalisées auprès des
cadres supérieurs et moyens de l'entreprise, des ingénieurs, des travailleurs de la production et
de différents pourvoyeurs de services. Quant à l’aspect quantitatif, des questionnaires
administrés lors des entrevues traitaient des buts, de la nature de la tâche, de l’organisation du
travail dans l’équipe et des différents défis auxquels elle faisait face.
Une des forces de l'étude d'Edmondson (2002) est l’obtention de résultats montrant
que ni le type d’équipe, ni sa structure ne sont associés à sa démarche d’apprentissage, alors
que les facteurs les plus décisifs pour l’explication de ses possibilités d’apprentissage sont le
pouvoir et la perception du risque interpersonnel. Certains membres des équipes sélectionnées
reconnaissent avoir peur de s’exprimer librement, par exemple, quand il s'agit de
communiquer des désaccords aux leader. Ils admettent aussi redouter de commettre des
erreurs devant le groupe. Par conséquente, la crainte de paraître inefficaces aux yeux des
autres empêchant certains employés de partager leurs idées, les rendent incapables de définir
de nouvelles perspectives pour les mener à changer. Cette peur explique ici pourquoi, dans
une certaine mesure, les processus de réflexion collectives ayant été inhibés, les chances de
réaliser un apprentissage diminuent ou disparaissent.
Quant aux limites de l'étude, nous partageons l'avis de l'auteure qui les associe au
manque d'information suffisante, sur le comportement des leaders et sur l'interdépendance que
la tâche à accomplir implique parmi les membres des équipes. La lecture des textes portant sur
la relation entre l'apprentissage dans les équipes et la sécurité psychologique perçue par les
membres de chaque équipe, nous confirme qu'effectivement, le fait de mieux comprendre ce
lien pourrait contribuer à expliquer pourquoi certaines équipes parviennent à apprendre tandis
que d'autres semblent se heurter à une impossibilité plus ou moins grande de déployer leur
potentiel.
2.4. La proposition d’un cadre conceptuel préliminaire
Dans le présent cadre conceptuel, nous décrivons les trois concepts de base qui
orientent notre recherche: l’apprentissage, l’interdépendance et la confiance. Nous fournissons
53
d’abord une définition de ces concepts dont nous nous inspirons ensuite pour expliquer les
relations que nous prévoyons entre eux dans le cadre de notre recherche.
2.4.1. Les assises théoriques du concept d’apprentissage
Notre conception de l'apprentissage s'inscrit dans le courrant du «situated learning»
qui prend ses racines dans l'interactionisme. Selon cette vision, c'est seulement à travers le
processus de l'acquisition d'un langage, dans le cadre de l'interaction avec autrui, que des
personnes peuvent commencer à acquérir des connaissances (Pruss, 1996). À partir de
l'acquisition de connaissances, à travers l'interaction, en appliquant ces connaissances dans un
«contexte situé», il devient possible de formuler des pensées, d'avoir des expériences uniques
et de développer la créativité.
Ce cadre conceptuel donne une place centrale à l'intersubjectivité et s'appuie sur un
ensemble de postulats ci-après définis:
1) Au lieu de prétendre qu'il existe une «réalité objective» unique, notre perspective s'appuie
sur l'idée que les personnes construisent un sens à travers l'interaction, ce qui forme leur vision
du monde, susceptible d'être partagée par d'autres personnes en contact avec le même
contexte. La prise en considération de ce contexte est ce qui permet de comprendre le sens de
la participation de chacun.
2) Les personnes concernées, à travers leurs interactions avec les autres, acquièrent la capacité
de prendre conscience d'elles mêmes et de suivre des lignes de conduite en accord avec cette
prise de conscience. Cette capacité est la réflexivité.
3) Les comportements s'organisent autour d'activités diverses.
4) L'activité en groupe implique la négociation. Des activités telles que la collaboration, la
compétition, la résolution de conflits et les compromis sont centrales pour comprendre
l'interaction.
5) Les personnes ne s'associent pas aux autres sur des bases aléatoires; au contraire, elles se
regroupent en tenant compte de leur identité qui explique leurs préférences et leurs choix
d'activités en fonction du sens qu'elles leur donnent.
54
6) L'intersubjectivité, les visions particulières du monde, la réflexivité, l'activité, l'échange
négocié et le choix des relations sont des notions qui prennent leur sens à partir des processus
dans lesquels elles s'inscrivent. Elles ne peuvent être comprises que dans le contexte
dynamique du changement continu.
Ces postulats entraînent des conséquences sur le plan des approches méthodologiques
pertinentes pour étudier des phénomènes tels que l'apprentissage dans des équipes de travail
(Pruss, 1996).
2.4.2. Le concept d'apprentissage
Le concept d'apprentissage provenant du courant théorique qu'on appelle «situated
learning», terme que nous traduisons par l'expression d'«apprentissage situé», se fonde sur les
considérations de l'interactionisme énumérées ci-dessus (Lave et Wanger,1991; Lave, 1993;
Duguid et Brown; Gherardi, Nicolini et Odella, 1998).
Dynamique, ce concept tient compte du caractère pluridimensionnel de la personne qui
apprend. Pour apprendre, ce ne sont pas seulement les capacités cognitives
qui sont
sollicitées, mais aussi la dimension émotive, intuitive, corporelle, spirituelle, l'histoire de la
personne et son expérience de vie (Crossan, Lane et White, 1999; Gherardi, 1999). Selon cette
approche, l’apprentissage se produit dans le contexte d'une pratique ayant un cadre précis et à
travers des interactions caractérisées par une combinaison d'observations, de communication
verbale et non verbale, ainsi que d'activité physique (Gherardi, Nicolini et Odella, 1998). La
pratique, en tant qu'ensemble d'actions accomplies au quotidien, offre aux individus des
occasions de partager des expériences. Ce partage leur sert à construire un sens négocié à
partir de leurs compréhensions respectives, mises en commun à travers le langage. Le dialogue
et l'action réalisée en commun sont des éléments essentiels pour atteindre des compréhensions
partagées. L'apprentissage, dans cette optique, contribue à la formation et à la transformation
de l'identité des sujets engagés dans l'interaction.
55
Quant à la pratique, elle n’existe pas comme abstraction puisqu'elle est basée sur les
relations de participation mutuelle, de personnes ayant une activité en commun. La
participation doit être regardée comme un processus autant individuel que social qui combine
des actions telles que faire, parler, penser, sentir et appartenir où interviennent toutes les
dimensions de la personne, c’est-à-dire le corps, l’intellect, les émotions et les relations
sociales (Wenger 1998). Selon sa nature, la tâche impliquera un degré d’interdépendance plus
ou moins important entre les membres de l’équipe de travail et démontrera, par conséquence,
un certain type d'interactions.
2.4.3. Le concept d'interdépendance
L'interdépendance peut se produire à des niveaux différents, entre des pays, des
régions, des organisations, des groupes d'une même organisation ou entre des individus, deux
ou plusieurs. L'intensité de l'interdépendance peut varier aussi, allant de faible à très forte
selon les objectifs partagés et les enjeux des relations. En fait, dans notre analyse de cas, nous
nous demandons si les variations de l'interdépendance entraînent des conséquences sur
l'importance de l'influence de la confiance sur l'apprentissage. Une interdépendance élevée
implique aussi que des besoins plus grands de travailler en fonction d'un même objectif que
lorsque l’interdépendance est plus faible (Sheppard et Sherman, 1998). Plus l'interdépendance
est élevée, plus il sera difficile de distinguer séparément les contributions de chacun des
individus impliqués (Drazin et al., 1999).
L’interdépendance entre les personnes d’un groupe fait référence à l'étendue du lien
entre les résultats obtenus par un individu donné et les actions des autres membres de son
groupe (Deutsch, 1962). Dans notre cas, nous traitons de l'interdépendance entre les membres
d'une équipe de travail. Celle-ci peut être axée sur la collaboration ou, au contraire, sur la
compétitivité (Johnson et Johnson, 1998, p.11): « When a situation is structured cooperatively,
individuals’goal achievements are positively correlated; individuals perceive that they can
reach their goals if and only if the others in their group also reach their goals ». Lorsque
l’interdépendance s'oriente vers la collaboration, nous pouvons parler d’une interaction visant
56
la promotion, car les membres de l’équipe agissent de façon à promouvoir le succès des
autres, adoptant des comportements tels que recevoir et demander de l'aide, échanger et
partager des ressources et de l’information, donner et recevoir une rétroaction sur l'exécution
des tâches et sur les comportements relatifs au travail en équipe, influencer le comportement et
la réflexion des autres et être influencé par eux. En revanche, l'interdépendance orientée vers
la compétence, entre membres d'un même groupe, crée des oppositions, les individus pouvant
se mettre des obstacles les uns aux autres dans le but d'obtenir un succès personnel.
Selon Johnson et Johnson (1998), la collaboration axée sur la coopération a des effets
positifs sur l’apprentissage, à savoir:
1) une disposition à entreprendre des tâche difficiles et à persévérer malgré les difficultés; une
conception du travail orienté vers l’accomplissement des buts;
2) la capacité de retenir ce qui est appris plus longtemps;
3) un raisonnement plus élevé, une pensée critique, l’emploi de meilleures stratégies de
réflexion;
4) une pensée créatrice;
5) une plus grande facilité à transposer ce qui est appris dans une situation donnée à d’autres
situations.
6) des attitudes positives envers la tâche à réaliser et une motivation plus élevée à le faire.
Ces auteurs, comparant les conséquences de ces deux types d’interdépendance,
estiment que l’interdépendance axée sur la collaboration présente des avantages
considérables comme celui de permettre aux étudiants de construire et maintenir la confiance,
communiquer effectivement et résoudre les conflits de manière positive (Johnson et
Johnson,1998).
Cependant, à nos yeux, les deux possibilités de collaborer ou d’entrer en compétition,
ne sont ni deux situations qui s’excluent mutuellement, ni deux états stables; elles peuvent
alterner entre ces comportements ou des situations ambivalentes ou encore coexister de
manière simultanée. Comme le signale Gambetta (1988, p.215) , il s’agit de la combinaison de
deux types de comportements: «The problem, stated in very general terms, seems to be one of
finding the optimal mixture of cooperation and competition rather than deciding at which
extreme to converge. Cooperation and competition are not necessarily alternatives; they do
coexist » (Gambetta, 1988). Selon la dynamique de l’équipe, les comportements oscillent
57
entre les deux extrêmes, la collaboration ou la compétition, pour différentes raisons: ce ne
sont peut-être pas tous les membres de l’équipe qui ont une perception très claire du fait que la
réussite de chacun dépend de celle de l’ensemble; ou alors les membres de l’équipe peuvent
avoir des habiletés sociales insuffisantes pour être capables de collaborer ou bien encore
certains individus peuvent vouloir se faire remarquer pour leur apport personnel.
Enfin, il est possible aussi que le degré de confiance dans les interrelations des
membres du groupe ne soit pas suffisant pour leur permettre d’adopter des comportements de
collaboration. En analysant des étudiants, Johnson et Johnson (1998, p.28) considèrent la
confiance comme une condition, parmi d’autres, pour que cette collaboration soit possible:
« To coordinate efforts to achieve mutual goals, students must: 1) get to know and trust each
other, 2) communicate accurately and unambiguously, 3) accept and support each other, and
4) solve conflicts constructively ».
Lorsque l'interdépendance est élevée, les conversations permettent de partager des
conceptions qui ont du sens dans le contexte d’une pratique donnée (Gherardi, 1999), ce qui
fait émerger, dans le groupe, une pensée collective se traduisant par une manière nouvelle (et
différente de celle que les personnes adoptent individuellement) d'attribuer du sens aux
expériences partagées, entre autres (Weick et Roberts, 1993). Logiquement, dans ces cas, la
communication aussi joue un plus grand rôle, tandis que la capacité et la disponibilité à
écouter l'autre prennent une place centrale. Justement l'écoute est une des qualités que les
metteurs en scène apprécient le plus chez les acteurs dans la mesure où ceux-ci ne captent pas
seulement des mots, mais écoutent au sens large, avec toute leur présence (Mnouchkine,
1998).
Dans la présente recherche, nous nous efforçons à comprendre les formes que prend
l'interdépendance dans le contexte du théâtre où celle-ci devient extrême du fait que le jeu
incorpore des éléments comme la présence des acteurs, leurs relations au texte, leurs énergies,
leurs constructions et interprétations des personnages, leurs mouvements, tout cela dans un
espace partagé où se construisent, collectivement, le rythme de la pièce et l'intensité du jeu.
Cette situation oblige les acteurs à se soutenir mutuellement (Benedetti, 1997). S’il y a
interdépendance ici, c’est que tant l’auteur que le metteur en scène et les acteurs cherchent à
communiquer avec le public; de plus, le metteur en scène a besoin du travail des acteurs pour
créer une vision de la pièce de théâtre et pour la communiquer, alors que les acteurs ont
58
besoin du metteur en scène pour leur donner des indications individuelles tout en contribuant
à construire une unité et une vue d'ensemble de leur travail commun.
Étant donné que notre conception tient compte du rôle du temps, nous allons porter
notre attention également sur les changements que l'interdépendance subira au fur et à mesure
du déroulement du processus.
2.4.4. Le concept de confiance
Dans le cadre de cette recherche, la confiance apparaît, selon nous, comme un
élément dynamique et susceptible d’influencer l’apprentissage. Cet élément agit sur plusieurs
plans: l'émotif, le cognitif et le comportemental. La confiance, vue ainsi, est autant un résultat
des relations interpersonnelles qu'un facteur déterminant de celles-ci. Elle peut être comprise
selon au moins trois perspectives: Celle de la personne qui fait confiance à une autre, celle de
la personne à qui on fait confiance, et celle des deux personnes qui se font confiance
mutuellement.
Dans la perspective de la personne qui fait confiance à une autre, d’un côté, le
facteur décisif est l' évaluation de la probabilité que la personne à qui elle va faire confiance
ne va pas trahir cette confiance (Gambetta, 1988). D'un autre côté, cependant, nous croyons
que sa possibilité de faire confiance dépend aussi d’autres éléments échappant à sa volonté,
reliés à sa personnalité et à ses expériences passées, par exemple. Ces éléments déterminent sa
perception des risques auxquels elle s’expose, de sa propre vulnérabilité, de la sécurité
psychologique dans son équipe. Parmi les expériences passées, nous nous sommes intéressés
particulièrement à savoir si certains acteurs connaissaient le metteur en scène auparavant, s’ils
avaient déjà travaillé avec lui et si oui, comment ils avaient vécu l'expérience.
Dans la perspective de la personne à qui l'on fait confiance, notre attention porte
sur la manière de percevoir la personne à qui on fait confiance. Ce que nous pourrons observer
ici, ce sont les comportements concrets par lesquels ces caractéristiques se manifestent dans
l’interaction entre les membres de l'équipe.
Les acteurs ont chacun des manières différentes de se représenter les qualités du
metteur en scène en terme de ses compétences, de ses intentions et de ses qualités morales. De
59
même, le metteur en scène trouve chez les acteurs différentes qualités professionnelles et
personnelles sur lesquelles il se base pour leur faire confiance en sachant que finalement le jeu
et la réussite ou l’échec de la pièce dépendront d’eux. Nous nous servirons de l’analyse de nos
observations et du matériel provenant des entrevues pour réunir des indices susceptibles de
nous aider à comprendre la façon dont les acteurs perçoivent le metteur en scène au plan de sa
fiabilité. Celle-ci s'évaluera, lorsqu'il s'agit de compétence en partie, à travers les « signes
visibles » (Beaudry,1999) ou soit, dans ce cas, des pièces de théâtre montées par ce metteur en
scène auparavant et que les acteurs auraient pu voir. Ils connaissent aussi sa réputation, dans le
milieu du théâtre. Dans la littérature, il est question des intentions, idée reprise dans le concept
de bienveillance, un autre des éléments de la fiabilité. Il existe enfin un troisième, touchant
aux aspects relationnels. Comme la disponibilité par exemple. Sur ce plan se situent des
comportements du metteur en scène que les acteurs peuvent noter tels que la qualité de sa
présence pendant les séances de répétition.
Dans la perspective de deux personnes se faisant confiance mutuellement, on
retrouve les éléments mentionnés dans les paragraphes précédents, auxquels s'ajoutent les
caractéristiques de la communication, indice apportant des informations importantes. Lewicki
et Bunker (1998) parlent ainsi de l’importance de la transparence dans la communication.
2.4.5. Le concept de méfiance
McAllister et Bies (1998) soutiennent que la confiance et la méfiance loin d'être des
phénomènes opposés, sont complémentaires. Elles coexistent donc simultanément parce
qu'une même relation comporte plusieurs facettes et différents niveaux rendant compte de
l'existence d'enjeux divers (Bellemare et Brian, 1996). Autrement dit, il est possible de faire
confiance à une personne pour certaines choses selon certaines circonstances et de ne pas faire
confiance à cette même personne pour d’autres choses et dans d’autres circonstances. Tant la
confiance que la méfiance contribuent à réduire la complexité et l'incertitude. La méfiance
incite les personnes à évaluer les risques qu'elles sont prêtes à courir en se basant, par
exemple, sur certaines «preuves» de la fiabilité des personnes envers qui elles prennent des
engagements. De ce point de vue, la personne devra aussi être attentive à certains signaux
60
pour limiter ainsi sa vulnérabilité. La méfiance, envisagée sous cet angle, perd sa connotation
négative du moment qu’elle remplit également une fonction utile, celle de se protéger et de se
responsabiliser davantage, tout en prenant plus conscience des risques à courir (Barber, 1983;
Hardin, 1996). C'est en réalité à partir d'une logique contextuelle qu'il serait possible de juger
jusqu’à quel point et à l’intérieur de quelles limites la méfiance est encore bénéfique (Deutsch,
1973).
2.4.6. Les relations entre ces concepts
Dans un premier temps, il est nécessaire de comprendre la nature de la tâche que
l’équipe de travail a pour but d’accomplir. Il convient pour y arriver de considérer ce que sa
réalisation suppose pour l’équipe dans son ensemble, en termes d’exigences précises, mais
aussi ce qu’elle implique pour chacun des participants, selon les fonctions et les rôles qu’ils
assument.
Dans le cadre de la présente recherche, nous décrivons ce que le travail de création
représente de particulier pour les acteurs, pour le metteur en scène, pour l’auteur de la pièce ou
pour les concepteurs. Bien que ces personnes travaillent ensemble afin d'aboutir au montage
d’une même pièce de théâtre, comme dans les exemples précédents de la réparation des
machines à photocopier ou pour la fabrication de flûtes, elles n’aborderont pas la tâche de la
même manière, car leurs apports sont différents et complémentaires. Cependant, même si la
tâche est de monter une pièce de théâtre, cette tâche peut être découpée en sous-unités, soit
des tâches plus petites se traduisant par des actions concrètes, appelées à changer tout au long
du processus.
Souvent, ces sous-tâches évoluent, devenant plus complexes au fur et à mesure
qu’elles impliqueront la participation d’un nombre plus important de personnes, une plus
grande précision dans la coordination du travail par rapport à la durée des actions et à la façon
de les réaliser. Ajoutons qu'à cause de l’aspect cumulatif de ce travail, au fur et à mesure du
déroulement du processus, chaque membre de l’équipe doit accomplir des tâches qui intègrent,
de manière simultanée, de plus en plus d’éléments, et la coordination avec les co-équipiers
devient aussi plus complexe. À partir de cette compréhension, il est possible d’expliquer que
61
le degré d’interdépendance entre les membres de l’équipe de travail ait tendance à augmenter
en fonction de la progression du travail.
Cette évolution de la tâche, à cause de ses conséquences sur l’intensité de
l’interdépendance, fait de la confiance un enjeu encore plus critique pour la réussite de
l’apprentissage. Lorsque l'interdépendance est faible, l’apprentissage peut se produire sans que
la confiance existante n’influe sensiblement sur celui-ci. Au contraire, si l’interdépendance
augmente, la difficulté ou la facilité de l’apprentissage sera en bonne partie liée aux
caractéristiques de la confiance sur des plans divers: i) la confiance en soi, au plan individuel,
ii) la confiance interpersonnelle, au plan de l'équipe, dans les relations «horizontales», comme
entre acteurs et «verticales», comme entre les acteurs et le metteur en scène qui assume une
partie du leadership dans la conduite du travail et, finalement iii) la sécurité psychologique
régnant dans cette équipe, au plan collectif.
Nous inspirant de ce modèle, nous cherchons à suivre le processus de travail de cette
équipe à travers des étapes distinctes où il sera possible de déterminer les variations de
l’interdépendance. Une fois les changements identifiés, nous pourrons noter s’ ils entraînent
des conséquences sur l’apprentissage et la confiance.
À gauche dans une boîte séparée,
nous représentons la relation entre les
comportements des participants et leurs perceptions de la confiance et de la méfiance à
plusieurs niveaux: confiance en soi, confiance interpersonnelle et dans l’équipe. Les flèches
vont des comportements vers les perceptions et dans le sens contraire aussi indiquant, d’un
côté, que les comportements des membres de l’équipe influencent comment ils seront perçus
par leurs co-équipiers. D’un autre côté, cela signifie que selon la perception que les membres
de l’équipe auront ils adopteront ou modifieront leurs comportements. Nous pensons plus
particulièrement aux comportements qui favorisent
l’apprentissage tels que poser des
questions, donner son avis, proposer des idées, faire des expériences nouvelles, demander de
l’aide et de la rétroaction. Ce sont des comportements qui impliquent des risques divers pour
la personne qui décide de les adopter et c’est pour cette raison qu’ils dépendent en partie de la
perception de la confiance. Les risques dont nous parlons est celui de se tromper, de
commettre des erreurs, de recevoir des réponses négatives ou des critique
Notre proposition principale est que l’importance de la confiance, en termes de son
influence sur l’apprentissage (le rendant plus ou moins difficile et plus ou moins bon) ,
62
augmentera selon le niveau d’interdépendance qui existera entre les membres de l’équipe, due
aux exigences des tâches que l’équipe devra réaliser. Le réseau de relations entre les concepts
qui sous-tend notre recherche est illustré dans la figure 2.1.
63
CHAPITRE III
MÉTHODOLOGIE
3.1. Notre choix méthodologique
Selon les paradigmes positivistes, la science sociale viserait à expliquer « la réalité »
telle qu’elle existe « objectivement ». La présente recherche s’appuie plutôt sur le paradigme
constructiviste de la science sociale, basé sur l’idée qu’il n’existe pas « une seule réalité
objective » et « extérieure » aux sujets. Ce paradigme accepte la relativité, autrement dit, la
coexistence « de réalités multiples, différentes et subjectivement construites par les sujets » à
partir de leur vision du monde et de leur situation sociale (Guba et Lincoln, 1994). La
recherche qualitative s’oriente vers des compréhensions approfondies tirées d'un riche corpus
d’informations riches, contextualisées et détaillés et non d’une « réalité objective et extérieure
aux sujets ». Le but de notre recherche sera d’analyser des perceptions que les individus ont
de leurs expériences, à la lumière d’un paradigme constructiviste et à l’aide d’une
méthodologie qualitative, position impliquant nécessairement la prise en compte de leur
subjectivité.
Conformément à cette perspective, nous voulons comprendre de quelle façon la
perception de la confiance dans les relations entre les membres d’une équipe donnée
influencera leurs apprentissages. Pour évaluer perception de la confiance et apprentissages en
contexte, nous portons notre attention sur ce que les personnes expriment et sur les
interactions qui ont lieu entre elles, au cours de la réalisation de leur tâche. Notre choix de
procéder ainsi s'appuie sur le fait que, selon nos définitions conceptuelles, la confiance se
manifeste par des comportements et l'apprentissage, à cause de son caractère social, se produit
à travers l'interaction, dans le contexte d'une pratique.
Par rapport à la méthodologie quantitative, une méthodologie qualitative présente des
avantages considérables pour comprendre la perception que les personnes ont de leur
expérience. L'un de ces avantages est la possibilité de tenir compte du contexte et d’enrichir la
64
compréhension de l’information qui en provient. Il s'agit d' un atout essentiel parce que le
sens de la plupart des concepts que nous analysons dépend de la logique contextuelle. Selon
Guba et Lincoln (1994),le comportement humain ne peut pas être compris si on ne tient pas
compte du sens et des propos que les acteurs attribuent à leurs actions.
Autre avantage, la flexibilité de cette méthodologie rend possible un aller retour entre
les données et la théorie. Ce va et vient entre le cadre conceptuel et l'information recueillie
permet de remanier les questions et les problèmes posés au départ. En effet,: « This process
and logic of inquiry requires the researcher to define the problem of study and be constantly
open to its redefinition based on information collected in the field » (Jorgensen, 1989).
Dans le cas de notre recherche en particulier, nous avions élaboré, avant d’aller sur le
terrain, un cadre conceptuel conçu fondamentalement pour s’adapter à un large éventail de
cas réels tout en gardant sa pertinence et son utilité, un cadre capable, selon nous, d'orienter
des observations sur des terrains différents sans se révéler ni étroit, ni limitatif.
En ce qui nous concerne, cette conceptualisation préliminaire a été utile, car elle a
guidé nos observations, mais ne nous a pas empêchée de rester ouverte aux variations du degré
d'interdépendance, aux apprentissages réalisés à plusieurs égard et aux types de manifestations
de la confiance.
La méthodologie qualitative se révèle donc d'une grande souplesse, permettant de
modifier, tout au long de la recherche, certains aspects du cadre théorique si, à la lumière de
l’analyse des données, ce besoin se fait sentir. Tel peut être le cas dans la mesure où la
compréhension des phénomènes se clarifie progressivement au contact du terrain et de sa
complexité. Il y a des constats qui s'imposent seulement là, obligeant alors le chercheur à
revoir certains aspects du cadre théorique.
Par ailleurs, notre objectif reste le même: comprendre comment les perceptions de la
confiance et de la méfiance influencent l’apprentissage dans le contexte d’une équipe où, à
cause de la nature de la tâche, l’interdépendance est élevée.
3.2. Notre choix du cas
65
Le cas choisi nous a semblé approprié
en fonction des
critères suivants: les
conditions d’accès au terrain, les caractéristiques de l’équipe de travail, la nature de la tâche,
la durée du projet de travail, les possibilités de réalisation d'apprentissages.
3.2.1. Les conditions d’accès au terrain
Un lien d’amitié indirect nous a aidé à obtenir un premier rendez-vous auprès d’un
membre de l'équipe: l’auteur de la pièce. De plus, grâce à sa relation étroite avec le metteur en
scène, les conditions d’acceptation de notre présence dans la salle de répétition ont été
excellentes. En effet, le metteur en scène n’a pas fixé de limites de temps à notre observation.
Autorisée à assister à tout le processus de travail, nous pouvions donc observer des
phénomènes qui se produisaient en temps réel et prendre simultanément des notes. La seule
restriction que nous avons dû respecter a été celle des entretiens privés entre le metteur en
scène et l’auteur. Ceux-ci n’étaient même pas ouverts aux acteurs. Par ailleurs, la relation que
nous avons construite avec les acteurs a été une source clef d’information, car eux, peu à peu,
nous ont volontairement inclus dans leurs activités en dehors des heures de travail, par
exemple lors d'une visite de la pyramide de Tepoztlan ou d’une soirée de théâtre, pour assister
à une pièce où jouait un des acteurs de cette équipe. Lors de ces rencontres, ils ont fait preuve
d'une ouverture montrant une grande disponibilité à partager, avec nous volontairement, des
appréciations diverses, et des commentaires personnels sur le déroulement du travail.
Nous apprécions que les conditions d’accès au terrain aient été exceptionnellement
favorables pour nous, étant donné que les metteurs en scène et les acteurs sont souvent
réticents à accepter des observateurs. Ces réticences sont bien compréhensibles du moment
que les répétitions exigent une grande intimité et que le degré de concentration requis est
considérable. Souvent, les metteurs en scène craignent qu’un regard extérieur ne nuise au
maintien de ces conditions d’intimité et de concentration, car un observateur devient pour les
acteurs une sorte de « premier public », à un stade du travail créatif où ils ne doivent pas
encore se préoccuper des réactions que leur jeu provoque chez celui qui les regarde, sauf
évidement s'il s'agit du metteur en scène.
66
3.2.2. Les caractéristiques de l’équipe
La composition de l'équipe choisie est de nature à permettre de comparer des résultats
du fait de la richesse que représente son hétérogénéité sur plusieurs plans: 1) le degré de
participation de ses membres, 2) l’origine culturelle, 3) l’ancienneté des relations, 4) le type
de contrat qui sous-tend ces relations, 5) la disposition à faire confiance.
3.2.2.1. Le degré de participation des membres de l’équipe
Cette équipe est composée de 15 personnes mais l’attention que nous avons portée à
chacune varie selon son degré de participation au projet et sa manière d’interagir. Les six
acteurs, le metteur en scène et l'auteur de la pièce (même si ce dernier n'était pas présent tout
le temps) forment le sous-groupe, de personnes qui travaillent le plus longtemps ensemble
dans une interaction très constante et intense. C'est l’interaction parmi les huit membres de ce
sous-groupe, qui fera l’objet principal de notre observation et de notre recherche. En effet,
nous les avons suivis pendant presque deux mois, assistant à la majorité de leurs séances de
répétition et réalisant au moins une entrevue avec chacun, voire deux avec la plupart.
Un deuxième degré de participation est celui des membres de l'équipe qui font partie
du projet mais qui interviennent d'une manière plus discontinue et plus indirecte, à soit, les
producteurs, un de chacune des deux compagnies concernées, et les deux assistants du metteur
en scène qui alternaient leur présence ou qui parfois étaient absents. Ces quatre personnes ne
sont pas toujours présentes dans la salle de répétition, bien que leur participation se fasse plus
constante vers la fin du montage où il y a plus de travail pour eux. Leur manière d’interagir
présente des caractéristiques différentes: elles communiquent entre elles et aussi beaucoup
avec le metteur en scène, mais ces rencontres ont lieu surtout en dehors du temps des
répétitions. Ceci représente une limite à notre observation, car ils se réunissent parfois, avec le
metteur en scène le soir, chez lui, de sorte que nous ne sommes pas en mesure d'observer leur
interaction. Nous avons réalisé une seule entrevue auprès d’eux, sauf dans le cas du
producteur québécois qui était aussi l'éclairagiste. Il nous a accordé deux entrevues.
67
Finalement, à un
troisième niveau de participation, se retrouvent
les autres
membres de l'équipe, c'est-à-dire les concepteurs des costumes, du son, de l'éclairage, de la
scénographie. Leur contribution était sans doute importante, mais ils n'avaient pas besoin de
maintenir une interaction constante et directe avec les autres membres de l'équipe, sauf dans
des moments précis comme celui de l’essayage des costumes. Ils venaient, seulement de temps
en temps, consulter le metteur en scène et, d'autre part, ils se maintenaient en contact avec les
producteurs pour régler des questions budgétaires. Nous n’avons pas considéré nécessaire de
leur demander des entrevues, mais nous avons eu des conversations informelles avec eux. Par
ailleurs, nous avons eu soin de noter qu' ils assistaient souvent de manière libre et volontaire à
des séances de répétition et, à leur manière, ils s'intégraient à l'équipe jouant, en quelque sorte,
un rôle de soutien moral pour les acteurs et le metteur en scène. Ce rôle a été plus clair dans
les jours qui précédaient la première où la tension grandissait.
3.2.2.2. Les différences culturelles
Cette équipe de travail s’est formée à partir d’un accord de collaboration de deux
compagnies de théâtre, l'une mexicaine, l’autre québécoise. Les six québécois confèrent à
l’équipe son caractère interculturel, dimension qui n’a pas fait l’objet principal de notre
attention mais qui a entraîné des besoins supplémentaires en termes des apprentissages à
réaliser et des adaptations nécessaires de part et d’autre.
3.2.2.3. L'ancienneté des relations
Nous avons ici un éventail assez représentatif de relations en terme de leur durée,
certaines sont récentes, d’autres d’une duré moyenne et ancienne. En effet, il y a dans
l’équipe des personnes qui viennent de faire connaissance récemment, dans le cadre de la
réalisation de ce projet seulement, d’autres ont travaillé ensemble à plusieurs reprises dans le
cadre d’autres projets et finalement, les autres ont fondé conjointement une compagnie, elles
ont tissé des liens d’amitié et de travail intenses et continus pendant une période d'environ dix
68
ans. Selon nous, cette diversité de relations représente une grande richesse au sens où elle nous
permettra d’analyser des caractéristiques de la confiance qui sont en lien avec les différences
que ces relations présentent à cause de leur histoire. Et à partir de cette comparaison, nous
pouvons établir des rapprochements avec différentes positions théoriques: comme celles qui
mentionnent le « paradoxe » de la confiance se produisant, dans certains contextes, presque
instantanément et celles qui soutiennent que la confiance prend du temps à se construire.
3.2.2.4. Le type de contrat
Dans cette équipe, les contrats qui donnent lieu aux relations sont aussi différents. Un
type de contrat a été conclu dans le cadre d’un projet de coproduction entre les compagnies
québécoise et mexicaine, établissant par là une relation plus « horizontale » entre le groupe
des acteurs québécois et le metteur en scène, partenaires à parts égales dans un projet où
chacune des compagnies a fourni des fonds et des idées. D’un autre côté, la relation entre les
acteurs mexicains et le metteur en scène est fondée sur un contrat similaire à celui du type
employé/ employeur, qui produit une relation plus « verticale » car le metteur en scène et les
autres membres de sa compagnie engagent les acteurs et payent leur travail selon le projet dont
il s’agit. Ces différences pourraient influencer la confiance dans les relations interpersonnelles,
point qui sera repris lors de l’analyse des données.
3.2.2.5. La disposition à faire confiance.
Dans la mesure où toute équipe regroupe des personnalités variées, la disposition de
chaque membre à faire confiance variera également. Il conviendra donc de ne pas l’oublier au
moment de l’analyse de certains comportements.
69
Notre description des caractéristiques de l’équipe se terminant sur ce dernier aspect, nous
poursuivons notre exposé des critères qui ont guidé notre choix du cas.
3.2.3. La nature de la tâche
Les conséquences diverses liées à la nature de la tâche à accomplir rendent pertinent
le choix de ce cas pour répondre à notre question de recherche. Elles peuvent se manifester au
moins sur les plans suivants: l’interdépendance, élevée dès le départ mais aussi variable tout
au long du processus, les apprentissages réalisés, la présence de risques et les modalités de
l’interaction entre les membres de l’équipe.
Parmi les conséquences, l’une des principales, qui nous semble découler directement
de la nature de la tâche, est qu’elle exige toujours un degré d’interdépendance élevé mais
variable, particulièrement dans les relations des acteurs entre eux et des acteurs avec le
metteur en scène. Ce qui nous permet de dire qu’il s’agit d’un cas extrême en termes
d’interdépendance. Dans ce sens, nous espérons que certaines des leçons tirées de notre étude
seront applicables à la compréhension d’une problématique semblable dans le cadre d’autres
cas de travail en équipe où l’interdépendance est très élevée, sans que la tâche à accomplir
soit la même pour autant.
La variabilité de l’interdépendance, selon notre perception de la problématique de
l’influence de la confiance sur l’apprentissage, est un élément clef. Ainsi, un degré élevé, d’un
côté, suscite un besoin plus fort d’interagir davantage et, de l’autre, fait de la confiance un
enjeu beaucoup plus critique. Rappelons à cet égard ce qu’écrit Eisenhardt (1989) citant
Pettigrew à propos du choix des cas: « As Pettigrew (1988, p.537) noted, given the limited
number of cases which can usually be studied, it makes sense to choose cases such as extreme
situations and polar types in which the process of interest is « transparently observable ».
Une autre caractéristique cruciale rattachée à la tâche concerne les apprentissages
qu’elle permet de réaliser. Étant donné qu’il s’agit d’une création artistique collective, elle
suppose un déploiement de créativité qui permet des apprentissages, tacites et explicites,
individuels et collectifs.
Une autre particularité de la réalisation de cette tâche concerne ses implications du
point de vue des risques pour les membres de l’équipe. Les acteurs font souvent mention de
70
leurs perceptions de ces risques. Ils l’expriment de différentes manières, mais ils sont
conscients de se sentir vulnérables dans la position ou les met leur travail. C’est un travail qui,
selon eux a les caractéristiques suivantes: « il se fait à la vue des autres ( c’est-à-dire, ici, à la
vue, au moins des autres membres de l’équipe) même lorsqu’il n’est pas encore en état d’être
fini ». Les acteurs comparent cette situation à celle d’un écrivain qui montrerait ses brouillons
aux lecteurs avant de se trouver au stade de sa dernière version. Leurs erreurs ou leurs
difficultés sont toujours visibles pour autrui. De plus, tant les acteurs que le metteur en scène
travaillent dans l’incertitude que suppose la recherche créative; ils ne savent pas exactement
quel sera le résultat final de leur effort, car le théâtre est un art en mouvement, évoluant de
jour en jour. Ils disent se sentir « en état de déséquilibre », « la peau à vif », « comme sur des
sables mouvants ». Ils ont conscience de travailler avec leurs émotions, et de les montrer à
travers les personnages qu’ils représentent.
Une autre caractéristique de cette tâche, est qu’elle se réalise à partir de l’interaction
en face à face. Même si chaque acteur apprend son texte seul, le jeu se fait avec l’autre et la
pièce se monte uniquement grâce à la participation de tous. La modalité d'interaction en face à
face donne au chercheur l’occasion d’observer toute la communication non verbale, de noter
certains comportements, de constater des attitudes, d’écouter des échanges verbaux. Toutes
ces possibilités rendent la dynamique de l’interaction en équipe et, en particulier les
phénomènes à étudier, plus visibles, comparés à des circonstances où une partie importante
des communications sont écrites. En pareil cas, les réactions seraient plus difficiles à
identifier.
3.2.4. La durée de la tâche
Ce projet avait une durée, déterminée à l’avance, de presque deux mois, ce qui nous
a permis de suivre de très près le travail, pratiquement depuis son début jusqu'à la fin, et aussi
d’en voir son aboutissement. Pendant ce temps, il était possible de distinguer des étapes
différentes pouvant être traitées comme des sous-unités en vue d’échantillonner des variations
dans les phénomènes étudiés.
71
3.2.5. Les possibilités de réalisation des apprentissages
Si nous mentionnons ce critère de choix en dernier, cela ne signifie aucunement qu’il
soit moins important. Au contraire! Il s’agit d’un aspect fondamental, car ce travail de type
artistique et créatif produit des apprentissages constants et immédiats et nous permet de
l’observer tant dans sa dimension de processus que dans celle des résultats qu’il produit.
Cependant, la codification des comportements qui nous permettent de distinguer quels sont ces
apprentissages et par quels moyens ils sont réalisés, fera l’objet de l’étape suivante de ce
travail.
3.3. Les sources d'information
Nos données proviennent de quatre sources principales:
1) l’observation directe des séances de travail et d'autres rencontres informelles entre les
membres de l’équipe;
2) les entrevues semi structurées;
3) l' analyse documentaire, cette dernière source d’information ayant un poids relatif moins
grand parce qu’il s’agit seulement de quelques documents produits par la compagnie
québécoise et d’articles de journaux;
4) le matériel filmé.
Pendant les premières journées, une personne, invitée par la compagnie québécoise,
filmait le travail des répétitions. Par la suite, nous avons eu accès aux cassettes vidéos portant
sur une dizaine d’heures de répétition et quelques entretiens informels tenus en dehors des
« heures de travail », ces conversations pouvaient concerner ou non le montage, mais dans les
deux cas, elles apportaient des éléments enrichissants. Ainsi avons-nous été en mesure de
décrire plus en détail le travail dans sa première phase. Lincoln et Guba, (1985, p.313)
soulignent des avantages de cette démarche:
72
« Videotaping recording and cenematography, provide the means for
“capturing and holding episodes of classroom life” that could later be examined at
leisure and compared to the critiques that had been developed from all the data
collected. The recorded materials provide a kind of benchmark against which later
data analyses and interpretations(the critiques) could be tested for adequacy ».
Ainsi il est possible de noter des nuances plus subtiles des comportements.
3.3.1. L'observation
3.3.1.1. Ses avantages
L'observation non participante présente des avantages par rapport à d'autres méthodes.
Elle permet au chercheur d'avoir un aperçu global du contexte dans lequel se situent les
personnes qui apprennent. Elle lui donne également l’occasion, par sa présence sur le terrain,
de se familiariser avec des nuances et des subtilités de ce contexte. Cette expérience directe
joint les avantages d’une perspective d'ensemble et d’une vision détaillée des interrelations
entre les phénomènes sous observation.
Cette démarche s'utilise le plus souvent lorsque la recherche vise à saisir le point de
vue des individus vivant des situations que le chercheur veut comprendre et expliquer. Ainsi
peut-on dire que: « The world of everyday life as viewed from the standpoint of insiders is the
fundamental reality described by participant observation » (Jorgensen 1989, p.14).
Par ailleurs, l'observation elle-même permet au chercheur de décrire et de comprendre
des phénomènes qui ne seraient probablement pas identifiés au moyen de méthodes plus
indirectes comme l'administration de questionnaires. Elle lui ouvre aussi la possibilité de
vérifier le degré de congruence entre les propos tenus par les personnes en entrevue et lors
d’entretiens informels et ce qui s’observe dans les faits. « Direct observation provides access
to group processes and can confront the researcher with discrepancies between what people
have said in interview and casual conversation, and what they actually do », comme le dit
Pettigrew (1990, p.277).
73
3.3.1.2. Sa durée
Notre observation a commencé le 5 juin 2001, une semaine après que l'équipe de
travail se soit réunie pour commencer le montage de la pièce. Elle s’est prolongée jusqu'au 24
juillet 2001, quelques jours après la première représentation, le 19 juillet, pour tenir compte
des réunions de travail postérieures, notamment de celles qui avaient pour but de supprimer
certaines parties de la pièce et pour réduire sa durée. De fait, l'observation a pris fin juste après
une visite de l'équipe des pyramides qui se trouvent à une heure de la ville de Mexico.
Une partie de l'observation avait lieu pendant les séances de répétition dont l’horaire
variait selon les jours de la semaine. Les lundi, mercredi et vendredi, celles-ci se tenaient de
15 heures à 20 heures approximativement, tandis que les mardi, jeudi et samedi, de 10 à 18
heures. L’autre partie se faisait en dehors des séances de répétition, lors de certaines activités
sociales organisées par l'équipe. À l’approche de la date de la première, les horaires ont
changé, car l'intensité du travail augmentait, rendant le processus plus imprévisible à cause
de l’urgence de finir le montage.
3.3.1.3. Ses objectifs
L'observation visait les objectifs énumérés ci-après:
1) identifier certains indices de la confiance à partir de ses manifestations, comportements ou
affirmations.
2) constater la réalisation d’apprentissages.
3) suivre les activités de l'équipe de travail et rester assez proche des membres de cette équipe
pendant tout le temps que durerait le processus, prendre des notes sur ce qui serait vu et
entendu.
74
4) arriver sur le terrain avec une attitude d'ouverture, mais sans que cela signifie l’absence de
cadre théorique comme base et référence pour savoir à quels aspects donner la priorité pendant
l'observation, par rapport à d'autres moins intéressants pour nous.
5) chercher ensuite à décrire et à comprendre les interactions entre les membres de l’équipe
étudiée et les apprentissages qui en résultent.
3.3.2. La prise de notes
Au début, en arrivant sur le terrain, nous avions l’impression qu’il se passait tellement
de choses importantes en même temps que nous avions du mal à suivre et, surtout, il nous était
difficile de prendre des notes vraiment systématiques. Cette sensation était aussi due au fait
que, comme observatrice, nous éprouvions d’abord le besoin de comprendre le contexte où
nous étions. Nous avons commencé assez vite à faire l’apprentissage devant nous mener à une
certaine compréhension de la logique du contexte, étape importante pour acquérir une
certaine « connaissance tacite », un certain sens de la logique propre à ce contexte particulier
et nouveau. À partir de cela, il est devenu plus facile d’établir un contact plus enrichissant
avec l’information que nous allions obtenir par la suite. Cette progression dans notre
compréhension se manifestait dans nos notes. Peu à peu, nous avons été capables d’écrire plus
systématiquement le contenu des échanges, dans le plus grand détail possible.
Lorsqu’on tient compte du contexte, la connaissance tacite joue un rôle fondamental
pour la construction du sens. Après avoir passé un certain temps sur le terrain, nous avons pu
mieux comprendre certaines situations. C’est ainsi, selon les mêmes auteurs, que le chercheur
peut s’assurer de parvenir à une compréhension plus profonde des phénomènes qu’il prétend
analyser, car disent-ils: « Social scientists share with societal members some or all of these
features of tacit knowledge, those aspects of commun sense that provide the deep rules and
deep substantive or cultural background critical for understanding any specific utterance or
act » (Altheide et Johnson, 1998). En fait, plusieurs auteurs insistent sur l’importance, pour le
chercheur, de saisir, dans la mesure du possible, la logique du contexte où se situe sa
recherche.
75
Notre prise de notes s’est effectuée de deux manières principales, soit simultanément
au déroulement des événements dans la salle de répétition, soit postérieurement, lorsque cela
était plus convenable comme dans le cas de conversations informelles imprévues qui
pouvaient surgir spontanément à différents moments de la journée. Les notes portaient sur
deux plans: celui des échanges verbaux et celui de l’interaction non verbale. Les sujets
généraux traités, les comportements des personnes, leur façons d’être en relation étaient
consignés selon notre perception et notre interprétation des tensions, de l’ambiance et des
signes corporels. Ainsi portions-nous une attention tant au contenu, ce qui était dit
explicitement, l’implicite étant exprimé par la manière comme on le disait. Dans ce cas-là,
nous en transcrivions la teneur après coup.
Parfois, en même temps que nous décrivions ce qui se passait autour de nous, nous
notions nos réflexions personnelles par rapport à ce que ces situations provoquaient chez nous
comme réactions ou questionnements. Ce matériel nous inspirait pour formuler les entrevues.
Parfois ces notes était écrites plus tard ou, sinon, nous enregistrions sur magnétophone
quelques impressions ou commentaires sur la journée. Cette façon de procéder s’est avérée
utile pour assurer un certain suivi de nos réactions personnelles et nous inciter à une analyse
plus créative. Elle nous a également permis de mieux prendre conscience de l’influence de nos
biais personnels sur notre manière d’observer. Guba et Lincoln (1985, p.327) expliquent le
rôle de ces notes, semblables à un journal personnel, en ces termes:
« That technique is the reflexive journal, a kind of diary in which the investigator on a
daily basis, or as needed, records a variety of information about self and method. With
respect to the self, the reflexive journal might be thought as providing the same kind of
data about the human instrument that is often provided about the pencil-and-paper or brass
instruments used in conventional studies ».
3.3.3. Les entrevues
La première entrevue, réalisée auprès de chaque membre de l’équipe, a eu lieu vers le
début du processus du montage et, la deuxième, vers la fin ou même plusieurs jours après la
fin de l'observation. Les entrevues réalisées au début du montage portaient sur les relations
entre les personnes de l’équipe. Nous leur demandions de nous parler d’eux et de leur parcours
76
artistique et sur comment ils s’étaient connus. Ils nous parlaient du début de leurs relations,
des événements marquants dans ces relations et des changements qui étaient survenus, surtout
lorsqu’il s’agissait de relations longues et significatives. Cela nous permettait de nous
informer aussi sur la formation de deux compagnies de théâtre. Lors de la deuxième série
d’entrevues, nous avions déjà une base plus solide, grâce à nos observations pour savoir sur
quels aspects de ce montage les interroger, par exemple sur ce qui semblait problématique ou
ce qu’ils aimaient le plus. Donc cette deuxième série d’entrevues portait plus sur comment ils
se sentaient en travaillant sur ce montage en ce qui concernait leur propre travail, les relations
avec leurs camarades et avec le metteur en scène et les apprentissages réalisés. Pour plus de
précisions sur les entrevues, nous renvoyons le lecteur en annexe. Les entrevues, dans leur
ensemble, ont atteint le nombre de 20. Elles étaient d’une durée variable allant de 20 minutes,
la plus courte, jusqu'à deux heures et demie la plus longue.
3.3.3.1. Leurs objectifs
Le but de nos entrevues était de comprendre comment les membres de l’équipe
donnaient du sens à leur expérience de participation à ce projet. Nous accordions une
importance très particulière à la perspective que les membres de l'équipe de travail avaient de
leur propre réalité et sur leur vision de leur compagnons. Une emphase particulière avait été
mise spontanément sur leur expérience du travail avec ce metteur en scène. Cette information
était de nature à nous faire comprendre leur vision de leur expérience et la logique de leurs
actions et de leurs comportements. Or l'entrevue nous semblait un des principaux moyens pour
obtenir cette information. L'objectif des premières entrevues auprès des six acteurs était
d’abord de créer une confiance vis-à-vis de la chercheuse et, ensuite, d’établir un rapport
interpersonnel plus direct, pour ensuite recueillir des informations sur la façon dont les
comédiens expliquaient et comprenaient leur engagement dans la carrière théâtrale. Dans ce
sens, des questions sur leur trajectoire professionnelle nous permettaient de les connaître
mieux sans nous aventurer trop sur un terrain qui pourrait leur sembler menaçant.
77
3.3.3.2. Leur type
Étant donné notre intérêt pour la manière dont les sujets vivent leur propres
expériences, nous avons élaboré des entrevues semi-structurées. Ce type d'entrevues facilite
un échange plus riche puisqu'il garantit aux répondants une plus grande liberté d'expression à
propos de leurs perspectives et de leurs relations avec leurs co-équipiers. Nous avons pu avoir
deux entrevues avec quatre acteurs, avec le metteur en scène et avec le producteur québécois.
Avec la productrice mexicaine et l’auteur de la pièce, nous en avons eu seulement une. Ces
seize entrevues en profondeur ont été faites à différents moments au cours du montage mais
dans les cas où il a été possible d’en avoir deux, la première a été faite au début et la seconde à
la fin.
Cependant, toutes suivaient un objectif et cherchaient à intégrer des points de vues
différents sur les mêmes questions, vues à partir de l'expérience propre à chacun. La majorité
d’entre elles ont été enregistrées pour nous donner la possibilité d’en analyser postérieurement
leur contenu dans tout le détail. Logiquement, dans les cas où l’enregistrement n'était pas
possible pour différentes raisons, il a fallu prendre des notes à la suite des rencontres.
Du point de vue des questions posées, les entrevues réalisées auprès du metteur en
scène et auprès de l’auteur étaient différentes entre elles et de celles des acteurs.
3.4. L’analyse de l’information
3.4.1. La stratégie d'analyse
La stratégie adoptée pour l'analyse des données consiste d’abord à proposer une
description de la manière de travailler de l’équipe et ensuite à distinguer trois étapes
différentes dans le processus afin de faire ressortir une variabilité à l'interne du cas. Le critère
pour établir une distinction entre ses trois étapes se base sur la présence de nouveaux éléments
qui interviennent dans le processus, modifiant la dynamique du travail de l’équipe. La
variabilité d’une étape à la suivante, nous apparaît en termes des tâches à accomplir, des
78
apprentissages nécessaires pour la réalisation de ces tâches, de l’interdépendance de plus en
plus intense, et du niveau croissant de complexité. L’un de nos objectifs est, en effet,
l'explication des changements qui se produisent au plan de l’interdépendance, de la confiance
et des apprentissages. Selon la théorie ancrée, le recours à des comparaisons aide à y parvenir
dans la mesure où la spécification des différences et les ressemblances entre les catégories et à
l’interne de ces mêmes catégories es au cœur de la théorie ancrée. (Strauss and Corbin, 1990).
Dans notre cas, nous chercherons à comprendre si le rôle de la confiance varie tout au long du
processus que nous analysons, en utilisant la méthode définie par ces auteurs qui ajoutent ce
qui suit:
« To capture process analytically, one must show the evolving nature of
events by noting why and how action/interaction-in the form of events, doings, or
happenings- will change, stay the same, or regress, why there is progression of events
or what enables continuity of a line of action/interaction, in the face of changing
conditions, and with what consequences » (Strauss and Corbin, 1990, p.144.)
3.4.2. La description
Inspirée de la recherche ethnographique et suivant un exemple précis tiré de la
démarche de Wenger (2001), nous décrirons en
détails la pratique de ce groupe, pour
l’analyser par la suite en fonction d’un cadre théorique. À partir du suivi d'une journée d'une
employée, Wenger fournit des informations pour que le lecteur puisse comprendre le contexte
dans lequel s’inscrivent les concepts qu’il analyse. Notre description comporte deux parties
similaires. Nous distinguons trois étapes différentes dans ce processus et pour chacune d’elles
nous partons de la description d’une journée de travail représentative. La description tient
compte de l’ensemble des interactions observées, qu’elles se passent pendant les moments de
répétition ou dans les autres moments de la journée où les membres de l’équipe partagent du
temps ensemble.
79
3.4.3. La réduction des données et la construction de codes d'analyse
Nous regrouperons les données obtenues en catégories qui obéissent aux aspects
étudiés, tels que les tâches, les apprentissages réalisés, les manières de réaliser ces
apprentissages entre autres. Cette procédure se fonde sur le motif suivant: «Axial coding puts
those data back together in new ways by making conections between a category and its
subcategories » (Strauss and Corbin,1990).
Le concept de tâche nous permettra de distinguer des actions et de les organiser en
fonction de la logique de la responsabilité de chaque membre de l'équipe, qu’il s’agisse des
acteurs, du metteur en scène ou des autres membres. Comprendre le travail du comédien
impliquera de noter ses actions; par exemple, recevoir l’information, l’intégrer, construire un
personnage et exprimer des émotions. Nous identifierons les sources de l’information qu’il
reçoit de façon variable en fonction de sa provenance. L'ensemble des actions considérées ici
supposent des interactions avec les autres membres de l'équipe.
Pour traiter du concept d'apprentissage à travers une analyse détaillée du matériel,
nous distinguerons différents types d'apprentissages, ceux des acteurs, ceux du metteur en
scène et ceux des membres de l'équipe en général. Dans le cas des acteurs, il s’agira
d’apprentissages reliés au texte ou encore à la construction du sens selon l'interprétation que le
metteur en scène propose. Pour l'ensemble de l'équipe, ce seront plutôt des apprentissages
reliés à la dynamique de l'équipe. Ces distinctions nous permettront de voir de quelles
manières les apprentissages sont réalisés. Le matériel obtenu des entrevues et des observations
sera codé systématiquement afin de repérer les incidents pertinents pour fournir de
l’information sur l’évolution de la confiance et de l’apprentissage.
Le concept de confiance, lui aussi, sera étudié à l’aide de catégories, à savoir la
confiance en soi et la confiance dans les relations interpersonnelles. Nous chercherons ensuite
à trouver des liens entre les apprentissages et la confiance.
3.5. La validité de la recherche
80
Selon Lincoln et Guba (1985), plusieurs moyens contribuent à assurer la crédibilité
d’une recherche: un engagement prolongé, l’observation persistante, la triangulation et
d’autres activités de validation.
3.5.1. L'engagement prolongé
Cette expression signifie que le chercheur investit assez de temps pour apprendre la
« culture »de ses sujets d’observation et pour bâtir la confiance avec eux.
Dans la présente recherche, notre engagement, a, pensons-nous, été prolongé en fonction de
trois critères: 1) le temps requis pour que l’équipe réalise sa tâche, 2) le temps nécessaire pour
faire un certain apprentissage de la « culture » de l’équipe observée et 3) la construction de la
confiance dans les relations avec les personnes.
3.5.1.1. La duré de l'engagement en fonction du temps requis pour la réalisation de la tâche
Nous n’avons pas pu assister à la première semaine où le montage de la pièce avait
commencé car il nous a fallu attendre, pendant quelques jours, le consentement du metteur en
scène à notre présence aux répétitions. Cependant, à partir du moment où nous avons obtenu
son acceptation et celle des autres membres de l’équipe, nous avons assisté chaque jour aux
répétitions, sauf quelques rares exceptions: par exemple ceci a été impossible lors d’un
changement de lieu et d’horaire dont nous n'avions pas été informée. Nous avons donc suivi le
travail de cette équipe, ainsi qu’une partie de ses activités en dehors des répétitions, jusqu'à la
fin du processus du montage qui, officiellement, correspondait au jour de la première
représentation. En réalité, nous avons continué à assister aux rencontres du groupe, dans les
semaines suivantes à leur première, et nous avons maintenu le contact avec ses membres.
Quelques conversations informelles importantes entre nous ont même eu lieu plusieurs mois
après la fin des représentations de la pièce.
81
3.5.1.2. Engagement prolongé en fonction du temps nécessaire pour faire un certain
apprentissage de la « culture » des membres de l’équipe
En termes d’apprentissage de la culture de l’équipe observée, effectivement, le temps
a joué un rôle essentiel à notre compréhension. C’était la première fois que nous avions
l’occasion d’être en contact avec ce type de travail sur lequel nous n’avions reçu absolument
aucun type d’indication ou d’orientation préalable. Le metteur en scène s’était limité à nous
communiquer les horaires de travail et à nous souhaiter de ne pas trop nous ennuyer, (car cela
"était toujours la même chose", selon lui). Le fait de ne pas connaître le travail théâtral avait,
pour notre observation, des avantages et des inconvénients. Du côté des désavantages,
mentionnons qu’au début, nous ne pouvions comprendre ni les enjeux, ni les objectifs visés, ni
les moyens que les membres de l’équipe se donnaient en vue d’atteindre ces objectifs. Tout
était nouveau pour nous. Nous n’avions aucun point de comparaison. Pourquoi, au début de
chaque séance y avait-il tellement de « temps perdu »?
Selon quels critères le metteur en
scène décidait-il qu’une scène était assez bonne? Comment les acteurs pouvaient-ils proposer
leurs idées? Une foule de choses soulevaient des questions pour nous car elles nous semblaient
confuses, incompréhensibles, ambiguës. Plus tard nous avions pu au moins en partie à ces
questions en comprenant l’importance du temps alloué au réchauffement des acteurs, le besoin
d’atteindre un ton vrai et convainquant dans les scènes et les manières dont l’acteur apporte de
nouvelles idées à travers son jeu. Mais notre regard, neuf, avait aussi pour avantage de ne
pas nous encombrer de préjugés ni d’attentes précises. Sauf pour ce qui est de la référence à
notre cadre théorique élaboré au préalable, notre esprit était le plus ouvert possible : nous
n’avions pas d’idées préconçues concernant l’expérience d’observation du montage d’une
pièce de théâtre.
3.5.1.3. La durée de l'engagement en fonction du temps nécessaire pour construire une
confiance entre nous et les membres de l’équipe
82
Relativement à la confiance à bâtir entre nous et les membres de l’équipe, nous avons
eu des expériences un peu particulières selon les personnes. Par exemple, nous avons noté au
début que le metteur en scène, même s’il avait accepté notre assistance aux répétitions,
espérait nous voir partir en quelques jours. Il ne semblait pas croire au sérieux de notre
observation ou peut être était-il inconfortable dans la position de se faire observer par
quelqu’un, dans son travail, alors que lui même le définissait comme un «travail
d'observation». Il devenait un observateur observé. Mais lorsqu’il a constaté que nous
assistions aux séances de travail avec la même régularité que les autres membres de l’équipe et
que nous restions aussi tard qu’eux, il a commencé à nous adresser peu à peu la parole, sans
toutefois se départir de sa réserve envers nous. Cependant son attitude s’est modifiée, au point
qu’il a finalement accepté de partager des informations importantes avec nous, surtout vers la
fin du processus, le stress de la première étant un peu moins présent.
Nos relations avec d’autres membres de l’équipe se sont construites un peu plus
facilement, car ils faisaient preuve d’une plus grande ouverture que le metteur en scène.
Notamment, l’auteur de la pièce a partagé avec nous des réflexions intéressantes. Il nous avait
fait part de certaines de ses craintes, de ses attentes, de ses soucis par rapport à la pièce. Ces
attitudes se manifestant par des degré d’ouverture différents s’expliquent probablement par la
personnalité propre à chacun mais, en général, ce qui probablement a influencé positivement
la perception que les membres de l’équipe avaient de nous a été justement la constance et la
qualité de notre présence sur le terrain. Le temps que nous consacrions à l’observation et notre
manière de nous impliquer montrait un authentique respect envers leur travail.
Créer un rapport plus étroit avec les personnes auxquelles nous voulions demander
plus tard de l'information était important car lorsque les membres d'une équipe se sentent à
l'aise avec le chercheur, il est plus probable qu'ils soient disponibles à collaborer avec lui, à lui
fournir des informations ayant une valeur pour eux et donc aussi pour le chercheur, tant
pendant les entrevues qu'il sollicite que, spontanément, dans les échanges qui surviennent
durant la journée. En fait, le type de relation ainsi construite avec les personnes qui
interagissent sur le terrain est un aspect clef car lorsque la confiance s'installe, l’ouverture et
le partage ont plus de chances de se produire. Puisque la collaboration avec le chercheur est
volontaire, dans ces cas, les répondants sentent que l'information sera traitée d'une manière
éthique, c'est-à-dire qu’elle restera anonyme et confidentielle.
83
3.5.2. La persistance de l'observation
Pour ce qui est de la persistance de l’observation, il convient de la distinguer de
l’engagement prolongé, car les deux se ressemblent, bien que leurs buts soient différents.
Lincoln et Guba (1985, p. 304.) expliquent: « If the purpose of prolonged engagement is to
render the inquirer open to multiple influences-the mutual sharpers and contextual factors- that
impinge upon the phenomenon being studied, the purpose of persistent observation is to
identify those characteristics and elements in the situation that are most relevant to the
problem or issue being pursued and focusing on them in detail. If prolonged engagement
provides scope, persistent observation provides depth ».
Dans le cas de notre recherche, nous avions souvent l’impression que le travail était
toujours semblable et qu’apparemment, rien de neuf ne pouvant plus arriver. Cependant, le fait
de continuer à assister, jour après jour, aux séances de travail, nous a aidé à être moins
superficielle dans nos observations, à aiguiser notre sensibilité au point de noter des petites
différences, parfois assez subtiles, et à réunir une information de plus en plus exacte et
détaillée. Nous sommes devenue capable, lorsque quelque chose d’inhabituel se produisait, de
le reconnaître.
3.5.3. La triangulation
La triangulation est un autre des moyens pour rendre crédible une recherche. Denzin
(1978) identifie les modes de triangulation basés sur les éléments suivants: le recours à
plusieurs sources, les méthodes, les chercheurs ou les théories. Le but de ce procédé est de
profiter des différents avantages et particularités de plusieurs méthodes pour cueillir les
données (Pettigrew, 1990). Dans notre cas, la triangulation n’a été possible que par le recours
à différentes méthodes de cueillette de
l’information: les entrevues, l’observation, les
conversations informelles, les documents écrits, le matériel filmé.
84
3.5.4. La discussion avec des personnes qui ont fourni de l’information
Lincoln et Guba (p. 314, 1985) expliquent que la crédibilité de la recherche peut
s’établir de plusieurs manières, une d’elles est particulièrement avantageuse, il s’agit de la
technique du « Member chek ». Reprenons leur idée à ce sujet:
«The member check, whereby data, analytic categories, interpretations and
conclusions are tested with members of those stakeholding groups from whom the
data where originally collected, is the most crucial technique for establishing
credibility. If the investigator is to be able to purport that his or her reconstructions
are recognizable to audience members as adequate representations of their own (and
multiple realities, it is essential that they be given the opportunity to react to them ».
Dans le cas de notre recherche, nous avons donné à lire aux acteurs les chapitres de
notre thèse qui les concernaient plus directement. Ils nous alors donné leur avis sur nos
observations et sur notre analyse. Leur lecture a été le point de départ de conversations
enrichissantes qui, à partir de leur regard critique, nous ont permis d’être plus clairs, de
nuancer certaines de nos perceptions ou de compléter des informations à partir de leur
suggestions.
D’un autre côté, tout au long du processus une vérification se faisait de manière
informelle dans des échanges assez spontanés où nous confirmions certaines de nos
impressions à travers des commentaires provenant des membres de l’équipe.
3.5.5. Les sources supplémentaires de validation de la recherche
Notre démarche pour valider notre processus de recherche a été de soumettre nos
réflexions préliminaires à la discussion avec nos directeurs de recherche afin de remettre en
question notre mode de travail tout au long du processus de la recherche améliorant la rigueur
de notre analyse, du point de vue de notre perspective de travail et de la méthodologie suivie.
85
Lincoln et Guba (1985) appellent cette démarche « Peer debriefing ». Selon eux, avoir
ces discutions d’analyse du processus de la recherche a les avantages suivants : Ces
discussions 1) Aident le chercheur à connaître ses biais et à le rendre conscient du rôle qu’ils
jouent, 2) permettent de tester des hypothèses qui surgissent de la réflexion qui va dans une
direction ou une autre, 3) contribuent à prouver si la séquence de la méthodologie est
pertinente et, 4) finalement, donnent au chercheur l’opportunité pour clarifier ses émotions et
ses sentiments qui pourraient l’empêcher d’avoir des jugements justes. Les auteurs parlent
aussi des qualités des personnes qui peuvent jouer le rôle d’interlocuteur du chercheur dans
ces cas (Lincoln et Guba, 1985, p. 309): « The debriefer should be someone prepared to take
the role seriously, playing the devil’s advocate even when it becomes apparent that to do so
produces pain for the inquirer ».
86
CHAPITRE IV
ANALYSE DU POINT DE DÉPART
4.1 Introduction
Dans ce chapitre, nous donnons un aperçu de cette équipe avant le commencement du
travail. Nous identifions, à partir de sa formation, des difficultés et des aspects positifs
présents dès le début. Pour cela, nous examinons des propos des membres de l’équipe,
recueillis lors des entrevues initiales, qui nous ont éclairé sur les problèmes auxquels cette
équipe aurait à faire face, tout au long du processus du montage mais aussi sur les ressources à
partir desquelles elle compterait atteindre ses objectifs. Les changements qui se présenteront
dans les étapes suivantes pourront mieux être compris dans le contexte que cette première
évaluation propose.
Notre objectif général est de comprendre comment la confiance présente dans les
relations interpersonnelles influence les apprentissages des membres de cette équipe. Pour
cela, il est nécessaire d’évaluer cette confiance. La confiance existe-t-elle dans les relations
qui durent depuis un certain nombre d’années? Existe-t-elle dans les relations qui viennent de
se construire? Une première manière de répondre à ces questions est de regarder quelles sont
les bases de cette confiance et d’analyser comment elles évoluent en fonction de la durée des
relations et de leur qualité. La qualité des relations est en lien avec le sens que ces relations
ont. Elle se manifeste par leur profondeur et leur intensité. Est-ce que ce sont des relations
uniquement professionnelles ou bien
différence entre ces deux possibilités?
sont-elles devenues amicales aussi? Quelle est la
87
Une deuxième manière d’évaluer la confiance est de tenir compte de certains
comportements ou événements qui peuvent servir comme indicateurs de sa présence et de son
importance. Nous serons en mesure de les identifier à partir de nos observations.
Nous proposons de distinguer le sous groupe qui travaille selon un
niveau
d’interdépendance plus élevé comme c’est le cas des six acteurs et du metteur en scène qui
passent plus de temps ensemble pour répéter. Ce sous groupe fera l’objet de la plupart de nos
observations. Les autres sept membres de l’équipe se présentent dans la salle de répétition de
manière plus discontinue, ils se réunissent avec le metteur en scène des lieux et des horaires
différents qui nous rend impossible l’observation leurs interactions. Nous constatons surtout
le résultat de leur travail. Cependant, parmi ces sept membres, l’auteur de la pièce et les
producteurs ont des rôles clefs et nous en parlerons plus en détail par la suite. Ce sous groupe
est donc formé par les autres membres qui travaillent dans une interdépendance relativement
moins importante: les concepteurs, les producteurs, les assistants du metteur en scène et
l’auteur de la pièce.
Que nous dit la littérature sur les bases de la confiance? Lewicki et Bunker (1999)
expliquent que ces bases changent selon la durée des relations. Au début de ces dernières, la
confiance se base sur des calculs du risque et du bénéfice de faire ou de ne pas faire confiance
mais, quand le temps passe, elle se base, progressivement, sur la connaissance que les
personnes ont des autres. Cette connaissance provient de l’information obtenue sur les
personnes. Parce que, plus nous connaissons une personne, plus son comportement devient
prévisible pour nous. Selon Buttler (1991), la familiarité et la prévisibilité
se développent
avec le temps et sont deux des caractéristiques qui rendent plus fiable une personne aux yeux
des autres. Le fait d’avoir plus d’information ouvre la possibilité de mieux savoir pour quelles
tâches et dans quelles circonstances nous pouvons faire confiance à une personne précise.
Comme Nooteboom (2002) mentionne, la confiance n’est pas une question abstraite mais
circonscrite par le contexte. L’information que nous pouvons obtenir des personnes provient
de différentes sources. Une des plus importantes est, naturellement, notre propre expérience
d’interaction avec cette personne. Nous la connaissons, non seulement à travers ce qu’elle dit,
mais surtout à partir de ses actions, ses attitudes. L’ensemble de ses comportements nous
renseigne et également le langage non verbal. Lorsqu’une relation entre deux personnes est
longue, elle offre de nombreuses occasions d’ interaction, dans des circonstances différentes.
88
Lorsque les relations commencent, les personnes ont moins d’information provenant
de l’interaction directe. Elles peuvent cependant en avoir en provenance d’autres sources,
comme à travers des opinions entendues ou à travers les accomplissements et la réputation.
Meyerson, Weick et Kramer (1996) ont justement analysé le cas d’une équipe où l’existence
de la confiance reposait sur ces points et aussi sur le besoin de réaliser une tâche en très peu de
temps. La confiance alors se base sur ces informations indirectes, sur des « signes visibles » de
la fiabilité, des diplômes ou autres accomplissements
ayant une valeur sociale comme
l’étudient Lewicki et Bunker (1996).
L’ information indirecte permet de connaître, en partie, les personnes et résulte un bon
point de départ, mais l’information la plus valable pour chacun s’obtient directement, à travers
le contact personnel. Par conséquent, nous proposons une description de cette équipe de travail
où nous tiendrons compte de la durée des relations entre ses membres pour comprendre sur
quelles bases est fondée la confiance qui peut exister dans leurs relations interpersonnelles.
Nous observerons aussi des indicateurs de la confiance qui se manifestent à travers
leurs actions, telles les décisions prises au départ, comme le premier voyage des membres de
la compagnie québécoise au Mexique pour rencontrer le metteur en scène et commencer à
établir des bases pour la coproduction.
Dans un premier temps, nous décrivons l’équipe de travail et les principales
caractéristiques de son projet. Dans un deuxième, nous revenons sur certains points pour
analyser s'ils représentent
des difficultés ou bien des facteurs qui peuvent contribuer à
l’existence de la confiance dans les relations entre les membres de cette équipe et faciliter les
apprentissages à réaliser.
Pour avoir une perspective de l’ensemble des membres de l’équipe nous suggérons au
lecteur de référer au tableau 4.1. qui donne une vue d’ensemble.
89
90
4.2. Description
4.2.1 La formation de l’équipe de travail
4.2.1.1. Les premiers contacts entre les deux compagnies
L’équipe de travail que nous observerons est née dans le cadre d’un contrat de
coproduction entre deux petites compagnies de théâtre: une québécoise et une mexicaine. En
plus, chacune de ces compagnies a invité à se joindre à ce projet des personnes en fonction des
tâches à réaliser. L’équipe comprend, en tout, 14 membres. À cause de leurs tâches, la
participation des membres de l’équipe varie. Dans cette section nous partons de l’information
obtenue dans les entrevues pour reconstruire le cheminement suivi par chacune des deux
compagnies. Nous avons eu plus d’information provenant des membres québécois car les
entrevues avec eux ont été plus longues, malheureusement les membres mexicains avaient
moins de disponibilité de temps à cause de leur emploi du temps plus chargé.
Deux acteurs de la compagnie québécoise avaient monté, quelques années plus tôt,
une pièce avec le metteur en scène, et l’ auteur de la compagnie mexicaine. Leur noms sont
Julio et Juan Cristobal, respectivement. Deux hommes passionnés de théâtre, extrêmement
créatifs qui ont réalisés plusieurs projets ensemble auparavant. Les acteurs québécois avaient
apprécié le travail dans le cadre de cette rencontre. Cela a constitué une expérience favorable
qui, pour ce montage, devient une des bases de la confiance. Lucie, une des actrices de la
compagnie québécoise, parle de cette expérience:
Nous, nous avons travaillé avant avec Julio. C’était notre premier metteur en
scène en tant que compagnie. Le lien a été très fort. Il y avait eu des difficultés, mais plus
entre nous…C’était notre première année comme compagnie…le projet (celui de la
compagnie québécoise) était encore vague…on commençait à se connaître, dans la même
maison, avec peu d’argent.
Elle explique comment les membres de sa compagnie avaient pensé à travailler avec ce
metteur en scène:
Quand on a connu le metteur en scène, il était très jeune. Moi, je l’ai trouvé
super intéressant. J’avais beaucoup insisté sur le fait que si nous étions des acteurs, il
91
nous fallait avoir un metteur en scène, on travaillait en collectif et c’était très dur. On
est de bons acteurs, mais la seule chose qui va faire la bonne recette est d’avoir un bon
metteur en scène. On avait gardé contact avec Julio.
Mélissa aussi nous avait donné sa version de la rencontre avec Julio, un artiste reconnu qui est
le metteur en scène de la compagnie de théâtre mexicaine:
Moi j’avais rencontré Julio en 1995, j’avais vu jouer sa pièce. En 1996 il
venait faire une résidence à Montréal et moi j’avais un contrat pour l’Europe. Un ami
mexicain m’avait dit que Julio était là et qu’il cherchait une jeune compagnie. Mon
ami a dit: « Il a besoin, tout de suite, d’embarquer avec une équipe ». Il était là, moi
j’ai dit: « Oui! C’est super intéressant! ». J’avais vu sa pièce sur Joyce, c’est le
premier spectacle que j’ai vu de lui. Là, je l’ai rencontré, ça a été tellement le fun
comme rencontre! Puis moi, je lui ai dit: « Je trouve que c’est génial! Il faut que tu
rencontres les autres ( elle parle des autres membres de sa compagnie) et puis… si tu
les aimes… ». Ils se sont rencontrés et ils ont monté un spectacle. Moi, je suis partie
en Europe et eux ils ont travaillé avec Julio. C’est le premier spectacle professionnel
de notre compagnie.
La compagnie québécoise a proposé au metteur en scène l’idée de cette coproduction
parce qu’ils ont eu cette bonne expérience préalable et qu’ils aiment son travail; en plus, il est
membre d’une compagnie de théâtre mexicaine. Chacune des compagnies avait contribué
avec 50% du budget pour ce montage. Les trois acteurs québécois ont fait un voyage de
préparation pour ce projet, Mélissa en parle:
Ça fait un an et demi à peu près qu’on a commencé à contacter Julio, avant
qu’on se sente d’aplomb et qu’on dise ça y est, c’est bon, c’est vrai, là on fait le
projet. L’an dernier, au mois de février ou mars on a dit: « Bon, mais si on veut que
ça avance, il faut qu’on aille au Mexique, ça fait qu’on est venus les trois, avec un
organisme canadien qui soutient la jeunesse. On a eu trois billets d’avion plus un peu
d’argent. C’est grâce à ça qu’on le fait, sans argent on ne peut rien faire,(…) …bon
tout ça pour te dire qu’on est venus ici et Julio nous a présentés plusieurs acteurs, pas
juste ces trois là, il y en avait six, une autre fille, Maria. Ça a été génial! Julio nous
connaissait déjà un peu, fait qu’il a choisit des gens qui pouvaient travailler bien avec
nous, des acteurs que lui considérait très forts et qui pouvaient, d’une façon ou d’une
autre, se fondre à nos désirs de faire du théâtre contemporain… du théâtre un peu
physique…de la recherche. Donc il a pris des gens forts physiquement, il a pris un
ensemble de choses, mais la première rencontre a déjà été très belle, pour moi en tous
cas. Mauricio est magnifique, malgré qu’il est très jeune, il a vingt quatre ans je pense,
il est très mature, Maria était adorable…on a vécu treize jours très intenses, on a fait
quelques ateliers, on a vu beaucoup de théâtre…Julio nous a emmenés, on a vu je
92
pense que huit pièces en treize jours, et deux films. Il disait : « Vous venez au
Mexique? Alors profitez! »
Après ce premier voyage au Mexique, la rencontre suivante a eu lieu à Montréal. À ce
moment là, la question de la composition de l’équipe était déjà définie.
Pour observer la dynamique de l’interaction qui aura lieu tout au long des répétitions,
nous décrirons chacune de ces deux compagnies et les relations avec les personnes qui se
joignent à elles.
4.2.2. Le groupe québécois.
La compagnie de théâtre québécoise est composée de quatre personnes, deux acteurs,
Jean et Roland (ce dernier se trouve en Russie, et ne participe pas à ce montage) et deux
actrices, Mélissa et Lucie. Les personnes invitées du côté québécois sont au nombre de trois:
Alain, l’éclairagiste qui est en même temps le producteur, Mattieu, le responsable du son, et
Valérie, une photographe qui avait filmé des répétitions et des entretiens informels pendant
son séjour de dix jours. Les relations entre les trois membres de la compagnie sont très
longues; par contre, celles qui existent avec les concepteurs sont très récentes puisqu’ils
travaillent pour la première fois avec eux.
Alain, le concepteur de l’éclairage et producteur, parle l’espagnol avec un peu de
difficulté mais Mattieu, le concepteur du son, ne le parle presque pas. Valérie, qui filme le
processus, se trouve dans un cas un peu particulier; elle est indépendante du reste de l’équipe.
La compagnie québécoise se définit elle même en ces termes:
C’est une compagnie de théâtre et de création fondée en 1995 qui s’inscrit
dans une démarche de recherche formelle et dramaturgique. Elle crée des échanges et
des collaborations avec des artistes d’ici et d’ailleurs dans une volonté de repousser les
frontières des traditions théâtrales, de langues, de couleurs, de situations économiques.
Par ces rencontres, cette compagnie, cherche à favoriser l’émergence d’un langage
théâtral renouvelé.
L’influence de l’aspect interculturel est déjà présente
à cause de l’histoire des
membres de la compagnie. Mélissa, péruvienne d’origine mais habitant à Montréal depuis
son enfance, parle très bien l’espagnol. Lucie, qui parle bien l’espagnol est française et
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canadienne; elle a passé une partie de sa vie en France et une autre au Canada, habitant
Montréal depuis quelques années seulement. Jean est québécois et grand voyageur, il parle
peu l’espagnol, il le comprend un peu plus. Mélissa nous parle de ces caractéristiques des
membres de la compagnie:
Je pense qu’il a des choses qui nous réunissent, Je pense que c’est notre
différence étrangement…ça. Peut être qu’on était moins conscients à l’époque que
maintenant. Le fait que Roland, était un « globe trotter », oui il était suisse belge, il a
vécu en France, il a vécu en Angleterre. Moi, je venais du Pérou, là j’étais au Québec,
j’ai une double identité, j’ai deux langues, j’ai deux cultures, j’ai deux côtés, puis je
me sens parfois très nord américaine et parfois profondément latine, dans ma façon
d’être avec les gens. Moi je dis toujours bonjour à tout le monde, au Québec. Je n’ai
pas de correspondance et c’est ça qui a été important quand je suis allée au Pérou.
C’est que je retrouvais mon peuple, je retrouvais ma culture… Lucie, double culture,
Jean déraciné total avec le Québec est sa difficulté d’enracinement, difficulté
d’identité. Il avait voyagé, Il avait habité en Europe pour un bout de temps. Je pense
qu’on s’est reconnus, on avait ça en commun, d’abord et avant tout, on était de nulle
part. Donc, le théâtre, pour nous, très vite c’était ça, c’était mettre ces choses là
ensemble.
4.2.2.1. La rencontre de Mélissa et Jean
Mélissa et Jean se sont rencontrés au début des leurs études de théâtre, il y a une
dizaine d’années. Mélissa a trente quatre ans et Jean en a trente trois. Leur relation est étroite,
ils se connaissent depuis longtemps. Mélissa commente dans son entrevue:
Tout de suite quand on a commencé l’école il y avait déjà cette attirance artistique,
humaine et même physique moi je pense… au départ…je pense …bon en ce qui me
concerne. Tout de suite on a trippé, on est devenus amis, on se mettait ensemble à l’école,
dans certaines équipes. Il y avait un cours qui s’appelait « l’atelier libre » où l’on pouvait
se ramasser, en dehors, on pouvait se mélanger avec ceux des trois années et on pouvait
faire du théâtre. C’était un atelier libre pour favoriser la création, la créativité et les
professeurs venaient voir nos spectacles il y en avait trois par année je pense… ou
quatre… Puis, ils nous donnaient des notes et ils s’en servaient pour évaluer les élèves.
Des fois il y avait des élèves qui n’allaient pas si bien dans le cadre scolaire et qui
réussissaient bien dans cet atelier et ça a été déterminant pour moi parce que je pense que
j’ai fait tous les ateliers avec jean, tous! C’était évident! On a fait des choses qui étaient
très belles et d’autres qui étaient des flops mais pour nous, c’était le début d’un travail en
commun. Je pense que le rêve de fonder une compagnie est né là et ce n’étais pas
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facile.(…) C’était mon ami, Jean, c’était le début d’une amitié forte, d’une complicité
artistique, d’un amour de la création.
Sur le plan du jeu, ils se connaissent grâce aux expériences de travail partagé. Jean
nous parle de son appréciation de Mélissa comme partenaire sur la scène: «J’aime beaucoup
jouer avec Mélissa. Elle est généreuse. Elle donne wouaou! Je ne sens pas qu’elle pense à
elle….je ne sais pas comment te dire…Je sens qu’elle m’envoie des choses! ».
Mélissa et Jean, en plus de travailler ensemble souvent, se sont donné du soutien, tout au long
de leurs années d’études ainsi que dans des moments difficiles. Par exemple, lorsque Mélissa
a eu un accident relativement grave, Jean est resté proche d’elle pendant cette période:
Il y a eu des choses qui nous ont rapprochés. En première année, on courrait
après un taxi, c’était l’hiver, j’étais super fatiguée, très, très fatiguée, c’était après un
atelier justement, j’étais épuisée. Je n’ai pas regardé et je me suis fait frapper par une
auto, Jean a vu l’accident et il a eu très peur, il est devenu fou, il croyait que j’étais
morte! On est allé à l’hôpital… quand j’étais mieux il m’a emmenée chez lui et il
s’occupait de moi.
Quelque temps après cet accident, ils ont décidé de partager un appartement.
Un autre événement marquant pour leur relation est survenu lorsque Mélissa a traversé
des difficultés en lien avec la menace d’être expulsée du programme d’études à cause d’une
faute qu’elle avait commise. La faute n’était pas si grave mais le directeur était intransigeant
sur ce point et Jean a donné du soutien à Mélissa face à l’autorité, en la défendant même au
risque de se faire expulser lui aussi.
4.2.2.2. La rencontre de Mélissa et Jean avec Lucie et Roland
Une fois leur formation au Conservatoire finie, ils ont rencontré Lucie et Roland, il y
a cinq ans environ, au cours d’un atelier de théâtre organisé par des professeurs russes, qu’ils
suivaient tous les deux, Lucie a trente ans, elle est française, elle nous explique que, dès le
premier contact, entre elle Mélissa et Jean, des points communs étaient évidents:
On s'est identifié d'abord parce qu'on était des francophones et des étrangers. Moi je
me rappelle qu'on s'est rapprochés par la culture et la façon de voir le théâtre, différente de
celle des américains… Le théâtre est pour moi quelque chose de spirituel dans le sens que
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c’est un art. Ce n’est pas seulement un moyen de faire de l’argent. Les russes le voient
comme un art. Ils disent: « Si tu veux devenir un bon acteur, sois une bonne personne ».
Pour les américains c’est une technique que tu développes et c’est pour avoir du succès
avec le public. Ce n’est pas la recherche d’une vision, sentir qu’il a quelque chose de plus
grand, tandis que pour moi ce n’est pas une religion mais c’est proche. Pour les américains
le théâtre c’est du « entertainement ». Cette vision existe au Canada mais en Europe et au
Québec il y a aussi l’idée d’apporter quelque chose de plus, les gens peuvent comprendre
d’autres choses. Nous avec les russes nous avions des liens dans ce sens ". Mélissa aussi a
eu une forte impression de cette rencontre: « En 1993 on avait rencontré Lucie et Roland à
Boston et on avait bien trippé, on avait dit: « Oui, on devrait fonder une compagnie! On
devrait se revoir! »
Mélissa et Jean, un peu après, ont invité Lucie comme colocataire chez eux, et un peu après
ils lui ont commencé à discuter de leur projet de formation d'une compagnie de théâtre.
4.2.2.3. Le processus de formation de la compagnie québécoise
Lucie nous a expliqué ce qui a contribué, de son point de vue, à prendre la décision de
former une compagnie:
Un professeur nous a beaucoup parlé des troupes et il voulait continuer la
tradition de Stanislavski et ils se sont préoccupés des suivantes générations…On a
senti quelque chose de très fort, qu’on travaillait dans la même philosophie et qu’on
cherchait la même chose. Et je pense que c’est ça….À la base Mélissa et Jean avaient
parlé de ce projet de faire une compagnie. Après on a habité ensemble et à cette
époque on s’est dit « On va monter une compagnie, on définissait les
paramètres »…Je me disais que j’avais de la chance, les moments de création étaient
très bons, surtout au début.
Mais la formation de la compagnie a été mouvementée. Mélissa, qui considère
qu’elle et Jean sont les moteurs de cette initiative, au départ, avait invité onze personnes à se
joindre à eux. C’étaient des personnes qu’elle avait connue au cours de sa formation et à
travers son expérience professionnelle, notamment lors d’un projet très grand qui réunissait
cinquante acteurs en même temps. Cependant, la vision que ces autres personnes avaient ne
correspondait pas totalement à ce que eux, Jean et Mélissa voulaient, et après quelque temps,
une sélection s’est produite. Finalement, les quatre membres principaux sont restés. Mélissa
nous parle de ces situations:
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Il y a eu un ménage naturel qui s’est fait à ce moment là. Il y a eu des gens
avec qui je me suis dit: « Ces gens, je ne travaillerais jamais plus avec eux ». Ils
commençaient déjà à être pollués par la télévision, pollués par des habitudes de « Star
System » alors que nous, ce qu’on voulait, c’était de fonder une famille. On écrivait,
en même temps, Jean et moi la définition de la compagnie. On écrivait un manifeste
presque! Les éléments importants pour moi.
Nous lui avions demandé quelle était, selon elle, la différence principale entre les
personnes qui sont restées dans la compagnie et celles qui étaient parties, elle avait répondu:
Le niveau d’engagement n’était pas le même. L’engagement de Lucie, de
Roland, de Jean et le mien était total. C’était un engagement à 300%! Je pense que
c’est beaucoup ça qui a défini. D’ailleurs, les autres ne sont plus là et nous, qu’est ce
qu’on avait? On avait vécu l’été aux États-Unis, on avait vécu un été ensemble qui
était très fort à cause de la rencontre avec les maîtres russes. C’était déterminant, puis
on avait aussi une vision. C’était déterminant dans la vision du théâtre, la vision,
comment on voyait le théâtre. Qu’est ce qu’on voulait faire, on voulait bouger la
façon dont on explorait, les autres non. Les autres étaient plus déjà dans un carcan
d’un théâtre institutionnel: « Oui je fais mon métier… » Et c’est très respectable, moimême j’étais dedans! Moi je suis la personne dans l’ensemble qui a le plus travaillé à
l’extérieur, qui a fait les deux, je suis partie en tournée, j’ai fait de la télé… j’ai fait de
tout. Moi j’étais un hybride, eux c’étaient des purs, Lucie, Jean, Roland c’étaient des
purs de durs. Lucie aussi est partie à Toronto mais qu’est ce qui a déterminé ce noyau
a été le degré d’engagement, la façon de voir le théâtre.
L’engagement de fonder une compagnie de théâtre, a aussi exigé des acteurs qu’ils
assument des responsabilités plus variées que celles qu’ils avaient eues avant comme acteurs.
À titre d’exemple, nous pouvons parler de la création du spectacle Migrations I présenté à
Montréal.
4.2.2.4. Le projet Migrations.
Le montage de Migration I fait partie d’un projet plus ample: « Migrations », un
ensemble de coproductions dans plusieurs pays comme le Mali, la Russie et le Mexique, cinq
phases, chacune correspondant à une pièce de théâtre. Un document, rédigé par les membres
de la compagnie québécoise, l’explique: « Le projet Migrations est la déclinaison d’un même
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thème vu par des artistes de différentes cultures et traditions théâtrales. Il comporte cinq
volets; chacun est traité comme une création indépendante et fait l’objet d’une production et
d’un financement autonomes partagé par les coproducteurs ».
La première étape, dont nous allons parler, est la seule qui n’est pas une coproduction
et s’est passée à Montréal. Comme la réalisation de ce spectacle a été assurée uniquement par
cette compagnie, les acteurs ont réalisé l’ensemble des tâches du spectacle. La deuxième
phase, « Migrations II », correspondait à la coproduction avec le Mexique.
Pour la réalisation de Migrations I, les trois membres de la compagnie québécoise
avaient assuré, simultanément, les rôles d’auteur, de metteur en scène et d’acteur. Ils avaient
aussi fait la promotion de ce spectacle et avaient trouvé des solutions à toutes les questions
administratives associées à ce projet. Par exemple, pour ce qui est du financement du projet,
Mélissa explique: « Pour Migration I, on a commencé à faire des demandes de subventions
pour la première fois on a commencé à faire de vraies demandes de subvention au
gouvernement puis on en a eues, donc, on a créé Migrations I avec des budgets ». Cependant
leur situation économique n’était pas facile et ils ont été déficitaires.
La réalisation de ce projet pour cette compagnie a été une expérience enrichissante
d’apprentissage sur plusieurs plans mais elle a aussi impliqué, pour chacun des membres, de
traverser des épreuves difficiles. Mélissa nous partage son expérience:
Quand on faissait Migrations I, Lucie a souffert humainement, artistiquement,
elle se plaignait: Zut! Vous prenez des décisions ensemble (en parlant de Mélissa et
Jean) » et je pense qu’elle avait raison… on avait beaucoup de mal…à… c’était une
dynamique qui était là, et puis des caractères aussi. Jean et moi, on a des caractères de
feu. Et d’ailleurs on s’engueule, moi j’ai des problèmes avec Jean depuis… environs
99, depuis le processus de création de Migrations I qui a été difficile. Jean voulait
lâcher la compagnie, il a failli arrêter, Lucie a été très importante, elle lui a parlé, le
groupe est devenu plus fort, on réussi à récupérer Jean, on a réussi à terminer
Migrations I, c’est un projet où on a eu beaucoup de mal, on a eu mal. J’ai eu mal
artistiquement, Jean qui était mon meilleur ami et toutes ces années d’études, toutes
ces années de complicité…Tout d’un coup, Jean me disait: « Je n’aime pas ton travail,
je n’aime pas ce que tu fais, je n’ai pas aimé la pièce africaine! » C’est terrible pour
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moi, si lui ne crois pas en moi, c’est désastreux mais moi à un moment donné j’ai dit:
« Je veux travailler avec des gens qui m’aiment, je crois en ce que je fais, je ne suis
pas ni la princesse avec du talent à 300% mais j’ai du talent, j’aime ce que je fais, si
toi tu n’y crois plus: Va te faire chier! » Tu comprends? À un moment donné, j’ai
repris mon souffle, dans une répétition très importante où Jean était particulièrement
violent verbalement, moi j’ai pleuré, j’ai crié: « C’est fini, c’est fini, qu’il me
respecte! Ou je travaille dans le respect et le plaisir, ou je ne travaille plus! » Là,
Jean a compris, là on a évolué, ça a été des moments… Ouf! T’imagines? Qu’est ce
qui fait une compagnie? Il me semble que c’est difficile de créer la cohésion, je pense
que.. je compare souvent à un couple, il a des forces de cohésion, qui est ce que je t’ai
dit qui nous rassemblait et il a des forces de rupture. À un moment donné on était trop
dans la cohésion, on voulait amoindrir les différences. Justement, pourquoi Jean
disait: « Je n’aime pas ce que tu fais! » Il voulait que je sois comme lui… ou moi, à un
moment donné, je voulait que tout le monde fasse ce que moi j’avais envie de faire.
Ou chacun notre tour, tout d’un coup, on n’acceptait pas.
4.2.3. Le groupe mexicain.
Cette compagnie de théâtre existe depuis plus de dix ans et a réalisé au moins une
quinzaine de productions méritant plusieurs prix. Ses membres actuels sont Julio, le metteur
en scène, de trente huit ans, Juan Cristobal, l’auteur de la pièce, et Béatrice, tous les deux âgés
de trente sept ans. La compagnie comprend un quatrième membre mais que nous ne
connaissons pas parce qu’il ne participe pas à ce projet. Il y avait avant un autre membre
fondateur très important avant mais qui est décédé.
Pour avoir un aperçu de cette compagnie, nous référons à un article publié par le
metteur en scène, dans la revue de théâtre « Cuadernos de teatro, 2001 »:
Nous nous définissons comme un groupe de professionnels du théâtre. Une
compagnie petite par sa structure et ambitieuse par ses propositions esthétiques. Une
proposition jeune et renouvelée. Nous voulons courir tous les risques et commettre
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tous les péchés. De n’importe quelle autre manière, cette complicité n’aurait pas de
sens.
4.2.3.1. Les relations entre les membres fondateurs de cette compagnie
Les relations entre les membres de cette compagnie sont étroites. Nous n’avons pas eu
accès à une information détaillée de leur histoire,
mais nous savons que Béatrice, la
productrice, n’avait pas au départ, une formation en théâtre. Elle en avait une en architecture
mais elle était mariée à un des membres de cette compagnie et donc elle avait un contact étroit
avec leur travail. Dans sa relation de travail avec le metteur en scène, elle a peu á peu réussi à
gagner sa confiance et une place où elle peut participer davantage. Elle nous raconte: « Moi
j’assiste le metteur en scène mais il a fallu que j’attende quatre ans, avant qu’il accepte mes
commentaires sur la mise en scène et que je puisse parler aux acteurs ». Présentement, elle
habite juste à l’étage supérieur de chez Julio et elle travaille dans les bureaux du théâtre dont
Juan Cristobal est directeur.
Nous avons noté aussi la qualité de la relation entre le metteur en scène et l’auteur de
la pièce. Chacun manifestait un grand respect pour leur travail respectif, comme ils nous l’on
mentionné dans les entrevues, mais, en plus, ils maintiennent une amitié, qui se traduit
clairement, entre autres, par un plaisir visible de travailler ensemble qui les a conduit à fonder
ensemble une compagnie qui crée depuis plus de douze ans. Dès qu’ils se rencontrent, nous
avons l’impression qu’ils sont contents juste du fait de se retrouver et de partager encore
l’expérience de créer ensemble un autre projet.
Julio et Juan Cristobal ont une grande passion pour le théâtre, ce qui donne un sens
plus grand à leur relation. Le théâtre occupe une place primordiale dans leur vie. Par exemple,
le metteur en scène, Julio, enseigne dans une école de théâtre. Mais son activité principale est
la mise en scène qui occupe tout son temps car il s’organise pour avoir toujours de nouveaux
projets. De plus, le fait de s’investir dans de nouveaux projets ne l’empêche pas de rester
proche des pièces qui sont déjà montées parce qu’il continue à assister aux représentations et
donne encore de la rétroaction aux acteurs. Il semble penser toujours à ce qui peut encore être
amélioré dans ses pièces. Parfois il arrive que plusieurs pièces qu’il a montées se jouent
simultanément en ville. Contrairement à ce qui se passe normalement à Montréal, à Mexico, si
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une pièce remporte du succès, elle peut rester plus longtemps que prévu à l’affiche. L’auteur,
comédien lui même, en plus de se consacrer à écrire des pièces, occupe le poste de directeur
d’un théâtre important et anime un programme culturel de télévision sur le théâtre, la danse et
les arts de la scène en général.
4.2.3.2. Les relations avec les acteurs invités pour ce projet.
Cette compagnie invite des acteurs et des concepteurs différents selon les besoins des
montages. Claudia, Pablo et Mauricio sont les trois acteurs qui font partie du projet.
Le cas de Mauricio, le plus jeune des acteurs, qui est agé de vingt quatre ans, est un
peu particulier car il travaille depuis cinq ans déjà avec cette compagnie mexicaine. En
revanche, Pablo et Claudia sont invités pour la première fois à participer à la compagnie mais
eux ont déjà travaillé ensemble, deux fois. Cependant Pablo avait eu auparavant un contrat
avec la compagnie en tant qu’instructeur pour faire l’entraînement physique des acteurs dans
une autre pièce de théâtre. Claudia aussi avait eu un contact préalable avec l’auteur car elle a
joué dans deux autres de ses pièces. La dernière de ces pièces a une histoire particulière dont
l’auteur nous avait parlé. Cinq actrices sont venues le voir en lui demandant d’écrire une pièce
à partir de certaines idées qu’elles avaient. Claudia était parmi ces cinq actrices. Entre autres,
elles voulaient que les rôles soient équilibrées quant à leur importance. L’idée que l’auteur
leur a proposée, leur a plu et répondait bien à leurs attentes. D’un autre côté, Claudia nous a
dit qu’elle est amie de Béatrice. Pablo a vingt sept ans et Claudia en a vingt huit.
Les concepteurs sont Luis, le responsable du décor et Juan, le créateur des costumes.
Xochitl et Pedro sont des élèves de Julio de l’école de théâtre où il enseigne et et pour ce
meontage ils collaborent avec lui comme ses assistants.
4.2.4. La pièce et le processus de son écriture
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Cette pièce a été écrite spécialement pour ces acteurs, trois hommes et trois femmes.
Le projet avait commencé à Montréal, par une rencontre entre les acteurs, l’auteur et le
metteur en scène, pendant environ deux semaines. Le matériel qui a servi de base pour écrire
cette pièce provenait des exercices d’improvisation réalisés alors, quelques mois avant d'avoir
la deuxième rencontre, cette fois pour le montage, à Mexico. Les acteurs québécois expliquent
la finalité de cette première rencontre comme équipe, structurée sous forme d’atelier: « Cet
atelier a permis au collectif d’exploiter les propositions de l’auteur, de les expérimenter avec
le metteur en scène et les acteurs et de les valider devant un public cible. L’objectif de l’atelier
était de définir la ligne directrice et le canevas de Migration 2 ».
À leur retour au Mexique, l’auteur et le metteur en scène avaient travaillé sur l’écriture
de la pièce. L’auteur raconte: « J’ai travaillé de très près avec le metteur en scène…nous
l’avons presque écrite ensemble même si moi j’ai écrit le 80 pour cent de la pièce mais nous
avions des idées assez précises de comment faire…Il fallait que tous les personnages aient une
histoire, un conflit et une résolution ».
Analysant le contenu de la pièce nous constatons qu’elle se base sur des fragments
d’histoires personnelles d’une dizaine de personnages, chacun cherchant des éléments de
réponse aux questions que leur vie leur pose au moment où la pièce a lieu. Voyons comment
l’auteur explique la thématique de la pièce:
Dans cette pièce nous suivons le personnage qui s’appelle Paul Graham,
habitant du nord, qui un jour décide de tout abandonner pour entreprendre –accident?
Destin?- un voyage à travers le centre de la ville de Mexico. L’action se passe en une
seule nuit, une longue et obscure nuit dans les vieilles rues d’une ville qui relâche ses
fantômes, ses criminels et ses victimes innocentes. Paul rencontrera sur son chemin
une galerie de personnages qui, tout comme lui, vivent sur le fil du rasoir. Certains
d’entre eux sont sur le point de prendre une décision qui changera leur vie, mais il y
en a d’autres qui reviennent de leurs abîmes, dans lesquels se sont eux mêmes jetés il
y longtemps : une jeune fille de quinze ans qui s’est enfuie de la maison lui demandera
de l’aide, un sans-emploi essaiera une dernière action désespérée, une religieuse nordaméricaine s’obstinera à arracher une photographie aux échos de la nuit, pendant
qu’une prostituée française ne veut que voir la journée arriver à sa fin. Combien
d’autres personnages peuvent-ils apparaître en une nuit pour jouer avec le destin d’un
homme? A la fin, Paul ne sera déjà plus le même et il devra prendre la décision la plus
importante de sa vie...qui d’ailleurs ne vaut rien.
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Quatre acteurs ont des rôles doubles; ils jouent donc deux personnages différents.
Comme plusieurs histoires se déroulent simultanément, la pièce est relativement compliquée
avec ses trente deux scènes.
Le premier acte de la pièce est situé à Montréal, jusqu’au moment où le personnage
principal décide de s’en aller au Mexique. À partir de ce moment là, presque toutes les scènes
ont lieu à Mexico, ce qui justifie que les langues parlées dans la pièce sont le français,
l’espagnol et l’anglais. Dans la pièce aussi les trois langues sont présentes, de plusieurs
manières: il y a différents types de scènes, des scènes entièrement en français, des scènes
entièrement en espagnol, des scènes en espagnol et anglais, des scènes en espagnol avec un
peu de français. Naturellement les scènes en français sont jouées par les Québécois mais eux
jouent aussi en espagnol et en anglais. Le metteur en scène explique les critères employés pour
le choix des langues:
Nous cherchons l’utilisation des trois langues en donnant la priorité au fait
scénique, c’est à dire à l’action: il est important que le langage soit compris par l’autre
personnage comme élément fondamental pour que le développement du conflit
scénique, c’est à dire pour que l’action avance. Pour que la rencontre aie lieu. Si les
personnages réussissent (ou non) à communiquer…ce que le spectateur devra
comprendre c’est la situation, et non pas notre langue.
4.3. Analyse
Nous analyserons le point de départ du montage que réalisera cette équipe en tenant
compte des éléments qui influencent la création de la confiance dans les relations
interpersonnelles. Ensuite nous soulignerons des aspects prometteurs ainsi que les risques qui
pourraient se présenter au cours du montage. Ces difficultés pourraient jouer sur la confiance
ou sur l’apprentissage des membres de l’équipe.
4.3.1. Le sous groupe québécois
103
Selon la définition de la compagnie donnée par ses propres membres, le goût du risque
est assumé sous la forme d’une recherche acheminée vers la rencontre avec d’autres cultures
et des artistes « d’ailleurs ». L’aspect important qui nous semble implicite est leur ouverture à
d’autres ou à la créativité exprimée par l’idée d’un « langage théâtral renouvelé ».
Ce goût du risque se traduit par leur intention de réaliser des projets interculturels
malgré les complications qui peuvent en résulter. Les membres de la compagnie québécoise
rencontrent, à travers ces projets, des manières différentes de créer, ce qui les stimule car ils
découvrent de nouvelles possibilités. Pour la compagnie québécoise ce désir de rencontre nous
semble provenir d’ une approximation à leur identité, une sorte de recherche de nouvelles
réponses face à des expériences de vie marquantes comme le fait d’immigrer jeune dans une
autre culture.
À l’origine de la formation de cette compagnie se trouve la relation entre Mélissa et
Jean. Nous analyserons son évolution en termes de la création de la confiance à travers
différents moments de la relation. Le premier aspect qui semble avoir une grande importance
en tant que base de la confiance est la connaissance de l’autre qu’ils ont atteinte grâce à des
expériences partagées. Le fait de se retrouver dans le cadre de leur formation professionnelle
leur a permis de passer beaucoup de temps ensemble et de se connaître dans des circonstances
diverses.
De plus, pendant ces années de formation, ils ont partagé non seulement des cours
réguliers, mais aussi un espace où leur participation de nature volontaire, favorisait
particulièrement leur créativité. Ainsi, très vite ils ont commencé à jouer et à créer ensemble.
Naturellement, ils se sont alors connus davantage sur le plan artistique. Du point de vue de la
dynamique de la confiance, lorsque les personnes peuvent se connaître elles deviennent plus
prévisibles l’une pour l’autre et cela donne une information plus complète pour savoir pour
quelles choses les personnes sont fiables et dans quelles conditions.
Mais la confiance qui existe entre Mélissa et Jean est aussi basée sur la perception de
la compétence de l’autre car ils voient, chacun dans l’autre, un bon acteur. Ils respectent le
talent de l’autre, donc leur perception de la compétence de l’autre est très favorable.
Il y a eu aussi des événements particuliers qui ont consolidé la confiance dans leur
relation. Mélissa a commenté que le comportement de Jean, lors de son accident ou quand
elle risquait de perdre le droit de finir sa formation, lui a permis de confirmer qu’elle pouvait
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lui faire confiance comme ami, dans des situations critiques. Cet épisode a été marquant
positivement pour leur relation. En effet, Mélissa et Jean ont par la suite décidé de devenir
colocataires et cette nouvelle situation les a favorisé qu’ils se connaissent mieux sur le plan
humain. En outre, il y a eu aussi, dans cette relation, une forte identification en termes
d’objectifs à atteindre et d’une vision du théâtre similaire et partagée.
Nous mentionnons cette identification et cette vision partagée à la fin de notre
énumération des bases de la confiance mais cela ne signifie pas que cet aspect soit devenu
important seulement après quelques années; au contraire, il a été présent probablement dès le
commencement de la relation.
Cependant, leur vision du théâtre a aussi évolué au contact des influences importantes
comme celle des maîtres russes qui les a fortement marqués. Le programme avec les
professeurs russes ne faisait plus partie de leur formation mais ils avaient décidé d’aller
ensemble aux États-Unis suivre ce cours. Et justement, dans ce nouvel espace de formation,
Mélissa et Jean ont rencontré les deux autres membres, Lucie et Roland,
avec qui ils
fonderaient leur compagnie un peu après.
Selon l’entrevue de Lucie, la confiance entre les quatre est basée, en premier lieu, sur
une identification produite dans le contexte de cette rencontre avec les russes aux États-Unis,
où ces acteurs francophones étaient en minorité dans un groupe majoritaire d’anglophones. La
vision du théâtre de Lucie et des trois autres acteurs se définissait d’abord en opposition à
celle des participants américains.
Les bases de la confiance, dans la relation entre Mélissa et Jean d’un côté, et Lucie et
Roland de l’autre, sont au départ, en lien avec cette identification qui s'est produite
relativement vite, encore plus prononcée, probablement aussi à cause du contexte où elle a eu
lieu. Le contexte de cette rencontre a été déterminant car l’influence des maîtres russes
marquerait fortement ces acteurs. À travers ce contact, leur activité artistique prenait plus de
sens; en même temps, cet atelier leur fournissait des éléments supplémentaires pour voir plus
clairement quels pouvaient être les avantages de fonder une compagnie. Dans son entrevue,
Mélissa nous avait expliqué qu’elle avait l’idée de la compagnie depuis ses premières années à
l’école de théâtre, mais ce désir, au début, lui semblait plus un « rêve lointain » qu’un projet
réalisable. À partir de cette expérience avec les russes, l’idée de la formation de la compagnie
avait pris plus de force.
105
Il a fallu attendre un peu de temps encore pour que le projet soit plus mûr et que les
circonstances soient plus adéquates, mais la volonté de fonder la compagnie a abouti à
l’intégration d’une première tentative d’équipe de onze personnes. Le projet était de monter un
spectacle inspiré d’une oeuvre littéraire connue. Mais comme il était trop compliqué et
ambitieux, il n’a pas réussi. Cependant, les cinq mois de travail pour réaliser ce projet qui n’a
pas abouti, ont servi à déterminer quelles personnes avaient la disponibilité et la capacité pour
créer réellement la compagnie. Parmi les onze personnes qui avaient participé à ce projet de
création collective, seulement quatre étaient assez convaincus, comparés aux autres personnes
qui n’avaient pas fait ce choix, pour s’engager à fond dans un tel projet. C’étaient précisément,
Mélissa, Jean, Lucie et Roland, les quatre personnes qui avaient vécu l’atelier avec les russes
et qui partageaient des valeurs semblables concernant le théâtre.
Par la suite, l’engagement de constituer une compagnie a eu un effet formateur et
unificateur pour eux comme comédiens et aussi comme équipe de travail. Cependant leur
force a été mise à l’épreuve à plusieurs occasions. Par exemple lors du montage du spectacle
« Migrations I », la relation entre Mélissa et Jean a traversé une période critique, ils ont eu
besoin de fixer de nouvelles limites. Malgré que la confiance interpersonnelle existait, il y
avait probablement des problèmes qu’ils n’avaient pas été capables de résoudre. Mélissa avait
eu, avant de commencer le projet « Migrations I », un contrat pour travailler dans une
coproduction avec le Mali et Jean après, pendant le montage pour « Migrations I » avait
critiqué ce travail mais d’une manière désagréable. Ils avaient vécu de fortes tensions qui
avaient mis en doute la possibilité de continuer ce montage. Cependant, ils avaient trouvé des
solutions à ces conflits et leur relation avait pu continuer. Dans ce cas concret, il y a eu des
moments où chacun remettait en question son désir de poursuivre ce projet et même de
continuer à travailler ensemble.
4.3.2. La compagnie mexicaine
En lisant la définition que la compagnie mexicaine donne d’elle même, nous notons
un certain goût du risque. Ses membres écrivent textuellement : « …nous voulons courir tous
106
les risques et commettre tous les péchés » et ils ajoutent que c’est cette disposition qui donne
du sens à leur complicité.
Les relations interpersonnelles dans cette compagnie sont aussi marquées par
l’existence d’une confiance qui s’est construite, peu à peu, au cours des années et des
expériences de travail partagé. Béatrice nous avait expliqué comment elle avait attendu
plusieurs années avant que Julio accepte sa participation pour formuler des commentaires
adressés aux acteurs.
Cette compagnie mexicaine, réalise surtout des projets au Mexique mais elle aussi
ouverte à l’échange. Une des preuves de cette volonté de rencontre est que le metteur en
scène de la compagnie mexicaine est allé à Montréal en 1995 pour y faire une résidence et
développer un projet. Cette volonté d’aller vers une autre culture est présente dans les deux
compagnies mais elle a des raisons et des expressions différentes dans chacune d’elles. Pour
les mexicains, l’intention qui les motive semble différente à celle des Québécois, ils veulent
probablement connaître comment se fait le théâtre ailleurs et avoir accès à d’autres
perspectives de la vie.
En ce qui concerne la relation entre Julio et Juan Cristobal, nous pouvons apprécier
que la confiance qui existe entre eux celle-ci est importante et elle se base sur une
reconnaissance de la compétence de l’autre, sur des expériences passées de travail en commun
et sur leur manière de s’engager dans des activités reliées au théâtre. En les écoutant parler et
en les observant agir, nous notons, chez chacun d’eux, un plaisir et une passion évidents pour
réaliser différentes activités reliées au théâtre.
4.3.3. La formation de l’équipe
La construction de la confiance dans les relations entre les membres des deux
compagnies et avec les acteurs mexicains invités à se joindre au projet a été également un
processus où nous distinguons différentes étapes. Comme point de départ du processus, nous
considérons le moment où les acteurs québécois ont vu une première pièce de théâtre mise en
scène par Julio. Il s’agissait d’une adaptation de Juan Cristobal à un texte de Joyce qui les a
impressionné fortement : ils ont apprécié son utilisation du corps, son sens esthétique et son
style théâtrale en général.
107
Pour les acteurs québécois, l’occasion de travailler avec des membres de cette
compagnie mexicaine s’est présentée une année plus tard, lorsque Julio réalisait un stage à
Montréal. Comme Mélissa avait un contrat en Europe, elle a dû quitter mais Lucie et Jean ont
accepté de participer à un court projet avec Julio. C’était la première fois qu’ils travaillaient
ensemble mais c’était aussi la première fois que les acteurs québécois, organisés comme
compagnie, avaient un metteur en scène, Julio a donc été leur premier metteur en scène. Cette
situation a permis à Julio de connaître aussi le travail et la capacité de ces acteurs et elle leur a
fourni l’occasion de se rendre compte comment Julio travaillait avec eux.
À partir de cette expérience a surgi le désir de travailler ensemble à nouveau dans
l’avenir et la confiance a commencé à se créer, basée sur le perception de la compétence de
l’autre, sur les affinités personnelles et sur des aspirations partagées.
Un autre projet de collaboration plus long demanderait des conditions propices et cela
impliquerait des efforts soutenus pendant plus longtemps. Nous savons que, du côté de la
compagnie québécoise, un pas important dans la démarche pour élaborer un projet conjoint, a
été leur premier voyage à Mexico où l’entente de coproduction a pu être discutée. Julio leur a
présenté des acteurs mexicains, de possibles candidats à s’intégrer au projet. Par la suite il a y
eu des changements car certains de ces acteurs n’ont pas pu continuer. La confiance qui
existait jusqu’à ce moment était basée sur la perception de la compétence, mais ce voyage a
servi, aussi pour que la confiance se fonde aussi sur la perception de la disponibilité de l’autre.
Les uns ont donné des preuves de cette disponibilité en entreprenant le voyage, et les autres
par la qualité de leur accueil. Nous le constatons lorsque, dans son entrevue, Mélissa raconte
le voyage que les trois acteurs québécois ont réalisé à Mexico. Ces jours passés à Mexico ont
été qualifiés d’ « intenses » et Mélisa, Lucie et Jean ont apprécié la disponibilité du metteur en
scène pour passer du temps avec eux. Ils ont vu ensemble plusieurs pièces de théâtre et de
films intéressants et cela a probablement ouvert entre eux un espace de communication et de
partage et leur a permis de se connaître davantage sur le plan humain et artistique. Ce voyage
a mis en évidence la volonté qui existait des deux côtés pour réaliser ce projet malgré les
difficultés qu’il représentait, surtout sur le plan financier.
Quelques mois plus tard se produisait la
deuxième rencontre, cette fois « plus
officielle ». Celle-ci rassemblait les six acteurs, le metteur en scène et l’auteur, à Montréal.
Ainsi le projet démarrait sous la modalité d’un atelier, d’une durée courte mais intense, pour
108
créer du matériel qui servirait à écrire la pièce que les acteurs joueraient ultérieurement. Le
choix des acteurs invités par la compagnie mexicaine était bien défini à ce moment là et le
cadre de l’atelier permettait à tous de passer du temps ensemble pour se connaître un peu. La
confiance qui surgissait se basait aussi sur la connaissance de l’autre. Mais la perception de la
compétence était encore un élément essentiel.
Du point de vue de la confiance qui pouvait se créer dans les nouvelles relations, cette
visite à Montréal avait eu aussi l’avantage de permettre au Québécois de recevoir les
Mexicains chez eux. Pour épargner de l’argent, les visiteurs avaient été hébergés chez les
Québécois et cela avait aidé pour qu’ils se connaissent davantage, ce qui nous semble
particulièrement important dans le cas des relations très récentes comme celles qui existaient
entre les acteurs mexicains et les acteurs québécois.
Le fait de se connaître est un des éléments que la littérature mentionne souvent parmi
les bases de la confiance. Ce voyage a donné aux membres mexicains de l'équipe l'opportunité
de vivre aussi une expérience de déplacement, de dépaysement et de contact avec cette autre
culture. Ils ont aussi pris un peu conscience des adaptations qui viennent en contre partie de
cette situation. Le metteur en scène avait parlé de son expérience à Montréal: "J'avais
tellement froid que je sentais que je ne pouvais même pas penser!" La rencontre avait eu lieu
au mois de novembre qui n’est pas tout de même tellement froid mais le metteur en scène,
avait été sensible au changement de climat. Cette expérience a même eu un impact dans un
des passages de la pièce où un des personnages mentionne le froid et ses effets sur les
émotions des personnes.
Pour donner au lecteur une idée plus exacte de la situation des relations entre les
membres de l’équipe, nous l’illustrons dans la figure 4.1. où nous représentons les personnes
de cette équipe en mettant en évidence la distance qui existait entre elles, lors du point de
départ du montage. Il y avait des liens qui avaient permis une entente entre des membres de
deux compagnies mais nous observions aussi une distance entre les acteurs québécois et les
acteurs mexicains était visible, nous avons voulu représenter ces liens et cette distance entre
les personnes dans la figure 4.1.
109
110
4.3.4. Les aspects prometteurs
À partir de l’information obtenue jusqu’à ce stade, nous identifions des aspects qui
semblent prometteurs en termes des possibilités de réussite de ce projet et des apprentissages
qui peuvent se produire. Ces aspects prometteurs sont en lien avec des caractéristiques
favorables de la compagnie québécoise, de la compagnie mexicaine, du texte de la pièce et de
la relation entre ces deux compagnies. Dans la section suivante, nous signalons des aspects de
risque qui sont également présents.
Ces aspects prometteurs et de risques sont énumérés dans le tableau 4.2.
4.3.4.1. Les aspects prometteurs concernant la compagnie québécoise
Les acteurs de la compagnie québécoise ont une formation solide, de l’expérience
professionnelle accumulée, le désir d’aller rencontrer une culture différente à la leur mais, en
plus, ils ont l’avantage d’avoir une histoire partagée entre eux. Une historie qui les rend
complices et amis et qui signifie qu’ils peuvent se donner du soutien et s’aider entre eux. Ils
se connaissent beaucoup et savent quelles sont les forces et les faiblesses de chacun. Grâce à
ces liens qui existent entre eux, nous pensons qu’ils sont capables de mieux s’adapter aux
situations du séjour à Mexico et de donner plus comme artistes.
Pour les acteurs mexicains, le travail avec des acteurs québécois est prometteur car ils
peuvent apprendre de leur manière de jouer étant donné que les acteurs québécois sont plus
âgés que les Mexicains et, même si la langue est différente, ils peuvent porter une attention
particulière à leur jeu et cela peut les inspirer.
111
4.3.4.2. Les aspects prometteurs en lien avec la compagnie mexicaine
Les membres de la compagnie mexicaine ont aussi une expérience de plus de douze
ans de création sans interruption, un talent qui est reconnu et l’avantage de travailler ensemble
depuis longtemps, ce qui leur donne une grande assurance.
Mais une des différences importantes entre la compagnie mexicaine et la québécoise
est que les membres de la compagnie mexicaine ne sont pas des acteurs mais ont d’autres rôles
en tant que professionnels du théâtre; un est metteur en scène, un autre est auteur et un
troisième est responsable de la production. Par conséquent, ils peuvent engager des acteurs
différents selon les besoins des montages. Avec certains, ils maintiennent une relation assez
longue comme avec Mauricio qu’ils connaissent depuis cinq ans déjà; avec d’autres, la
relation s’établit seulement pour le temps d’un montage. Le nombre d’acteurs avec lesquels ils
travaillent varie aussi : ils ont travaillé parfois avec deux acteurs seulement ou avec trois,
quatre ou plus. Ainsi, ils ont une assez grande expérience et de la liberté pour choisir les
personnes avec qui ils veulent travailler. De plus, les membres de cette compagnie ont des
revenus relativement stables car ils occupent des postes dans des institutions qui sont en lien
avec le théâtre. Cela leur donne, en plus d’une sécurité relative, des ressources et des contacts
utiles. La compagnie mexicaine, créé depuis plus longtemps, en tant que compagnie a réalisé
plusieurs montages; certains sont de grands succès, comme une pièce qui est une adaptation de
Juan Cristobal à un texte de Joyce.
Pour les participants québécois, le projet du montage de la pièce de théâtre en
coproduction avec la compagnie mexicaine, tel qu'il a été conçu, leur offre une sécurité
relative car ils ont confiance dans le travail des partenaires qu’ils ont choisi depuis longtemps
et avec qui les relations sont satisfaisantes. Ce metteur en scène est une personne qu’ils
apprécient, du point de vue artistique et humain.
Si nous anticipons un peu sur le déroulement du travail, un aspect prometteur est relié
aux possibilités que la relation entre Julio et Juan Cristobal représente; en effet, pendant le
processus de son écriture, le metteur en scène et l’auteur ont travaillé ensemble. Cela permet
au metteur en scène de bien connaître le texte et, à l’auteur, de pouvoir échanger avec lui aussi
des idées sur la mise en scène, au fur et à mesure qu’évolue le montage. La possibilité de cet
échange d’idées restera-t-elle ouverte pendant tout le temps que dure le montage? À cause de
112
la relation étroite et amicale qui existe entre Julio et Juan Cristobal, nous nous attendons à une
réponse affirmative mais il pourrait y avoir des surprises.
4.3.4.3. Les aspects prometteurs concernant la relation entre les deux compagnies
Parmi les aspects qui nous semblent positifs se trouve le fait que ces deux compagnies
maintiennent des contacts depuis quelques années, qu’elles ont travaillé ensemble et qu’elles
ont apprécié cette expérience. La communication entretenue a aidé à consolider le projet
actuel et le travail accompli constitue une expérience passée positive.
De la communication entre les deux compagnies a surgi une équipe assez bien
équilibrée en termes du nombre de personnes participantes car la compagnie québécoise a
contribué non seulement avec la moitié des acteurs mais aussi avec deux des concepteurs,
celui du son et celui de l’éclairage.
Pour analyser la relation entre les deux compagnies, nous prenons comme référence
des comportements ou des actions qui représentent pour nous des indices de la confiance
existante. Ces indices de la confiance se manifestent de plusieurs manières. La volonté
d’apporter du temps, de l’énergie et les ressources économiques nécessaires à la réalisation de
cette pièce est un des premiers indices de l’existence de la confiance car cela implique un
effort considérable, de part et d’autre, en plus d’une planification, une communication et une
coordination entretenues bien à l’avance.
L'ouverture à la rencontre de la part de chacune des deux compagnies et de chacune
des personnes en particulier, est un autre des indices que la confiance existe entre les
personnes des deux sous groupes, dès le début du processus du montage de la pièce. Cette
confiance est basée sur la perception des compétences des membres de la compagnie
mexicaine qui ont réalisé au moins une dizaine de montages, sur des expériences passées, sur
la convergence de leurs visions du théâtre et sur une connaissance de l'autre.
Les valeurs et des buts partagés produisent, dés le départ, des conditions favorables à
l’émergence de la confiance dans les relations entre les deux compagnies. Leurs membres ont
mentionné, à des moments différents, que leur compagnie ressemble à une famille. La valeur
qui nous semble plus évidente dans les deux cas est celle de l’importance du niveau
113
d’engagement, ce qui se voit clairement lorsqu’on voit la place que l’activité théâtrale occupe
dans la vie de ces personnes et le sens que la création a pour elles.
Chacune des compagnies a l’opportunité d’enrichir l'équipe de son vécu, de son mode
de fonctionnement et de relations qui durent depuis plusieurs années, mais ces deux manières
de fonctionner risquent aussi de ne pas s’adapter l’une à l’autre et de susciter des malentendus
ou des situations de conflit. Les deux compagnies apportent aussi les nouvelles relations
établies avec des nouveaux membres, qui la plupart travaillent avec eux pour la première fois.
Ces nouvelles personnes suivent elles aussi un processus d’adaptation.
Pour l’auteur, le fait que le reste des membres de l’équipe lui demande d’écrire une
pièce dans un temps très limité et accepte l’idée de la jouer avant même de l’avoir lue,
représentait, en soi, une grande preuve de confiance des acteurs envers lui.
Du point de vue des concepteurs qui se sont intégrés au projet en répondant à
l’invitation de la compagnie québécoise, la preuve de confiance a été qu’ils aient accepté ce
travail qui demandait un déplacement de plusieurs semaines dans un pays étranger, alors qu’en
plus ils ne connaissaient pas toujours bien la langue parlée dans ce pays.
4.3.4.4. Les aspects prometteurs en lien avec le texte
Il nous semble positif que la pièce soit le résultat des improvisations des acteurs et
qu’il concerne des questions qui ont du sens pour eux. Ainsi, à la base, ce texte peut les
toucher simplement parce qu'ils ont contribué à sa création.
Ce texte présente l’avantage de favoriser l’intégration de l’équipe. Nous ignorons si,
au moment de son écriture, l’intention de contribuer à l’intégration a été pour quelque chose,
mais que cela ait été voulu et décidé dans ce but ou pas, il arrive tout de même qu’à cause des
entrelacements des situations, cette pièce donne à chacun des acteurs, la possibilité de
travailler de façon assez égale avec tous les autres. En outre, comme la plupart des scènes
sont des dialogues, cela permet à chaque acteur d’avoir une interaction personnelle avec les
autres cinq acteurs. Le fait d’avoir une scène à travailler invite chacun des membres à entrer
en relation avec les autres directement, au moins pour apprendre et ensuite pour répéter la
114
scène. Cela contribue à qu’elles se connaissent d’avantage et aide à construire des liens et de
la confiance entre les personnes qui travaillent ensemble depuis peu.
Une autre caractéristique du texte est qu’il présente dix personnages. Quatre, parmi
les six acteurs, ont des rôles doubles. Cela a comme avantage d’équilibrer l'importance de la
participation des six acteurs, ayant tous une importance semblable pour la pièce. Cela évite
que certains se sentent moins engagés que d’autres.
4.3.5. Les risques auxquels ce montage est exposé
Les risques sont tous les éléments que nous pouvons identifier, dès ce moment, qui
pourraient empêcher ou diminuer la réussite de ce projet. Nous employons le terme réussite
comme l’idée d’obtenir un bon résultat final: une pièce qui soit satisfaisante selon le critère du
metteur en scène mais qui soit aussi acceptée par le public.
Nous énumérerons ici séparément les principales problématiques associées au risque
mais en réalité, ces questions sont interdépendantes puisque la plupart de ces aspects ont une
influence sur les autres.
4.3.5.1. Les risques associés aux limites des ressources
L’aspect financier est traité en premier car les limites des ressources produisent
certaines conditions déterminantes du montage. Par exemple, la longueur du séjour des acteurs
québécois à Mexico dépend de la possibilité de son financement.
Un des risques associés aux ressources est qu’elles soient trop limitées et donc que le
temps pour réaliser le montage soit insuffisant. Les limites d'argent se traduisent par le besoin
de faire le travail dans le moins de temps possible. Est-ce que tous les acteurs s'ajusteront
assez bien à ces contraintes de temps? Seront-ils capables de prévoir comment travailler dans
le temps dont ils disposent?
L’importance de l’aspect économique se comprend mieux lorsque nous savons que
dans la compagnie québécoise, aucun des membres n’a une source de revenus stable. Leurs
revenus proviennent des contrats temporaires qu’ils signent et des subventions qu’ils
115
obtiennent d’organismes gouvernementaux qui soutiennent la création artistique au Québec.
Selon l’entrevue que nous avons eue avec le producteur québécois, les demandes de
subvention exigent de grands efforts, faits très à l’avance, pour réunir toutes les conditions que
ces instances demandent avant d’accorder des montants d’argent. Lorsque ces demandes sont
acceptées, l’argent, est généralement versé bien plus tard que ce qu’on attend et dans des
quantités souvent inférieures à celles qui ont été demandées. Cela par conséquence, implique
que cette compagnie se trouve assez limitée économiquement. Au moment des
représentations, un petit montant d’argent est récupéré grâce à la vente des entrées, mais, les
coûts des montage normalement surpassent ces revenus car il faut encore payer la location de
la salle de théâtre, le travail des techniciens et d’autres frais qui peuvent rendre les projets
déficitaires.
4.3.5.2. Le risque que le temps pour le montage soit trop court.
En deuxième lieu nous voulons parler de la disponibilité de temps car elle est une
conséquence directe de l’aspect financier. Étant donné cette limite d’argent, le temps pour
réaliser ce montage est relativement court parce qu’il coûte cher de financer le séjour des
acteurs québécois à Mexico. L’équipe s’est donc engagée à finir le montage en moins de deux
mois. Ce temps de travail est très court si l’on tient compte de l’extension de la pièce et de sa
complexité, du nombre d’acteurs qui y jouent, du fait que plusieurs relations entre ces acteurs
sont récentes, sans mentionner les complications supplémentaires qui proviennent du fait de
travailler en trois langues et en rapprochant deux cultures. En conséquence, les horaires des
répétions risquent d’être longs et le rythme de travail assez intense.
116
4.3.5.3. Les risques qui dépendent de la qualité des relations entre les acteurs.
Nous avons mentionné que les relations entre les acteurs de la compagnie québécoise
sont bonnes mais elles ont aussi traversé dans le passé des crises importantes. Existe-t-il le
risque que, sous les nouvelles conditions de pression, de nouvelles crises se présentent?
Nous pensons que le risque existe pour deux raisons: des événements critiques se sont
présentés dans le passé et le séjour dans un pays nouveau suppose de vivre des situations
d’incertitude. Il est vrai que même dans les relations longues et profondes, la confiance, par sa
nature propre, reste fragile et il existe le risque qu’elle subisse une rupture ou des
affaiblissements, selon les problèmes qui surgissent entre les personnes et leur capacité de
trouver des solutions. Le travail de coproduction avec la compagnie mexicaine est une
nouvelle situation où les tensions risquent de se présenter entre des acteurs qui se connaissent
depuis longtemps ou entre ceux qui ne se connaissent pas tellement.
Il y a un risque que l’équipe ne réussisse pas à s’intégrer et qu’une séparation marquée
se survienne entre les acteurs québécois et les mexicains, répercutant sur la qualité du
spectacle. L’intégration à faire est aussi celle de deux compagnies qui viennent de deux pays
différents, et qui ont aussi leurs propres visions du théâtre. Ces visions peuvent avoir des
points en commun qui facilitent leur convergence vers des objectifs semblables mais il existe
le risque que, dans la pratique et dans le travail réalisé au quotidien, les personnes de ces
compagnie découvrent aussi des différences importantes qu’ils n’avaient pas vues avant, qui
peuvent les confronter. En réalité, tous les membres de l’équipe devront aussi s’adapter à
travailler en concordance avec les deux modes de fonctionnement de ces compagnies,
implicites dans leurs façons de travailler. Chacune d’elles a des règles explicites mais aussi
de ses accords implicites.
Résumant cette idée, ce temps assez court est un facteur de risque non seulement pour
ce qui est du travail mais aussi pour assurer une bonne intégration de cette équipe. Voyons
quels autres éléments se rapportent à l’intégration de l’équipe. Nous pensons que cette équipe
est déséquilibrée dans le sens qu’elle est composée par des personnes qui se connaissent
beaucoup et par d’autres qui travaillent ensemble pour la première fois. Le risque dans cette
situation est que le leader ne soit pas capable d’agir pour que de nouveaux liens se tissent
117
assez rapidement et pour que les personnes qui se connaissent d’avantage n’adoptent pas des
comportements qui excluent les autres.
4.3.5.4. Les risques associés au difficultés de communications à cause des langes
Un autre risque est que l’emploi du français peut représenter, pour les acteurs
mexicains, une barrière pour le rapprochement entre les acteurs de la compagnie québécoise et
les acteurs mexicains. Pour deux des acteurs québécois, la compréhension de l’espagnol n’est
pas simple et cela rend leur travail plus difficile. Auront-ils l’ouverture et la patience
nécessaires pour relever ce défi?
Le jeu dans les trois langues représente aussi pour l’équipe de travail une expérience
nouvelle qui implique de courir le risque de ne pas être compris par le public mexicain,
auquel est destinée la pièce, qui n’est pas nécessairement bilingue, encore moins trilingue.
4.3.5.5. Les risques que les attentes soient trop élevées et ne soient pas satisfaites
Lorsque nous parlons de risques nous nous demandons: Quel rôle jouent les attentes?
Les attentes ont probablement surgi, pour les acteurs québécois et les mexicains aussi,
probablement à partir du premier contact avec le metteur en scène qui a été, la pièce de théâtre
sur le texte de Joyce. Comme cette pièce leur a plu énormément, elle reste, pour eux, une sorte
de point de référence, une sorte de modèle du type de travail qu’ils aimeraient réaliser.
Justement, cette pièce est celle que Mélissa avait beaucoup appréciée à Montréal, en 1995. De
son côté, c’est à dire au Mexique, Mauricio aussi l’avait vue, dans sa ville, parce que cette
pièce avait été jouée dans différentes villes importantes du pays. Cette pièce les avait motivés,
tous les deux, chacun de leur côté, des années avant, non seulement à rencontrer ce metteur en
scène mais aussi à travailler avec lui. Mauricio avait pu prendre contact avec lui peu de temps
après, tandis que Mélissa, Lucie et Jean avaient attendu un peu plus avant de pouvoir
rencontrer Julio. Cette rencontre, avait eu lieu, pour eux, lorsque Julio est revenu à Montréal
en vue de trouver des acteurs pour réaliser un petit projet. Dans le cas de Mauricio, sa
118
possibilité de travailler avec Julio a dépendu de sa décision de déménager de sa ville natale
pour venir le rejoindre à Mexico.
Nous voyons alors comment une des mises en scène du metteur en scène a été une
première référence de sa compétence aux yeux des acteurs. Une référence marquante sans
doute, d’ailleurs cette pièce à été jouée à différentes reprises et toujours avec beaucoup de
succès.
Cette première impression positive a crée chez les acteurs une attente parfois non dite
de réaliser un travail, sinon pareil, du moins « aussi bon » ou semblable. Or, cela semble
difficile au départ pour les raisons suivantes: la présente pièce de théâtre ne sera pas montée
dans des conditions semblables, ni se basera sur un texte du même type. Le texte de la pièce
dont on parle est une adaptation d’une œuvre classique de Joyce, tandis que ce texte est une
sorte de création collective qui donne lieu à une histoire originale, moderne mais qui a été
écrite très rapidement et avec l’intention de s’adapter aux caractéristiques des acteurs. Donc
les deux types de textes sont différents.
La présente pièce doit être montée dans un temps extrêmement court, avec le double
d’acteurs, et sur un texte fragmentaire et complexe. Dans l’adaptation du texte de Joyce dont
nous parlons, il y a trois personnages seulement et trois acteurs; dans la pièce que nous
analysons, il y a six acteurs et dix personnages. Il est probable de retrouver le même style
théâtral du metteur en scène et une qualité similaire de la mise mais il y aura probablement des
différences importantes, notamment celles qui proviennent du texte. Seront–elles très
importantes? Est-ce que les acteurs sauront accepter ces différences? Seront-ils prêts à ne plus
avoir cette autre pièce qu’ils ont tellement aimée comme un point de référence qui est presque
comme un idéal?
Les attentes ne sont pas seulement celles que nous venons de mentionner mais il existe
des attentes qui ont surgi, peu à peu, à cause de tous les efforts que ce projet implique en
termes de préparation. Construire des conditions pour pouvoir commencer le travail du
montage a été en soi, un travail considérable et long. Ainsi, avant même de pouvoir
commencer les répétions,
une impressionnante quantité d’énergie
a été déployée pour
construire le cadre où aurait lieu le travail artistique. Ces efforts ont été motivés par un grand
désir de rencontre et par la croyance que cet échange interculturel sera enrichissant du point de
vue artistique et humain. Cette croyance a, naturellement, un aspect positif mais elle risque
119
d’agir comme un couteau à double tranchant; d’un côté, les membres de la compagnie, après
un processus de préparation si long, sont prêts à s’engager très sérieusement, à donner le
meilleur d’eux mêmes mais, d’un autre côté, il serait logique de penser qu’ en contrepartie ils
aimeraient que leurs efforts soient récompensés par un travail très satisfaisant, une expérience
à la hauteur de tous les efforts réalisés et du temps que la préparation de ce projet a demandé.
Comment sera l’expérience en réalité? Est-ce qu’elle correspondra à ces attentes ou pas? Il est
possible qu’elle corresponde à ces attentes mais il se pourrait aussi qu’il y ait des aspects qui
surprennent ou déçoivent les membres de l’équipe à cause d’un décalage entre ce qu’ils
attendent et les possibilités réelles que ce montage leur offre. Est-ce que les attentes sont trop
élevées?
D’autre part, cette entente continue d’impliquer pour les acteurs québécois de se
déplacer et d'assumer des dépenses plus grandes que s’ils restaient à Montréal. Outre l’aspect
budgétaire, le déplacement leur demande en plus divers efforts d’adaptation. Certains, plus
élémentaires, concernent des questions de la vie quotidienne comme les horaires des repas, le
type d’alimentation et le logement. D’autres aspects sont reliés au fait de vivre dans une ville
où une série de conditions changent par rapport à la ville de Montréal.
4.3.5.6. Les risques reliés à la compréhension du texte
En fait, ce texte n’a été complétée que quelques semaines avant l’arrivée de la
compagnie québécoise au Mexique sauf pour la dernière scène qui a été écrite à peine vers la
fin du montage. Le texte donne quelques informations essentielles mais comme il se construit
à partir de fragments d’une multiplicité d’histoires entrelacées qui s’entrecroisent, il a
l’inconvénient de devenir assez complexe et de laisser plusieurs questions sans réponse. Le
spectateur ne peut pas en savoir plus par le texte et doit alors chercher ses propres
explications. Mais cela est peut être vrai pour certains acteurs qui pourraient ressentir de la
confusion face à un texte un peu surréaliste où quelques situations manquent de logique. Le
texte ne les explique pas tout à fait, ou du moins pas explicitement. L’acteur, s'il en ressent le
besoin, construira pour lui une certaine logique afin de donner plus de sens à ces fragments
d'histoires.
120
Après avoir énuméré des aspects qui représentent des risques ou qui sont prometteurs
pour différentes raisons, nous proposons au lecteur de consulter le tableau 4.2. où est
condensée cette information. Les mêmes éléments qui sont potentiellement un risque,
constituent aussi une possibilité de devenir un point favorable. Cette évaluation de ces
caractéristiques du projet est utile pour que le lecteur apprécie le type de défi auquel cette
équipe fera face à travers le montage de la pièce tant pour l’aspect relationnel comme de la
tâche.
121
Tableau 4.2.
Les aspects prometteurs et les risques présents au point de départ
En lien avec:
Les aspects prometteurs
Les risques
La compagnie québécoise
- Les acteurs ont du talent et une
formation artistique très solide
- Ils ont une dizaine d’ années
d’expérience au moins
- Ils sont ouverts et disponibles à la
rencontre
- Ils ont des relations très étroites
entre eux
- Deux parmi eux savent bien parler
espagnol
La compagnie mexicaine
- Les membres de cette compagnie ont
du talent, une formation solide et plus
de quatorze ans d’expérience
- Ils ont des revenus stables et des
contacts institutionnels importants.
- La relation entre le metteur en scène
et l’auteur permet une collaboration
étroite qui en fait s’est produite dès le
stade de l’écriture de la pièce, donc le
metteur en scène connaît et comprend
bien ce texte. Au cours du montage, il
peut toujours demander l’avis de
l’auteur.
- Ils ont fait un bon choix d’acteurs
mexicains pour ce projet
- La relation a permis des ententes et
il existe une confiance qui s’est
produite peu à peu. Elle est basée sur
la perception de la compétence de
l’autre, sur une certaine connaissance
de l’autre, sur des expériences passées
positives,
sur
des
points
d’identification concernant les valeurs
communes en lien avec le théâtre et
sur la disponibilité à la rencontre
- Il a été écrit spécialement pour ces
six acteurs. Il tient compte de leur
personnalité. Il concerne un peu ces
acteurs car il est écrit à partir du
matériel produit collectivement.
- Il favorise l’intégration de tous par
sa structure où les scènes de deux
personnages sont très nombreuses et
créent des conditions pour que tous
entrent en contact directement avec
les autres.
- Il favorise l’équilibre de la
participation de tous car la charge de
travail est également distribuée.
- Les québécois peuvent avoir des
difficultés à s’adapter à Mexico.
Ils peuvent avoir des problèmes entre
eux.
-Un acteur
ne parle pas bien
espagnol. Il a des difficultés à
communiquer
avec
les
autres
membres qui parlent en espagnol.
L’autre qui le parle mieux peut aussi
avoir
des
difficultés
de
compréhension
- Les membres de la compagnie
mexicaine pourraient ne pas donner
tout le soutien dont les participants
québécois ont besoin en raison de leur
condition d’étrangers à Mexico
- Les membres mexicains de l’équipe
pourraient avoir de la difficulté à
s’intégrer avec un groupe qui parle
une langue qu’ils ne comprennent pas
et à s’adapter à leur manière de jouer
qui comporte des différences.
La relation entre les deux
compagnies et avec les acteurs
mexicains
Le texte
- Ces deux compagnies ont des
parcours différents et des
fonctionnements propres.
- Dans la pratique, leur visions
peuvent s’avérer moins semblables
que ce qu’elles paraissaient au début.
- L’intégration de l’équipe doit se
faire en très peu de temps
- Le texte n’a pas pu être connu à
l’avance par les acteurs car
l’engagement de jouer ce texte a été
pris avant la fin de son écriture.
- Le texte est assez complexe car il
présente dix personnages et leurs
histoires sont très fragmentées.
- Le texte est surréaliste et parfois
confus et un peu illogique.
- L’auteur pense que les acteurs
pourraient ne pas comprendre
exactement le ton de la pièce.
122
La disponibilité des ressources - Les deux compagnies ont fait un
- Malgré l’apport des deux
compagnies, payer le séjour des
Québécois à Mexico est cher
- La question qui se pose est : Est-ce
que le temps et les ressources seront
suffisantes pour couvrir tous les
besoins du montage et ses imprévus?
L’utilisation des trois langues
- L’emploi de trois langues dans les
répétitions risque de compliquer la
communication entre les acteurs et le
metteur en scène qui devra diriger des
scènes en français, alors qu’il ne le
parle pas.
- Les attentes de réaliser une pièce
similaire à celle de l’adaptation du
texte de Joyce peuvent provoquer une
déception car les caractéristiques de
cette pièce au départ sont très
différentes.
- Les attentes résultant des efforts
déployés avant de se réunir et
commencer à travailler peuvent
engendrer un niveau d’exigence trop
élevé, alors, chacun peut sentir qu’il
doit donner beaucoup trop et espérer
aussi que les autres agissent de la
sorte.
- Le public peut ne pas comprendre
les scènes qui se passent en français
ou ne pas aimer la pièce pour
différentes raisons
Les attentes
Le public
apport équivalent pour financer ce
projet et cela démontre déjà une
grande disponibilité pour s’engager
- La compagnie mexicaine met au
service du projet des ressources qui ne
sont pas seulement économiques : un
soutien institutionnel est offert et se
traduit, par exemple, par un prix plus
avantageux pour la location de la salle
de théâtre
- L’emploi de trois langues dans la
pièce est un aspect qui rend la pièce
attirante car c’est une sorte
d’expérience nouvelle qui permettra
de distinguer entre le langage théâtrale
et le langage parlé
- Les attentes surgies du premier
contact avec le travail de Julio et de
Juan Cristobal ont stimulé des acteurs
mexicains et québécois à vouloir
travailler avec eux
- Les attentes de réaliser un travail
stimulant ont aidé à organiser ce
projet et à fournir les conditions dans
lesquelles il sera accompli
- Le public peut être attiré par l’idée
de voir une pièce originale, écrite par
un auteur renommé au Mexique et
mise en scène par un metteur en scène
dont la réputation est excellente
4.4. Conclusion
À partir de cette révision des événements nous montrons que, lorsque le montage
comme tel a commencé, la relation entre la compagnie québécoise et la compagnie mexicaine
avait déjà suivi un parcours de plusieurs étapes et à travers ce cheminement la confiance se
construisait progressivement. Nous avons analysé les principales étapes de ce parcours et nous
avons souligné les comportements qui mettent en évidence leur disponibilité et leur envie de
travailler ensemble. Ces aspects sont clefs pour la réussite du spectacle qu’ils veulent créer.
123
À partir de la description et de l’analyse que nous avons proposée, nous retenons les
caractéristiques les plus marquantes de ce projet:
1) L’aspect interculturel exige diverses adaptations, l'une d'elles étant l’emploi de trois
langues;
2) La formation de l’équipe de travail à partir d’une entente de coproduction de deux
compagnies de théâtre composées par des personnes qui s’identifient sur certains points
concernant leur vision du théâtre;
3) Le budget limité qui a des conséquences importantes sur le travail;
4) Un texte, écrit exclusivement pour ces acteurs, après d’un atelier d’improvisation, original
mais compliqué.
Dans cette description et dans l’analyse qui a suivi, nous avons porté notre attention
sur des éléments qui nous ont semblé déterminants pour la formation de cette équipe. Cela a
mis en évidence qu’il y a des relations très longues et profondes, de plus de dix ans, des
relations d’une durée moyenne, d’environ cinq ans, et d’autres très récentes. Les bases de la
confiance dans ces relations interpersonnelles varient, naturellement. Nous sommes face à un
groupe très hétérogène et on pourrait même dire déséquilibré parce les acteurs québécois ont
entre eux des liens très forts et anciens, tandis les acteurs mexicains, travaillent ensemble pour
la première fois.
Cette récapitulation ayant été faite, il y a deux facteurs qui nous semblent
essentiels pour la suite car ils pourront déterminer si les aspects prometteurs seront plus
importants que les facteurs de risque:
1) Le rôle du metteur en scène. Nous pensons que sa manière de mener ce groupe pourra créer
une intégration et une cohésion ou au contraire accentuer les différences présentes depuis le
début.
2) L’attitude et le comportement de chacun des acteurs vis à vis des autres, dans chaque troupe
surtout en ce qui concerne les relations entre mexicains et québécois.
Une autre considération est que même dans les relations de longue date, la question de
la confiance reste importante et sujette à des changements. Des événements ou des
comportements divers peuvent la renforcer ou l’affaiblir.
Selon nous, un élément unificateur de grand poids, est la motivation partagée de
participer à une expérience qui est vue, par chacun des participants de cette équipe, comme
124
enrichissante et nouvelle. C’est leur désir de vivre cette expérience ensemble malgré les
complications qui risquent de se présenter. Bien que les raisons profondes pour s’inscrire dans
ce projet puissent varier d’une personne à l’autre, la disposition à la rencontre présente dans
chacune des personnes et constitue un facteur qui stimule et donne du sens à ce défi que
chacun a accepté de relever de son mieux. Est-ce d’autres difficultés qui ne sont pas encore
visibles à cette étape surgiront par la suite? Est-ce que ces éléments positifs seront suffisants
pour que le projet réussisse? Donc à partir même des point communs il y a encore des motifs
différents. Est-ce que ces différences causent des problèmes? Ou bien les points communs les
rapprochent et permettent une bonne compréhension entre ces partenaires?
125
CHAPITRE V
ANALYSE DE L’ÉTAPE 1
5.1. Introduction
Ayant considéré les origines de cette équipe de travail, nous analyserons le processus
du montage de cette pièce selon trois étapes différentes. La première, qui fera l’objet de ce
chapitre, est celle où un des enjeux majeurs est celui de construire vraiment une équipe à partir
de deux sous groupes qui sont encore clairement séparés. Voyons comment les membres de
l’équipe s’y prennent et quels sont les résultats qu’ils obtiennent.
5.2. Définition des étapes
La première étape commence
au début du montage le 5 juin pendant que les
répétitions ont lieu dans une « salle de lecture »: elle se termine le 27 juin quand les répétitions
commencent à se dérouler dans le théâtre. Le fait de changer de lieu de travail influence le
processus à cause de la grande importance de l’espace et de ses conséquences sur le jeu. La
deuxième étape débute le 28 juin et finit le 7 juillet, lorsque les répétitions s’organisent, de
plus en plus, dans une perspective d’ensemble de la pièce et que la continuité entre les scènes
devient plus importante, l’équipe travaillant alors beaucoup plus sur l’enchaînent des scènes
en plus de soigner tous ses détails. À partir du 8 juillet commence la troisième étape durant
laquelle vont progressivement s’intégrer tous les autres aspects qui font partie de la pièce en
plus du jeu des acteurs : le son, les costumes, la mise en scène et l’éclairage. Cette étape prend
fin lors de la première présentation de la pièce devant le public, le 19 juillet.
À travers ces étapes, certains objectifs du travail varient. Dans la première, l’équipe
met d’abord l’accent sur les détails du jeu exclusivement, en travaillant sur chaque scène de
façon indépendante. Du point de vue de l’apprentissage, cette étape est fondamentale car elle
126
constitue la base du travail qui suit. Ensuite, même si l’on continue à tenir compte des détails
dans les scènes, l’attention commence à porter, de plus en plus, sur la pièce en tant qu’unité.
5.3. Description d’une journée de travail représentative de la première étape
La partie qui suit donnera au lecteur des exemples précis du travail effectué par
l’équipe. Étant donné que nous décrirons, dans les chapitres suivants, des journées
représentatives de la deuxième et de la troisième étape, le lecteur sera en mesure d’apprécier
les changements dans la dynamique du travail, d’une étape à l’autre. La description que nous
fournissons, sur cette journée représentative de la première étape porte sur des événements qui
ont eu lieu pendant le travail dans la salle et en dehors de la répétition, car ils nous donnent
des indications sur les interactions entre les membres de l’équipe et l’évolution de la confiance
qui se construit progressivement. À travers notre description des échanges qui concernent des
scènes en particulier, nous tentons de montrer au lecteur le type d’interactions qui servent au
processus de leur construction.
En raison de cette logique, nous parlerons, en premier lieu de la préparation au travail
qui est un temps pendant lequel les acteurs s’échauffent et commencent à entrer en contact les
uns avec les autres. En deuxième lieu, nous décrirons le travail de l’avant midi qui porte sur
plusieurs scènes. Nous soulignons particulièrement celles qui ont pris plus de temps et
d’attention. Nous mentionnons par la suite, certains événements qui se sont produits pendant
la pause du dîner, pour ensuite continuer à expliquer des moments importants du travail en
après-midi. La fin de la journée est le dernier moment que nous considérons. Il nous fourni des
informations significatives car c’est lorsque les membres de l’équipe échangent des
impressions personnelles sur le travail de la journée.
5.3.1. La préparation au travail.
5 juin 2001. Le rendez-vous pour commencer la séance de répétition est à 10 : 00
heures dans un des bâtiments de l’ensemble qui appartient à l’Institut National des Beaux Arts
127
au Mexique. Le théâtre est proche de là et il y a aussi deux petits restaurants où les membres
de l’équipe mangent car ils sont proches et pas chers. Le lieu où se déroulent les répétions est
une salle rectangulaire, au premier étage, qui a, au fond, du côté droit, une seule grande
fenêtre. Une table longue divise la pièce. Devant la table, l’espace plus grand est « la scène »;
derrière la table se trouvent cinq ou six chaises.
Nous arrivons à l’heure exacte. Avant d’ouvrir la porte, nous entendons une femme
qui chante. Quand nous entrons, elle nous sourit et elle arrête de chanter. C’est Lucie, une des
actrices de la compagnie québécoise. Elle est encore seule dans la salle car personne n’est
encore arrivé. Elle est de bonne humeur et elle se montre disponible pour nous parler
spontanément de sa vision des personnages de cette pièce. Elle a deux rôles différents: celui
d’une jeune fille française qui habite Montréal et celui d’une Canadienne anglaise qui veut se
rendre dans un pays de l’Amérique centrale, en passage à Mexico, entre deux vols. Elle
commente: « Ces personnages sont intéressants pour moi car ces femmes sont entre deux
cultures, comme moi en réalité. Mon père vient de l’Europe et ma mère du Canada. Quand
j’avais seize ans, j’ai déménagé au Canada ». À ce moment, deux autres acteurs québécois,
Mélissa et Jean, entrent dans la salle. Ils parlent français entre eux, ils nous saluent et ils
commencent à faire un réchauffement qui consiste en des étirements au sol, des vocalisations,
des gestes du visage. Il font des blagues, ils semblent se connaître depuis un certain temps.
Les acteurs mexicains, Mauricio, Claudia et Pablo arrivent ensuite séparément et
saluent en entrant mais il ne font pas beaucoup de conversation ni entre eux, ni avec les autres
acteurs. Ils font aussi des réchauffements. Le metteur en scène arrive vers dix heures vingt. Il
laisse encore du temps aux acteurs pour se préparer, il parle avec son assistante d’abord et
ensuite, un peu aux acteurs de sujets divers. À onze heures, il leur demande d’être prêts à
commencer la répétition. Les acteurs mexicains s’assoient du côté droit de la salle; les autres
se placent du côté gauche. Les québécois parlent en français entre eux; ni le metteur en scène
ni les acteurs mexicains comprennent le français, sauf une.
5.3.2. Le travail dans l’avant midi.
Conformément aux demandes de Julio, le metteur en scène, des paires d’acteurs
128
répètent des scènes en séquence désordonnée par rapport à la pièce. Julio interrompt
constamment le déroulement des scènes pour donner des indications. Les scènes, mais surtout
des séquences de scènes, sont répétées plusieurs fois de suite. Une phrase, l’intonation d’un
mot clef, un geste, une série de mouvements, une façon de marcher ou même un regard
peuvent faire l’objet d’une explication, d’une courte discussion ou de plusieurs essais
différents. Le metteur en scène se sert en quelque sorte des erreurs comme point de départ
utile. En fait, « les erreurs », ne sont pas vraiment « des erreurs » mais des choses que l’acteur,
à ce stade, ne sait pas encore comment faire, comment exprimer, comment dire.
L’objectif de ces interventions du metteur en scène est d’expliquer à l’acteur les
intentions des personnages et le type de relations qui existent entre eux dans les situations
précises que chaque scène présente. Il y a du temps pour poser des questions. Le metteur en
scène dit: « Commençons par la scène de la mère et de son fils Pierre ». Cette scène n’est pas
la première de la pièce et elle se déroule en français.
5.3.3. La scène de Pierre et de sa mère.
Jouée par Mélissa et Jean, la scène de Pierre et de Mélissa se passe à Montréal et
présente une relation extrêmement tendue et problématique entre un fils adulte et sa mère.
Lorsque la mère rentre chez elle, son fils est occupé avec l’ordinateur et elle est très déçue
car elle s’attendait à ce qu’il soit parti chercher un emploi. Elle commence par lui demander s’
il est allé à une entrevue d’emploi. Dans le ton de sa réponse, le fils donne l’impression de n’
avoir fait aucun effort pour obtenir ce poste; en conséquence, elle se met en colère contre lui,
mais il accorde peu d’importance à ses récriminations. Elle s’exalte, s’énerve. Le ton de ses
réclamations monte et s’intensifie de plus en plus, jusqu’à ce qu’elle pleure d’angoisse
tellement elle souffre pour son fils. Elle dit: « Je me suis juré de faire quelqu’un de toi ». À
l’opposé, le comportement de son fils marque un contraste, son indifférence et son ironie sont
des attitudes qui provoquent encore plus l’irritation et le désespoir de sa mère.
Les acteurs connaissent leur texte relativement bien mais il leur arrive encore d’en
oublier des parties ou de se tromper. Lucie suit leur jeu en lisant le texte au cas où ils auraient
besoin d’un soutien pour leur rappeler des parties. Quand cela arrive, l’acteur sur la scène dit
129
seulement « texte » et celui qui le lit en dehors de la scène peut lui dire les lignes manquantes
ou confuses.
Le metteur en scène fait des commentaires divers. Par exemple, il dit à Mélissa que les
actions qu’elle fait avec son sac, soit sortir une cigarette et prendre sa pilule pour les nerfs,
sont bien mais qu’elle doit être plus adroite, plus habile pour sortir son mouchoir. Il est assez
comique quand il ajoute: « Les femmes qui pleurent continuellement pour manipuler tout le
monde ont beaucoup de pratique pour trouver très vite leur mouchoir. C’est un article de
première nécessité pour elles ». Ce ton est tellement ironique que tous éclatent de rire. Le sens
de l’humour est souvent présent et il crée une ambiance de travail très agréable qui contribue à
stimuler la créativité. Pour cette scène, le metteur en scène demande à Jean de changer de ton:
« Quand tu te moques d’elle la première fois, tu es plus agressif; la deuxième fois, tu dois être
plus modéré. Faites attentions tous les deux à vos mouvements. Ton énergie, Mélissa, n’était
pas assez forte ». Il s’adresse encore à Jean: « On ne comprend pas bien ton travail avec
l’ordinateur: tu dois le définir mieux. Et il ne faut pas réfléchir tellement. Mélissa, ton attitude
corporelle est bonne ».
Dans cette scène, Paul, le personnage joué par Jean, demande à sa mère: « Pourquoi
te préoccupes-toi tout le temps de moi? Tu n’as pas de vie, toi? Tu n’attends pas deux minutes
que je sois sorti pour venir fouiller dans ma chambre! Qu’est ce que tu espères trouver?» Julio
intervient justement à ce moment du dialogue pour raconter une scène d’un film qui traite d’un
conflit entre une mère et son fils. Voici un extrait du récit de ce film: « En faisant le ménage
de la chambre de son fils, la mère trouve un cahier où il a des dessins d’hommes et un nom qui
revient souvent: Brian. Commençant à soupçonner que son fils est homosexuel, elle lui pose
des questions au sujet de ses relations amoureuses. Son fils est très gêné et il évite de lui
répondre. Par la suite, la mère rencontre une autre femme dont le fils est homosexuel; celle-ci
lui conseille de ne pas demander à son fils s’il est homosexuel. Selon elle, il faut juste lui
dire: « je le sais ». Après avoir parlé du film, Julio a fait des liens avec la scène de la pièce de
théâtre. Dans cette dernière, la mère soupçonne que son fils prépare quelque chose, même si
elle ne sait ni ce qu’il fera, ni quand il agira. Cette scène rejouée très souvent fera l’objet de
nombreuses modifications au cours du processus.
Pendant le travail sur la scène de Jean et de Mélissa, Julio dirige les acteurs, même
sans connaître le français, en suivant la version du texte en espagnol. Dans cette scène, les
130
personnages changent beaucoup d’attitudes et leurs émotions sont assez intenses. Le degré
supplémentaire de difficulté du jeu est dû au fait que les acteurs doivent trouver des manières
de montrer au public, qui n’est pas francophone, la dynamique de la situation de cette scène et
ses changements. C’est pourquoi le metteur en scène leur fait de nombreuses remarques sur
des aspects tels que les actions, le ton de la voix, les intentions des personnages et leurs
sentiments. Il veut que les acteurs soulignent davantage certains des traits de leurs
personnages comme l’aspect manipulateur de la mère ou l’insouciance du fils. Ce qui change
dans cette scène, par rapport à celles qui sont en espagnol, c’est que, par moments, les acteurs
ont besoin de se parler en français. Julio ne leur demande pas ce qu’ils disent. Selon nous, cela
représente un indice qu’il leur fait confiance, il sait qu’ils se parlent pour trouver des manières
d’améliorer leur scène. Ces mêmes remarques s’appliquent aussi aux autres scènes jouées en
français et pour lesquelles Julio commente les actions, le ton, la relation et la tension entre les
personnages en traitant peu du texte.
5.3.4. La Scène de Jean et de Marie Laure, sa blonde, en voiture.
Après cette scène, Julio demande à Jean et à Lucie de jouer la leur. C’est une autre
scène en français où on voit un couple au bord de la rupture qui discute pendant un trajet en
voiture. L’attention du metteur en scène porte sur les mouvements. Cette scène est assez
difficile parce que les acteurs simulent les mouvements de la voiture. Les accélérations, les
tournants, doivent être joués en même temps. Le metteur en scène partage une expérience
personnelle d’un accident de voiture parce que cette scène finit par un accident. Il leur
explique que le ton de la discussion entre les personnages monte, de plus en plus, jusqu’au
moment où se passe l’accident. Le metteur en scène explique aux acteurs qu’ils ne doivent pas
apprendre tous ces mouvements par cœur en voulant qu’ils correspondent toujours aux mêmes
lignes du texte. Ce qui compte pour lui, c’est que le public comprenne la relation entre les
deux personnages et le sens profond de la situation qu’ils vivent. Il leur dit que les
mouvements devraient venir plus naturellement. Naturellement, oui, mais il y a un problème
de taille; comment chacun des acteurs peut-il deviner les mouvement qui viendront
« naturellement » pour le partenaire puisqu’ils doivent les faire en même temps! Voilà un beau
131
défi…mais en répétant, répétant et répétant, les acteurs cherchent à donner l’impression que
ces mouvements sont « naturels » alors que, en réalité, ils demandent une grande coordination.
De plus, il ne faut pas oublier que le metteur en scène ne parle pas français. Il suit le texte
dans sa version espagnole, mais il se concentre sur la manière dont les choses sont dites. Il y
a encore de petites discussions entre les trois acteurs québécois sur la traduction en français
de certaines expressions du texte, écrit en espagnol… avec quelques expressions très
mexicaines qui n’ont pas un équivalent exact en français.
Le problème de la langue se présente aussi pour Jean qui parle français et anglais mais
qui ne comprend pas tout à fait
l’espagnol. Quand les commentaires s’adressent à lui,
Mélissa, qui parle parfaitement ces trois langues, traduit pour lui. Elle le fait de bonne volonté
mais Jean se fatigue à vouloir suivre tout le reste de ce qui est dit et ce qui n’est pas toujours
possible. Jean nous dit qu’il ne s’attendait pas à avoir autant de difficultés à cause de la
langue. Il est aussi obligé de demander souvent de l’aide à Mélissa pour comprendre des
commentaires que le metteur en scène adresse aux autres acteurs. Il aimerait certainement
mieux saisir, surtout quand tous rient des commentaires drôles qui montrent le sens de
l’humour de Julio.
5.3.5. La pause du dîner.
La pause du dîner est prévue à 14:00. En après midi, les acteurs québécois
commencent à avoir très faim à la suite de ce travail exigeant aux plans physique et mental.
Certains disent qu’ils se sentent mal à cause d’une baisse de leur énergie. Ils ne sont pas
encore habitués aux horaires des repas au Mexique.
À 14:00, le travail arrête. La reprise du travail est prévue pour 16:00. Les acteurs québécois
sortent et partent de leur côté, les mexicains aussi. Pendant le repas, un acteur québécois nous
raconte son rêve de la nuit dernière:
J’ai rêvé que j’étais le fils de parents psychologues et que je trouvais ça dur. Je
crois que ce rêve est en lien avec la scène que je joue avec Mélissa. Cette scène me
fait penser à ma relation avec mes parents. Pour jouer ce rôle, je m’inspire d’une
personne que je connais bien: mon frère. Il est un peu comme Paul, mon personnage.
132
Après, nous rencontrons Lucie; elle nous parle de son adaptation à la vie dans la ville
de Mexico. Elle dit qu’elle voudrait trouver une piscine pour aller nager tous les jours comme
elle a l’habitude de le faire au Canada mais, à Mexico, il faudrait qu’elle soit membre d’un
Club sportif ou qu’elle paye une inscription dans une école de natation. Puisque, après le
repas, il reste encore du temps avant de reprendre, les deux actrices québécoises relisent leurs
textes ensemble pour continuer à les apprendre par cœur. Tout en travaillant, elles font des
blagues.
5.3.6. Le travail en après- midi
À 16 :00, tous se retrouvent dans la salle. Le travail reprend c’est le tour de Mauricio
et de Pablo dans leur la scène du jeune et du « philosophe » qui se rencontrent dans la rue.
La scène du jeune et du « philosophe » présente deux personnages qui se retrouvent
pas hasard au coin d’une rue. Le premier, joué par Mauricio, est plongé dans de grands
questionnements philosophiques alors que l’autre, joué par Pablo, a un problème pratique à
résoudre…immédiatement. Il doit faire un choix qui changera, d’un seul coup, la direction de
sa vie. La conversation entre les deux commence lorsque le plus jeune, celui qui a ce problème
grave, est inquiet et demande quelle heure il est à l’autre. Étant donné que la communication
a été établie entre eux, le « philosophe » en profite pour partager la profondeur de ses
réflexions…pas très bien reçues par le premier!
Le metteur en scène dit: « Pablo, tu poses une question et, après, tu ne montres plus de
disponibilité à communiquer avec l’autre personnage ». Mais Pablo est vraiment préoccupé.
Ce n’est pas seulement le jeu de la préoccupation de son personnage. Comme acteur, il semble
anxieux; il ne comprend pas encore bien comment devrait s’établir le rapport entre les deux
personnages dans cette situation. Il est mal à l’aise aussi parce qu’il fait des erreurs de texte.
Nous le voyons au fait qu’ il a du mal à s’exprimer: il ne parle pas clairement, il est nerveux.
Le metteur en scène lui dit: « Tu as aujourd’hui une diction terrible! » En effet, il n’articule
pas les mots clairement.
Le metteur en scène lui explique:
Pablo, vu que tu as posé une question à Mauricio, tu es responsable d’avoir
133
ouvert une possibilité pour qu’il te parle. On a l’impression que tu n’écoutes même
pas la réponse qu’il te donne; c’est illogique puisque c’est toi qui a posé la question.
Écoute sa réponse d’abord; c’est après quand on doit voir que tu ne veux plus
continuer cette conversation parce que tu es trop préoccupé par ton problème et que
ses questions te perturbent.
En plus, Pablo ne comprend pas bien la fin de la scène. Il demande si son personnage
se sent plus tranquille. Le metteur en scène lui répond que, en fait, même si à la fin de cette
scène il est parvenu à prendre une décision, il n’est pas totalement libéré de son angoisse parce
qu’il souffre aussi d’une grande culpabilité, étant donné qu’il agira contre des principes de
son éducation. Mauricio, lui, semble plus clair ou simplement plus calme. Julio avait expliqué
à Mauricio comment devait être le ton de sa réplique: « Es hora de despertar ! » Il lui parle
d’un film qui s’appelle « El cumpleaños del perro ». C’est l’histoire d’un crime et de la fuite
des personnes coupables de l’avoir commis. À un moment donné, ils disent: « Nous sommes
en train de fuir! » Le metteur en scène montre sur quel ton est dite cette réplique par les
personnages du film et il affirme qu’il y a une certaine frivolité mais il y a aussi une vérité. Il
demande à Mauricio de prendre ce même ton pour son personnage mais il ne voudrait pas
qu’il l’imite; il voudrait qu’il comprenne le sens de cette phrase, dite de cette manière.
Mauricio pose quelques questions pour savoir s’il a compris correctement l’idée qui ne semble
toute fois pas encore claire pour lui.
Ensuite Jean et Pablo travaillent sur leur scène du « Mariachi » et de Pierre. Puisque la
pièce se situe d’abord à Montréal et ensuite à Mexico, la scène du « mariachi » est à peine la
deuxième fois où se rencontrent, à travers Jean et Pablo, les « deux mondes », le Nord et le
Sud, comme explique Julio. Et quelle rencontre! Julio explique que le surréalisme qui se
laissait sentir déjà un peu dès le début, monte encore d’un cran. Le touriste québécois se fait
attaquer, voler et ligoter par un homme vêtu en musicien traditionnel mais au chômage, car les
gens n’apprécient plus comme avant ce genre de musique! En plus, l’un parle en anglais et ne
comprend pas l’espagnol tandis que l’autre ne comprend pas un seul mot d’anglais. Les
malentendus entre eux deviennent assez comiques. Dans la scène, Jean ne comprend pas ce
que l’autre lui dit, mais dans la réalité il ne comprend pas non plus ce qui est dit en espagnol.
Quand Pablo personnifie « le voleur », le metteur en scène lui rappelle que son personnage ne
vole pas régulièrement; par conséquent, il ne doit pas montrer une trop grande assurance. Il
dit: « Tu n’es pas un professionnel; il faut que l’on voit que tu voles pour la première fois. Tu
134
hésites un peu. Tu as peur ».
Les acteurs posent des questions parce qu’ils ne sont pas encore sûrs de bien
comprendre la logique de leur personnage et de cette situation si bizarre.
Le metteur en scène répond à leurs questions en se servant d’exemples qui viennent de
films dont il se souvient avec de nombreux détails. Il explique à Pablo qu’il doit provoquer la
confiance de Jean, puisque son intention est de le voler. Il fait une analogie avec le film
« Dancer in the dark ». Il lui parle d’ un personnage qui agit d’une manière semblable. C’est
un « ami » d’une jeune fille aveugle, le personnage principal, qui travaille comme ouvrière.
Depuis de longues années elle épargne de l’argent pour payer la chirurgie qui sauvera la vue
de son fils. Elle se sent responsable de lui avoir transmis cette maladie de la vue. Au début, le
personnage en question inspire confiance, car il semble honnête. Par conséquent, on croit qu’il
va aider cette fille et on ne s’attend pas à une trahison de sa part. Mais justement, c’est de cette
confiance dont il va profiter : à un moment donné, il fait semblant de quitter sa maison. Étant
aveugle, elle ne se rend pas compte qu’il est encore là et il découvre où elle cache son argent.
Cet argent représente ses économies, le fruit de longues et pénibles années de travail à l’usine.
La trahison de cet homme que l’on croyait être son ami, est encore plus dramatique justement
parce qu’au début, il nous avait inspiré confiance à nous aussi, comme spectateurs! On
s’attendait à ce qu’il l’aide, et c’est tout le contraire qui arrive! S’adressant à Pablo, le metteur
en scène finit: « C’est un peu comme ça qu’on doit te voir. D’abord, comme un gars bien
correct et, après, on sera encore plus surpris de te voir agir en délinquant. Ce sera inattendu ».
Grâce aux exemples, il donne des détails et il situe ce qu’il veut expliquer dans un
contexte plus large pour mieux se faire comprendre. Les acteurs prennent des notes. Pendant
cette séance, Julio donne aussi des commentaires sur le ton d’une phrase. Par exemple,
concernant la scène de Pablo et de Maurico, il demande à Pablo:
Laisse nous voir que tu es surpris quand tu te rends compte qu’il ne parle pas
espagnol. Tu as un moment de confusion mais, après, tu te reprends. Tu dois survivre
à la surprise et décider que tu vas l’attaquer, même si cela va être plus compliqué pour
toi à cause de la communication dans deux langues. Quand il te demande si tu parles
anglais, tu lui réponds: « Non, je ne le parle pas ». Il y a un changement de ton, une
pause, qui exprime un malaise. Dans cette réplique, tu nous transmets que tu viens
d’une famille très pauvre. Le ton de ta réponse doit être chargé de résignation. Ce ton
veut dire: « Oui, j’aurais voulu apprendre l’anglais mais cela n’était pas possible pour
moi, comme bien d’autres choses qu’on n’a pas eu chez nous ». C’est comme si tu
ressentais une certaine honte en avouant que tu ne parles pas anglais.
135
Enfin, il peut aussi donner des commentaires, d’un niveau assez général, utiles à tous.
Par exemple, il dit: « Les liens entre les personnages ne semblent pas clairs encore. Faites
attention aux mouvements. Ceux qui ont des scènes dans la voiture, vous ne respectez pas
assez les limites de l’espace ». Parfois, le metteur en scène explique des aspects de la pièce
aux québécois, en particulier, parce qu’ils portent sur la culture mexicaine.
5.3.7. La fin de la journée
La séance de travail se termine vers 18:30. Les acteurs québécois ont alors faim mais
l’heure du souper au Mexique est vers 20:00 ou 21:00 heures. La faim accentue la fatigue
accumulée tout au long de la journée. Les mexicains sont eux aussi fatigués, le travail ayant
été intense pour tous. Cependant, un petit groupe reste un peu plus longtemps dans la cour
devant le bâtiment à échanger des impressions. Mélissa mentionne qu’elle vient de
comprendre mieux le changement de ton dans la scène de la mère.
Elle réfléchit à la
possibilité que la mère puisse être plus aimable au début avec son fils, car elle a vraiment
l’espoir de le voir changer. Elle croit qu’il va vraiment trouver du travail. Elle se fait des
attentes à son sujet. En fait, elle aime son fils, mais elle est aussi profondément déçue quand
elle le retrouve à la maison, dans son attitude aussi négligente que d’habitude. Ensuite, elle
commente qu’elle apprécie la manière de travailler de Julio parce qu’il contribue à approfondir
sa compréhension et à lui faire découvrir plus de nuances dans son jeu et dans celui des
autres.
5.4. Analyse de la journée décrite et d’autres événements de cette étape
Basée sur le déroulement chronologique des répétitions, la section précédente a fourni
un aperçu de diverses séquences. À partir de cette information, nous essayerons de faire
ressortir les événements qui nous semblent les plus significatifs. Les principaux critères sont
les liens possibles de ces événements avec la confiance et l’apprentissage des membres de
136
cette équipe.
Cette analyse porte sur l’observation de la journée qui a été décrite comme
représentative de cette étape et sur d’autres observations que nous avons faites au cours de
cette étape. Ainsi, l’analyse porte sur ces deux genres de données celles qui: ont été
mentionnées dans la description de la journée caractéristique de cette étape et celles qui nous
serviront de preuves à l’appui des arguments que nous donnerons par la suite.
Parmi les avantages de cette étape au plan de l’apprentissage, nous estimons que la
pression du temps est relativement moins intense, comparée à son augmentation dans les
étapes suivantes. L’interdépendance dans la première étape est aussi moins élevée que dans les
étapes suivantes, parce qu’au début, Julio travaille seulement avec deux acteurs sur des scènes
séparément sans tenir tellement compte de l’ensemble de la pièce. Il lui arrive même de ne pas
respecter l’ordre que les scènes ont dans la pièce. Le travail se fait par séquences courtes en
répétant plusieurs fois de suite et en portant l’attention sur des détails, les plus petits et fins. À
partir de cette modalité de travail, l’interdépendance qui se manifeste plus clairement est celle
qui existe entre les deux acteurs qui partagent une scène ensemble et le metteur en scène mais
il n’y a pas encore d’interdépendance évidente entre ces acteurs et les autres, ni entre les
acteurs et le travail des concepteurs.
Concernant la journée décrite, nous avons noté, pendant le réchauffement, les
interactions entre les acteurs. Dans cette étape, il nous semble que les acteurs mexicains
communiquent peu entre eux et avec les acteurs québécois. Par contre, les acteurs québécois
parlent plus entre eux; souvent ils le font en français, de sorte que parmi les acteurs mexicains
Claudia seulement peut comprendre ce qu’ils se disent. Même si ils ne parlent ni beaucoup, ni
de choses très importantes, le fait qu’ils emploient le français marque une différence dans le
groupe. Nous pensons que leur intention n’est pas du tout de créer une distance, s’ils le font,
c’est à cause de Jean qui parle peu l’espagnol. Autrement, Mélissa et Lucie parleraient
probablement plus en espagnol. Il nous semble que les relations sont encore à un stade où les
personnes qui se connaissent peu n’ont des liens qu’à travers le travail.
Pendant la construction de leur scène, Lucie et Jean se parlent pour se mettre d’accord
sur les mouvements qu’ils doivent faire ensemble. La conversation entre ces deux acteurs et
le metteur en scène montre comment le fait de travailler dans deux langues provoque des
besoins d’adaptation tant chez les acteurs que chez le metteur en scène à cause de
137
l’interdépendance. Les acteurs québécois savent que Julio ne peut pas intervenir beaucoup
pour les aider sur le plan du texte qui est en français.
Partager du temps avec les membres de cette équipe pendant la pause du dîner nous
pouvons observer leurs interactions. Dans cette première étape, nous notons que même si
certaines personnes mangent ensemble, elles le font assez vite, et le reste du temps qu’elles ont
avant de retourner dans la salle, elles le passent éloignées des autres. Nous avons vu Mélissa
et Lucie, travailler ensemble sur le texte d’une de leurs scènes, avant de revenir dans la salle.
Pendant cette pause, nous avons eu aussi de petites conversations informelles avec certains
acteurs. Ces échanges spontanés nous ont donné de nouveaux renseignements, par exemple
sur la manière de vivre leurs personnages où sur leur adaptation au montage.
Au cours de cette étape, nous avons constaté que certaines personnes, manquent par
moments de confiance en elles mêmes possiblement à cause de l’adaptation qui se fait encore
à l’équipe. Par exemple, lors de la scène entre Pablo et Mauricio, nous avons noté que Pablo
jouait le rôle d’un personnage très anxieux, mais Pablo était lui-même dans un état d’anxiété
réelle. Cela se voyait à ses difficultés pour s’exprimer avec assurance et clarté. Il posait des
questions mais il s’en excusait; nous avons eu l’impression qu’il avait honte de ne pas
comprendre ou de demander des explications. De plus, il articulait peu et il bégayait par
moments. Le metteur en scène lui avait dit qu’il ne le comprenait pas bien. D’une certaine
manière, cette remarque l’avait mis en évidence devant les autres et elle avait augmenté sa
gêne. Un autre signe de son inconfort était qu’il évitait tout contact visuel avec les autres
membres de l’équipe, sauf avec Julio. Bref, Pablo semblait assez mal à l’aise. En contraste
avec son comportement, Mauricio était assez détendu et calme. Il posait aussi quelques
questions sans hésitation. Pablo et Jean avaient aussi travaillé une scène ensemble. Pablo
semblait mieux comprendre le deuxième personnage qu’il jouait dans cette scène et dont la
situation était plus claire. Julio lui avait donné des indications assez précises qui,
apparemment, avaient été utiles pour lui.
À la fin de la journée, nous avons été surpris de voir quelques acteurs rester une demi
heure de plus, malgré leur fatigue, uniquement pour parler de leurs personnages et des
nouvelles choses qu’ils avaient comprises durant cette séance. À ce moment là, il y a eu plus
d’échanges entre les Mexicains et les Québécois et, pour nous, cela représente un indice
qu’une relation a commencé à s’établir entre eux.
138
5.4.1. Les stratégies de direction du metteur en scène
Un des comportements caractéristiques du metteur en scène durant cette étape est sa
manière d’intervenir auprès des acteurs dans leur travail de création. Il arrête leur jeu pour leur
donner des explications ou pour leur demander de répéter quatre, cinq ou six fois de suite, des
fragments de scènes. Souvent, il demande aux acteurs de recommencer jusqu’à ce qu’il sache,
à travers leur jeu, qu’ils ont compris et intégré ce qu’il leur demande. Mais les acteurs savent
qu’ils peuvent arrêter pour poser une question ou pour proposer quelque chose et reprendre où
il se sont arrêtés ou recommencer depuis le début si cela est plus convenable.
La construction du sens implicite dans le texte demande au metteur en scène et aux
acteurs de porter une grande attention aux détails, aux intentions des personnages, aux
intonations, etc. C’est un travail minutieux qui se réalise dans un rythme où nous n’avons pas
l’impression que le travail avance rapidement. Cependant nous percevons qu’il est possible
d’approfondir ce travail.
La manière d’intervenir du metteur en scène, durant cette étape, peut contribuer à
renforcer la confiance que les acteurs ont en lui, ce qui est fondamental pour les étapes
suivantes. Un des comportements qui peuvent aider à renforcer cette confiance est son attitude
pendant les échanges : les acteurs posent des questions; il leur donne parfois des réponses
courtes ou de longues explications avec de nombreux exemples. Julio insiste; il interrompt
souvent les acteurs à la moitié d’une réplique pour approfondir l’explication sur le sens d’un
mot ou pour souligner ce qui est fondamental pour lui. Il donne des directions afin que les
acteurs puissent mieux construire leurs personnages, dans le cas où une seule personne joue
deux personnages. En général, les acteurs apprécient cette possibilité d’arrêter pour clarifier ce
qui est confus pour eux et, pendant ces interventions, ils peuvent encore poser des questions
ponctuelles.
Les orientations du metteur en scène ne consistent pas toujours en de si longues
explications; parfois, au contraire, elles sont très exactes, précises. Elles consistent à demander
à quelqu’un d’occuper une certaine place ou de mettre une jupe pour répéter, au lieu d’un
pantalon, ou de mettre l’accent sur une attitude de son personnage en particulier plus que sur
139
une autre. D’autres fois, ses indications sont plus ambiguës, parce que Julio utilise des termes
un peu vagues ou imagés qui en laissa une marge d’interprétation assez large, peuvent aussi
créer de la confusion. Par exemple, il peut dire que l’énergie est « trop relâchée » ou qu’on
doit voir qu’il y a « des jeux de pouvoir entre les personnages » sans expliquer concrètement
comment cette tension devrait s’exprimer entre ces deux personnages ou la manière dont un
conflit doit être mis en évidence. Cette façon de donner des indications est apparemment
voulue; elle permet à l’acteur de chercher des façons de s’exprimer. Cette ambiguïté, ce
manque de précision a probablement pour but d’inviter l’acteur à « chercher » et à créer des
manières de sentir et d’exprimer ces situations. Les acteurs répondent à ces commentaires par
des ajustements de leur jeu à chaque fois qu’ils répètent.
5.4.2. L’intégration de l’équipe
Un des comportements des acteurs que nous avons apprécié est leur respect pour le
travail des autres. Lorsqu’ils ne sont pas sur la scène, ils observent avec attention le jeu des
autres acteurs même s’il s’agit de scènes en français. Pendant les pauses, ils échangent sur ce
qu’ils sont en train de vivre à travers ce processus et leur conversation nous laisse voir leur
désir de comprendre les scènes plus en détail et de saisir encore mieux la logique de leurs
personnages. La discussion continue sur ces sujets même après la fin des répétitions, pendant
un temps relativement si long. Si l’on tient compte qu’ils ont faim et qu’ils sont fatigués après
les efforts qu’ils ont réalisés pendant des heures. Selon nous, il est bien évident que, même
lorsque les répétions sont finies, les acteurs continuent pendant leur « temps libre » à se poser
des questions sur leurs personnages et à discuter de ce sujet entre eux. Le cas des acteurs
québécois qui partagent le logement représente un excellent exemple de notre propos. Un
commentaire de Jean sur un rêve qu’il a eu nous indique que l’influence de leur travail se
manifeste, des fois, même dans leur sommeil.
En ce qui concerne l’intégration du groupe, nous avons noté, au début de la journée et
pendant la pause du dîner, une séparation. Dans la salle aussi nous avons relevé des indices de
cette distance parce que les acteurs québécois communiquent beaucoup entre eux et qu’ils
s’assoient ensemble. La plupart du temps, ils parlent en français entre eux, probablement parce
140
que Jean ne comprend pas l’espagnol, mais cela crée une certaine barrière à la communication
avec les Mexicains. Les acteurs mexicains parlaient peu entre eux et ils se tenaient assis de
l’autre côté de la salle. Cependant, vers la fin de la journée, il a commencé a y avoir un peu
moins de distance entre ces deux sous-groupes qui se parlaient davantage et qui changeaient
leur manière de s’asseoir dans la salle.
En plus, nous avons remarqué une différence dans le ton que le metteur en scène
utilise pour s’adresser aux acteurs québécois et celui sur lequel il parle aux mexicains. Avec
les premiers, il est plus formel, il semble donner des suggestions, il utilise un mode
interrogatif, il prend plus de précautions pour leur transmettre ses idées. C’est ce que montre
cet exemple: « Lucie, peux-tu tenter de rester toujours appuyée au mur? » Avec les
mexicains, il est plus ferme, plus direct et plus directif parfois dans sa manière de les corriger.
C’est ce qu’indique l’exemple suivant: « Mauricio, laisse là plus d’espace pour Pablo ». Nous
voyons qu’il n’utilise plus le mode interrogatif comme dans l’exemple précédent.
Plusieurs de nos observations portent en particulier sur le metteur en scène mais nous
estimons que la participation de tous est déterminante. Par exemple, le sens de l’humour de
plusieurs des membres joue un rôle important dans la dynamique de l’équipe parce qu’il
contribue à créer un climat de travail plaisant et une grande complicité entre toutes les
personnes présentes. Cette attitude ajoute de la joie au travail et permet de libérer des tensions.
Souvent on rit dans la salle à cause d’une explication drôle ou d’une question inattendue. Il
arrive aussi que des acteurs rient, en plein milieu de leur scène, parce qu’ils trouvent la
situation comique ou parce qu’ils sont anxieux. Le metteur en scène ne s’impatiente pas. Il
comprend qu’il faut recommencer. Parfois, il leur dit de transformer ce rire, de l’intégrer au
jeu parce que c’est une réaction spontanée qu’ils ont et, au lieu de chercher à l’éviter ou à la
contrôler, il est possible de s’en servir pour enrichir leur jeu.
Le résultat collectif dépend des apprentissages de chaque individu. C’est pourquoi
nous chercherons maintenant à déterminer quels sont ces apprentissages et comment ils ont pu
être réalisés.
La figure 5.1 représente les relations entre les membres de l’équipe, telles qu’elles se
manifestent vers la fin de l’étape 1. Elle montre, par exemple que les acteurs de chacune de
deux compagnies sont plus proches et communicatifs entre eux, la distance entre les membres
des deux compagnies a diminué, par rapport à ce qu’elle était au cours de l’étape précédente.
141
D’autre part, sur la figure, la place du metteur en scène est centrale représentant sa manière
d’intervenir dans le travail de l’équipe durant cette étape: il donne de nombreuses indications
sur le jeu, des explications, des exemples détaillés. D’autre part, les acteurs l’interrogent,
demandent son avis, lui présentent leurs suggestions de jeu et cherchent son approbation. Julio
intervient donc très activement dans cette étape et c’est aussi lui qui organise et décide des
activités en dehors du temps des répétions.
Ces sorties des membres de l’équipe ensemble, pour des raisons de travail, comme
connaître la salle de cinéma ou des coins de rue spécifiques où se déroulent des scènes de la
pièce, ont aussi la fonction de contribuer à favoriser la cohésion de l’équipe, ce qui est
important sur le plan de la tâche et aussi sur le plan affectif. Cependant cette position centrale
du metteur en scène n’est pas statique, elle changera encore au cours de l’étape suivante, ce
que nous représenterons dans les figures des chapitres suivants, il y aura d’autres types de
changements à noter.
142
143
5.5. Les types d’apprentissages
Différents types d’apprentissages ont eu lieu simultanément à travers le montage de
cette pièce; toutefois, nous les traiterons ici séparément pour mieux les distinguer.
L’information apportée ici est double. Dans un premier temps, elle porte sur l’objet ou la
nature de ces apprentissages; dans un second temps, elle a trait à la façon dont ces
apprentissages sont faits. Dans les deux cas, l’attention sera accordée à trois types
d’apprentissages: celui du texte de la pièce, l’apprentissage ayant pour but la construction des
personnages et celui en lien avec la dynamique de l’équipe. Nous tiendrons compte de
l’évolution des relations interpersonnelles dans le sens qu’elles montrent les avancements sur
le plan de ces derniers apprentissages.
Du point de vue de l’apprentissage, cette étape est fondamentale parce que c’est un
des moments les plus propice pour que l’acteur pose des questions, avance des suggestions et
propose des manières de travailler. Elle est favorable en raison de la disponibilité de temps,
relativement plus grande, avant que la pression exercée par ce dernier ne devienne plus forte et
qu’il soit difficile de faire des arrêts. Cependant, lors de cette étape, l’obstacle à une
communication plus ouverte peut provenir du fait que certains membres de l’équipe ne se
sentent pas encore très à l’aise pour poser des questions ou pour s’exprimer, comme dans le
cas de Pablo. C’est l’étape où les personnes qui travaillent ensemble pour la première fois se
rendent compte de la manière de travailler des autres et cherchent à s’ajuster. En revanche, il y
a une plus grande ouverture de la part du metteur en scène pour que les acteurs demandent
toutes sortes de précisions, notamment à propos des mouvements. Les acteurs se permettent de
poser des questions exactes telles que les suivantes: « Tu veux que je sois proche de lui? »
« Tu veux que je le regarde quand je lui parle? » « Est-ce que je dois montrer que je suis
déçue? ». Ils posent aussi des questions sur ce que les personnages font. L’échange qui se
produit contribue à ce que les personnes se connaissent un peu plus et bâtissant une confiance
accrue à partir de la complicité qui commence à se créer entre tous.
144
5.5.1. Les apprentissages des acteurs reliés à la mémorisation du texte
Le premier objectif explicite d’apprentissage pour la construction de toutes les scènes
est la connaissance du texte. Cela est vrai pour toutes les étapes lorsqu’il y a de nouvelles
scènes à monter. Mais la première étape est celle où toutes les scènes sont nouvelles et
l’apprentissage du texte est la base sur laquelle s’appuie le reste du travail. Durant les étapes
suivantes, il y a encore des scènes nouvelles, mais en moins grand nombre, et il s’agira de
travailler de plus en plus sur l’unité de la pièce. De plus, chaque acteur doit, naturellement,
savoir non seulement son texte mais aussi celui des autres acteurs qui partagent une scène avec
lui. Connaître par cœur les textes est évidemment essentiel pour toutes les scènes, mais la
difficulté réelle est celle qui découle de la compréhension du sens du texte. Ainsi, le deuxième
niveau du travail sur le texte a pour but de saisir ou de construire ce qui est implicite dans ce
texte, ce qui est dit entre les lignes, les non dits, les pauses ou les gestes. Cohen (1978) apporte
les précisions suivantes sur cette démarche: « Subtext, a term developed by Stanislavski refers
to relationship communication but the good deal else beside; « subtext » which means literally
« under the text » or « between the lines » is essentially a literary term referring to the « real »
meaning of a line ».
Il faut du temps aux acteurs pour assimiler et intégrer, dans leur jeu, cette « autre »
information qui accompagne le texte, qui peu à peu donne une forme aussi au projet vital des
personnages. C’est cette partie du travail qui fait que la pièce devient ce qu’elle est, selon la
vision de ces personnes, et qui serait différente si d’autres acteurs jouaient ce même texte sous
la direction d’un autre metteur en scène. Cet approfondissement du sens commence à se faire
dès la première étape mais devient plus important dans la deuxième.
La connaissance du texte étant fondamentale dès la première étape du travail, le
metteur en scène est particulièrement strict envers les acteurs pour qu’ils apprennent par cœur
les scènes sur lesquelles va porter le travail de la séance de répétition. Par exemple, il a fait
une remarque à une actrice, un lundi après-midi parce qu’elle n’avait pas appris un texte
qu’elle devait savoir sur le moment. Le dimanche, elle était sortie de la ville et elle avait
consacré le lundi matin à travailler avec le traducteur sur certains morceaux de la pièce qui
étaient encore en espagnol. Même si Lucie et Mélissa avaient consacré une partie de ce
dimanche à l’achat de provisions pour la semaine, car il n’y avait rien à manger chez les
145
acteurs québécois, aucune raison n’était assez valable aux yeux du metteur en scène pour
excuser le fait de ne pas avoir appris le texte. L’assistante du metteur en scène avait dit que
pour ce dernier, il faut toujours apprendre son texte avant n’importe quelle autre chose
« même si on mange n’importe quoi, il ne faut en aucun cas arriver à une séance de répétition
sans avoir travaillé son texte ».
Lorsqu’un autre acteur s’est retrouvé dans cette situation parce qu’il n’avait pas bien
appris le texte, il est devenu relativement anxieux et mal à l’aise face au metteur en scène et
aux autres membres de l’équipe. En effet, ce jour-là il bégayait parfois lorsqu’il posait des
questions au metteur en scène. Il s’était excusé en expliquant qu’il n’avait pas eu le temps
mais le metteur en scène lui avait fait des remarques tout en ajoutant: « Fais attention aux
parties où tu te trompes parce qu’elles correspondent à des changements dans les intentions ».
5.5.2. Les apprentissages des acteurs reliés au sens du texte
Lorsque le texte est mieux connu, le mouvement et l’expression du corps commencent
à prendre une place plus importante dans la construction de la scène et il se produit un
apprentissage important à ce niveau. Selon Cohen (1978, p.61), la continuelle redéfinition des
relations, qu’il appelle « Relacom », s’exprime à travers le corps: « Relacom takes place
between bodies not « names » or « identities » or « characters ».
Le sens du texte prend plus d’ampleur et de profondeur. Il se modifie et il s’enrichit
tout au long du travail. Il implique de comprendre les intentions qui sous tendent les actions
des personnages. Julio rend explicite pour les acteurs ces éléments essentiels en lien avec le
sens implicite du texte: l’intention des personnages et la logique des situations. Selon lui, les
personnages ont, en quelque sorte, leur propre « vie intérieure »; ils ont aussi des pensées
qu’ils n’expriment pas toujours ouvertement.
Souvent l’exploration et la découverte de cette intentionnalité ne sont pas évidentes
pour les acteurs puisque elle celle-ci dépend, en grande partie, de l’interprétation du metteur
en scène. C’est pourquoi, dans la première étape surtout, le metteur en scène intervient d’une
manière très directe et constante, en demandant de répéter plusieurs fois de suite une même
scène une partie d’une scène, une réplique précise ou une simple séquence de mouvements,
146
selon les manques de clarté qu’il identifie. Par exemple, lors de la construction d’une scène en
particulier, un personnage doit passer devant une prostituée. Il doit la voir discrètement, sans
qu’elle s’en rende compte. Le personnage est en réalité surpris par sa présence mais il doit le
cacher. Pour réussir à faire exactement ce que le metteur en scène demande, il a fallu que
l’acteur passe devant la femme six ou sept fois. Le metteur en scène lui disait jusqu’où il
devait avancer, où ralentir, où continuer et comment réagir à cette rencontre: comment poser
son regard sur elle mais immédiatement après, avant qu’elle ait eu le temps de le remarquer,
faire semblant de ne pas l’avoir vu. Dans cette séquence, l’acteur a dû apprendre à transmettre
au spectateur, avec son corps et
dans l’espace de quelques secondes, au moins trois
changements dans les intentions de son personnage: il veut prendre de l’argent dans un guichet
automatique, alors il voit une femme qui lui plaît mais il décide de l’éviter en faisant semblant
de vouloir aller ailleurs. En général, le travail pour arriver à cet apprentissage consiste à
répéter plusieurs fois une même action, en l’ajustant à chaque fois, pour traduire des intentions
précises. On répète, on répète, jusqu’à trouver les gestes et les tons qui semblent les plus
convenables.
Les acteurs continuent de répéter jusqu’à ce que le metteur en scène décide que le
résultat est juste…ou qu’il décide de continuer le travail sur cette scène un autre jour car il sait
que parfois, ils ne comprennent pas le jour même. La justesse est définie en fonction des
intentions des personnages, lesquelles sont sujettes à des changements continuels qui justifient
leurs actions. Ces intentions sont découvertes à partir de la conception que le metteur en scène
a des personnages et la logique des enjeux qui existent entre eux. Julio rappelle souvent aux
acteurs que chaque intention des personnages est accompagnée d’une volonté contraire que les
acteurs doivent explorer même si elle ne s’exprime pas ouvertement. La justesse dépend aussi
de la conception que le metteur en scène a des relations et des enjeux, qui se manifestent de
manières différentes et qui se transforment d’une scène à l’autre. Les communications peuvent
être verbales ou non verbales, le langage du corps occupant une place importante dans le
travail de ce metteur en scène. C’est ce que montre cet exemple de l’un de ses commentaires:
« Je crois que le corps ici commence à vouloir bouger parce que le dialogue devient plus
personnel ». Cependant, il ne leur disait pas toujours exactement comment devait être ce
mouvement du corps; il les encourageait ainsi à explorer et trouver par eux mêmes.
Au niveau des apprentissages recherchés explicitement, le metteur en scène amène
147
une perspective de travail et une interprétation de l’univers que représente la pièce pour lui.
Un univers qui peut être relativement bien défini, au départ, mais qui prend une forme de plus
en plus précise dans la pratique, à partir du travail, à partir de l’interaction avec les acteurs.
Par exemple, dans une scène où il y a une valise, le metteur en scène ne sait pas encore quelle
sera la position de cette valise. Il demande aux acteurs de faire de essais pour décider quelle
disposition semble mieux convenir.
5.5.3. Les apprentissages reliés à la dynamique de l’équipe
Dans le processus de montage de la pièce, les membres de l’équipe ont besoin
d’apprendre à travailler ensemble et à se connaître. Dans les paragraphes qui suivent, nous
apporterons des précisions sur les apprentissages qui ont été nécessaires pour faciliter un
travail en commun vu que les acteurs québécois et les acteurs mexicains n’avaient pas encore
travaillé ensemble, sauf dans le stage préliminaire à Montréal qui avait été de courte durée.
De plus, il y a aussi certaines différences entre ces acteurs que nous considérerons ici. Nous ne
savons pas si c’est une question de codes culturels ou du type de contrat établi mais nous
avons observé, que durant cette étape, les acteurs mexicains posaient moins de questions et
celles- ci étaient plus ponctuelles, plus reliées à la forme et, lorsque le metteur en scène
répondait à leurs questions, ils demandaient rarement plus d’explications. Nous avions
l’impression qu’ils évitaient de dire ouvertement s’ils ne comprenaient pas une indication.
Nous pensons que les rapports dans cette équipe sont conditionnés par le fait que les
acteurs québécois sont vus comme « les étrangers » ayant une expérience « autre » qui peut
être perçue comme « meilleure ». Une autre différence mérite l’attention: alors qu’au Québec
les acteurs sont payés pendant le temps que durent les répétitions, alors qu’au Mexique ils ne
sont payés que lorsque les représentations commencent. Cette pratique est acceptée comme
normale au Mexique car presque tout le théâtre suit cette formule de rémunération.
Troisièmement, les acteurs québécois sont tous plus âgés que les mexicains et ils ont donc plus
d’expérience professionnelle et personnelle aussi. Enfin, ils ont plus souvent, selon nous, des
comportements qui les situent dans un rapport d’égal à égal avec le metteur en scène. En effet,
ils posent des questions qui touchent plus au fond qu’à la forme, ils demandent directement
l’avis au metteur en scène et ils disent ouvertement quand ils ne comprennent pas les
148
explications.
5.6. Les façons de réaliser ces apprentissages
Jusqu’ici nous avons identifié divers apprentissages que les acteurs doivent faire soit
individuellement, tels que la mémorisation d’un texte ou une recherche sur un personnage, soit
avec les autres acteurs, tels que le travail avec un autre acteur pour réviser le texte, ou certains
aspects du jeu, soit collectivement pour clarifier le sens des situations. Dans ce dernier cas, les
acteurs doivent apprendre à comprendre la vision du metteur en scène sur les situations en
cause; de son côté, celui-ci doit apprendre à communiquer cette vision et à saisir ce que les
acteurs lui proposent dans leur jeu. Dans la partie qui suit, nous chercherons à comprendre par
quels moyens précis les membres de cette équipe réussissent à faire ces apprentissages.
5.6.1. Comment les acteurs apprennent sur le sens du texte
Le processus de construction des scènes suit à chaque fois un même ordre; il demande
à l’acteur d’apprendre différentes choses qui vont, peu à peu, du plus simple au plus
complexe. Le premier pas pour aborder une scène nouvelle consiste à en faire une lecture à
voix haute. Les acteurs participant à cette scène s’assoient avec le metteur en scène pour une
première explication basée sur la lecture du texte. Ceci vise premièrement une compréhension
textuelle générale. Dans le contexte du théâtre cette étape du travail s’appelle « le travail de
table ». Dès cette étape, le metteur en scène commence à fournir des explications pour
clarifier le contexte dans lequel se déroulent les situations et le sens des actions. Cette lecture
se fait plusieurs fois et après, encore assis, les acteurs commencent à incorporer des éléments
de la voix, comme le volume et l’intonation. Après cette première séance de lecture, les
acteurs, chacun de leur côté, mémorisent le texte de cette scène, respectant un délai fixé, par
exemple pour le lendemain. Bâtissant sur cet acquis, le metteur en scène passe très vite à une
autre phase de travail. Lors de la répétition suivante les acteurs commencent à jouer sans ne
plus lire le texte et en intégrant davantage le corps. L’analyse du texte continue ensuite en
149
incorporant ce que l’acteur vit à travers ce texte; le metteur en scène dirige en suivant son idée
mais aussi en incorporant des éléments apportés par le jeu de l’acteur. Étant donné qu’à cette
étape les acteurs ont encore de la difficulté à se souvenir exactement du texte, d’autres
camarades leur offrent de l’aide en suivant le document écrit pour leur rappeler, lorsqu’ils
jouent, les phrases qui pourraient leur manquer ou pour leur signaler des erreurs. Lorsque le
texte est en français, seulement les acteurs québécois peuvent s’aider entre eux.
5.6.2. Comment les acteurs réalisent des apprentissages sur la construction des personnages
Dans les mouvements d’aller et retour entre les commentaires du metteur en scène et
les propositions de jeu des acteurs se produisent différents types d’apprentissages. Une grande
partie d’entre eux sont reliés à la construction du sens des personnages et des scènes dans le
contexte de la pièce. Pour les acteurs, il s’agit d’apprendre à exprimer ce que le metteur en
scène demande et ce qu’eux sentent. Les acteurs apprennent grâce à leur travail personnel et à
travers les différentes interactions entre eux et avec le metteur en scène.
Un apprentissage personnel des acteurs consiste à construire leurs personnages de
l’intérieur. Cette construction est une recherche individuelle que l’acteur entreprend sur les
personnages qu’il doit jouer, celle-ci se produit dès le début mais peut se poursuivre tout au
long du montage. L’importance de cette recherche personnelle dépend de l’initiative de
chaque acteur et de sa manière de travailler. Une actrice explique: « Moi je peux, comme
actrice, chercher dans le texte des symboles pour enrichir et donner de la profondeur au texte
(…). Il y a beaucoup de choses que l’on peut créer par dessus le texte ». Pour une autre actrice
la source d’information est son propre vécu: « Pour ce personnage de fille de quinze ans, je
peux compter avec un « back » personnel, ce qui mène la recherche vers l’introspection (…)je
peux chercher dans la bibliothèque intérieure ».
Une autre forme d’interaction par laquelle les acteurs apprennent est de poser des
questions; dès les premières lectures des scènes, il arrive que les acteurs en posent beaucoup.
Certaines sont assez simples et ponctuelles mais d’autres, plus complexes et touchant des
aspects essentiels et déterminants des personnages et peuvent susciter une longue
conversation. Les acteurs ont besoin de comprendre pourquoi leur personnage dit ou fait telle
150
ou telle chose. Cependant, les questions continuent à surgir tout au long du processus. À force
de jouer plusieurs fois les mêmes scènes, les acteurs atteignent des compréhensions plus
profondes.
Le metteur en scène donne souvent des réponses à ces questions; d’autres fois, il n’a
pas de réponse précise. Alors il répond vaguement ou retourne la question à l’acteur en lui
disant: « Et toi, qu’est ce que tu penses? » ou « Cherche ». Mais il évite de répondre qu’il ne
sait pas. Les acteurs ont aussi des questions par rapport à leur corps, à leurs mouvements et à
l’espace. Ils trouvent parfois des éléments de réponse à partir des indications du metteur en
scène et, d’autres fois, par eux-mêmes en cherchant ce qui convient le mieux.
5.6.2.1. Les propositions des acteurs
Une partie importante de l’interaction se produit à travers les propositions scéniques
des acteurs. Ceux-ci apprennent en répétant pendant que le metteur en scène les observe.
Quand ils répètent, le metteur en scène conseille souvent aux acteurs: « Sentez-le! ». L’acteur
a besoin de sentir ce qu’il fait pour atteindre l’objectif de cet apprentissage: que cette
expression devienne, de plus en plus naturelle pour lui et en bout de ligne, plus crédible pour
le public.
Le but poursuivi est donc que chaque dialogue semble le plus
normal et
authentique possible.
Quand le texte est su par cœur, les acteurs suivent ce que le metteur en scène leur
demande mais ils proposent aussi des manières de jouer. Dans ces situations, le metteur en
scène observe et décide ce qui lui semble acceptable ou ce qui peut être amélioré. Le jeu des
acteurs lui donne de nouvelles idées. Parfois, c’est à partir de ces nouvelles idées que le
metteur en scène commence à leur donner des indications, quelques-unes portant sur les
intentions des personnages ou sur la façon de s’exprimer corporellement.
Il arrive parfois que des changements soient par la suite oubliés ou mal assimilés par
les acteurs. C’est une des raisons pour lesquelles il y a continuellement des ajustements à faire.
Le metteur en scène répète les mêmes choses quand il voit que ses commentaires n’ont pas été
intégrés totalement au jeu.
151
5.6.2.2. Les explications du metteur en scène
Les explications que donne le metteur en scène contribuent à faire apprendre aux
acteurs la vision qu’il a de la pièce. Après avoir réfléchi à la notion d’explication, nous
voulons apporter la précision suivante: Lorsque nous disons que le metteur en scène explique
à l’acteur, il semblerait que ce dernier ne comprend pas. Cependant, il ne s’agit pas
uniquement de faire comprendre à l’acteur ce qu’il doit faire, ce que le metteur en scène veut
aussi c’est le convaincre de la pertinence de sa vision sur ce que l’acteur doit faire. Ajoutons
qu’il cherche à donner à l’acteur des éléments pour que ce dernier perçoive ses indications
comme vraies, correctes et conséquentes. Ce qui s’accorde bien avec le fait qu’un des objectifs
de l’acteur est de convaincre son public de la vérité qu’il lui transmet dans son jeu et que pour
y parvenir, l’acteur d’abord doit être lui-même convaincu de cette vérité.
Notre propos se base sur la manière dont le metteur en scène procède pour fournir des
explications aux acteurs. En se servant d’exemples détaillés tels que des scènes de films, il
cherche à évoquer des images et à réveiller des émotions chez les acteurs. Il s’agit de
références vivantes. En raison de sa mémoire visuelle si impressionnante et de sa façon de
raconter, on croirait qu’il vient de voir ces films la veille à peine. Le recours au cinéma est
important pour lui; il dit, en exagérant bien sûr, qu’il a vu « tous les films qui existent ». Grâce
à ces exemples, il réussit à rendre ses idées plus claires et plus accessibles aux acteurs. Il nous
est arrivé, en l’écoutant donner ces explications, de nous sentir transportés ailleurs que dans la
salle de répétitions, fascinés, autant que les autres auditeurs à qui il s’adressait car ces
explications étaient utiles non seulement aux acteurs concernés par une scène particulière mais
aussi aux autres. Par exemple lors d’une de ces longues explications le metteur en scène avait
décrit le tournage d’une scène d’un film très célèbre. Le metteur en scène, Luis Buñuel, avait
demandé à ses acteurs de s’enduire le corps de miel et de s’habiller ensuite dans le but de
produire chez eux un effet très désagréable et souligner le malaise que ses personnages
éprouvaient déjà dans une situation incommode en soi. Julio avait expliqué le contexte dans
lequel cette stratégie si surprenante prenait tout son sens.
Julio se sert aussi d’un autre type d’exemple pour expliquer et convaincre. Il s’agit
d’événements de son expérience personnelle. Dans une conversation informelle, il parle
152
volontairement parfois de lui aux acteurs pour créer aussi un plus grand rapprochement avec
eux. Ce comportement, qui consiste à expliquer son point de vue de différentes manières si
cela est nécessaire, montre la volonté pour communiquer clairement avec les acteurs et
contribue probablement à favoriser la confiance qu’ils ont en lui.
5.6.3. Comment les membres de l’équipe apprennent sur sa dynamique
5.6.3.1. L’observation
Dans la première étape où le travail est relativement plus lent par rapport au rythme
qu’il prend par la suite, une partie importante des apprentissages a lieu à travers l’observation.
Ceci est valable autant pour le metteur en scène que pour les acteurs. Il est important de noter
le respect dans lequel les acteurs sont capables d’observer le jeu de leurs camarades et surtout
lorsque les acteurs jouent en français parce que nous savons que les acteurs mexicains ne
connaissent pas cette langue et pourtant, ils sont très attentifs quand les acteurs québécois
jouent.
Les acteurs apprennent aussi en observant le travail des autres acteurs. Ils peuvent
apprécier le jeu des autres acteurs et écouter les remarques et les explications que le metteur
en scène fait aux autres. Même si ces commentaires et ces explications ne sont pas adressées à
eux directement, ils peuvent leur être utiles et leur fournir des éléments qui sont pertinents
pour eux aussi. Le metteur en scène apprend en observant les acteurs jouer. Il se rend compte,
en observant, s’ils ont compris ce qu’il leur demandait. Il peut aussi noter quelles sont les
modifications qu’il a besoin de faire dans sa manière de communiquer. Dans l’échange d’idées
qui se produit entre le metteur en scène et les acteurs, l’observation du metteur en scène du jeu
des acteurs est l’équivalent de l’écoute des acteurs à l’endroit des explications du metteur en
scène. À travers son observation, Julio peut connaître les propositions des acteurs et les
apprécier, vérifier quels commentaires les acteurs ont intégré et lesquels il doit leur expliquer
encore, et voir aussi comment changent les relations entre les acteurs.
153
5.6.3.2. Le jeu de la balle
En ce qui concerne l’apprentissage du travail en équipe, le metteur en scène propose
lors de cette étape, une activité précise afin de susciter une intégration plus forte du groupe; il
s’agit du « jeu de la balle ». Nous allons le décrire d’abord pour ensuite pouvoir l’analyser.
Comme ce « jeu » prend au moins une heure et demande une grande concentration, il ne sera
pas répété dans par la suite. Lors de la première étape, il a été réalisé deux ou trois fois. Ce
« jeu » sert aux acteurs à être plus conscients de l’importance d’être toujours attentifs à leur
travail et, en même temps, à celui des autres. Il dure une heure, plus ou moins; il pourrait
éventuellement finir avant si chacun des participants arrivait à faire sa routine mais ceci est
presque impossible parce qu’à chaque erreur, même minime, il faut tout recommencer dès le
début. Cet exercice contribue à développer, chez chacun des acteurs, une conscience plus
claire de l’importance de la coordination qui doit exister entre les mouvements de chaque
personne de l’équipe en fonction des autres. Il demande de la précision,
beaucoup de
concentration et de la patience. Chaque acteur suit une sorte de « routine », suivant des
mouvements établis au début d’une manière bien précise. Pendant qu’un acteur accomplit
cette « routine », le reste de l’équipe se lance une petite balle en suivant un ordre défini. Il faut
dire un numéro, en comptant, à chaque fois qu’on attrape la balle et il ne faut surtout pas la
laisser tomber. Si elle tombe, tout est à recommencer dès la première routine. Le risque de se
décourager est grand; ce « jeu » par moments provoque une frustration inévitable, en mettant
les personnes face à un sentiment d’échec. Les erreurs, même minimes, ramènent toujours au
point de départ et tout le groupe se retrouve encore au « un ». Une fois, la balle est tombée
quand on avait atteint le numéro 136! Il a fallu recommencer à nouveau à partir du début en
comptant « Un, deux, trois, etc… ». Dans cet exercice, chaque personne doit être attentive à
ce qu’elle doit faire mais aussi à ce que les autres font.
Après presque une heure de « jeu » avec la balle, la deuxième partie de l’exercice, qui
nous semble tout aussi importante que la première, consiste à s’asseoir en cercle pour parler et
écouter. Chaque « joueur » choisit une personne et seulement une, pour lui adresser un
commentaire servant à améliorer le fonctionnement du « jeu » dans le but que tous puissent
idéalement terminer leurs routines. Chaque personne a le droit de formuler un commentaire
uniquement, chaque acteur a la même chance de s’exprimer que les autres et la participation
154
est égale. Deuxièmement, ce commentaire doit s’accompagner de qualificatifs très positifs, tel
que: « Chère, très adorable et toujours aimable Mélissa, s’il te plaît ne me lance pas la balle
dans la figure parce que j’ai bien du mal à l’attraper ». Cette manière de s’adresser à l’autre
provoque le rire de tous. Cependant, nous avons observé une similitude entre cette façon de
communiquer dans le cadre de cet exercice et la manière dont le metteur en scène accompagne
ses critiques de commentaires positifs la plupart du temps.
C’est le style de communication que le metteur en scène pratique souvent pendant les
séances de répétition: il fait logiquement de nombreuses critiques aux acteurs mais, il les
accompagne souvent d’une appréciation positive de leur travail. Cette façon de leur parler
semble les encourager et en même temps favoriser une ouverture chez eux pour qu’ils
écoutent les commentaires qui vont les aider à améliorer ou modifier leur jeu. Par la suite,
cette partie de l’exercice reste comme une référence commune ou comme une manière de faire
quelques blagues pendant les répétitions. Cela se produit aussi avec certaines réponses des
personnages qui sont reprises mais totalement en dehors du contexte de la scène; elles
produisent alors facilement le rire des autres car elles deviennent comme une sorte de
communication qui a un double sens mais qui ne peut être compris que par les membres de ce
groupe. Par exemple un personnage, se trouve sur le bord de la route après avoir eu un
accident de voiture et demande: « On est où là? ». C’est donc très comique lorsqu’un des
acteurs mexicains, dans un moment inattendu, pose cette même question en imitant le ton de la
réplique.
Les participants à cet exercice développent une plus grande capacité d’être attentifs
aux autres. En outre, ils prennent davantage conscience aussi du fait qu’un manque
d’attention, petit ou grand. d’une seule personne entraîne des conséquences au niveau du
résultat pour tous les autres. Dans ce cas, tout le « jeu » est à recommencer à chaque fois
qu’une personne se trompe. Cette situation, où un moindre manque d’attention d’une seule
personne peut avoir des répercussions sur chaque personne de l’équipe, ressemble à la
situation qui se produira lorsque les présentations auront lieu. Cet exercice permet de mettre
plus en évidence certaines des qualités qui sont requises pour une présentation réussie :
présence, attention, concentration, habileté, collaboration, soin et précision, entre autres.
155
5.6.3.3. Les sorties organisées en fonction des besoins de la pièce
Une autre circonstance qui crée un rapprochement entre les acteurs est le fait de sortir
ensemble. Dans cette première étape, les sorties des membres de l’équipe s’organisent
principalement autour du « travail de terrain ». Le metteur en scène avait organisé des visites
dans le but de faire connaître aux québécois les endroits où se passe la pièce comme dans le
cinéma « Teresa ». Ce cinéma n’offrant que des films pornographiques, son public est assez
particulier et son ambiance n’est pas facile à décrire. Julio considérait que c’était mieux d’y
aller pour comprendre le type d’endroit. Un autre endroit significatif de la pièce est le
« zocalo », l’énorme place historique du centre ville qui cause une forte impression chez l’un
des personnages. Garibaldi est un lieu où, les « Mariachis » jouent de la musique mexicaine
traditionnelle.
Un des personnages est justement un de ces musiciens qu’on appelle
« Mariachis » à cause de leur vêtement et du type de musique qu’ils jouent. Alors Julio a
voulu que les acteurs québécois connaissent cette place. Le metteur en scène nous a expliqué
qu’aller sur le terrain pour avoir plus d’information en lien avec la pièce, quand cela est
nécessaire, se fait sur une base individuelle. Mais comme les acteurs sont étrangers, il était
plus convenable de les accompagner et ces sorties ont été une excellente manière de partager
du temps ensemble.
5.7. Les liens entre la confiance et l’apprentissage
Parmi les nombreux liens entre la confiance et l’apprentissage certains sont plus
évidents et directs et d’autres plus subtils et indirects. Nous parlerons ici de ceux qui, au
premier abord, nous semblent plus déterminants; cela ne veut pas dire que nous n’en trouvions
pas d’autres par la suite.
Dès le départ, le choix de ce metteur en scène signifie que les acteurs québécois lui
font confiance et assument qu’il sera « l’œil », capable de voir le travail à partir d’un angle
privilégié différent du leur parce qu’eux sont dedans, concentrés sur le jeu. Ils acceptent
implicitement, par ce choix, que sa vision et son interprétation est le critère principal qui
guidera leur travail. De son côté, le metteur en scène prend aussi la décision de s’engager dans
ce projet avec ces acteurs et il invite d’autres comédiens à se joindre à eux. Cela est un indice
156
qu’il a confiance en eux et qu’il accepte, en même temps, de courir certains risques. Ces
aspects sont le point de départ qui a été considéré, plus en détail, dans le chapitre précédent;
maintenant, il s’agit de montrer comment cette confiance peut aussi influencer positivement
ou négativement les apprentissages que les membres de l’équipe ont besoin de faire.
Pour commencer par ce qui représente la base du travail, nous mentionnerons
l’apprentissage que les acteurs font du texte. Dans un premier temps, chaque acteur travaille à
la mémorisation de son rôle; assez vite cependant, les acteurs qui partagent une scène
ensemble se mettent d’accord pour réviser ensemble leur lignes. Par exemple, pendant la
pause pour manger, une vingtaine de minutes avant de retourner dans la salle de répétition, un
acteur mexicain et une actrice québécoise se fixent un rendez-vous pour revoir ensemble leur
scène. Ils travaillent alors uniquement le texte, sans faire intervenir le corps et parfois même
pas l’intonation. L’objectif principal, à ce moment là, est de s’assurer qu’ils savent le texte par
cœur. Nous estimons que ce premier rapprochement pour travailler volontairement en dehors
de l’horaire fixé se fait plus facilement quand les personnes ont un peu de confiance. C’est le
cas des acteurs québécois qui se connaissent et se donnent ce soutien, ils trouvent des
moments pour répéter en dehors des horaires de travail dans la salle. Si cette confiance
manque, ils travailleront chacun de leur côté et cela rendra leur apprentissage un peu plus
lent.
Une autre partie de l’apprentissage qui se réalise individuellement est celle qui touche
à la construction du personnage. Chaque acteur recherche des éléments pour comprendre plus
profondément le personnage qu’il joue. La recherche peut se faire de différentes manières : à
travers une lecture qui concerne la situation du personnage, en se souvenant d’une époque de
la vie ou par l’observation de personnes de la vie réelle ayant des caractéristiques similaires.
Cette recherche se base en grande partie sur l’intuition personnelle et la possibilité de suivre
et d’écouter ces intuitions va dépendre de la confiance en soi de chacun.
Maintenant, nous analyserons des apprentissages qui impliquent une relation
interpersonnelle entre les acteurs et le metteur en scène. Un des moyens dont se servent les
acteurs pour travailler le sens que le metteur en scène donne au texte est de lui poser des
questions. Il nous semble que pour que les acteurs osent l’interroger librement ils doivent
avoir une relation de confiance interpersonnelle avec lui parce que le simple fait de poser une
question implique de prendre des risques: celui de dévoiler devant les autres que l’on ne sait
157
pas, celui de ne pas obtenir de réponse satisfaisante ou de ne pas comprendre la réponse que
l’on obtient. Le risque varie aussi en fonction de la portée de la question. Si celle-ci est simple,
il sera moindre mais si la question concerne un aspect fondamental, le risque sera plus
important. Alors il nous semble que pour pouvoir apprendre en posant des questions, les
acteurs ont besoin d’avoir la confiance suffisante pour parler à temps et demander ce qu’ils
veulent savoir.
Mais, paradoxalement, il arrive que le fait de poser trop de questions ou un certain
genre de questions peut être un signe de non confiance et devenir un obstacle au travail. Par
exemple, lorsqu’un acteur demande trop d’explications, cela peut signifier qu’il ne se laisse
pas diriger réellement. Pour jouer, l’acteur doit comprendre intellectuellement ce qu’il lui est
demandé mais, d’autre part, il doit accepter de vivre et de sentir ce que les situations du jeu lui
provoquent comme images et émotions, sans essayer de tout comprendre mentalement. Cette
distinction n’est pas évidente à faire mais nous les mentionnons pour que le lecteur soit
sensible à l’idée que les intentions qui motivent ces questions peuvent varier. Certaines
questions contribuent à l’avancement du travail créatif tandis que d’autres, au contraire,
limitent la créativité ou l’expression. Pour nous, qui sommes peu familiers avec le processus
de création au théâtre, il est assez difficile de savoir comment identifier cette différence mais
nous voulons introduire cette précision, dès maintenant, car nous pourrons faire référence à ce
point plus loin.
Pour ce qui est des propositions des acteurs à travers le jeu, nous pensons que plus un
acteur a confiance en lui et dans le metteur en scène, plus il se sent capable d’être créatif et
d’explorer des options variées de jeu. Lorsqu’il perçoit une ouverture dans l’attention et la
présence du metteur en scène, il peut se donner davantage. Mais il sent aussi le regard et
l’attention de ses camarades. Pour cela, la qualité de l’observation que les acteurs font du
travail des autres a une grande valeur à nos yeux. Cette observation peut devenir une invitation
à travailler encore plus intensément, surtout si l’acteur qui prend le risque d’explorer ne sent
pas jugé; au contraire, il peut se sentir encouragé par les autres, par le respect qu’ils
manifestent vis à vis de son effort.
Dans une conversation informelle, une des actrices disait que ce qui était dur pour
l’acteur, c’était de sentir que le « brouillon de son travail » est à la vue de tous. Elle expliquait
qu’un écrivain livre son œuvre à ses lecteurs après lui avoir fait de nombreuses corrections
158
mais un acteur fait tous les essais et les erreurs devant les autres, même si ces « autres » sont
des acteurs de son équipe ou le metteur en scène qui le dirige.
Pour oser proposer des idées à travers leur jeu, les acteurs ont donc besoin de se sentir
relativement en sécurité et de savoir qu’ils sont acceptés. Le niveau de sécurité psychologique
qui existe dans le groupe influence le fait que l’acteur puisse apprendre en proposant des
manières de jouer. La sécurité psychologique est un terme utilisé par Edmondson (1999) et qui
fait référence à la croyance des membres d’une équipe qu’ils y sont en sécurité. Cette idée
incorpore l’existence de la confiance dans les relations entre les membres d’une équipe mais
ce concept est plus large car il suppose un respect mutuel entre les membres qui leur permet de
sentir acceptés en étant ce qu’ils sont: « Team psychological safety is defined as shared belief
that the team is safe for interpersonal risk taking. For the most part, this belief tends to be tacit
–taken for granted and not given direct attention either by individuals or by the team as a
whole ». (Edmondson, 1999, p.354.)
La confiance intervient aussi du point de vue du metteur en scène car il a besoin de
faire confiance aux acteurs pour leur laisser de la liberté pour s’exprimer et pour créer. S’il
leur demande des choses trop précises et les encadre trop strictement, il ne leur permet plus de
manifester leur créativité. Il peut apprendre des choses de leur jeu dans la mesure où il leur fait
confiance et pense qu’ils ont la capacité d’interpréter leur rôle selon ses interprétations mais
aussi selon leur sensibilité et leurs émotions.
Le jeu de la balle, qui se fait durant cette première étape, contribue à construire la
confiance parmi les participants. Au cours de jeu, les efforts que chacun fait pour ne pas se
tromper et pour que le jeu puisse continuer, deviennent évidents pour les autres joueurs. La
deuxième partie du jeu est assez comique mais montre que tous sont égaux en ce qui concerne
les erreurs qui ont été faites et que tous peuvent s’exprimer et être entendus par l’ensemble du
groupe. Dans cette partie aussi le metteur en scène montre aux acteurs comment faire des
demandes précises mais en mettant en valeur les aspects positifs du travail de chacun.
5.8. Les risques propres à cette étape
159
5.8.1. Les risques par rapport aux ajustements à faire au cours de cette étape
Cette première étape est aussi celle où apparaît le besoin de faire différents types
d’adaptations et d’ajustements. Ces ajustements nous semblent être des facteurs de risque;
dans la mesure où si ils ne se sont pas faits correctement, ils peuvent avoir des conséquences
négatives sur la continuité du travail. Ce thème de l’adaptation a fait l’objet d’une
conversation entre les acteurs québécois, durant laquelle ils ont souligné qu’il y a parfois une
distance assez grande entre les idéaux de faire du théâtre ailleurs, dans une perspective de
recherche, et ce que cela donne dans la réalité. Il y a dans les faits beaucoup de circonstances
inattendues qui se présentent et qui modifient les conditions dans lesquelles ces acteurs
pensaient travailler. Quels sont les principaux ajustements que les membres de cette équipe
ont dû faire durant cette étape?
5.8.2. Les différents ajustements qui impliquent des apprentissages
Il y a plusieurs types d’ajustements. Quelques uns se font au niveau individuel. Le
simple fait de se retrouver dans un montage nouveau où il faut comprendre un ensemble
d’éléments qui commencent avec les rôles que chacun doit jouer, jusqu’à la manière de
travailler des autres. Les ajustements se produisent entre les attentes que les personnes ont et
ce qui se passe en réalité. D’autres ajustements se produisent au niveau du groupe. Certains
ont trait aux différences entre la manière de travailler des acteurs mexicains et celle des
acteurs québécois ou entre la manière de travailler d’une compagnie de théâtre et celle de
l’autre.
Le besoin de réaliser ces ajustements exige de chacun qu’il fasse des apprentissages
en lien avec ces ajustements. Ces apprentissages sont souvent tacites et se font au rythme
personnel de chacun car ils dépendent des attentes que chacun a par rapport à différents
aspects du montage.
160
5.8.2.1. Les ajustements sur le plan individuel
Parmi les ajustements au plan individuel se trouvent les ajustements à un nouveau
montage. Si les personnes ont des attentes avant de commencer le montage, elles peuvent se
rendre compte dans quelle mesure celles-ci seront rencontrées ou pas.
Le simple fait de commencer à travailler dans un montage exige un premier
ajustement de la part des acteurs. Claudia nous mentionne comment selon elle, chaque
montage est différent des autres et demande une adaptation:
Je considère que chaque montage et chaque groupe est un monde et il est
intimement relié à la pièce et aux valeurs qui sont intégrées dans cette pièce. C’est ce
qui va déterminer la mécanique des relations. Chaque montage est un monde avec ses
propres lois.(…) Il y a des montages où il faut sortir déprimé. C’est comme ça et il
faut l’accepter et voir ce qui arrive ensuite avec cette sensation.
C’est justement lors de cette première étape, que les acteurs commencent à
comprendre quelles sont les lois particulières de ce nouvel univers qu’est ce montage et cela
représente une difficulté. Jean partage avec nous cette sensation qui l’habite au tout début du
montage:
Pour moi c’est assez insécurisant. À chaque fois que je commence une pièce
de théâtre ça me demande une implication assez forte, ça me demande d’aller dans un
terrain un peu comme des sables mouvants. Pour commencer un nouveau personnage,
je me sens en déséquilibre à cause de ce que je fais.
En premier lieu, Jean parle de ce que la construction de son personnage exige de lui. Il
avoue sa vulnérabilité face à cette incertitude, à cette exploration qui vient avec le besoin de
construire peu à peu le personnage en s’impliquant à fond. Cette information nous semble
importante pour comprendre un peu la logique de la première phase du montage de la pièce au
cœur de laquelle les acteurs s’interrogent mais, au départ, ils ont peu d’éléments de réponse.
Car ces éléments commencent à apparaître progressivement au fur et à mesure qu’ils reçoivent
de l’informations du metteur en scène et de leur propre expérience de jeu.
161
5.8.2.2. Les ajustements par rapport à la langue
Mais en plus de cette situation assez typique et déjà connue s’ajoute, dans le cas de
Jean, son attente de pouvoir travailler sans trop de difficultés à cause de l’espagnol. Il ne
connaît pas encore beaucoup cette langue et il se rend compte que la communication se fait
très peu en anglais car les mexicains préfèrent parler en espagnol, non seulement entre eux,
mais aussi quand ils lui parlent parce qu’ils ne se sentent pas à l’aise en anglais. Jean a parlé
de cette difficulté qui était plus grande au début: « J’ai des frustrations par rapport à la langue.
Je ne comprends pas tout le temps ce qui est dit. Je me sens parfois isolé mais en même temps
je vais au devant de ça. J’essaie d’entrer en contact avec les gens ». Cette circonstance l’oblige
à demander à Mélissa ou à Lucie de traduire pour lui. Il se rend compte aussi que même si
elles
traduisent pour lui ce que le metteur en scène lui demande ou une partie de la
conversation en espagnol, il n’aime pas dépendre d’elles pour communiquer. De plus, il arrive
qu’il perd aussi partiellement la conversation en espagnol entre les autres acteurs et le metteur
en scène parce que la disponibilité à traduire de Mélissa et de Lucie a aussi des limites. Elles
sont attentives et elles ont le temps pour traduire très bien lorsque le metteur en scène
s'adresse à Jean en particulier, car Julio parle alors plus lentement, mais à d’autres moments il
arrive aussi qu’elles participent à la conversation, quand le metteur en scène parle aux autres
acteurs mexicains et que les échanges se font plus vite. Lorsqu’elles décident de traduire pour
lui, elles perdent aussi la possibilité de suivre tout ce qui se dit. Jean finit parfois ses journées
très fatigué à cause des efforts qu’il fait pour comprendre le plus possible. Il n’avait pas prévu
comment il réagirait à cette situation et il est obligé de s’ajuster en acceptant sa limite ou en
réalisant des efforts encore plus grands pour comprendre.
5.8.2.3. Les ajustements par rapport au texte
Un autre type d’ajustement est celui qui concerne les attentes par rapport au texte. Une
actrice de la compagnie québécoise nous a parlé de cet aspect:
Cela a été toujours une adaptation. D’abord j’avais des attentes par rapport au
texte. (…) Quand j’ai lu le texte en espagnol, je n’ai pas compris le ton qu’il fallait
employer; il y avait pour moi quelque chose de superficiel dans la manière de traiter le
sujet. C’est une manière différente de faire du théâtre, je pensais à quelque chose de
162
plus profond, plus… J’ai eu cette première déception depuis le début, cela m’a
demandé de m’adapter, il fallait que je parte de cette déception et que je trouve
quelque chose de nouveau. Il y avait une différence par rapport à ma vision des
choses. Je ne les voyais pas de cette façon là, avec ce ton, ce genre de jeu. J’avais
imaginé quelque chose de plus sérieux, un autre type de théâtre, plus visuel, moins
dans la langue, moins dans ce style comique. J’avais été influencée par ce que Julio
avait fait dans sa pièce sur Joyce.
Les attentes de cette personne étaient basées sur une mise en scène de Julio que la
plupart des acteurs avaient beaucoup aimé et qui revient souvent comme un point de référence.
Cependant la pièce actuelle était assez différente de l’autre. Nous pouvions commencer à voir
certaines ressemblances dans le style de sa mise en scène mais le texte différait fortement de
celui de l’autre pièce. S’ajuster au texte et arriver à comprendre le ton dans lequel il devait être
joué n’était pas si facile pour cette actrice. Elle avait surmonté cette déception pour accepter
de travailler de son mieux malgré ce qui ne rencontrait pas ses attentes.
Peut être d’autres acteurs avaient eu aussi ce même type de difficultés mais ils ne nous
en ont pas en parlé. Cet aspect est toutefois important car c’était justement un des risques que
les acteurs avaient accepté de courir en s’engageant à jouer un texte avant même d’avoir pu le
lire au complet. Celui-ci avait été conçu après l’atelier de Montréal. Les acteurs savaient qu’ils
se retrouveraient à Mexico pour commencer les répétitions et que, pendant ce temps, Juan
Cristobal écrirait le texte basé sur le matériel de leurs improvisations et ils ne pouvaient pas le
connaître très à l’avance. Leur acceptation de travailler ensemble ne dépendant pas du texte
qui leur serait proposé plus tard, ils devaient donc faire confiance à Juan Cristobal et à Julio.
Cette décision était probablement basée sur l’idée que le nouveau texte aurait des
ressemblances avec celui qu’ils connaissaient et qui leur avait tellement plu. Mais le nouveau
texte était très différent, ainsi que les conditions de son montage. Cette actrice a trouvé des
manières de s’ajuster, elle s’est posée des questions, elle a entrepris une sorte de recherche
personnelle sur le texte pour être plus satisfaite:
Comment je peux donner quelque chose dans ce texte? Trouver ma propre
interprétation et donner du sens quand il n’y en a pas nécessairement, c’est ce que je
dis. (…) Moi je peux, comme acteur, chercher dans le texte des symboles pour moi,
pour enrichir et donner de la profondeur au texte. C’est possible, car c’est un texte
moderne et je ne suis pas habituée à cela parce que j’ai toujours travaillé du classique
ou des créations qui sont mon matériel…
163
5.8.2.4. Les ajustement sur le plan de l’équipe
Un autre ajustement concerne le travail des acteurs québécois et des acteurs
mexicains. Un membre de la compagnie québécoise fait ce commentaire:
Avec les acteurs mexicains, ce n’est pas toujours facile. Avec certains, on
parle le même langage théâtral et ça va. Et avec d’autres, il y a des différences. Cela
contribue à la richesse. Aussi il y avait beaucoup de points de vue. Ce sera multiple.
C’est aussi ça notre projet. C’est un processus de rencontre.
La rencontre avec la différence peut engendrer un certain degré de conflit et de tension
créatrice. Un acteur mexicain a affirmé: « Ce processus de création implique des
confrontations et on va ressortir de ce processus avec d’autres possibilités, plus d’ouverture.
On parle de choses différentes ». Dans les deux cas, nous notons que les deux personnes qui
ont donné leur avis à ce propos reconnaissent qu’il existe des différences mais elles se
montrent assez optimistes, pensant que finalement le résultat de cette rencontre sera positif et
enrichissant. Le cas de Pablo nous donne un autre exemple de ces ajustements car cet acteur
mexicain, comme nous l’avons observé, ne se sentait pas bien au début du montage. Peu à
peu, il a réussi à gagner de l’assurance et à comprendre mieux ce que le metteur en scène lui
demandait.
5.8.2.5. Les ajustement au travail des deux compagnies
Les façons de travailler des deux compagnies, sont à l’origine d’ajustements. Béatrice
nous en donne un exemple. «Nous (elle fait référence à sa compagnie) on travaille dans un
silence absolu. Les québécois parlaient parfois pendant les répétitions et nous, nous avons dû
leur parler de cela et leur demander d’être en silence ».
Dans la compagnie mexicaine, les limites entre les fonctions de chaque personne sont
mieux définies que dans la compagnie québécoise où tous sont des comédiens et assument des
fonction supplémentaires pour assurer le fonctionnement de la compagnie. C’est en partie pour
164
cette raison que la compagnie québécoise a demandé à Alain d’assurer temporairement le rôle
de producteur. Normalement ils ont des mécanismes pour se distribuer les tâches mais cette
manière de procéder leur a causé des problèmes dans le passé par un manque de clarté
concernant les limites des responsabilités de chacun.
Béatrice nous dit qu’elle a mis des limites dans la relation avec Mélissa: « Mélissa
voulait intervenir dans des décisions que moi je devais prendre, mais on en a parlé. Je lui ai dit
qu’elle devait s’occuper de son rôle de comédienne et moi du mien. Il y a tout de suite eu un
respect qui s’est installé ». Dans ces tentatives d’ajustements, la confiance peut émerger
lorsque les choses sont dites clairement, comme dans ce cas où Béatrice a pu faire une
demande très explicite à Melissa.
Nous avons donné des exemples d’ajustements requis au cours de cette étape en
essayant de mettre en évidence qu’ils demandent parfois une grande capacité d’adaptation.
Nous trouvons aussi que ces ajustements exigent de la confiance en soi et de la confiance
interpersonnelle pour communiquer, se renseigner, établir des limites ou exprimer ce que l’on
ressent. Nous croyons que dans la mesure où cette confiance existe, ces ajustements peuvent
se faire plus facilement et plus rapidement. Voyons maintenant quels sont les avantages de
cette étape.
5.9. Les aspects prometteurs de cette étape
Comparée aux étapes qui suivent, la pression du temps est moins élevée. Une
conséquence de ce fait est que le metteur en scène prend du temps pour donner de nombreux
exemples provenant de scènes ou de personnages de films. En effet, tout au long du montage,
un des moyens les plus employés par le metteur en scène pour expliquer la logique des
situations était la référence à un film. Mais ces explications sont plus longues, plus détaillées
et plus fréquentes pendant la première étape que dans la deuxième et aussi dans la deuxième
étape comparée à la troisième. Par exemple, dans la scène de la mère et de Paul, le metteur en
scène en avait profité pour donner un exemple tiré d’un film, pour enrichir chez les acteurs
l’idée du type de relation qui existait entre les deux personnages, une mère et son fils adulte.
Mélissa, dans le rôle de la mère, avait dit que ces commentaires lui étaient très utiles
165
et l’aidaient à mieux comprendre plusieurs points qu’elle n’avait pas vus sous cet angle.
Quand cette scène s’est terminée, elle a pris des notes sur son cahier.
5.9.1. Une pression de temps relativement faible
Durant cette étape, le metteur en scène explore des possibilités différentes. Il demande
aux acteurs de jouer les scènes en changeant l’angle de ces scènes pour comparer ce qui est
mieux. Il lui est aussi venu l'idée de demander aux actrices québécoises de jouer leur scène en
français et non pas en espagnol, pour qu'elles puissent se rendre compte, lorsqu'elles jouaient
la scène dans la langue qui n'est pas la leur, de la mesure dans laquelle leur ton changeait par
rapport au ton de leur jeu en français.
La possibilité que cette étape a donné aux membres de l’équipe d’échanger entre eux a
permis de faire des apprentissages sur le sens de la pièce, sur le jeu et sur les relations entre les
personnages. Pendant ce temps où il a été possible d’explorer des options différentes, les
personnes ont aussi développé des liens plus étroits entre elles. Enfin, il y a également
apprentissage sur la manière de travailler ensemble. Tous ces petits mais nombreux
apprentissages qui se sont réalisés au cours de cette étape représentent un acquis essentiel de
connaissances partagées collectivement qui sera utile pour les étapes suivantes. Effectivement,
il sera important que les acteurs aient compris, à la base, les relations entre les personnages
car, par la suite, il faudra travailler sur d’autres aspects du jeu, et commencer à jouer avec plus
de précision et d’assurance. Cette assurance dépendra en partie, de la clarification que les
acteurs ont faite des aspects qui étaient obscurs pour eux.
Quand un acteur pose des questions ou fait une suggestion, parfois le metteur en
scène l’encourage pour que ce soit lui qui décide de cela. Il lui dit: « Sens le! » alors en jouant
l’acteur est capable de comprendre parce que le metteur en scène donne l’occasion de faire ses
propres expériences.
5.9.2. Un niveau d’interdépendance pas encore très élevé
Durant cette première étape, ce n’est pas seulement le metteur en scène qui est plus
166
détendu; les acteurs aussi se donnent du temps pour réfléchir à leurs personnages, pour se
connaître plus. Ils commencent à échanger entre eux pendant le temps des repas ou a la fin de
la journée.
Durant cette première étape, l’interdépendance est relativement faible et l’attention
porte, en règle générale sur des relations entre deux personnages. L’espace qui s’ouvre pour
travailler dans la construction des scènes permet aux personnes de se connaître un peu plus et
de commencer à créer une certaine complicité.
Un indicateur de l’interdépendance moins grande entre tous les acteurs nous est
fournie par l’autorisation d’absence que le metteur en scène a accepté de certains acteurs pour
quelques jours pendant les premières semaines de répétitions. Il est vrai que ces départs
avaient été prévus à l’avance, sauf un, qu’ils étaient décalés dans le temps et qu’ils étaient
justifiés mais ce qui est fondamental de remarquer est que le reste de l’équipe était capable de
continuer à travailler malgré les absences de plusieurs jours de ces acteurs. Une actrice est
partie pour quatre jours et les deux autres sont parties pour une semaine entière chacune. Le
metteur en scène et les autres acteurs pouvaient s’adapter et remettre à plus tard le travail des
scènes des acteurs qui étaient absents.
Le niveau d’interdépendance est devenu plus intense, durant la deuxième étape.
L’équipe alors a dû travailler sur l’enchaînement des scènes et la suite de l’histoire.
5.10. Conclusion
La première étape est déterminante pour différentes raisons qui touchent à
l’apprentissage et à la confiance. Au cours de celle-ci, il a été possible d’explorer différentes
manières de jouer; elle a permis la recherche et l’exploration. Les acteurs travaillent sur les
scènes pour la première fois et ils rencontrent différentes possibilités de les comprendre.
Cependant, la possibilité de réaliser cette recherche dans le jeu dépend d’un concours de
circonstances: le degré d’interdépendance, la pression du temps, l’intégration de l’équipe, la
confiance existante et les apprentissages réalisés.
Le degré d’interdépendance, plus faible que durant les étapes suivantes, se produit,
pour chaque scène, entre deux acteurs et le metteur en scène. À ce stade, l’ordre des scènes ne
167
compte pas beaucoup, il est possible de les travaille en désordre. Le lien entre elles n’est pas
encore un aspect important de sorte que, si un acteur, à cause est obligé de s’absenter pendant
un certain temps, à cause d’un imprévu, les autres peuvent continuer à travailler malgré son
absence. L’avancement du travail de l’équipe ne dépend pas encore de la participation
constante de chacune des personnes, comme ce sera le cas par la suite.
Étant donné que la pression du temps n’est pas encore tellement forte, les acteurs
peuvent discuter, clarifier des doutes ou poser des questions interrompant le jeu, sans qu’il n’y
ait de conséquences graves puisque les transitions entre les scènes n’ont pas encore
d’importance. Une conséquence pratique d’une pression du temps moins forte est que l’une
des principales formes d’apprentissage dans la première étape est l’échange verbal,
principalement entre les acteurs et le metteur en scène.
Au début, ces échanges se réalisent sous la forme des questions que les acteurs posent
au metteur en scène, des explications que ce dernier donne aux acteurs ou des discussions qui
se produisent entre eux. Pendant cette étape, le metteur en scène donne des explications
détaillées et cherche à stimuler l’imagination des acteurs en leur parlant des scènes de films.
Comme il a une extraordinaire mémoire photographique, lorsqu’il explique une scène d’un
film, nous avons l’impression qu’il a vu ce film, la veille à peine; en réalité, c’est comme s’il
le repassait dans sa tête dans le moment présent, car aucun aspect important ne lui échappait.
Ces précisions lui permettent d’établir des liens importants entre ces exemples et la logique
des scènes de cette pièce de théâtre, rendant ainsi la vision qu’il a de la pièce plus accessible
aux acteurs et stimulant leur imagination. Proportionnellement au temps accordé au jeu, les
échanges verbaux prennent beaucoup de temps.
Cette manière de distribuer le temps entre le jeu proprement dit et les différents types
d’échanges verbaux rend la première étape unique et différente des suivantes. Elle donne, aux
membres de l’équipe, l’opportunité de se connaître davantage et d’amorcer une réflexion sur
le sens des scènes et, par conséquent, de la pièce. La réflexion prend alors un caractère
collectif parce que, même si uniquement les acteurs de la scène dont il est question participent
activement aux discussions, les autres acteurs sont tout de même présents et à l’écoute. Cette
réflexion sera par la suite, poursuivie, surtout de manière individuelle ou à travers des
conversations informelles de deux ou trois personnes,
indirectement à travers le jeu.
et ses résultats apparaîtront
168
Au cours des étapes suivantes, les échanges verbaux continuent à se produire, entre
autres sous la forme de questions que les acteurs posent ou sous la modalité de « notes » que le
metteur en scène donne aux acteurs, mais moins sous la forme d’explications longues et
détaillées. En outre, la fréquence des échanges diminue progressivement et laisse plus de place
au temps que dure le jeu qui est une autre forme d’échange.
En ce qui concerne la confiance, cette étape est un moment clé, celui pendant lequel le
metteur en scène doit commencer à mettre en pratique ses compétences pour que le projet
aboutisse. Il montre ses compétences au plan artistique à travers ses interventions et au plan
des relations interpersonnelles par des activités pour renforcer l’intégration de l’équipe telles
que le « jeu de la balle » et les sorties organisées. L’intégration étant, à ce stade, encore
relativement faible, ces activités sont des moyens pour l’accélérer le processus de l’intégration
de cette équipe malgré toutes les difficultés et obstacles. Cela est nécessaire à la poursuite de
la tâche. Mais, en même temps, des comportements du metteur en scène tels que sa manière de
se concentrer, d’observer les acteurs et de donner des explications, permettent aux acteurs de
mieux connaître sa manière de travailler et servent à renforcer la confiance que les acteurs ont
en lui. Ceci est très utile pour rendre les apprentissages des acteurs plus faciles. Plus ils seront
convaincus de la compétence du metteur en scène, plus ils auront confiance dans la direction
qu’il propose, plus ils la suivront sans opposer de résistance et plus ils pourront progresser
rapidement dans les apprentissages qu’ils ont besoin de réaliser.
La mémorisation des textes est la base sur laquelle s’appuient les autres apprentissages
durant cette étape et celles qui suivent. Tel que nous l’avons expliqué, la mémorisation, se fait
plus facilement lorsque les membres de l’équipe ont la confiance suffisante pour demander de
l’aide à leurs camarades et collaborer ensemble. Cette tâche a aussi l’avantage de donner aux
acteurs des occasions de se connaître davantage et de se rapprocher les uns des autres, ce qui
est particulièrement important dans le cas des personnes travaillant ensemble pour la première
fois.
L’apprentissage de la logique des situations et du sens des scènes se fait plus
rapidement, à notre avis, lorsque les acteurs ont confiance dans le metteur en scène. Ils sont
plus convaincus de la pertinence de ses indications. D’un autre côté, il est nécessaire aussi que
les acteurs aient confiance dans la tolérance du metteur en scène envers leurs erreurs car cette
étape est difficile pour eux du fait qu’ils ne comprennent pas encore très bien leur personnage
169
pour les personnes qui en ont un seulement ou leurs personnages pour ceux qui en ont deux
différents et toute l’information sur le sens des scènes est nouvelle pour eux. Ils sont
vulnérables et en processus d’ajustement. Pendant cette étape, la difficulté ne provient encore
ni d’un degré élevé d’interdépendance, ni d’une pression forte du temps. Cependant, les
acteurs se rendent compte que certaines de leurs attentes ne sont pas satisfaites, ce qui signifie
qu’ils sont obligés de faire des ajustements entre les attentes qu’ils avaient pu se former avant
de commencer à travailler et ce qui se passe réellement. Les acteurs traversent la difficulté en
s’ajustant peu à peu
aux caractéristiques de ce montage,
au travail avec de nouvelles
personnes, aux divers obstacles qui se présentent, entre autres les différences culturelles et
l’usage de plusieurs langues.
Nous pourrions dire que cette étape est une sorte de « préparation du terrain » aux
exigences plus importantes qui se présenteront par la suite lorsque le travail à réaliser
deviendra plus complexe.
170
CHAPITRE VI
ANALYSE DE L’ÉTAPE 2
6.1. Introduction
La deuxième étape du montage en est clairement une étape de transition entre la
manière de travailler durant la première et la troisième étapes. Au début, le metteur en scène
continue intervenir constamment et activement mais, à mesure que le temps avance, la
manière de travailler commence à se modifier : le metteur en scène interrompt de moins en
moins le jeu des acteurs et leur donne ses commentaires uniquement après qu’ils aient joué
plusieurs scènes. La pression du temps est plus forte que dans la première étape mais pas
encore aussi intense qu’elle le sera durant la troisième. La deuxième étape a permis une
progression sur différents plans. Parmi les principaux, il y a l’intégration de l’équipe, les
apprentissages réalisés et la consolidation de la confiance.
6.2. Description d’une journée de travail représentative de la deuxième l’étape
Suivant les mêmes critères de la description d’une journée de travail représentative de
l’étape précédente, nous décrivons d’abord la préparation au travail, ensuite l’exercice
d’improvisation et les notes que le metteur en scène donne aux acteurs. Nous donnons un
exemple du travail d’une seule scène et finalement certains événements importants survenus à
la fin de la journée.
171
6.2.1. La préparation au travail
28 juin 2001. Aujourd’hui, l’équipe quitte la petite salle de répétitions; c’est donc la
première journée de répétitions dans le théâtre. Avec ce changement de lieu commence à
s’intégrer, au processus du montage, une série d’éléments nouveaux: le son, la scénographie,
les costumes et l’éclairage. Bien que ce dernier ne sera sur place physiquement que vers la
fin, quelques jours avant la première, il faut en tenir compte dès maintenant. En effet, le
metteur en scène commence à définir plus exactement les places et les déplacements des
acteurs sur la scène pour que le concepteur de l’éclairage puisse prévoir l’installation des
lampes et déterminer aussi les mouvements des « murs ». Ces « murs », qui servent à créer des
lieux qui ressemblent à des rues, des coins de rue et des espaces plus ouverts, constituent une
scénographie mouvante adaptable à des positions différentes selon les besoins de chaque
scène. Ce mécanisme est à la fois simple et ingénieux en raison de ses multiples possibilités
d’adaptation. Le concepteur de l’éclairage assiste plus souvent aux séances de répétition, pour
prendre des notes et mieux comprendre l’univers que le metteur en scène veut créer pour cette
pièce. En cette journée de déménagement, le rendez-vous du metteur en scène avec les acteurs
est fixé à 15:00 car les techniciens travaillent depuis le matin sur la scène pour l’installation
des « murs ». Il y aussi des essayages de costumes en début d’après-midi. Les acteurs sont
contents d’être enfin au théâtre, le lieu où sera jouée la pièce, mais ils ont une certaine
confusion pour placer leurs vêtements, leurs cahiers et leurs autres effets personnels car les
loges sont encore fermées et l’endroit est sombre. Finalement, chacun se trouve un espace près
de la scène. Il faut attendre encore un peu avant de pouvoir commencer. « C’est normal, dit le
metteur en scène, c’est la production ». Il est habitué à ces éventualités qui changent les
possibilités du travail avec les acteurs. Béatrice et Hector, les assistants du metteur en scène,
sont là pour aider à l’intégration de tous ces nouveaux éléments qui commencent à prendre
leur place aussi dans le montage du spectacle. Pendant le processus du montage, l’auteur de la
pièce a assisté à quelques-unes des répétitions; cette fois, il arrive vers cinq heures.
172
6.2.2. L’improvisation.
L’auteur de la pièce est présent pour voir les progrès du travail de l’équipe mais
surtout pour diriger Claudia et Jean dans un exercice d’improvisation qui va permettre
d’obtenir le matériel pour la dernière scène qui n’est pas encore écrite, même si la Première
doit avoir lieu trois semaines plus tard. Le fait de ne pas encore avoir écrit cette scène
préoccupe l’auteur mais, d’un autre côté, cela représente une opportunité d’intégrer des
éléments nouveaux pour clarifier certains aspects qui sont encore confus, pour lui, dans le
reste de la pièce. En effet, il y a quelques jours, il nous avait fait des commentaires à ce
propos: il trouvait que certaines scènes présentaient des situations qui manquaient de logique
ou de vraisemblance. Comment pourrait-il résoudre ces problèmes alors que ces scènes étaient
déjà écrites et montées? Cette dernière scène, jouée par Jean et Claudia, était une dernière
opportunité pour donner des informations manquantes.
Les acteurs réalisent devant l’auteur et le metteur en scène cette improvisation selon
la même technique utilisée pour créer les autres scènes. C’est une technique basée sur un code
que les acteurs connaissent bien pour s’en être servis avant et qui permet d’obtenir une grande
quantité d’information très rapidement, chaque acteur demande à l’autre personnage des
informations qu’il veut avoir sur lui ou lui dit des choses qu’il sait ou qu’il imagine de lui.
L’auteur prend des notes. Cet exercice se fait rapidement aussi parce que le principe est
d’avoir accès à des idées spontanées qui surgissent sans censure ni jugement immédiat. Une
fois l’improvisation finie, l’auteur et le metteur en scène discutent ensemble.
6.2.3. Les notes
Le metteur en scène poursuit le travail de cette journée en demandant aux acteurs de
se réunir en cercle pour leur donner des « notes », ou autrement dit, ses commentaires sur le
travail du jour précédent. Étant donné que les acteurs ont joué plusieurs scènes de suite, le
metteur en scène a observé leur jeu et noté sur son cahier toutes les remarques qu’il voulait
leur faire. Il leur transmet ces notes en même temps pour éviter d’interrompre la séquence du
173
travail, puisqu’un objectif important est maintenant de travailler sur l’enchaînement des
scènes, d’apprendre exactement les entrées et les sorties de chacun sur la scène.
L’enchaînement des scènes pose parfois des problèmes pratiques. Par exemple, Pablo
a besoin de s’ajuster au temps qu’il lui faut pour changer de costume entre deux scènes où ses
deux personnages apparaissent l’un après l’autre. Cependant, entre une scène et l’autre, il y a
des « présentations ». Ce sont de courtes interventions des acteurs qui ont pour but, entre
autres, d’expliquer aux spectateurs où se situe la nouvelle scène qui commence, car les scènes
ont lieu dans différents coins de rues du centre historique d’une ville. Cette présentation est
une sorte de temps d’arrêt dans la continuité de la pièce. L’acteur traverse la scène et il
s’arrête quelques instants pour dire: « Nous sommes devant telle station de métro ou devant un
marché de meubles ». Ces présentations ne consistent généralement qu’en une courte phrase;
elles ont aussi pour fonction de donner le temps aux acteurs de changer de costume.
La période consacrée à la communication des notes peut durer plus d’une heure. Les
acteurs prennent alors des notes écrites sur les commentaires que le metteur en scène leur fait
et ils posent des questions sur les aspects qui ne sont pas clairs. Il est important que les acteurs
profitent de ces moments pour poser leurs questions car la vitesse à laquelle le jeu avance
laisse de moins en moins de temps pour échanger verbalement.
Le metteur en scène juge quand il est opportun de convoquer cette réunion : soit
immédiatement après la fin du jeu, soit le lendemain, s’il est trop tard et que les acteur sont
fatigués. Cette deuxième option a pour avantage que les acteurs sont reposés et donc plus
réceptifs; par contre, elle a pour inconvénient le risque que les acteurs se souviennent moins
bien de leur façon de jouer la veille.
Nous observons que certains de ces commentaires ne sont pas nouveaux. Parfois, le
metteur en scène répète les mêmes demandes ou remarques parce que les acteurs, même après
avoir reçu les mêmes indications plusieurs fois, ne les intègrent pas dans leur jeu ou ne les
comprennent pas tout à fait. En effet, ils ne parviennent pas à saisir, après les premières
explications, ce que le metteur en scène attend d’eux. Un
exemple de ce type
d’incompréhension se produit lorsque le metteur en scène rappelle à Jean, dans la scène avec
sa mère, qu’il doit l’ignorer quand elle lui parle. Il est nécessaire que par moments il écoute
plus la télévision, mais son attention doit revenir à la conversation avec sa mère. Il doit
l’ignorer mais seulement par moments. Le metteur en scène lui explique qu’effectivement, il
174
doit détourner son attention, mais pas tellement, car alors la tension entre les deux
personnages « tombe trop ». Parfois, les actions à réaliser peuvent être claires pour l’acteur
mais il doit aussi tenir compte des nuances et apprendre à
traduire les intentions des
personnages en trouvant l’intensité que le metteur en scène veut associer à ces actions.
Le metteur en scène fait ses commentaires en suivant l’ordre de la pièce; il commence
par la première scène qui représente un espace virtuel où la communication entre les
personnages se produit à travers un ordinateur. Il s’adresse à Pablo:
Ton corps doit jouer dans cet espace, la valise n’a aucune pesanteur. Tu vis
une incertitude. Quant à Claudia, toi, tu dois prendre une décision parce que tu vas
faire un grand pas dans ta vie. Tu vis aussi beaucoup d’incertitude mais en même
temps tu as une conscience très claire du fait que ce moment est très déterminant pour
toi. C’est pour cela que tu es confrontante pour les autres. Pierre, je l’imagine comme
s’il passait une nuit d’insomnie à regarder le plafond, pas vraiment fatigué, mais
surtout stimulé à imaginer ce qu’il pourrait faire ailleurs ». S’adressant à Jean (Pierre)
et à Mélissa (sa mère), il ajoute: « Travaillez plus sur la projection. Prenez conscience
de l’espace. Mélissa, on dirait que tu regardes à travers une grande fenêtre et, en
réalité, il y a un mur. Je pense que tu es surprise parce que quand tu arrives à la
maison, tu ne t’attends pas à trouver Pierre. Intègre mieux les actions avec le sac.
Le metteur en scène passe ensuite à une scène, de Lucie et Jean, où celle-ci joue un
monologue. Depuis quelques répétitions, Jean a proposé d’introduire un élément nouveau qui
est une action de son personnage qui jusqu’ici se limitait à l’écouter. Il a suggéré de glisser sa
main sous sa jupe à elle en faisant semblant de lui donner du plaisir. Ce changement cause une
difficulté nouvelle à l’actrice. Le metteur en scène tente de lui expliquer comment jouer. Il
suggère que le personnage féminin accepte ce plaisir mais en le cachant à son partenaire à
cause des complications de la relation qui existe entre eux. Pour cela, il explique quelles sont,
selon lui, les différences entre la sexualité et l’érotisme:
La sexualité est plus crue et laisse voir les personnes comme elles sont
vraiment. L’érotisme, au contraire, est comme un déguisement qui nous fait paraître
bons au lit, alors qu’en réalité, on peut ne pas l’être du tout. Dans cette scène, la
sexualité est comme un détonateur en fonction de ce qui se passe dans le relation de
ces deux personnes. Il faut qu’on voit qu’elle a une réaction quand il arrête soudain et
qu’il retire sa main. Lucie demande si son personnage devrait avoir du plaisir. Le
metteur en scène lui répond: « Toi, qu’est-ce que tu en penses? »
175
La scène suivante est celle de l’autoroute et le metteur en scène s’adresse ainsi aux
acteurs: «Cette scène fonctionne déjà très bien. Vous avez le ton qu’il faut. La fin est plus
intéressante avec le baiser, ce geste de tendresse qui souligne la contradiction dans votre
relation».
Les commentaires du metteur en scène portent sur la plupart des scènes jouées le jour
précédent. Il passe plus vite sur certaines car il n’a pas de remarques à communiquer, sauf
celle de maintenir ce qui est défini jusqu’à ce moment. L’auteur de la pièce reste en silence la
plupart du temps mais il rit quand quelqu’un fait des commentaires drôles. Sa présence est
toujours agréable et importante pour tous. Son unique commentaire va dans le sens de rappeler
aux acteurs que, par rapport à leur personnage il y a trois questions qui sont toujours utiles:
«D’où vient le personnage?, Que veut-il? et Où va-t-il?»
Après avoir reçu les notes du metteur en scène, les acteurs ont quelques minutes pour
se préparer et commencer à jouer. Le metteur en scène discute alors un peu plus avec l’auteur.
6.2.4. La scène de la mère et de Pierre
Dès qu’ils sont prêts, les acteurs commencent à répéter la scène de la mère et de
Pierre. Il y a encore des interruptions, le metteur en scène demande de faire des changements,
l’idée de l’ordinateur ayant été remplacée par une télévision. Les positions des acteurs dans
l’espace se modifient aussi à partir de cette nouvelle idée. Le metteur en scène commence à
inclure les sons. Il est important de déterminer à quel moment l’enregistrement doit
commencer, quel est le volume convenable pour ne pas couvrir la voix des acteurs, etc. D’un
autre côté, le metteur en scène demande à ses assistants de tracer et de mesurer les marques
(comme des lignes au sol) pour situer exactement les positions des acteurs sur la scène et les
mouvements des murs.
6.2.5. La fin de la journée
176
À la fin de la répétition, le metteur en scène demande au groupe de se réunir autour de
lui afin de leur expliquer l’organisation du travail pour le lendemain. Il donne des rendezvous différents aux acteurs en fixant une heure pour chacune des scènes à travailler. Ainsi,
Jean et Mélissa devront se présenter à dix heures, Pablo et Lucie à onze heures, Mauricio et
Claudia à midi.
Mauricio avait demandé au metteur en scène s’il serait possible de finir la répétition
avant 19:30 car il avait invité les acteurs à assister à la projection d’un film où il avait eu un
rôle important. Jean, Mélissa, Claudia et le concepteur du son avaient accepté cette invitation.
C’était une occasion spéciale de voir ce film car il serait suivi d’une table ronde organisée par
une association où Mauricio serait invité à parler comme acteur du film. La présence des
compagnons de l’équipe a été visiblement importante pour lui.
6.3. Analyse de la journée décrite et d’autres événements importants
Les principales caractéristiques qui distinguent l’étape 1 de l’étape 2 sont les
suivantes: le changement du lieu du travail; l’incorporation de nouveaux éléments tels que le
son, les costumes et le décor; un approfondissement du travail sur le sens du texte;
l’augmentation de l’interdépendance entre les acteurs et de la pression du temps. L’ajout
d’éléments nouveaux va se manifester par une augmentation de la complexité du travail. La
pression du temps continuera d’augmenter tout au long de cette étape. L’interdépendance
présente au départ entre tous les membres de l’équipe, s’intensifie progressivement selon les
étapes parce que le travail de chacun a des liens, de plus en plus étroits, avec le travail des
autres et que le temps commence a être un aspect qu’il faut prendre en compte davantage.
Cette étape montre cette tendance de l’interdépendance à augmenter au fur et à mesure que le
travail sur les scènes respecte la structure de la pièce. Plus loin, nous verrons quelles sont les
conséquences de cette augmentation de la pression du temps et de l’interdépendance.
6.3.1. Le changement d’espace de travail et ses implications
177
L’étape 2 commence lors du changement du lieu de travail, soit le passage de la salle
de lecture au théâtre qui implique aussi que, à partir de ce moment là, le jeu des acteurs tient
plus compte de l’espace et demande plus de précision que dans l’étape 1. Lors de la première
étape, l’espace était encore un des aspects qui variaient constamment; durant cette deuxième
étape, le metteur en scène commence à demander aux acteurs d’occuper des places plus
exactes car, maintenant, ils travaillent justement sur la scène, le lieu où le spectacle sera
vraiment joué. Julio interrompt le jeu pour demander à son assistant de marquer, à l’aide d’une
craie et d’un fil, la position exacte où se situeront les acteurs et les places qu’occuperont les
bancs et les « murs » du décor, car ceux-ci ne sont pas fixes.
De plus, d’autres nouveaux éléments s’ajoutent, comme le son et les costumes,
augmentant le degré de difficulté du travail par rapport à l’étape antérieure. Margules (1985)
explique l’interdépendance entre des différents éléments du langage théâtral:
Il n’y a pas de jeu sans espace, pas d’espace sans éclairage. Rien ne s’effectue
en dehors de l’image, rien ne s’effectue en dehors du temps: le temps de durée de
l’émotion, le temps de l’enchaînement des scènes, les temps implicites de la pièce, les
espaces intérieurs que développe l’acteur enclavé dans un langage que le metteur en
scène conduit.
Présente dès le début du montage, cette interdépendance prend une forme plus claire
et visible quand la pièce est finie, mais c’est une des tâches de cette équipe de lui donner la
forme qu’elle aura. Un des objectifs de cette étape consiste à travailler davantage sur la
construction de l’unité de la pièce et, par conséquent, sur la continuité entre une scène et la
suivante.
Lors de l’étape deux, nous assistons à une évolution de la manière de travailler. Au
début de l’étape, le metteur en scène donne des exemples moins détaillés que dans la première
étape mais il fait encore de nombreux commentaires pour enrichir le jeu des acteurs. Cela
implique de travailler avec des interruptions fréquentes dans le jeu, surtout pour les nouvelles
scènes. Cependant, vers la fin de cette étape, le metteur en scène demande plus souvent aux
acteurs de jouer plusieurs scènes consécutivement en respectant l’ordre de la pièce et sans
couper le jeu pour faire des commentaires ou pour que les acteurs posent des questions.
Lorsqu’il fait des commentaires sur l’ensemble des scènes, ce sont des indications plus
ponctuelles. La
manière d’intervenir du metteur en scène s’adapte, selon les étapes, à
178
différents besoins d’apprentissage, en fonction des tâches qui doivent être réalisées.
Cependant, il y a une tendance générale du metteur en scène d’intervenir de moins en moins
dans le jeu des acteurs diminue au fur et à mesure que le processus du montage avance.
Lapierre (1984; p.456) signale: « Plus on approche le soir de la première, plus la possibilité
d’intervention du metteur en scène diminue et plus son produit lui échappe ».
Durant cette étape, la manière de travailler répond au besoin de progresser plus
rapidement mais elle laisse les acteurs face à une plus grande responsabilité quant à leur
propre jeu. Le metteur en scène commence à les diriger d’un peu moins près; il ne s’attarde
plus tellement sur les détails, car son attention doit inclure les autres éléments qui n’avaient
pas beaucoup compté, lors de l’étape précédente, tels que l’espace, le son et les costumes.
Une partie du travail
porte encore sur l’exploration de nouvelles possibilités
d’expression; c’est le cas, par exemple, de la scène de Pierre et de sa mère, où l’idée que le
personnage soit occupé avec son ordinateur est remplacée par la télévision. En revanche, il y
a des parties de scènes qui deviennent mieux définies; dans ces cas, le travail consiste à
approfondir le sens et à soigner davantage la relation entre les personnages. La manière de
travailler commençant à changer durant cette deuxième étape, l’interaction des acteurs et du
metteur en scène se modifie également.
6.3.2. Les apprentissages que les membres de cette équipe réalisent
Il convient d’apporter des précisions sur les apprentissages qui surviennent au cours
de la deuxième étape avant de traiter de la manière dont ils sont réalisés et du rôle de la
confiance par rapport à ces derniers. Les principaux apprentissages ont trait, selon nous, aux
trois objets suivants: les apprentissages concernant le sens du texte, ceux qui ont trait à la
construction des personnages et ceux qui portent sur le travail de l’équipe.
Durant cette étape, un des principaux apprentissages à faire est celui du sens du texte
qui doit être approfondi et consolidé. La construction du sens est très importante parce que le
metteur en scène et les acteurs visent à communiquer au public la version particulière de la
pièce qu’ils créent ensemble. Stanislavski (1937) explique l’importance plus précise du sens,
lié à la notion d’intention (purpose):
179
«Whatever happens on the stage must be for a purpose. Even keeping your
seat must be for a purpose, a specific purpose not merely the general purpose of being
in sigh of the audience. (…) on the stage do not run for the sake of running or suffer
for the sake of suffering. Don’t act « in general » for the sake of actions, always act
whit a purpose ».
Cela implique que chaque geste et chaque action sont voulus et répondent à une
intention exacte. Apprendre quelles sont les intentions des personnages dans chaque situation
est un des principaux objectifs de cette étape même si cet aspect a déjà été central lors de
l’étape précédente. Il devient important que l’acteur comprenne ces intentions et comment il
peut les communiquer au public. De plus, chaque personnage peut avoir une intention
principale mais aussi des intentions secondaires, des intentions changeantes ou contradictoires.
Explorer ces intentions et les sentir est ce qui donne de plus en plus de profondeur et de
crédibilité à un personnage. Cet apprentissage se réalise à travers une attitude d’attention
individuelle et à travers un échange avec les autres. Cet échange peut se faire par le jeu ou par
le dialogue. Plus le processus avance, plus il se fera à travers le jeu. En outre, il est essentiel
que la scénographie et toute la production d’une oeuvre soit convaincante pour le public et
pour les propres acteurs car pour que le public puisse y croire, il faut que les acteurs soient les
premiers à le faire.
Quant au
concept de communication, il est pris au sens large, celui du mode
analogique:
Qu’est ce donc la communication analogique? La réponse est relativement
simple: pratiquement toute communication non verbale. Toutefois ce terme peut être
trompeur; souvent, en effet, on restreint son sens aux seuls mouvements corporels, au
comportement connu sous le nom de kinesthésie. À notre avis, il faut y englober
posture, gestuelle, mimique, inflexions de la voix, succession, rythme et intonation des
mots, et toute autre manifestation non verbale dont est susceptible l’organisme, ainsi
que les indices ayant valeur de communication qui ne manquent jamais dans tout
contexte qui est le théâtre d’une interaction. (Watzalawick, Beavin et Jackson, p.60,
1972).
Ainsi, cette communication, non seulement dépend de tous les éléments mentionnés,
mais elle doit avoir un sens. La construction de ce dernier demande un travail long et
minutieux, de la part des acteurs et du metteur en scène.
180
Barba (1998) reprend cette idée en établissant un lien avec l'objectif central du travail
qui est finalement d'atteindre le spectateur: «Chaque élément, chaque réaction, la moindre
intonation doit avoir une cohérence qui aide à bâtir l'organicité, l'être en-vie, mais aussi cette
densité de signification qui doit mettre en branle l'énergie recelée dans la biographie de chaque
spectateur ». La cohérence et la véracité se construisent ainsi, progressivement, en travaillant
constamment sur le sens.
6.3.2.1. Les apprentissages reliés à la construction des personnages
Un apprentissage lié à celui du sens a trait à la capacité des acteurs de rendre leur
personnage, de plus en plus vraisemblable et convainquant. Un acteur affirme:
L’acteur dit la vérité. Il faut que les paroles soient dites avec vraisemblance.
Les mots doivent avoir une certaine dimension. On doit les entendre comme ayant un
sens. Ces mots doivent laisser voir plus que ce qu’ils disent en eux-mêmes. Ce sens est
transmis par des nuances, des petits détails.
Dans le même sens, Arcand (1998) affirme:
Rechercher la sincérité au théâtre, « mentir avec tout son cœur », c'est d'abord
s'engager sur la route de l'action, non de l'analyse. C'est « être avec », agir, réagir.
C'est incarner un personnage dans chacun des éléments spécifiques de son
comportement (...) je suis en relation avec lui ou avec elle qui me parle.
La compréhension des situations et des intentions des personnages n’est pas toujours
simple. C’est la raison pour laquelle elle demande un apprentissage de la part des acteurs.
Selon le metteur en scène de cette pièce, le comportement des personnages n’est pas
seulement ce qui apparaît en surface, il répond à un mouvement dialectique intérieur. Ces
personnages vivent des contradictions, ils expriment des idées mais ils en ont d’autres, parfois
opposées et qu’ils n’avouent pas. Un exemple est le personnage de la femme qui pense au
suicide alors que, dans la scène suivante, elle montre sa détermination pour survivre. Nous
constatons la force des deux élans présents en elle: mettre fin à sa vie et lutter pour vivre.
L’auteur commente le double aspect de ce personnage: «Elle voulait se suicider mais ensuite
181
elle cherche du travail et, dans la scène suivante, elle se bat pour conserver son argent ». Cette
vision plus complexe, que le metteur en scène suggère, aide les acteurs à comprendre plus
profondément leurs personnages et à mieux en exploiter la richesse. Mais en plus de
comprendre la conception que le metteur en scène a des personnages, chaque acteur crée aussi
sa propre vision de son personnage et il continue à la développer. Un autre des apports du
metteur en scène
est d’articuler ces idées, dans chaque scène, en tenant compte de la
perspective de l’ensemble de la pièce.
6.3.2.2. Les apprentissages reliés aux habiletés de travailler en équipe
Un autre des apprentissages que les acteurs continuent à faire dans cette étape porte
sur leur manière de travailler ensemble. Cet apprentissage est indispensable tout au long du
montage et même après le début des présentations, car il est toujours possible d’améliorer les
relations entre les membres de l’équipe. La force du lien entre les acteurs est un des éléments
déterminants pour la qualité du spectacle. Le rapprochement entre les acteurs et leur capacité
de s’ouvrir à l’autre, influence leur possibilité de créer des liens plus étroits et plus subtils, qui
apparaîtront aussi sur la scène dans les relations entre les personnages.
Cet apprentissage de la manière de travailler ensemble est souvent marqué par les
difficultés de communications dues à l’usage de plusieurs langues mais, progressivement, les
membres de cette équipe apprennent à se comprendre mieux et à accepter la frustration de ne
pas se comprendre totalement quand cela arrive. Cette acceptation et cette amélioration de la
communication sont deux facteurs contribuant à détendre les tensions qui sont plus grandes au
début et qui diminuent graduellement.
6.3.3. Les manières de réaliser ces apprentissages
6.3.3.1. L’apprentissage à travers l’interaction et le jeu
L’interaction entre les acteurs et le metteur en scène diffère un peu de ce qu’elle était
lors de la première étape durant laquelle le metteur en scène avait une participation très active,
182
basée sur de nombreuses et fréquentes explications, et pendant laquelle les acteurs posaient
des questions sur des détails. Principalement vers la fin de cette étape, il arrive de plus en plus
souvent que les acteurs jouent plusieurs scènes entières sans que le metteur en scène ne les
interrompe. Les propositions de jeu des acteurs prennent alors une place beaucoup plus
grande pour leur apprentissage et, en parallèle, la fréquence et la longueur des explications du
metteur en scène diminuent.
Cette dynamique de travail présente le désavantage de limiter la possibilité que les
acteurs ont de clarifier leurs doutes, en posant des questions ou en faisant des commentaires
sur des parties de scènes. Toutefois, s’ils estiment que c’est indispensable, ils peuvent encore,
au début de cette étape, arrêter le jeu pour demander des informations au metteur en scène.
Ces arrêts seront presque impossibles durant l’étape suivante. Les acteurs doivent de plus en
plus proposer leurs idées à travers leur jeu directement. Cette manière d’apprendre correspond
à la formulation de Lave et Wenger (1991) de la conception de l’apprentissage selon laquelle
l’habileté d’apprendre se développe en lien avec l’accomplissement des tâches. C’est à travers
leur participation directe à la pratique même du jeu, que les acteurs agissent sur leur
apprentissage.
Ainsi, il est fréquent que les commentaires du metteur en scène soient donnés
seulement lorsqu’une série de plusieurs scènes a été jouée et ils portent maintenant moins sur
chaque détail. Ses remarques sont aussi importantes mais elles deviennent plus générales; elles
visent à créer, progressivement, une perspective plus globale et de plus en plus claire, des
personnages et des situations.
Le metteur en scène continue d’exercer le rôle
d’observateur qu’il avait commencé à adopter au cours de la première étape: il est totalement
présent et attentif, mais au lieu d’intervenir immédiatement, il prend des notes pour donner
ses indications à la fin. Il est un peu moins directif, mais il maintient une attention intense et
une présence totale à ce qui se passe sur la scène. Il remarque les changements qui se
produisent dans le jeu des acteurs et il encourage leurs apports quand ils vont dans le sens
qu’il veut donner à la pièce. À partir de ce qu’il observe, il encourage la recherche des acteurs
pour rendre explicite, par le jeu, le sens qui était, pour eux, implicite dans le texte. Ces
interventions du metteur en scène ajoutent de l’information contribuant à la construction des
personnages, par la clarification de la logique de chaque situation.
183
C’est à travers le jeu que les acteurs peuvent vivre, de plus en plus naturellement, leur
personnage. Les expériences qu’ils ont en jouant, leur permettent de comprendre davantage les
intentions de ces personnages et les relations entre eux. Les explications du metteur en scène
les aident aussi à atteindre ce but mais, parfois, ses indications peuvent leur sembler un peu
abstraites ou vagues. C’est ce que montre l’exemple suivant d’un commentaire du metteur en
scène lorsqu’il demande aux acteurs de travailler sur la relation: « Il y a entre vous un voile
qui ne permet pas que la communication se produise; cherchez la relation dans la scène et
vous pourrez arriver à cette véhémence, à cette passion mais à travers la relation ».
Au fur et à mesure qu’ils répètent les mêmes phrases et les mêmes mouvements, ils
s’approprient de plus en plus cette réalité qui est en même temps fausse et vraie. Fausse
puisque ces personnages n’existent pas dans la réalité mais vraie parce que leurs émotions sont
authentiques, ils les ressentent réellement.
Les acteurs construisent leurs personnages suivant une recherche personnelle. Une
manière est de lire sur des situations proches de leurs personnages
ou d’observer des
personnes qui leur ressemblent pour ensuite imiter certains de leurs comportements. Par
exemple, Mélissa qui joue une femme dans la cinquantaine à observé des femmes de cet âge là
et elle a réussi à adopter une démarche plus lente et lourde qui correspond mieux à son
personnage de la mère de Pierre. Pour son autre personnage plus jeune, elle a observé aussi
des prostituées pour imiter certains de leurs mouvements, gestes et attitudes.
Puisque l’intention principale du metteur en scène est de pouvoir exprimer une vision à travers
le travail des acteurs, il doit apprendre à leur transmettre cette vision, à stimuler leur
imagination et à leur suggérer des images inspirantes pour eux. Pour communiquer avec eux,
il a besoin d’apprendre à les connaître, eux et leurs possibilités, pour savoir comment leur
transmettre ses idées et surtout comment les convaincre de leur pertinence. Dans une entrevue,
il faisait référence justement à leurs différentes façons de travailler. Certains sont plus
rationnels ou planificateurs alors que d’autres sont plus spontanés et portés à accepter
l’imprévu: « Une des actrices sort sur la scène en étant très préparée; elle sait ce qu’elle veut.
Elle est différente d’un autre acteur qui a du talent mais lui, il sort sur la scène en attendant
que les choses « arrivent » et, des fois, elles arrivent mais des fois elles n’arrivent pas ». Selon
le metteur en scène, l’acteur doit être concentré avant de sortir sur la scène mais il ne faut pas
qu’un acteur pense « trop » car il peut empêcher que « les choses arrivent » sur la scène.
184
Le metteur en scène apprend tout au long du processus du montage comment
communiquer ses idées aux acteurs pour qu’ils jouent en accord avec sa vision de la pièce.
Traitant du rôle du metteur en scène, Lapierre (1981) souligne le caractère central de cette
communication: « En relation avec le thème de la confiance, les metteurs en scène insistent
sur l’importance des qualités de communicateur dans leur pratique. Dans cette gestion de
projet basée sur des relations de personne à personne étroites, portant sur des visions, des
images, des intuitions, des apparences de vérité, la communication s’établit d’abord par des
mots. Cette communication s’établit cependant bien au-delà des mots ». La confiance peut se
renforcer dans le processus, si la communication reste ouverte et transparente comme Lapierre
l'affirme.
Le metteur en scène se rend compte que les acteurs n’ont pas compris lorsqu’ils le lui
disent ou lorsqu’ils lui demandent d’expliquer une autre fois ou de clarifier ce qu’il vient de
leur dire, mais parfois ils ne le font pas. Alors c’est seulement lorsque le metteur en scène voit
jouer les acteurs qu’il peut se rendre compte à quel point ils ont compris ou pas ses
explications. En observant attentivement le jeu des acteurs, il trouve des éléments
supplémentaires sur lesquels travailler et, si cela est nécessaire, il invente de nouvelles
manières de leur expliquer. En somme, sa vision à lui aussi s’enrichit car elle se transforme en
se nourrissant de certains apports des acteurs. Ainsi, ensemble, lui et les acteurs construisent
les scènes à partir de la communication qui existe au niveau de ce qui est dit en mots et à
travers le jeu: exprimé corporellement à travers les actions, la voix, le mouvement. Enfin, les
acteurs peuvent apprendre à se connaître en passant du temps ensemble, notamment pendant
les sorties ou les autres activités en dehors des horaires des répétitions.
6.3.3.2. L’apprentissage à travers les sorties organisées spontanément par plaisir
Pendant dans cette étape, les sorties contribuent aussi à l’intégration de l’équipe mais
elles ont un caractère plus informel et amical comparativement à celles de la première étape
qui étaient essentiellement reliées aux besoins de la pièce, comme celui de visiter des lieux
précis qui avaient un rapport avec cette dernière. Durant la deuxième étape, les acteurs
185
organisent des activités simplement pour le plaisir de passer du temps ensemble ou pour
partager des événements importants.
Ces moments passés ensemble leur permettent de se connaître davantage et ainsi de
renforcer la confiance basée sur la connaissance de l’autre. L’échange verbal qui se produit
dans les réunions nous parait particulièrement important mais aussi le fait de partager des
événements significatifs comme la représentation d’une autre pièce de théâtre où joue Pablo.
Dans cette pièce, il avait un des rôles principaux et il était heureux que ses camarades assistent
à une présentation de cette pièce. Il faisait preuve de son talent pour s’exprimer principalement
avec son corps ce qui constitue une de ses forces. À la fin de la présentation, les acteurs
présents l’avaient félicité et lui avaient fait des commentaires encourageants.
Un autre cas semblable est celui de Mauricio. Il avait invité les membres de l’équipe à
voir le film où il jouait, ce soir il participait à une table ronde où il parlait de son expérience en
tant qu’acteur de ce film. Dans le cas de Mauricio, ce film avait gagné des prix importants et
son rôle était aussi celui d’un des personnages centraux de l’histoire.
Ces sorties n’étaient pas « nécessaires » comme celles qui avaient été organisées lors
de la première étape; ces dernières avaient été organisées spontanément, mais elles avaient
crée entre les membres de l’équipe un rapprochement important, une plus grande proximité
entre les acteurs mexicains et québécois. De plus, ces activités pouvaient avoir lieu, sans que
la langue soit un obstacle, leur permettre de partager un accomplissement professionnel avec
une autre personne qui pouvait l’apprécier.
6.3.3.3. L’apprentissage réalisé à travers les réunions
Une autre forme d’échange a lieu dans les réunions; c’est le partage des expérience
vécues dans le théâtre. Certains auteurs identifient cette manière d’apprendre comme le
« Storytelling ». Ce type d’échanges rappelle le partage de l’information qu’Orr (1990) avait
décrit entre des techniciens réparant des photocopieuses. Cette équipe apprenait en partageant
grâce aux « histoires » racontées en référant à des connaissances pratiques utiles à tous.
186
Chaque réparation, étant différente des autres à cause des changements du contexte. Cette
situation leur permettait et demandait d’acquérir des expériences particulières en fonction du
milieu où se trouvaient ces photocopieuses. Lors de la première étape, la moins grande
pression du temps rend possible un type similaire de partage pendant les répétitions, grâce aux
explications du metteur en scène portant notamment sur des montages réalisés auparavant.
Dans ces cas, c’était surtout Julio qui parlait habituellement. Quelquefois, il y a eu de courtes
conversations dans lesquelles les acteurs ont aussi eu l’occasion de partager leurs expériences
mais cela reste exceptionnel. Pendant les pauses ou les repas il est arrivé que les acteurs se
parlent de faits qu’ils ont vécus en lien avec le théâtre. Pendant la deuxième étape, il y a
toutefois eu des réunions où ces partages ont pu se faire plus longuement, car les membres de
l’équipe avaient un peu plus de temps et de disponibilité. Dans ces moments particuliers où le
contexte d’une réunion facilitait la communication, il y a avait des échanges qui permettaient
à ceux qui étaient présents de mieux se connaître à travers ces récits et de mieux comprendre
le sens que le théâtre a pour eux.
Différents apprentissages se sont réalisés dans le partage spontané des expériences
vécues qui sont « contées » comme des anecdotes correspondant à des moments forts, drôles
ou difficiles dans d'autres montages. Voici des exemples. Pendant une réunion organisée pour
la fête d’un acteur, il y avait eu un échange sur des expériences assez extraordinaires. Une
actrice avait raconté qu’elle avait dû en remplacer une autre qui s’était cassé une jambe. Elle
avait dû assumer ce rôle à l’imprévu. Étant donné que ceci se passait au Mali, elle s’était fait
passer pour une noire, se maquillant et imitant un accent français africain. Le public l’avait
vraiment prise pour une femme de couleur! Il faut ajouter que cette substitution avait pu
s’effectuer rapidement parce que la remplaçante de l’actrice à la jambe cassé, était le metteur
en scène de la pièce. C’était pour cette raison, qu’elle connaissait le rôle.
Une autre « histoire » racontée dans une de ces réunions est celle d’un montage qui
portait sur la relation entre deux frères jumeaux. S’agissant d’une relation intense, il fallait
parvenir à créer une grande proximité entre les deux personnages. Le metteur en scène avait
raconté comment le choix des acteurs pour cette pièce avait été décidé. Le premier acteur,
dans le rôle d’un des frères, était choisi mais le metteur en scène était à la recherche du
second. Le choix des acteurs est un facteur essentiel pour déterminer la réussite d’une pièce et
il demande de tenir compte de la complémentarité qui peut exister entre les acteurs. Dans le
187
cas dont nous parlons ici, le metteur en scène avait fait divers essais avec différents acteurs
sans trouver qui convenait à ce rôle. Aucun candidat ne semblait le convaincre, non pas parce
qu’il n’étaient pas de bons acteurs mais parce qu’ils n’arrivaient pas à établir le lien voulu
entre les deux personnages. À chaque fois qu’un nouvel acteur tentait de prendre le rôle du
deuxième frère, le metteur en scène trouvait qu’ il manquait quelque chose. Il « ne se passait
rien entre eux ». Il connaissait un acteur avec qui il avait travaillé dans le passé mais, en
raison d’un problème avec lui, il avait attendu avant de l’appeler pour l’inviter à se joindre à
ce projet. Ne trouvant personne capable d’établir le type de lien qu’il souhaitait, il avait
décidé de lui donner une deuxième chance car, en fait, il avait toujours eu en tête l’idée que ce
lien subtil mais essentiel pouvait s’établir entre ces deux personnes. D’une certaine manière,
son intuition, dès le début de ce processus de choix, avait été que ces deux acteurs formaient le
couple parfait pour ces rôles. Il avait dit que, dès qu’il les avait vus ensemble sur la scène, il
n’avait aucun doute que c’était cet acteur qui devait jouer ce rôle. Il expliquait son choix en
ces termes: « Il y avait entre ces deux acteurs une énergie spéciale, une harmonie dans leurs
mouvements, une sorte d’entente silencieuse, une façon d’être bien ensemble dans l’espace.
C’était impressionnant comment il se passait des choses entre eux même sans qu’ils aient à se
parler ». Ces commentaires du metteur en scène mettent en évidence à nouveau que le travail
des acteurs se base sur différents niveaux qui vont bien plus loin que celui du langage parlé.
Ces deux exemples d’événements reliés au théâtre nous ont semblé importants parce
que les deux touchent à un même aspect: celui de la possibilité et de la difficulté de remplacer
un acteur dans un montage. C’est aussi une manière de réfléchir à l’interdépendance entre les
acteurs et aussi à l’influence du temps; Les difficultés d’un remplacement varient en fonction
du moment où se présente une situation inattendue. Par exemple, au début du montage ce sera
très différent que lorsque les représentations ont commencé.
Durant les réunions, les membres de cette équipe ont partagé des expériences
marquantes
et significatives. Selon nous, ces échanges ont un effet sur la confiance
interpersonnelle car ils contribuent à ce que les personnes se connaissent mieux dans un
contexte qui change un peu de celui des répétitions car, lors de ces rencontres, elles sont plus
détendues et ne sont plus sous la pression de l’accomplissement du travail.
188
6.3.3.4. L’influence de la confiance sur l’apprentissage
En raison de l’interdépendance entre les acteurs, la qualité de leurs relations influence
la qualité de leur jeu. Un acteur mexicain explique pourquoi en ces mots:
Au théâtre, la générosité signifie de s’ouvrir à l’autre. Te partager avec l’autre.
Lui donner du matériel pour qu’il puisse créer, pour que grandisse son histoire, sa
façon d’être sur la scène (…) Comme tu travailles avec tes émotions, tu dois
approfondir dans un champ très délicat. Moi je vais te passer cette information sur la
scène, fais quelque chose avec et après tu me la renvoies à nouveau. C’est un jeu
circulaire.
Considérant fondamentale l’ouverture pour la réalisation de la tâche de cette équipe de
travail, nous voulons souligner des liens entre cette dernière et la confiance. Prusak et Cohen
(2001, p.46.) parlent de ce rapport:
« Openness and trust are tightly coupled. Without initial trust openness it is
hard to come by. We need to believe that other people will not misrepresent what they
know about us or turn that knowledge against us before we can be comfortably candid.
Without openness trust is hard to maintain ».
Nous invitons le lecteur à voir la figure 6.1. où nous montrons des changements dans
la situation de l’équipe. Par exemple un rapprochement entre les membres et un changement
dans la manière d’intervenir du metteur en scène, car à ce stade il demande aux acteurs de
jouer plusieurs scènes sans les interrompre. Nous avons aussi représenté graphiquement un
affaiblissement de la confiance qui s’est présenté dans la relation entre Lucie et Julio, nous
référerons plus amplement à cette situation et à ses conséquences dans les chapitres suivants.
189
190
6.3.4. Les aspects prometteurs de cette étape
6.3.4.1. Le rôle de la confiance en soi
Chez l’acteur, la perception de son propre travail dépend en partie de sa capacité de
se faire confiance à lui même. Cette capacité l’aide à trouver l’équilibre entre un niveau
d’exigence raisonnable et une discipline adéquate. C’est ce qui le guide pour sentir s’il joue
correctement ou pas. Une actrice donne son avis sur ce sujet:
…je dis que ce metteur en scène « te laisse seul » parce que lui a confiance en
l’acteur et il a besoin d’acteurs qui se connaissent bien, qui savent « quand ils sont là
et quand ils ne sont pas là », je veux dire qu’ils savent qu’ils sont en train de faire un
bon travail et quand ils ne le sont pas: «When they are on ». Il y a des acteurs qui
sentent qu’ils jouent bien et il y en a qui ne se rendent pas compte et ils ont besoin du
metteur en scène comme d’un miroir.
En effet, une des fonctions du metteur en scène est d’avoir un regard extérieur à
l’acteur mais il ne peut pas lui dire tout le temps tout ce qui est correct ou pas. Il le fait quand
cela est évident ou davantage nécessaire. L’acteur porte l’autre partie de la responsabilité.
Marowitz (1991) parle de cet équilibre à construire entre donner des commentaires
pour guider l’acteur et la capacité de reconnaître son propre pouvoir: « There are some actors
who only function within the cocoon of a director’s good graces. There are the weaker actors.
The stronger ones derive their confidence from the certainty of their own powers. They use the
director mainly as a kind of barometer to gauge the efficacity of their work ». D’un autre côté,
la confiance en soi est importante aussi pour compenser les risques et la situation de
vulnérabilité que vit l'acteur. Il existe en effet, chez chaque acteur, une sensation de
vulnérabilité relative qui varie selon les personnes.
Par exemple au début nous avions remarqué chez Pablo des signes divers d’un
inconfort important et d’une insécurité, tant face à ses camarades, qu’en fonction de son
propre jeu. Maintenant, il se montre plus sûr de lui et de son jeu et il commence à s’ouvrir au
contact avec les autres acteurs. Pablo a commencé à mieux comprendre la logique de ses
personnages et il a été encouragé par l’approbation du metteur en scène. Pablo nous explique
qu’au début, il était assez nerveux mais qu’après il a pu se détendre: «Ce changement en moi
191
s’est produit, peu à peu, comme chez un jeune enfant à partir de l’approbation de l’adulte qui
me disait « bien », « bien » et cela m’a donné une tranquillité et, après, j’ai pu m’améliorer».
Le témoignage de Pablo est un bon exemple de l’effet que l’approbation du metteur en
scène a sur l’apprentissage. Au début, cet acteur était très tendu et anxieux et cela ne lui
permettait ni de suivre les explications du metteur en scène, ni de s’ouvrir au contact des
autres membres du groupe. Lorsque le metteur en scène lui a parlé des améliorations qu’il
avait notées dans son travail, il s’est senti accepté, tout en étant conscient de son besoin de
s’améliorer. Une des premières réactions visibles chez lui a été sa détente sur le plan physique.
Un autre changement observable est qu’il a commencé à rire plus souvent des blagues qui se
faisaient dans la salle. Récupérant un peu plus de confiance en lui après avoir vu que le
metteur en scène lui faisait confiance, il a pu écouter plus facilement ses indications et
recevoir les informations que les autres acteurs lui donnaient à travers le jeu. Au début, cet
acteur avait la sensation d’être face à un risque trop grand, peut être celui de se tromper ou
même d’être renvoyé. Il était plus habitué à travailler avec son corps qu’en parlant et il n’avait
pas d’assurance sur ce terrain. Lui même avait dit: « Il a fallu que j’apprenne à parler mieux
sur la scène ». Les expressions d’approbation du metteur en scène ont été un élément clef pour
que cet apprentissage et d’autres se produisent.
6.3.4.2. Le rôle et l’évolution de la confiance interpersonnelle entre certains acteurs et le
metteur en scène
La majorité des premières entrevues que nous avons réalisées auprès des acteurs ont
eu lieu pendant cette étape du montage car ils avaient une certaine disponibilité de temps.
Étant donné qu’ils travaillaient avec le metteur en scène depuis plusieurs semaines, nous leur
avons demandé comment ils se sentaient avec lui. Cette situation nous a permis de vérifier que
les comportements du metteur en scène avaient eu des effets positifs sur la confiance que les
acteurs avaient en lui.
Les réponses que nous avons obtenues nous ont permis de noter que ces acteurs
avaient acquis une certaine confiance en lui, ce qui est un aspect prometteur car selon notre
perspective, une confiance plus solide permet de meilleurs apprentissages cependant, chaque
personne manifestait sa confiance en des termes différents, et fondait cette dernière sur des
192
bases variables. Nonobstant ces divergences, leurs opinions allaient souvent dans le même
sens.
Au cours de cette étape nous avons observé plusieurs comportements qui influencent
favorablement la confiance. Ce sont pour nous des aspects prometteurs pour la suite du
montage. Revenons aux conditions qui, selon Butler (1991), favorisent la confiance. Souvent,
elles sont en lien avec des caractéristiques personnelles telles que la disponibilité, la
compétence, la consistance, la capacité d’être juste, l’intégrité, la loyauté, l’ouverture, le fait
de tenir les promesses qui sont faites, la réceptivité. Ces caractéristiques se manifestent à
travers des comportements concrets. Butler énumère des caractéristiques des leaders qui
inspirent confiance chez leurs subordonnés: l’intégrité, les motifs ou les intentions, la
consistance du comportement, l’ouverture, la discrétion, la compétence reliée aux
connaissances et aux habiletés et à la compétence dans les relations interpersonnelles, le sens
des affaires et le jugement, ce qui implique la capacité de prendre de bonnes décisions.
Nous considérons que ces caractéristiques peuvent se manifester dans le
comportement des membres de cette équipe et nous aider à comprendre quelles sont les bases
de la confiance qui se crée dans les relations entre eux. Nous pouvons distinguer quelles
caractéristiques personnelles peuvent être plus favorables à l’émergence de la confiance et à sa
consolidation, au fur et à mesure que le processus avance.
Il y a des comportements du metteur en scène qui favorisent l’émergence et la
consolidation de la confiance que les acteurs ont en lui et au plan de l’équipe, la sécurité
psychologique au sens qu’Edmondson (1999) donne à ce terme et, en plus, ils montrent la
capacité du metteur en scène d’être juste.
Une actrice parle d’un comportement du metteur en scène qui contribue à renforcer la
confiance dans la mesure où il favorise indirectement la cohésion de l’équipe: «…je sens que
c’est un bon leader, il favorise qu’il y ait une bonne disposition à travers ses commentaires. Il
ne fait jamais des remarques qui puissent provoquer la compétition entre nous (les acteurs)
mais toujours des commentaires qui visent ce que chacun de nous doit faire ». En effet, Julio
évite de comparer le travail des acteurs, il distingue les capacités de chacun et leur demande
ce qu’il considère qu’ils peuvent donner. Il est exigeant dans le sens qu’il attend un effort
important de chacun mais il se montre patient quand il note que la scène pose des problèmes à
un acteur ». Probablement ce comportement du metteur en scène crée une sécurité chez les
193
acteurs. En effet, nous avons le contre exemple du cas de Pablo; cet acteur s’était senti mal à
l’aise justement lorsque lui-même comparait son travail à celui des autres et trouvait que
certains jouaient mieux que lui.
Une autre manière de créer un sentiment de sécurité chez les acteurs est de leur donner
un nombre restreint d’indications pour qu’ils soient capables de les assimiler et de les suivre
car il considère que s’il leur demande trop en même temps, il risque de créer chez eux de la
confusion. Le metteur en scène peut avoir une séries de suggestions à faire pour améliorer le
jeu mais il sait qu’ils ne peuvent pas assimiler toute l’information immédiatement et que leur
apprentissage se fait progressivement. C’est pourquoi certains jours, il insiste sur quelques
points et quand ils sont acquis, il leur adresse de nouveaux commentaires qui ne sont
considérés que par la suite. Il dose la quantité des corrections qu’il fait, probablement, aussi
pour éviter de provoquer un découragement chez les acteurs. Cette stratégie pour modifier
progressivement le jeu des acteurs contribue aussi à encourager la confiance chez eux car ils
ne sont pas trop dépassés par un excès d’information. Ils reçoivent les commentaires du
metteur en scène, peu à peu, au fur et à mesure qu’ils sont capables de les intégrer et d’adapter
leur jeu selon ses
demandes. Cette capacité de doser les corrections à faire selon une
progression, contribue à un meilleur apprentissage des acteurs car ils peuvent assimiler une
information avant d’avoir une nouvelle amélioration à faire. Comme leur travail avance pas à
pas, ils peuvent se sentir sûrs d’avoir compris un aspect avant de continuer plus loin. D’après
nous, ces comportements sont des exemples de la compétence du metteur en scène dans les
relations interpersonnelles et de son expérience de travail auprès des acteurs car il sait
comment les amener progressivement dans une direction. Les acteurs perçoivent cette
compétence chez lui, ce qui est favorable au renforcement de la confiance que les acteurs ont
en lui.
Un autre comportement du metteur en scène qui favorise la confiance est son attitude
face aux variations du travail théâtral. Il montre une ouverture pour que les acteurs découvrent
de nouvelles possibilités d’expression et cela exprime aussi une consistance entre ce qu’il dit
aux acteurs, ce qu’il pense et sa manière de travailler. En entrevue, Claudia fait cette remarque
à propos de cette caractéristique du metteur en scène: «J’aime sa façon de travailler, j’aime
qu’il est ouvert pour que, à chaque répétition, puissent se passer des choses nouvelles. C’est
assez rare qu’il fasse allusion à ce qui s’est passé hier. On est dans le présent ». Selon nous, sa
194
capacité d’accepter ce qui est nouveau est un autre signe de son ouverture qui stimule les
acteurs à être créatifs et qui leur inspire confiance. Ce comportement du metteur en scène nous
montre son ouverture et sa réceptivité face à la créativité et à la variabilité que les acteurs
proposent à travers leur jeu. Cette attitude de sa part peut stimuler les acteurs à se sentir libres
de donner plus d’eux mêmes car ils peuvent s’exprimer de façons différentes, ce qui les aide à
enrichir leurs apports. Il y a une flexibilité de la part du metteur en scène qui stimule les
acteurs car ils peuvent tenir compte des indications du metteur en scène et les suivre avec une
relation flexibilité. Ils savent que, pour le metteur en scène, il n’y a pas une seule manière de
jouer qui soit acceptable pour lui, mais qu’il est ouvert à l’idée que le jeu puisse varier
partiellement. Dans une entrevue, une des actrices, justement, parle de la liberté qu’elle sent
pour s’exprimer sur la scène grâce au metteur en scène: « Il permet à l’acteur de travailler, de
travailler. Il nous provoque pour faire beaucoup de propositions. Il ne te dit pas ce que tu dois
faire ni comment. C’est toi qui dois voir comment faire les choses ». Plusieurs acteurs et
actrices ont mentionné cette même idée, selon laquelle ils se sentaient responsables de « voir
comment faire » mais le résultat serait une combinaison des deux apports car le metteur en
scène peut indiquer des modifications à faire après avoir vu ce qu’eux proposent comme
interprétation.
Parmi les comportements du metteur en scène qui favorisent la confiance, nous avons
remarqué son habileté pour s’adresser aux acteurs et être écouté. Il fait des critiques mais il
exprime aussi son approbation, ce qui favorise le maintien de l’ouverture chez l’acteur car il
ne sent pas tellement un besoin de se défendre. Cette manière de communiquer du metteur en
scène est favorable à l’apprentissage des acteurs car lorsqu’ils notent, grâce à ses
commentaires, la différence entre ce qu’ils ont assez bien compris et ce qu’il leur reste à
acquérir, ils peuvent faire de nouveaux essais en intégrant les demandes du metteur en scène.
De plus, sur le plan affectif, les personnes aiment que leurs efforts soient appréciés et
répondent à cela de manière positive. Il leur dit par exemple:
C’est bien si vous jouez avec de petites surprises mais n’exagérez pas trop.
Quand vous faites la scène du cinéma c’est correct mais vous pouvez « regarder » le
film un peu plus. Dans la scène de Mélissa et Pablo, le temps est bien mais le rythme
non, parce que vous ne vous écoutez pas. Dans la scène de Jean et Mauricio, c’est une
bonne idée que Mauricio soit en train de boire, cela donne envie à Pierre de boire
aussi.
195
Il dit à Pablo: « C’est mieux ce que tu fais avec la valise. Beaucoup mieux! » Il faut
dire que, lorsque le metteur en scène fait des compliments positifs ou des remarques sur
l’amélioration du travail, il n’a pas peur d’insister, de répéter, de souligner ce qui est bien. Il
est capable d’encourager les acteurs.
Il dit souvent d’abord le nom de la ou des personnes à qui il s’adresse et il lui ou leur
dit: « Telle chose que tu as faite à tel moment (en étant très spécifique et clair) est bien ». Il dit
pourquoi aussi cela est mieux. Souvent, il insiste et spécifie: « beaucoup mieux », « plus
claire », « plus convaincante », « c’est bien, tu as compris ». Par exemple, il précise
« maintenant on comprend que tu veux telle chose ou que ton intention te mène dans telle
direction ou, on voit quelle est ta réaction à ce commentaire de l’autre. Selon nous, ce
comportement, qui consiste à apprécier explicitement les côtés positifs du travail des acteurs,
est en lien avec l’intention de Julio de renforcer la confiance que chaque acteur a en lui même
car la manière dont il les encourage fait ressortir, à leurs yeux, leurs propos forces et leurs
capacité. En même temps il apporte des corrections à faire mais en suivant son intuition
d’améliorer leur travail et non pas pour leur produire des sentiments négatifs.
Le metteur en scène reconnaît qu’il y a déjà de bons résultats mais il fait des
commentaires sur des aspects qui peuvent encore être améliorés. Selon nous, ce comportement
aide les acteurs à renforcer la confiance qu’ils ont dans leur jeu et en lui. Ils perçoivent qu’il
est animé par une bonne volonté envers eux, car les critiques accompagnées d’encouragements
et de commentaires qui mettent en valeur les efforts fournis et les initiatives des acteurs sont
plus facilement acceptées. « C’est bien que Mauricio sorte la lettre et la donne à Jean. C’est
bien que Pierre réclame l’attention de Maurico avec insistance comme il l’a fait aujourd’hui.
Le temps est bon dans cette scène mais attention à la sortie».
Nous, de notre côté, nous avions l’impression que le metteur en scène avait du plaisir
quand il pouvait faire ces commentaires positifs mais aussi qu’il ne les faisait pas avant d’être
réellement satisfait d’un certain résultat. Dans ce sens, on trouve qu’il est honnête avec les
acteurs. Ce comportement d’honnêteté envers les acteurs, contribue à notre avis, à construire
et à renforcer la confiance qu’ils ont en lui.
Il est même capable, par moments, de se mettre à leur place afin de comprendre les
difficultés qu’ils traversent pour accomplir tout ce qu’il leur demande. Un jour, Julio racontait
196
une situation où un autre metteur en scène adressait à un acteur une demande concernant un
rôle particulièrement difficile mais il ne semblait pas se rendre compte de la difficulté que sa
demande représentait pour l’acteur. Ce dernier avait dit au metteur en scène: «Venez le faire
vous-même pour que je puisse suivre votre exemple ». Le metteur en scène avait essayé sur la
scène son idée, il s’était alors rendu compte de son degré de difficulté. Julio avait partagé cette
histoire pour communiquer aux acteurs qu’il savait que leur travail est difficile.
Ce
comportement montre qu’il peut se mettre à la place des acteurs et comprendre les difficultés
de leurs rôles.
6.3.4.3. Les aspects prometteurs concernant la confiance entre les acteurs et l’intégration de
l’équipe
Dans cette étape, nous avons noté qu’il y avait davantage de communication entre tous
les membres de l’équipe. Nous pouvons donner l’exemple d’une actrice québécoise et d’un
acteur mexicain qui ont pris un peu de temps pour partager plus et cela a été positif pour les
scènes qu’ils devaient jouer ensemble.
Selon notre compréhension, cette modification implique que la confiance en soi de
chaque acteur est plus sollicitée car chacun doit, dans une certaine mesure, pouvoir se diriger
en combinant l’information suivante: ce qu’il interprète et crée par lui-même, et les indications
qui lui ont été données jusqu’à ce moment, et les nouvelles indications du metteur en scène.
La disponibilité que chaque acteur a pour travailler avec un partenaire dans les
moments où cela est possible est un facteur important pour augmenter la confiance dans les
relations entre les acteurs. Ces moments se présentent quand le metteur en scène est occupé
avec les concepteurs ou avec l’auteur. Dans une entrevue, une actrice mentionnait qu’elle était
contente parce qu’à chaque fois qu’elle avait demandé à un autre membre de l’équipe de
répéter avec elle, elle avait toujours eu une réponse affirmative. Pour elle, cela démontre qu’il
y a une ouverture à l’autre et une disposition très positive à travailler et à collaborer. Prusak et
Cohen (2001 p.40) considèrent un des liens qui existent entre la confiance et la collaboration:
« Trust has many sources: Frequent face to face meetings, meatings of practice members and
even social gatherings that give people opportunities to know each other well enough to trust
197
them. The habit of collaboration –built on initial trust- creates more trust as people work
together over time ». Ces auteurs, parmi d’autres, font référence aux rencontres face à face et à
leur importance dans le développement de la confiance. Dans le contexte du théâtre, la plus
grande partie du travail se réalise sous cette modalité de rencontre personnelle.
La volonté de travailler ensemble, même dans des moments où le metteur en scène est
absent, devient un avantage pour l’équipe et montre aussi que ses membres cherchent à
atteindre ensemble un même but et qu’ils sont prêts à s’entraider. Une actrice nous donne son
avis sur la raison qui explique que la collaboration soit présente: « Sur la scène, on a tous
intérêt à collaborer parce que si tu fais du mal à l’autre, c’est comme si tu le faisais à toimême ».
6.3.5. Les aspects de risque
Cependant, même si en général le travail de l’équipe progresse de manière
satisfaisante, il y a durant cette étape des indices de situations problématiques présentant des
risques: 1) Travailler sous une pression du temps qui augmente, 2) travailler avec une
complexité et une interdépendance qui s’accroissent, 3) se trouver dans des situations où la
confiance interpersonnelle acquise se fragilise. Ces aspects entraînent des risques spécifiques:
un travail inachevé ou fait en surface; un retard dans l’achèvement du travail, la diminution
voire la rupture de la confiance.
6.3.5.1. La pression du temps durant la deuxième étape
Un autre risque de cette étape provient de l’augmentation de la pression du temps.
Le temps qui reste avant la date de la première est plus court et cela influence toute l’équipe
car ils ont une plus grande conscience de leur besoin de travailler le plus vite possible. Cela
198
implique que souvent, même quand ils ont des doutes, ils évitent de poser des questions pour
ne pas retarder le travail. Cela peut provoquer de la frustration chez certains.
Un indice montrant la préoccupation pour le temps du metteur en scène est sa
disposition à donner des exemples provenant de scènes de films ou de personnages de ces
films. Plus il sent qu’il a du temps, plus il donne de détails et d’exemples, à l’inverse, lorsqu’il
sait qu’il a moins de temps, ses explications sont plus ponctuelles et courtes. En effet, tout au
long du montage, un des moyens les plus employés par le metteur en scène pour expliquer la
logique des situations était la référence à des films. Mais ces explications étaient plus longues,
plus détaillées et plus fréquentes pendant la première étape que dans la deuxième et aussi dans
la deuxième étape comparée à la troisième.
Cette pression du temps a des répercutions concrètes sur le travail au quotidien. Elle
se traduit parfois par des séances de travail trop longues, de dix heures du matin jusqu’à six
heures de l’après-midi au moins, et très intenses. Nous observions que les acteurs finissaient
leur journée visiblement fatigués, ce qui va s’accentuer davantage durant l’étape suivante. Le
metteur en scène prenait très rarement des pauses. Lorsque il finissait le travail sur une scène,
les acteurs qui venaient de jouer avaient un petit espace de temps pour se détendre un peu mais
lui enchaînait immédiatement sur la scène suivante et ainsi de suite, tout au long de la journée.
Les acteurs avaient aussi un rythme de travail exigeant mais le metteur en scène a commencé
durant cette étape, à leur donner des rendez-vous pour se présenter au théâtre à des heures
différentes selon un ordre planifié. Cette démarche évitait aux acteurs de passer longtemps à
attendre et à observer le travail des autres et leur donnait un peu de temps à eux. Parfois, ils
profitaient de ce temps pour leur travail individuel mais au moins, ils avaient, certains jours,
la possibilité d’arriver une heure ou deux plus tard sans nuire au travail de l’équipe car ces
horaires échelonnés avaient été programmés à l’avance.
Normalement, le temps que les membres de l’équipe avaient pour aller manger était
d’une heure et demie mais, souvent, Julio destinait ce temps à des rendez-vous avec les autres
membres de l’équipe, comme les différents concepteurs. Les acteurs profitaient parfois de ce
temps pour travailler leur textes ou pour parler entre eux, souvent de sujets reliés d’une façon
directe ou indirecte au montage. Le risque causé par la pression du temps est comme nous
l’avons mentionné, de poursuivre le travail même s’il y a des aspects confus et de rester
superficiel.
199
6.3.5.2. L’interdépendance devient plus importante
Interdépendance ente les acteurs et le metteur en scène a ses propres manières de
se manifester. Le metteur en scène communique à travers les acteurs sa vision des
personnages et des situations où se trouvent ces personnages. Il se sert d’eux, mais chaque
acteur aussi utilise le metteur en scène pour qu’il l’oriente dans la construction de ce qu’il
va communiquer. Cette situation provoque une interdépendance entre les participants de
cette relation présente même lorsque le metteur en scène donne à l’acteur une grande
marge de liberté pour qu’il trouve ses moyens d’expression.
L’interdépendance entre les acteurs est aussi fondamentale. Elle existe tout le temps
puisque le théâtre implique de construire des personnages qui se redéfinissent
continuellement à partir des relations qu’ils ont avec les autres personnages. L’extrait du
texte suivant adressé aux acteurs nous donne un aperçu de l’importance de cette
interdépendance qui se produit entre les acteurs:
« Study your partner: his face, his eyes, his body. Look for cues in his
observable physiological behaviour. Study his tactics. Observe what is really there
before you. Unmask him. Undress him. Perceive him. Investigate him. Try to imagine
his fantasies; the way he sees you as a function of his life. Get inside
him (Marowitz,1999) ».
Tout au long des trois étapes que nous avons relevées, nous avons assisté à des
changements dans les modalités de cette interdépendance. Au début, durant la première
étape, le travail porte sur des scènes séparées, sans tenir forcément compte de l’ensemble
de la pièce, par séquences courtes en répétant plusieurs fois de suite les mêmes passages et
en soignant
des détails même très petits.
L’interdépendance qui se manifeste plus
clairement est celle qui existe entre les deux comédiens qui partagent une scène ensemble
et le metteur en scène, mais il n’y a pas encore d’interdépendance évidente entre ces deux
acteurs et les autres.
L’interdépendance est déjà considérable dans les relations entre les acteurs.
Stanislavski (1963) fait la remarque suivante à propos de ces relations : «Si les gens, dans
200
la vie ordinaire, font usage d’une grande variété d’adaptations, les acteurs ont besoin d’un
nombre logiquement supérieur, parce que nous devons être en contact constant les uns avec
les autres et, pour cela, et nous ajuster tout le temps. La qualité des ajustements joue un
grand rôle: vivacité, coloris, détermination, délicatesse, nuances, goût ». Cette réflexion
rappelle que l’interdépendance entre les membres de l’équipe prend différentes formes
mais qu’elle est constante tout au long du processus. Selon nous, son intensité est même
une condition pour la réussite du jeu. Dans certaines scènes, elle devient très évidente alors
que, dans d’autres, elle est plus subtile et voilée. Cependant, durant la deuxième étape, le
lien entre les scènes devient important et l’interdépendance entre des acteurs qui sont dans
des scènes différentes mais consécutives commence à prendre plus d’importance.
Même lorsque la majorité des personnes de l’équipe ont pu consolider la confiance
interpersonnelle, les risques que la confiance entre deux personnes s’affaiblisse ou se brise
existent toujours. Un autre cas qui nous permet de voir comment la confiance peut changer
et où les points de vue des personnes impliquées dans une situation peuvent être assez
divergents est celui d’un conflit qui s’est produit entre le metteur en scène et une des
actrices. Dans ce cas, la confiance existait au début de leur relation mais, à la suite de
certains malentendus, la confiance semblait s'affaiblir peu à peu.
6.3.5.3. Changements au niveau de la confiance interpersonnelle
Nous avons noté, par exemple, que lors d’une des séances où Julio avait demandé aux
acteurs de former un cercle pour leur donner des notes, elle s’était assise en retrait et cela était
si clair qu’il lui avait demandé de s’approcher d’avantage du groupe. Cette actrice de la
compagnie québécoise avait du mal à s’adapter à un changement qui a été proposé par Jean
dans une de leurs scènes. Tout au long de cette étape, elle cherche à se convaincre de la
pertinence de cette variation mais elle ne parvient pas à être totalement convaincue par les
arguments que le metteur en scène lui propose. Cette situation provoque entre eux des
tensions qui sont, au début, assez peu perceptibles mais qui commencent à devenir plus
visibles au fur et à mesure que la confiance entre eux s’affaiblit.
201
Dans une entrevue, cette actrice avait expliqué qu'elle avait commencé à se sentir de
moins en moins soutenue par le metteur en scène. En fait, il y avait des divergences entre eux
mais elle n’avait pas pu lui en parler et elle éprouvait un malaise qui devenait de plus en plus
fort au fur et à mesure que les jours passaient.
Puisque cette actrice ne se sentait pas capable à ce moment là d’exprimer ni son
inconfort, ni ses inquiétudes, au près du metteur en scène, nous avons pensé à un certain
affaiblissement du lien de confiance entre eux. Il s’agissait d’un changement important
puisqu’au paravent leur relation avait été cordiale et la confiance semblait bien présente.
Nous avions observé que, lors des séances où le metteur en scène donnait des notes,
qu’elle ne s’intégrait, plus dans le cercle des acteurs, si aisément qu’avant; elle restait à l’écart,
un peu éloignée du groupe. De plus, elle adoptait une attitude qui ressemblait à un manque
d’intérêt. Effectivement, avant les incidents qui avaient créé cette distance entre eux, l’actrice
s’était approchée souvent du metteur en scène pour lui poser des questions, avant les
répétitions ou pendant, pour lui donner ou lui demander son avis sur certains points concernant
ses scènes.
Lors d’une séance de répétition du début de cette étape, ils ont même soutenu une
longue conversation de presque une demie heure, pour clarifier des doutes à elle. Leurs
difficultés de communication, avait eu des conséquences sur le travail de l’actrice, une
certaine tension apparaissant, pendant les répétitions, dans le jeu même de cette actrice, par
moments.
Elle posait moins de questions et discutait très peu. Le metteur en scène lui avait
demandé de se rapprocher du groupe mais il y avait une tension qui s’installait dans leur
relation. Celle-ci se manifestait par une apparente indifférence des deux côtés. Cette actrice
nous avait fait part de son point de vue par rapport à cette difficulté:
À chaque fois que j’allais dans une direction, le metteur en scène me disait
« non ». Je ne sais pas pour quelle raison, parce que peut être il ne me lisait pas bien
comme actrice, il ne savait pas bien de quoi j’avais besoin. J’avais essayé plusieurs
fois d’aller dans la direction où je vais maintenant mais il ne m’avait jamais laissée, il
m’a toujours dit « reviens là ». Alors ce n’est pas quelque chose qui est apparu à la
dernière minute, c’est quelque chose qui était déjà là (…) Il y avait aussi un problème
de communication, de la façon que moi je rentre dans une scène parce que je suis une
actrice différente. Moi, comme il me connaît moins, il me disait non dans des choses
qui en fait étaient mon point de départ à moi alors je n’arrivais jamais à partir.
202
Il est important, pour nous, de comprendre que ce phénomène, d’affaiblissement de la
confiance interpersonnelle entre une actrice et le metteur en scène, s’est produit
progressivement à partir de malentendus, par manque de compréhension de part et d’autre.
Probablement, un élément pour que ce problème ait pris plus d’ampleur est que ni le metteur
en scène, ni l’actrice n’ont pris, assez vite, la décision de se parler de leur malaise. Nous
reviendrons sur les conséquences que ces changements dans la relation de confiance entre le
metteur en scène et cette actrice aura sur l’apprentissage et le jeu de cette dernière. Ceci sera
plus clair dans l’étape suivante dont traite le chapitre suivant.
Le tableau 6.1 indique les aspects prometteurs et de risque présents au cours de l’étape
2. Ceux-ci sont en lien avec la confiance en soi, la confiance interpersonnelle entre les acteurs
et entre les acteurs et le metteur en scène, la pression du temps et les conséquences et
l’interdépendance.
Une remarque intéressante à partir de ce tableau est de noter que des aspects qui dans
un moment sont prometteurs peuvent par la suite devenir des aspects de risque. Par exemple le
fait qu’au cours de l’étape précédente, le metteur en scène, à plusieurs reprises, ait
communiqué aux acteurs son approbation est, un aspect positif et prometteur pour
l’apprentissage des acteurs, car il leur a donné plus confiance en eux et en leur jeu. En
revanche, au cours de la deuxième étape, ce comportement du metteur en scène commence à
changer à cause de la pression du temps. Il devient moins expressif mais les acteurs attendent
encore ces commentaires positifs. Comme ce type de commentaires deviennent moins
fréquents, eux ne comprennent pas encore très bien le sens de ce changement, ils ne savent
plus si le metteur en scène apprécie autant leur jeu ou pourquoi il ne les encourage plus
comme avant. Nous voyons cette situation comme un aspect de risque qui peut provoquer des
malentendus. Pour les acteurs cette incertitude deviendra plus grande au fur et à mesure que le
montage progresse, jusqu’à ce qu’un des acteurs interrogera le metteur en scène sur ce point et
il pourra comprendre que le metteur en scène, à cause de la pression du temps a modifié sa
manière de communiquer à propos de ce qui est bien dans le jeu. À partir de la question de cet
acteur, le metteur en scène expliquera à tous que s’il n’insiste plus sur les aspects positifs de
leur jeu, c’est parce qu’il n’en a plus le temps mais que s’il ne dit rien, cela signifie que tout
est correct. Ainsi, même si le metteur en scène continue de donner des indications, celles-ci
sont plus ponctuelles qu’avant et concernent surtout les aspects à améliorer et non pas ceux
203
qui sont déjà bien, de sorte que les acteurs deviennent de plus en plus responsables de leur
propre capacité de voir les aspects positifs de leur jeu et de les apprécier.
204
Tableau 6.1.
Les aspects prometteurs et de risque de l’étape 2
En lien avec
La confiance en soi
La confiance
interpersonnelle
(entre les acteurs)
La confiance
interpersonnelle
(entre les acteurs et le
metteur en scène)
La pression du temps
et ses conséquences
Les aspects prometteurs
Les aspects de risque
- Les acteurs qui éprouvaient une
certaine insécurité se sentent plus
surs, en partie à
cause de
l’approbation du metteur en scène
« Ce changement en moi s’est
produit peu à peu comme un jeune
enfant à partir de l’approbation de
l’adulte »(Acteur)
- Le metteur en scène est perçu
comme un bon leader: « il
favorise qu’il y ait une bonne
disposition
à
travers
ses
commentaires. Il ne fait jamais de
remarques qui puissent provoquer
de la rivalité entre nous »
- Les acteurs perçoivent une
ouverture de sa part envers leur
travail: « J’aime qu’il est ouvert
pour que à chaque répétition
puissent se passer des choses
nouvelles (…) Il permet à l’acteur
de travailler, de travailler. Il nous
provoque pour faire beaucoup de
propositions. Il ne te dit pas ce
que tu dois faire et comment.
C’est toi qui dois voir comment
faire les choses ».
-Les acteurs se donnent des
occasions, comme des réunions ou
des sorties pour passer du temps
libre ensemble ce qui leur permet
de mieux se connaître et de
partager
des
expériences
significatives pour eux comme
leur participation dans une autre
pièce de théâtre ou dans un film.
-Ils ont aussi un échange verbal
plus riche qui porte souvent sur
leur expérience dans le théâtre
- La pression du temps oblige à
aller à l’essentiel et à chercher à
être plus efficaces
- Une actrice commence à avoir
des conflits dans sa relation avec
le metteur en scène, ce qui affaibli
temporairement la confiance en
elle-même
- Comme le metteur en scène fait
souvent
des
commentaires
positifs, les acteurs s’habituent à
suivre ces commentaires pour
savoir ce qui est bien dans leur
travail et ils sont un peu
dépendants
de
ces
communications. Alors, par la
suite ils s’attendent à ce que ces
commentaires leur soient adressés
tout au long du processus mais
cela n’est pas toujours possible,
surtout lors que le metteur en
scène doit faire face à une plus
grande pression de temps.
- Les séances de répétition sont
assez longues et deviennent plus
intenses
- Les acteurs sentent qu’ils
disposent de moins de temps pour
poser des questions ou échanger
verbalement
205
L’interdépendance
- Les acteurs travaillent plus en
fonction
des
besoins
de
l’enchaînement des scènes, ce qui
constitue un pas important vers la
présentation de la pièce.
- Le metteur en scène ne prend
presque pas de pauses
- Si quelques points ne sont pas
encore compris, durant cette étape
ils risquent de rester confus lors
de l’étape suivante
- Certaines personnes perçoivent
que le travail peut rester trop
superficiel à cause du manque du
temps
- Un problème entre deux
personnes
peut
avoir
des
répercussions sur le reste de
l’équipe car il produit de la
tension et un malaise qui se traduit
même dans le jeu
6.4. Conclusion
Durant cette deuxième étape, nous retrouvons encore quelques caractéristiques qui
étaient présentes au cours de la phase précédente mais qui se modifient progressivement. Nous
commençons aussi à voir apparaître d’autres caractéristiques qui augmenteront jusqu’à
devenir plus marquées lors de la dernière étape.
L’intensité de l’interdépendance et de la pression du temps caractérisant cette étape
sont de niveau intermédiaire. L’interdépendance entre les membres de l’équipe commence
maintenant à augmenter. Elle ne se met plus seulement en évidence entre deux acteurs qui
partagent une scène, mais aussi entre tous les acteurs, car ils jouent des scènes les unes à la
suite des autres, sans s’arrêter à chaque fois comme ils le faisaient, au cours de la première
étape, et doivent, de plus en plus, respecter les liens entre les scènes. La pression grandissante
du temps a aussi des conséquences sur le travail car il reste moins de temps qu’avant pour les
échanges verbaux, que ce soit pour poser des questions, faire des commentaires ou donner des
exemple détaillés.
Quant à l’intégration de l’équipe, il y a une amélioration par rapport à la première
étape. Cette amélioration est due aux raisons suivantes: Premièrement, les membres de
l’équipe commencent à se parler davantage entre eux et les acteurs de la compagnie
québécoise communiquent plus souvent en espagnol, même entre eux, quand ils sont en
206
présence des acteurs mexicains. Deuxièmement, les caractéristiques du texte font que chacun
des acteurs travaille seul dans une scène avec chacun des autres. Le travail des répétions
permet, de créer peu à peu, des liens de confiance entre les acteurs, surtout entre ceux qui ne
se connaissaient pas beaucoup encore. Troisièmement, un autre élément qui contribue à
l’intégration de l’équipe est la motivation et l’ouverture de ses membres; par exemple nous
notons les efforts réalisés par un membre comme Mélissa qui, continuellement, traduit de
l’espagnol au le français. Quatrièmement, les membres de l’équipe se rencontrent, de temps en
temps, en dehors des séances de répétition. D’un côté, ces rencontres sont un indice de la
disponibilité des membres de cette équipe pour se connaître davantage et, de l’autre, offrent la
possibilité d’un partage et d’un échange où les membres de l’équipe peuvent soutenir des
conversations en lien avec des situations qu’ils vivent actuellement ou qu’ils ont vécues dans
le passé comme acteurs.
Nous notons aussi une progression du point de vue des apprentissages. En ce qui
concerne le sens du texte, les acteurs commencent à acquérir plus de finesse dans leur jeu, à
devenir plus convaincants et à construire des personnages plus profonds.
Un autre apprentissage important concerne l’unité de la pièce car nous commençons à
avoir une vue de la pièce moins fragmentée. Les acteurs peuvent établir entre les scènes des
liens qui auparavant n’étaient pas si clairs.
Est-il possible d’affirmer que cette progression dans l’apprentissage est en relation
avec une certaine consolidation de la confiance interpersonnelle que nous avons observée?
Nous pensons qu’effectivement le niveau de confiance interpersonnelle et de sécurité
psychologique qui a été atteint dans cette équipe contribuent à rendre les apprentissages plus
faciles et rapides malgré le fait que l’interdépendance et la pression du temps soient plus
élevées que dans l’étape précédente. Cette relation entre confiance et apprentissage sera
analysée plus en profondeur un peu plus loin, dans les chapitres neuf et dix où nous intégrons
une perspective du montage dans son ensemble. Cependant, nous pouvons dire, à partir des
entrevues et des comportements observés, qu’il y a des progrès dans la confiance entre les
acteurs et entre les acteurs et le metteur en scène et que celle-ci a contribué à une réalisation
plus rapide des apprentissage requis.
Malgré tous les aspects prometteurs que nous avons mentionnés jusqu’ici, cette étape
présente des risques et des difficultés. Nous en avons repérés quelques uns qui nous ont
207
semblé plus importantes. Les aspects qui ne sont pas compris pendant cette deuxième étape
risquent de rester sans solution lors de l’étape suivante car la pression du temps et la
complexité auront encore augmenté. Dans ce sens, cette étape est une sorte de dernière chance
que les acteurs ont pour travailler sur certains détails et pour poser des questions sur le sens
des scènes ou sur la logique des relations entre les personnages; par la suite, les questions
porteront plus sur la construction de l’unité de la pièce, ce qui correspond à un niveau plus
concret du travail. L’approche de travail du metteur en scène changera beaucoup. Les acteurs
ont une assez longue expérience pour connaître quelle est la dynamique d’un montage et
savent que le rythme de travail s’accélérera de plus en plus et cela leur cause des sentiments
mélangés et un peu contradictoires. D’un côté, ils sont enthousiastes à l’idée du spectacle
qu’ils vont donner sous peu, mais ils sont aussi inquiets lorsqu’ils pensent au travail qu’il reste
à faire. Ils veulent réaliser encore beaucoup d’améliorations dans un temps assez court.
Cette situation crée une sorte de tension créative qui est à la fois stimulante et
fatigante. Nous percevons plus fortement ce sentiment d’urgence qui rend les contacts entre
tous plus intenses. C’est probablement aussi à cause de ce contexte où l’interdépendance est
très présente qu’une fracture de la confiance entre deux personnes de l’équipe peut avoir des
répercussions sur les autres membres. Et c’est justement durant cette étape que commence à se
manifester un conflit de confiance et de communication entre une des actrices et le metteur en
scène. Ce conflit n’est pas encore devenu très grave mais il commence à créer une tension de
plus; s’elle n’est pas résolue d’une manière adéquate, cette tension risque de provoquer des
conséquences touchant aussi les autres membres au plan de la tâche ou au plan affectif.
En résumé, nous pensons que la possibilité de faire les apprentissages nécessaires lors
de cette étape se base beaucoup sur les acquis de l’étape antérieure. À son tour, cette deuxième
étape comporte des éléments qui seront déterminants pour la suite du processus.
208
CHAPITRE VII
ANALYSE DE L’ÉTAPE 3
7.1. Introduction
L’étape 3, plus courte que les autres, dure huit jours seulement mais elle est
importante pour différentes raisons. Elle se caractérise par son intensité et par l’augmentation
de l’interdépendance. Les objectifs de l’équipe et ses manières de travailler changent
beaucoup. L’ objectif principal est de réussir à finir le montage de toute la pièce en intégrant
l’ensemble des éléments qui en font partie. La manière de travailler change, l’équipe travaillait
sur la pièce dans son ensemble plus que sur des scènes séparées.
Au début de ce chapitre, nous décrirons, pour ensuite l’analyser, la première journée
de cette étape où nous pourrons déjà voir la différence de certaines modalités du travail. Par
exemple, il n’est plus possible de respecter des horaires comme dans les étapes antérieures et
la pression du temps atteint son niveau maximum. Nous mentionnerons ensuite quels sont les
apprentissages spécifiques à cette partie et les moyens par lesquels ces ils ont été atteints.
Finalement, nous évaluerons cette étape en termes des aspects prometteurs et des risques
qu’elle présente.
7.2. Description d’une journée de travail représentative de l’étape 3
Comme pour les étapes précédentes, nous décrivons une journée représentative de la
troisième étape. À ce moment du montage la répétition ne s’organise plus scène par scène,
mais l’équipe travaille dans la perspective de la pièce au complet. Les moments décrits sont la
préparation au travail, la répétition de la dernière scène et la répétition générale.
209
7.2.1. La préparation au travail
11 juillet 2003. La séance de répétition ne commence pas à l’heure prévue, soit vers
16 heures. Étant donné que nous sommes dans les derniers jours avant la première, les
techniciens et les concepteurs s’occupent intensément pour finir des installations sur la scène,
comme le plancher surélevé et les « murs » mobiles. Sur les structures du plafond, il faut
placer des lampes pour l’éclairage aux endroits prédéterminés par le concepteur de l’éclairage.
Lui et la productrice de la compagnie mexicaine sont parmi les personnes qui travaillent
directement sur ces aspects. Vers la fin de cette étape, ils seront obligés de passer plus d’une
nuit sans dormir pour finir tous les détails de l’éclairage et des autres éléments du décors. Tous
les acteurs attendent pour commencer à répéter parce le metteur en scène est aussi en
conversation avec les concepteurs pour prendre des décisions avec eux. La scène, transformée
en chantier, est envahie par des techniciens et des menuisiers.
De plus, durant cet après-midi, Julio a été sollicité, pendant environ une heure, pour
une entrevue avec une journaliste qui va publier un article sur la pièce de théâtre. Ces
reportages étant essentiels pour attirer du public, les entrevues se font habituellement peu de
jours avant la première, même si ce sont des moments pendant lesquels le metteur en scène
semble avoir peu de temps disponible. Certains acteurs travaillent de leur côté, ailleurs que sur
la scène; d’autres attendent pour commencer et parlent du travail à faire dans les jours
suivants. Jean et Claudia, par exemple, se mettent d’accord pour aller visiter ensemble, dans
les prochains jours, « Le tunnel de la science » qui est la station du métro où se passe la
dernière scène. Pendant cette conversation, Mélissa commente que, maintenant, elle a la
possibilité d’avoir un sens plus clair de la pièce grâce à la vue d’ensemble qu’elle n’avait pas
auparavant. Tout lui semble plus cohérent et elle « sent mieux le rythme de la pièce ».
210
7.2.2. La répétition de la dernière scène
Vers 18:00 heures, Julio réussit à se libérer du travail avec les concepteurs et la séance
de répétition commence. Au début, seulement Jean et Claudia répètent. Julio leur demande de
s’installer dans la salle de lecture afin d’apporter des précisions sur la dernière scène. Entre
temps, les concepteurs continuent leur activité dans le théâtre.
Cette scène a été écrite récemment et elle n’est pas encore parfaitement au point. Le
personnage de Claudia commence à expliquer à l’autre personnage ce qu’il est en train de
vivre mais ils n’avaient jamais parlé de cela. Ce dernier est très surpris de se rendre compte
qu’elle est au courant de ce qu’il traverse en ce moment de sa vie et il lui demande comment
elle a su tout cela sur lui. Elle lui répond qu’elle ne sait pas exactement où elle a obtenu cette
information. Elle croit qu’elle l’a eue à partir d’un rêve. Du coup cette réplique suggère au
spectateur la possibilité que toute la pièce est un rêve, permettant ainsi, selon l’auteur, de
justifier certains événements trop surréalistes du reste de la pièce.
Le metteur en scène explique calmement aux acteurs la situation des personnages dans
cette scène et ce que les rêves représentent pour lui. Il explique la logique selon laquelle un
des personnages de la pièce fait un rêve où il a obtenu de l’information sur l’autre. Le metteur
en scène dit que les rêves prémonitoires sont comme des messages qui viennent de
l’inconscient; ils
nous avertissent d’un danger ou d’un événement important qui va se
produire. Inconsciemment, nous recevons de l’information à travers nos rêves ou par des
changements imperceptibles dans notre quotidien, qui sont comme des « signes ».
Le metteur en scène demande à Jean de parler plus doucement à Claudia pour lui
donner confiance. Il leur explique: « Vous devez chercher pour trouver le ton du jeu des
devinettes. Ton personnage, Claudia, doit sentir un malaise, comme lorsqu’on va s’évanouir ».
Les acteurs et le metteur en scène parlent des sensations physiques qui accompagnent cet état
où on est sur le point de perdre connaissance. Julio leur décrit une expérience personnelle de
ce type.
Claudia propose de parler à Jean en tournant autour de lui. Le metteur en scène
accepte cette idée mais il lui recommande de ne pas se montrer trop insistante. Il ajoute
qu’elle doit changer de ton à un moment donné; c’est comme si, tout à coup, tu te réveillais
d’un rêve. Claudia pose des questions sur le ton de sa réplique où elle dit qu’elle a tout su à
211
partir d’un rêve. Elle veut aussi savoir pourquoi son personnage s’approche de lui de cette
façon. Le metteur en scène explique que c’est comme une « impulsion d’enfant »; elle lui
parle à lui, mais elle l’aurait aussi fait avec n’importe quelle autre personne qu’elle aurait
croisée sur son chemin à ce moment là.
Le metteur en scène leur dit qu’après le malaise de son personnage, tous les deux
doivent s’appuyer au mur car ils sont visiblement mal en point et ils doivent respirer lentement
pour se calmer. Elle, parce qu’elle se sent mal physiquement -étant enceinte- et n’ayant pas
dormi pendant toute cette nuit. Lui, parce qu’il a peur de la situation. Claudia spontanément a
un petit rire nerveux. Le metteur en scène lui dit qu’elle peut « garder » cette réaction et
l’intégrer à la scène.
Lorsque Julio trouve qu’ils ont assez bien compris le sens de cette scène et qu’ils sont
capables de la jouer adéquatement, il leur demande de se réunir avec le reste du groupe dans le
théâtre. En allant de la salle de répétition au théâtre, qui est assez proche, nous observons que,
maintenant, Jean parle en espagnol à Claudia. Comme ils partagent plusieurs scènes, leur
communication est devenue bien plus fréquente comparée à ce qu’elle était au début du
montage.
7.2.3. La répétition générale
À ce moment, le metteur en scène demande à tous les acteurs de se préparer pour jouer
toute la pièce en entier, ce qui inclut cette dernière scène qu’ils viennent de répéter. Il est déjà
sept heures et demi du soir, ce qui signifie que les acteurs ont attendu au moins trois heures
avant de pouvoir commencer à répéter car l’heure de leur rendez-vous était à quatre heures.
Cependant, les acteurs savent que, vers la fin du montage, des événements imprévisibles
risquent de se présenter fréquemment, et ce qui fait partie de la logique de la production quand
elle est rendue à ce stade. Cela peut cependant, être fatiguant pour eux mais ils font preuve
d’une grande capacité d’adaptation car ils savent qu’il est difficile de contrôler tous ces
éléments conjugués ensemble.
Avant le début de la répétition, le metteur en scène leur demande de s’asseoir en
cercle pour leur faire des recommandations et leur rappeler des indications qu’il leur avait
212
données la veille. Quand ils s’assoient par terre, nous remarquons la proximité physique entre
la plupart des membres de l’équipe. À présent, nous ne distinguons pas, dans leur façon de se
placer dans l’espace, une séparation entre acteurs québécois et mexicains. Par exemple, Jean
appuie sa tête sur la jambe de Claudia pendant qu’il écoute les remarques ou un autre fait un
petit massage des épaules au camarade qui est tendu.
Le metteur en scène leur donne des indications « techniques »: elles concernent les
liens entre les scènes, comme les entrées et les sorties de la scène: « Tous doivent sortir de la
scène plus vite. Sortez les bancs toujours par en arrière. Et évitez de ressembler à des serveurs
quand vous le faites». Le metteur en scène se lève et imite des acteurs portant les bancs
comme s’ils portaient des plats servis et il provoque le rire de tous. « Par contre, les entrées
pour les présentations sont toujours en avant. Ce qui varie, ce sont les entrés et les sorties des
acteurs. Calculez votre entrée en fonction des derniers mots des dernières répliques des scènes
et avant que les mouvements des murs soient finis ».
Les acteurs et le metteur en scène ont besoin d’une très grande concentration. Julio a
déjà demandé à tous de garder un silence total pendant la répétition qu’ils vont faire. Cette
demande suppose
un changement car avant il tolérait un peu de bruit tel que des
chuchotements très discrets, en arrière de la scène. Maintenant, il a besoin d’une ambiance de
silence total, comme celle qui correspond à une présentation en présence du public. Certaines
scènes ont fait l’objet de coupures qui provoquent des changements qui doivent être intégrés
car il était indispensable de raccourcir la durée de la pièce qui dépassait les deux heures et
demie. La durée exacte n’avait pas pu être calculée auparavant car la pièce n’avait pas encore
pu être jouée dans sa totalité.
Immédiatement avant le début de la présentation, le metteur en scène invite tous les
acteurs à se tenir debout en cercle se tenant par les mains. Il leur demande de se regarder dans
les yeux et il leur donne le temps suffisant pour que des contacts visuels s’établissent:
« Regardez avec qui vous allez jouer aujourd’hui », leur dit-il. Après quelques minutes, il
demande au groupe de prendre ensemble trois grandes respirations, en se penchant en avant à
l’expiration et en levant les bras à l’inspiration. Ces respirations aident les acteurs à diminuer
un peu leur stress et à renforcer leur sensation d’unité comme équipe.
La représentation commence ensuite et le jeu est continu. Il n’y a plus d’arrêt entre les
scènes. L’interdépendance du travail entre les acteurs et les concepteurs devient plus évidente.
213
Il faut encore régler le volume précis du son, ajuster plus exactement les entrées et les sorties
de la scène en fonction des mouvements des murs. Pendant la répétition, le metteur en scène
n’intervient pas du tout dans le jeu des acteurs; en revanche, il prend des notes tout au long de
la répétition. Il demande au responsable du son de réaliser différents ajustements du volume
car, celui-ci est parfois tellement élevé qu’il couvre en partie les voix des acteurs. Certaines
scènes sont bien meilleures, les acteurs démontrent plus d’assurance dans leurs rôles.
La répétition finie, les acteurs quittent le théâtre vers 10:45 P.M. Julio a des notes à
leur donner mais il préfère les garder pour le lendemain car il sait qu’ils sont fatigués. En se
préparant pour partir, les acteurs font plusieurs commentaires sur cette journée. Le metteur en
scène leur donne des rendez-vous échelonnés pour commencer à travailler le lendemain selon
les dernières scènes qu’il veut encore améliorer.
7.3. Analyse de la journée de travail et d’autres éléments caractéristiques de l’étape 3
Durant cette étape, mettre au point tous les détails du jeu des acteurs n’est plus le seul
objectif car, à présent, une autre préoccupation anime le travail du metteur en scène et des
concepteurs. Il s’agit maintenant d’intégrer parfaitement le jeu et les autres éléments de la
pièce qui supposent la participation des différents personnes et le soutien des assistants du
metteur en scène : nous parlons de l’éclairage, du son, du décors et des costumes. Ainsi, les
moments où les acteurs peuvent jouer sur la scène dépendent, d’un côté, du déroulement des
autres tâches de l’équipe qui déterminent les possibilités d’utiliser l’espace et de, l’autre côté,
de la disponibilité du metteur en scène dont l’attention est requise par différentes questions. En
conséquence, il y des fois où les acteurs arrivent pour répéter à l’heure qui a été accordée la
veille mais ils sont obligés d’attendre pendant une ou plusieurs heures avant de commencer.
Cependant, ils doivent être présents quand le metteur en scène le leur demande. Leurs horaires
deviennent très imprévisibles; la répétition ne commence que quand cela est possible et cela
signifie parfois de finir tard la nuit. Pendant cette étape, les acteurs ne font plus de sorties, de
réunions, ni d’activités en dehors des séances de répétition car ils se concentrent au maximum
sur leur travail. En revanche, ce sont des moments d’attente qui leur donnent l’occasion
d’échanger un peu entre eux.
214
Cette étape est probablement la plus fatigante à cause des exigences qui s’accumulent
et de la tension qui s’accentue. Comme observatrice, nous avons l’impression que l’activité de
l’équipe est devenue chaotique et que, par moments, la confusion règne. Le metteur en scène
nous explique la situation de la manière suivante: « C’est la production et c’est normal que le
jeu s’adapte maintenant à son rythme ». Pendant ces jours, les acteurs savent qu’il reste peu
de temps pour monter le spectacle et lorsqu’ils veulent améliorer certains aspects, ils tentent
de compléter ce qui manque. C’est un des sujets qui revient dans leurs conversations.
Il est préoccupant pour nous, en tant qu’observatrice, de constater que la construction
de la dernière scène est encore peu avancée par rapport au temps qu’il reste avant la première
et nous sommes surprise aussi de remarquer que, pendant le travail sur cette scène, le metteur
en scène garde un grand calme. Ces observations nous étonnent d’autant plus que le metteur
en scène donne des explications aussi détaillées que pour les autres scènes et il qu’il prend
encore des exemples de films pour illustrer ses idées, quand il parle des rêves, et qu’ il se sert
à nouveau de son expérience personnelle.
Cependant, le travail de construction de cette scène avance très vite. Il y a plusieurs
raisons qui, à nos yeux, peuvent expliquer ce fait. La conscience de l’urgence et la meilleure
définition des personnages, sont deux de ces raisons. Il est vrai aussi que la confiance entre les
deux acteurs qui jouent cette scène est maintenant plus forte qu’au début quand ils se
connaissaient peu étant donné qu’ils travaillaient ensemble pour la première fois. Une chose
est certaine : les acteurs réussissent à comprendre très vite le ton de la situation et à rendre la
relation correcte entre les personnages. Ils font même rapidement des propositions qui sont
bienvenues.
Lors de cette étape, nous pouvons noter différents indices qui nous parlent en général
d’une meilleure intégration de l’équipe: le fait que Jean parle en espagnol plus souvent et
avec moins de difficulté, les contacts physiques entre des personnes qui avant se tenaient
distantes, comme entre Jean et Claudia ou entre Mélissa et Mauricio. Nous notons aussi des
indices de complicité entre Lucie et Pablo qui, pendant leurs scènes, s’amusent et rient
souvent à propos des choses inattendues qu’ils font.
Les commentaires que le metteur en scène adresse aux acteurs peuvent encore porter
sur la relation entre les personnages ou sur leur jeu, mais une partie importante de ses
remarques ont trait aux aspects dits « techniques », soit tout ce qui concerne les liens entre les
215
scènes, comme les entrées et les sorties de la scène et les ajustements dans l’espace en
fonction du décors et de l’éclairage. Il y a aussi des bancs que les acteurs doivent déplacer
selon les besoins des scènes. À cette fin, ils doivent savoir exactement qui prend quel banc,
quand et pour le mettre où. Durant cette étape, le metteur en scène favorise l’intégration de
l’équipe par une pratique qui, par son intention, nous rappelle un peu le « jeu de la balle » de
la première étape mais qui est plus simple: il s’agit de former un cercle avant le début de la
répétition pour se regarder et respirer en suivant un rythme synchronisé, ce qui crée un
rapprochement entre les membres de l’équipe.
7.3.1. Les apprentissages que les acteurs réalisent
Cette étape permet à l’équipe de gagner en subtilité dans son jeu. En continuant à
jouer les mêmes scènes, les acteurs parviennent à maîtriser davantage leurs personnages, à
mieux comprendre et transmettre la logique des scènes. D’autres apprentissages ont trait à la
construction de l’unité de la pièce et concernent des aspects apparemment simples mais d’une
grande importance, comme les sorties et les entrées. La difficulté de ces apprentissages vient
ici de la vitesse à laquelle les acteurs doivent intégrer une grande quantité d’information
nouvelle.
7.3.2. Les manières de réaliser ces apprentissages
Un des moyens d’apprendre à construire l’unité de la pièce consiste à répéter toute la
pièce entière sans l’interrompre et en respectant le rythme auquel elle sera jouée pour le
public. Les commentaires du metteur en scène et les questions des acteurs sont échangés
seulement à la fin. Julio fait à ce moment-là des commentaires concernant toute la pièce, en
traitant de toutes les scènes et des liens entre elles, même s’il n’est guère possible d’entrer
dans autant de détails.
216
7.3.2.1. L’emploi de métaphores
Lors de cette dernière étape, le metteur en scène a employé des métaphores comme
une manière de communiquer plus directement des idées portant plus sur l’ensemble de la
pièce que sur des scènes en particulier et s’adressant à tous les acteurs et non seulement à des
personnes en particulier. Ces métaphores à ce moment, ont un plus grand impact que s’il les
avait employées antérieurement car ses communications verbales se réduisent à l’essentiel.
Les métaphores sont comme des réflexions qui transmettent une perspective de la pièce et la
traduisent en une seule image forte et stimulante pour la créativité des acteurs. Nonaka et
Takeuchi (1995, p.48) expliquent la valeur des métaphores dans les processus d’apprentissage:
« metaphores create novel interpretation of experience by asking the listener to see one thing
in terms of something else . (…) metaphors are one communication mechanism that can
function reconciling discrepancies in meaning ».
Après la répétition générale, le metteur en scène a utilisé une belle métaphore. Il a
rappelé aux acteurs que toute la pièce a lieu la nuit et que, dans cette ambiance si sombre, la
luminosité devrait venir des personnages: « C’est une pièce très sombre, pensez que vous êtes
des lucioles dans la nuit. Vos visages doivent éclairer ». Julio a dit cette phrase une seule fois
mais elle a eu une influence évidente au moins sur une des actrices qui a beaucoup aimé cette
image. Apparemment, elle a été très inspirante pour elle car elle l’a répétée plusieurs fois par
la suite. Les métaphores donnent une information moins précise que celle des exemples mais
elles ouvrent une voie pour que l’acteur explore comment enrichir son jeu à partir de sa propre
interprétation de la métaphore. Celle-ci lui laisse plus de liberté que les demandes très
spécifiques; mais elle l’oriente ou l’inspire pour créer à partir des images qu’elle lui suggère.
Nous pouvons donner l’exemple d’une autre métaphore que le metteur en scène avait
utilisée pour guider les acteurs. Il leur avait dit: « Il faut que le temps (dans la pièce) compte et
non pas que le temps passe seulement ». Cette phrase peut être comprise de bien des manières
différentes par chaque acteur mais l’idée que le metteur en scène voulait leur transmettre,
c’était de faire attention à l’importance, au sens et à la valeur de chaque instant de la pièce.
Un autre exemple de l’emploi des métaphores est relié à l’apprentissage du rythme
des scènes. Le metteur en scène explique qu’il ne doit pas y avoir de « temps morts » dans les
scènes, c’est à dire qu’il faut éviter les pauses nécessaires qui allongent les scènes. Il utilise
217
encore une métaphore: « Chaque scène est comme un chemin qui ne doit pas être coupé ». De
leur côté, les acteurs se servent parfois de métaphores pour s’exprimer, tel que l’indique
l’exemple suivant donné par un acteur:
Quand une représentation commence, c’est comme si on lâchait une flèche
dans l’air. La trajectoire de cette flèche est commencée, on ne peut plus l’arrêter
jusqu’à ce qu’elle atteigne sa cible. Nous sommes tous dans ce mouvement qui ne
s’arrête plus jusqu’à la fin de la répétition. Parfois, c’est horrible si on a hâte qu’une
représentation finisse. On ne peut rien faire d’autre que de continuer tous ensemble
jusqu’au bout.
7.3.2.2. Le cercle: un autre moyen de renforcer l’intégration de l’équipe
Dans notre description d’une journée représentative de cette étape, nous avons parlé
du cercle que les acteurs forment avant de commencer la représentation. Cette pratique semble
favoriser le rapprochement des acteurs. Très facile mais puissante, elle consiste simplement à
se tenir les mains et à former un cercle; elle est importante pour le metteur en scène car, tous
les soirs, avant chaque représentation, il demande à l’équipe de former ce cercle. Cela
commence à se produire systématiquement lors de cette étape. Dans ce cercle se retrouvent
tous les acteurs, le metteur en scène
et, parfois, les autres membres de l’équipe: les
concepteurs, les assistants du metteur en scène et les producteurs s’ils sont présents.
Les membres qui forment ce cercle établissent un contact visuel avec tous, et un
contact par le toucher, se tenant par les mains. Cette action peut paraître simple mais elle
nourrit la perception d’être en lien avec les autres membres de l’équipe parce que, pendant ce
moment, les personnes ont une occasion unique de se regarder attentivement sans rien faire
d’autre en même temps qu’établir ce contact privilégié du regard. Et c’est aussi un geste qui
symbolise qu’aucun acteur n’est « seul » sur la scène car il est soutenu par le reste des
membres de l’équipe. Dans ce cercle, la respiration de tous se règle sur un même rythme
lorsque les personnes inspirent profondément en levant les bras et expirent en se penchant en
avant pour vider les poumons totalement. Ces respirations pratiquées plusieurs fois de suite,
marquent un rythme en commun et aident aussi à diminuer le stress qui devient assez fort
avant les répétitions, lorsque les acteurs sont confrontés à la pression que représente la
218
présence du public. Une autre manière de créer une union forte dans l’équipe avant une
répétition est de faire un réchauffement collectif. Marowitz (1999) explique l’importance de
tisser des liens subtiles entre les acteurs, en se servant de la kinésie: « Whereas, if the first
thing a company does is discover each other kinetically, sharing their energy and conveying
their personal rhythms to one another, the collective spirit in its raw state is immediately
encountered ».
7.3.3. Les aspects prometteurs de l’étape 3
Nous trouvons que cette étape comporte des aspects prometteurs divers. L’un d’eux
est la manière dont le metteur en scène intervient; elle nous semble cohérente avec les
objectifs poursuivis durant cette étape. Un autre aspect prometteur est le fait que certaines
relations nouvelles ont atteint, au cours du montage, des niveaux plus élevés de confiance et
que cela se voit plus clairement lors de cette étape où le travail s’intensifie. Cette confiance
grandissante entre les membres de l’équipe améliore leur travail. Un exemple de ce type de
relations est celle qui s’établit entre Béatrice, la productrice de la compagnie mexicaine, et
Alain, le producteur québécois. Un autre cas est la relation entre Mélissa et Mauricio qui a
également évolué favorablement.
7.3.3.1. L’intervention du metteur en scène
L’intervention du metteur en scène durant la troisième étape nous semble un des
aspects prometteurs; elle est différente de celle qu’il avait précédemment et elle s’adapte
mieux aux besoins de cette étape.
Lors de cette troisième étape, le metteur en scène finit de corriger quelques scènes
précises mais, en général, il fait des commentaires qui portent plus sur l’ensemble du travail
réalisé, pas seulement sur des aspects individuels ou
particuliers à une scène. Ces
observations s’adressent souvent à tous les acteurs. Par exemple, des commentaires
219
concernant l’ensemble des acteurs portent sur la « voiture », il s’agit d’une voiture imaginaire
dans laquelle ont lieu plusieurs des scènes, et elle est représentée par deux petits bancs: « Il
faut que l’on voit plus la voiture. Faites attention; si vous ouvrez une porte de la voiture
n’oubliez pas de la refermer ». Il leur fait aussi des commentaires sur leur rapport au public
tels que le volume des voix car, maintenant, l’intention d’atteindre le public est plus présente.
Après la répétition générale, il dit à tous les acteurs qu’il avait senti que la connexion établie
entre eux et le public était faible: « Vous alliez vers vous-mêmes alors que le public a besoin
de vous entendre. Le volume et la projection de votre voix étaient trop bas. C’est à vous
d’aller chercher le public. Si vous n’allez pas vers le public, on aura des problèmes. Il s’agit
de partager une expérience. Si l’expérience n’est pas partagée, l’acte scénique n’aura pas lieu.
Pensez y pour demain mais évitez d’aller à l’autre extrême. Il y a des scènes où vous étiez
tendus; il faudrait entrer avec plus de confiance. Vous avez besoin d’établir un lien entre vous.
Montrez plus de conviction ».
Pour construire l’unité de la pièce, Julio s’adresse aux acteurs en groupe, ce qui l’aide
à concentrer leur attention sur les mêmes aspects du jeu. Leur parler en groupe est aussi une
autre manière de traiter tous les acteurs sur un pied d’égalité, ce qui montre qu’ils ont tous
besoin de faire des efforts semblables. Il évite ainsi de marquer une préférence pour le travail
de l’un ou de l’autre.
7.3.3.2. Le renforcement de la confiance dans les nouvelles relations
Un autre aspect prometteur durant cette étape est le renforcement de la confiance dans
les relations nouvelles. Un exemple est le cas des producteurs des deux compagnies de théâtre.
Il s’agit en effet d’une relation qui a évolué au fur et à mesure que le montage avançait. En
entrevue, ces deux personnes ont mentionné que, au début de leur relation, elles ont senti de la
méfiance mais plus tard, la confiance s’est installée peu à peu, à partir du travail partagé, de
leur disponibilité pour s’ouvrir et des circonstances favorables qui leur ont permis de se
connaître davantage. Tous les deux travaillaient ensemble pour prendre quotidiennement des
décisions concernant les ressources et les dépenses destinées à la réalisation de la pièce. En
220
lien direct avec le budget, la production est un des aspects délicats; selon eux, la confiance
est nécessaire pour répondre à toute sortes de situations.
Comment cette confiance s’est-elle développée? La responsable de la production pour
la compagnie mexicaine a demandé que le producteur québécois soit logé chez elle; de toutes
façons, certains membres de la compagnie mexicaine avaient décidé qu’ils recevraient chez
eux une personne de l’équipe québécoise. La productrice avait dit:
Moi, j’ai exigé que le producteur de leur compagnie habite chez moi parce que
les décisions concernant l’argent sont très délicates. On a pu se voir chaque jour,
partager le quotidien et cela a permis de créer une confiance. Le fait de vivre ensemble
nous a donné du temps pour nous connaître. Maintenant, nous avons des codes de
communication à nous (…) Au début, il y avait de la méfiance entre nous; peu à peu,
celle-ci a évolué vers la confiance. Comme on a dû ouvrir un compte de banque
conjoint, ma signature était valable pour leurs chèques. Moi, je pouvais en signer un et
prendre tout leur argent. Les premiers jours, le producteur ne se sentait pas tranquille.
Il dormait avec son carnet de chèques sous son oreiller. Maintenant, ce carnet de
chèques traîne sur la table de la cuisine.
Lui aussi a exprimé qu’il existait entre eux un certain degré de méfiance. Il estimait
que cette méfiance a diminué grâce au fait de se connaître plus. D’après lui, la co-habitation a
permis de communiquer, plus facilement. Il voyait aussi cette situation comme une forme
d’insertion sociale car en habitant chez la productrice, il avait connu d’autres personnes du
milieu artistique. En revanche, il estime que
la méfiance, présente au début, avait
effectivement diminué mais sans disparaître complètement. Il trouvait que la productrice
mexicaine avait une trop grande charge de travail car, en plus des responsabilités reliées à ce
projet, elle avait son travail dans les bureaux d’un théâtre. La méfiance chez lui venait de
l’impossibilité de savoir à quel point elle était vraiment disponible pour réaliser l’ensemble
des tâches que ce montage lui demandait. Dans ce sens, il n’était pas sûr qu’eux deux
« avaient le même ordre de priorités ». Au contact avec la compagnie mexicaine, Alain avait
cependant apprécie la qualité et le professionnalisme du théâtre au Mexique.
221
Une autre relation où les acteurs disent que la confiance leur a permis de mieux
travailler est celle de Melissa et de Mauricio. Ils ont une scène difficile à jouer. C’est une
rencontre de deux personnes qui s’aiment mais, soudainement, l’homme contrarié devient
violent avec la femme et il la bat. La scène est intense et implique un contact physique
important entre eux. Au début, Mauricio avait peur de faire mal à Mélissa et cette peur
l’empêchait de jouer plus détendu. En entrevue, Mélissa a décrit la communication qui, peu à
peu, s’est établie entre eux:
Avec Mauricio, j’ai passé du temps parce que nous avions une scène difficile;
nous sommes allés manger, nous avons vu des films, nous avons parlé de nos vies et
tout cela a crée une amitié qui nous aide dans nos scènes. (…) Il y a de nouveaux liens
qui n’existaient pas au début, qui se sont crées au cours du processus. Mauricio et moi
avons une amitié, une confiance et nous nous parlons de différentes choses; nous ne
sommes pas obligés de faire cela en fonction du travail, mais nous avons eu
l’opportunité de faire ainsi et cela nous a aidés ».
La confiance s’est consolidée aussi dans la relation entre les deux compagnies
lorsqu’elles ont ensemble fait face à des problèmes. Par exemple, pour la production de cette
pièce, il y a eu des dépenses supérieures au montant qui avait été prévu au départ. Les deux
compagnies se sont mises d’accord concernant la solution de ce problème et l’ont l’affronté
en partageant la responsabilité. Cette décision a mis en évidence que l’engagement de chaque
compagnie envers l’autre était solide et qu’il tenait encore lorsque des situations imprévues et
difficiles se présentaient. Ce comportement a favorisé la confiance en montrant l’intégrité et
la loyauté face à l’engagement que chaque compagnie avait pris envers l’autre.
7.3.4. Les aspects de risque
Cette étape, comme les précédentes, présente des aspects prometteurs mais aussi des
aspects qui constituent des risques pour la réussite du projet et pour les apprentissages à
réaliser. Nous avons classifié ces risques selon les causes qui les provoquent: l’augmentation
de la pression du temps, l’intensification du degré d’interdépendance entre tous les membres
222
de l’équipe, en incluant les concepteurs, et les comportements qui jouent sur la confiance
interpersonnelle et qui pourraient la fragiliser.
7.3.4.1. L’augmentation de la pression du temps et ses conséquences
- Des journées de travail trop longues
Lors de cette étape, la pression du temps est devenue extrêmement forte et elle a
provoqué des conséquences sur différents plans. Nous avons mentionné une des conséquences
sur les horaires : les séances de travail se sont allongées et les répétitions ont fini bien plus
tard, ce qui a causé plus de fatigue chez tous les membres de l’équipe.
- Le risque de l’insatisfaction
Un autre risque se situe sur le plan de la satisfaction des acteurs. Dans des
conversations informelles, nous avons pu noter que certains ont parfois l’impression d’être
encore trop loin des résultats qu’ils espèrent atteindre, alors que le temps continue de s’écouler
sans que le travail qu’ils font leur permette d’aller dans la direction qu’ils voudraient pour
pouvoir résoudre leurs inquiétudes.
Cette volonté d’aller encore plus loin, dans le peu de temps qui reste, est une attente
variant d’une personne à une autre. Elle provoque des degrés de tension divers selon le niveau
des exigences de chacun. Ceci s’exprime par des commentaires tels que le suivant: « On n’y
arrivera jamais à tout finir dans le peu de temps qui reste ».
Cette perception de « ce qui manque » peut, au premier abord, être interprétée comme
l’ indice d’un manque de confiance que chacun a en lui-même ou dans les autres. En
revanche, il est nécessaire de comprendre le contexte où se produisent ces expériences car le
stress que les acteurs vivent est normal et a tendance à s’accentuer au fur et à mesure que le
jour de la première approche.
- Un niveau de stress excessif
Un des risques est d’ailleurs que les membres de l’équipe soient trop stressés. La
pression du temps provoque une excitation intense durant ces moments particuliers du
montage. Nous croyons que le témoignage suivant nous donne des éléments pour comprendre
ce qui est en jeu. Une des actrices nous a rapporté, spontanément, sans que nous lui ayons
223
posé une question en particulier, un rêve qui illustre la sensation que l’équipe peut ressentir
durant cette étape:
Je travaillais dans un autre montage avec un autre metteur en scène. Lorsqu’il
restait peu de jours avant notre première représentation, le metteur en scène a fait le
rêve suivant: Je suis avec un groupe de personnes, dans un endroit relativement obscur
et sous marin. Nous sommes bien dans cet endroit mais l’air commence à nous
manquer et, sous peu, nous allons être obligés de nager vers la surface, sortir dans la
lumière.
L’actrice nous avait expliqué que le travail de l’acteur, pendant les répétitions, se fait
dans un endroit privé, sûr, parce qu’il est abrité des regards extérieurs. L’acteur sent qu’il est
en sécurité dans le climat d’intimité créé entre les membres de l’équipe qui leur permet de se
montrer, les uns aux autres, assez librement. Dans le même sens, une autre actrice nous
explique que l’acteur commet des erreurs dans son travail devant les personnes qui le voient;
c’est un peu comme si un écrivain montrait les brouillons de ses textes. Mais lorsque le temps
s’écoule, il expose le travail tel qu’il est aux regards extérieurs. Se montrer face au public
donne tout son sens aux efforts soutenus jusqu’à ce moment là, mais cela représente, en même
temps, une rupture entre ce qui se passe avant la première et ce qui vient après. Avant la
première, les acteurs travaillent ensemble et peuvent se tromper ou essayer des options
différentes. Après, quand les représentations commencent, leur travail respecte et obéit les
choix qui ont été faits et il est un peu plus difficile de proposer des changements. La première
représente aussi une sorte de « choc » dans le sens que le travail des acteurs est exposé tel
qu’il est à ce moment, au regard du public, avec ses réussites et ses manques. Le public porte
un regard extérieur et nouveau, possiblement critique, mais sa présence ajoute une nouvelle
dimension au montage et lui donne son sens. Même si c’est justement le public que l’on espère
atteindre, provoquer ou interpeller, on craint aussi ses réactions. La pièce va t’elle lui plaire?
Quelles seront ses réactions? Réussirons-nous à communiquer quelque chose? Comment serat-elle reçue?
Ce moment qui précède la première est alors, en même temps, exaltant et attendu mais
inévitablement menaçant et inquiétant. Cette sensation de tension et d’excitation commence à
être présente quelques jours avant la première. Cohen (1978, p.84) donne une belle illustration
de la situation de « compte à rebours », à la fois excitante et troublante, que vit l’acteur avant
une représentation:
224
« The downhill skier is perhaps a good analogue of the actor getting into a
staged situation. His situational involvement is absolutely intense, total. See him
poised at the very moment between resting on the hilltop and beginning his descent.
His weight is forward, he is leaning into a future which he cannot absolutely control.
His actual course is unknown and dangerous; he must observe thousand of individual
and pieces of information at very moment- each rock, tree, hillock, patch of ice or
powder, each crevice, each skier, each gust of wind(…) and he gusts his direction
according to the information he receives ».
Cet extrait est une belle métaphore indiquant bien le fait que l’acteur doit tenir compte
d’une grande quantité d’information et agir avec beaucoup de précision en fonction du temps
et de l’espace. L’acteur, qui le sait par expérience, cherche à assimiler toute cette information
justement dans les derniers jours qui précédent le début des représentations. À partir de la
lecture du passage cité, il est plus facile de comprendre pourquoi un des acteurs avait dit: « À
chaque fois que je joue, je me dis que c’est la dernière fois parce que ça me fait trop mal ».
Toutefois, ce même acteur affirme, dans un autre moment, qu’il a beaucoup d’idées et qu’il se
voit comme un créateur. Ces deux affirmations semblent contradictoires mais, en réalité,
l’ambivalence existe inévitablement dans cet espace où la créativité implique une tension et
une exposition aux risques associés au jeu. En conséquence, il est compréhensible que les
acteurs et le metteur en scène se sentent sous une forte tension avant les représentations.
Le jour de la première, la salle du théâtre était pleine et toute l’équipe, avant la
présentation, était très excitée et énervée. Une personne avait dit au metteur en scène qu’elle
se sentait anxieuse et il lui avait répondu, presque fâché: « Oui, mais il ne faut pas le dire ! ».
Dans le ton de ce commentaire, il était clair que le metteur en scène aussi partageait cette
anxiété mais s’efforçait de la cacher ou de la contrôler le plus possible.
Un autre risque de l’augmentation de la pression du temps est qu’elle provoque des
changements du comportement du metteur en scène. En raison du nombre considérable de
choses à finir en très peu de temps, il ne fait plus autant de commentaires favorables aux
acteurs à propos de leur jeu. Ces rétroactions positives sont parfois tellement importantes pour
les acteurs que, pendant les séances de commentaires, ils ont demandé au metteur en scène une
explication sur ce changement de son comportement. Ils avaient noté une différence:
maintenant, il ne leur parlait que de ce qui manquait, de ce qu’il faudrait améliorer et de ce
qui n’était pas encore bien fait mais il ne passait presque plus de temps à leur exprimer son
225
approbation. Ce changement posait problème car les acteurs s’attendaient à recevoir des
commentaires positifs qui selon nous, augmentaient leur confiance en eux et dans leur jeu.
Lorsqu’ un des acteur lui a posé une question sur ce qui était bien dans leur jeu, il lui a
répondu: « Je ne peux plus vous dire tout ce qui est bien car je devrais alors passer toute la
nuit à faire des commentaires et nous n’en finirions plus. Quand je ne vous dis rien sur une
scène, cela signifie qu’elle est bien ainsi ».
Malgré la pression du temps, il est évident que les acteurs aiment l’entendre exprimer
son approbation et ce changement arrive juste à un moment où ils peuvent devenir plus
inquiets de leurs résultats. Ils avaient un peu orienté leur jeu en se fiant à ces commentaires
qui
les avaient beaucoup encouragés dans les étapes précédentes. Ajoutons que ce
changement dans le comportement du metteur en scène n’était pas en lien direct avec la
qualité du jeu des acteurs car ils jouaient, en général, mieux que durant la deuxième étape. La
cause du changement, était la préoccupation de faire beaucoup de choses le plus vite possible.
Pour y arriver, il essayait de parler le moins possible et de ne dire que l’essentiel. Les acteurs
pouvaient s’inquiéter, se poser des questions, en ne recevant plus de renforcements positifs de
la part de Julio. C’est en ce moment que la confiance en soi est à nouveau très nécessaire pour
les acteurs.
7.3.4.2. L’interdépendance
Lors de la troisième étape, le degré d’interdépendance est plus élevé que
précédemment en raison de la nécessité d’ajuster les interventions de tous les membres dans
des temps très précis. Il se pose temporairement le problème de l’utilisation d’un même
espace de travail car, tant que les concepteurs sont affairés à finir le décor, les répétitions ne
peuvent pas avoir lieu là. Les situations où le travail des concepteurs prend une place centrale
« retardent » en quelque sorte celui des acteurs mais le son, l’éclairage et le décor sont
également des éléments importants de la pièce. L’interdépendance est
alors celle qui se
226
produit entre le jeu et le reste des éléments qui avant ne semblaient pas compter. Parfois, le
travail des responsables de cette partie du montage
produit parfois inévitablement des
interférences avec celui des acteurs. Par exemple, lorsqu’il a fallu essayer des costumes, les
répétitions se sont arrêtées.
Durant les derniers jours avant la première, le temps que prennent les différentes
tâches est difficile à prévoir. Les horaires des répétitions sont modifiés. En fait, il n’y a plus
« un horaire »; chaque jour se présente différent de la veille. Le jeu pose encore plusieurs
problèmes à régler et il faut répéter la pièce entière pour ajuster sa durée, son rythme et tout
ce qui concerne son unité. Les séances de travail finissent tard dans la nuit. Certaines
personnes de l’équipe, comme l’éclairagiste et la responsable de la production, ont passé au
moins deux nuits blanches à installer le système d’éclairage.
Au début, Alain, l’éclairagiste, avait une participation relativement discrète. Il assistait
aux répétitions, parlait avec le metteur en scène, prenait des notes et élaborait son projet
d’éclairage en fonction des intentions du metteur en scène. En revanche, durant la troisième
étape, sa responsabilité nous apparaît cruciale: c’est le travail qu’il accomplira qui donnera
finalement la visibilité au jeu des acteurs et au travail du metteur en scène. Cet exemple
illustre bien l’existence d’une interdépendance très claire entre le jeu de acteurs et la
contribution de l’éclairagiste.
Sur un plan pratique, ce travail d’installation de l’éclairage ne peut pas se faire en
même temps que les acteurs répètent parce que la scène doit être libre. Les acteurs ne peuvent
plus utiliser l’espace de la scène pour répéter pendant les deux derniers jours avant la
première, ce qui est une autre des manifestations de l’interdépendance qui agit, cette dans un
sens un peu différent. En raison de ce besoin de l’éclairagiste, ce sens les acteurs ont deux
jours en moins pour répéter, cependant, ils lesquels ils peuvent éventuellement utiliser ces
dernier jours se reposer un peu avant la Première, s’ils sont capables de
mentalement.
se détendre
227
7.3.4.3. Les risques de rupture de la confiance dans les relations
Un autre type de risque présent dans lors de étape est celui de l’affaiblissement et la
rupture de la confiance entre deux personnes à cause de malentendus exprimés ouvertement ou
pas. Durant la deuxième étape, nous avons parlé d’un conflit qui semblait affaiblir
progressivement la confiance entre Lucie et le metteur en scène. Nous décrirons comment
cette situation a évolué et quelles en ont été ses conséquences.
Nous présentons un exemple d’une situation où la confiance s’est affaiblie.
La relation de Lucie et de Julio date de plusieurs années puisqu’ils avaient travaillé
ensemble avant. Cependant, au cours de ce montage, leur relation a traversé une période
critique où elle a commencé à souffrir des changements importants qui ont eu des effets sur la
confiance qui existait entre eux. Nous analysons ces événements non pas pour montrer le
problème entre ces deux personnes en particulier mais parce que ces événements ont la valeur
d’un exemple qui montre comment la confiance peut devenir de plus en plus fragile, lorsque
les personnes voient une même situation de manières très différentes et sont de moins en
moins capables de s’écouter et de se comprendre.
Ces difficultés dans la communication peuvent produire différentes réactions comme
la déception, la colère, l’éloignement et même l’idée que l’autre est contre nous.
Dans ce cas précis, nous avons observé que des difficultés ont surgi dans la deuxième
étape, lorsque Jean a fait une suggestion de modifier les actions de son personnage dans une
des scènes qu’il jouait avec Lucie. Cette scène était une sorte de monologue ou seulement elle
parlait; le rôle de Jean était de l’écouter mais d’une manière qui communiquait aussi une
attitude de désengagement par rapport à ce qu’elle lui disait. Son idée consistait à simuler
qu’il la caressait sexuellement pendant qu’elle lui parlait, ce qui était une manière de montrer
qu’il l’entendait distraitement et qu’il manifestait un certain manque d’intérêt pour un sujet qui
était important pour elle. Il passait sa main sous sa jupe, pendant qu’elle continuait de parler.
Elle devait cependant aussi simuler qu’elle éprouvait du
plaisir. Cette idée modifiait
considérablement la scène car cette action ne faisait pas partie du texte original et elle causait
de l’inconfort chez Lucie, ce qui l’avait amenée à se poser des questions sur le sens de cette
action et à interroger Julio sans trouver de réponses satisfaisantes. La communication entre
228
Lucie et Julio changea, nous avons noté la présence d’un malaise, indices de tension dans la
relation de Lucie et de Julio.
Les difficultés de communication entre Lucie et Julio se sont manifestées, lors de la
troisième étape, à travers une tension plus ou moins évidente pendant les répétitions. Le
conflit a continué de se manifester subtilement, à travers de petits détails de leur
communication, mais d’une manière persistante. Parfois, lorsque Julio demandait au groupe de
se réunir pour leur « donner des notes », autrement dit pour leur adresser des commentaires sur
leur travail, Lucie adoptait une attitude distante, réservée et froide. Elle regardait ailleurs et
semblait ne pas écouter très attentivement les indications. Ce comportement aurait pu passer
inaperçu s’il n’avait pas été si différent de celui qu’elle avait eu pendant toute la première
étape et même une partie de la deuxième étape où elle participait activement, s’intéressait,
posait des questions et s’intégrait très bien dans le groupe.
Pendant les répétitions, certains échanges entre Julio et Lucie ont mis en évidence un
inconfort. La friction ne se sentait pas tellement dans le contenu de leurs échanges, qui portait
sur des questions habituelles et semblables à celles que les autres acteurs posaient, mais dans
le ton de leur voix qui indiquait une certaine impatience ou intolérance. Une fois, Lucie avait
dit qu’elle trouvait compliqué de prendre une photo et de ranger rapidement l’appareil dans
son sac. Julio lui avait demandé, d’un ton légèrement agacé, de « se rendre habile pour le
faire ». Une
situation semblable s’est à nouveau présentée car Lucie
avait encore des
difficultés dans une scène où elle tenait une assiette et son sac, elle devait prendre une photo.
Encombrée, elle avait exprimé un certain malaise par rapport à cette situation. Le metteur en
scène lui avait répondu à nouveau de se débrouiller, en montrant une certaine impatience. Un
autre indice de tension dans leur relation s’est présenté une fois que Lucie n’était pas prête
pour sortir au moment où le metteur en scène avait demandé de commencer. Il l’avait
simplement appelée par son nom mais, dans le ton de sa voix, nous avons perçu qu’il était
relativement énervé et cela se voyait bien car, normalement, il maîtrisait bien ses émotions et
ne montrait pas facilement s’il se sentait contrarié.
La perception du conflit par d’autres personnes
La tension et le malaise de cette actrice avaient continué d’augmenter jusqu’au jour
où, avant une répétition, elle avait éclaté en pleurs dans les coulisses car elle n’en pouvait plus.
229
Elle disait que son travail n’était pas bon et qu’elle ne pouvait plus continuer comme cela.
Jean avait passé du temps auprès d’elle pour l’aider à se remettre et pour qu’elle puisse au
moins jouer à ce moment là car le travail devait continuer, mais c’était évident que quelque
chose n’allait pas bien.
Mélissa avait
compris que, pour Lucie, le malaise dans la relation avec Julio,
commençait à avoir un impact assez important sur son jeu. Mélissa avait décidé d’agir avant
que la situation ne devienne pire, alors qu’il ne manquait plus que trois ou quatre jours avant
la Première. Mélissa nous a donné sa version de cette situation telle qu’elle l’a comprise:
Tout à coup moi je ne savais pas comment aider Lucie alors j’ai décidé de lui
faire face. Alors je lui ai dit: « Tu dois aller parler avec Julio ». Alors, pendant une
semaine, elle ne m’a plus rien dit sur cette question. Elle s’est dit: « Bon, je ne vais
plus parler de cela à Mélissa, et moi j’ai dit: « je crois qu’elle va mieux ». Mais j’ai
vu après, dans son comportement, qu’elle n’allait pas mieux. Elle était pire parce
qu’avec moi elle avait avant une porte de sortie mais comme elle ne m’en parlait plus,
elle se sentait de plus en plus seule. Jusqu’ au jour où elle a commencé à pleurer avant
une répétition. Et moi j’ai vu qu’il y avait quelque chose de plus grave. Alors, après, je
lui ai demandé ce qui se passait et si elle était contente. Elle m’a dit que non, qu’elle
avait perdu confiance dans le metteur en scène. Il y avait eu une accumulation mais la
rupture s’est produite à un moment précis quand Julio lui a parlé d’une façon qu’elle a
interprétée comme violente. C’est parce que le metteur en scène se sentait impatient et
cela peut arriver à tout le monde. C’est difficile de travailler en si peu de temps; on
avait trop de pression de temps. Je crois que nous n’allons jamais plus travailler avec
si peu de temps. Nous nous sommes
mis dans une situation où chacun devait
travailler de son côté; c’est alors que Lucie a eu cette réaction. Lui n’a pas su répondre
à ses doutes d’une façon satisfaisante et elle s’est fermée. À partir de ce moment, elle
est allée de plus en plus mal.
Le point de vue de Lucie
230
Dans des conversations informelles et en entrevue, Lucie nous apporte de
l’information aidant à comprendre la situation. Elle a dit qu’elle avait accepté cette idée de
Jean mais comme un essai seulement. Je ne comprenais pas pourquoi, du jour au lendemain,
c’était Jean qui avait eu l’idée de faire ça et on s’est dit:
« On va l’essayer! » Et moi j’ai dit: « Ok! Je vais essayer ». Julio a décidé que
c’était bien et, après ça, il a décidé de la garder, comme un têtu, jusqu’à la fin, et moi
comme actrice je résistais. Mais je résistais, non pas parce que j’étais capricieuse,
mais je résistais parce je ne comprenais pas l’idée.
Lucie nous a aussi donné sa version d’une confrontation plus forte entre Julio et elle:
Julio et moi, on a eu un une sorte d’accrochage parce qu’il m’a fait une
réflexion assez dure. Je crois qu’il était en colère au sujet de la masturbation parce
qu’au début je n’aimais pas cette scène et je lui disait: « Je ne comprend pas cette
scène ». Je veux bien faire quelque chose mais il faut que je comprenne. Si je ne
comprends pas, je ne peux pas la jouer, je ne peux pas trouver le sens. J’ai besoin de
conviction, comme actrice; je ne suis pas une machine. J’ai besoin de me dire que la
masturbation, ça sert à ça, à ça… Pour moi, ça venait comme « un cheveu sur la
soupe. (…) C’est désagréable d’aller sur scène et de faire quelque chose à laquelle tu
ne crois pas, que tu penses gratuite. C’est comme si on te demandait de jouer une
relation sexuelle, à poil, qui en plus n’est pas écrite dans le texte, premièrement, et qui
en plus de ça ne semble pas avoir de rapport. Alors tu te dis: « C’est quoi le truc du
metteur en scène? Il veut choquer le public? Il veut être dans le vent? » Tu te poses
des questions. Et moi, comme actrice, ça ne m’intéresse pas de faire ce genre de
théâtre. J’ai besoin de savoir le sens. Si ça nourrit la scène, je vais accepter. Si je pense
que ça amène quelque chose, que ça agrandit le sens, je vais le faire mais si je pense
que non, je m’excuse, moi je suis comme ça, je ne vais pas le faire! Par contre, si tu
me convaincs, je vais le faire et je vais le défendre jusqu'au bout. Si je crois, je vais le
défendre. Si je ne crois pas, je ne vais pas le défendre.
Lucie nous dit que, ce soir là, la tension est arrivée à son maximum. C’était peu de
jours avant la première. Julio a toutefois dit quelque chose qui, pour Lucie, a finalement été
une bonne explication: « Il me l’a expliqué ce soir-là où il était en colère. Il m’a dit quelque
chose qui m’a fait comprendre mais moi, j’étais super en colère parce qu’il m’insultait un peu.
Il m’a dit: "Je vais être condescendant, c’est de la condescendance d’enlever cette scène ».
Lucie s’est sentie mal traitée dans ce commentaire et elle nous le dit:
231
Parce que tu ne parles pas comme ça à un acteur, ce n’est pas comme ça
qu’un metteur en scène impose ses choix parce qu’il m’impose un choix comme
actrice! C’est une imposition! Cette idée n’est pas dans le texte, je m’excuse ça ne fait
pas partie du contrat! C’est quand même un texte, le personnage que tu vas jouer! … Il
faut que le metteur en scène, dans ce cas là, soit capable de convaincre et qu’il justifie
son choix parce qu’il n’est pas dans le texte. Et puis, lui il n’aimait pas ça parce qu’il
devait penser que j’étais capricieuse, que j’étais tête dure, capricieuse; donc, je pense
qu’il s’est énervé. C’est une tension qui est là depuis le début de la masturbation parce
je lui ai demandé plusieurs fois: « C’est quoi pour toi la scène de la masturbation? » Il
me l’a expliqué une fois, mais quand il m’a expliquée c’était tellement général que je
ne comprenais rien.
Lucie continue de nous expliquer son point de vue quant à l’effet de ce conflit sur la
confiance qu’elle avait dans le metteur en scène:
Au début, on avait fait un pacte avec Julio: si la scène marche, on la garde
mais si la masturbation ne marche pas, on l’enlève. Moi, jusqu’à ce jour, je sentais que
ça ne marchait pas parce que je ne comprenais pas le sens et je le savais parce que je
ne suis pas bête. Je sais quand ça marche et quand ça ne marche pas, une actrice le sait
très bien et j’étais un peu fâchée contre lui. Je lui ai dit: « Julio écoute: cela ne marche
pas! Qu’est ce qu’on fait avant la Première si ça ne marche pas? Est-ce que l’on peut
changer radicalement? » Et il m’a un peu insultée en me disant: « Ouais… je n’ai pas
envie d’être condescendant avec les techniciens, alors pourquoi je le serais avec toi? Il
faut être condescendant avec tellement de gens; être, condescendant, c’est enlever la
scène parce que tu n’es pas capable de la faire! » Il m’a parlé d’une manière…. Alors
moi, je n’ai pas pris ça vraiment! J’ai vraiment pas pris ça!
La position de Julio dans le conflit
Lucie nous a parlé de la colère qu’elle avait eue mais le metteur en scène aussi était
fâché; autrement, il n’aurait pas agit ainsi avec Lucie. En entrevue, il nous a expliqué son
comportement. Il avait admis aussi son incapacité en avouant que, pour lui, il était très
difficile d’aller « chercher » une actrice quand il la voyait dans ce genre de difficultés. Il avait
dit qu’il « aimait les femmes fortes ». En revanche, il se sentait mal à l’aise avec celles qui
montraient leur « faiblesse »; il se sentait même irrité quand il voyait qu’une femme avait
besoin d’être réconfortée et qu’on reconnaisse ses efforts. Il disait que lui réalisait de grands
efforts mais que, pour lui, « cela est normal car ça fait partie du travail et je n’attends pas une
reconnaissance pour ces efforts ». C’était vrai qu’il a travaillé intensément sur ce montage,
qu’il n’a presque pas pris de pauses et qu’il s’est concentré intensément. De plus, il a dit que
sa personnalité le poussait à éviter certaines émotions, comme la peine. Dans une autre
232
entrevue, il avait insisté sur le fait qu’il n’aime pas arrêter de travailler. Il s’organise pour être
constamment engagé dans de nouveaux projets de création, parce qu’il a une grande capacité
créative. Il a affirmé aussi que l’inactivité avait tendance à lui provoquer de la dépression. Au
fond, il pensait que le problème avec cette actrice s’expliquait par le fait que leur vision du
théâtre était différente. Ils avaient discuté des différences de leurs conceptions, cinq ans
auparavant, lors du montage d’une autre pièce de théâtre ensemble. Selon lui, cette actrice
réfléchissait trop à son jeu au lieu de se laisser guider davantage par ce qu’elle pourrait sentir.
La solution du conflit et la récupération de la confiance
La communication entre ces deux personnes était devenue difficile. C’est une
intervention de Mélissa qui les a aidé à trouver une solution. Dans une conversation en dehors
des répétitions, Mélissa avait demandé à Lucie de trouver des moyens pour clarifier ce
malaise, de parler avec Julio le plus vite possible pour lui dire tout ce qui la rendait
inconfortable. Mélissa avait suggéré à Lucie de demander un rendez-vous en privé pour
qu’elle puisse parler avec lui, mais Lucie n’osait pas faire ce pas. Elle avait probablement peur
de ne pas obtenir une réponse positive de sa part.
Mélissa, qui était en dehors de ce problème mais qui avait une bonne communication
avec Julio, était intervenue en concertant un rendez-vous entre eux pour que, finalement, Julio
et Lucie puissent aller prendre un repas ensemble et parler de leurs différences. Mélissa nous a
parlé de l’effet de son intervention: « Moi, j’ai supplié Lucie d’aller parler avec Julio. Je lui ai
dit:
Tu dois lui parler, lui dire tout ce que tu m’as dit à moi. Tu dois le lui dire.
Moi je ne peux pas le faire pour toi. Alors je suis allée voir le metteur en scène et je lui
ai dit: «Je crois que ton actrice a besoin de toi. Ella a besoin de ton soutien » et il a
répondu: « Oui, je suis là ».
L’intervention de Melissa a probablement été bien reçue des deux côtés parce que
Mélissa avait des relations d’une grande proximité avec les deux et ils avaient confiance en
elle. Nous ne savons pas si la réponse aurait été aussi favorable si une autre personne était
intervenue.
Par la suite, Julio et Lucie ont finalement mangé ensemble et ils ont parlé de ce qui,
depuis un certain temps, les gênait. Lucie nous a expliqué ce qui a été important pour elle
233
dans cette rencontre: « Nous nous sommes assis tout un après-midi et nous avons parlé de cela
et, maintenant ça va mieux. Je lui ai dit comment je travaille et je lui ai demandé: « Quand tu
dis cela, qu’est ce que cela veut dire? ». C’était une « conversation de traduction » et
maintenant, nous nous comprenons mieux. Je sens, je comprends plus comment lui
fonctionne; alors, je vais plus dans sa direction et lui comprend plus comment me dire les
choses ».
Analyse de l’évolution du conflit
Il est probable que dès le moment où Jean a proposé son idée à Julio, Lucie ne se soit
pas sentie vraiment à l’aise de représenter une masturbation sur scène mais elle dit qu’elle
avait eu l’ ouverture pour l’essayer parce qu’elle avait confiance dans le metteur en scène,
croyant que cette idée serait uniquement un essai. D’autre part, elle ne savait pas encore,
d’avance, quelles seraient les difficultés auxquelles elle ferait face en jouant dans cette
situation. Cependant, durant les répétitions, Julio avait insisté pour conserver l’idée, Lucie
percevait cette décision comme une sorte de trahison à la confiance qu’elle avait en lui. Elle
avait pris le risque de jouer sans se sentir totalement convaincue mais en pensant qu’ils
pourraient « revenir en arrière », si elle en éprouvait le besoin. Au lieu de supprimer assez vite
cette idée trop osée ou insensée, selon Lucie, Julio avait insisté avec plus d’ardeur, même
après avoir constaté les difficultés qu’elle avait. Ne se sentant pas à l’aise dans cette situation,
Lucie demandait à Julio de la « convaincre », en lui donnant des « raisons » pour justifier le
sens de cette action du point de vue de la logique des personnages.
Le metteur en scène lui avait donné plusieurs explications, à différents moments. Une
fois, il avait parlé de la différence qu’il voyait entre l’érotisme et la sexualité. Une autre fois, il
avait précisé sa conception de la relation entre les deux personnages et de ce qui se passait
entre eux dans cette scène… mais une fois il a effectivement laissé sans réponse une des
questions de Lucie, toujours pas convaincue. Et elle insistait sur le fait que cette action n’était
pas dans le texte. Toutefois, comme observateurs, nous savons qu’il y eu une grande quantité
d’autres actions, dans d’autres scènes, qui n’avaient pas été écrites dans le texte mais qui ont
été inventées, créés, ou découvertes dans le processus du montage, soit par le metteur en
scène, soit par les acteurs. Mais aucune de ces idées n’avait un caractère sexuel et aucune
n’avait causé ni un « besoin d’explications » si grand, ni un tel malaise chez un autre acteurs.
234
Par exemple, dans un de ses monologues, Jean a même proposé une musique. Dans une autre
scène, Jean a été attaqué et ligoté mais il réussi à reprendre le couteau de son attaquant. Cette
action n’était pas du tout dans le texte; c’est en jouant que Jean a eu cette idée parce qu’il avait
l’ouverture pour inventer de nouvelles manières de jouer. Et ces idées avaient été en général
bien acceptées.
Mais dans ce cas précis, plus Lucie demandait et attendait des « explications », plus
elle sentait que cela n’avait pas de sens pour elle et que Julio lui imposait un choix qui ne lui
convenait pas. Elle cherchait la solution à sa difficulté sur le plan rationnel et sous la forme
d’une conviction qui lui serait « donnée » ou « transmise » de l’extérieur mais, intérieurement
et sur le plan émotif, elle n’acceptait pas facilement de jouer ainsi. Plus grave que la difficulté
concernant cette scène spécifique, c’est la menace qu’elle présente pour l’harmonie de la
relation entre Lucie et Julio et une tension perçue aussi par d’autres membres de l’équipe.
Ce qui attire notre attention comme observateur, c’est le fait que Lucie n’a pas
exprimé clairement son désaccord ou refusé carrément de continuer à essayer quelque chose
qui la rendait mal à l’aise à ce point. De son côté, Julio agissait à partir de sa propre
perspective et il s’impatientait car il trouvait que l’idée proposée par Jean offrait une
possibilité d’enrichir la scène. Cette situation provoquait chez Julio un certain énervement
quand il voyait qu’après plusieurs répétitions, la situation ne s’améliorait pas sensiblement.
C’est dans cette perspective en toile de fond qu’un soir, sous l’effet de la pression du
temps, Julio avait parlé un peu rudement à Lucie. Probablement parce qu’il était frustré
d’avoir essayé plusieurs fois de lui expliquer sans voir d’amélioration de sa part.
Un malaise semblable s’était produit au cours de la première étape, un lundi matin
quand Julio avait apporté plusieurs chapeaux différents pour que Lucie en choisisse un pour le
mettre avec son costume de mariée. Lucie n’avait démontré aucun enthousiasme en voyant
ces chapeaux. Les avait-elle aimés? Lui paraissaient-ils laids? Sa réaction n’était pas claire. Le
metteur en scène avait visiblement interprété celle-ci comme une sorte de rejet car il lui avait
dit:
Hier, dimanche, dans ma seul journée de repos de la semaine, je suis allé
chercher ces chapeaux à différentes places du centre ville pour que tu les vois et pour
que tu puises en choisir un, mais tu ne sembles pas apprécier ces chapeaux ni te rendre
compte de ce que j’ai fait comme effort pour les apporter.
235
Cette fois, il avait ouvertement exprimé sa déception. Lucie avait un peu modifié son
comportement en disant, au moins, lequel des chapeaux elle préférait porter. Mais ce qui est
apparu clairement à nos yeux, c’est que le metteur en scène était déçu de ne pas sentir une
reconnaissance de la part de Lucie pour les efforts qu’il avait faits. Dans cette nouvelle
situation de conflit entre eux, il est possible qu’il ait ressenti cette même déception de faire
de grands efforts et de constater qu’ils ne sont pas appréciés par Lucie, puisque son attitude
ne semblait pas changer.
Déçu de chercher sans succès des solutions, Julio était tellement énervé qu’il avait
même pensé à supprimer la scène au complet. D’une certaine manière, cela nous explique
pourquoi, face à la réaction de l’actrice qui ne pouvait ou ne voulait pas jouer la scène comme
il le voulait, il préférait la supprimer, et il pouvait croire qu’elle ne voulait pas travailler car il
ne se rendait pas compte qu’elle avait une impossibilité réelle de surmonter cet obstacle.
Quand Julio a dit qu’il serait « condescendant » avec elle, Lucie a effectivement trouvé sa
réponse offensive. Mais cette communication plus « dure » de la part de Julio, a aussi mis une
sorte de limite à cette situation, en rendant le conflit plus évident et en présentant une solution
radicale telle que l’élimination de cette scène.
Selon notre compréhension, la rupture de la confiance, du point de vue de Lucie,
venait aussi du fait que le metteur en scène ne respectait plus leur « pacte », qui consistait à
introduire ce changement dans cette scène seulement à titre d’essai et de l’enlever si « cela ne
fonctionnait pas ». Ce pacte était une sorte de promesse qui, pour elle, avait eu une valeur et
qu’il semblait avoir oublié.
Les difficultés entre ces deux personnes auraient pu causer plus de tension dans
l’équipe de travail et probablement entraîner des conséquences négatives sur le jeu de Lucie,
non seulement durant les répétions mais aussi pendant le temps des représentations, ce qui
aurait était négatif pour tous. Cependant, ces difficultés les ont amenés à faire un grand pas
dans le sens d’apprendre à mieux communiquer entre eux car, lorsqu’ils ont pu se parler, ils se
sont rendus compte qu’ils avaient des points de vues différents et que ni l’un comprenait ceux
de l’autre. Le conflit qui aurait pu les distancer à servi pour qu’ils se rapprochent d’une
manière différente en allant passer un moment seuls et en essayant de se comprendre d’une
236
nouvelle façon. Heureusement, grâce à la possibilité d’un nouveau rapprochement entre eux,
le jeu de cette actrice s’était amélioré sensiblement et elle était plus calme.
La figure 7.1. montre au lecteur les relations entre les membres de l’équipe à ce
moment du processus selon les changements importants que nous avons notés.
Étant donné que ce chapitre est le dernier qui analyse une étape du processus de ce
montage, nous invitons le lecteur à consulter les tableaux 7.1, 7.2, et 7.3 qui comparent ces
trois étapes. Le premier résume les principales caractéristiques de ces étapes, le deuxième les
changements de l’intégration de l’équipe et le troisième les types d’apprentissage réalisé par
les membres de cette équipe. Le tableau 7.1 indique la durée de ces étapes, les objectifs
poursuivis pour chacune d’elles, les changements dans les manières d’intervenir du metteur en
scène, les variations de la pression du temps et ses conséquences, l’intégration de l’équipe et
l’emploi des langues. Le tableau 7.2 porte sur les changements de l’intégration de l’équipe à
travers les étapes selon les indices observés et les références à ce sujet retrouvées dans les
entrevues. Le tableau 7.3 met en relation les différents types d’apprentissages et les moyens
pour les atteindre. Ces trois tableaux donnent au lecteur la possibilité comparer les trois étapes
de ce montage et de noter leurs changements.
237
238
Tableau 7.1.
Caractéristiques des trois étapes
Caractéristiques
Durée
Étape 1
22jours
Étape 2
10 jours
- Approfondir le travail
Construction
des
scènes
sur chaque scène, en
Objectifs de travail
particulier la relation
entre les personnages
- Élevé entre deux
- Élevé entre les six
acteurs
dans
une
même
acteurs et le metteur en
Niveau
scène et le metteur en
scène
d’interdépendance scène
- Moyenne avec les
- Moyenne dans le
concepteurs
groupe des acteurs
fiable avec les
concepteurs
- Ses interventions sont - Ses interventions sont
Type d’intervention constantes et portent sur moins fréquentes et se
des détails. Il interrompt font surtout à la fin de
du metteur en scène les scènes pour donner chaque scène ou d’une
des explications
série de scènes
Forte
Moyenne
-Le metteur en scène
-Le
metteur
en
scène
Pression du temps et
donne des explications donne des explications
ses conséquences détaillées; il y des assez courtes
sur l’apprentissage échanges verbaux
-Il
exprime
son
et la confiance
-Le metteur en scène approbation mais de
exprime
de moins en moins
- Les acteurs posent des
l’approbation
-Les acteurs peuvent questions portant plus
poser des questions sur sur les liens entre les
le sens des scènes et sur scènes
la construction des
personnages
Intégration de
l’équipe
Faible
Nous notons deux sous
groupes et des individus
séparés
qui
communiquent
relativement peut être
eux. Le metteur en
scène
propose
une
activité comme le « jeu
le de la balle »
Moyenne
L’équipe commence a
être plus unie. Un désir
de passer plus de temps
ensemble se manifeste
dans
les
activités
organisées
spontanément, il y a un
rapprochement
important surtout entre
des
personnes
qui
travaillent
ensemble
pour la première fois
Étape 3
11jours
- Construire l’unité de la
pièce
- Intégration du travail
des concepteurs
-Élevée entre tous les
membres de l’équipe,
incluant les concepteurs
- Ses interventions sont
plus ponctuelles et se
font à la fin ou au début
des
séances
de
répétition
Très intense
-Le metteur en scène
donne des notes à la fin
d’une série de scènes.
Souvent, il parle des
questions
techniques
comme les entrées et
sorties de la scène
- Il n’exprime presque
plus son approbation
- Les acteurs ne posent
presque
pas
de
questions et, s’ils le
font, c’est sur des
questions techniques
Élevée
L’équipe est unifiée, les
contacts physiques sont
fréquents,
la
communication est plus
directe entre tous
239
Langues employées
Nous observons que les
personnes du groupe
québécois
communiquent
en
français, ce qui crée une
barrière car il y a une
seule
personne
du
groupe mexicain qui le
comprend.
Ce
comportement est en
partie dû au fait que
Jean ne comprend pas
l’espagnol.
La
communication entre les
deux groupes se fait en
anglais et en espagnol.
Mélissa
facilite
la
situation en traduisant.
Les personnes du sous
groupe
québécois
commencent à utiliser
plus l’espagnol. Jean ne
le parle pas encore
beaucoup mais il est
capable de comprendre
davantage.
Les
personnes
du
groupe mexicain ne se
servent plus du tout de
l’anglais. Ils ne sentent
pas la même liberté
pour s’exprimer. La
traduction assurée par
Mélissa continue d’être
importante mais un peu
moins
L’Équipe communique
le plus souvent en
espagnol.
Jean
comprend mieux et
parle un peu.
La
communication est plus
facile, la traduction est
moins nécessaire et cela
aussi à cause du fait
qu’il
y
a
moins
d’échanges
verbaux
pendant les répétitions.
240
Tableau 7.2.
Le processus d’intégration de l’équipe dans les trois étapes
Degré comparatif
d’intégration dans
les trois étapes
Indices
Références dans les
entrevues
Étape 1
Étape 2
Étape 3
Faible
Moyen
Élevé
-Les acteurs québécois
parlent en français entre
eux, même en présence
des mexicains
- Les acteurs mexicains
et québécois s’assoient
séparément
dans la
salle de répétition
- Les acteurs mexicains
parlent peu entre eux
-Les sorties réalisées
pendant cette étape sont
en fonction des besoins
de la pièce
- Une actrice mentionne
de
comment
elle
percevait l’équipe au
début: « Avant
je
croyais qu’il n’y avait
pas de lien; cela n’était
pas bon pour le show
(…) Il y avait pendant
un temps, un manque de
confiance »
- Les acteurs québécois
utilisent plus l’espagnol
pour se parler et ils
parlent plus avec les
acteurs mexicains
- Différents membres de
l’équipe organisent des
activités dans le but de
passer
du
temps
ensemble.
- Il y a plus de proximité
et de contact physique
entre tous
- Il y a des liens d’amitié
qui se produisent entre
des membres du groupe
québécois et du groupe
des mexicains
- Une actrice québécoise
parle de l’importance de
partager du temps: « La
rencontre culturelle
prend son sens dans le
temps, le temps passé
avec les gens »
- L’actrice mexicaine
parle du rapprochement
qui se produit: « Avec
les québécois, il y a une
rencontre
avec
la
langue,
avec
leur
espace, leur proposition
à eux et, à partir de ma
culture et de leur
culture, on commence à
construire une relation
- Une personne du
groupe des québécois
affirme: « Moi,
personnellement, j’ai
vécu ce processus très
bien, comme un
processus théâtral
normal, comme si
j’avais été à Montréal »
- Une actrice québécoise
partage son avis: « Je
crois qu’il y a eu des
rencontres,
des
rencontres réelles. Des
amitiés, de la curiosité
pour se connaître un peu
plus, au delà de la
relation de travail »
241
Tableau 7.3.
Apprentissages durant les trois étapes
Objectifs de
l’apprentissage et
manières de les
atteindre
Apprendre le texte
par cœur
Manière de
l’atteindre
Apprentissages en
lien avec la
construction du sens
dans une scène
Manière de les
atteindre
Apprentissages sur
la dynamique de
l’équipe
Manières de les
atteindre
Étape 1
Pour toutes les scènes
En étudiant seul ou en
travaillant en
collaboration avec
l’autre acteur qui joue
dans la scène
Très important pour
chaque scène
Étape 2
Étape 3
Seulement pour les
nouvelles scènes
Même manières
Très important pour les
scènes nouvelles mais
reste important pour les
scènes déjà connues
Très important mais
plus dans une
perspective d’ensemble
- Les acteurs jouent
- Posent des questions
-Tentent différentes
options
- Observent le travail
des autres acteurs
-Le metteur en scène
donne des explications,
des exemples, des
modèles, parfois avec
beaucoup de détails. Il
échange avec les
acteurs, si les sujets
soulèvent plus
d’inquiétude
-Les acteurs jouent et
font des propositions
dans leur jeu
-Observent le travail
des autres acteurs
-Discutent
ensemble
pendant des pauses ou
pendant les moments
libres
-Le metteur en scène
donne des explications
moins détaillées
-Les acteurs jouent sans
interrompre le cours de
la pièce entre les scènes
-Le metteur en scène
fait des commentaires
seulement
quand les
acteurs ont joué toute la
pièce sauf pour les
scènes où il manque un
travail sur des détails.
-Il
utilise
des
métaphores
pour
donner des indications
qui concernent la pièce
en général
- Les acteurs et le
metteur en scène
doivent apprendre à se
connaître et à bâtir la
confiance entre eux
-Les acteurs continuent
d’apprendre les mêmes
choses que dans l’étape
antérieurs mais ils
approfondissent cette
connaissance
- Le « jeu de la balle »
est une activité
structurée pour
atteindre ces
apprentissages
- Les sorties organisées
en fonction des besoins
-L’échange verbal est
un moyen de se
connaître. Il peut avoir
lieu lors des pauses ou
des moments des repas
mais aussi lors
d’activités organisées
-Les acteurs apprennent
à organiser leur travail
individuel en fonction
des buts de la pièce et
en fonction du travail
des autres membres de
l’équipe
-Pendant cette étape,
l’échange verbal est
plus difficile à cause de
la pression du temps
mais une pratique qui
contribue à créer un
rapprochement entre les
242
de la pièce sont
spontanément ou
favorables à
pendant des réunions
l’intégration de l’équipe amicales ou nous
observons le phénomène
du « story telling »
membres est celle de
former « le cercle »
avant le début des
répétitions.
7.4. Conclusion
Durant cette étape, différentes dimensions du travail s’intègrent: la dimension
individuelle, celle de la relation entre deux personnes et celle de toute l’équipe. C’est l’étape
lors de laquelle, comme nous l’avons dit, le travail porte sur les liens entre les scènes dans la
perspective de construire l’unité de la pièce. Les nouveaux apprentissages se basent, encore
une fois, sur ceux qui ont eu lieu pendant les étapes précédentes. Ce changement des objectifs
poursuivis implique que les principaux « problèmes » ou « doutes » qui concernent le jeu ont
dû être résolus ou clarifiés précédemment car, durant la présente étape, la dynamique du
travail et la pression du temps ne permettent plus de s’attarder longtemps dans des échanges
verbaux. Il existe un besoin très pressant pour que chaque acteur sache exactement où il doit
se placer en tout moment. Il n’y a plus de « recherche » ni d’exploration comme lors de la
première étape car il s’agit de réduire les variations du jeu; les acteurs doivent travailler à
l’améliorer, à partir des décisions
déjà prises au cours des étapes précédentes. Dès la
deuxième étape, nous voyons, mais encore plus dans celle-ci, qu’une partie des commentaires
du metteur en scène
portent sur des questions dites plus « techniques »,
reliées à
l’enchaînement des scènes. Alors, les acteurs apprennent des choses très précises, qui
semblent relativement plus simples, comparées au travail antérieur qui portait sur le sens du
texte, les intentions des personnages ou les relations entre eux. Les questions posées, portent
par exemple, sur le moment exact de quitter une scène ou d’y entrer. Ce qui contribue à rendre
cet apprentissage un peu difficile, c’est la vitesse à laquelle les acteurs doivent assimiler la
nouvelle information tout en se souvenant de toutes les données qu’ils ont du assimiler avant.
Au cours de cette étape, l’interdépendance et la pression du temps atteignent leur
maximum d’intensité, comparativement aux étapes précédentes. La tâche aussi devient plus
exigeante à cause d’une complexité plus élevée, et de la précision qui doit être respectée. Ce
qui permet de compenser cette situation plus difficile, de ce point de vue, est que l’intégration
243
de l’équipe est plus solide qu’avant. Les liens entre les acteurs sont plus étroits et la
communication entre eux se fait plus facilement. Jean, par exemple doit faire un peu moins
d’efforts pour comprendre l’espagnol. Enfin, nous observons plus de contacts physiques entre
les membres de l’équipe, L’effet d’une pratique simple comme celle du cercle s’explique par
le niveau de confiance atteint entre tous les participants celui-ci fait en sorte que le contact
visuel et physique entre les personnes a maintenant un sens plus profond que celui qu’il avait
avant. Nous constatons, à travers ces exemples, certains des liens entre la confiance et
l’apprentissage. Étant donné que la confiance est présente, les acteurs apprennent plus
facilement et peuvent accomplir leur tâche plus rapidement. Les membres de cette équipe ont
plus de certitude dans la motivation et la compétence des autres pour d’accomplir leur part du
travail. Cette confiance dans la capacité des collègues permet à chacun de se concentrer mieux
sur sa responsabilité.
Nous avons noté qu’à cette étape du travail le metteur en scène intervient de moins en
moins dans le jeu et laisse aux acteurs plus de liberté pour s’exprimer acceptant que,
maintenant, c’est de plus en plus d’eux que la réussite va dépendre. Ce détachement du
metteur en scène permet aux acteurs de continuer à apprendre à travers le jeu. Cependant, son
détachement dépend aussi de la confiance qu’il a dans les acteurs car, s’il ne faisait pas
confiance sur ce plan là, il tenterait de continuer à intervenir et il les empêcherait de se
responsabiliser totalement par rapport résultats de leur jeu. Nous estimons qu’il y un lien clair
entre la confiance que le metteur a dans la capacité des acteurs de jouer et les apprentissages
qu’ils continent de réaliser, non plus à travers des échanges verbaux, comme lors de la
première étape, mais directement à travers leur jeu. Plus le metteur en scène aura confiance
dans les acteurs, plus ils pourront découvrir de nouveaux aspects qu’ils ne voyaient pas au
début car c’est en jouant qu’ils s’approprient des personnages, qu’ils rendent plus
vraisemblables les situations et qu’ils resserrent le contact entre eux sur scène.
Selon les faits que nous avons observés et les entrevues que nous avons réalisées, les
apprentissages importants de cette étape ne se situent pas exclusivement sur le plan de la
réalisation de la tâche comme telle, mais aussi sur celui de la relation entre les membres de
l’équipe, comme dans le cas du conflit entre Julio et Lucie qui aurait pu avoir des
conséquences plus graves mais qui, a été résolu d’une manière assez satisfaisante pour les
deux personnes. Nous considérons qu’il y a eu ici un apprentissage très important pour les
244
personnes qui ont été impliquées dans cet événement. Par rapport à la solution de ce problème,
Lucie mentionne: « On a trouvé le sens ensemble, lui m’a donné une clef qui m’a aidée, ce
soir là j’ai compris ».
Selon nous, les bénéfices de la conversation que Lucie et Julio ont eue ne se situent
pas seulement sur le plan des clarifications concernant le jeu mais aussi sur le plan de la
confiance que Julio et Lucie ont pu récupérer. Ce conflit les a amenés à se connaître plus et à
mettre à l’épreuve leur capacité de résoudre des difficultés qu’ils n’avaient pas prévues. Ils ont
appris à mobiliser des ressources personnelles sur le plan de la communication. Ils ont appris à
s’écouter malgré le fait que cela, en principe, n’était pas facile étant donné que chacun d’eux
traversait un moment critique dans leur relation.
L’analyse de ce conflit nous a permis de noter que la confiance influence
l’apprentissage négativement. Un affaiblissement de la confiance avait nuit à la concentration
de cette actrice dans son travail et elle avait eu plus des réticences à suivre les indications du
metteur en scène car elle n’était plus aussi convaincue de la pertinence de certains de ces
propos, du moins en ce qui concernait une de ses scènes, et elle sentait qu’il n’y avait pas la
sensibilité pour proposer une solution à cette situation.
Cette expérience indique qu’il importe de prendre soin de la confiance
interpersonnelle existante et de l’impact que les variations de son niveau entre deux personnes
peuvent avoir. Cet impacts peut avoir trait aux apprentissages qu’une ou plusieurs personnes
doivent réaliser.
245
CHAPITRE VIII
LE POINT D’ARRIVÉE. LA FIN DU MONTAGE ET LA SUITE DU
TRAVAIL
8.1. Introduction
Bien que notre recherche ne porte que sur le montage de la pièce, nous avons réalisé
quelques observations de plus durant la période où les présentations de la pièce avaient
commencé. Nous avons aussi repris des passages des entrevues réalisées après la fin du
montage, au cours desquelles certains acteurs nous ont parlé de leurs impressions. Pour
connaître des résultats de ce montage, nous décrirons quelques moments significatifs qui ont
eu lieu après la fin de l’étape trois, notamment le soir de la Première et certaines activités de
l’équipe qui ont suivi ce jour là.
8.2. Description
8.2.1. Le soir de la première
La date prévue pour la première représentation de la pièce, tant attendue et tant
redoutée est finalement arrivée; le travail de tous les membres de cette équipe est intégré, la
pièce peut être enfin jouée devant le public, ce qui ajoute une nouvelle pression sur les
membres de l’équipe.
Étant donné que la première est une représentation spéciale, il y n’y a pas de vente de
billets au public mais la salle est pleine parce que chaque membre de l’équipe a deux invités.
Le metteur en scène et l’auteur ont distribué une autre partie des entrées parmi des personnes
246
relativement importantes du milieu artistique. Cette première représentation est donc assez
différente d’une soirée normale où les acteurs jouent pour des personnes inconnues.
Avant de commencer, l’équipe fait le cercle que nous avons décrit auparavant mais,
cette fois, l’émotivité est très élevée; nous percevons ce mélange contagieux d’anxiété,
d’exaltation, de joie et d’enthousiasme. Le moment est émouvant. La salle s’obscurcit et tous
prennent leur place respective: les acteurs dans les coulisses, le metteur en scène et l’auteur, en
avant dans la salle; ses assistants, dans la cabine pour s’occuper de l’éclairage et du son. Tous
les sièges sont occupés, le spectacle commence. La soirée se déroule bien, le public est très
attentif, les acteurs jouent de leur mieux. À la fin, ils sont applaudis et ils reçoivent de beaux
bouquets de fleurs.
Le public a des réactions différentes. Certaines personnes ont aimé la pièce et ont
beaucoup rit, tandis que d’autres ont eu de la difficulté à la comprendre à cause de tout ce qui
n’est pas explicite dans les histoires des différents personnages et de l’emploi du français.
Certaines personnes ont des questions, d’autres des commentaires sur les aspects qu’elles ont
trouvé illogiques ou drôles. La combinaison des langues est, pour le public, un élément un peu
surprenant puisque certaines des scènes en français sont relativement longues; cependant,
l’auteur et le metteur en scène ont introduit un système pour afficher un texte en espagnol qui
traduit, au moins, les passages clés des dialogues.
Après la présentation, l’équipe se réuni; le metteur en scène commence par leur
adresser quelques commentaires qui, selon son style habituel, portent sur ce qu’il a trouvé bon
mais aussi sur ce qui doit être amélioré. Ensuite, les autres personnes parlent de la façon dont
elles ont vécu cette représentation. Certains se sont sentis trop exaltés et agités, un peu confus
par moments. Ils parlent des erreurs qu’ils ont commises, de leurs moments difficiles ou de ce
qui a été particulièrement bien réussi.
Après un court échange de commentaires, vient le moment de la célébration. L’équipe
au complet se retrouve dans un restaurant typique mexicain pour fêter, des amis se joignent au
groupe. Il y a une ambiance où l’on sent en même temps une grande satisfaction partagée de
tous, une certaine détente parce que le moment difficile est passé, et la sensation qu’une étape
importante est franchie car il n’y aura pratiquement plus de répétitions.
Nous disons pratiquement parce que le besoin de respecter la limite de temps pour
finir le montage a fait en sorte que la pièce a été présentée sans que le metteur en scène et
247
l’auteur aient pu couper des parties du texte pour raccourcir sa durée. Par conséquent, il y aura
encore une ou deux séances supplémentaires de répétitions pour introduire ces modifications.
Pendant ce long souper tous rient, se parlent, mangent et décident de continuer la fête
chez le metteur en scène.
8.2.2. Les activités organisées par l’équipe
Les personnes de l’équipe ont continué à passer ensemble des moments agréables et
importants. Même si nous n’avons pas été présents car le temps de notre observation était fini,
nous pouvons donner quelques exemples
de ce type de rencontres. Un soir, quelques
personnes ont fait un « voyage éclair », non planifié d’avance, au bord de la mer. Leur idée au
départ était d’aller manger à Cuernavaca, ville qui se trouve à une heure de route au sud de
Mexico, mais comme cette ville se situe sur le chemin pour le port d’Acapulco, le groupe a
décidé de continuer le voyage pendant quatre heures de plus. La décision avait été spontanée,
ils n’avaient pas beaucoup de temps pour rester et ils ont passé seulement quelques heures au
bord de la mer. Ils ont vu le lever du soleil sur la plage, pris un petit déjeuner et un bain au
bord de la mer et, avant l’heure du midi, ils ont entrepris le retour. Eux-mêmes ont dit que
c’était une « folie » mais qu’ils avaient voulu s’aventurer et connaître la plage et comme ils
avaient peu de temps, ils sont allés comme ça à l’improviste aussi parce qu’ils se sentaient
bien en groupe.
Certains membres de l’équipe ont réalisé au moins un autre voyage très rapide mais
prévu d’avance, dans une ville proche de Mexico où il y a une pyramide à visiter. Les
personnes qui voulaient participer à cette sortie devaient se lever assez tôt ce dimanche pour
profiter de la journée et ils ont tous été prêts à l’heure convenue pour partir. Ce petit village se
trouve dans une zone montagneuse où il y a des ruines archéologiques importantes. L’endroit
est un site magnifique d’où la vue panoramique s’étend au loin sur une très belle vallée.
Pendant un premier temps, les personnes qui sont allées se sont reposées et ont été un peu en
silence; avant de redescendre vers le village, au pied de la pyramide, l’actrice qui a organisé ce
voyage a demandé à tous de s’unir en cercle pendant un moment. Profitant de cette pause, elle
s’est adressée aux autre pour les remercier exprimer son plaisir de travailler avec eux. Il y a eu
248
encore d’autres partages assez simples mais émotifs et il a ensuite fallu se dépêcher pour
entreprendre le chemin de retour car ils devaient rentrer au théâtre où ils jouaient le soir.
Une autre activité, à caractère plus officiel, a été organisée par les membres de la
compagnie de théâtre du Québec. Il s’agit d’une table ronde ouverte au public en général, sur
le sujet de leur expérience de travail comme un cas d’échange interculturel. Ils ont fait un
effort considérable
pour la diffusion et ont invité des conférenciers renommés et des
représentants de la francophonie au Mexique, comme ceux de la Délégation du Québec et des
ambassades de France et du Canada.
8.2.3. La suite du projet
La pièce de théâtre a remporté un prix pour la mise en scène et un autre pour le texte
et elle a été commentée dans des journaux de Mexico et de Montréal. Nous avons su aussi que
l’équipe avait des plans pour l’avenir comme celui de faire, une tournée pour se présenter, au
Mexique, cette fois dans quelques villes en région. Finalement, le projet avait une deuxième
phase selon laquelle la pièce serait aussi jouée à Montréal, des adaptations à cause de la
langue.
Effectivement, la pièce a été reproduite à Montréal au mois de novembre 2003.
Rejouer cette pièce deux ans plus tard a représenté un autre défi important pour cette équipe
de travail. Il a fallu recommencer des répétitions pendant plusieurs semaines. Une partie
d’entre elles ont eu lieu à Mexico et une autre à Montréal. Pour pouvoir se présenter pour un
public francophone, il a été nécessaire d’adapter certains passages et de les traduire en
français. Le décors ne pouvait pas être transporté et il a fallu en remonter un nouveau qui était
différent, raison pour laquelle les acteurs ont dû refaire l’apprentissage des entrées, des sorties,
de l’emplacement des bancs et des temps pour effectuer tous ces nouveaux mouvements. Un
des aspects difficile a été la substitution de deux acteurs mexicains qui, pour des raisons
différentes, ont abandonné le projet et ont dû être remplacés. Les nouveaux acteurs ont bien
appris leur rôle mais les autres acteurs ont eu au début, une certaine difficulté à s’adapter à eux
car ils avaient encore en mémoire le rapport qu’ils établissaient avec les acteurs précédents,
non seulement sur le plan du jeu mais aussi sur le plan affectif. Il y a eu des actrices qui ont
249
fait des rêves où symboliquement elles devaient accepter le départ des anciens acteurs et
l’arrivée des nouveaux.
Le public montréalais a apparemment apprécié la pièce même s’il a dû faire face à la
situation de ne pas pouvoir suivre tout ce qui se passait dans une langue étrangère pour eux,
cette fois l’espagnol. Les membres de cette équipe on fini cette série de présentations à
Montréal en se disant que le projet pourrait encore avoir une suite: une autre tournée au
Mexique ou une autre série de présentations au Québec. Il a été aussi question de la possibilité
d’adapter la pièce pour en faire un film. Nous ne savons pas lequel de ces possibles avenirs se
réalisera, mais nous avons observé que le fait de conclure cette nouvelle étape en parlant de
nouvelles options est un indice de la disponibilité que les membres de cette équipe ont eu de se
réunir à nouveau pour travailler.
8.3. Conclusion
Alors que le travail du montage comme tel est pratiquement fini, ce n’est pas le cas
pour
le travail de l’équipe, car la période du montage est suivie par une période de
présentations de quelques semaines. Maintenant, c’est en jouant que les acteurs continueront à
se connaître plus sur le plan émotif, et, sur le plan de la tâche, à gagner en subtilité et à
améliorer certains détails de la pièce. Selon nous, les activités organisées par les membres de
l’équipe en dehors du travail sont un indice de la cohésion que ce groupe a atteinte et de leur
disponibilité pour continuer à cultiver, après le montage, des liens entre eux.
Selon les propos recueillis durant les entrevues, certains acteurs se disent assez
satisfaits du résultat obtenu tandis que, pour d’autres, le travail n’est pas encore achevé. Les
avis des acteurs sont encore partagés car, pour certains, le résultat est satisfaisant tandis que,
pour d’autres, ce travail semble un peu incomplet encore. C’est une question d’attentes et
d’objectifs personnels puisque ce ne sont pas tous les acteurs qui voient le résultat obtenu de
la même manière. Une actrice pense qu’il faudrait continuer à approfondir le travail. Une
autre a dit que le temps pour réaliser ce montage a été trop court.
250
CHAPITRE IX
LE CADRE CONCEPTUEL PRÉLIMINAIRE ET L’ANALYSE DE
L’INFLUENCE DE LA CONFIANCE SUR LES APPRENTISSAGES DE
L’ÉQUIPE
9.1. Introduction
Le but premier de notre recherche était de déterminer comment la confiance
interpersonnelle et la sécurité psychologique, influencent l’apprentissage d’une équipe de
travail. Pour vérifier l’existence de cette influence, nous avons essayé d’établir des liens entre
la confiance et les apprentissages particuliers, à travers une analyse de l’évolution des
comportements à chaque étape du processus du travail d’une équipe.
Notre recherche avait aussi pour but de déterminer si l’impact de la confiance sur
l’apprentissage varie en fonction du niveau d’interdépendance entre les membres de l’équipe.
Ainsi, à un niveau faible d’interdépendance correspondrait une influence moins importante de
la confiance sur l’apprentissage; au contraire, à un niveau d’interdépendance élevé, l’influence
de la confiance serait plus grande. Pour expliquer la logique de la relation entre la confiance
et l’apprentissage, il faut revenir aux concepts d’interdépendance et de vulnérabilité, car plus
l’interdépendance augmente, plus la vulnérabilité est grande.
Étant donné que l’évolution d’un groupe a lieu sur divers plans, la relation entre la
confiance et l’apprentissage risque donc d’être influencée par le cheminement suivi par
l’équipe, sur l’ensemble de ces plans. Pour traiter de ce thème, nous nous baserons sur le
modèle proposé par Landry (1977). Enfin, il y a une variation des types d’apprentissages
réalisés par l’équipe et des moyens utilisés à cette fin. La dernière section de ce chapitre
portera sur le rôle exercé par la confiance selon les types d’apprentissages.
251
9.2. Le concept d’interdépendance
Le concept d’interdépendance est très lié à celui de la vulnérabilité qui est central dans
certaines définitions de la confiance. Par exemple, Baier (1986, p.235) définit la confiance de
la manière suivante: «trust is accepted vulnerability to another’s possible but not expected ill
will (or lack of good will) toward one ». Quant à Meyerson, Weick et Kramer (1996,
p.172), ils établissent un lien direct entre l’interdépendance et la vulnérabilité: «In a situation
of high interdependence, everyone is comparably vulnerable ». Ces auteurs fournissent des
éléments pour comprendre ce qu’ils entendent par vulnérabilité: « Vulnerability is defined in
terms of the goods or things one values and whose care one partially entrusts to someone else,
who has some discretion over him or her ». Les « sujets » dont il est question peuvent être des
biens symboliques ou abstraits tels que la réputation, la santé, la sécurité et un ensemble
d’aspects qui sont importants pour la personne qui les possède.
Lorsque la vulnérabilité est faible, le besoin de faire confiance est plus réduit; au
contraire, lorsqu’elle est élevée et que les personnes prennent de plus grands risques, le besoin
de confiance est plus fort. C’est dans ce sens que nous affirmons que lorsque
l’interdépendance augmente, la confiance devient un enjeu plus important. Meyerson, Weick
et Kramer (1996, p.175) expriment cette idée en une phrase: « Variations in interdependence
affect the extent to which trust is a big deal ».
Une autre manière de voir les liens entre le niveau d’interdépendance et l’importance
de la confiance est celle de Sheppard et Sherman (1998). Ils analysent quatre types de
relations, en fonction du degré de profondeur de la dépendance. Quand seulement une des
deux personnes dépend de l’autre, il s’agit d’une dépendance, en revanche, si elles sont
dépendantes l’une de l’autre, il y a interdépendance. Leur classification des types de relations
permet à ces auteurs d’identifier les risques associés à chacune; ainsi, dans une situation
d’interdépendance profonde, les risques sont cumulés et ils sont, en conséquence plus grands.
La confiance prendra alors une plus grande importance.
Pour constater si le lien entre la confiance et l’apprentissage varie en fonction du
niveau d’interdépendance entre les membres de l’équipe de travail, le choix de notre cas nous
252
semblait propice, vu que le niveau d’interdépendance était, en général élevé mais aussi
variable selon les étapes du processus. Une des conséquences de cette augmentation du niveau
d’interdépendance est que les membres de l’équipe sont obligés de mieux coordonner leurs
actions (Lewicki, McAllister et Bies, 1998).
L’interdépendance dans cette équipe se manifeste de plusieurs manières. La
dépendance des acteurs vis à vis du metteur en scène est plus visible mais le metteur en scène
dépend lui aussi des acteurs et des différents concepteurs. Lapierre (1984) le signale: «En
effet, le metteur en scène est extrêmement dépendant des autres concepteurs et des interprètes
pour réaliser sa vision ».
9.3. Les dimensions de l’évolution d’un groupe: le modèle de Landry
Analysant l’apprentissage d’un groupe, Landry (1977) identifie
trois dimensions
interdépendantes dans lesquelles l’équipe ou le groupe évolue: l’affection, le pouvoir et la
tâche. Les deux premières dimensions ont des objectifs implicites mais celui de la troisième
est explicite. Premièrement, l’objectif de la dimension affective est de construire des relations
satisfaisantes entre les membres et d’atteindre un niveau de cohésion adéquat. Concernant la
dimension du pouvoir, le groupe cherche à se donner une structure et
un leadership
conséquent avec la réalisation de sa tâche et la satisfaction de ses besoins. Troisièmement,
l’objectif de la tâche est de se doter de méthodes de travail permettant de réaliser ce que le
groupe doit accomplir.
9.3.1. La dimension affective
Approfondissons un peu le sens de chacune de ces dimensions en reprenant les
propos de Landry (1977, p.83):
Par « zone d’affection », nous entendons l’ensemble des phénomènes ayant
trait à la vie émotive du groupe: il s’agit donc des relations affectives entre les
membres (sympathie, antipathie, etc.) et de la façon dont elles se structurent; il s’agit
des émotions vécues par chacun des membres face à ce qui se passe dans le groupe
253
(joie, colère, frustration, excitation, anxiété, calme, fatigue, détente etc.); il s’agit des
émotions vécues par le groupe en tant que groupe (tension primaire, euphorie, tension
secondaire, et toute la gamme des émotions humaines qui peuvent se vivre
collectivement et deviennent alors des émotions collectives ou groupales); il s’agit du
« moral » des groupes, de sa solidarité, du sentiment d’appartenance, en un mot de la
cohésion du groupe.
Elle
ajoute une définition du concept de cohésion: « force ayant pour effet de
maintenir ensemble les membres du groupe et de résister aux forces de désintégration »
(Maisonneuve, 1985, p.26).
9.3.2. La dimension du pouvoir
Pour définir l’évolution de la dimension du pouvoir, Landry introduit trois
concepts: l’influence, qui résulte de l’exercice du pouvoir; le leadership, qui est l’influence
exercée dans un groupe par le ou les membres ayant le plus de pouvoir; l’autorité, qui est le
pouvoir associé à un poste formel. Ces trois concepts ont des relations entre eux. Par exemple,
l’autorité formelle ne suppose pas que la personne qui la détient puisse nécessairement, puisse
exercer l’influence qu’elle voudrait sur les autres.
La question du leadership est d’une importance primordiale pour les individus
composant le groupe et pour le groupe lui-même. En acceptant que l’un d’entre eux
prenne le leadership, les membres du groupe reconnaissent à ce dernier le pouvoir
légitime de les diriger. En règle générale, la personne ainsi choisie est celle que les
membres du groupe jugent la plus apte à les aider à atteindre les objectifs de tâche du
groupe. Cela suppose que le groupe lui reconnaisse la compétence requise, son
pouvoir d’expert pour mener cette tâche à bien. Habituellement, le groupe fait
confiance à ce membre et se tourne vers lui comme modèle, ce qui lui confère une
nouvelle source de pouvoir, celui de référence. De par son pouvoir légitime, le leader
possède aussi le pouvoir de récompense, surtout psychologique, et le pouvoir de
coercition, dont l’utilisation à mauvais escient aux yeux de groupe peut toutefois
entraîner sa déchéance.
254
9.3.3. La dimension de la tâche
Pour réaliser sa tâche, le groupe doit traverser des étapes au cours desquelles il
explorera diverses façons de faire et à travers ces essais, de méthodes de travail.
Progressivement, il deviendra ainsi plus efficient et efficace.
9.3.4. L’intérêt du modèle
Selon le modèle développé par Landry, le groupe évolue dans ces trois dimensions
interdépendantes; autrement dit, l’évolution dans une des dimensions conditionne celle quise
produit dans une autre dimension. Par exemple, pour progresser dans les méthodes de travail
qu’il utilisera, le groupe ou l’équipe doit être doté d’un leadership stable et avoir pris les
moyens pour que les relations entre les membres favorisent une plus grande cohésion.
9.4. Les types d’apprentissages et leurs liens avec la confiance
Tel que nous l’avons mentionné, les apprentissages de l’équipe sont de divers types et
les moyens pour les atteindre varient. Après avoir classé les apprentissages effectués par
l’équipe et traité des moyens utilisés à cette fin, nous mettrons l’accent sur le lien entre
l’apprentissage et la confiance.
9.4.1. La classification des apprentissages
Au cours de notre analyse, nous avons distingué différents types d’apprentissages; la
partie la plus visible est réalisée par les acteurs mais le metteur en scène et l’auteur de la pièce
apprennent eux aussi. Nous avons proposé une manière de les reconnaître en fonction de leurs
255
objectifs, en les classant dans les catégories suivantes: a) les apprentissages ayant pour objet
la mémorisation des textes, b) les apprentissages portant sur le sens d’une scène, c) les
apprentissages ayant trait à la dynamique de l’équipe, d) les apprentissages ayant pour but
l’enchaînement des scènes et la construction de l’unité de la pièce. L’apprentissage du metteur
en scène concerne, notamment, sa communication avec les acteurs et la gestion des conflits.
Quant aux apprentissages de l’auteur, ils ont trait aux améliorations à apporter au texte.
Quoiqu’il n’ait pas été possible pour nous d’assister aux entretiens privés entre le metteur en
scène et l’auteur, des communications personnelles avec l’auteur nous ont révélé qu’il se
posait de sérieuses questions sur des changements à effectuer pour améliorer le texte en
évitant des répétitions inutiles.
Après avoir classifié les apprentissages selon les catégories mentionnées, nous verrons
quels sont les moyens de les atteindre pour ensuite déterminer si la confiance exerce une
influence sur ces différentes manières d’apprendre. Nous faisons intervenir ici une double
perspective de la confiance: comme élément qui influence l’apprentissage mais aussi comme
résultat de l’interaction qui a lieu. Ses nouvelles bases sont constituées par les expériences de
travail où les acteurs, qui travaillent ensemble depuis peu de temps, apprennent à se connaître
davantage à travers des expériences partagées.
9.4.2. Les apprentissage de la mémorisation du texte
La mémorisation du texte est un apprentissage relativement simple si nous le
comparons à d’autres apprentissages réalisés au cours de ce montage mais il implique tout de
même une interdépendance entre deux personnes. Nous allons voir en quoi la confiance
influence cet apprentissage.
9.4.2.1. La collaboration comme moyen d’apprendre le texte.
La mémorisation du texte est un apprentissage de base parce que ceux qui suivent
reposent sur cette première connaissance que l’acteur commence à acquérir dès le début du
montage. Une partie de cet apprentissage se réalise, en premier lieu, individuellement mais,
256
très vite, les acteurs doivent connaître les dialogues entiers: non seulement le texte de leur
personnage mais aussi celui des autres personnages qui partagent une même scène.
Le plus souvent, les scènes sont écrites pour deux acteurs; il n’y a, dans cette pièce,
que deux ou trois scènes avec plus de deux acteurs. Pour une scène de deux acteurs,
l’interdépendance se manifeste entre les deux personnes qui jouent ensemble. Chaque acteur
renforce cet apprentissage en collaborant avec l’autre personne avec qui il partage cette scène;
cette collaboration se manifeste particulièrement lorsque les deux se mettent d’accord pour
répéter, en dehors du temps alloué pour travailler avec le metteur en scène.
9.4.2.2. L’influence de la confiance sur la mémorisation du texte
Lors de cette première démarche qui consiste à demander de l’aide à l’autre, nous
pensons que la confiance influence l’apprentissage. Il faut avoir une certaine confiance pour
approcher un autre acteur et lui demander de répéter le texte. Si un acteur n’a pas la confiance
suffisante pour demander de l’aide, il devra travailler seul sans bénéficier des avantages de la
collaboration et son apprentissage sera plus long. L’acteur qui demande à l’autre de bien
vouloir collaborer s’expose au risque de recevoir une réponse négative ou peu aimable de son
interlocuteur car, au fond, il s’agit d’une demande d’aide, même si les deux personnes qui
collaborent peuvent bénéficier de cet effort en commun. Le fait d’accepter de collaborer est
aussi un geste apprécié par les acteurs. Voici un premier indice montrant que la confiance
influence cet apprentissage puisque c’est la confiance qui existe à ce moment-là qui permet de
faire les pas qui mènent à cette collaboration entre deux acteurs. De plus, dans la logique auto
renforçante de la dynamique de la confiance, cette collaboration permet à la confiance de
grandir, offrant en premier temps une nouvelle base sur laquelle s’appuyer.
9.4.2.3. La perception des acteurs concernant la disponibilité à collaborer et l’effet sur la
création de la confiance
257
Parlant de l’intégration de l’équipe lors d’une entrevue, une des actrices avait dit
qu’elle se sentait bien avec les autres membres de cette équipe, car dès le début, à chaque fois
qu’elle s’était approchée d’un autre acteur pour lui demander de travailler sur la mémorisation
d’une scène, elle n’avait eu que des réponses positives. Elle les considérait un signe de bonne
disposition envers le projet.
Ces comportements favorables à la collaboration peuvent sembler, au premier abord,
des gestes sans importance, mais ils ont une portée qui va au-delà du simple fait de signifier
une disponibilité à travailler. Cette portée s’inscrit dans la logique du moment où ces
événements ont lieu: le début du montage. C’est un moment clef pour « asseoir les
fondations » de « l’édifice » de ce montage, chacune de ces étapes venant s’ajouter aux
précédentes mais s’appuyant sur les acquis qui résultent des efforts accomplis pendant chaque
étape et qui ont une grande valeur pour l’apprentissage et la création de la confiance. Au début
du montage, les apprentissages réalisés à ce moment servent de point de départ pour l’étape
suivante et cette deuxième étape, à son tour, est le point d’appui pour le reste du travail à
accomplir. Plus le montage avance, plus le travail se complexifie et plus l’interdépendance
s’intensifie, la pièce devenant une unité où tous travaillent ensemble pour s’ajuster aux temps
marqués selon le rythme qui doit être respecté.
9.4.3. Les apprentissages reliés à la construction du sens des scènes
Les apprentissages requis pour construire le sens de chaque scène se produisent dans
l’interaction entre le metteur en scène et chacun des acteurs; s’il s’agit d’un monologue, c’est
entre cet acteur et le metteur en scène. L’interdépendance se manifeste plus clairement entre
ces acteurs et le metteur en scène mais l’interdépendance existe, d’une manière moins
évidente, avec les autres acteurs et concepteurs qui assistent aux répétitions et observent le
travail de ceux qui jouent.
9.4.3.1. L’observation comme moyen d’apprendre
258
L’observation est aussi un moyen d’apprendre sur la pièce, sur le jeu, sur la manière
de travailler et sur les personnes. L’observation est aussi une forme d’interaction. Lorsque les
acteurs restent dans la salle de répétition, même s’ils ne sont pas en train de jouer, ils peuvent
apprendre en observant le jeu de leurs compagnons. Ils suivent les interactions qui ont lieu et
la manière dont le metteur en scène demande de modifier leur jeu. Ils observent les acteurs qui
jouent s’adapter à ces demandes. En effet, la manière de construire le sens, lors de la première
étape du montage, consiste à intercaler les moments où les acteurs jouent et les moments
permettant des échanges verbaux. Du côté du metteur en scène, il s’agit principalement de
commentaires et d’explications; les acteurs posent alors des questions ou font des remarques,
sauf dans les cas où une discussion plus longue se produit. Ces discussions ont, comme point
de départ, un aspect particulier d’une scène, mais ils peuvent ensuite dévier sur des
expériences ou sur des points de vue personnels.
9.4.3.2. Les conversations informelles comme moyen d’apprendre
Nous pensons que plusieurs apprentissages liés à la construction du sens dans chaque
scène, et à la dynamique de l’équipe se produisent de façon informelle, en dehors de la salle
de répétition, à travers des interactions entre les acteurs, car ceux-ci discutent généralement
des manières de concevoir leurs rôles et leurs personnages. Nous en parlons au pluriel car
quatre acteurs jouent deux personnages de la pièce. C’est à dire qu’il y a dix personnages pour
seulement six acteurs. Ces conversations servent au processus de construction de leurs
personnages. Un des acteurs qui partageait un appartement avec les actrices québécoises, nous
a dit, à ce propos, que «du fait d’habiter nous trois ensemble, le voyage au Mexique est
comme une très longue journée de travail puisqu’elle dure tout le temps de mon séjour ici».
Cela nous permet de remarquer que le travail, pour les acteurs québécois, continuait en sortant
de la salle de répétition puisque leurs conversations et réflexions quotidiennes tournent
beaucoup autour du travail.
Les acteurs mexicains ne vivaient pas ensemble mais leur attention et leurs réflexions
pouvaient, dans leur cas aussi, continuer à porter sur des sujets reliés au montage, pendant les
temps dits « de repos ». Nous rappelons ici que la productrice de la compagnie mexicaine et le
259
metteur en scène habitaient le même immeuble et se réunissaient souvent pour parler du
montage. Elle et l’auteur travaillaient ensemble dans les bureaux d’un théâtre et ils pouvaient
avoir des conversations informelles sur le sujet de la pièce. Cette même productrice avait
partagé temporairement son appartement avec le producteur de la compagnie québécoise; ceci
montre que pour les membres mexicains de l’équipe il est également vrai qu’il existe une autre
partie du travail de création qui continue à se faire en dehors de la salle de répétition, dans les
interactions, à travers des réflexions individuelles ou même des rêves.
9.4.3.3. Les indications du metteur en scène comme moyen d’apprentissage
Les interventions du metteur en scène ont deux buts différents; d’un côté, il
semblerait que l’acteur ait besoin de comprendre ce qu’il doit faire, en lien avec son jeu; cet
apprentissage a trait à la logique des situations, des personnages et des enjeux issus des
relations entre ces personnages. D’un autre côté, chaque acteur sait qu’il existent plusieurs
interprétations possibles qui peuvent être explorées; surtout au cours de la première étape qui
permet plus de créativité. Pendant cette phase, plusieurs interprétations possibles sont encore
en émergence et à l’essai; il est donc nécessaire de faire des choix parmi les options essayées.
Souvent, une idée du metteur en scène semble assez bien définie au départ, mais elle se
transforme au contact des apports des acteurs. En conséquence, ce que le metteur en scène
cherche est non seulement d’expliquer mais aussi de convaincre l’acteur de la valeur et de la
pertinence de ses interprétations.
9.4.3.4. Influence de la confiance basée sur les indications du metteur en scène
La confiance influence la communication entre le metteur en scène et les acteurs de
deux manières. Premièrement, l’acteur reçoit cette information et s’en sert pour orienter son
jeu. Il fait confiance à la compétence du metteur en scène en le considérant comme la
personne qui assume la fonction de « l’œil ». Tandis que l’acteur, lui, se spécialise dans son ou
ses personnages, le metteur en scène, lui, crée une perspective de l’ensemble de la pièce et se
trouve alors en mesure de dire à chacun comment jouer. Deuxièmement, l’acteur fait
260
confiance aux bonnes intentions du metteur en scène en pensant qu’il n’utilisera pas les
acteurs pour se mettre en valeur à travers leur travail.
Cette communication entre l’acteur et le metteur en scène s’avère importante sur
divers plans. Au plan de la tâche, elle contribue à rendre les situations plus claires pour
l’acteur et à donner une direction à son jeu. Au plan affectif, elle crée un rapprochement et
séduit l’acteur. Lapierre (1984) a remarqué aussi cette manière des metteurs en scène de
gagner de l’influence: « les metteurs en scène parlent de la nécessité de convaincre, de
persuader, de séduire ». Au plan du pouvoir, il s’agit de renforcer des sources du pouvoir
expert, en montrant l’expérience et les connaissances qu’il a. Lapierre (1984) ajoute:
Le style persuasif de Kets de Vries et le pouvoir de référence de French et
Raven sont les modes de contrôle prépondérants dans la pratique de la mise en
scène(…) Nous avons parlé de pouvoir par la conviction, par la séduction, par le
charme. Dans ce cas là, le dirigé se laisse entraîner, par son propre désir, à suivre une
voie ou à poursuivre une action avec et pour une autre personne (…)quand une partie
essentielle du travail est d’étaler sa subjectivité, il est compréhensible qu’on ait besoin
de travailler avec des gens qui nous acceptent, nous admirent, nous aiment et nous
fassent confiance.
Lorsque les acteurs font suffisamment confiance à la vision du metteur en scène, ils
peuvent croire que sa perspective est juste et être convaincus de jouer comme il le leur
demande. Ayant confiance, ils sont capables de s’abandonner, même s’ils ne savent pas encore
bien dans quelle direction ils vont. Lorsque les acteurs ne comprennent pas exactement ce que
le metteur en scène leur demande, ils lui posent des questions pour qu’il donne plus
d’information ou pour qu’il soit plus précis dans sa communication. Interroger demande aux
acteurs d’avoir confiance et de croire que leurs questions seront entendues et que le risque
qu’ils prennent de montrer leurs doutes n’entraînera pas une réaction négative du metteur en
scène face à leur demande d’information
De plus, s’ils peuvent poser des questions, c’est parce qu’ils ont confiance dans le fait
que le metteur en scène est ouvert à répéter des explications ou à être plus précis. En revanche,
un des acteurs nous a expliqué qu’il voit aussi le fait de poser des questions fréquentes comme
une expression du manque de confiance chez les acteurs qui agissent de la sorte, comme un
signe de « non travail », du « je ne m’abandonne pas » car, selon lui, ces questions sont
utilisées par l’acteur pour se protéger et ne pas avancer dans une direction qui ne lui semble
261
pas claire. Le problème qui se pose, selon lui, est que l’acteur peut tomber dans un excès
d’analyse et de rationalité. Il serait mieux de jouer et de sentir ainsi où il arrive, en suivant les
indications, même s’il ne comprend pas tout, même si, tout n’est pas absolument clair, pour lui
en ce moment.
À travers ces échanges, les acteurs se rendent compte de la façon dont le metteur en
scène leur répond. Le fait-il respectueusement? Porte-t-il implicitement des jugements?
S’impatiente-t-il avec eux? Cherche-t-il vraiment différentes façons pour se faire comprendre?
Donne-t-il des exemples assez évocateurs? L’interaction se produit aussi dans un mode non
verbal; à ce chapitre, les acteurs perçoivent par exemple comment le metteur en scène les
observe quand ils jouent. Est-il attentif? Tient-il compte de leurs difficultés? Sait-il constater
leurs progrès?
9.4.3.5. L’exemple donné par les autres comme un moyen d’apprendre
À cause de l’interdépendance entre eux, un acteur exprimant sa créativité exerce une
influence sur les autres par son comportement qui a une fonction d’exemple. Même si chacun
a son propre style de travail, les acteurs peuvent apprendre les uns des autres, chacun donnant
leur exemple concernant leur manière de travailler.
9.4.3.6. Le rôle de la confiance dans l’apprentissage de la construction du sens de chaque
scène
Ce que nous voulions savoir, c’était le rôle de la confiance dans la réalisation des
apprentissages concernant la construction du sens de la pièce. Nous supposions que plus les
acteurs faisaient confiance à la direction du metteur en scène, plus ils pourraient la suivre; du
côté du metteur en scène, plus il aurait confiance dans les acteurs, plus il saurait qu’ils
intégreraient ses explications dans leur jeu, tout en étant créatifs.
D’après nous, cette confiance mutuelle était souvent présente. Elle se manifestait de
différentes manières selon les personnalités de chacun, en permettant à l’équipe d’avancer
dans la construction de chaque scène. En même temps, ces échanges sont, d’après nous, des
moments essentiels pour continuer à renforcer la confiance existante, car ils mettent à
262
l’épreuve la confiance existante et donnent à chacune des personnes présentes l’information
pour décider si elle continuera à faire confiance lors de l’étape suivante où l’engagement sera
encore plus nécessaire à cause de la complexité croissante.
La confiance du metteur en scène envers les acteurs a aussi un rôle dans ces
apprentissages. Lorsque le metteur en scène se fie suffisamment à la capacité des acteurs, il
peut leur donner des explications moins précises, voire moins contraignantes pour leur
créativité, et leur laisser plus de liberté. Ceci est plus clair au cours de la première étape, alors
qu’ils cherchent, explorent et trouvent, par eux-mêmes, des options différentes. Ils peuvent
jouer en variant leur jeu un peu, à chaque fois pour sentir quelles manières sont les meilleures
selon leurs propres interprétations de leurs personnages. De son côté, le metteur en scène est
attentif aux comportements des acteurs. Il note comment ils écoutent ses commentaires. Sontils assez réceptifs? Dans quelle mesure modifient-ils leur jeu à partir de ses indications? Les
ont-ils intégrées et ont-ils pu opérer des changements qui correspondent à ce qu’il leur a
expliqué? Ont-ils tenté mais sans réussir? Pourquoi n’ont-ils pas pu le faire? Est ce qu’il doit
leur expliquer autrement?
Alors que l’acteur connaît davantage le metteur en scène par sa manière de répondre et
de donner des indications, le metteur en scène connaît mieux chaque acteur en observant son
jeu car c’est, de plus en plus, par son jeu que l’acteur interagit avec le metteur en scène et lui
propose ses idées.
9.4.4. Les apprentissages reliés à la dynamique de l’équipe
Comparés à ceux dont nous venons de parler, les apprentissages reliés à la dynamique
de l’équipe sont plus difficiles à définir parce qu’ils incluent tout ce qui a un rapport avec
l’intégration de l’équipe et avec l’apprentissage du travail en équipe: connaître les forces et les
faiblesses des autres, savoir communiquer avec eux et savoir comment demander de l’aide,
etc. Une partie importante de ces apprentissages est de nature tacite. Ceux-ci se produisent du
début du montage jusqu’à la fin des présentations et ils incluent les manières selon lesquelles
les membres de l’équipe se connaissent à travers le travail et pendant tout le temps qu’ils
partagent ensemble, même en dehors des horaires de répétition.
263
9.4.4.1. Conséquences des caractéristiques de ce travail sur les apprentissages en lien avec la
dynamique de l’équipe
Ce type de travail, par sa nature, est propice, à un rapprochement entre les personnes
et à une interaction assez intense du fait de se montrer aux autres, dans un état vulnérable qui
correspond à la recherche créative. Les acteurs ont fait allusion à leur vulnérabilité en utilisant
des expressions comme « être en déséquilibre », « être dans des sables mouvants », « avoir la
peau à vif », « courir le risque de partager des choses personnelles », « faire le brouillon de
mon travail devant les autres ». En jouant, les acteurs, s’exigent à eux-mêmes d’aller plus loin,
de dépasser leurs propres limites. Cela peut les rapprocher et créer une grande complicité entre
eux. Ce type de travail demande une grande intégration qui se produit, en partie, grâce au
travail en commun, à cause du contact direct requis par le jeu. Dans la mesure où tous les
membres de cette équipe ont des formations, des expériences et des cultures différentes, une
autre partie de l’intégration dépend d’autres moyens.
9.4.4.2. Le temps partagé en dehors de la salle de répétition comme moyen d’apprentissage
Passer du temps ensemble permet d’avoir plus d’information sur l’autre avec qui on
travaille et, à partir de ce moment, il est possible de savoir plus justement ce que l’on peut et
ce que l’on ne peut pas attendre de l’autre. La réalisation de ces apprentissages permet
d’obtenir de l’information qui semble simple mais que les acteurs ont signalée comme étant
importante pour eux: par exemple, savoir quelle personne se sent bien ou mal et à quel
moment, comprendre pourquoi elle a telles réactions devant telles situations. Il est utile de
savoir qu’une personne change d’humeur quand elle est trop fatiguée ou qu’elle a faim; alors,
ses réactions ne sont pas prises comme une « affaire personnelle » mais comme une réaction
prévisible dans certaines circonstances. Lewicki, McAllister et Bies (1998) mentionnent que
les limites entre la confiance et la méfiance s’établissent dans les relations interpersonnelles
quand s’accumulent, à travers le temps partagé, des connaissances sur les forces et les
264
faiblesses des autres: « Relationships mature with interactive frequency, duration and the
diversity of challenges that relationships parteners encouter and face together ».
Ce temps pour se réunir a une grande valeur sur le plan de la dimension affective,
étant donné que le travail pendant les répétitions ne leur permet pas de parler beaucoup.
Partager davantage nous a semblé un besoin de tous les membres de l’équipe, soit pour
échanger sur le déroulement du montage ou sur d’autres expériences qu’ils ont eues en matière
de théâtre. Ils parvenaient à se connaître mieux à travers ces récits plus personnels.
Nous insistons sur l’importance du temps libre partagé car, pour nous, il explique une
bonne partie de l’évolution de cette équipe. Landry (1977, p.101) fournit une explication de ce
phénomène. Les moments où les membres d’un groupe parlent ensemble sont des occasions
de partager des fantaisies:
Les blagues, les histoires, les expériences personnelles qui sont racontées dans
le groupe et reprises par le groupe sont de l’ordre des fantaisies groupales. Dans la
mémoire de l’histoire du groupe, ces événements prennent une dimension importante
car ils nomment symboliquement soit une tranche de la vie de groupe, soit encore un
événement majeur, un point tournant.
Selon Landry, les groupes ayant peu de fantaisies ont moins de cohésion et ils
deviennent ennuyants. Connaître les autres contribue à créer la familiarité et la prévisibilité
qui, à leur tour, sont aussi des bases essentielles de la confiance.
9.4.4.3. Les activités organisées pour favoriser la cohésion de l’équipe comme moyen
d’apprentissage
Le metteur en scène a organisé des activités qui ont favorisé l’intégration du groupe et
la confiance. Au cours de la première étape, ce furent « le jeu de la balle » et les sorties pour
visiter des lieux qui ont un sens pour la pièce. Dans la troisième étape, il y a eu la pratique du
cercle qui, tout en étant très simple, est puissante pour renforcer l’intégration.
Tout au long du montage, il y eu du temps pour le partager du temps, au cours de la
journée, comme pendant les pauses et les repas. Durant la deuxième étape, les membres de
l’équipe se sont donné de nouvelles occasions de partager du temps, lors d’activités organisées
spontanément par les acteurs ou par d’autres membres de l’équipe.
265
9.4.4.4. Influence de la confiance sur l’apprentissage de la résolution de conflits
Dans le cadre des apprentissages en lien avec la dynamique de l’équipe se trouvent les
expériences de résolution de certaines difficultés personnelles qui ont produit des tensions
entre une des actrices et le metteur en scène. Nous avons déjà abordé ce point mais nous
voulons revenir sur l’influence que la confiance a eu sur la possibilité de réaliser cet
apprentissage. Le conflit qui s’est manifesté entre ces deux personnes a été résolu en partie
grâce à l’intervention d’une tierce personne. Celle-ci a pu agir favorablement en proposant une
solution au conflit parce que la confiance existait dans les relations qu’elle avait établies avec
les personnes qui vivaient la situation conflictuelle. En réalité, la confiance continuait
d’exister aussi dans cette relation malgré le fait que ces personnes traversaient un moment
difficile, de telle sorte que même si elle été temporairement affaiblie, la confiance reste
toujours présente et a permis que le conflit soit affronté et que la communication soit rétablie
assez rapidement. Ainsi, les individus ont pu écouter, parler avec sincérité et accepter leurs
malaises. Le fait de faire ces pas constitue une expérience qui a enseigné l’utilité de l’écoute
et du dialogue dans des moments de tension. Un autre aspect qui a trait à la confiance est le
fait que la personne qui est intervenue, s’est inspirée d’expériences vécues dans des montages
antérieurs, pour croire que le dialogue arrangerait les choses. Elle s’était elle-même retrouvée,
à un moment donné, dans une situation où le manque de communication avait provoqué un
malaise dans une relation de travail et elle avait pu améliorer cette situation en abordant les
sujets difficiles avec la personne avec laquelle elle vivait des difficultés. D’ailleurs, elle
prenait ce type de mesure pour régler ses problèmes dans la plupart de ses relations
personnelles. Elle avait confiance aussi dans la capacité des membres du groupe à résoudre les
malentendus entre eux.
En pensant à l’effet négatif de l’affaiblissement de la confiance sur l’apprentissage,
nous avons constaté des changements dans le comportement des deux personnes impliquées. Il
s’agissait de comportements défensifs qui limitaient leurs apprentissages. Nous avons analysé
cette situation plus en détail dans un chapitre précédent; ici, nous voulons seulement faire un
retour à la littérature concernant les comportements défensifs. Les réactions défensives
266
apparaissent lorsque quelqu’un se sent menacé d’une façon ou d’une autre. Cormier (1995,
p.135) explique ce qui provoque cette réaction:
Un individu se sent menacé toutes les fois qu’il perçoit, ressent, consciemment
ou inconsciemment, que son estime de soi, sa valeur sociale ou sa sécurité
relationnelle sont en danger, qu’il risque d’être jugé, de se sentir blessé, d’être
humilié, d’avoir honte, de perdre le contrôle de la situation ou encore d’être submergé
par l’émotion.
L’auteur
parle ensuite des formes que peuvent avoir ces comportements. Nous
retenons ici en particulier celui que nous avons mentionné. D’après Cromier (1995),
« L’évitement consiste à s’abstenir de donner son opinion; à rester silencieux quand on est en
désaccord et à éviter de prendre des risques. Ces comportements constituent autant de moyens
de contourner une menace potentielle pour l’estime de soi ». Finalement, nous désirons
conclure en reprenant ce que Cormier (1995, p.139) mentionne à propos des conséquences de
ces situations sur le travail:
Quand deux individus défensifs essaient de travailler ensemble, cela leur
demande beaucoup d’énergie et le résultat est pitoyable parce que l’enjeu réel n’est
pas l’objectif explicite mais bien le rétablissement de l’estime de soi et d’un certain
confort relationnel.
Un autre exemple est celui où la confiance insuffisante en soi réduisant la capacité
d’apprendre d’une personne. Dans l’équipe dont nous traitons, Pablo a vécu cette expérience.
Lors de la première étape, il se sentait anxieux et pas très sûr de lui et il avait eu du mal à
construire ses personnages et à établir une interaction avec les autres membres de l’équipe.
Quand le metteur en scène lui avait exprimé son approbation, il avait peu à peu gagné plus
d’assurance et il était devenu moins tendu. Ainsi, il avait pu mieux articuler sa pensée et jouer
avec plus d’aisance.
9.4.5. Les apprentissages reliés à l’unité de la pièce
267
Les apprentissages en lien avec la construction de l’unité de la pièce commencent à se
construire dès la deuxième étape où les scènes sont jouées en respectant l’ordre qu’elles auront
dans la pièce. Les acteurs doivent être spécialement attentifs au travail des autres pour se
préparer à l’avance au moment d’entrer en scène exactement quand ceux qui les précèdent en
sortent. Durant cette étape du montage, l’interdépendance s’élève davantage et le travail sur
l’enchaînement des scènes prend une importance qu’elle n’avait pas auparavant. En termes
pratiques, cela se traduit par un rythme de travail plus intense où le jeu prend plus de place,
par rapport au temps dédié aux échanges verbaux. En outre, il y a rarement des arrêts entre les
scènes et les commentaires ne se font qu’à la fin de la séance, après une longue séquence de
scènes jouées. Cet apprentissage exige des acteurs de prendre conscience des liens entre les
événements qui se produisent dans différentes scènes. Ces liens doivent devenir de plus en
plus clairs pour les acteurs. Ceux-ci en font l’apprentissage en écoutant les indications du
metteur en scène et en posant des questions. C’est par la pratique du jeu qu’ils arrivent à
comprendre l’unité de la pièce. Cela leur demande d’être plus attentifs aux indications que le
metteur donne à la fin d’une séquence de plusieurs scènes. Souvent, pendant cette étape du
travail, les indications adressées à un des acteurs s’avèrent très utiles pour les autres et,
probablement pour cette raison aussi, le metteur en scène demande à tous, de se réunir autour
de lui, après avoir joué plusieurs scènes sans interruption, pour adresser à chacun des
commentaires que tous les autres peuvent écouter. Vers la fin de la deuxième étape et au cours
de la troisième, le rythme de travail s’intensifie encore un peu plus et les acteurs ont moins
d’occasions de poser des questions et encore moins de discuter. Les indications deviennent
plus exactes et portent souvent sur des aspects dits « techniques », c’est à dire concernant les
entrées et les sorties de la scène, les emplacements exacts à prendre. Les acteurs apprennent à
ajuster leur jeu non seulement en fonction d’un autre acteur qui partage une scène avec lui,
mais aussi en fonction de la scène précédente et de la suivante. L’interdépendance devient plus
élevée et les acteurs sentent la pression provenant du fait qu’une seule erreur de la part d’une
personne peut nuire au travail de toutes les autres. Ici, pour que les acteurs puissent accomplir
la tâche qui leur est demandée,
la confiance entre les individus devient encore plus
importante. Le metteur en scène commence à avoir une participation qui, de plus en plus,
consiste à observer le jeu et ses commentaires sont progressivement plus brefs et ponctuels.
Son rôle de diriger en donnant ses indications est pratiquement terminé à la fin de la
268
troisième étape. Ce sont alors les acteurs qui doivent continuer à gagner en subtilité dans leur
jeu et cet apprentissage se fait à travers le fait de jouer la pièce en entier.
À cette étape, les comédiens passent la plupart du temps à jouer; ils peuvent se
soutenir à travers leurs comportements scéniques. Ne se parlant pas beaucoup, c’est en étant
alertes, prêts, attentifs aux moments où ils entrent sur scène et à ce qu’ils doivent faire à tout
moment que les acteurs contribuent à donner confiance aux autres. Un comportement
responsable et engagé est remarqué par les autres et contribue, pensons-nous, à engendrer
plus de confiance dans l’équipe car à ce stade du travail, le groupe d’acteurs devient de plus
en plus autonome vis à vis du metteur en scène qui, maintenant, laisse davantage la
responsabilité du jeu entre leurs mains.
Afin de d’offrir une vue d’ensemble des derniers points que nous venons de traiter,
nous invitons le lecteur à consulter le tableau 9.1. Nous y énumérons les différents types
d’apprentissages, les moyens et les manières d’apprendre qui correspondent à ces
apprentissages et les principaux liens que nous avons identifiés entre ces apprentissages précis
et la confiance.
269
9.5. La pertinence du cadre conceptuel préliminaire
En cherchant à appliquer les concepts retenus dans notre cadre conceptuel
préliminaire, nous avons pu identifier différents apprentissages mettant en relief le rôle de la
confiance. Par exemple, lorsqu’un acteur demandait à un autre sa collaboration pour la
mémorisation d’une scène ou lorsqu’il demandait au metteur en scène plus d’information sur
la logique de la situation où se trouve son personnage, cela témoignait de la confiance. Nous
avons vu aussi le rôle de la confiance que le metteur en scène porte envers les acteurs et
comment, à partir de cette base, il leur donne plus de liberté pour qu’ils puissent explorer
différentes possibilités de jeu. Rappelons qu’explorer et tenter différentes options est, selon
Edmondson(1999), un des comportements favorables à l’apprentissage. Nous avons aussi
constaté que les changements dans l’intensité de l’interdépendance agissaient sur l’influence
de la confiance; au fur et à mesure que l’interdépendance augmente, la confiance devient de
plus en plus nécessaire, non seulement dans la relation entre le metteur en scène et l’acteur
mais aussi dans les relations des acteurs entre eux.
Sur le plan de la dynamique de la confiance, soit de son émergence ou de ses
variations postérieures, nous avons noté que certaines expériences qui se produisent au cours
du montage deviennent de nouvelles bases pour son évolution. Dans ce sens, notre attention
comme observateur a été attirée particulièrement
par l’aspect complémentaire des
apprentissages qui se produisaient, en dehors des horaires de répétition, soit à travers des
activités organisées par les membres de l’équipe ou toutes sortes de conversations qui
portaient sur le travail. Nous avons noté que ces rencontres naissaient spontanément et
qu’elles remplissaient des fonctions diverses en termes des apprentissage que cette équipe
réalisait. La disponibilité qui se manifestait pour partager du temps supplémentaire nous
semblait un indice important de cohésion de l’équipe et, en même temps, un excellent moyen
pour approfondir la confiance basée sur la connaissance de l’autre et une solution pour
répondre à un besoin de l’équipe que le rythme de travail avait laissé insatisfaite.
9.6. Conclusion
270
Nous avons énuméré une série d’apprentissages en lien avec la dynamique et la
cohésion de l’équipe. Cette liste n’est certainement pas complète. Cependant, nous espérons
avoir analysé les principaux moyens par lesquels ces apprentissages se réalisent et avoir donné
des exemples pertinents et clairs de l’influence de la confiance sur l’apprentissage. De plus,
nous avons aussi indiqué comment la confiance s’appuie sur diverses bases qui se construisent
aussi à travers la progression de l’apprentissage et du travail en équipe.
271
Tableau 9.1.
Liens entre confiance et apprentissage
Types d’apprentissages
Mémorisation des textes
Apprentissages reliés à la
construction les scènes et de
leur sens. Ceci demande de
construire les personnage et les
relations entre eux
Apprentissages reliés à la
dynamique de l’équipe et à la
dimension affective de l’équipe
Apprentissages en lien avec la
résolution des conflits
Apprentissages du metteur en
scène reliés à la dimension du
pouvoir . Le metteur en scène
Moyens et manières
d’apprendre
En travaillant individuellement
En collaboration avec un autre
acteur
- Observer le travail des autres
- Ecouter et intégrer les
exemples,
indications
et
explications du metteur en scène
- Poser des question,
- Donner son avis
-Échanger
dans
des
conversations informelles
-Observer
la
réalité
(des
personnes qui correspondent aux
personnages, aller dans des lieux
qui concernent la pièce
- Lire des livres en lien avec les
personnages
Liens entre confiance et
apprentissage
La confiance est nécessaire pour
demander de l’aide et pouvoir
collaborer
-Lorsque les acteurs ont
confiance dans le metteur en
scène car il le considèrent
compétent et ayant des bonnes
intentions, ils sont plus
convaincus des indications qu’il
leur donne
- La confiance permet de prendre
le risque de poser des questions
-Lorsque les acteurs ont
confiance entre eux, ils peuvent
jouer en explorant plus librement
les différentes possibilités, ils
peuvent aussi s’exprimer plus
facilement dans les conversations
informelles qui leur permettent
de réfléchir
Ces activités ont l’ effet de
- Les activités qui favorisent
favoriser l’émergence et la
l’intégration et la connaissance
consolidation de la confiance car
de l’autre comme le « jeu de la
balle », les sorties organisées par les personnes se rapprochent et
se connaissent davantage. Elles
le metteur en scène ou par les
prennent aussi conscience des
autres membres, la pratique du
cercle, le temps partagé pendant implications de
l’interdépendance qui existe
les pauses
entre elles
- En réfléchissant aux difficultés - Lorsque la confiance existe, il
- En parlant des conflits
est plus facile que les deux
- En proposant des solutions
personnes qui ont un conflit
l’affrontent, en parlent et
trouvent des solutions. Il est
possible aussi qu’une tierce
personne intervienne. Il est
possible aussi que les autres
personnes qui ne sont pas
impliquées dans le conflit offrent
un soutien à la personne qui
traverse une situation difficile
- En observant le jeu des acteurs, - Lorsque le metteur en scène a
et en échangeant verbalement
confiance dans les acteurs il leur
avec eux, le metteur en scène se donne plus de liberté pour
rend compte de ce qu’ils ont
explorer des possibilités et ses
272
apprend à communiquer ses idées compris de ses indications et des
aux acteurs, à les convaincre et à difficultés qu’ils ont ou n’ont pas
les « séduire »
pour les suivre
- En donnant différents types
d’explications, il se rend compte
qu’elles sont mieux comprises
par les acteurs
indications ont pour but de les
inspirer et de les guider.
-Lorsque le metteur en scène voit
qu’un acteur se sent peu sûr de
lui, il peut l’aider à prendre
confiance en manifestant son
approbation en lien avec les
points forts de son jeu
- En observant le jeu des acteurs
Apprentissages que l’auteur fait - En échangeant avec le metteur
en lien avec l’écriture de la pièce en scène et d’autres membres de
l’équipe comme la productrice
- Lorsque la confiance existe, il
peut exprimer honnêtement son
avis et écouter ceux des autres.
- Lorsque la confiance existe, il
sait qu’il peut proposer des
améliorations qui seront
acceptées
273
CHAPITRE X
PROPOSITION D’UN CADRE CONCEPTUEL MODIFIÉ INCLUANT DE
NOUVEAUX ÉLÉMENTS
10.1. Introduction
Notre analyse des données a montré que le cadre préliminaire que nous avons proposé
signalant des liens entre la confiance interpersonnelle et l’apprentissage était utile. Il suggérait
une influence favorable de la confiance sur l’apprentissage. À travers nos observations et nos
entrevues, nous avons constaté que lorsque la confiance interpersonnelle et la sécurité
psychologique étaient élevées, les acteurs avaient réalisé des apprentissages rapides; à
l’inverse, lorsque la confiance en soi ou interpersonnelle était plus faible, l’apprentissage est
devenu alors plus lent et difficile.
Cependant, malgré ces considérations, ce premier cadre nous semble maintenant
insuffisant parce que, au cours de notre analyse, nous avons trouvé des éléments, que nous
n’avions pas considérés auparavant, mais qui agissent d’une manière directe sur
l’apprentissage et indirectement à travers leur effet sur la dynamique de la confiance. Nous
allons donc reprendre le cadre conceptuel tel qu’il avait été introduit au chapitre trois, pour
ensuite expliquer les modifications que nous proposons afin de le compléter en fonction de
notre expérience d’observation d’une équipe de travail.
Dans la deuxième partie de ce
chapitre, nous traiterons des leçons que l’étude de ce cas nous a permis de tirer.
Les modifications que nous proposons sont d’ajouter les éléments suivants:
la pression du temps, le comportement du leader, l’intégration de l’équipe et la proximité entre
les membres de l’équipe.
274
10.2. La pression du temps
L’importance de la pression du temps nous est apparue plus clairement grâce aux
comparaisons que nous avons réalisées entre les étapes. En effet, l’intensité de la pression du
temps est déjà présente, dès le début, mais elle augmente au fur et à mesure que la date de la
première représentation approche et son intensité atteint un maximum lors de la dernière
étape. L’étude de cette variation nous a permis de mettre en évidence certaines de ses
conséquences sur l’apprentissage et sur la création de la confiance. La littérature traite le sujet
de l’influence de la pression du temps sur le travail d’une équipe. D’un côté, Gersick (1989)
étudie les effets de la pression du temps sur les manières de travailler des équipes et, d’un
autre côté, Meyerson et al.(1996) et Mcknight et al, (1998) discutent des effets de la pression
du temps sur la création de la confiance interpersonnelles.
10.2.1. L’apport de Gersick (1989)
Gersik (1989) a contribué à combler un manque qu’elle a trouvé dans la littérature, en
étudiant comment des équipes de travail adaptent un travail créatif aux contraintes de temps
qui leur sont données. Elle a réalisé deux recherches différentes pour savoir si les équipes de
travail ont un mode de fonctionnement qui s’adapte à la pression du temps. Elle se demande si
leur manière d’accomplir leur travail change en fonction des délais.
Pour atteindre son objectif, Gersick a publié, d’abord, dans un premier article, les
résultats de ses analyses sur le comportement des équipes, en lien avec le temps, dans un
contexte organisationnel. Dans un article postérieur, elle a publié des résultats concernant des
équipes dans un contexte de laboratoire. Nous parlerons surtout de ce deuxième article. La
recherche de Gersick aboutit à des conclusions intéressantes. Les équipes observées ont un
comportement qui se répète : elles travaillent d’une certaine manière, pendant toute la durée de
la première partie du temps et ensuite, dans la deuxième moitié du temps qu’il leur restait
pour finir leur tâche, elles adoptent une approche différente. L’auteure observe des
changements qualitatifs visibles dans leur façon de travailler car la pression augmente et les
275
membres de l’équipe se rendent compte que, pour finir, ils doivent modifier l’approche à leur
tâche même s’ils avaient adopté cette approche au début de leur travail. Gersick (1988, 1989)
estime qu’il y a effectivement un comportement qui revient dans les différents cas, même
quand les équipes ont des tâches différentes à réaliser et, ceci, indépendamment des
particularités des contextes où elles se situent. Ses observations ont révélé que, dans le travail
des équipes, il y a des phases d’inertie et des phases de progrès plus accéléré. Ces résultats
indiquent que le temps influence fortement la modalité de travail d’une équipe de travail.
Est-ce que l’équipe que nous avons observée adopte elle aussi ce type de
comportement?
Pour répondre à cette question, nous voulons d’abord identifier des
différences et les similitudes entre l’étude de Gersick et la nôtre. Commençons par identifier
des points communs entre les deux études. Les équipes réalisent un travail qui demande de la
créativité et qui implique la prise de décisions, elles ont un délai à respecter connu à l’avance,
et le niveau d’interdépendance est élevé. Nous pouvons parler de changements qualitatifs au
cours du processus. Cependant, il y a quelques différences à signaler. Nous pensons que la
tâche réalisée par les équipes étudiées par Gersick, rend l’interdépendance encore plus élevée
que dans notre cas. Évidemment, comme nous l’avons dit, les équipes étudiées par Gersick,
travaillent dans un contexte de laboratoire et pas la nôtre. Une autre différence très importante
entre les équipes présentées par Gersick et celle que nous avons observée, il n’y a personne
qui assume seul et formellement la fonction de leader; différents membres jouent ce rôle. En
conséquence, il n’est pas très facile de savoir qui prend les décisions et propose la direction à
suivre. De plus, les équipes étudiées par Gersick ne savent pas, avant de commencer à
travailler, quelle démarche suivre pour atteindre leur objectif, ce qui est très différent de notre
cas. Dans l’équipe de théâtre, il y a un leader formel qui dirige l’équipe. De plus, il suit une
démarche définie d’avance pour réaliser la tâche. Dans les équipes observées par Gersick, les
membres font souvent allusion au temps qui manque pour finir car chacun des membres de
cette équipe se sent responsable de gérer ce temps de la meilleure manière possible mais, dans
le cas que nous étudions, le metteur en scène est le principal responsable de la gestion du
temps. Cela ne signifie pas que tous les autres membres ne sont pas conscients du temps qu’il
reste pour terminer la tâche, mais ils ne parlent pas de cette situation pendant les répétitions.
Dans son étude, Gersick identifie que, durant la deuxième moitié du temps dont une
équipe dispose pour faire son travail, il y a des phases d’avancement plus rapides vers le
276
résultat. Dans le cas de l’équipe de théâtre nous avons noté ce même comportement. Nous
avons remarqué des changements importants dans la manière de travailler. Au cours de la
deuxième et de la troisième étape, ces nouvelles façons de travailler sont apparues mais elles
correspondaient souvent à l’intégration de nouveaux éléments, tels que l’espace, quand
l’équipe commence à travailler dans le nouvel espace physique qu’est la scène du théâtre, au
lieu de continuer dans la salle de répétitions. Cependant, nous adressons aussi certaines
critiques à l’étude de Gersick (1989). Par exemple, elle signale que les équipes ont pu livrer un
produit fini dans le délai fixé mais elle ne parle pas de la qualité de ce produit, ni de la relation
entre le processus du travail et la qualité de ce produit. Il nous semble que son travail fait
ressortir le fait que, lorsque le temps devient un facteur très présent et qu’il est la source d’une
grande exigence, il y a de la part des membres d’une équipe une perception différente des
priorités; celle de finir dans le temps fixé semble la plus importante. Mais elle n’a pas
mentionné ce qui survient du point de vue de la qualité du travail. Nous pensons que, lorsque
où finir vite devient la priorité principale, la conséquence est que les membres de l’équipe ont
moins le souci du travail bien fait car ce qui devient encore plus important est de finir à
temps. En tout cas, dans l’étude que nous avons réalisée, au moins une des actrices, trouvait
que la pression du temps forçait les personnes à rester trop superficielles dans leur travail et
qu’elle n’aimait pas cette logique du travail vite fait où le manque de temps empêche
d’améliorer les résultats.
La chercheuse ne parle pas du type de participation que les personnes ont eue. Elle ne
précise pas si toutes étaient aussi engagées ou si certaines ont adopté un rôle très actif alors
que d’autres, au contraire, jouaient un rôle plus passif en contribuant, de façon moins
importante, au résultat de cette équipe.
Ce qui rapproche notre étude de celle de Gersick, c’est que nous avons vu aussi un
rapport entre l’augmentation de la pression du temps et des changements dans la manière de
travailler même si les raisons pour lesquelles ces changements se présentent nous semblent
différer dans les deux cas, comme nous l’avons dit tantôt.Voyons alors quels sont les
changements que nous avons observés, au cours des trois étapes du montage, pour ensuite
analyser ce qu’ ils impliquent en termes de l’apprentissage.
277
10.2.2. La pression du temps au cours de la première étape
Dans les premières semaines de travail, quand la pression du temps était relativement
moins grande, il y a eu, pendant les séances de répétition, des échanges verbaux assez longs et
enrichissants, entre le metteur en scène et les acteurs. Parfois il s’agissait de discussions en
profondeur sur un ou plusieurs points importants concernant la compréhension d’une scène.
Les exemples que le metteur en scène donnait, au début, étaient très détaillés et parfois assez
longs. Une caractéristique de ces exemples est qu’ils donnaient une orientation et une vision
générale, en même temps qu’ils permettaient à l’acteur d’arriver à sa propre interprétation de
son rôle. Sur le plan du jeu, au cours de la première étape, les acteurs avaient plus de liberté
pour chercher par eux-mêmes des manières de jouer. Ils posaient de nombreuses questions car
ils n’avaient pas encore l’impression de « retarder le travail des autres »; ils pouvaient
interrompre les scènes jouées pour parler de certains points et ce n’était pas considéré comme
gênant. Étant donné que la pression du temps est relativement moins forte au cours de cette
étape, elle permet aux acteurs de faire des apprentissages qui seront plus difficiles ou
impossibles à faire au cours des étapes ultérieures, ce qui est déterminant pour la suite du
travail.
Les observations faites au cours de la première étape nous amènent à faire la
proposition suivante sur les liens entre la latitude que laissent les pressions du temps, les
occasions de réflexion que celle-ci rendent possibles et les apprentissages qui en découlent.
Proposition n.1: Lorsque la pression du temps est faible, si la confiance
interpersonnelle le permet, les membres de l’équipe peuvent se donner des occasions
de réfléchir collectivement à leur travail. Cette réflexion collective peut être, pour tous
les membres de l’équipe, une source d’apprentissages importants, non seulement à ce
moment là mais aussi pour les étapes suivantes du travail de l’équipe.
Par contre, suivant le raisonnement inverse, lorsque la pression du temps commence à
augmenter, il se peut que les occasions de réfléchir collectivement se présenteront de moins en
moins, au cours du processus du travail d’une équipe, d’où l’importance, dans une perspective
d’ensemble du processus, de profiter des moments où la pression est moins grande. Ces
278
moments sont clefs, tant pour réaliser des apprentissages collectifs comme que pour construire
et renforcer les basses de la confiance interpersonnelle.
10.2.3. La pression du temps au cours de la deuxième étape
Au cours de la deuxième étape, la pression a augmenté peu à peu et le travail s’est
centré davantage sur le jeu, alors que les échanges verbaux diminuent en fréquence et en
durée, de sorte que, vers les dernières semaines, les acteurs ne posaient des questions que
quand cela étant très nécessaire pour eux; de plus, il y avait moins de moments propices à la
discussion. Cependant, les questions peuvent jouer quand même toujours un rôle important,
maintenant non plus en raison de leur fréquence, mais de leur sens. Marovitz (1999) nous
parle de l’importance de maintenir l’ouverture pour que les questions apparaissent et
provoquent des prises de conscience propices à la discussion:
« A healthy rehearsal is one in which an actor, or a director or dramaturg,
suddenly asks a question which cannot be answered by reference to the given material
– forcing everyone to reassess all that as gone before (…) It that means agonizing
reappraisal of previous choices and prior assumptions, that is all to the good.
Sometimes the smallest discovery in the most minor scene produces the key to the
whole-sale reinterpretation of the entire play ».
Lors de l’étape antérieure, les membres de l’équipe interrompaient le jeu lorsqu’ils
avaient besoin de poser une question ou de prendre un moment pour une autre forme
d’échange verbal. Comme réponse à ce besoin d’avoir un espace de discussion, ils
organisaient des activités qui leur laissaient un peu de temps pour échanger ensemble sur ce
qu’ils vivaient à travers les répétions ou sur d’autres expériences de théâtre. Au cours de cette
deuxième étape, le metteur en scène limitait plus ses commentaires à des demandes assez
précises en fonction de ce qu’il attendait des acteurs. Sur le plan du jeu, les indications du
metteur en scène deviennent de plus en plus précises et permettent de moins en moins à
l’acteur d’explorer et de créer des possibilités.
La pression du temps obligeait les acteurs à attendre jusqu’à la fin de la journée pour
trouver des moments propices à des conversations informelles entre deux ou trois personnes.
Ces moments de discussion en dehors de la salle de répétition se substituaient à des
discussions collectives où toute l’équipe était présente. Les acteurs s’adaptaient ainsi à
279
l’exigence de réaliser un spectacle de qualité, dans un délai relativement court. Lorsque la
pression du temps devenait plus intense, se développait la perception que, comparativement
au besoin d’accomplir la tâche à temps, poser des questions, explorer des manières différentes
de jouer et discuter des manières de travailler signifiaient « perdre du temps inutilement » ou
« gaspiller du temps ». Les acteurs clarifient certains de leurs doutes à travers leur jeu mais ils
n’initiaient plus aucune discussion avec le metteur en scène. Les explications de ce dernier
avaient changé dans ce même sens. Par conséquent, la créativité des acteurs avait moins
d’occasions de s’exprimer durant cette étape que dans la précédente.
Durant cette deuxième étape, les membres de l’équipe ont remédié au manque de
temps pour échanger, lors des répétitions, en ne disposant d’autres espaces en dehors du
travail, des espaces destinés à remplir cette fonction, c’est ce qui s’exprime dans la proposition
suivante.
Proposition n.2: Quand la pression du temps augmente, il est possible que les
membres d’une équipe de travail, s’ils en ressentent le besoin ou le désirent, créent
spontanément des espaces divers, en dehors de leurs horaires établis de travail, afin
d’échanger entre eux. L’objectif ainsi poursuivi est de satisfaire des besoins qui
proviennent 1) des apprentissages requis pour accomplir leur tâche ou 2) de leur
besoin de consolider la confiance basée sur la connaissance de l’autre.
10.2.4. La pression du temps au cours de la troisième étape
Vers la fin de la deuxième étape, plus la pression du temps augmentait, plus elle
provoquait chez les membres de l’équipe un sentiment d’urgence qui les a obligé à se
concentrer sur l’essentiel et à chercher à atteindre une plus grande efficacité. Durant la
troisième étape, la pression du temps devenait une question clef et tous les membres de
l’équipe étaient conscients de cette situation d’urgence. Par conséquent, ils s’efforçaient de
finir leur tâche le plus rapidement possible. La pression du temps marquait un besoin
d’avancer encore plus vite dans la construction des scènes et leur enchaînement; elle obligeait
donc les acteurs à jouer d’une manière plus continue. La qualité du travail était encore soignée
mais l’objectif de finir le travail pour la date fixée passait au premier plan.
Au cours de la troisième étape, le type d’interventions du metteur en scène changeait.
Il formulait surtout des commentaires ponctuels qui devenaient progressivement
des
280
demandes précises. Les exemples, lorsqu’il y en avait, étaient plus concrets et laissaient moins
de place à la créativité des acteurs.
Le temps semblait si pressant que, même des changements pour raccourcir la durée de
la pièce, étaient remis à plus tard, pour la semaine suivant la première présentation. Le metteur
en scène et l’auteur de la pièce, bien qu’ils étaient conscients que certains passages de la pièce
étaient répétitifs, le soir de la Première, décidèrent de présenter une version qu’ils
considéraient trop longue, mais ils savaient qu’ils ne disposaient plus un temps suffisant pour
décider quelles parties supprimer et permettre aux
acteurs d’apprendre ces derniers
changements.
Au cours de cette étape, pressé par le temps, cherchant à être plus bref dans ses
interventions, le metteur en scène modifia un peu son comportement qui consistait jusqu’alors
à exprimer très souvent son approbation. Inquiet de constater qu’il restait beaucoup à faire, il
se limitait à demander certains changements et il ne donnait plus beaucoup d’appréciations
positives. Les acteurs, habitués à entendre des compliments sur leurs progrès, s’étonnaient un
maintenant peu de ne plus recevoir ce type de rétroaction et ils n’étaient plus sûrs des parties
de leur jeu que Julio approuvait, au point qu’ils le questionnaient même à ce propos. Le
metteur en scène leur répondait que s’il insistait sur tout ce qui était bien, « on n’en finirait
plus de la nuit ». Il expliqua que, quand il se taisait, cela signifiait que le jeu était bon.
Une partie significative de l’apprentissage se produisait à travers le jeu parce que les
apprentissages des acteurs ne sont pas seulement de nature explicite. Celui-ci comprenait des
composantes tacites qui se créaient dans le jeu qui peut être plus ou moins créatif, plus ou
moins enrichissant.
Proposition n.3: La possibilité de trouver des comportements favorables à
l’apprentissage, tels que poser des questions, demander de l’aide, chercher de la
rétroaction, discuter et réfléchir sur les erreurs et les résultats inattendus se réduisent
en fonction d’un niveau de confiance bas mais ils dépendent aussi de la disponibilité
du temps. Ces comportements diminuent au fur et à mesure que la pression du temps
augmente.
281
10.2.5. Analyse des effets de la pression du temps sur l’apprentissage
Puisque la pression du temps est moins élevée au cours de la première étape, les
possibilités d’apprentissage nous semblent importantes. Tel que le remarquent Nonaka et
Takehuchi (1991), le dialogue et la discussion servent à créer, entre les membres de l’équipe,
de nouveaux points de vue pour examiner les questions sous plusieurs angles simultanément et
pour intégrer une perspective collective, contribuant à la
qualité de l’apprentissage. En
conséquence, si au cours de la deuxième et de la troisième étapes, ni la discussion, ni
l’exploration dans le jeu ne sont plus possibles ou se réduisent considérablement, construire
cette perspective collective devient plus difficile. Alors, quand la pression du temps augmente,
la perspective qui domine plus explicitement le travail est celle du leader formel; de plus, il
devient difficile pour lui de le transmettre clairement parce qu’il peut pas donner assez
d’explications, ni convaincre les acteurs de la pertinence de ses choix. Les acteurs peuvent
commencer à souffrir d’impositions et à ne plus sentir l’importance de leur créativité.
D’après Edmondson, (2002, p.129), un des indices qui prouve que l’apprentissage a
lieu est la réflexion au sein de l’équipe sur les erreurs, car elle permet des améliorations dans
les manières de travailler ultérieures: « Team learning has been defined as a process in which
a team takes action, obtains and reflects upon feedback, and makes changes to adapt or
improve ».
10.2.5.1. Importance des échanges verbaux
Après avoir énuméré les différentes fonctions que les échanges verbaux jouent sur
l’apprentissage d’une équipe de travail, nous proposons de considérer, en particulier le rôle
des interventions du metteur en scène pour voir à quelles différentes intentions elles
répondent. Ces interventions satisfont des besoins de l’équipe qui continuent d’exister même
à un stade plus avancé du montage et lorsque les acteurs connaissent mieux leurs rôles.
D’un côté, les acteurs atteignent effectivement une plus grande maîtrise de leurs rôles
et ont moins besoin d’explications élaborées; mais, d’un autre côté, selon nous, les
interventions du metteur en scène, sous forme d’explications, poursuivent simultanément, sept
objectifs: Le premier et le plus évident, est de donner aux acteurs des éléments
pour
approfondir leur compréhension du texte. Le deuxième de ces objectifs, plus implicite, est de
282
contribuer à renforcer les liens entre le metteur en scène et les acteurs, notamment lorsqu’il
partage des expériences personnelles et permet aux acteurs de le connaître davantage. Le
troisième est d’échanger sur le sens, non seulement de cette pièce, mais de l’activité théâtrale
en général. Le quatrième est de clarifier, à l’intention des acteurs québécois, certaines
caractéristiques de la culture mexicaine qui interviennent dans la pièce. Le cinquième est de
créer un moment de détente qui réduit le niveau de tension auquel sont soumis les membres de
cette équipe. Le sixième est de considérer les différentes options qui se présentent ou de
proposer une manière nouvelle de résoudre des aspects du jeu. Finalement, notons un dernier
objectif, tout aussi important: communiquer aux acteurs son approbation ou suggérer des
améliorations à apporter.
10.2.5.2. Conséquences de la pression du temps
Notons certaines conséquences de la pression du temps sur les échanges verbaux et sur
la possibilité des acteurs d’explorer différentes options, à travers le jeu, pendant les séances de
répétition. Les variations de la pression du temps changent le contexte et
influencent
l’apprentissage. En augmentant, elle limite les disponibilités à communiquer, tant de la part
des acteurs que de celle du metteur en scène, de plusieurs manières importantes: en réponse à
l’augmentation de la pression du temps, les questions sont réduites au minimum, même si les
personnes sont en confiance pour les poser; les explications que donne le metteur en scène
deviennent très concises; certaines discussions entre les participants qui sont importantes ont
lieu, de manière informelle, en dehors des horaires des répétitions; les échanges portant sur
des expériences personnelles ne se produisent plus pendant les répétitions.
L’augmentation de la pression du temps a aussi d’autres conséquences. Sur le plan du
jeu, elle tend à contraindre l’acteur à suivre des indications et à les exécuter, l’empêchant ainsi
de découvrir par lui-même comment interpréter son rôle. Elle augmente la tension chez tous
les membres de l’équipe à cause de l’intensité du rythme de travail. Elle s’accompagne d’une
réduction du temps de repos et, parfois aussi, d’une diminution de sa qualité car les individus
qui subissent une pression de temps excessive peuvent devenir inquiets et anxieux. Ceci peut
transformer la bonne humeur en une certaine irritabilité qui, même si elle est dissimulée et
283
contrôlée, rend le travail moins plaisant pour tous. Nous avons observé ce changement
d’humeur chez le metteur en scène et chez d’autres membres de l’équipe; ils s’énervaient et
s’inquiétaient plus facilement et, par moments, perdaient patience.
L’évolution de la pression du temps a provoqué des changements dans la dynamique
du travail et dans l’interaction entre les membres de cette équipe: quand elle était moins forte,
elle permettait aux acteurs d’exprimer leur créativité et d’explorer davantage. Par contre,
lorsqu’elle augmentait, ils devenaient plus préoccupés par le besoin d’aboutir à un résultat en
particulier.
Un des effets de la pression du temps est de limiter les possibilités d’apprentissage des
membres de cette équipe car elle réduit les occasions que les personnes ont pour s’exprimer et
pour réfléchir individuellement et collectivement sur les processus qu’ils vivent ensemble; en
revanche, nous constatons, comme Gersick (1989) l’avait fait, que la pression du temps a pour
effet de faire aboutir plus rapidement à un produit fini. Cependant, la question qui se pose ici
n’est pas seulement si l’équipe peut finir à temps le montage de la pièce mais si la qualité de
celle-ci est satisfaisante.
Une pression de temps modérée peut stimuler un travail rapide et productif mais, si
elle est trop élevée et maintenue pendant une longue période, elle représente une limite
importante à l’apprentissage. Selon nous, une pression trop élevée empêcherait les membres
d’exploiter tout leur potentiel car certains n’auraient pas la capacité de réagir aux mêmes
moments que les autres et leur participation se perdait à cause de la difficulté à suivre un
rythme trop rapide pour eux.
En résumé, le travail de certaines personnes risque d’être superficiel. Après avoir
analysé l’effet de la pression du temps sur les possibilités d’apprentissage, examinons celui
qu’elle a sur la construction de la confiance entre les membres de l’équipe.
10.2.6. Les effets de la pression du temps sur l’émergence et la consolidation de la confiance
Meyerson, Weick et Kramer (1996) analysent des équipes qui travaillent sur la
réalisation d’un film pour comprendre le paradoxe de la confiance qui se crée rapidement.
Entre ces groupes et l’équipe que nous avons étudiée, nous trouvons des différences mais aussi
des ressemblances importantes. C’est pourquoi nous pensons que leur réflexion concernant
284
l’effet de la pression du temps sur la confiance s’applique au cas que nous étudions. Parmi les
différences les plus déterminantes, mentionnons que, dans notre équipe, il y a des relations
qui durent depuis plus de dix ans; donc, plusieurs personnes se connaissent très bien.
10.2.7. Le concept de groupe temporaire
Meyerson, Weick et Kramer (1996) auteurs reprennent la définition de groupe
temporaire de Goodman et Goodman (1976): «A set of diversely skilled people working
together on a complex task over a limited period of time » (Goodman et Goodman,1976,
p.494) Cette définition peut s’appliquer aussi à l’équipe de théâtre que nous suivons, mais
avançons dans notre comparaison pour voir si les autres caractéristiques d’un groupe
temporaire correspondent à notre cas. L’existence de l’interdépendance est un des quatre
aspects clefs de l’analyse des auteurs dont il est question: « The task is complex with respect
to interdependence of detailed task accomplishment, so that it is not easy to define tasks
clearly and autonomously. The members must keep interrelating with one another in trying to
arrive at viable solutions »(Goodman et Goodman, 1976, p.495). Plus loin, la question de
l’interdépendance est traitée en ces termes: « We suspect that a key variable in temporary
systems is the degree to which interdependence is in fact high ». L’interdépendance explique
la vulnérabilité que les membres de ces équipes vivent et, par conséquent, l’importance que la
présence de la confiance prend dans ce contexte.
Les trois autres composantes sont le caractère unique de la tâche, la présence de buts
clairs et la limite de temps à respecter pour l’achèvement du travail. Notre équipe présente les
quatre caractéristiques mentionnées. Ces caractéristiques, relevées par Goodman et
Goodman(1976), nous permettent de conceptualiser notre équipe de travail comme un groupe
temporaire et, par conséquent de faire un rapprochement entre les résultats de la recherche de
Meyers, Weick et Kramer (1996) et la nôtre.
1. des participants qui ont des habiletés différentes sont rassemblés par une personne qui
signe un contrat avec eux pour qu’ils lui rendent un service basé sur l’expertise qu’ils
possèdent;
285
2. les participants ont une histoire limitée en ce qui concerne le fait de travailler
ensemble;
3. les participants ne pensent pas nécessairement travailler ensemble à l’avenir;
4. les participants appartiennent souvent à des réseaux;
5. les tâches sont complexes et supposent un travail interdépendant;
6. les tâches ont un délai;
7. les tâches ne répondent pas une routine et peuvent ne pas être bien comprises;
8. il y a une séquence à suivre;
9. il est nécessaire d’interagir pour pouvoir produire un résultat.
Voyons dans quelle mesure ces caractéristiques s’appliquent à l’équipe que nous
avons étudiée. En ce qui concerne le premier aspect, disons que, dans l’équipe que nous avons
suivie, le contrat existe entre deux compagnies. Pour le deuxième, il y a quelques participants
qui ont effectivement une courte histoire de travail commune et ces participants n’ont pas le
projet de continuer à travailler ensemble après la fin du montage, sauf dans les étapes
ultérieures mais qui font partie du même contrat. Tous les autres points s’appliquent aussi à
notre cas. De plus, les auteurs mentionnent que les participants s’exposent à des risques et à
des situations d’incertitude.
La confiance a comme point de départ ce que nous savons de l’autre personne à
travers sa réputation concernant sa compétence professionnelle et ses valeurs morales, telles
que son honnêteté. Pour Meyerson et al., la confiance surgit comme une réponse au besoin
d’agir rapidement dans l’incertitude: «So trust is an issue right from the start ». Une partie du
phénomène de la confiance qui se crée rapidement dans ces groupes s’explique par le
caractère auto renforçant de la dynamique de la confiance qui implique que, si une des deux
personnes décide de faire confiance à l’autre, elle produit une réponse similaire chez l’autre
personne et, de cette manière, un cycle va s’établir consolidant la confiance que chacun a dans
l’autre.
D’autre part, selon ces auteurs, la confiance se base aussi sur les rôles que les
personnes jouent dans les équipes. Cette réflexion montre que la confiance est une nécessité à
cause des risques, de la vulnérabilité et de l’incertitude. C’est pour cette raison qu’elle devient
une condition du succès de ces équipes. De plus, c’est la pression du temps qui contribue à ce
que la confiance surgisse rapidement, ce qui va à l’encontre d’autres positions qui soutiennent
286
que la construction de la confiance est le résultat d’un processus par lequel les personnes se
connaissent peu à peu et ne se font confiance que lorsqu’ elles se connaissent davantage.
D’après nous, les deux positions, celle de la confiance qui se crée en évoluant dans le temps et
celle de la confiance qui se met en place assez rapidement, en réponse aux exigences du
contexte, ne sont pas opposées: elles sont complémentaires. Dans le cas que nous avons
étudié, les deux types de situations étaient présentes.
Mcnight, Cummings et Chervany (1998) s’intéressent aussi à ce paradoxe de la
confiance qui surgit rapidement dans de nouvelles relations, mais l’expliquent différemment.
Selon ces auteurs, la confiance se base sur la disposition des individus à faire confiance, qui
dépend de leur volonté de faire confiance et des croyances de la personne quant à la
bienveillance de l’autre. Le premier facteur de leur explication a trait à la personnalité et les
deux autres sont institutionnels et cognitifs. Notre intention n’est pas ici d’approfondir
longuement la réflexion sur l’idée de la confiance qui peut exister très rapidement mais nous
voulions démontrer que ce phénomène a été reconnu et étudié par plusieurs auteurs qui
s’interrogent sur la question et que certains d’entre eux apportent des éléments pour affirmer
que la pression du temps joue un rôle important pour la création de la confiance car elle
accélère un processus qui en l’absence de cette pression, prendrait un temps plus long.
Notre conclusion quant à cet aspect est que dans cette équipe de travail, la pression du
temps a influencé l’émergence de la confiance tôt dans les relations, malgré que ce soit et
paradoxal comme réponse aux besoins qui résultent du contexte. Cependant, même lorsqu’une
confiance initiale est née, il est important, pour sa consolidation postérieure, que les personnes
passent du temps ensemble durant des moments où elles peuvent échanger, resserrer des liens
entre elles et réfléchir sur leur expérience de travail partagé, quand la pression du temps est
moins marquée.
10.3. Le comportement du leader
10.3.1. Influence du comportement du leader
Le comportement habituel du leader résulte de l’ensemble de comportements
particuliers, notamment les suivants: donner un type d’exemple; adopter certaines attitudes
287
comme la tolérance plus ou moins grande face aux erreurs; encourager et stimuler les acteurs
de différentes manières; montrer son respect envers eux et leur travail, accepter leurs
différences. Selon la littérature, ces comportements contribuent à former, chez les membres
d’une équipe, l’impression que l’équipe de travail est ou n’est pas un espace sûr pour prendre
certains risques. Les risques auxquels Edmondson (1999) fait référence sont des actions
requises pour apprendre: poser des questions, donner son avis, manifester des désaccords,
parler de problèmes et d’erreurs, demander de la rétroaction, explorer des options nouvelles
pour réaliser les tâches. Ces actions comportent des risques car elles supposent que les
personnes montrent, devant les autres membres de leur équipe, leurs limites, leurs difficultés,
ce qu’elles ne savent pas ou leurs erreurs. Edmondson (1999), dans une étude où elle compare
les caractéristiques des équipes qui apprennent et celles qui n’apprennent pas, mentionne que
le comportement du leader agit sur la perception positive de la sécurité psychologique dans
l’équipe, ou au contraire, sur l’insécurité qui fait que les membres de l’équipe évitent de
prendre des risques. Dans ce dernier cas, les apprentissages se réduisent ou ne se produisent
pas:
« If the leader is supportive, coaching-oriented, and has non-defensive
responses to questions and challenges, members are likely to conclude that the team
constitutes a safe environment. In contrast, if team leader acts in authoritarian or
punitive ways, team members may be reluctant to engage in the interpersonal risk
involved in learning behaviours such as discussing errors » (Edmondson, 1999,
p.356).
Elle explique, en d’autres termes, l’influence du comportement du leader sur les
perceptions des membres d’une équipe:
« A leader’s behaviour is particularly salient; team members are likely to
attend to each other’s actions and responses but to be particularly aware of the
behaviour of the leader. If the leader is supportive, coaching oriented, and has nondefensive responses to questions and challenges, members are likely to conclude that
the team constitutes a safe environment ».
10.3.2. Les perceptions des acteurs concernant le comportement du leader
288
À partir de ces concepts issus de la littérature, nous chercherons à vérifier s’il y a un
lien entre le comportement du leader et les actions à risque propices à l’apprentissage que les
membres de l’équipe sont capables d’adopter. Dans le cas qui nous concerne, le leader avait,
d’un côté, des comportements que les acteurs appréciaient et, de l’autre, il adoptait parfois des
comportements que les acteurs n’aimaient pas. Il a été difficile d’analyser cet aspect parce
que, lors des entrevues, les acteurs ont évité de mentionner ce avec quoi ils étaient en
désaccord. Nous ne savons pas si cela est dû au fait qu’ils n’étaient pas très affectés ou à la
peur de prendre le risque de parler de ce qui les dérangeait, que ce soit à propos du metteur
en scène ou des autres acteurs. Cette limite concernant
l’information que nous avons
recueillie ne nous donne pas de preuves pour parler des obstacles à l’apprentissage des acteurs
qui dépendraient des comportements du metteur en scène mais cela ne signifie pas que des
difficultés interpersonnelles n’aient pas existé et qu’elle ont été résolues au cours du montage.
C’est pourquoi nous parlerons surtout des aspects positifs du comportement du leader sans
pour autant vouloir faire croire au lecteur que ce metteur en scène ne commettait pas lui aussi
quelques erreurs ou qu’il ne traversait pas des moments de tension. Malgré cette mise en
garde, il est vrai aussi que les acteurs avaient une grande ouverture pour nous parler de ce qui
« allait bien » et de ce qu’ils aimaient de ce metteur en scène avec qui ils avaient choisi de
travailler. Plusieurs acteurs mexicains ont exprimé qu’ils voyaient le fait de travailler avec ce
metteur en scène comme un privilège car ils apprenaient beaucoup à ses côtés.
10.3.3. Le leader vu comme « un centre de gravité »
Nous disposons d’information sur ce que les acteurs appréciaient, ce qui représente un
exemple de ce Lapierre(1981) indique à propos de la séduction que le metteur en scène exerce
sur les acteurs. En entrevue, une des actrices, a parlé du metteur en scène en ces termes:
Je sens que c’est un metteur en scène aimable dans le sens de l’amour, je sens
qu’il séduit les acteurs et cela est très beau. Il crée un centre de gravité autour de lui
(…) J’aime sa façon de travailler. Il est ouvert pour qu’à chaque répétition puisse se
passer des choses nouvelles. Il est très rare qu’il fasse allusion à ce qui s’est passé la
veille. On est dans le présent. Il permet à l’acteur de travailler, de travailler. Il nous
provoque pour que nous fassions beaucoup de propositions.
289
Ce passage nous montre la perception favorable de cette personne concernant les
comportements du metteur en scène qui stimulent son travail et consolident la confiance
qu’elle a en lui. Elle constate qu’il est capable d’exprimer son affection, ce que les autres
acteurs perçoivent aussi. Elle dit qu’il leur donne l’exemple en étant lui-même ouvert à la
possibilité que « des choses nouvelles arrivent »; il encourage les acteurs à continuer leur
exploration, à oser donner plus d’eux-mêmes. Cet aspect du comportement du leader avait été
mentionne par Edmondson (1999), celui-ci encourage chez les membres de l’équipe la prise
de risques à travers l’exemple de sa propre capacité d’assumer des risques pour apprendre. Ce
metteur en scène se situe dans le présent, ce qui est fondamental pour le travail des acteurs car,
pour jouer, ils doivent ressentir des émotions dans le présent; il n’est pas suffisant qu’ils se
souviennent de ce qu’ils ont senti la veille, les émotions ne pouvant s’exprimer d’une manière
convaincante que lorsqu’elles sont ressenties sur le moment. Le metteur en scène est un
modèle de cette attitude d’être dans le moment présent. Par son comportement, il invite les
acteurs à travailler d’une certaine manière et les motive à exploiter leur créativité. Pour cette
actrice, cela est un facteur qui stimule son apprentissage, qui la pousse à donner plus, à aller
plus loin, à se dépasser.
10.3.4. La capacité du leader d’exprimer son approbation
Nous avons remarqué que le comportement du leader influençait aussi d’autres
membres de l’équipe de différentes manières. Un exemple significatif de ceci nous a été
donné, lors de la première étape du montage, dans les interactions entre le metteur en scène et
Pablo, un des acteurs mexicains qui se sentait intimidé pour différentes raisons, par exemple,
le fait de travailler avec des étrangers et avec un metteur en scène qui a la réputation d’être
bon mais exigeant. Pablo associait le metteur en scène à une figure d’autorité dans une
hiérarchie où lui, comme acteur, avait une position inférieure par son expérience et son âge.
Cette perception marquait leurs rapports. Il avait travaillé avec Claudia auparavant et cela lui
apportait un peu de tranquillité; mais malgré cela, au cours de la première étape, il se montrait
nerveux et parlait d’une voix hésitante qui montrait ses craintes. En règle générale, il évitait le
contact visuel avec les autres membres de l’équipe. Le metteur en scène constatait cet
290
inconfort et il manifestait ouvertement son approbation quand il voyait des progrès dans son
travail, tout en étant honnête avec lui car il lui indiquait aussi ce qui devait être amélioré dans
son jeu.
Plus tard au cours de la deuxième étape, cet acteur avait visiblement gagné plus
d’assurance et, progressivement, il s’était senti plus à l’aise dans son rôle et dans ses
interactions avec les autres acteurs. Lui-même, dans une conversation informelle, nous avait
communiqué que le fait de recevoir explicitement des marques d’approbation de la part du
metteur en scène, avait été un élément clef pour renforcer sa confiance en son propre jeu. En
entrevue, il affirmait: « J’aime travailler avec ce metteur en scène parce qu’il a confiance en
moi comme acteur. Il y a des fois où, en tant qu’acteur, tu sens une grande insécurité et le fait
de savoir qu’il me faisait confiance, m’a fait gagner de la confiance en moi-même ».
Le comportement du metteur en scène qui consiste à manifester explicitement son
approbation pour le travail des acteurs a été visible dans une bonne partie de ses interactions
avec eux. En règle générale, en même temps qu’il leur demandait des améliorations ou des
modifications, il indiquait les aspects qu’il trouvait réussis dans leur jeu. Cette stratégie
provoquait chez les acteurs une ouverture face à ces commentaires; ils n’adoptaient pas des
comportements défensifs car même s’ils recevaient une critique, elle était exprimée poliment
et, était accompagnée d’une appréciation positive.
Edmondson (1999, p.357) fait le commentaire suivant: « Effective coaching is likely
to contribute to members’ confidence in the team’s ability to do its job, as is a supportive
context, which reduces obstacles to progress and allows team members to feel confident about
their chances of success ».
Proposition n.4: Parmi les comportements du leader qui favorisent l’émergence de la
confiance dans les relations interpersonnelles, la manifestation explicite de son
approbation (quand elle est méritée) envers le travail des membres de l’équipe est un
comportement qui suscite des réactions favorables à l’apprentissage chez les membres
de l’équipe. Ils constatent alors que leurs efforts sont pris en considération et que les
améliorations qu’ils font sont perçues et reconnues, ce qui stimule leur dépassement
et lui donne plus de sens.
291
10.3.5. L’ouverture à l’exploration de nouvelles options de jeu
Un autre comportement qui nous semble favorable à l’apprentissage est
l’encouragement du metteur en scène pour que les acteurs explorent des possibilités créatives.
Une des manières d’y parvenir est de laisser l’acteur prendre des initiatives dans ce sens et de
parfois discuter des options possibles avec lui. Cependant, ce comportement a été surtout
manifesté lors de la première étape parce que, par la suite, l’augmentation de la pression du
temps réduisait la possibilité de continuer à explorer des options différentes et les décisions
devaient se prendre plus rapidement. Le fait que cette ouverture puisse exister au début, au
moins, a probablement eu un effet sur les acteurs les encouragent à être créatifs, le plus
possible, tout en s’ajustant aux contraintes que le temps imposait. Ils en parlent dans leurs
entrevues: « À Montréal, il y a des metteurs en scène qui sont très stricts et, avec Julio, je sens
que je peux donner tout ce que je pense. J’ai des idées! J’ai des idées! Cela me permet de
parler de mon processus ».
10.3.6. Le respect des différences chez les acteurs
D’un autre côté, le metteur en scène respectait les différences entre les acteurs; il ne
comparait pas ouvertement leur travail mais nous ne savons pas s’il le faisait avec d’autres
personnes; par exemple, dans ses conversations privées avec l’auteur. Il n’utilisait pas le cas
d’un acteur comme étant un exemple à suivre pour les autres. Cela nous semble une preuve de
respect du style personnel de chacun pour construire ses personnages et pour comprendre le
sens des scènes.
Cependant, nous notions, à travers des changements subtils du ton de la voix ou de sa
manière de s’adresser aux uns et aux autres, des différences dans les rapports. Avec les acteurs
québécois, il y avait à la base de la relation un accord de coproduction et le metteur en scène
établissait davantage des rapports plus d’égal à égal avec eux, malgré la différence
hiérarchique acteur-metteur en scène. En revanche, les acteurs mexicains étaient plus jeunes et
ils étaient entrés dans le projet alors que les grandes lignes étaient déjà décidées; leur relation
292
ressemblait davantage à celle d’un employé et d’un employeur. Cette circonstance mettait les
acteurs mexicains dans une situation différente vis à vis du metteur en scène de celle des
acteurs québécois. À ceci s’ajoute le facteur culturel qui fait en sorte que, d’entrée de jeu, les
relations acteur-metteur en scène sont plus verticales et autoritaires au Mexique qu’au Québec.
Revenons à l’idée que le metteur en scène ne met pas en évidence les différences que
nous venons de mentionner. Une actrice a dit qu’elle appréciait particulièrement que le
metteur en scène ne souligne pas les différences entre les acteurs car elle avait auparavant
travaillé avec un metteur en scène
qui incitait les acteurs à établir un certain type de
compétition entre eux. Elle ne trouvait pas du tout cette intention chez Julio, ce qui, selon elle,
aidait à maintenir des relations plus harmonieuses.
Considérant ses expériences antérieures, elle nous avait fait part de son point de vue à
propos du rôle du metteur en scène pour équilibrer les relations entre les acteurs:
Le metteur en scène met des limites pour éviter le chaos, il y a des acteurs qui
sont forts et ils ont une grande gueule pour écraser les autres. Il y a des gens qui ont
toujours tendance à vouloir dominer les autres et il y en a d’autres qui ont tendance de
ne pas dominer. Il faut des limites pour que tout le monde puisse avoir sa place.
Proposition n.5: Lorsque le leader évite de comparer le travail des membres d’une
équipe ils se sentent respectés dans leurs différences. Chacun a des forces et des
faiblesses. Lorsque les personnes sentent acceptées telles qu’elles sont, elles font plus
facilement confiance et cela les favorise un apprentissage qui prend le sens d’une
amélioration personnelle et non pas d’une compétition entre les personnes.
10.3.7. L’attitude du leader face aux erreurs
Edmondson (1999) note qu’un autre des aspects particulièrement importants du
comportement du metteur en scène est son attitude face aux erreurs, car, pour elle, sa tolérance
ou son intolérance aux erreurs contribuent à créer ou à diminuer la sécurité psychologique.
Lorsque celui-ci transmet du respect pour les personnes, même si elles peuvent se tromper, ne
pas comprendre ou avoir besoin de demander de l’aide, il les invite à oser prendre des risques,
ce qui est favorable à l’apprentissage Sheremata, 2000). Selon Michael (1976) et Sitkin
(1992), lorsque la sécurité psychologique existe, les personnes peuvent décider de courir des
risques, comme parler des erreurs, parce qu’elles croient qu’elles ne seront pas rejetées à cause
293
de ces dernières. Une autre condition qui invite les personnes à parler de leurs erreurs est la
croyance que ces expériences seront utilisées comme une information supplémentaire servant
à améliorer l’efficacité de l’équipe. D’autre part, les erreurs sont importantes dans le sens où
elles offrent un potentiel pour l’apprentissage, lorsqu’il est possible de discuter et de réfléchir
sur elles: « Errors provide a source of information about performance by revealing that
something did not work as planned, the ability to discuss them productively has been
associated with organizational effectiveness » Sitkin, 1992, p 243). Logiquement nous savons
qu’il y a des organisations où certaines erreurs sont trop graves et dangereuses et doivent être
évitées à tout prix, Weick et Robert (1993, p.357) en parlent: « Some organisations require
nearly error-free operations all the time because otherwise they are capable of experimenting
catastrophes ». Mais la présente réflexion sur les erreurs porte sur celles qui présentent moins
de risques et qui peuvent constituer des possibilités importantes d’apprentissages divers pour
les organisations.
Premièrement, pour parler de l’attitude face aux erreurs, il est indispensable de les
définir et de les identifier dans le contexte du travail de chaque équipe. Dans le cas de l’équipe
de théâtre, la distinction entre ce qui est une erreur et ce qui ne l’est pas, n’est pas simple à
cause de la nature des tâches effectuées et des changements dans la logique du travail des
acteurs selon les exigences des étapes. Au début du processus, il y avait continuellement des
ajustements dans le jeu d’acteurs. À partir de nos observations, nous pouvions nous tromper
en croyant que le metteur en scène « corrige constamment des erreurs » parce les acteurs ne
savaient pas encore comment interpréter exactement leurs rôles, ils réalisent une recherche,
essayant différentes possibilités. L’attitude du metteur en scène semble, alors, extrêmement
tolérante face aux « erreurs » mais à cette étape il ne s’agit pas vraiment « d’erreurs » car c’est
une phase où l’exploration des possibilités est au cœur du travail que cette équipe accomplit.
Par contre, dans cette première étape, ce qui est réellement considéré comme une erreur grave
et, à éviter à tout prix par les acteurs, est de se présenter à une répétition sans avoir appris le
texte des scènes sur lesquelles portera la répétition. Mais normalement, pendant le jeu, il était
possible d’hésiter, d’expérimenter, de faire différents essais basés sur une bonne maîtrise du
texte. La démarche de l’exploration créative, de la part des acteurs, consiste justement, à
prendre des risques, à oser jouer sans être sûr de ce qui est le mieux, comparant différentes
possibilités.
294
Au départ, le metteur en scène ne demande pas un résultat très précis, étant donné
qu’il essaye des manières différentes d’expliquer ce qu’il attend des acteurs. Selon
l’avancement dans les étapes, ses demandes deviennent, peu à peu plus précises et, dans cette
mesure, il commence à être possible, tant pour le metteur en scène que pour les acteurs, de
savoir ce qui est une erreur et ce qui ne l’est pas.
Malgré une certaine précision dans la manière de jouer qui est atteinte peu à peu à
force de répéter, d’explorer et de prendre des décisions différentes, le metteur en scène
considère normales, en théâtre, des variations du jeu qui obéissent aux changements que les
personnes présentent d’un jour à l’autre selon leur énergie. Marowitz (1999, p.147) parle de
cet aspect de surprise des représentations:
« The marvel of the theatre is that each night the play asks to be reborn. That
can only happen if the actor is fertile, flexible, not fixed; open, not closed. Of course,
the essence of what has been rehearsed is what has to be delivered, but there is always
that extra dimension with a new house which makes each performance different from
another ».
Ceci explique qu’au départ, la définition même des erreurs n’est pas une question si
simple à déterminer car elle dépend de ce contexte. Ici, un certain type d’erreur peut être
reconnu, par le metteur en scène, comme un pas de plus de l’expérience nécessaire de l’acteur.
En revanche, il y a des erreurs qui ne sont vraiment pas excusées, il s’agit des erreurs en lien
avec la discipline et la responsabilité de l’acteur et qui montrent le niveau d’engagement dans
le projet, comme être à l’heure, être attentif et concentré pendant les moments où il doit jouer,
être responsable des objets dont il doit se servir sur la scène.
Ce qui aurait pu être vu comme un certain type d’erreur, ce sont des réactions
spontanées et imprévues tel le fait de rire pendant le jeu quand cela n’était pas demandé par le
texte. En règle générale, le metteur en scène, invitait les acteurs à accepter cette réaction et à
l’intégrer naturellement dans leur jeu. Il ne leur demandait pas de se forcer à garder leur
sérieux. Parfois, le rire était trop incontrôlable pour permettre aux acteurs de continuer à se
concentrer sur le jeu et, dans ces cas-là, il leur fallait recommencer, parfois dès le début de la
scène. Nous avons constaté que ces situations étaient bien tolérées par le metteur en scène.
Celui-ci se montrait flexible, tout en reprenant le travail le plus rapidement possible après ces
épisodes. Les acteurs et le metteur en scène savaient travailler en équilibrant humour et
discipline de travail.
295
Proposition n.6: L’attitude que le leader formel adopte face aux erreurs peut
encourager ou décourager l’apprentissage des membres de l’équipe. Plus il se
montrera intolérant face aux erreurs, plus les membres de l’équipe limiteront leurs
risques de se tromper. Cette volonté d’éviter le plus possible des erreurs les conduira,
dans la mesure du possible, à répéter seulement des actions connues limitant ainsi
leurs possibilités d’apprendre. Au contraire, plus le leader est tolérant à certaines
erreurs, plus les membres de l’équipe accepteront de courir certains risques, osant
chercher des manières différentes de réaliser leur travail. Ce comportement leur
apportera de plus nombreuses et de meilleures opportunités d’apprendre.
10.4. Les comportements des autres membres de l’équipe
Jusqu’ici nous avons porté une attention spéciale au rôle du metteur en scène en tant
que leader formel de l’équipe. Cependant d’autres membres ont exercé un rôle de leadership
de manière informelle et à partir de ces rôles assumés implicitement, ces derniers ont eu aussi
une influence sur la dynamique de l’équipe en général et en particulier sur la sécurité
psychologique.
Revenant à l’apport de Landry (1977), nous notons que les comportements des
membres de cette équipe ont une influence sur les trois dimensions: celle de la tâche, la
dimension affective ou celle du pouvoir. Au plan de la dimension affective les différents
membres jouent des rôles divers comme le rôle intégrateur, le rôle de clarificateur, un rôle
conciliateur. Par exemple l’apport de Jean, de Lucie et de Claudia se voir plus facilement sur
le plan de la tâche car eux mettent beaucoup d’emphase sur cet aspect de leur participation
dans l’équipe. En quelque mesure ils donnent à travers leur travail, un exemple de leur
créativité et de leur effort. Parlons par exemple de Claudia. Depuis qu’elle était très jeune elle
était en contact avec le milieu artistique. Elle a aussi acquis une formation solide dans ce
domaine, en danse et en musique aussi bien qu’en théâtre. C’est la première fois qu’elle
travaille pour ce metteur en scène mais, par contre, elle a travaillé dans le passé avec l’auteur
de la pièce et dans deux montages précédents avec Pablo. Elle est la seule, parmi les
mexicains, à parler français. Le talent de Claudia est reconnu par les autres membres de
l’équipe, la qualité de son travail suscite de l’admiration chez les québécois et chez les
mexicains. Elle joue énergiquement, elle pose peu de questions mais précises et n’a pas besoin
296
d’explications trop longues. Elle sait être autonome et trouve assez rapidement, des solutions
de jeu par ses propres moyens, explorant toujours plus profondément son personnage. Elle
considère que chaque montage est un monde différent avec des « lois qui lui sont propres » et
elle s’adapte à ce qui se présente à elle. Elle dit avoir pu s’adapter par le passé à des
personnes difficiles, alors elle se sent très contente de travailler avec ce metteur en scène à qui
n’est pas quelqu’un de difficile comparativement à d’autres metteurs en scène avec qui elle a
travaillé. Elle lui reconnaît de grandes qualités telle que celle de lui permettre d’explorer sa
créativité.
Au plan de la dimension affective du l’équipe nous pouvons penser à l’apport de
Mélissa qui assume souvent d’une manière claire une fonction intégrative, soit en traduisant,
soit en demandant des clarifications qui sont utiles pour elle en premier, mais qui le sont aussi
aux autres. Elle se rend disponible pour participer à diverses activités, en dehors des horaires
de répétitions, par exemple, aller au cinéma, au théâtre ou se réunir pour manger ou alors
c’est elle qui les propose. Elle a une grande capacité de travail et d’adaptation aux
changements. Par exemple, en ce qui concerne la pression du temps, elle nous avait dit qu’elle
préférait travailler dans un contexte plus tranquille, disposer de plus de latitude pour les
échanges et pour se connaître mais lorsque les circonstances l’exigeaient, elle était capable de
travailler à un rythme rapide tout en encourageant les autres. Mauricio joue un rôle spécial sur
la dimension affective. Il a une manière de travailler qui rend sa présence agréable pour les
autres. Il est détendu et ouvert aux autres. Il est de bonne humeur et observe très attentivement
et respectueusement le travail des autres. Observer le travail des compagnons, est une action
apparemment
neutre mais c’est une forme d’interaction. Les manières d’observer sont
importantes. L’acteur qui joue, qui cherche, qui n’est pas encore sûr de la direction qu’il
prend, sent le regard des autres sur lui. Observer avec grande attention et dans un silence total
est une manière de montrer du respect et de l’intérêt pour le travail des autres. C’est pourquoi
nous insistons sur cette caractéristique de Mauricio: l’attention qu’il est capable de porter au
travail des autres, il apprend d’eux et sa réceptivité apporte quelque chose; il est sûr que les
acteurs sont sensibles à l’écoute qui leur est portée quand ils jouent. Béatrice nous avait
partagé une expérience avec lui qui est arrivée lors d’un autre montage mais qui monte bien sa
manière de s’impliquer dans le travail. Béatrice avait fait le commentaire suivant: « Mauricio
est capable de connaître toute la pièce, même les scènes où lui ne joue pas », Béatrice et Julio
297
en avaient eu une bonne preuve dans une situation imprévue qui avait mis en risque toute une
représentation parce qu’une des actrice n’était pas sortie sur la scène au moment où elle aurait
dû le faire, toute la représentation risquait l’échec à cause de cette erreur. Mauricio se rendant
compte de la situation, était apparu sur la scène à la place du personnage absent, il avait
trouvé le moyen de justifier sa présence en disant: « j’ai été envoyé par « X » (l’autre
personnage) pour donner ces informations: et il a dit le texte de l’autre acteur, celui qui aurait
dû être sur la scène à ce moment là mais qui n’avait pas été prêt à temps » et alors il avait dit,
sans se tromper, le texte qui correspondait à cette personne qui avait manqué son entrée sur la
scène car elle donnait une recette de spaghetti à quelqu’un! Cette intervention de ce
personnage fournissait au spectateur une information clef, il était important de continuer,
normalement, malgré cet imprévu. Cette décision qu’il avait oser prendre était un risque en
soit mais qui finalement avait permis de continuer de jouer la pièce normalement…bon
presque normalement! Grâce à cette initiative de Mauricio, le travail de tous avait été sauvé.
Ceci n’aurait pas été possible si Mauricio n’avait pas parfaitement suivi ce qui se passait et s’il
ne connaissait pas le texte des autres personnages que le sien.
Il faut savoir que les acteurs respectent une sorte de règle tacite qui est d’éviter des
commentaires ou des critiques, ni positives, ni négatives, concernant le travail des autres
acteurs. Ainsi, ils ne parlent pas du jeu des autres car cela irait à l’encontre de cette norme
implicite mais chacun peut parler de son propre travail ou faire des commentaires sur la
logique des scènes en termes de relations entre les personnages. Par exemple, un soir, en
finissant de répéter, Mélissa faisait des commentaires à propos de son personnage car elle
venait de comprendre un peu plus profondément ses réactions:
Cet après-midi, j’ai compris que la mère réclame à son fils mais, en réalité,
elle avait un espoir de le voir changer. Elle a été, encore une fois, déçue et c’est
pourquoi elle a été méchante avec lui. Mais dans le fond elle voudrait qu’il soit bien.
C’est une relation terrible parce qu’ils s’aiment vraiment et pourtant ils sont si durs
l’un envers l’autre!
Pouvoir partager avec d’autres personnes ce qu’elle apprend est important pour
l’avancement de son travail, les autres peuvent aussi lui dire comment eux voient, non pas son
jeu, mais la situation de son personnage, ce qui est différent.
298
En contre partie, les acteurs considèrent que le metteur en scène ou son assistante, qui
exprime exceptionnellement une opinion, sont les seules personnes à qualifier le travail des
acteurs. Dans une rare occasion cette « règle » a été brisée, une des actrices s’étant permis de
faire un commentaire sur le travail d’un collègue. Cette dernière avait été très dérangée par
cela et elle lui avait dit en colère: « Moi j’ai un metteur en scène, pas deux en même temps! »
Il y a d’autres membres de cette équipe qui ont eu un apport important mais qui est
moins visible lors des séances de répétions. Deux exemples sont le cas de Béatrice, la
productrice de l’équipe mexicaine et l’auteur de la pièce, Juan Cristobal. Béatrice est ouverte à
apprendre sur la manière de travailler des québécois. Sa formation à elle s’est faite « sur le
tas » car au Mexique il n’y a pas une école pour la production alors elle est curieuse de
connaître la façon de travailler des autres, de personnes qui ont pu suivre une formation dans
ce domaine.
Béatrice a des rencontres à l’extérieur avec le metteur en scène et l’auteur de la pièce.
Nous ne sommes pas en mesure de parler de cet aspect de son travail car nous n’avons pas pu
avoir accès à une plus d’amples informations qui la concernent mais nous le mentionnons
parce que nous savons que cet apport est important pour ce montage.
Avec l’auteur de la pièce la situation est un peu semblable. Il est difficile d’observer le
rôle qu’il joue car ses conversations avec le metteur en scène, soit ont eu lieu avant notre
intervention ou bien se font en privé, lors de ses visites, ou se tiennent ailleurs. Mais lorsqu’il
assiste aux séances de répétition, sa présence fait une différence. Les acteurs se sentent
stimulés et s’efforcent encore davantage. De plus, il montre beaucoup d’ouverture tant pour
exprimer ce qu’il pense que pour écouter les autres. Il est inquiet parce que le temps pour faire
ce montage est trop court mais en même temps ce souci ne lui fait pas perdre sa capacité
naturelle d’avoir de l’humour et entrer rapidement en relation avec les autres.
Pour ce qui est de ses réactions face à son propre texte, celles-ci varient, il lui arrive de
voir beaucoup de défauts à son travail et cela naturellement le tracasse. Il se sent responsable
d’avoir écrit un texte qui lorsqu’il est joué lui fait voir des manques qu’il n’avait pas identifiés,
avant ou qu’il avait sous estimés.
Ainsi, même si nous n’avons donné que quelques exemples il faut savoir que chacun
des acteurs fait des apports sur les trois dimensions mentionnées et contribue ainsi à
l’avancement du travail. Dans ce sens, il est trop limité de n’analyser que le comportement du
299
leader formel pour comprendre comment se construit la sécurité psychologique de l’équipe
parce que le comportement de tous les membres de l’équipe est important pour maintenir
cette sécurité psychologique.
Chacun des membres réalise, qu’il soit conscient ou pas de cela, des apports
particuliers à travers des intentions, des comportements, de son engagement envers le travail et
les autres membres, des efforts pour donner plus de lui-même. Le leader formel n’est pas le
seul membre de l’équipe qui contribue à créer la sécurité psychologique dans l’équipe. Il fixe
certaines balises et limites. Il assume un rôle central. Il donne, certes, un exemple mais les
autres aussi en donnent un à travers leur travail, leur manière de s’investir et d’être en lien
avec les autres. Leur manière de participer dans la création d’un spectacle dépendra finalement
d’eux et non plus du metteur en scène.
Donc, outre leurs attitudes envers les erreurs,
l’ensemble des comportements des autres membres a un effet considérable aussi sur le
processus et sur les possibilités de cohésion de l’équipe pour apprendre ensemble.
Finalement, pour une vision plus complète, il faudrait aussi considérer l’attitude de
chacun individuellement face à ses propres erreurs parce que les acteurs, par exemple, peuvent
être aussi très exigeants envers eux-mêmes et ne pas tolérer facilement leurs erreurs. Le
problème de l’auto exigence et de l’intolérance face aux propres erreurs n’est pas visible, mais
certains acteurs ont parlé dans leurs entrevues de leur volonté de donner le meilleur d’eux
mêmes.
10.5. L’intégration de l’équipe
Le troisième élément que nous ajouterons à notre cadre conceptuel révisé est
l’intégration de l’équipe; que nous comprenons ici comme la proximité entre les personnes de
l’équipe. Elle a une importance spéciale dans ce cas à cause du type de travail réalisé. Nous
l’avons mentionné auparavant, les moments de création demandent aux acteurs de s’investir
non seulement intellectuellement, mais affectivement aussi, car cet aspect donne vie et forme à
leurs personnages. Dans les relations sur la scène, le jeu s’enrichit selon les échanges qui ont
lieu entre les personnages, mais il ne s’agit pas uniquement de connaître le texte par cœur mais
300
d’être convaincu de la véracité des expériences de ces personnages et de parvenir à traduire, à
travers les actions, la logique des situations qu’ils vivent.
Lapierre (1981) explique ainsi la nature du travail théâtral:
La matière sur laquelle travaille le metteur en scène, ce n’est pas seulement
sur les idées, les mots. L’essence du théâtre, c’est d’exprimer la passion, de jouer les
émotions au grand jour, d’exprimer des sensations sur la scène. Cette passion, ces
émotions, ces sensations sont aussi présentes dans le processus même de la mise en
scène. Là encore, la confiance et l’acceptation sont nécessaires pour que cette
communication affective se fasse au-delà et en dépit des mots. Il doit y avoir une
grande transparence et une grande ouverture qui impliquent une grande confiance .
À partir de ces commentaires de Lapierre, nous pouvons mieux comprendre pourquoi
les relations entre les acteurs sont si importantes et, par conséquent, comment le
rapprochement entre eux influence leur travail.
Ferrand, (2001) dans son film documentaire sur une expérience de formation
d’acteurs, intitulé « Casa Loma: Journal de bord » considère que les acteurs sont « capables de
jouer avec leurs émotions comme des enfants avec de la pâte à modeler ». Ils explorent des
émotions, les approfondissent, les transforment et les expriment de façons différentes. Mais
leur objectif final est de réussir à transmettre et à réveiller des émotions chez le spectateur.
Nous pensons qu’un facteur clé, pour un bon montage, est une bonne intégration;
créant une complicité entre les acteurs, celle-ci permettra plus de profondeur et d’intensité
émotive dans leurs échanges sur scène. À l’inverse, Zand (1972) affirme que plus le manque
de confiance sera élevé plus seront marquées les attitudes défensives.
En nous basant sur plusieurs indices de son évolution à travers les trois étapes du
montage. C’est ce que nous décrivions dans les paragraphes qui suivent. Nous avons observé
les changements dans l’intégration de l’équipe, en premier lieu, nous savons que l’équipe est
née de l’accord de coproduction entre les acteurs québécois et le metteur en scène mexicain. Il
y a avait, bien sûr, une relation aussi avec l’auteur de la pièce mais le lien était plus indirect
car ce dernier était moins présent pendant les répétitions. Les relations entre les acteurs
québécois et les acteurs mexicains étaient encore trop récentes et il y avait une distance visible
301
entre eux. Malgré l’objectif commun de monter cette pièce ensemble, l’équipe n’était pas
homogène du point de vue de la durée des relations: certaines duraient depuis plus d’une
dizaine d’années, tandis que d’autres étaient très récentes. Dans les relations plus anciennes,
nous avions noté que la confiance avait plusieurs bases mais, dans les nouvelles relations, la
confiance commençait à peine à surgir et se basait plus sur la réputation de l’autre et sur la
courte expérience de la relation. Nous n’avions pas l’impression de nous trouver face à une
équipe constituée et unifiée. Il avait deux
noyaux plus solides, celui de la compagnie
québécoise et du coté mexicain, celui qui étant formé par le metteur en scène et les autres
membres de sa compagnie. Les acteurs mexicains étaient en lien de différentes manières avec
le metteur en scène mais il y avait peu de rapprochement entre les acteurs mexicains et eux. Il
y avait aussi une bonne relation entre les acteurs québécois et le metteur en scène mais, entre
les acteurs mexicains et les Québécois, les relations étaient encore à construire. En effet, au
début du montage, le niveau d’intégration de l’équipe dans son ensemble était relativement
faible. De plus, étant donné que Jean et Lucie ne comprenaient pas beaucoup l’espagnol les
acteurs québécoise, parlaient souvent en français entre eux en conséquence cela les acteurs
mexicains ne pouvaient pas suivre leur conversation.
Au fur et à mesure que les jours passaient, l’équipe comme telle a commencé à se
construire graduellement. Parce que les acteurs québécois et mexicains travaillaient dans des
scènes ensemble, ils avaient commencé à communiquer plus entre eux parfois de manière non
verbale, et les Québécois parlaient plus souvent qu’avant en espagnol. Selon nous, le premier
facteur d’intégration est la réalisation de leur tâche. Dès le premier apprentissage à réaliser,
celui de la mémorisation des textes, les acteurs collaboraient entre eux. Ensuite, ils
commençaient à jouer ensemble dans différentes scènes et des liens plus directs se tissaient à
partir de ce contact personnel direct, demandé et facilité par le travail.
Au cours de la première étape, deux éléments supplémentaires nous ont paru décisifs
pour que cette intégration puisse avoir lieu. Le premier est le jeu de la balle, une activité de
groupe proposée par le metteur en scène et que les acteurs ont accompli à plusieurs reprises.
Le deuxième est le temps passé ensemble, par exemple
au moment des pauses et en
particulier lors des sorties en groupe pour aller visiter des lieux concernant directement
l’histoire de la pièce. Le « jeu de la balle » a aidé les acteurs, à travailler en coordination plus
étroite les uns avec les autres; Les sorties que le metteur en scène avait organisées au cours de
302
la première étape, ont permis aux acteurs de se connaître un peu plus en dehors du contexte de
la salle de répétition. Par la suite, au cours des étapes suivantes, les acteurs se sont
spontanément mis d’accord entre eux pour réaliser des activités de groupe telles que des
réunions, des excursions ou des sorties pour voir des films ou des pièces de théâtre. Le désir
de passer plus de temps libre ensemble représente, selon nous, un indice de l’amélioration du
niveau d’intégration de l’équipe. Certains acteurs étaient moins disponibles, parce qu’ils
avaient d’autres engagements ou parce qu’ils préféraient se reposer en raison de la longueur
des répétitions, mais, en général, ces activités permettaient des échanges agréables et
enrichissants.
Au cours de la troisième étape, le metteur en scène a utilisé un autre moyen de
renforcer l’intégration de l’équipe: c’était la formation du cercle où les acteurs se tenaient les
mains, se regardaient dans les yeux et respiraient ensemble. Bien que ce moment était court, il
était d’une grande intensité et donnait un fort sens d’appartenance à chacun des intégrants.
Au cours de l’évolution du montage, nous avons remarqué des indices de changements
dans le groupe: les acteurs québécois avaient commencé à utiliser davantage l’espagnol pour
se parler, même entre eux, quand ils étaient en présence des acteurs mexicains. Jean avait
encore des difficultés pour s’exprimer en espagnol mais il pouvait le comprendre de plus en
plus, ce qu’on notait, car il avait de moins en moins besoin de demander à ses camarades de
traduire.
Finalement, tous ces changements dans la dynamique du groupe se rendaient visibles
aussi dans la manière dont les acteurs se plaçaient dans l’espace. Par exemple, pour écouter les
indications du metteur en scène, lors de la deuxième ou de la troisième étape, les acteurs
formaient un cercle. Au début, le contact physique était inexistant; après, ils se rapprochaient,
se touchaient ou s’appuyaient l’un sur l’autre, nous interprétons ces comportements comme
des indices de confiance et de proximité.
Conclusions concernant l’intégration de l’équipe
Nous espérons que les exemples et les réflexions présentées montrent selon nous
pourquoi le nouveau cadre conceptuel, incluant, nous semble plus pertinent que celui que nous
avions proposé auparavant. Nous avons vu que la confiance et la sécurité psychologique ont
303
une influence sur les apprentissages mais, que des éléments du contexte, tels que la pression
du temps, les comportements du leader, ceux des autres membres de l’équipe et le degré
d’intégration de l’équipe, influent directement sur l’apprentissage, et indirectement, sur la
confiance. Le lecteur peut consulter la figure 6.1. qui montre ce nouveau cadre conceptuel.
304
305
10.6. Les Leçons que nous avons tirées de l’étude de ce cas
10.6.1. Les leçons sur l’apprentissage des membres de l’équipe
Les membres de l’équipe ont eu des comportements qu’Edmondson (1999) a
identifiés comme des comportements déterminants pour l’apprentissage: poser des questions,
demander de la rétroaction, donner son avis, demander de l’aide, oser faire des expériences
nouvelles, parler des erreurs et résoudre les conflits. Les acteurs ont posé des questions surtout
au cours de la première étape. Le fait de rechercher de la rétroaction fait partie du processus
habituel du travail du montage car c’est justement l’une des fonctions principales du metteur
en scène, d’observer le jeu des acteurs et de leur faire des commentaires pour qu’ils le
modifient. Pendant les discussions dans la salle, certains acteurs, surtout les Québécois,
donnaient leur avis sur certains points précis de leurs scènes. Le partage de l’information ne
prenait pas une place très importante à cause du type de travail réalisé par cette équipe, mais
nous avons assisté à des moments, surtout au cours de la deuxième étape et en dehors des
horaires de répétition, durant lesquelles les membres de cette équipe partageaient des
expériences marquantes pour eux. Le fait de demander de l’aide s’est manifesté de différentes
manières. L’une d’elles, très claire: au cours de la première étape, les acteurs demandent à
leurs compagnons de travailler sur une scène pour la mémoriser parce qu’il est beaucoup plus
efficace de travailler ensemble pour parvenir à savoir les textes par cœur. Le comportement
qui nous a semblé le plus difficile à identifier est celui de parler des erreurs, il est même
difficile de les définir. La pression du temps, qui a sensiblement augmenté vers la fin du
montage, a beaucoup limité la possibilité de discuter de n’importe quel sujet et celui des
erreurs est de plus délicat à traiter. Toutefois, quand cela est devenu très nécessaire, des
discussions sur les conflits ont eu lieu entre les deux actrices québécoises, et entre chacune
d’elles et le metteur en scène. Ces conversations se sont produites quand les tensions sont
devenues trop difficiles à gérer. Finalement, l’actrice québécoise et le metteur en scène ont
clarifié leurs malentendus, ils ont parlé de ce qui les dérangeait et des problèmes entre eux
aussi.
À partir de cette observation, nous avons constaté que ces comportements ont produit
des apprentissages. La confiance existante était une condition nécessaire mais non suffisante
306
pour que ces apprentissages aient lieu. Les autres facteurs mentionnés étaient déterminants eux
aussi.
10.6.2. Les leçons sur la dynamique de la confiance, ses bases et sa fragilité
Dans le chapitre qui traite de l’étape 0, nous avons analysé comment cette équipe s’est
formée. Nous avons porté notre attention sur les relations entre ses membres pour savoir
quelles étaient les bases sur lesquelles reposait la confiance entre les personnes. Nous
postulions ainsi que le niveau initial de confiance influe sur la suite des événements.
En revanche, nous sommes conscients du caractère dynamique de la confiance.
Bellemard et Briand (1999, p.183) la voient comme: « …un processus continu qui évolue au
gré des mouvements des acteurs, des enjeux, des luttes de pouvoir, des développements
techniques, de l’émergence des rationalités et des légitimités ». Nous étions conscients
également que la confiance se construit multidimentionellement à partir d’éléments de morale,
ainsi que d’aspects cognitifs et émotifs où les valeurs, les attitudes et les émotions jouent un
rôle important et en continuelle évolution, (Jones et Georges, 1998; Barber,1983).
Au départ, nous avons pensé, en accord avec des textes sur le sujet, que dans les
relations qui existent depuis plus longtemps, la confiance est plus solide que dans les
nouvelles relations. D’après Lewicki et Bunker (1996), la confiance s’enracine dans la
prédictibilité du comportement de l’autre en qui nous avons confiance; c’est pourquoi il est
nécessaire que les personnes se connaissent assez pour pouvoir anticiper les comportements de
leur interlocuteur. Worchel (1986), Tyler et Kramer (1999), Rempel, Holmes et Zanna (1985)
ont des opinions semblables: la construction de la confiance est lente et exigeante. La
conséquence du raisonnement de ces auteurs est que, logiquement, au début d’une relation,
étant donné que les personnes ne se connaissent pas bien encore, la confiance est plus fragile
que dans une relation plus ancienne parce qu’il existe alors une histoire sur laquelle cette
confiance se base. L’idée que la confiance est relativement solide dans les relations plus
anciennes était donc une de nos hypothèses implicites. Prusak et Cohen (2001) traitent le sujet
des bases de la confiance et expliquent qu’avec le temps, elle évolue et se base sur une
connaissance plus profonde de l’autre:
307
« Trust has many sources: Frequent face to face meatings, meatings of
practice members and even social gatherings that give people opportunities to know
each other well enough to trust them. The habit of collaboration –built on initial trustcreates more trust as people work together over time ».
À l’origine de notre recherche, nous estimions que, dans les relations plus anciennes,
la confiance interpersonnelle s’enracinait simultanément sur plusieurs bases: la perception de
la compétence de l’autre, sa bonne volonté, ses qualités morales, et surtout la connaissance
mutuelle et le fait de bien se connaître et la construction d’une identification avec cette
personne. Nous croyions que, pour ces raisons, la confiance, serait alors particulièrement
solide et que les difficultés en relation avec cette dernière ne se présenteraient pas dans les
relations anciennes. En revanche, nous avions une certaine disposition à croire que, dans les
relations nouvelles, la confiance serait plus fragile, étant donné qu’elle se fonde sur une
connaissance moins grande des personnes, sur la perception de la compétence de l’autre et sur
sa réputation. En conséquence nous pensions qu’il était plus probable que des conflits de
manque de confiance arrivent, dans des relations récentes.
L’analyse de l’étape trois a révélé, en revanche, contrairement à nos attentes, que la
confiance avait été remise en question et était devenue plus fragile dans une relation qui durait
depuis plusieurs années. Malgré la connaissance qu’ils avaient l’un de l’autre, les conflits
accumulés et les difficultés dans la communication entre les deux personnes avaient eu des
conséquences sur la confiance qui semblait solide. Par contre, dans les nouvelles relations, la
confiance avait surgi et permis aux acteurs de se rapprocher dans le jeu. Jones et Georges
(1998) et Meyers, Weick et Kramer (1996) ont analysé la situation des équipes de l’industrie
du cinéma qui travaillent ensemble une seule fois pour un projet spécifique et qui sont
soumises à de fortes pressions de temps. Les membres de ces équipes ont besoin de se faire
confiance rapidement; en fait, dès le début de leur collaboration, et paradoxalement la
confiance est présente dans ces relations. Cette situation surprenante est expliquée par ces
auteurs, à partir du contexte particulier où a lieu cette pratique: 1) le besoin de faire confiance
est présent dès le début; 2) les contraintes de temps auxquelles sont soumises ces équipes
obligent les individus à prendre rapidement les risques de faire confiance; 3) les croyances qui
interviennent dans ces décisions sont que, même si les gens ne sont pas toujours dignes de
308
confiance, on peut obtenir de meilleurs résultats en les traitant comme s’ils étaient fiables et
comme s’ils obéissaient à de bonnes intentions.
Nous pensons que ces mêmes critères sont valables pour expliquer la présence de la
confiance dans les nouvelles relations au sein de notre équipe de théâtre car il y a des
similitudes importantes avec les cas des équipes de l’industrie du cinéma. Il y a certes, des
différences entre la confiance bâtie lentement au cours des années par une accumulation
d’expériences partagées et la confiance issue des situations d’urgence. Cependant, comme le
remarquent Karpik(1996) Nooteboom et Berger (1997) et Baier (1986) la confiance,
indépendamment de ses origines et du temps pour la bâtir, reste sensible à certains actes et
interprétations et elle peut s’écrouler violemment ou décliner progressivement mais elle n’est
jamais un acquis permanent.
L’analyse de ce cas nous a montré que, même si une relation date de plusieurs années,
la confiance qui s’appuie sur plusieurs bases en même temps peut s’affaiblir ou aller jusqu’à
se rompre si une série de malentendus s’accumulent et s’il n’y a pas assez de communication
au sujet des conflits.
Dans la situation étudiée, nous avons noté que l’affaiblissement temporaire de la
confiance dans la relation entre le metteur en scène et une des actrices avait influencé
négativement son apprentissage et leurs comportements. L’actrice avait eu tendance à se
renfermer, à ne plus donner son point de vue, à éviter de faire des commentaires ou de poser
des questions. Le metteur en scène, lui, évitait d’affronter directement la situation, donnait des
preuves d’impatience et d’impuissance. Golembiewski (1975, p.130-131) signale une relation
entre ces deux éléments: une confiance faible et un apprentissage plus difficile: « Low trust
induces defensive behaviour, which is perhaps the basic block to any learning. That is,
learning or growth depends essentially on understanding and acceptance of self and others,
and defensiveness inhibits both ».
Dans le cas dont nous parlons, la communication et la volonté des deux personnes de
récupérer la confiance a permis son rétablissement. La conversation que le metteur en scène et
cette actrice ont eue a provoqué un changement positif dans leur relation. Le contexte dans
lequel ces événements ont eu lieu compte aussi car le niveau de sécurité psychologique était
relativement élevé, dans l’équipe ce qui constituait un contexte favorable. L’intervention
d’autres personnes a aussi aidé à trouver une bonne solution au problème survenu. Les autres
309
acteurs québécois ont prêté leur soutien à cette actrice, l’aidant ainsi à avoir plus de
détermination pour dire très honnêtement au metteur en scène ce qui la dérangeait. Les
bonnes relations qui étaient constituées depuis un certain temps ont été une ressource
importante pour que ce problème ne prenne pas plus d’ampleur et provoque une tension plus
perceptible pour les autres acteurs. Dans ce cas, les tensions n’ont pas été si fortes et longues
pour répercuter sur le reste de l’équipe. L’actrice qui avait eu ces difficultés était redevenue
sereine et gaie. Elle a récupéré sa bonne disposition pour communiquer avec le metteur en
scène et son assurance sur la scène. Lui, qui dernièrement était un peu impatient avec elle, est
redevenu plus calme et plus détendu dans sa relation avec l’actrice.
À partir de cette expérience
nous sommes arrivés à faire deux constatations
importantes. Premièrement, lorsque la confiance s’affaiblit ou se perd, elle peut se rétablir si
des actions pertinentes sont réalisées, à temps par les personnes qui traversent une situation
de difficulté en ce qui concerne la confiance. Deuxièmement, l’intervention d’une tierce
personne représente un facteur important pour arriver à une solution entre deux personnes qui
vivent un conflit. La littérature sur la médiation et sur la gestion des conflits fournit des appuis
pertinents à ces observations.
L’intervention qui a eu lieu a été d’une grande utilité pour aider les deux personnes en
conflit à se donner du temps pour parler. Cette intervention a été nécessaire car les deux
personnes avaient des attitudes qui les empêchaient de résoudre leur problème. La médiation
a cependant été facilitée par les deux facteurs suivants: La personne qui a décidé d’intervenir,
pouvait prendre une position neutre, en dehors de la situation de conflit tout en se sentant
assez proche des personnes en conflit pour pouvoir comprendre et agir de manière pertinente
et opportune; et les deux individus qui étaient en conflit avaient confiance en cette troisième
qui intervenait en suggérant avec conviction cette conversation, qu’elle voyait comme un
excellent moyen de trouver des solutions. L’ensemble des relations existant dans l’équipe
constitue un entourage qui peut être ou ne pas être favorable à la reconstitution de la confiance
entre deux personnes. Cet entourage constitué par d’autres relations où la confiance était
élevée a représenté une ressource d’une grande valeur pour aider ces personnes à régler leurs
problèmes plus facilement.
Cette situation de conflit nous a aussi amenés à faire la constatation suivante: les
personnes qui perdent confiance dans une relation risquent de changer leur perception non
310
seulement de la relation dans laquelle elles ont des difficultés, mais aussi du reste du groupe
qu’elles commenceront à percevoir comme un endroit moins sûr pour prendre des risques, par
conséquent, elles adopteront des attitudes qui ne sont ni favorables à la reconstitution de la
confiance, ni à leur apprentissage, ni à l’intégration de l’équipe. Cette constatation rejoint le
commentaire suivant d’Edmondson (1999): « Viewing the environment as unsafe, members
develop their own coping strategies, such as planning to leave the team or planning to stay
while remaining as insular as possible ». Dans le cas étudié, certaines attitudes des deux
personnes qui se sont retrouvées dans la situation de conflit consistaient principalement en se
montrer indifférentes et distantes.
Lewicki et Bunker (1996, p.125) mentionnent la présence de sentiments difficiles dans
les cas où une quelqu’un trouve que l’autre a commis des actes qui violent sa confiance:
« Emotionally, individuals often experience strong feelings of anger, hurt, fear and
frustration ». Souvent ces réactions de défense rendent impossible de commencer un dialogue.
Les personnes interagissent en adoptant de plus en plus ces différents mécanismes de défenses
ce qui rend encore plus difficile la solution des conflits entre elles. Lewiski et McAllister
(1998) et Zand (1972) constatent qu’aussi bien la confiance que la méfiance conduisent à des
dynamiques d’interaction auto renforçantes où les comportements progressent en spirale, soit
dans un sens, celui de la confiance, soit dans l’autre, celui de la méfiance. Les interactions
alors, peuvent devenir difficiles parce qu’une partie importante de l’attention des personnes
dans des situations de méfiance élevée servent à se protéger: « If they must interact,
distrusting parties may devote significant ressources to monitoring the other’s behaviour,
preparing for the other’s distrusting actions, and attending to potential vulnerabilities that
might be exploited » Lewiski et McAllister (1998, p.446). Dans le cas qui nous concerne,
chacune des deux personnes attendait probablement que l’initiative vienne de l’autre, sans que
personne ne fasse le premier geste alors que la tension grandissait davantage entre elles.
L’évolution de leur position nous indique que l’intervention d’une tierce personne peut être
décisive pour modifier la dynamique de la méfiance qui s’est établie dans une relation
interpersonnelle.
Dans le cas présent, la personne qui est intervenue a parlé avec les deux individus en
conflit et les a aidés à prendre conscience du fait que, seulement en parlant, ils pourraient
résoudre leur problème et les a incité à se parler ouvertement des malaises, le plus vite
311
possible. Cette personne a agi comme intermédiaire entre l’actrice et le metteur en scène et, à
travers elle, un rendez-vous a été convenu.
Cette observation nous amène à formuler la proposition de recherche suivante qui a
trait aux liens entre le contexte et la reconstruction de la confiance.
Proposition n.7: Il est possible qu’un certain niveau de confiance se crée rapidement
dans de nouvelles relations. Ceci s’explique par les conditions du contexte, par
exemple, l’exigence de finir un travail dans un temps très court et par des croyances
concernant les avantages de prendre des risques de faire confiance. Cette confiance
peut grandir rapidement si en plus, l’expérience de travailler ensemble est positive.
Cette confiance avait eu des effets positifs sur l’apprentissage des acteurs. Par
exemple, dans le cas de Mélissa et Mauricio, elle les avait aidés à résoudre les difficultés
d’une de leurs scènes qui demandait une bonne communication entre eux. Dans le cas de Jean
et Claudia, nous avons noté la vitesse et la facilité avec laquelle ils avaient été capables de
comprendre la dernière scène, écrite à la fin, et de la jouer avec beaucoup d’agilité. Ils avaient
aussi établi un excellent rapport dans l’autre scène qu’ils jouaient ensemble car le lien créé
entre eux favorisait la complicité dans leur jeu. Les producteurs, Béatrice et Alain, en se
basant sur le fait de partager le quotidien et l’observation de la manière de travailler de l’autre,
avaient créé entre eux une confiance qui leur a permis de travailler avec fluidité et plaisir,
malgré le fait qu’ils se connaissaient à peine. Ils avaient pu apprécier l’engagement de l’autre
vis à vis des responsabilités qu’ils avaient acceptées pour ce montage.
10.7. Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons complété notre cadre théorique préliminaire en
introduisant trois nouveaux éléments: La pression du temps, le comportement du leader et
l’intégration de l’équipe. Au cours de nos observations nous avons remarqué que ces éléments
avaient des effets importants sur l’apprentissage des membres de l’équipe. Nous pensons
qu’en les incluant, nous pouvons atteindre une compréhension un peu plus exacte des
conditions qui favorisent l’apprentissage dans une équipe de travail. Dans le chapitre suivant,
312
nous discuterons de l’applicabilité des résultats obtenus et des conclusions que nous pouvons
tirer de l’influence que la confiance exerce sur l’apprentissage dans une équipe de travail.
Nous avons observé que l’augmentation de la pression du temps avait un effet sur: a)
l’apprentissage car le temps des échanges se réduisait pour: poser des questions, donner son
avis, donner des exemple détaillés, discuter des points de vues différents. Une des réponses
que cette équipe a trouvé face à cette situation a été de trouver des moments pour se réunir en
dehors des répétitions, créant la possibilité d’avoir un certain type d’échange malgré la
pression du temps. b) sur la confiance. L’effet paradoxal de la pression du temps a été de
stimuler l’émergence de la confiance dans les nouvelles relations et de provoquer dans les
autres relations plus anciennes, une disposition à profiter de la confiance déjà existante pour
une meilleure réalisation du travail. Nous avons analysé aussi différentes facettes du
comportement du leader telles que l’influence qu’il exerce sur les autres membres de l’équipe,
sa capacité de communiquer son approbation, son ouverture pour explorer de nouvelles
options, son respect pour l’individualité des acteurs, sa tolérance face à certaines erreurs. Nous
déduisons que l’ensemble de ces comportements contribuent à créer dans cette équipe un
niveau élevé de sécurité psychologique et à encourager les divers apprentissages des membres
de cette équipe.
En troisième lieu, nous avons parlé de l’intégration et de la proximité entre les
membres de l’équipe parce qu’elle influence aussi les apprentissages. L’intégration est un
aspect important à cause de la nature du travail réalisé par cette équipe. Cette proximité s’est
produite peu à peu, malgré la présence d’obstacles tels que l’utilisation de trois langues et les
difficultés de communication que cela entraînait ou la nouveauté de certaines relations.
Différentes activités avaient contribué à l’améliorer l’intégration, certaines visant ce but de
façon volontaire et d’autres, comme les sorties ou les activités en groupe qui n’avaient pas cet
objectif explicite mais qui étaient propices à favoriser les rapport entre les membres de
l’équipe. L’intégration de l’équipe est un élément important surtout pour les apprentissages en
lien avec le besoin de construire l’unité de la pièce et des liens entre les acteurs sur la scène.
Un type d’apprentissage mène chacun des acteurs à connaître bien son rôle mais il y a des
apprentissages pour réussir à créer un résultat d’ensemble qui implique des ajustements des
rythmes, des tons, des énergies des uns et des autres. Pour que cet apprentissage des éléments
qui conduisent à un résultat collectif harmonieux, la proximité est une condition importante.
313
La relation entre l’intégration de l’équipe et la confiance interpersonnelle est difficile à
délimiter car il s’établit une causalité en rétroaction entre ces deux aspects: une confiance plus
élevée donne lieu à une intégration plus importante et lorsque l’intégration est forte les
personnes peuvent se connaître mieux car elles établissent des rapports plus significatifs et une
connaissance plus profonde de l’autre fait grandir la confiance qui se base sur la connaissance
de l’autre.
314
CHAPITRE XI
CONCLUSIONS
11.1. Introduction
Avant de conclure, nous rappelons notre question de recherche, pour ensuite aborder
les phases de la recherche, les difficultés affrontées et les solutions proposées. Seront ensuite
discutées les limites de la recherche
ainsi que de la démarche d’analyse suivie. Nous
traiterons alors des résultats obtenus en termes de notre compréhension des liens entre la
confiance et l’apprentissage avant de terminer sur l’applicabilité de cette étude à d’autres cas
de travail en équipe.
11.2. Les phases de la recherche
11.2.1. Le point de départ
Notre point de départ était la question suivante: comment la confiance influence-t-elle
les apprentissages des membres d’une équipe de travail lors de la réalisation de leur tâche?
Afin d’y répondre, nous avons entrepris, en premier lieu, une recension des écrits sur les sujets
de l’apprentissage en équipe et de la confiance. Nous avions pensé que le succès de
l’apprentissage dans une équipe de travail serait influencé par le niveau de confiance dans les
relations interpersonnelles et que l’importance de son influence dépendait du niveau
d’interdépendance entre les membres.
À partir des textes que nous avons consultés sur l’apprentissage, nous avons choisi la
conception de « l’apprentissage situé », une perspective qui met l’accent sur le fait que chaque
315
pratique a une logique d’action propre. À travers cette logique, dans l’interaction avec les
autres membres d’un groupe appartenant à un contexte de travail similaire, se construisent des
apprentissages qui se créent à travers leurs différentes participations. La participation dans ce
contexte de travail change avec l’expérience et le rôle; la participation peut être périphérique,
dans un premier temps et devenir plus centrale avec le temps. Cette conception de
l’apprentissage prend en considération l’interaction ce qui, à nos yeux, rend encore plus
pertinente la problématique de la confiance dans les relations interpersonnelles comme un
facteur qui influence l’apprentissage. Cette conception de l’apprentissage situé a été utilisée
pour étudier différentes problématiques mais nous n’avons trouvé aucun auteur qui traite de la
relation entre l’apprentissage situé et l’influence de la confiance. Les travaux qui traitent la
question de l’apprentissage et la confiance dans une équipe de travail et auxquels nous
référons, sont principalement ceux d’Edmondson (1999, 2001). Nous avons pris en
considération plusieurs de ses réflexions pour guider notre analyse, surtout en ce qui concerne
les comportements favorables à l’apprentissage.
11.2.2. Les difficultés rencontrées et les solutions proposées
Par la suite, nous nous sommes demandé quelle équipe il serait pertinent d’observer.
La difficulté consistait à trouver une équipe qui ait besoin d’apprendre pour réaliser sa tâche et
dont les apprentissages soient observables. Étant donné que notre approche de l’apprentissage
mettait en premier plan l’importance de l’interaction pour l’apprentissage, nous avons décidé
de suivre une équipe dans laquelle l’interaction entre ses membres est très importante à cause
du type de travail qu’elle accomplit. De plus, les membres de cette équipe devaient réaliser
différents types d’apprentissages que nous pouvions observer en temps réel. À partir de ces
considérations, notre choix a été une équipe d’artistes qui montait une pièce de théâtre. Nous
avons identifié plusieurs aspects de cette équipe qui peuvent être communs à d’autres équipes
de travail dans les organisations. À la fin de notre analyse, nous présentons une réflexion à
propos de notre point de vue en ce qui concerne l’applicabilité de nos résultats à d’autres cas
de travail en équipe.
316
Nous avons fait face à certaines difficultés en lien avec notre objet et notre démarche
d’analyse. Une des difficultés que nous devions résoudre était comment satisfaire le besoin
que nous avions d’indicateurs fiables de l’apprentissage et de la confiance, des liens entre eux
et de leurs changements. Il s’agit d’objets d’étude qui impliquent une grande part de
subjectivité il est donc important de considérer la perception des individus. La confiance est
difficilement exprimée d’une manière directe, sauf par les arguments que les personnes
donnent en entrevue. La solution que nous avons trouvée a été d’évaluer la confiance à travers
ses manifestations sous la forme de certains comportements révélateurs que nous pouvions
observer. Nous pouvons aussi avoir comme indices certaines des bases de la confiance, qui
nous indiquent comment les personnes sont perçues par les autres, ce qui est, en partie, déduit
des entrevues réalisées auprès des membres de l’équipe. L’apprentissage peut parfois être
observé sous la forme des accomplissements concrets qu’il permet de réaliser. Dans ce cas
précis, nous pensons à des changements observables dans la manière de jouer qui font
référence à la dimension de la tâche et à la qualité des interactions entre les membres de cette
équipe, ce qui réfère à la dimension affective de l’évolution de l’équipe. Plusieurs
apprentissages différents peuvent avoir lieu simultanément, soit pour une même personne, soit
pour des personnes différentes, puisque nous observons une équipe au complet. Certains sont
tacites et donc plus difficiles à décrire. Nous avons eu recours aux observations et aux
informations que nous avions obtenues à partir des entrevues auprès des membres de l’équipe.
Une autre difficulté était de comprendre l’évolution du montage et de mettre en
évidence ses changements déterminants à travers sa durée. Notre démarche d’analyse a
consisté à distinguer trois phases de ce processus ayant des caractéristiques particulières. Des
caractéristiques qui confèrent à chacune de ces étapes une fonction précise, dans la perspective
de l’ensemble du projet. Cette démarche d’analyse met en évidence la singularité de ces
étapes et, la variabilité de l’une à l’autre, des facteurs clefs tels que les apprentissages réalisées
et l’interdépendance entre les membres de l’équipe.
317
11.3. La démarche d’analyse suivie
En analysant les différentes étapes que cette équipe a dû franchir avant
d’atteindre son objectif, nous avons noté que chacune de ces étapes comporte des aspects
prometteurs et des risques précis. Les premiers indiquent des forces et des ressources dont
cette équipe dispose, les deuxièmes concernent les difficultés qu’elle devra affronter et
résoudre pour obtenir un meilleur résultat. Ainsi, chacune de ses étapes, au début, présente
des conditions favorables mais aussi des défis à relever. Nous pensons que les manières par
lesquelles les difficultés sont affrontées dans une étape influencent beaucoup les résultats
qui seront obtenus dans les étapes suivantes. Chacune des étapes peut constituer une base
sur laquelle s’appuie la progression du travail de l’équipe dans les étapes suivantes. En
termes d’apprentissage et de confiance, cela signifie que la première étape est le moment
où sont mises en place des bases sur lesquelles s’appuiera le travail par la suite. Étant
donné qu’ à ce moment-là, la pression du temps est moins forte comparativement à
l’intensité qu’elle atteindra postérieurement, les membres de l’équipe peuvent réaliser des
activités comme le « jeu de la balle » qui servent à créer des liens plus étroits entre eux et à
les rendre conscients du sens du travail collectif et des qualités qui sont nécessaires pour
qu’il soit réussi. Les divers échanges qui ont lieu dans cette étape sont importants car ils
servent à bâtir des conditions favorables pour la suite du travail. Dans ce cas, ces échanges
ont différentes fonctions : créer chez les acteurs une conscience plus profonde de leur
interdépendance et de ses conséquences, tisser des liens de confiance entre les personnes
qui travaillent ensemble pour la première fois, contribuer à l’émergence d’une vision
partagée de la logique de la pièce, motiver les acteurs pour qu’ils perçoivent le sens que
leur pratique peut avoir.
Étudier chaque étape dans la perspective du processus au complet nous donne une
vision plus claire de l’importance des apprentissages qui s’accomplissent dans chacune
d’elles et du rôle que la confiance joue dans la réalisation de ces apprentissages. Les
apprentissages qui s’opèrent au cours d’une étape, la plupart du temps, peuvent être utiles
et nécessaires, non seulement à cette même étape, mais surtout, et souvent encore plus, au
318
cours des étapes suivantes. Ceci est dû, en partie à l’effet de la pression du temps qui
oblige les membres de l’équipe à se concentrer, de plus en plus, quand le processus avance
sur la tâche et à oublier de porter de l’attention au plan de l’intégration de l’équipe. Le plan
affectif du travail en équipe joue sur la possibilité de réaliser la tâche de la meilleure
manière possible mais ce plan est oublié facilement, surtout quand la pression du temps
augmente.
La démarche d’analyse adoptée pourrait probablement servir pour suivre l’évolution
du travail de n’importe quelle équipe engagée dans un projet qui implique de respecter un
délai déterminé. Il serait possible de retrouver des comportements semblables et de noter des
caractéristiques similaires selon des étapes : une première étape préparatoire où les bases du
travail futur se construisent en termes de confiance et de l’intégration de l’équipe, une
deuxième étape de transition où le rythme de l’activité s’intensifie et enfin, une troisième
étape où tous les efforts se concentrent pour créer une unité et atteindre finalement le but, la
priorité étant de respecter le délai fixé.
Une autre difficulté que nous avons affrontée a été l’élaboration d’un cadre conceptuel
dont la valeur explicative clarifie la logique des relations entre les concepts d’apprentissage,
de confiance et d’interdépendance. Nous avions proposé un premier cadre conceptuel qui s’est
avéré utile car, effectivement, il nous a aidé à voir l’influence de la confiance sur
l’apprentissage. Mais, postérieurement, en analysant
nos données,
nous avons noté
l’influence d’autres éléments que nous n’avions pas pris en considération dès le début de la
recherche. Ces éléments ont un effet sur la dynamique de la confiance et sur l’apprentissage.
La solution a été d’inclure ces nouveaux concepts et de proposer un nouveau cadre conceptuel
plus complet et, dans ce sens, plus utile. Les nouveaux éléments sont : la pression du temps, le
comportement du leader et l’intégration de l’équipe. Ces éléments qui ont parfois un effet
direct sur l’apprentissage mais aussi un effet indirect à cause de leur impact sur la confiance.
11.4. Les apprentissages réalisés à travers la recherche
319
11.4.1. L’influence de la confiance sur l’apprentissage
L’étude de ce cas nous a permis de vérifier que la confiance, sur le plan des relations
interpersonnelles et de la sécurité psychologique dans l’équipe, avait eu une influence sur
différents apprentissages réalisés. Dans certaines de ces situations, la confiance avait des
résultats positifs sur l’apprentissage des acteurs et, au contraire dans les cas où la confiance
était moins élevée, les apprentissages devenaient plus difficiles. La présence de la confiance
avait une influence favorable, tandis que son affaiblissement agissait au détriment de la
possibilité des membres de l’équipe d’adopter des comportements qui impliquaient d’assumer
un risque mais qui auraient pu mener ceux-ci à des apprentissages divers.
Revenant aux apprentissages que l’équipe a réalisés, nous avons retrouvé plusieurs des
comportements qu’Edmondson signale comme étant des indicateurs de l’apprentissage: poser
des questions, demander de la rétroaction et de l’aide, explorer de nouvelles possibilités de
travail. Cependant, il y a eu d’autres comportements qui n’ont pas été présents au niveau de la
discussion de l’équipe. Ces comportements sont: parler des erreurs et questionner la manière
de travailler. Ces sujets n’ont pas été abordés pendant les séances de répétition mais ils ont été
traités dans des conversations informelles entre certains membres de l’équipe. Cette
observation nous conduit à nous demander si cela explique que le niveau d’apprentissage des
membres de cette équipe varie d’un individu à l’autre en fonction des comportements qu’il
adopte. Cependant, il est difficile d’évaluer les apprentissages individuels puisqu’ils sont
nombreux et continus et nous avons adopté une perspective d’équipe. Selon notre optique, les
conversations informelles ont aussi une valeur importante pour la création des apprentissages,
même si dans ces conversations qui ont lieu en dehors des séances de répétitions, les
réflexions sur les erreurs portent plus sur des erreurs individuelles que sur des erreurs de
l’équipe au complet. Logiquement si ces sujets ne sont pas traités par l’ensemble des membres
ils n’apporteront pas d’améliorations à la manière de travailler de l’équipe mais ces réflexions
peuvent avoir des effets au niveau individuel.
11.4.2. Les apprentissages sur la dynamique de la confiance
320
Un apprentissage tiré de cette recherche concerne la dynamique de la confiance. Nous
avons trouvé dans la littérature spécialisée des auteurs tels que Meyerson et al.,(1996) qui
traitent le sujet du caractère auto renforçant de la confiance, qui agit dans les relations, dès
leur début, mais cette caractéristique de la dynamique de la confiance est présente, et continue
d’agir pendant tout le temps que dure une relation. De plus, nous avons trouvé que ce
caractère auto renforçant s’était manifesté aussi lorsqu’il s’agissait de l’affaiblissement de la
confiance. Dans ce cas, sont apparus des comportements défensifs comme des attitudes
d’indifférence qui ont eu pour conséquence plus de distance et moins de communication entre
les deux personnes qui avaient des difficultés. Ce qui rend ces situations plus compliquées,
c’est que les personnes ne sont pas complètement conscientes des comportements qu’elles
adoptent progressivement, au fur et à mesure que la confiance commence à manquer, ni de
leurs effets dans l’interaction avec les autres.
Le caractère auto renforçant de la confiance agit aussi dans la relation de deux plans
différents, dans l’impact qui existe entre la confiance interpersonnelle et la sécurité
psychologique dans l’équipe. Ceci signifie que lorsque la confiance s’affaiblit dans une
relation entre deux personnes, les conflits qui surgissent entre elles, même si c’est sous forme
de tensions et de non-dits, peuvent avoir un effet négatif sur les autres membres de l’équipe
qui perçoivent ces frictions, cet éloignement et se préoccupent de la situation et de son
évolution. Cet exemple nous a montré que, lorsque la confiance s’affaiblit, elle peut avoir des
répercussions qui nuisent, non seulement au travail, à travers les limites qu’il impose à
l’apprentissage, mais aussi à travers d’autres facettes des relations qui s’appauvrissent telles
que la communication, la satisfaction au travail et la collaboration.
Dans des cas de conflits aigus, le projet même peut-être en situation de risque à cause
d’une mauvaise gestion des conflits interpersonnels. Cette logique agit aussi en sens inverse,
c’est à dire que lorsque les relations entre deux personnes sont basées sur une confiance forte,
elles influencent les perceptions de sécurité et la sécurité psychologique de tous les membres;
elles ont donc un impact positif sur l’équipe au complet. Les conséquences de cette
caractéristique de la dynamique de la confiance nous semblent importantes pour comprendre
pourquoi les relations interpersonnelles, dans une équipe de travail, peuvent tomber dans un
fonctionnement de type cercle vicieux, qui devient assez difficile à modifier surtout lorsque
les individus ne sont pas conscients de leurs actions.
321
Dans le cas étudié, pour changer les comportements défensifs qui s’étaient établis dans
la relation entre deux personnes, l’intervention d’un tiers a été favorable pour trouver une
solution au problème qui se posait à ce moment là. Naturellement, nous ne savons pas ce qui
aurait pu se passer sans cette participation. Il y a différents scénarios possibles: un premier qui
fait que les deux personnes sans aide extérieure décident de se parler; un deuxième selon
lequel une personne différente intervient; enfin, un troisième où la distance et le conflit
augmentent. Dans ce troisième cas, le conflit aurait pu causer seulement un inconfort plus
grand mais sa conséquence la plus grave aurait pu aboutir à une rupture de la relation. Ce que
nous avons noté, c’est que le fait que ce conflit se soit présenté dans une équipe où il y avait
d’autres relations, où la confiance existait et était très forte, a contribué à trouver rapidement
une solution au prix d’un effort relativement petit. Nous estimons aussi que plus l’intervention
d’une tierce personne ou d’un autre mécanisme, est rapide, plus il est possible de « limiter les
dégâts ». Au contraire lorsque deux personnes attendent longtemps avant d’affronter leurs
conflits, le manque de confiance qui se crée est très grand et plus difficile à réparer.
11.4.3. Les aspects paradoxaux de la confiance
Nous avons aussi porté notre attention sur un aspect paradoxal de la confiance: d’un
côté, il est possible que celle-ci se crée rapidement dans les nouvelles relations. De l’autre
côté, le paradoxe est que la confiance, dans des relations qui durent depuis longtemps, ne peut
pas éviter de faire face au risque de s’affaiblir ou de se perdre. Ce paradoxe montre que, même
si la confiance se bâtit généralement à travers les expériences partagées et la connaissance de
l’autre, deux conditions qui dépendent en partie du temps, il y a d’autres éléments,
indépendants du temps, qui entrent en ligne de compte.
Pour expliquer les cas où la confiance se crée rapidement, Meyerson et al. (1996)
l’associent à la présence de certaines caractéristiques personnelles mais ils trouvent également
que ce phénomène dépend surtout des exigences du contexte. Parmi les caractéristiques
personnelles se trouvent la disposition à faire confiance et les croyances favorables concernant
la décision de faire confiance, même quand on ne se connaît pas bien encore. Sur le plan du
contexte, le fait de disposer d’un délai assez court pour réaliser un projet est un autre facteur
322
de poids. Pour nous, ce paradoxe de la confiance qui peut se créer rapidement est
effectivement expliqué à partir de ces raisons, mais nous avons noté que les affinités qui
peuvent exister entre les personnes jouent aussi un rôle important comme ce cas nous le
montre. En effet, nous avons vu que la confiance entre deux acteurs qui travaillent ensemble
pour la première fois dans ce projet existait non seulement en raison de leur disposition à
faire confiance mais aussi basée sur des affinités personnelles, les intérêts communs, une
vision partagée du théâtre, dans ce cas, des goûts similaires.
Ce sujet des affinités
personnelles, comme étant une des bases de la confiance qui peuvent apparaître très tôt dans
une relation et se maintenir pendant longtemps, est peu considéré dans la littérature sur la
confiance, mais à travers notre recherche, cet aspect est apparu plusieurs fois comme un
élément qui déclenche la naissance de la confiance entre deux personnes même, si après, les
relations traversent différents cycles où les expériences partagées donnent à la relation
d’autres contenus qui peuvent devenir des bases supplémentaires à la confiance.
En ce qui concerne l’affaiblissement de la confiance dans une relation assez longue, il
est paradoxal que celle-ci, malgré toutes les bases construites à travers le temps qu’une
relation a duré, soit encore et toujours relativement fragile, étant donné l’existence du risque
de son affaiblissement temporaire ou même d’une rupture définitive qui peut arriver en peu de
temps, sous certaines circonstances. Le paradoxe est donc que la confiance peut avoir en
même temps une grande force, une capacité de récupération étonnante mais aussi une
surprenante fragilité et cela, contrairement à ce que l’on pourrait espérer, ne dépend pas
nécessairement du temps que les relations ont duré.
11.4.4. Les éléments qui dépendent du contexte
Une autre des leçons tirées de notre cas, concerne le comportement du leader. Nous
avons indiqué différents aspects selon lesquels les comportements du metteur en scène
influençaient les apprentissages des autres membres de l’équipe. Dans la plupart des
équipes la fonction de leader est assumée soit par une personne, soit par plusieurs. Nous
avons mentionné que l’apprentissage dépend en partie de certains comportements et que
ces comportements comportent des risques. Oser courir ces risques dépend, entre autres,
du niveau de sécurité psychologique qui règne dans l’équipe. La sécurité psychologique
323
dont il est question, alors, dépend en partie, du comportement du ou des leaders et aussi des
comportements des autres membres de cette équipe. Or, souvent les comportements des
autres membres de l’équipe sont inspirés par l’exemple donné par le leader.
Jusqu’ici nous avons résumé rapidement ce que cette recherche nous a apporté en
termes d’une méthodologie d’analyse et des connaissances sur la confiance cependant nous
discuterons de la possibilité que cette expérience s’applique à d’autres cas de travail en
équipe et également des limites d’une telle recherche.
11.5. L’applicabilité de cette recherche à d’autres cas
Quelle est la possibilité d’appliquer les leçons tirées de notre analyse de cas à d’autres
situations d’apprentissage dans une équipe de travail? Pour répondre à cette question, d’abord,
nous soulignerons les principaux
aspects qui distinguent cette équipe. Nous signalerons
ensuite, lesquelles de ces caractéristiques
pourraient se retrouver dans d’autres cas et
finalement, nous dirons pour quels types de cas les résultats de notre analyse pourraient être
ou pas appliqués.
11.5.1. Les aspects particuliers à ce cas
Nous énumérons ici des caractéristiques importantes de ce cas en termes de la nature
de la tâche, de la manière de travailler et des membres de l’équipe.
11.5.1.1. La nature de la tâche
La nature de la tâche que cette équipe réalise place l’apprentissage au cœur de son
activité. Même si les acteurs s’intègrent à ce projet parce qu’ils ont des connaissances, des
324
expériences et des habiletés acquises au cours de leur carrière, ils ont besoin de réaliser de
nouveaux apprentissages individuels et collectifs dans l’interaction avec le reste des
participants. En effet, chaque montage est un départ à zéro car la plupart des composantes
d’un nouveau montage sont uniques et différentes de celles des projets précédents: l’équipe
qui vient de se constituer, le texte et son interprétation, la perspective du metteur en scène, le
décor, le son, l’éclairage, les manières de travailler et les interactions avec les autres membres.
La majeure partie du temps du travail de cette équipe est dédiée, justement, à la création des
nouvelles connaissances requises.
De plus, la nature de la tâche exige de la part des membres de l’équipe, un apport
significatif en termes de créativité car, même si le metteur en scène dirige le travail de
l’équipe, ses idées à lui dépendent aussi beaucoup des apports des autres membres, elles
changent et se définissent plus clairement au contact du jeu des acteurs et à travers les
conversations avec les concepteurs. Sa perspective est un point de départ mais elle s’enrichit et
se nourrit des échanges, qu’ils soient verbaux ou qu’ils s’expriment à travers le jeu. De plus,
chaque acteur imprime un sceau particulier à ses personnages. La créativité implique une
ouverture aux nouvelles expériences; en contrepartie, elle signifie l’implication d’un niveau
relativement élevé d’incertitude, en termes du déroulement du processus même de création et
du résultat final. L’auteur accepte que le texte soit, pour lui, une « hypothèse de travail » à
partir de laquelle commence ce processus, mais sait bien qu’il y aura de nombreuses surprises
qui émergeront en cours de route.
11.5.1.2. La manière de travailler
Les membres de l’équipe doivent apprendre comment travailler ensemble pour que la
combinaison de ces éléments soit le résultat de la participation de tous. De plus, cette équipe
de travail réalise la partie principale de sa tâche dans l’interaction face à face, pendant de
longues périodes de temps et dans une interdépendance très élevée. Meyerson, Weick et
Kramer (1996) étudient des équipes de montage pour le cinéma, qui réalisent donc des tâches
semblables à celle que nous avons étudiée. À cet effet, ils signalent le fait que
l’interdépendance a des conséquences directes sur l’importance de la confiance : « The
325
members must keep interrelating with one another in trying to arrive at variable solutions. This
continuous « interelating » keeps the issue of trust salient throughout the life or a temporary
system. » Ainsi, dans un projet qui débute, chaque membre de l’équipe réalise une série
d’apprentissages basés sur ses expériences préalables mais il est indispensable de créer, pour
la réussite de chaque montage, une base de connaissances et de confiance commune à tous les
participants.
Les membres de l’équipe sont confrontés à la nouveauté et à des événements
inattendus et l’incertitude est souvent présente. Cette situation, dans un certain sens, peut
présenter des avantages par rapport aux possibilités d’apprentissage car, comme nous l’avons
évoqué, les acteurs font continuellement de nouvelles expériences, ils ont besoin d’explorer
différentes possibilités de jeu pour ensuite choisir les meilleures options.
11.5.1.3. La présence du risque
Nous avons noté des aspects particuliers à cette équipe comme l’importance de la
créativité par exemple, mais il y aussi le niveau de risque assumé par ses membres, les
incertitudes auxquelles ils sont confrontés. Goodman et Goodman (1972) signalent que,
normalement, les metteurs en scène ont une propension importante à prendre des risques:
« Directors have a propensity for taking risks. Directors are often willing to
risk calamity by using innovative approaches to their production. This risk might be
around technical issues, such as multi-media presentations, interpretative issues as
message emphasis or period of setting the play, issues of public controversy such as
nudity, race relations, war, pollution or apathy » (Goodman et Goodman ; 1972)
Nous pensons que pour cette raison, ils pourraient être plus ouverts aux nouveaux
apprentissages.
11.5.1.4. L’engagement des membres de cette équipe.
326
D’un autre côté, il nous semble aussi que le niveau d’engagement des membres de
cette équipe est fort car cette pratique a un sens pour eux et enrichit leur expérience
professionnelle.
Plusieurs
personnes de cette équipe, en entrevue, nous ont parlé de leur choix
professionnel, tant de ses aspects difficiles, que de leur goût pour ce qu’ils font et de la
satisfaction qu’ils éprouvent, étant donné que leur activité théâtrale occupe dans leur vie une
place primordiale et acquiert un sens profond. À partir de cette considération, nous pensons
que l’engagement des individus qui participent dans cette équipe n’est pas basé, en premier
lieu, sur un intérêt économique, ni sur une obligation. Leur participation à ce projet est
volontaire et il a un sens dans le cadre de leurs choix professionnels.
Ces traits peuvent créer un rapprochement avec d’autres équipes où quelques-unes de
ces mêmes caractéristiques sont présentes, même si elles se manifestent autrement. Nous
réfléchirons maintenant à cette probabilité.
11.5.2. Les aspects de ce cas qui peuvent se retrouver dans d’autres cas
Pour évaluer jusqu’à quel point nos résultats de recherche sont applicables à d’autres
cas, nous reprendrons ici certains des points que nous avions mentionnés : la nature de la
tâche, la manière de travailler, la créativité, l’incertitude, le risque et l’engagement des
membres de l’équipe.
11.5.2.1. La nature de la tâche
La nature de la tâche est l’un des facteurs clefs pour déterminer l’importance de
l’apprentissage. Dans de nombreuses situations, les équipes de travail ont des tâches qui les
mettent face à un plus ou moins grand besoin d’apprendre. Dans le contexte des projets
temporaires ou d’une plus longue durée, toute sorte d’apprentissages sont nécessaires et ils
dépendront de la nature de la tâche, des manières de travailler, des interactions dans l’équipe,
et des contraintes imposées par le contexte, entre autres facteurs. De la même manière comme
327
le jeu d’une pièce de théâtre s’enrichit selon ce qui est partagé par les acteurs dans la subtilité
du jeu, dans une équipe de travail, les apports de ses membres peuvent devenir plus pertinents
et utiles lorsque l’interaction entre les membres stimule la réflexion collective et une
participation plus active de chacun. Dans une équipe de travail qui a un projet à développer, il
se peut aussi, qu’au départ les connaissances de tous soient la base pour accomplir le travail
mais qu’elles ne soient pas suffisantes et que la nouveauté du projet demande de concevoir de
nouvelles approches aux problèmes rencontrés. Comme dans le montage d’une pièce de
théâtre, lors de sa première étape, si
la confiance interpersonnelle est suffisante et les
conditions sont favorables, les membres de l’équipe pourront explorer différentes options,
évaluer des possibilités avant de prendre des décisions et choisir quelles sont les meilleures
solutions. Comme dans le montage de la pièce de théâtre, souvent les comportements et les
actions qui sont adoptés au début du travail seront déterminants pour la suite.
11.5.2.2. La manière de travailler
Dans le travail de l’équipe étudiée, la créativité prenait une grande place à cause du
type de tâche. Dans d’autres équipes, même si les personnes ont un niveau d’interdépendance
élevé, l’interaction entre les membres d’une équipe peut être moins intense et prolongée que
dans le cas étudié, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne soit pas importante. Dans
certains cas, une partie du travail sera réalisée individuellement et une autre dépendra des
interactions qui se produiront sous différentes modalités de communication mais qui, dans
tous les cas, impliquent un certain type de relation et de communication entre les membres.
Cela dépendra en bonne partie du niveau d’interdépendance qui existera dans chaque cas.
Dans la situation de l’équipe que nous avons étudiée, la qualité des relations inter personnelles
est déterminante pour le succès du travail alors que dans d’autres équipes, les résultats
pourront dépendre en partie, de la qualité des relations, mais aussi des apports individuels.
Dans d’autres équipes où l’apprentissage est important aussi, la créativité de ses
membres sera souvent requise lors de la réalisation de la tâche. Le besoin d’être créatif peut
exister, varier selon les cas et mener à accomplir un projet ou à apporter des améliorations
dans le travail d’une équipe et dans ses résultats. D’ailleurs, l’innovation ou la réalisation de
328
changements petits ou grands, ont comme point de départ, une idée nouvelle, née à partir de la
créativité d’une ou de plusieurs personnes, cet aspect est aussi présent dans d’autres cas.
11.5.2.3. Les éléments du contexte
Ici, nous avons vu comment la pression du temps jouait un rôle sur les possibilités
d’apprentissage des membres de l’équipe. Dans d’autres équipes de travail la pression du
temps peut être tout aussi présente puisque les organisations sont soumises à des exigences
issues du besoin d’être compétitives dans un marché où les conditions de survie changent
constamment et doivent s’adapter, de plus en plus, rapidement. Comme nous l’avons montré,
une pression du temps plus forte a des conséquences diverses sur l’apprentissage et sur les
possibilités de consolider la confiance. Il faudra aussi, étudier les conséquences de ces
variations: observer par exemple, comment lorsque la pression du temps est trop élevée les
membres des équipes risquent de devenir plus stressés, tendus, fatigués, surchargés et moins
disponibles à échanger. Ils seront, en général, plus inquiets des résultats qu’ils sont capables
de fournir dans le délai dont ils disposent que de la qualité de leurs résultats. Probablement,
lorsque la pression du temps est grande, nous constaterons plus de difficultés pour réfléchir
sur les résultats inattendus, les erreurs, les conflits ou les options pour améliorer le travail. Par
contre, nous pourrions noter aussi certaines conséquences négatives sur l’apprentissage si cette
pression devenait très faible.
Notre étude et ses résultats sont applicables à une grande majorité de cas tout en
tenant compte des différences dans le poids de certains éléments. Cependant, il y a certains cas
où l’application de cette recherche nous semble moins pertinente, voyons quelles sont ces
situations.
En ce qui a trait au comportement du leader nous n’avons pas prétendu faire un travail
sur le leadership mais nous somme sûrs que la compréhension du rôle de ce metteur en scène
nous permis d’apprendre beaucoup sur les qualités d’un bon leader ou dirigeant. Tout en
sachant qu’il y a des styles personnels d’assumer cette fonction, il est important de noter dans
ce cas, l’importance de certains comportements qui pourraient bien être utiles pour le contexte
organisationnel. Un comportement qui ne semble pas, au premier abord avoir l’importance
329
qu’il a au théâtre est l’observation. Cependant nous pensons que l’observation a tout de même
un rôle à jouer car en observant, un leader peut identifier les forces et les faiblesses des
personnes qu’il dirige et à partir de cette connaissance, orienter les personnes pour quelles
corrigent leurs point faibles et tirent plus de profit de leurs capacités. Dans le cas du metteur
en scène, un de ses objectifs et d’être très présent au début du processus et progressivement
laisser de plus en plus la responsabilité de la tâche entre les mains des acteurs qui deviennent
capables de savoir comment jouer au point de pouvoir, plus tard, faire des représentations
réussies sans sa présence. Est-ce que ne ce serait pas aussi le but d’un bon leader dans une
organisation celui de développer chez les membres des équipes qu’il dirige des capacités telles
qu’ils soient capables de réaliser leurs tâches par eux mêmes, ayant de plus en plus confiance
en ce qu’ils sont capables de faire. Cette approche irait plus dans le sans de la délégation du
pouvoir que dans celui du contrôle mais dans plusieurs milieux c’est le type d’objectif qui est
visé comme dans le cas des équipes auto dirigées, le courrant de l’ « empowerment », des
« cellules d’apprentissage », ou des équipes semi autonomes. L’étude de ce cas met bien au
clair qu’il est différent d’imposer des ordre que de convaincre, d’attirer et de « séduire » par la
compétence, l’expérience et l’engagement, les personnes pour qu’elles puissent suivre une
direction qui est proposée.
Ce cas a permis aussi de voir comment une équipe qui au début faisait face à
différents obstacles importants comme des difficultés de communication causées par les
langues parlées par les membres de l’équipe a pu vaincre ces obstacles et créer une
intégration. Dans ce cas particulier, un élément clef a été le temps partagé et les échanges.
Dans d’autres cas il est évident que la disponibilité pour se réunir en dehors des horaires de
travail n’est pas toujours facile à avoir mais ce qui est important de souligner ici c’est
comment la dimension affective d’un groupe nourri et enrichi celle de la tâche à accomplir et
dans ce cas nous avons eu de nombreux exemples de cette interdépendance entre ces niveaux.
Nos pensons que cette même interdépendance existe dans les autres cas même si elle peut ne
pas être si évidente comme elle l’a été ici.
11.5.3. Les cas où il est improbable d’appliquer les leçons tirées de ce cas
330
Les cas dans lesquels notre étude en principe pourrait avoir le moins d’applicabilité
seraient des cas où pour des raisons différentes, la réalisation de nouveaux apprentissages dans
une équipe de travail n’est ni un besoin, ni une question importante. Les cas où la nature de la
tâche exige à une équipe de réaliser un travail répétitif où les pas à suivre sont clairement
établis dès le départ. Nous pensons à des cas où les routines de travail pratiquées sont
déterminées à l’avance, par exemple à cause de l’utilisation d’une technologie donnée de telle
sorte qu’elle ne permettent pas de modifications significatives car il faut respecter une
démarche qui n’admet pas de changements et que, par conséquent, les membres de l’équipe
n’ont plus qu’à les suivre sans se poser de questions sur de possibles améliorations à apporter.
Ceci pourrait être le cas des équipes de travail dans les salles d’opération qui suivent
généralement un même ensemble de démarches bien connues d’avance, le cas des équipes qui
sont en charge d’un vol de passagers où chaque membre de l’équipe a des fonctions bien
définies et les réalise de manière similaire à chaque fois qu’il est responsable d’un nouveau
vol. Une équipe de production par exemple dans l’assemblage du système électrique d’un
avion qui est un travail d’équipe mais où chaque personnes suit les indications établies dans un
manuel qu’il faut suivre avec toute exactitude.
Les exemples qui nous avons donné sont ceux d’équipes qui demandent un niveau
important de connaissances comme condition à son fonctionnement mais une fois que les
connaissances requises sont acquises, le travail en lui-même ne demande pas de réaliser de
nouveaux apprentissages car effectivement la tâche se répète sans présenter des variations
importantes. La responsabilité des membres de ces équipes n’est pas de livrer le produit d’un
projet qui est nouveau ni unique mais, au contraire, la tâche a un caractère continu et
prévisible.
Les cas ou pour d’autres raisons que l’utilisation de la technologie, le pouvoir de
l’autorité est très concentré et il ne permet aucune initiative ni réflexion de la part des
membres de l’équipe qui sont alors vus comme des exécutants qui se limitent à suivre les
ordres qu’ils reçoivent. Dans d’autres types de situations où la confiance ne joue pas un rôle
important pour l’apprentissage car au lieu de stimuler la construction de
la confiance
interpersonnelle, les relations sont contrôlées par une normativité rigide et fixée d’avance qui
n’admet pas de variations malgré les différences entre les individus.
331
Dans le cas où le contrôle sert de substitut à la confiance et la logique du comportement des
membres de ces équipes change car elle se base sur d’autres principes que ceux qui sont en
lien avec la création de la confiance dans les relations interpersonnelles.
Nous pensons qu’il y aurait là peu de place pour la créativité des membres de l’équipe
et que l’apprentissage s’il existe sera assez limité.
En conclusion, notre cas est un exemple où le besoin d’apprendre et la créativité
requise pour accomplir la tâche sont élevés. Dans d’autres équipes de travail également,
plusieurs de ces caractéristiques peuvent se retrouver, plus nuancées ou ayant des
manifestations différentes. L’apprentissage en fin de compte, suppose une problématique qui
change de forme, sous l’effet du contexte précis où elle se situe, mais ayant des éléments
essentiels, comme l’interaction, la participation à une pratique donnée, se retrouvent pour
s’organiser selon les enjeux de chaque cas particulier.
11.6. Limites de la recherche
Notre recherche comporte des limites que nous voulons discuter dans cette partie en
distinguant entre celles qui proviennent de la méthodologie employée et celles qui résultent du
choix du cas, finalement il y a aussi des limites attribuables au fait qu’il y aie un seul
chercheur.
Toute méthodologie comporte sa part de limites. Étant donné que nous avons choisi
d’adopter une méthodologie qualitative, nous n’avons pas établi des mesures quantitatives des
construits étudiés: l’apprentissage, la confiance, l’interdépendance et les liens entre eux. Des
mesures quantitatives auraient permis de tester des hypothèses ou de démontrer, de manière
plus précise, des relations de cause à effet entre des variables. Néanmoins, la
richesse des détails fournis permet au lecteur de juger de la justesse des observations et d’avoir
accès à une description plus fine qui rend compte de la perception que les membres de cette
équipe ont de leurs expériences d’apprentissage et de la confiance interpersonnelle dans leurs
relations. Nous estimons que notre choix méthodologique a été valide en fonction des résultats
que nous espérions obtenir c’est à dire de comprendre comment la confiance influençait les
apprentissages des membres de cette équipe de travail.
332
Par rapport au choix du cas, une autre limite est que l’équipe étudiée n’est pas inscrite
dans le contexte d’une organisation. Nous ne pouvons pas, par conséquent, étudier les
répercussions des apprentissages réalisés par cette équipe sur un plan plus large comme si elle
appartenait à une structure organisationnelle, ce qui aurait apporté une dimension plus large à
la présente analyse. Mais, d’un autre côté, cette caractéristique particulière de la situation,
représente un avantage au sens où elle nous a permis de concentrer toute notre attention sur les
phénomènes exclusifs à l’équipe, sans qu’il y aie des influences externes comme celles qui
agiraient sur une équipe de travail dans une organisation. D’autre part, nous avons l’avantage
de savoir que malgré cet « isolement » il s’agit d’une situation réelle. Cet aspect est
enrichissant si nous le comparons aux situations « artificielles » crées explicitement pour
vérifier des hypothèses de recherche dans un laboratoire.
Une autre limite de ce travail tient au fait que nous analysons un seul cas. Ceci
implique que nous ne pouvons pas comparer ce cas avec d’autres cas où nous aurions pu
utiliser le même cadre théorique. Eisenhardt (1989) explique l’avantage d’avoir des cas
multiples comme suit: «…multiple cases are a powerful means to create theory because they
permit replications and extension among individual cases ». Cependant ce même auteur, dans
un autre article (Eisenhardt,1991), affirme qu’il est possible d’établir des comparaisons aussi à
l’intérieur d’un même cas. Elle insiste sur le fait que le principal critère qui devrait préoccuper
les chercheurs est la rigueur méthodologique et que finalement les différences entre les
recherches où il a plusieurs cas, et celles où il n’y qu’ un seul, sont moins importantes que les
similarités pouvant exister entre ces deux types d’études. Dans la présente recherche en
particulier, nous avons, au moins deux façons de construire une variabilité pour comparer
certains des résultats. D’un côté, nous pensons qu’en distinguant trois étapes différentes dans
ce processus, nous avons adopté une stratégie d’analyse de l’information qui contribue à faire
ressortir la variabilité à l’interne du cas en termes des changements dus à des aspects
temporels. Par exemple, nous avons examiné si les changements dans le degré
d’interdépendance avaient une influence différente sur l’importance du rôle que la confiance
joue sur l’apprentissage. D’un autre côté, il a été possible de distinguer si la confiance présente
des caractéristiques variables en lien avec l’ancienneté des relations, puisque des relations ont
commencé très récemment et d’autres par contre, datent d’une dizaine d’années. Nous croyons
333
que cela permet ainsi de compenser, du moins en partie, le fait que cette recherche porte sur un
cas unique.
Une autre limite à signaler est que nous n’avons pas pu faire un double codage. En fait
une seule personne observait le montage, réalisait les entrevues et les analysait par la suite.
Pour compenser cette limite, au cours du processus de la recherche, nous avons présentés
régulièrement des parties de notre travail à nos directeurs de thèse avec qui nous avons discuté
de la pertinence de l’information obtenue et de la démarche pour son analyse. Nous avons
aussi eu recours à plusieurs heures d’enregistrement de vidéo qui ont permis de revoir
plusieurs fois des passages importants des répétitions. Nos directeurs de recherche ont aussi vu
ce matériel avec nous et cela a apporté de nouveaux élément à nos discussions. D’un autre
côté, nous avons aussi validé nos observations en discutant notre compréhension des faits et
de leur sens avec les acteurs de la pièce qui ont lu des chapitres précis de notre thèse. Dans
ces cas, l’échange avec eux, nous a permis de clarifier notre perspective de certains
événements.
11.7. Réflexion finale
Notre recherche avait eu comme point de départ une question concernant l’influence
de la confiance sur l’apprentissage. Les étapes suivies pour analyser un cas précis d’une
équipe de travail nous ont permis d’identifier différents liens entre la confiance et
l’apprentissage. Nous avons constaté que l’influence de la confiance sur l’apprentissage
changeait selon le degré d’interdépendance que la tâche demande et aussi selon les différents
types d’apprentissages que les membres de l’équipe réalisent. À la suite de cette recherche,
nous concluons que la confiance influence positivement l’apprentissage car elle permet aux
membres d’une équipe d’adopter des comportements relativement risqués mais qui sont
particulièrement favorables à l’apprentissage. Nous avons aussi vu en toute sa richesse la
complexité de ces processus à travers un cas riche et détaillé.
En fait, à travers notre analyse, nous avons découvert d’autres éléments qui
interviennent et modèrent la relation entre confiance, interdépendance et apprentissage: la
pression du temps, le comportement du leader et l’intégration de l’équipe. La pression du
334
temps a été présente continuellement dans le cas que nous étudions mais son intensité avait
varié. Cette variabilité nous a permit de noter les conséquences importantes de son
augmentation. D’une manière générale, nous considérons que lorsque son augmentation est
perçue comme étant trop grande, elle influence négativement l’apprentissage malgré la
présence de la confiance.
Le comportement du leader nous a paru un aspect clé qui influence les apprentissages
et la confiance positivement ou négativement. Quant à l’intégration de l’équipe, nous la
voyons comme étant en même temps un résultat de la confiance qui existe et des
apprentissages réalisés et un élément qui les favorise. Ainsi non seulement nous avons
répondu à notre question, mais en plus nous avons élargie notre conception de cette
problématique et trouvé une démarche d’analyse qui pourrait s’appliquer à d’autres cas
similaires où une équipe ait à accomplir un projet créatif par exemple et a générer de
nouveaux apprentissages pour aboutir à ses objectifs.
335
ANEXE
Grille d'entrevue
Nos entrevues auprès des acteurs se sont faites en deux temps, soit: au début du
processus du montage de la pièce et vers la fin. Dans la première série d'entrevues, les
objectifs se situaient sur deux plan: 1) obtenir des informations a) sur leur trajectoire
professionnelle et b) sur l'histoire de leurs relations avec les autres membres de l'équipe. 2)
l'objectif était de leur expliquer le but de notre présence dans l'équipe afin pour créer un
rapport plus direct avec chacune. Notre idée, qui s'est avérée juste par la suite, était de
construire un climat de confiance qui inciterait ces mêmes personnes à décider spontanément
de nous fournir d'autres informations tout au long du processus.
Les principales questions posées dans ces entrevues étaient les suivantes:
1) Depuis combien de temps as-tu commencé à faire du théâtre?
2) Quelles ont été les motivations qui t' ont conduit(e) à faire ce choix?
3) Peux-tu me parler de certaines expériences marquantes au cours de ta carrière?
4) Peux-tu me parler de ta conception du théâtre?
5) Peux-tu me parler de la façon dont tu t'est engagé (e) à faire partie du projet actuel?
6) Depuis quand connais-tu les autres personnes de l'équipe?
7) Comment avez vous connus les autres participants à ce projet?
8) Selon, vous quel rôle la confiance joue-t-elle dans le cadre de ce projet?
La deuxième série d'entrevues avait comme objectif de nous permettre d'avoir davantage
d'information sur l’ expérience de travail des membres de cette équipe en particulier et sur
leurs apprentissages.
Les principales questions soulevées étaient les suivantes:
1) Peux-tu me parler des difficultés que tu as rencontrées pendant le montage de cette pièce?
336
2) Peux-tu me parler des satisfactions que tu as éprouvées pendant le montage de cette
pièce?
3) Peux-tu me parler des apprentissages que tu as réalisés ou des leçons que tu as tirées
pendant le montage de cette pièce?
4) Peux tu me parler des changements que tu as vus dans l'interaction entre les membres de
l'équipe?
5) Peux-tu me parler de tes attentes pour le temps qui vous reste à travailler ensemble comme
équipe?
337
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Documents complémentaires utiles
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Gran Dictionnaire Larrousse 2000
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Montréal, Canada.
348
Figure 1.
Cadre conceptuel préliminaire
Confiance, apprentissage et interdépendance dans les équipes de travail
Degré
d’interdépendance
Dynamique de la confiance/ méfiance
Perceptions de
confiance/ méfiance
Comportements
des participants
- en soi
- interpersonnelle
- dans l’équipe
Apprentissage
-Rapidité
-Qualité
-Nature
349
Figure 1
Sociogramme de la situation
de l’équipe au point de départ
Xochit
l
Mélissa
Jean
Béatrice
Juli
Juan
Cristobal
Lucie
*Claudia
Mauricio
*Alain
*Mattieu
*Pablo
Légende:
acteurs de la compagnie québécoise
acteurs mexicains invités au projet
relation de longue durée entre les membres d’une même compagnie
construction d’une entente pour la réalisation d’un projet conjoint
relation de travail de durée moyenne (5 ans)
membres de la compagnie mexicaine (metteur en scène, productrice, auteur)
* personnes qui travaillent pour la première fois avec ces compagnies
élèves de Julio
Luis
Jua
350
Figure 2
Sociogrammeme de la situacion de l’équipe
à la fin de l’étape 1
Xochitl
Pedro
Béatrice
*Mattieu
Mauricio
Pablo
Mélissa
Juli
Juan
Cristobal
Jean
Claudia
Lucie
Luis
Juan
*Alai
Légende:
acteurs de la compagnie québécoise
acteurs mexicains invités au projet
membres de la compagnie mexicaine (metteur en scène,productrice, auteur)
* personnes qui travaillent pour la première fois avec ces compagnies
élèves de Julio
interactions qui ont lieu entre cheque acteur et le metteur en scène à travers le jeu.
relations de travail qui a leiu surtout en dehors des horaires de répétition.
relation de travail des assistants du metteur en scène.
relation où une faible confiance en soi influence la relation interpersonelle.
351
Figure 3
Sociogrammeme de la situacion de l’équipe
lors de la fin de l’étape 2
Xochitl
Pedro
Béatrice
*Mattieu
Mauricio
Pablo
Mélissa
Juli
Juan
Cristobal
Jean
Claudia
Lucie
*Alai
Légende:
acteurs de la compagnie québécoise
acteurs mexicains invités au projet
membres de la compagnie mexicaine (metteur en scène,productrice, auteur)
* personnes qui travaillent pour la première fois avec ces compagnies
élèves de Julio
interactions qui ont lieu dans de nouvelles relations où la comunication
commence à se produire surtout à travers le jeu.
relations de travail qui a lieu surtout en dehors des horaires de répétition.
relation de travail des assistants du metteur en scène
relation où la confiance s’affaiblit
Luis
Juan
352
Figure 4
Sociogramme de la situation
de l’équipe à la fin de l’étape 3
Xochitl
Pedro
Luis
Juan
Béatrice
Juli
*Mattieu
*Alai
Mauricio
Mélissa
Pablo
Jean
Claudia
Lucie
Légende:
acteurs de la compagnie québécoise
acteurs mexicains invités au projet
membres de la compagnie mexicaine (metteur en scène,productrice, auteur)
* personnes qui travaillent pour la première fois avec ces compagnies
élèves de Julio
lien de travail plus reserré entre tous les acteurs

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